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Date : 20160714


Dossier : IMM-4109-15

Référence : 2016 CF 810

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 14 juillet 2016

En présence de madame la juge McVeigh

ENTRE :

TOUNWENDYAM KEVYN LANDRY OUEDRAOGO

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS :

[1]               M. Tounwendyan Kevyn Landry Ouedraogo (le demandeur) a présenté une demande de contrôle judiciaire pour contester la mesure d’exclusion du 21 août 2015 (sous-alinéa 228(1)c)(iv) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-207 (le Règlement), tel que défini au paragraphe 225(1) du Règlement) prise par Linda Wunderlich (agente Wunderlich), conseillère au Centre d’exécution de la loi de la région du Pacifique de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC).

[2]               Le demandeur est un citoyen du Burkina Faso âgé de 20 ans. Il est entré au Canada le 12 janvier 2014, et s’est d’abord vu octroyer un permis d’études valide jusqu’au 31 décembre 2014. Un deuxième permis d’études a été délivré au demandeur le 19 novembre 2014, prolongeant l’autorisation de demeurer au Canada jusqu’au 31 juillet 2015, pour étudier au secondaire. Il a laissé expirer le permis d’études et n’a pas fait de demande de rétablissement pour fréquenter le Langara College à compter du 8 septembre 2015.

[3]               Le soir du 19 août 2015, le demandeur a été intercepté par un agent de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) au cours d’un barrage routier dans la région de Vancouver. Le demandeur a présenté un permis de conduire international expiré et n’a pas pu répondre aux questions de l’agent concernant le statut d’immigration du demandeur au Canada. L’agent de la GRC a communiqué avec l’ASFC et il a été découvert que le demandeur était resté au Canada plus longtemps que le lui permettrait son permis d’études. Le demandeur a été placé en garde à vue et placé en détention au détachement de la GRC de North Vancouver, conformément à l’article 55 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi).

[4]               Le matin du 20 août 2015, l’agente d’application de la loi dans les bureaux intérieurs de l’ASFC, Shauna Good (l’agente Good), s’est rendue au détachement de la GRC, a interviewé le demandeur et a confirmé qu’il n’avait pas présenté de demande de rétablissement de son statut. Après avoir déterminé que le demandeur était interdit de territoire au Canada, conformément au paragraphe 29(2) et à l’alinéa 41a) de la Loi, l’agente Good a rédigé un rapport d’interdiction de territoire au Canada, conformément au paragraphe 44(1) de la Loi.

[5]               Le demandeur a ensuite été confié à la garde de l’ASFC et l’affaire a été renvoyée à l’agente Wunderlich. Le 21 août 2015, l’agente Wunderlich a introduit un acte de procédure du ministre, conformément au paragraphe 44(2); ont assisté à l’audience le demandeur, l’avocat du demandeur et le consul honoraire du Burkina Faso, M. Louis Salley. Après l’audience, et conformément à l’article 228 du Règlement, l’agente Wunderlich a pris une mesure d’exclusion contre le demandeur. Le demandeur a ensuite été remis en liberté sous conditions.

[6]               Le 8 septembre 2015, le demandeur a déposé une demande d’autorisation de contrôle judiciaire concernant la mesure d’exclusion prise contre lui.

[7]               Le 16 septembre 2015, l’ASFC a avisé le demandeur par voie de lettre qu’il devait présenter une confirmation de vol en partance du Canada vers le Burkina Faso au plus tard le 2 octobre 2015. Le 18 septembre 2015, l’avocat du demandeur a soumis une demande de rétablissement de son statut de résident temporaire et de son permis d’études à Citoyenneté et Immigration Canada. Le même jour, l’avocat du demandeur a présenté une demande de report de son renvoi à l’ASFC.

[8]               Dans une réponse datée du 23 septembre 2015, l’ASFC a indiqué que toutes les frontières du Burkina Faso étaient fermées et que le renvoi du demandeur serait reporté jusqu’à nouvel avis. Le 30 septembre 2015, l’ASFC a avisé le demandeur par voie de lettre qu’il devait présenter une confirmation de vol en partance du Canada vers le Burkina Faso au plus tard le 21 octobre 2015.

[9]               Le 2 octobre 2015, l’avocat du demandeur a de nouveau présenté une demande de report de son renvoi à l’ASFC. Le 13 octobre 2015, l’ASFC a rejeté la demande de report du renvoi du demandeur. Le 26 octobre 2015, le demandeur a déposé l’avis d’une requête présentée auprès de la Cour fédérale pour surseoir à son renvoi du Canada en attendant l’issue du contrôle judiciaire en question. La requête a été rejetée le 27 octobre 2015. Le demandeur a quitté le Canada le 28 octobre 2015.

[10]           La décision visée par la demande de contrôle judiciaire est la mesure d’exclusion prise le 21 août 2015.

I.                   Questions en litige

[11]           Les questions présentées par le demandeur sont :

  1. L’agente Wunderlich a-t-elle entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire pour déterminer s’il convenait de prendre une mesure d’exclusion contre le demandeur?
  2. L’agente Wunderlich devait-elle prendre en considération le fait que le délai de 90 jours suivant la perte de statut, pendant lequel le demandeur pouvait encore présenter une demande de rétablissement, n’était pas expiré, même s’il n’a pas présenté de demande de rétablissement avant la prise de la mesure d’exclusion?

II.                Norme de contrôle

[12]           En ce qui a trait à la norme de contrôle d’une question liée à l’entrave de l’exercice du pouvoir discrétionnaire d’un décideur, le juge Stratas a souligné dans Stemijon Investments Ltd c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 299, aux paragraphes 20 à 25 [Stemijon], que l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir] n’a pas abordé la question de savoir où s’inscrit une telle question dans l’analyse relative à la norme de contrôle. Toutefois, selon le juge Stratas, au paragraphe 24, indépendamment de la norme de contrôle, l’issue sera la même et une décision qui découle d’un pouvoir discrétionnaire limité est en soi déraisonnable (Babic c. Canada (Ministre de l’Emploi et du Développement social), 2016 CF 174, au paragraphe 19).

[13]           La deuxième question concerne l’interprétation de l’agente Wunderlich du paragraphe 44(2) de la Loi, sa loi constitutive. Il est bien établi que l’interprétation que fait un décideur de sa loi constitutive est une question qui est présumée appartenir à son champ d’expertise et commande la déférence de la Cour (Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association, [2011] 3 R.C.S. 654 [Alberta Teachers’ Association]. Je ne pense pas que le fait que le demandeur s’appuie sur Sui c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), [2006] A.C.F. no 1659 [Sui] à cet égard est défendable puisque cette décision a été rendue avant les modifications importantes en la matière introduites par les décisions de la Cour suprême du Canada dans Dunsmuir et Alberta Teachers’ Association, précités. Cette question est correctement définie comme une question mixte de droit et de fait, susceptible de révision selon la norme de la décision raisonnable.

III.             Question préliminaire

[14]           Le demandeur n’a déposé aucun affidavit témoignant des faits sur lesquels il s’appuie. Son avocate, Catherine A. Sas, a cependant déposé trois affidavits de son cru, et l’autre avocate, Cindy Jeklin, a également déposé son propre affidavit. Tous les affidavits déposés par les procureurs contiennent des questions litigieuses et relatent des conversations qui ont eu lieu, des opinions possibles ainsi que certains arguments.

[15]           L’article 82 des Règles des Cours fédérales reflète bon nombre des règles du code de déontologie du barreau provincial. La Cour fédérale ne considère pas favorablement la pratique voulant que des avocats déposent des affidavits soulevant des questions litigieuses. Lorsque les affidavits soulèvent des questions de fond, les rôles d’avocat et de témoin sont flous. Cela est particulièrement vrai lorsque soit Catherine Sas ou sa consœur avocate Cindy Jeklin auraient pu être contre-interrogées sur leurs déclarations assermentées et que des questions relatives au secret professionnel de l’avocat auraient pu être soulevées. Le collègue de Catherine Sas, Victor Ing, du cabinet Sas & Ing, a plaidé la question devant moi.

[16]           Aucune requête n’a été présentée à la Cour pour qu’elle autorise les procureurs à déposer des affidavits. Aucun motif n’explique pourquoi le demandeur n’a pas déposé un affidavit et que ce soit ses procureurs qui aient dû déposer les seuls affidavits déposés à la Cour. Aucune question relative à l’équité procédurale n’a été portée à l’attention de la Cour.

[17]           Aucun argument n’a été présenté pour expliquer que le défendeur ne se soit pas opposé aux affidavits des procureurs et à l’absence de dépôt d’un affidavit par le demandeur lui-même, et le défendeur n’a pas allégué avoir subi un préjudice.

[18]           Je ne suis pas en train de fermer les yeux sur des pratiques qui ont eu cours à cet égard, mais étant donné que jusqu’ici les procédures se sont poursuivies sans soulever d’objections, ce mépris des règles des Cours fédérales ne sera pas fatal au demandeur compte tenu de l’importance de l’affaire pour lui.

IV.             Analyse

A.                L’agente a‑t‑elle entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire?

[19]           Le demandeur soutient que l’agente Wunderlich a entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en estimant qu’elle était liée par une directive de politique nationale l’obligeant à prendre une mesure d’exclusion et en omettant d’examiner la demande de prorogation de délai permettant de déposer une demande de rétablissement.

[20]           Le demandeur, citant la décision de la Cour suprême du Canada dans Maple Lodge Farms c. Canada,[1982] 2 R.C.S. 2, p. 7, soutient que même si la politique du gouvernement peut servir de guide dans la prise de décision, elle ne peut pas lier le décideur de sorte qu’il exclue d’autres considérations pertinentes. Le demandeur soutient que c’est une erreur parce que cela élève effectivement la directive de politique au statut de législation. Ce principe a été endossé dans le cadre du droit de l’immigration, où la Cour fédérale a toujours établi que les documents de politiques peuvent servir de lignes directrices, mais ne lient pas les agents (Bavili c. Canada (Citoyenneté et Immigration, 2009 CF 945, au paragraphe 31).

[21]           Afin de déterminer si l’agente Wunderlich a entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, je pense qu’il est d’abord nécessaire de déterminer si elle avait un pouvoir discrétionnaire résiduel pour décider de prendre ou non une mesure d’exclusion en vertu du paragraphe 44(2) de la Loi. À mon avis, la réponse est « oui ». Conformément au paragraphe 44(2) de la Loi et au sous-alinéa 228(1)c)(iv) du Règlement, le ministre, ou son représentant, peuvent prendre une mesure d’exclusion contre tout ressortissant étranger qui est interdit de territoire pour ne pas avoir quitté le Canada à la fin de la période de séjour autorisée, conformément au paragraphe 29(2) de la Loi.

[22]           La question de savoir si le mot « peut » confère un pouvoir discrétionnaire résiduel de la part du ministre ou de son représentant a été examinée par la Cour d’appel fédérale dans Cha c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2006 CAF 126 [Cha] aux paragraphes 18-22, 33 et 38, et dans Aksenova c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), [2006] CF 557, au paragraphe 14.

[23]           Dans Cha, précité, au paragraphe 22 : « Dans certains cas, mais pas dans d’autres, il peut y avoir une marge d’appréciation ». C’est pourquoi il est sage d’utiliser les termes « peut et « selon les motifs allégués, selon que l’intéressé est un résident permanent ou un étranger ou selon que l’affaire est ou non renvoyée à la Section de l’immigration ». Dans le cas de Cha, parce qu’il était un étranger qui était interdit de territoire pour motif de criminalité, l’agent n’avait pas le pouvoir discrétionnaire d’exercer ou non les pouvoirs conférés en vertu de l’article 44(2).

[24]           Contrairement à Cha, le demandeur, quoiqu’étant un ressortissant étranger, n’était pas interdit de territoire pour motif de criminalité. La décision, au vu de ces faits, ne connote qu’un pouvoir discrétionnaire très limité. L’exercice du pouvoir discrétionnaire se limite à examiner si le demandeur qui est resté au Canada plus longtemps qu’il lui était permis a déposé une demande de rétablissement, ou si l’on peut supposer qu’il aurait présenté une demande dans la période de 90 jours, avant que sa situation ne soit portée à l’attention des fonctionnaires de l’immigration.

[25]           Ayant conclu que l’agente avait un pouvoir discrétionnaire très étroit et limité à exercer lorsqu’elle a décidé de prendre ou non une mesure d’exclusion, je dois maintenant examiner si elle a entravé l’exercice ce pouvoir discrétionnaire limité.

[26]           Le demandeur qualifie de ligne directrice nationale un courriel daté du 27 juin 2013 de Colby Brose, gestionnaire de programme régional par intérim, Unité des enquêtes, Centre d’exécution du Pacifique de l’ASFC, qui a originalement été écrit le 6 décembre 2007, et est maintenant transmis à un certain nombre de personnes, y compris à l’agente Wunderlich, avec en objet [traduction] « Précisions sur les séjours indûment prolongés et le rétablissement » (page 52 du dossier certifié du tribunal). Je ne le qualifierais pas de la sorte, mais c’est une politique que l’agente a suivie. L’argument présenté est que l’agente Wunderlich a entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en suivant cette ligne directrice nationale.

[27]           L’affidavit de Catherine Sas relate une conversation téléphonique qu’elle a eue avec l’agente Wunderlich lors de laquelle cette dernière a dit qu’elle n’avait d’autre choix que de prendre une mesure d’exclusion. Cindy Jeklin, dans son affidavit, décrit une conversation où, après que l’agente Wunderlich l’eut informée de sa décision de prendre une mesure d’exclusion, Me Jelkin a demandé à l’agente Wunderlich si elle avait le pouvoir discrétionnaire de ne pas prendre la mesure d’exclusion. Cindy Jeklin a indiqué que l’agente Wunderlich lui a dit qu’elle n’avait absolument aucun pouvoir discrétionnaire dans les circonstances (paragraphes 6 à 8 de l’affidavit de Cindy Jeklin). Ces déclarations des avocats du demandeur sont contredites par les documents versés au dossier certifié du tribunal et se sont vu accorder peu de poids.

[28]           Le dossier certifié du tribunal (DCT) comprend :

         les notes amplement détaillées de l’entrevue par l’agente Good le 20 août 2015;

         la liste de vérification de la décision du ministre pour un examen des rapports relatifs à l’article 44 contenant des notes manuscrites, le rapport établi en application du paragraphe 44(1) sur les faits saillants qui sont approuvés le 21 août 2015 par la superviseure Jennifer Macleod, qui renvoie l’affaire à la représentante du ministre;

         La déclaration solennelle de l’agente Wunderlich datée du 21 août 2015 relatant l’entretien réalisé avec le demandeur;

[29]           l’enregistrement de la déclaration sous serment où l’agente Wunderlich déclare que le demandeur a demandé que l’entrevue soit reportée jusqu’à ce que Catherine Sas puisse y assister. Catherine Sas a informé l’agente Wunderlich dans une conversation qu’elle n’était pas en mesure d’y assister. L’entrevue du demandeur eu lieu plus tard ce jour-là, lorsque l’avocate Cindy Jeklin et le consul M. Salley pouvaient y assister. Il n’est pas fait mention dans la déclaration ou ailleurs dans le dossier certifié du tribunal que les avocates demandent du temps pour présenter une demande de rétablissement.

[30]           La représentante du ministre a conclu que le rapport établi en application du paragraphe 44(1) était valide, et a pris une mesure d’exclusion en vertu du paragraphe 44(2), mais pas avant qu’elle ait interrogé le demandeur accompagné de son avocate et du consul du Burkina Faso présents à ce moment.

[31]           En ce qui a trait à l’audience du 21 août 2015, je vais faire référence à la déclaration sous serment de l’agente Wunderlich qui a été faite le jour de l’audience et a été versée au dossier certifié du tribunal. La déclaration détaillée qui contient les questions et les réponses démontre que l’agente Wunderlich a examiné un certain nombre de facteurs :

  • L’agente Wunderlich pose plusieurs questions concernant le permis d’études, notamment sur la chronologie des renouvellements;
  • L’agente Wunderlich tente de savoir si une demande de rétablissement a été faite;
  • L’agente Wunderlich demande ensuite pourquoi la demande de rétablissement n’a pas été présentée et pose des questions sur les circonstances expliquant qu’il n’y ait pas eu production de demande de rétablissement;
  • L’agente Wunderlich demande au demandeur la raison exacte expliquant qu’il n’ait pas présenté de demande de rétablissement de son permis d’études, alors que sa sœur, qui vivait avec lui, a quant à elle renouvelé son permis d’études;
  • L’agente Wunderlich a consigné le fait que le demandeur prévoyait fréquenter le Langara College à compter de l’automne sans posséder le permis d’études requis avant le début des classes;
  • En outre, l’agente Wunderlich avait les notes d’entrevue de l’agente Good et le matériel sur lequel était fondé le rapport relatif à l’article 44 qui avait été examiné.

[32]           Le matériel du dossier certifié du tribunal montre que l’agente Wunderlich a posé des questions et a noté des facteurs avant de prendre sa décision.

[33]           En conclusion, j’estime que l’agente Wunderlich n’a pas entravé l’exercice du pouvoir discrétionnaire limité que lui confère la Loi compte tenu de la ligne directrice ou politique reflétant les objectifs concurrents de la Loi et du Règlement.

B.                 L’agente Wunderlich devait-elle prendre en considération le fait que le délai de 90 jours suivant la perte de statut, pendant lequel le demandeur pouvait encore présenter une demande de rétablissement, n’était pas expiré, même s’il n’a pas présenté de demande de rétablissement avant la prise de la mesure d’exclusion?

[34]           S’appuyant sur la décision rendue dans Yu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1213 [Yu], le demandeur fait valoir que les personnes qui ont perdu leur statut de résident temporaire, mais qui ont présenté une demande de rétablissement de leur statut, ne peuvent pas être considérées comme étant en violation des dispositions de la Loi. Dans Yu, précité, le demandeur avait présenté une demande de rétablissement de son statut de résident temporaire un jour seulement après son expiration et plusieurs mois avant la prise de la mesure d’exclusion. La mesure d’exclusion a été annulée à la lumière du fait que le demandeur avait présenté une demande de rétablissement de son statut en temps opportun avant la prise de la mesure d’exclusion (Yu, au paragraphe 7).

[35]           Le demandeur développe cet argument et soutient qu’une personne qui a perdu son statut a le droit au rétablissement de ce statut en vertu de l’article 182 du Règlement au cours de toute la période de 90 jours, peu importe les facteurs en cause. Plus précisément, le demandeur affirme que les dispositions sur le rétablissement indiquent que l’agent des visas doit rétablir le statut si cette personne satisfait aux exigences initiales de son séjour et n’est pas interdit de territoire (Sui, précité, au paragraphe 34; article 182 du Règlement).

[36]           Dans Sui, une mesure d’exclusion a été prise contre le demandeur après qu’il eut fait une demande de rétablissement et il a été déterminé que le représentant du ministre avait commis une erreur en omettant de tenir compte du fait que le demandeur avait fait la demande bien avant la rédaction du rapport d’interdiction de territoire et la prise de la mesure d’exclusion subséquente (Sui, aux paragraphes 35 et 59).

[37]           Le demandeur soutient que la décision rendue dans Sui est analogue au cas qui nous occupe et déclare en outre qu’une lecture stricte des dispositions législatives signifierait qu’un représentant du ministre aurait le droit de refuser toute demande de rétablissement en raison de l’absence de statut du demandeur de rétablissement. Au vu de la décision rendue dans Sui, et d’une décision récente dans Toure c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2014 CF 1086 [Toure 2014], le demandeur fait valoir que notre Cour a constamment affirmé que le fait de ne pas quitter le Canada à l’expiration d’un permis ne peut à lui seul constituer un motif de prise d’une mesure d’exclusion parce que cela dénuerait de sens le droit de demander un rétablissement.

[38]           La décision rendue dans Toure 2014, précité, citée par le demandeur, a été annulée par le juge Shore après que l’on eut découvert que la partie demanderesse avait induit la Cour en erreur quant à un aspect déterminant et central de la demande de contrôle judiciaire de la partie demanderesse (Toure c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CF 237 [Toure 2015]).

[39]           Bien que le demandeur reconnaisse que la jurisprudence sur laquelle il s’appuie touche les demandeurs qui avaient déjà présenté une demande de rétablissement avant la prise d’une mesure d’exclusion, il soutient qu’il n’y a aucune raison logique de distinguer les cas où un ressortissant étranger n’a pas encore déposé une demande de rétablissement d’une situation où une demande de rétablissement a été présentée avant la prise d’une mesure d’exclusion.

[40]           Ce qui est très pertinent dans ce cas et est distinct de la jurisprudence sur laquelle le demandeur cherche à s’appuyer, c’est que les demandeurs dans ces cas avaient déjà présenté une demande de rétablissement avant la prise d’une mesure d’exclusion. Le demandeur n’avait en l’espèce pas présenté la demande de rétablissement lorsque le rapport d’interdiction de territoire a été rédigé et la mesure d’exclusion prise en vertu du paragraphe 44(1).

[41]           L’interprétation que le demandeur privilégie aurait pour effet de prolonger automatiquement de 90 jours la période pendant laquelle un résident temporaire est autorisé à demeurer au Canada, ce qui n’était pas l’intention du législateur.

[42]           Je ne pense pas que l’on puisse affirmer que l’agente Good, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, ne pouvait pas rédiger un rapport en application du paragraphe 44(1) lorsque le demandeur était encore dans la période de rétablissement de 90 jours alors que la demande de rétablissement n’avait pas encore été présentée. Ou que l’agente Wunderlich ne pouvait pas prendre une mesure d’exclusion fondée sur le rapport d’interdiction de territoire. Comme nous l’avons vu dans l’examen de la première question, l’agente Wunderlich devait déterminer, dans le cadre de l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, si le demandeur avait présenté une demande de rétablissement dans les 90 jours, et c’est ce qu’elle a fait.

[43]           Par conséquent, pour répondre à la question soulevée en B, j’estime que l’agente Wunderlich a effectivement pris en considération le fait que le demandeur se trouvait dans la période des 90 jours où il pouvait encore présenter une demande de rétablissement, même s’il ne l’a pas fait avant la prise de la mesure d’exclusion.

[44]           La question de savoir si le demandeur se trouvait dans la période de 90 jours doit toujours faire l’objet d’un examen puisque l’agent n’a pas de pouvoir discrétionnaire si le demandeur ne se trouve pas dans la période de 90 jours.

[45]           De plus, à mon avis, le pouvoir discrétionnaire d’un représentant du ministre de prendre une mesure d’exclusion et la possibilité pour un ressortissant étranger de demander le rétablissement de son statut de résident temporaire ne sont pas incompatibles. Ils fonctionnent en parallèle : c’est-à-dire que les deux peuvent se produire en même temps. Dans ce genre de situation, si aucune demande n’a été faite, rien dans la Loi ou le Règlement n’interdit à l’ASFC de rédiger un rapport d’interdiction de territoire ou de prendre une mesure d’exclusion.

[46]           En fait, même lorsqu’une demande de rétablissement a été présentée, il semble que l’existence de la demande devrait être prise en considération par le représentant du ministre lorsqu’il exerce son pouvoir discrétionnaire, mais rien n’interdit au représentant de quand même tirer une conclusion d’interdiction de territoire lorsqu’il a été établi que le ressortissant étranger avait manqué à l’une des exigences énoncées à l’article 185 du Règlement. Par conséquent, même lorsqu’une demande a été faite, la simple existence de la demande semble avoir peu d’effet, outre le fait qu’elle élargit la portée du pouvoir discrétionnaire du représentant.

[47]           Une demande de rétablissement n’est pas un bouclier contre une mesure de renvoi et contre l’exécution des règles de conformité et des mesures de renvoi. Cela est démontré par le fait que la demande de contrôle judiciaire du demandeur a été rejetée et qu’il a été renvoyé du Canada même s’il y avait une demande de rétablissement en instance au moment de la demande de sursis.

[48]           Je conclus que la décision était raisonnable.

[49]           Je dois rejeter la demande de contrôle judiciaire pour les motifs qui précèdent.

V.                Question certifiée

[50]           Le critère permettant de déterminer si je dois certifier une question a été établi par la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Zhang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CAF 168, au paragraphe 9.

[51]           Le demandeur a proposé la certification de la question suivante :

« Le fait qu’un ressortissant étranger se trouve encore dans la période de 90 jours pour présenter une demande de rétablissement en vertu de l’article 182 du Règlement constitue-t-il une considération pertinente lorsque le représentant du ministre examine s’il doit prendre une mesure d’exclusion fondée sur l’omission de se conformer au paragraphe 29(2) de la LIPR? »

[52]           Le défendeur s’oppose à la certification puisqu’elle ne soulève pas de question litigieuse entre les parties et n’est donc pas déterminante en l’espèce. Le défendeur soutient que [traduction] « pour déterminer s’il convient de prendre une mesure d’exclusion en vertu du paragraphe 44(2) de la Loi, la période de 90 jours prévue à l’article 182 de la réglementation associée à la LIPR est un facteur…….mais pas nécessairement un facteur déterminant à prendre en considération par le décideur ».

[53]           Je ne vais pas certifier cette question puisque j’estime, au vu des faits, que la question certifiée ne serait pas déterminante de l’appel.

[54]           La demande de contrôle judiciaire est rejetée, et aucune question n’est certifiée.

 


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.                  La demande est rejetée.

2.                  Aucune question n’est certifiée.

« Glennys L. McVeigh »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4109-15

 

INTITULÉ :

TOUNWENDYAM KEVYN LANDRY OUEDRAOGO c. LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 11 avril 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE MCVEIGH

 

DATE DES MOTIFS :

Le 14 juillet 2016

 

COMPARUTIONS :

Victor Ing

Pour le demandeur

Aman Sanghera

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Miller Thomson LLP

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour le défendeur

 

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