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Date : 20160708


Dossiers : T-1511-15

T-1782-15

T-1783-15

Référence : 2016 CF 776

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 8 juillet 2016

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

APOTEX INC.

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA SANTÉ, LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA ET LE COMMISSAIRE À L’INFORMATION DU CANADA

ORDONNANCE ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               Apotex interjette appel de l’ordonnance de la protonotaire Martha Milczynski rendue le 4 avril 2016 par laquelle elle accueille la requête du Commissaire à l’information du Canada (le « commissaire ») visant à comparaître comme partie défenderesse à la demande de contrôle judiciaire d’Apotex.

[2]               La demande de contrôle judiciaire sous-jacente porte sur trois décisions distinctes, mais identiques du ministre de la Santé (le « ministre ») de divulguer des renseignements qui lui ont été fournis par Apotex en réponse à une demande d’accès à l’information présentée par un ou plusieurs demandeurs.

[3]               Apotex a présenté au ministre une présentation abrégée de drogue nouvelle dans le but d’obtenir son approbation. Pour ce faire, Apotex devait fournir tous les renseignements pertinents concernant son produit, y compris sa composition chimique. La divulgation de ces renseignements risque d’entraîner des conséquences néfastes pour les intérêts scientifiques, propriétaux et autres d’Apotex, qui comprennent des secrets commerciaux du plus grand intérêt pour ses compétiteurs. Apotex souligne que ces renseignements sont confidentiels et ont été donnés au ministre sur la prémisse qu’il ne les divulguerait pas et qu’il protégerait ces renseignements.

[4]               En mars 2014, le ministre a avisé Apotex de la réception de trois demandes d’accès à l’information et a demandé son avis sur la possibilité d’appliquer les exceptions qui permettraient de ne pas divulguer ces renseignements. En août 2015, le ministre a signifié à Apotex sa décision de divulguer les dossiers en réponse aux trois demandes.

[5]               Dans une ordonnance du 14 octobre 2015, le juge Luc Martineau de notre Cour a autorisé la requête commune des parties demandant une gestion spéciale des trois demandes de contrôle judiciaire. La protonotaire Milczynski a par la suite été nommée juge chargée de la gestion de l’instance et, à ce titre, a tranché et continuera de trancher une grande variété de requêtes de nature procédurale qui mèneront à une décision sur les trois demandes de contrôle judiciaire.

II.                Ordonnance de la protonotaire

[6]               Le 29 février 2016, le commissaire a présenté une requête écrite conformément à l’article 369 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les « Règles »), demandant l’autorisation de la Cour pour être ajouté comme partie défenderesse conformément à l’alinéa 42(1)c) de la Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A-1 (la « Loi »).

[7]               Dans une ordonnance datée du 4 avril 2016 (« l’ordonnance »), la protonotaire a accueilli la requête, a ordonné que le commissaire soit ajouté comme défendeur aux procédures, que l’intitulé de la cause soit modifié conséquemment et, entre autres choses, que soit établi l’échéancier applicable à l’échange des documents, que le commissaire soit avisé de tout dépôt de documents, qu’il puisse déposer des éléments de preuve par affidavit, qu’il puisse effectuer des contre-interrogatoires sur affidavit dans le cours de l’échéancier établi et, enfin, que le commissaire puisse faire des observations orales lors de l’audience sur la demande de contrôle judiciaire.

III.             Questions en litige

[8]               Apotex interjette appel de l’ordonnance et fait valoir ce qui suit :

         La protonotaire a commis un manquement à l’équité procédurale en omettant de tenir compte des observations d’Apotex, y compris celle relative à la tenue d’une audience;

         La protonotaire a erré en droit en ajoutant le commissaire comme partie défenderesse;

         En raison de ces erreurs, la Cour doit examiner de novo si la demande du commissaire de comparaître comme partie défenderesse doit être accueillie.

IV.             Norme de contrôle

[9]               La norme de contrôle applicable à la décision discrétionnaire de la protonotaire a été établie dans la décision Canada c. Aqua-Gem Investments Ltd. (C.A.), [1993] 2 C.F. 425, 149 NR 273 (CAF) [Aqua-Gem].

[10]           Dans l’arrêt Merck & Co., Inc. c. Apotex Inc., [2004] 2 RCF 459, 2003 CAF 488, au paragraphe 19 (autorisation d’interjeter appel à la Cour suprême du Canada refusée, [2004] S.C.C.A. no 80) [Merck], le juge Décary a ainsi reformulé le critère établi dans la décision Aqua‑Gem : « Le juge saisi de l’appel contre l’ordonnance discrétionnaire d’un protonotaire ne doit pas intervenir sauf dans les deux cas suivants : a) l’ordonnance porte sur des questions ayant une influence déterminante sur l’issue du principal, b) l’ordonnance est entachée d’erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits. »

[11]           Il n’est pas contesté que l’ajout du Commissaire comme partie défenderesse n’a pas une influence déterminante sur l’issue de la demande de contrôle judiciaire. Seulement le second volet du critère est donc applicable.

[12]           Apotex a d’abord fait valoir que la norme de contrôle applicable en appel par la Cour est celle de « l’erreur manifeste et dominante » définie dans l’arrêt Housen c. Nikolaisen, [2002] 2 RCS 235, 2002 CSC 33. Apotex est reconnaît toutefois qu’en l’espèce, le résultat serait le même, peu importe que la norme utilisée examine si « l’ordonnance est entachée d’erreur flagrante, en ce sens que le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire en vertu d’un mauvais principe ou d’une mauvaise appréciation des faits » ou si la protonotaire a commis une erreur manifeste et dominante.

Autres principes issus de la jurisprudence

[13]           Il est établi en jurisprudence que la Cour doit intervenir dans la décision d’un protonotaire uniquement si « un pouvoir discrétionnaire judiciaire a manifestement été mal exercé » (Bande de Sawridge c. Canada, [2002] 2 RCF 346, 2001 CAF 338, au paragraphe 11 [Sawridge Band], également intitulée L’Hirondelle c. Canada, 2001 CAF 339, au paragraphe 4, 283 NR 112; Bande indienne d’Ermineskin c. Canada, 2002 CAF 331, au paragraphe 7, [2002] FCJ no 1257 (QL) [Bande indienne d’Ermineskin].

[14]           Au paragraphe 7 de l’arrêt Bande indienne d’Ermineskin, le juge Pelletier met l’accent sur le principe de la déférence due à la décision d’un juge chargé de la gestion de l’instance d’une affaire :

[7]        Nous aimerions insister une fois encore sur le lourd fardeau qui incombe aux parties désirant faire annuler une ordonnance interlocutoire rendue par un juge responsable de la gestion de l’instance. Notre Cour répugne en tout état de cause à intervenir en regard de telles ordonnances, en raison des retards et des frais occasionnés par pareils appels dans quelque instance que ce soit. Cela est d’autant plus vrai lorsqu’appel est interjeté de la décision interlocutoire d’un juge responsable de la gestion de l’instance qui a une connaissance intime de l’historique des faits ainsi que des détails d’une affaire complexe. La gestion d’instance ne peut être efficace que si notre Cour n’intervient que « dans les cas où un pouvoir discrétionnaire a manifestement été mal exercé », pour reprendre l’expression du juge Rothstein dans Bande indienne de Sawridge et al. c. Canada, 2001 CAF 339 (CanLII), (2001) 283 N.R. 112.

[15]           Le grand pouvoir discrétionnaire dévolu aux protonotaires lorsqu’ils agissent comme juge chargé de la gestion de l’instance a également été souligné par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt J2 Global Communications Inc. c. Protus IP Solutions Inc., 2009 CAF 41, 387 NR 135, au paragraphe 16. À l’égard du second volet du critère établi dans l’arrêt Aqua-Gem, les ordonnances des protonotaires ne devraient pas être modifiées à la légère :

[16]      Notre Cour a maintes fois réaffirmé qu’en raison de leur connaissance intime du procès et de sa dynamique, les protonotaires et les juges de première instance doivent pouvoir jouir d’une grande latitude dans l’exercice de leur pouvoir discrétionnaire en matière de gestion des instances (voir également les articles 75 et 385 des Règles des Cours fédérales). Comme notre Cour se tient loin de la mêlée, elle ne doit intervenir que pour empêcher des injustices flagrantes et pour corriger des erreurs graves et évidentes. Or, aucune erreur de cette nature n’a été démontrée en l’espèce. […]

V.                Dispositions pertinentes de la Loi sur l’accès à l’information et des Règles des Cours fédérales

[16]           La Loi dispose de ce qui suit :

42 (1) Le Commissaire à l’information a qualité pour :

42 (1) The Information Commissioner may

a) exercer lui-même, à l’issue de son enquête et dans les délais prévus à l’article 41, le recours en révision pour refus de communication totale ou partielle d’un document, avec le consentement de la personne qui avait demandé le document;

(a) apply to the Court, within the time limits prescribed by section 41, for a review of any refusal to disclose a record requested under this Act or a part thereof in respect of which an investigation has been carried out by the Information Commissioner, if the Commissioner has the consent of the person who requested access to the record;

b) comparaître devant la Cour au nom de la personne qui a exercé un recours devant la Cour en vertu de l’article 41;

(b) appear before the Court on behalf of any person who has applied for a review under section 41; or

c) comparaître, avec l’autorisation de la Cour, comme partie à une instance engagée en vertu des articles 41 ou 44.

(c) with leave of the Court, appear as a party to any review applied for under section 41 or 44.

(2) Dans le cas prévu à l’alinéa (1)a), la personne qui a demandé communication du document en cause peut comparaître comme partie à l’instance.

(2) Where the Information Commissioner makes an application under paragraph (1)(a) for a review of a refusal to disclose a record requested under this Act or a part thereof, the person who requested access to the record may appear as a party to the review.

[…]

[…]

44 (1) Le tiers que le responsable d’une institution fédérale est tenu, en vertu de l’alinéa 28(1)b) ou du paragraphe 29(1), d’aviser de la communication totale ou partielle d’un document peut, dans les vingt jours suivant la transmission de l’avis, exercer un recours en révision devant la Cour.

44 (1) Any third party to whom the head of a government institution is required under paragraph 28(1)(b) or subsection 29(1) to give a notice of a decision to disclose a record or a part thereof under this Act may, within twenty days after the notice is given, apply to the Court for a review of the matter.

(2) Le responsable d’une institution fédérale qui a donné avis de communication totale ou partielle d’un document en vertu de l’alinéa 28(1)b) ou du paragraphe 29(1) est tenu, sur réception d’un avis de recours en révision de cette décision, d’en aviser par écrit la personne qui avait demandé communication du document.

(2) The head of a government institution who has given notice under paragraph 28(1)(b) or subsection 29(1) that a record requested under this Act or a part thereof will be disclosed shall forthwith on being given notice of an application made under subsection (1) in respect of the disclosure give written notice of the application to the person who requested access to the record.

(3) La personne qui est avisée conformément au paragraphe (2) peut comparaître comme partie à l’instance.

 

(3) Any person who has been given notice of an application for a review under subsection (2) may appear as a party to the review.

(Les articles 28 et 29 renvoient à la décision de divulguer un dossier.)

[17]           Les Règles prévoient ceci :

1.1 (1) Sauf disposition contraire d’une loi fédérale ou de ses textes d’application, les présentes règles s’appliquent à toutes les instances devant la Cour d’appel fédérale et la Cour fédérale.

1.1 (1) These Rules apply to all proceedings in the Federal Court of Appeal and the Federal Court unless otherwise provided by or under an Act of Parliament.

(2) Les dispositions de toute loi fédérale ou de ses textes d’application l’emportent sur les dispositions incompatibles des présentes règles.

 

(2) In the event of any inconsistency between these Rules and an Act of Parliament or a regulation made under such an Act, that Act or regulation prevails to the extent of the inconsistency.

[…]

[…]

104 (1) La Cour peut, à tout moment, ordonner :

104 (1) At any time, the Court may

a) qu’une personne constituée erronément comme partie ou une partie dont la présence n’est pas nécessaire au règlement des questions en litige soit mise hors de cause;

(a) order that a person who is not a proper or necessary party shall cease to be a party; or

b) que soit constituée comme partie à l’instance toute personne qui aurait dû l’être ou dont la présence devant la Cour est nécessaire pour assurer une instruction complète et le règlement des questions en litige dans l’instance; toutefois, nul ne peut être constitué codemandeur sans son consentement, lequel est notifié par écrit ou de telle autre manière que la Cour ordonne.

(b) order that a person who ought to have been joined as a party or whose presence before the Court is necessary to ensure that all matters in dispute in the proceeding may be effectually and completely determined be added as a party, but no person shall be added as a plaintiff or applicant without his or her consent, signified in writing or in such other manner as the Court may order.

(2) L’ordonnance rendue en vertu du paragraphe (1) contient des directives quant aux modifications à apporter à l’acte introductif d’instance et aux autres actes de procédure.

(2) An order made under subsection (1) shall contain directions as to amendment of the originating document and any other pleadings.

VI.             La protonotaire a-t-elle manqué à l’équité procédurale?

[18]           Apotex soutient que la protonotaire n’a pas tenu compte de ses observations en réponse à la requête du commissaire visant à comparaître comme partie à la demande de contrôle judiciaire. Elle souligne que dans la présente décision, la protonotaire a identifié la demanderesse et le défendeur d’une certaine façon, alors qu’elle a désigné les mêmes parties, soit la demanderesse, le défendeur et le commissaire, d’une autre façon dans une autre décision. Apotex souligne également que sa demande pour la tenue d’une audience n’a pas été mentionnée.

[19]           Je ne suis pas de cet avis. Au moment de la requête du commissaire en vue d’être ajouté comme partie au litige, la demande de contrôle judiciaire comportait uniquement deux parties : la demanderesse Apotex et le défendeur, le ministre de la Santé. L’ordonnance affirme ceci : [traduction] « Et après lecture du dossier de requête du demandeur et de la lettre de l’avocat du défendeur donnant avis de l’intention du défendeur de ne pas prendre position sur la requête. » Il est manifeste que la référence du protonotaire au « demandeur » ne peut renvoyer qu’à Apotex. Comme le commissaire le souligne, la protonotaire fait constamment référence au commissaire comme étant « le Commissaire à l’information du Canada » ou « le Commissaire à l’information » et ne le désigne pas comme « demandeur », bien que le commissaire était effectivement le demandeur à la requête examinée par la protonotaire.

[20]           Apotex allègue également qu’elle n’a pas déposé de dossier de requête, mais plutôt une réponse. Je note toutefois que le document déposé par Apotex pour cette requête s’intitule [traduction] « Dossier de requête en réponse du demandeur Apotex ». Puisqu’Apotex se décrit elle-même comme étant le demandeur sur son propre dossier, son argument ne peut être accueilli. Il est manifeste que la protonotaire fait référence aux documents fournis par Apotex.

[21]           De même, l’argument d’Apotex selon lequel la protonotaire fait uniquement mention des observations de deux parties alors qu’il y avait trois positions à prendre en compte ne modifie pas cette conclusion. En avant-propos de son ordonnance, la protonotaire reprend la mesure recherchée par le commissaire et renvoie aux Règles et dispositions législatives permettant à la Cour d’autoriser l’ajout du commissaire comme partie au litige. La protonotaire mentionne ensuite les observations de la demanderesse et la lettre du ministre.

[22]           Apotex porte également à mon attention une autre décision de la protonotaire Milczynski, Porter Airlines c. Canada (Procureur général), T-1296-15 [Porter I], datée elle aussi du 4 avril 2016 et dans laquelle elle autorise la demande du commissaire visant à être ajouté comme partie. Dans cette ordonnance, la protonotaire Milczynski renvoie à la requête [traduction] « au nom du demandeur, le commissaire à l’information », alors que la demanderesse de la demande de contrôle judiciaire est Porter Airlines. La protonotaire observe également qu’elle a pris connaissance du [traduction] « dossier de requête au nom du commissaire à l’information », d’une lettre de l’avocat du défendeur et d’une lettre de l’avocat de la demanderesse. Apotex soutient qu’en l’espèce, tout comme dans Porter I, la requête a été déposée par le commissaire, qui en est le demandeur, et que les références de la protonotaire au « demandeur » renvoient par conséquent au commissaire et non à Apotex. Apotex ajoute que l’utilisation précise de l’expression « à la lecture des positions des trois parties » retrouvée dans la décision Porter I peut être opposée à l’absence de cette référence en l’espèce.

[23]           Je ne suis pas de cet avis. D’abord, il ne s’agit pas d’un exercice d’interprétation législative nécessitant la comparaison de mots au sein d’une même loi afin de donner la même signification aux mots semblables et de distinguer les mots différents, portant une autre signification. Ces ordonnances ne sont pas liées et sont indépendantes l’une de l’autre. Les protonotaires et les juges n’ont pas l’obligation d’utiliser des mots ou des expressions identiques dans leurs ordonnances et leurs jugements. Deuxièmement, les deux ordonnances désignent clairement les parties. Dans la décision Porter I, la protonotaire identifie [traduction] « le demandeur, le commissaire à l’information », ce qui distingue grammaticalement le commissaire en tant que demandeur de la requête et non de la demande de contrôle judiciaire. Le préambule, indiquant ce dont la protonotaire a tenu compte, renvoie aux positions des trois parties et distingue l’avocat de la demanderesse (c.-à-d. Porter) de celui du commissaire. Je note également que dans la décision Porter I, la demanderesse (Porter) et le défendeur (le ministre de la Santé) n’ont pas contesté l’ajout du commissaire à titre de partie.

[24]           En l’espèce, la protonotaire fait constamment référence au « commissaire à l’information » en le désignant ainsi et non comme étant « le demandeur ».

[25]           L’absence de mention particulière de la requête d’Apotex demandant tenue d’une audience ne soutient pas son argument selon lequel ses observations n’ont pas été prises en considération. La protonotaire n’était pas obligée de tenir une audience ou de fournir des motifs pour justifier sa décision de ne pas le faire.

[26]           Le commissaire a déposé sa requête par écrit en vertu de l’article 369 des Règles. Conformément à cet article, lorsqu’un défendeur à une telle requête s’y oppose par écrit, il doit exposer ses motifs soit par un mémoire des faits et du droit ou par des représentations écrites auxquels la partie requérante pourra répondre. Il appartient ensuite à la Cour de trancher cette requête par écrit ou de fixer une date d’audience.

[27]           En l’espèce, le dossier démontre qu’Apotex a demandé la tenue d’une audience en faisant valoir que la requête du commissaire soulève des questions qui auront pour effet de définir la demande principale et qu’il y a lieu dans ce contexte de bénéficier d’observations de vive voix. Le commissaire a répondu (conformément au paragraphe 369(3) des Règles) et a souligné que les observations écrites répondent à toutes les questions pertinentes et qu’Apotex n’a fourni aucun motif justifiant de trancher cette requête autrement que par écrit.

[28]           La protonotaire a de toute évidence été de l’avis du commissaire qu’il était possible de trancher la requête en se fondant uniquement sur les observations écrites. Elle n’a pas fixé de date d’audience et a rendu son ordonnance. Le premier préambule de l’ordonnance fait état de la [traduction] « requête par écrit (...) conformément à l’article 369 des Règles (...) ».

[29]           Une décision rendue sur une requête écrite n’entraîne pas un manquement à l’équité procédurale. Apotex avait manifestement connaissance de toutes les questions soulevées par la requête et y a répondu dans ses observations écrites.

[30]           Le défaut de répondre à la demande d’Apotex de tenir une audience ou de fournir des motifs pour ne pas le faire ne rend pas fondé l’argument selon lequel la protonotaire n’a pas tenu compte des observations d’Apotex en général.

[31]           Comme il est indiqué ci-dessous, étant donné le grand nombre de requêtes à examiner et la nécessité de faire progresser le litige principal, les protonotaires n’ont pas à fournir de motifs pour les multiples décisions et ordonnances qu’ils rendent, pourvu qu’il demeure clair que les observations ont été examinées.

[32]           Il n’y a pas de raison de douter que la protonotaire a tenu compte des observations d’Apotex, qui contestait l’ajout du commissaire comme partie défenderesse.

VII.          La protonotaire a-t-elle commis une erreur basée sur des mauvais principes de droit ou sur une mauvaise appréciation des faits en exerçant son pouvoir discrétionnaire d’autoriser l’ajout du commissaire comme partie défenderesse?

Observations d’Apotex

[33]           Apotex soutient que la protonotaire a fondé sa décision sur un mauvais principe de droit puisqu’elle n’a pas appliqué l’article 104 des Règles conformément à l’interprétation de la jurisprudence.

[34]           La demanderesse fait valoir qu’il est bien établi en jurisprudence que l’article 104 met en place un critère rigoureux de nécessité et que des circonstances spéciales ou exceptionnelles doivent exister pour s’écarter de la règle générale selon laquelle l’identification des défendeurs appartient au demandeur ou au plaignant (Les Laboratoires Servier c. Apotex Inc., 2007 CF 1210, 63 CPR (4th) 21, aux paragraphes 11, 16 et 17 [Servier]). Apotex soutient que seul l’article 104 des Règles régit si le commissaire peut obtenir l’autorisation de comparaître comme partie prévue par l’alinéa 42(1)c) de la Loi.

[35]           Apotex note que dans l’arrêt Canada (Pêches et Océans) c. Bande indienne de Shubenacadie, 2002 CAF 509, 299 NR 241 [Shubenacadie], le juge Evans a de toute évidence conclu que la définition de « partie nécessaire » développée dans la décision Amon v Raphael Tuck & Sons Ltd, [1956] 1 QB 357 [Amon], à la page 380, s’applique aux Règles. Une partie nécessaire est notamment une partie qui est liée par l’issue de l’action.

[36]           La demanderesse ajoute que dans l’arrêt Air Canada c. Thibodeau, 2012 CAF 14, 438 NR 321 [Thibodeau], aux paragraphes 10 et 11, la Cour d’appel a affirmé que l’exigence de la nécessité est le seul critère applicable et que les seules circonstances où l’ajout d’une partie défenderesse est justifiée est lorsqu’elle est liée par l’issue de la cause. Apotex ajoute que l’arrêt Thibodeau a plus récemment été appliqué par la Cour dans la décision Cami International Poultry Inc. c. Canada (Procureur général), 2013 CF 583, [2013] ACF no 790 [Cami].

[37]           Elle fait valoir que le commissaire n’a pas plaidé dans sa requête qu’il est une partie nécessaire, mais qu’il a plutôt allégué que l’article 104 ne s’applique pas en l’espèce. Le commissaire fonde sa demande sur les dispositions de la Loi.

[38]           Apotex soutient qu’il n’est pas nécessaire que le commissaire soit ajouté comme partie défenderesse puisqu’il ne sera pas lié par l’issue du contrôle judiciaire. De plus, l’ajout du commissaire comme partie défenderesse entraînera des conséquences pour Apotex et pourrait entraver sa capacité à restreindre les questions en litige ou à conclure un règlement avec le ministre.

[39]           Apotex allègue également que le commissaire n’apporte aucune expertise sur les questions soulevées dans la demande de contrôle judiciaire que n’auraient pas la demanderesse et le ministre. Elle ajoute qu’un des motifs avancés par le commissaire dans sa requête en vue d’obtenir l’autorisation de comparaître comme défendeur concerne la possibilité qu’Apotex dépose une requête en vue d’inverser l’ordre de présentation de la preuve dans la demande de contrôle judiciaire; ce motif est toutefois prématuré puisqu’Apotex n’a pas déposé cette requête. Quoi qu’il en soit, l’inversion de l’ordre de présentation de la preuve n’est pas une pratique inhabituelle et n’aurait aucune conséquence sur le fardeau de la preuve relatif au contrôle judiciaire.

[40]           Apotex soutient que l’intérêt du commissaire et l’aide qu’il prétend pouvoir apporter pourraient être satisfaits par un affidavit ou par une demande de statut d’intervenant, soulignant que les intervenants ne sont pas liés par l’issue de la cause.

[41]           Malgré la grande déférence due aux décisions discrétionnaires d’un protonotaire rendues dans le cadre de gestions d’instances, Apotex fait observer que ces décisions ne sont pas exemptes de toute révision (R. c. Louis Bull Band, 2003 CFPI 732, [2003] FCJ no 961 (QL) [Louis Bull], au paragraphe 15; Merck, aux paragraphes 40 et 41). Apotex plaide que la décision autorisant l’ajout d’un défendeur ne s’inscrit pas dans le rôle traditionnel du juge de gestion des instances, ne se fonde pas sur la connaissance particulière des questions soulevées par l’affaire de la protonotaire ou sur des connaissances spéciales. Elle ajoute que tout comme dans la décision Louis Bull, cette requête concerne une nouvelle question à laquelle le principe de déférence ne s’applique pas (Louis Bull, aux paragraphes 15 et 16).

[42]           Apotex fait également valoir que puisque la protonotaire n’a pas motivé sa décision, il n’y a pas de fondement permettant à la Cour d’établir la façon dont elle est arrivée à sa décision ni de fondement justifiant de faire preuve de déférence envers l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la protonotaire.

Observations du commissaire

[43]           Le commissaire fait valoir que l’alinéa 42(1)c) de la Loi dispose clairement que le commissaire peut comparaître comme défendeur à une demande de contrôle judiciaire avec l’autorisation de la Cour. Le commissaire reconnaît que l’article 104 des Règles a été interprété par la jurisprudence comme établissant un critère rigoureux, mais fait observer que cette jurisprudence ne vise pas l’application de l’article dans le contexte d’une disposition législative qui prévoit spécialement la possibilité pour un agent du parlement de comparaître comme partie à l’instance.

[44]           La commissaire prétend que si l’article 104 est interprété sans égard à la disposition de la Loi, il ne pourra être en mesure de satisfaire le critère rigoureux de la nécessité et par conséquent, ne pourra obtenir l’autorisation de comparaître comme partie à l’instance malgré le libellé clair de sa loi constitutive.

[45]           Le commissaire note que la Cour d’appel fédérale a reconnu que les Règles sont assujetties aux dispositions des lois du parlement et rien depuis n’a changé qui permettrait d’écarter ce principe (Canada (Commission des droits de la personne) c. Canada (Procureur général), [1994] 2 RCF 447, 17 Admin LR (2d) 2 (CAF) [Canada (CDP)]).

[46]           L’article 104 doit être réconcilié à la Loi et à son intention claire de permettre au commissaire de comparaître comme partie dans un litige. L’intention claire du législateur constitue une exception au critère de la nécessité (Servier, au paragraphe 17).

[47]           Le commissaire fait également valoir qu’il faut distinguer la décision Thibodeau, qui refuse au Commissaire aux langues officielles l’autorisation d’être ajouté comme partie défenderesse au litige. Le commissaire souligne d’ailleurs que la Cour suprême du Canada a finalement autorisé l’intervention du commissaire aux langues officielles devant la Cour.

[48]           Il fait observer qu’il ne s’inscrit pas dans la même catégorie qu’une autre personne qui chercherait à intervenir comme partie dans un dossier. L’objectif de la Loi de même que les devoirs et responsabilités bien précis du commissaire visent entre autres à assurer la bonne administration de la Loi et à vérifier le respect des droits des demandeurs dans le cadre de l’application de la Loi, ce qui justifie selon lui son statut de partie.

[49]           Le commissaire ajoute que la Cour a établi qu’il peut obtenir l’autorisation d’intervenir à titre de partie lorsqu’elle est convaincue que sa participation aidera à trancher une question juridique ou factuelle de la procédure (Canon Canada Inc v Infrastructure Canada (28 février 2014), T-1987-13, [Canon]). Le commissaire mentionne plusieurs ordonnances de la Cour autorisant une demande du commissaire de comparaître comme défendeur dans de nombreuses procédures, ainsi que de nombreux jugements de demande de contrôle judiciaire et d’autres procédures dans lesquelles le commissaire a obtenu le statut de défendeur. La décision récente du juge Russel dans Porter Airlines v Canada (Attorney General) (23 mars 2016), T‑1491-15 [Porter II], indique que le commissaire a obtenu cette autorisation dans de nombreux dossiers et que sa présence à titre de partie est [traduction] « extrêmement aidante » pour la Cour.

[50]           En l’espèce, le commissaire a exposé les motifs suivants dans ses observations écrites sur la requête pour justifier sa demande d’autorisation, lesquels ont été examinés par la protonotaire : l’expertise du commissaire et sa capacité d’offrir un soutien à la Cour à l’égard de la Loi; l’intérêt général du commissaire pour l’interprétation et l’administration de la Loi; son devoir de s’assurer que l’intérêt des demandeurs est considéré et l’intention d’Apotex, qui n’est pas encore confirmée, de déposer une requête pour inverser l’ordre de présentation de la preuve de la demande de contrôle judiciaire.

[51]           Le commissaire ajoute qu’il n’entravera aucun règlement possible et qu’il ne pourrait dissuader la Cour d’approuver une telle entente.

VIII.       La protonotaire n’a pas commis d’erreur fondée sur un mauvais principe de droit ou sur une mauvaise appréciation des faits dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire.

Article 104 des Règles et dispositions législatives

[52]           Je suis d’accord avec le commissaire qu’une interprétation stricte de l’article 104 des Règles, sans égard pour les dispositions de la Loi, aurait pour conséquence de saper l’intention du législateur d’accorder au commissaire l’autorisation de comparaître comme partie à une procédure.

[53]           Comme la protonotaire Tabib l’a mentionné à la page 2 de la décision Canon :

[traduction
Le commissaire à l’information a raison d’affirmer que l’article 42(1) de la Loi sur l’accès à l’information prévoit la participation du commissaire à titre de partie dans tout examen exécuté en vertu de l’article 44 et que le critère rigoureux de la « nécessité » établit à l’article 104 des Règles aurait comme conséquence, s’il était appliqué à l’encontre d’une requête déposée en application du paragraphe 42(1) de la Loi, de miner l’intention du législateur en rendant sans effets le paragraphe 42(1) puisqu’il n’y aura que rarement, et peut-être même jamais, de litiges où la présence du commissaire sera «  nécessaire pour assurer une instruction complète et le règlement des questions en litige dans l’instance ».

[54]           L’article 1.1 des règles est instructif à l’égard de l’objectif et de l’application des Règles. Les Règles disposent d’un mécanisme ou d’un processus, mais ne priment pas sur une règle de droit si elles vont à son encontre. Bien que l’article 104 des Règles et l’alinéa 42(1)c) de la Loi ne sont pas incompatibles à première vue, l’interprétation stricte de l’article 104 rendrait probablement impossible dans la plupart des cas d’autoriser la demande de comparaître du commissaire. L’article 104 des Règles doit donc être adapté conséquemment.

[55]           Ce même principe a été reconnu dans Canada (CDP), alors que le juge Décary a examiné l’ancêtre de l’article 104 ainsi que certains autres articles des Règles qui, à cette époque, avaient récemment été adoptés pour compléter les modifications apportées à la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, ch. F-7, relativement aux demandes de contrôle judiciaire. Le juge Décary fait observer que les Règles ont pour objectif de clarifier la confusion régnant sur les statuts d’intervenant et de partie. Il a déclaré ce qui suit :

Les Règles s’appliquent sous réserve des dispositions législatives accordant à certains tribunaux la possibilité de prendre part à des procédures judiciaires, en tant que partie ou intervenant, soit de plein droit, soit avec l’autorisation de la Cour. L’application des Règles doit s’adapter à ce type de disposition. Par exemple, un tribunal à qui la loi reconnaît l’intérêt pour agir en tant que partie ou en tant que partie intervenante et qui n’est pas nommé dans la requête introductive d’instance, verra sans peine accueillir sa demande, qui se fondera soit sur la Règle 1602(3) soit sur la Règle 1611, en vue de se faire adjoindre à titre d’intimé ou en tant qu’intervenant. On trouvera des exemples de dispositions législatives accordant à un tribunal la possibilité de prendre part à des procédures judiciaires, dans la Loi sur les langues officielles, L.R.C. (1985) (4e suppl.), ch. 31, art. 78(1)a),b) et c) ainsi que 78(3); la Loi sur l’accès à l’information, L.R.C. (1985), ch. A-1, art. 42(1)a), b) et c); la Loi nationale sur les attributions en matière de télécommunications, L.R.C. (1985), ch. N-20 (mod. par L.R.C. (1985) (3e suppl.), ch. 28, art. 301), art. 65(4); et la Loi canadienne sur les droits de la personne, L.R.C. (1985), ch. H-6, art. 40(3), 50(1), 51, 55.

[Non souligné dans l’original.]

[56]           Comme le fait remarquer le commissaire, Apotex n’a pas tenu compte de cette jurisprudence et n’a cité aucune décision contredisant ou modifiant cette décision.

[57]           À l’exception de l’arrêt Thibodeau, la jurisprudence sur laquelle se fonde Apotex pour soutenir que la protonotaire a commis une erreur de droit en n’appliquant pas le critère rigoureux de la nécessité prévu à l’article 104 des Règles ne concerne pas l’application de cet article dans le contexte d’une disposition législative qui permet, sur autorisation, d’ajouter une partie aux procédures.

[58]           Dans la décision Servier, la juge Snider observe aux paragraphes 11 à 13 que l’article 104 permet l’ajout d’une partie uniquement dans des circonstances spéciales ou exceptionnelles et lorsque l’un des deux critères prévus à l’article 104 est rempli. La juge Snider note que dans l’arrêt Shubenacadie, la Cour d’appel a fait sienne la définition de « partie nécessaire » développée dans la décision Amon.

[59]           La juge souligne toutefois au paragraphe 17 qu’on peut également appliquer d’autres principes pour déterminer si une personne est un défendeur nécessaire, notamment :

• En l’absence d’une disposition législative spécifique (tel que, par exemple, dans Nissho-Iwai Canada Ltd. c Ministre du Revenu National Douanes et Accise, [1981] 2 C.F. 721 (1re inst.)), lorsque la déclaration du demandeur ne sollicite pas de mesures réparatrices contre une personne et ne fait aucune allégation à son encontre, cette personne ne sera pas considérée comme une partie nécessaire. (Shubenacadie, précité, au paragraphe 6; Hall c La Bande indienne Dakota Tipi, [2000] A.C.F. no 207, aux paragraphes 5 et 8 (1re inst.) (QL); Stevens c Canada (Commissaire, Commission d’enquête), 1998 CanLII 9074 (CAF), [1998] 4 C.F. 125, au paragraphe 21 (C.A)).

[Non souligné dans l’original.]

[60]           Servier n’aborde pas la question de l’interdépendance entre une loi permettant l’ajout d’une partie et les Règles. De plus, la juge Snider reconnaît le principe selon lequel en l’absence d’une disposition législative spécifique, une partie ne devrait pas être autorisée à intervenir si la demande ne tente pas d’obtenir une réparation à son encontre (c.-à-d. lorsque la partie ne serait pas liée par le jugement). Manifestement, tout comme dans l’arrêt Canada (CDP), la jurisprudence a reconnu que les dispositions d’une loi doivent être respectées.

[61]           Dans l’arrêt Thibodeau, la Cour d’appel fédéral a rejeté la requête du commissaire aux langues officielles (« CLO ») en vue d’obtenir l’autorisation d’être constitué comme partie défenderesse, et ce, même si la Loi sur les langues officielles, L.R.C. (1985), ch. 31 (4e suppl.), dispose que le CLO peut obtenir l’autorisation d’être constituée comme partie au litige, de façon similaire au paragraphe 42(1) de la Loi sur l’accès à l’information. Le juge Blais conclut qu’en application de l’article 104 des Règles, la décision discrétionnaire du juge doit être guidée par un seul critère : la nécessité (au paragraphe 11).

[62]           Le juge Blais cite l’arrêt Stevens c. Canada (Commissaire, Commission d’enquête), 1998 CanLII 9074 (CAF), [1998] 4 C.F. 125, qui fait sien ce passage de la décision Amon concernant l’interprétation à donner au mot « nécessaire » :

La personne qu’il faut constituer comme partie doit être une personne dont la présence est nécessaire en tant que partie. Qu’est‑ce qui fait qu’une personne est une partie nécessaire? Ce n’est pas, bien sûr, uniquement le fait qu’elle a des éléments de preuve pertinents à apporter à l’égard de certaines des questions en litige; elle ne serait alors qu’un témoin nécessaire. Ce n’est pas uniquement le fait qu’elle a un intérêt à ce que soit trouvée une solution adéquate à quelque question en litige, qu’elle a préparé des arguments pertinents et qu’elle craint que les parties actuelles ne les présentent pas adéquatement. Autrement, dans des affaires d’interprétation d’une clause contractuelle courante, de nombreuses parties pourraient exiger d’être entendues, et si la Cour avait le pouvoir d’admettre certaines personnes, il n’existe aucun principe discrétionnaire en vertu duquel certaines personnes pourraient être admissibles et d’autres non. La Cour pourrait souvent conclure qu’il serait utile ou souhaitable d’entendre certaines de ces personnes pour s’assurer de trouver la réponse adéquate, mais personne ne semble suggérer qu’il soit nécessaire de les entendre à cette fin. La seule raison qui puisse rendre nécessaire la constitution d’une personne comme partie à une action est la volonté que cette personne soit liée par l’issue de l’action; la question à trancher doit donc être une question en litige qui ne peut être tranchée adéquatement et complètement sans que cette personne ne soit une partie.

[63]           Au paragraphe 12, le juge Blais examine ensuite s’il est nécessaire « d’accorder au Commissaire ladite autorisation pour assurer l’instruction complète et le règlement des questions en litige » et conclut que tel n’est pas le cas.

[64]           La question en litige en l’espèce n’est pas de déterminer l’interprétation à donner à « nécessaire » ou d’établir si le commissaire est une partie nécessaire au litige, mais plutôt de déterminer si la nécessité est le seul critère permettant d’ajouter une partie à un litige, comme l’a conclu l’arrêt Thibodeau. À mon avis, il faut distinguer Thibodeau et, avec égard, ne pas s’appuyer sur cet arrêt pour déterminer que la nécessité est le seul critère applicable, sans égard aux autres dispositions législatives applicables. Il semble d’abord que le juge Blais a reconnu que l’article 104 des Règles s’applique dans le contexte d’une autre disposition législative, mais qu’il n’a pas soulevé les implications de cette application ou déterminé si les Règles devaient l’emporter sur la disposition législative dans la mesure où l’intention du législateur est touchée. Ensuite, il semble que l’article 1.1 des Règles n’a pas été évoqué, alors qu’il prévoit que les dispositions législatives l’emportent sur les dispositions incompatibles des Règles. En outre, la décision antérieure Canada (CDP) n’a pas été portée à l’attention de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Thibodeau alors qu’elle énonce précisément que les Règles doivent être adaptées lorsqu’une loi donne à des tribunaux la possibilité de comparaître à un litige et qui fait spécifiquement référence à la Loi sur l’accès à l’information.

[65]           De plus, le rejet de la requête dans Thibodeau doit être également distingué en fonction des faits. Le juge Blais a notamment souligné que le CLO a demandé et obtenu un statut d’intervenant devant la Cour, qu’il a pu formuler des observations orales et écrites, qu’il a participé aux contre-interrogatoires mais qu’il n’a pas demandé à être constitué comme partie. Par conséquent, le commissaire avait déjà fait son choix et il était désormais trop tard pour modifier sa position. Le juge Blais a conclu que le statut d’intervenant, auquel Air Canada avait consenti, était suffisant.

[66]           Dans la décision Cami citée par Apotex comme représentant une application récente du critère de la nécessité et de la décision Thibodeau, le juge en chef Crampton conclut, en se fondant sur les décisions Thibodeau et Shubenacadie relativement au critère rigoureux de la nécessité, que les Producteurs de poulet du Canada (PPC) ne peuvent être ajoutés comme partie. Une fois de plus, cette décision ne concerne pas une législation prévoyant la possibilité d’ajouter le défendeur proposé et ne vise que l’application de l’article 104 des Règles. Aucune disposition législative ne permettait à PPC de comparaître comme partie.

[67]           L’article 104 doit être adapté pour permettre à la Cour d’exercer son pouvoir discrétionnaire d’autoriser la demande du commissaire visant à être ajouté comme partie au litige. Comme l’a mentionné le commissaire, la Cour a autorisé cette demande dans plusieurs affaires par le passé et a élaboré une approche pour ce faire.

[68]           Récemment, dans la décision Porter II, le juge Russel a autorisé la demande du commissaire de comparaître comme partie au dossier en vertu de l’alinéa 42(1)c), notant d’ailleurs ce qui suit au paragraphe 5, parmi ses autres conclusions :

[traduction]
5. Quoi qu’il en soit, je ne peux retenir les motifs justifiant la résistance de la demanderesse puisqu’il me semble que, tout bien pesé, et pour les mêmes motifs que dans tant d’autres affaires dans lesquelles le commissaire a obtenu l’autorisation de comparaître en vertu de l’alinéa 42(1)c) de la Loi, la connaissance du commissaire relativement à l’historique de la loi, de sa jurisprudence et des questions juridiques soulevées en l’espèce aideront grandement la Cour à résoudre ce litige.

[69]           Bien que la connaissance et le point de vue du commissaire peuvent représenter un avantage pour les parties et pour la Cour, la décision d’autoriser sa comparution à titre de partie doit être prise au cas par cas. Cette décision ne peut se fonder uniquement sur le critère rigoureux établi par la jurisprudence à l’égard de l’article 104 des Règles.

Si l’article 104 n’est pas applicable, quels sont les critères devant guider l’exercice du pouvoir discrétionnaire?

[70]           Comme le commissaire l’a fait observer, les protonotaires et juges ont rendu plusieurs autres ordonnances visant à ajouter le commissaire à titre de partie qui ne reflètent pas l’approche privilégiée dans l’arrêt Thibodeau, y préférant plutôt l’application d’autres critères.

[71]           Les récents motifs de la protonotaire Tabib dans la décision Canon, expliquant les raisons justifiant l’ajout du commissaire, semblent saisir la logique reflétée par d’autres ordonnances. Après avoir conclu que le critère de la nécessité n’est pas approprié dans le contexte d’une demande d’autorisation pour comparaître comme partie en vertu de l’alinéa 42(1)c) de la Loi, la protonotaire Tabib s’est demandé quel critère devrait guider l’exercice du pouvoir discrétionnaire. Elle note qu’il n’existe pas de décision ayant abordé la question du critère, mais que des décisions similaires ont suggéré que le critère applicable devrait être [traduction] « semblable à celui utilisé dans les requêtes demandant l’autorisation d’intervenir en vertu de l’article109 des Règles ». [TRADUCTION] « La Cour doit être convaincue que la participation du Commissaire à l’information du Canada aidera la Cour à trancher une question factuelle ou juridique soulevée par la procédure » (aux pages 2 et 3).

[72]           Cette approche illustre le besoin de réconcilier l’article 104 à la Loi afin de respecter à la fois l’intention de la Loi et les exigences sous-jacentes à la demande d’autorisation d’être constituée comme partie.

[73]           Comme l’a mentionné la protonotaire Tabib, l’ajout du commissaire à titre de partie en vertu de l’alinéa 42(1)c) n’est pas automatique. La Cour doit examiner, selon les observations des parties, si l’ajout du commissaire comme partie aura pour effet d’aider la Cour; elle doit évaluer de quelle façon cette assistance se déclinera et décider si la demande doit être autorisée.

[74]           Par exemple, dans la décision Canon, la protonotaire Tabib observe que la seule expertise du commissaire ne constitue pas un motif suffisant pour autoriser la demande. Elle détermine toutefois que la participation du commissaire serait utile à la Cour dans le contexte de la requête du demandeur en vue d’obtenir une ordonnance de confidentialité.

Absence de motif pour écarter le principe de déférence

[75]           Apotex soutient qu’aucune déférence n’est due envers la décision discrétionnaire de la protonotaire, car elle a outrepassé son rôle de juge chargé de la gestion de l’instance et a examiné une nouvelle question qui n’était pas reliée à sa connaissance particulière des questions en litiges dans la demande de contrôle judiciaire. Je ne suis pas de cet avis.

[76]           Dans l’arrêt Merck, la Cour d’appel s’est penché sur la règle ou le principe énoncé dans les arrêts Sawridge Band et Bande indienne d’Ermineskin, où la Cour d’appel a affirmé que la Cour devrait uniquement intervenir dans les décisions rendues par les juges ou protonotaires chargés de la gestion des instances « dans les cas où un pouvoir discrétionnaire judiciaire a manifestement été mal exercé ». La Cour d’appel précise sa pensée au paragraphe 41 :

[41]      Cette règle ne s’applique bien sûr que lorsqu’il y a lieu de faire preuve de déférence; elle ne s’applique pas lorsque le pouvoir discrétionnaire doit être exercé de novo, par exemple quand, comme en l’espèce, la question est déterminante pour l’issue de l’affaire ou quand le protonotaire ou le juge responsable de la gestion de l’instance a commis une erreur de principe (voir l’arrêt Apotex). En fait, dans l’arrêt Apotex, le juge Strayer a refusé de restreindre le droit légal d’une partie de recevoir une réponse à l’interrogatoire préalable pour toute question pertinente posée, et ce pour améliorer le système de gestion de l’instance et accélérer l’ensemble du processus. De plus, comme l’a fait remarquer le juge Snider dans la décision Bande indienne de Louis Bull, précitée, toutes les ordonnances d’un juge ou protonotaire responsable de la gestion de l’instance ne sont pas rendues « dans le cadre de la fonction de gestion d’instance » (paragraphe 16) : lorsqu’une ordonnance porte sur « une nouvelle question sur laquelle [le protonotaire responsable de la gestion de l’instance] n’avait pas de connaissances particulières », la règle de l’arrêt Sawridge ne s’applique pas. En fait, les protonotaires et les juges responsables de la gestion de l’instance sont souvent appelés à statuer sur des requêtes qui excèdent de loin leur expertise en matière de gestion de l’instance acquise dans une affaire.

[77]           Dans la décision Louis Bull également évoquée par Apotex, la juge Snider a souligné le principe selon lequel les décisions discrétionnaires rendues par un protonotaire dans le cadre d’une gestion d’instances ne doivent pas être écartées à la légère, considérant la connaissance qu’a le protonotaire des questions en litige et plus généralement de son expertise. Elle ajoute toutefois que ces décisions ne se trouvent pas pour autant à l’abri d’un contrôle judiciaire. La juge Snider a conclu, en fonction des faits du dossier, que la requête en vue d’ajouter une cause d’action soulevait une toute nouvelle question et que dans ces circonstances, il n’y avait pas lieu de faire preuve de déférence.

[78]           Comme le commissaire l’a observé, les requêtes en vue d’ajouter un défendeur ou un intervenant au litige ne sont pas complexes ou uniques ni ne s’écartent des requêtes traitées par les protonotaires dans leurs fonctions de juge chargé de la gestion de l’instance. Plusieurs ordonnances de la Cour citées par le commissaire démontrent d’ailleurs que la Cour a rendu de telles ordonnances, y compris du consentement des parties.

[79]           En l’espèce, la protonotaire a été nommée comme gestionnaire de l’instance en octobre 2015. Elle connaît bien les questions soulevées par les demandes sous-jacentes et est de façon générale familière avec l’éventail de requêtes pouvant être soulevées dans un tel contexte. De plus, la protonotaire a déjà tranché des requêtes en vue d’ajouter le commissaire comme partie défenderesse dans d’autres procédures (par exemple dans Porter I, cité par Apotex). On ne peut pas prétendre que cette requête soulève une nouvelle question qui n’est pas reliée à l’expertise de la protonotaire ou à sa connaissance des questions en litige ni que cette question s’écarte de ses fonctions de gestion d’instance.

[80]           Il n’y a rien dans les faits de la présente affaire qui permettrait de s’écarter du principe de déférence.

Absence d’exigence de motifs détaillés

[81]           L’absence de motifs dans l’ordonnance de la protonotaire ne constitue pas une invitation pour la Cour à ne pas tenir compte du principe de la retenue.

[82]           Comme le juge Mosley l’a noté dans la décision Apotex inc. c. Merck & Co. inc., 2007 CF 250, au paragraphe 13, [2007] FCJ no 322 (QL) :

[13]      À elle seule, l’absence de motifs ne donne pas lieu d’office à une audience de novo dans un appel interjeté à l’encontre de la décision d’un protonotaire devant un juge de la présente Cour. C’est la conclusion à laquelle en est arrivé le juge François Lemieux dans la décision Anchor Brewing Co. c. Sleeman Brewing & Malting Co., 2001 CFPI 1066 (CanLII), 15 C.P.R. (4th) 63, au paragraphe 31, au terme d’un examen de la jurisprudence. Le juge Lemieux a fait remarquer plus loin, au paragraphe 32 de ses motifs :

Il n’est pas justifié d’intervenir de novo lorsque l’examen de l’ensemble des circonstances, notamment la nature de l’ordonnance prononcée, la preuve produite devant le protonotaire et le fait que l’exercice du pouvoir discrétionnaire porte essentiellement ou non sur l’appréciation de principes juridiques, établit raisonnablement la manière dont le protonotaire a exercé son pouvoir discrétionnaire.

[Souligné dans l’original.]

[83]           Dans la décision Savanna Energy Services Corporation c. Technicoil Corporation, 2005 CF 842, 275 FTR 267 [Savanna], le juge Harrington a conclu que la référence faite par le protonotaire aux documents examinés est suffisante. Il observe au paragraphe 19 :

[19]      Ayant conclu que la jonction de parties n’est pas une question primordiale pour l’issue de la cause, convient-il que j’exerce mon pouvoir discrétionnaire en reprenant l’affaire depuis le début parce que la protonotaire n’a pas motivé sa décision? À mon avis, la référence qui est faite aux « dossiers de requête des parties » et au fait d’avoir « entendu les observations des avocats » est suffisante pour m’empêcher de le faire. (Anchor Brewing Co. c. Sleeman Brewing & Malting Co. (2001), 15 C.P.R. (4th) 63 (C.F. 1re inst.); Partenaires Pharmaceutical du Canada Inc. c. Faulding (Canada) Inc., 2002 CFPI 1010, [2002] A.C.F. no 1305 (QL) (par. 9); General Electric Co. c. Wind Power Inc., 2003 CFPI 537, [2003] A.C.F. no 692.) Les protonotaires doivent se prononcer sur un nombre extraordinaire de questions de nature procédurale. S’il fallait que chaque ordonnance discrétionnaire soit assortie d’une série complète de motifs en vue de dissuader la partie déboutée d’interjeter appel et d’inviter la Cour à exercer de nouveau son pouvoir discrétionnaire, la situation serait intolérable et, de ce fait, la justice suivrait péniblement son cours. Quoi qu’il en soit, j’aurais exercé mon pouvoir discrétionnaire comme l’a fait la protonotaire.

[84]           Tout comme dans la décision Savanna, je considère que les références faites par la protonotaire dans son ordonnance indiquent qu’elle a lu le dossier de requête de la demanderesse (c’est-à-dire celui d’Apotex, comme il a été clarifié plus tôt), la lettre du ministre et les observations du commissaire, documents qui sont évoqués dans son rappel de la mesure recherchée, et démontrent qu’elle a tenu compte de toutes les observations lorsqu’elle a exercé son pouvoir discrétionnaire pour autoriser la requête. L’absence de motifs détaillés ne constitue pas un motif pour s’écarter de la déférence due.

[85]           En somme, il n’y a pas de fondement pour modifier l’ordonnance de la protonotaire. Le commissaire ne prétendait pas être une partie nécessaire. Il a toutefois fourni des motifs jugés suffisants par la protonotaire pour autoriser la requête visant à comparaître comme partie au dossier, conformément à la disposition de la Loi. La contestation de ces motifs par Apotex n’a pas à être tranchée puisque la Cour n’examinera pas de novo si le commissaire devrait être ajouté comme partie au litige.

Absence de délai

[86]           Pour ce qui est de l’argument du commissaire selon lequel l’appel d’Apotex a été déposé hors délai, je suis d’accord avec Apotex que la requête en vue d’interjeter appel a été déposée dans les délais et que les lacunes qu’elle contenait ont rapidement été corrigées après qu’une date d’audience de la requête ait été convenue avec le commissaire. Le commissaire avait manifestement connaissance de l’appel et de l’intention d’Apotex de le poursuivre.

Dépens

[87]           Le commissaire fait valoir que l’appel aurait dû être tranché en se fondant sur les documents écrits déposés par les parties et que l’audience, qui n’était pas nécessaire, a augmenté les frais des parties. Je conclus toutefois qu’il était approprié et bénéfique de tenir une audience pour cet appel afin de s’assurer qu’Apotex et le commissaire ont pleinement pu développer leur argumentation.

[88]           Comme convenu entre Apotex et le commissaire, les dépens suivront l’issue de la cause.

 


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE le rejet de la requête en vue d’annuler l’ordonnance du 4 avril 2016 de la protonotaire.

« Catherine M. Kane »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIERS :

T-1511-15, T-1782-15, T-1783-15

 

INTITULÉ :

APOTEX INC. c. LE MINISTRE DE LA SANTÉ

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 31 mai 2016

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LA JUGE KANE

 

DATE DES MOTIFS :

Le 8 juillet 2016

 

COMPARUTIONS :

Jaro Mazzola

Jerry Topolski

 

Pour la demanderesse

 

Louisa Garib

 

Pour les défendeurs

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Goodmans LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour les défendeurs

 

 

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