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Date : 20160720


Dossier : T-1620-15

Référence : 2016 CF 830

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 20 juillet 2016

En présence de monsieur le juge Boswell

ENTRE :

SALT CANADA INC.

demanderesse

et

JOHN W. BAKER

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               SALT Canada Inc. a déposé une demande en vertu de l’article 52 de la Loi sur les brevets, L.R.C. (1985), ch. P-4, en vue d’obtenir une déclaration modifiant les registres du Bureau des brevets portant le numéro de brevet canadien no 2 222 058 afin que le titulaire du brevet inscrit soit SALT, la demanderesse dans la présente instance. La demande de SALT vise également à obtenir une ordonnance enjoignant au commissaire aux brevets d’enregistrer la rétrocession alléguée de ce brevet afin que le titulaire inscrit y soit SALT plutôt que le défendeur, John W. Baker. Subsidiairement, SALT demande dans son mémoire des faits et du droit d’obtenir une ordonnance enjoignant à M. Baker de signer tous les documents de cession nécessaires pour parfaire la cession du brevet à son inventeur et titulaire original, le Dr Michael Markels Jr, avec pour date d’entrée en vigueur le 12 mai 2015.

[2]               Le brevet en question, intitulé « PROCÉDÉ D’EXTRACTION AMÉLIORÉ DE MATIÈRES D’UNE DÉCHARGE », a été déposé au Canada le 24 mai 1996 et délivré le 12 avril 2005. Le Dr Markels, un citoyen américain, y est inscrit comme étant l’inventeur et le titulaire original du brevet. Le brevet canadien revendique la priorité sur une demande déposée aux États-Unis par le Dr Markels le 26 mai 1995 et qui a été délivrée sous le brevet américain no 5 564 862 le 15 octobre 1996.

I.                   Faits et procédures

[3]               Les faits entourant la présente demande impliquent une série de cessions commençant avec celle du 26 décembre 1997, alors que le Dr Markels a signé une entente devant céder tant le brevet canadien que le brevet américain à Environmental Control Systems, Inc. [« ECS »], une société établie aux États-Unis en vertu des lois de l’État de Géorgie. Cette entente [la « cession Markels-ECS de 1997 »] comprend plusieurs conditions qui, si elles ne sont pas respectées, obligent apparemment ECS à recéder le brevet au Dr Markels.

[4]               Le 15 août 2005, ECS a signé sa propre entente de cession avec Tomann Industries LLC [« Tomann »], une société établie aux États-Unis en vertu des lois de l’État du Delaware. Cette entente [la « cession ECS-Tomann de 2005 »], tout comme la cession Markels-ECS de 1997, devait céder à la fois les droits des brevets canadiens et ceux des brevets américains à Tomann. Ce faisant, il appert que ECS aurait contrevenu à certaines conditions de la cession Markels-ECS de 1997, dont une qui prévoyait que toute cession des brevets canadiens ou américains était assujettie au consentement préalable du Dr Markels. Toutefois, la rétrocession des brevets au Dr Markels [la « cession ECS-Markels de 2007 »] ne serait survenue qu’en 2007, puisque ECS n’a signé la cession ECS-Markels de 2007 que le 29 novembre 2007, après avoir tenu une assemblée de ses actionnaires ayant pour objectif de réduire progressivement ses activités.

[5]               L’implication du défendeur dans la présente affaire semble avoir commencé peu avant l’assemblée des actionnaires de ECS. M. Baker s’est présenté à cette assemblée comme fondé de pouvoir du Dr Markels, démontrant toutefois un désir apparent d’obtenir ultimement les brevets canadiens et américains pour lui-même. Arrivant à ses fins, M. Baker a conclu une entente et une cession avec le Dr Markels le 5 décembre 2007. Cette entente [la « cession Markels-Baker de 2007 »], à l’instar de la cession Markels-ECS de 1997, comprend plusieurs conditions dont le bris forcerait supposément la rétrocession des brevets canadiens et américains au Dr Markels. Toutefois, au moment de la cession Markels-Baker de 2007, le nom de Tomann était toujours enregistré au Bureau des brevets pour le brevet canadien, un fait dont M. Baker prétend ne pas avoir eu connaissance avant le 4 janvier 2008.

[6]               Le 18 février 2008, M. Baker a signé une cession distincte avec Tomann [la « cession Tomann-Baker de 2008 »] afin d’obtenir le brevet canadien. Il a ensuite entrepris les étapes pour enregistrer sa propriété du brevet canadien auprès du Bureau des brevets.

[7]               Le 15 décembre 2010, le Dr Markels et le défendeur, M. Baker, ont signé une entente intitulée [traduction] « Premier amendement d’entente et de cession » [l’« amendement Markels-Baker de 2010 »], ayant pour objectif de réaffirmer les conditions de la cession Markels-Baker de 2007 et de modifier le montant des paiements de redevance. M. Baker reconnaît qu’il a cessé de payer ses redevances au Dr Markels en 2011. Il soutient toutefois que le Dr Markels ne s’en est jamais plaint, qu’il n’a jamais demandé le paiement et qu’il n’a jamais entrepris de procédures pour recouvrer les montants dus.

[8]               L’implication de la demanderesse SALT, pour sa part, entre en jeu le ou vers le 20 avril 2015, lorsque le Dr Markels a signé avec elle une entente visant à lui céder les droits du brevet canadien. Dans le cadre de cette entente [la « cession Markels-SALT de 2015 »], le Dr Markels a accepté d’entreprendre les procédures nécessaires pour retirer le défendeur comme titulaire inscrit au brevet canadien. La rétrocession [la « rétrocession Baker-Markels de 2015 »] a été signée par le Dr Markels le 5 mai 2015, mais ne l’a toujours pas été par M. Baker.

[9]               La rétrocession Baker-Markels de 2015 et la cession Markels-SALT de 2015 ayant été déposées au Bureau des brevets le 12 mai 2015, le défendeur a déposé une opposition à ces enregistrements le 20 juin 2015. Le Bureau des brevets a finalement refusé d’enregistrer la rétrocession Baker-Markels de 2015 puisqu’elle n’est pas signée par le titulaire inscrit au dossier, M. Baker. Suivant ce refus, SALT a donc déposé la présente demande le 24 septembre 2015. Il convient de mentionner qu’un recours actuellement en suspens a été entrepris le 6 novembre 2015 par M. Baker contre le Dr Markels devant la Cour supérieure de l’État de Géorgie concernant l’interprétation de l’entente précitée et la propriété du brevet canadien.

II.                Questions en litige

[10]           La demanderesse soulève la question en litige suivante : la rétrocession Baker-Markels de 2015, appuyée de l’amendement Markels-Baker de 2010, devrait-elle être officiellement enregistrée par le Bureau de brevets?

[11]           Le défendeur, pour sa part, soulève plusieurs questions, qui peuvent se résumer comme suit :

1.                  La Cour fédérale a-t-elle compétence pour entendre cette demande?

2.                  La cession Markels-Baker de 2007 peut-elle être opposée au défendeur conformément aux principes du droit contractuel?

3.                  Le défendeur a-t-il contrevenu à quelque obligation que ce soit qu’il aurait eu envers le Dr Markels relativement à l’acquisition du brevet canadien?

4.                  La cession Markels-Baker de 2007 est-elle nulle en vertu de l’article 51 de la Loi sur les brevets en raison de l’entente de cession enregistrée ECS-Tomann de 2005?

5.                  Dans l’éventualité où le Dr Markels possédait toujours des droits sur le brevet canadien, est-il prescrit de les faire valoir en raison de délais de prescription, de son retard injustifié ou de son acquiescement?

6.                  La locution latine nemo dat quod non habet s’applique-t-elle à la cession Markels‑Baker de 2007, la rendant ainsi nulle?

7.                  L’affidavit assermenté de M. Baxter, le représentant de SALT, contient-il des éléments admissibles en preuve?

8.                  La demanderesse a-t-elle démontré suffisamment d’éléments de preuve pour prouver ses prétentions?

[12]           À mon avis toutefois, les questions pertinentes devant être examinées par la Cour peuvent simplement se résumer ainsi :

1.                  La Cour fédérale a-t-elle compétence pour entendre cette demande?

2.                  La rétrocession Baker-Markels de 2015 doit-elle être enregistrée par le Bureau des brevets?

III.             Analyse

A.                La Cour fédérale a-t-elle compétence pour entendre cette demande?

[13]           Le défendeur soulève deux questions distinctes concernant la compétence de la Cour pour ce qui est de statuer sur la présente demande : 1) la compétence limitée attribuée à la Cour aux termes de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, et par la Loi sur les brevets; 2) les principes des conflits de lois. Ces deux questions sont reliées dans une certaine mesure, mais elles demeurent suffisamment distinctes pour les analyser séparément.

(1)               Compétence de la Cour fédérale

[14]           Dans son mémoire des faits et du droit, la demanderesse SALT demande le redressement suivant :

[traduction]
a)         Une ordonnance enjoignant au commissaire aux brevets d’enregistrer la rétrocession du brevet de [M.] Baker au Dr Markels actuellement au dossier et de modifier l’inscription aux registres du Bureau des brevets reliée au titre du brevet canadien n2 222 058 pour y inscrire SALT Canada Inc. en tant que titulaire;

b)         Subsidiairement, une ordonnance enjoignant à [M.] Baker de signer les documents de cession nécessaires pour achever la cession du brevet de [M.] Baker au Dr Markels, entrant en vigueur le 12 mai 2015, ainsi qu’une ordonnance enjoignant au commissaire aux brevets de modifier l’inscription aux registres du Bureau des brevets relativement au titre du brevet canadien no 2 222 058 pour y inscrire SALT Canada Inc. en tant que titulaire;

c)         Une déclaration affirmant que SALT Canada Inc. est la titulaire légitime du brevet canadien no 2 222 058 depuis le 12 mai 2015;

d)         L’adjudication des dépens.

[15]           La question principale est par conséquent de savoir si la Cour a compétence pour autoriser les redressements demandés par la demanderesse.

[16]           Le point de départ pour analyser cette question est l’article 20 de la Loi sur les Cours fédérales, qui, lu conjointement avec l’article 52 de la Loi sur les brevets, attribue à la Cour la compétence précise de modifier ou de radier toute inscription dans les registres du Bureau des brevets concernant le titre à un brevet donné.

[17]           L’article 20 de la Loi sur les Cours fédérales est libellé comme suit :

Propriété industrielle : compétence exclusive

Industrial property, exclusive jurisdiction

20 (1) La Cour fédérale a compétence exclusive, en première instance, dans les cas suivants opposant notamment des administrés :

20 (1) The Federal Court has exclusive original jurisdiction, between subject and subject as well as otherwise,

a) conflit des demandes de brevet d’invention ou d’enregistrement d’un droit d’auteur, d’une marque de commerce, d’un dessin industriel ou d’une topographie au sens de la Loi sur les topographies de circuits intégrés;

(a) in all cases of conflicting applications for any patent of invention, or for the registration of any copyright, trade-mark, industrial design or topography within the meaning of the Integrated Circuit Topography Act; and

b) tentative d’invalidation ou d’annulation d’un brevet d’invention, ou d’inscription, de radiation ou de modification dans un registre de droits d’auteur, de marques de commerce, de dessins industriels ou de topographies visées à l’alinéa a).

(b) in all cases in which it is sought to impeach or annul any patent of invention or to have any entry in any register of copyrights, trade-marks, industrial designs or topographies referred to in paragraph (a) made, expunged, varied or rectified.

Propriété industrielle : compétence concurrente

Industrial property, concurrent jurisdiction

(2) Elle a compétence concurrente dans tous les autres cas de recours sous le régime d’une loi fédérale ou de toute autre règle de droit non visés par le paragraphe (1) relativement à un brevet d’invention, un droit d’auteur, une marque de commerce, un dessin industriel ou une topographie au sens de la Loi sur les topographies de circuits intégrés.

(2) The Federal Court has concurrent jurisdiction in all cases, other than those mentioned in subsection (1), in which a remedy is sought under the authority of an Act of Parliament or at law or in equity respecting any patent of invention, copyright, trade-mark, industrial design or topography referred to in paragraph (1)(a).

[18]           L’article 52 de la Loi sur les brevets dispose de ce qui suit :

Juridiction de la Cour fédérale

Jurisdiction of Federal Court

52 La Cour fédérale est compétente, sur la demande du commissaire ou de toute personne intéressée, pour ordonner que toute inscription dans les registres du Bureau des brevets concernant le titre à un brevet soit modifiée ou radiée.

52 The Federal Court has jurisdiction, on the application of the Commissioner or of any person interested, to order that any entry in the records of the Patent Office relating to the title to a patent be varied or expunged.

[19]           Les décisions de la Cour fédérale interprétant l’article 52 de la Loi sur les brevets s’inscrivent généralement dans l’une ou l’autre de deux catégories distinctes. La première catégorie concerne les demandes visant à modifier une inscription au registre des brevets en raison d’une erreur ou d’autres motifs techniques empêchant le Bureau des brevets d’effectuer cette modification sans ordonnance de la Cour (voir, par exemple, Segatoys Co., Ltd. c. Canada (Procureur général), 2013 CF 98, 426 FTR 104, où, par erreur ou par inadvertance, les inventeurs désignés au brevet n’étaient pas les inventeurs réels; Dr. Falk Pharma GMBH c. Canada (Commissaire aux brevets), 2014 CF 1117, 246 ACWS (3d) 895, dans laquelle l’un des titulaires n’était pas inscrit, par erreur ou inadvertance; Imperial Oil Resources Ltd. c. Canada (Procureur général), 2015 CF 1218, 259 ACWS (3d) 545, où certains inventeurs désignés n’avaient en fait aucunement participé à l’invention). Ce type de dossier fait rarement l’objet d’une contestation, et la Cour n’a généralement pas de difficulté à reconnaître et à déclarer sa compétence en vertu de l’article 52 de la Loi sur les brevets pour statuer sur ces questions.

[20]           En revanche, la seconde catégorie vise des procédures contestées, où il est demandé à la Cour de déterminer l’identité du titulaire légitime d’un brevet (voir, par exemple, R.L.P. Machine & Steel Fabrication Inc. c. Ditullio, 2001 CFPI 245 [R.L.P. Machine]; Axia Incorporated c. Northstar Tool Corporation, 2005 CF 573, 273 FTR 123 [Axia]). Dans ce type de cas, la Cour a tranché qu’elle n’a pas compétence pour statuer lorsque la détermination de la propriété d’un brevet dépend de l’application et de l’interprétation de principes de droit contractuel. Le juge Simpson a brièvement résumé l’état de la jurisprudence à cet égard dans la décision Lawthier c. 424470 B.C. Ltd., [1995] ACF no 549, 54 ACWS (3d) 1129 [Lawthier] :

5          La Cour n’a pas compétence pour connaître d’un différend de nature purement contractuelle. Cependant, elle entendra une action intentée à la suite d’un différend de nature contractuelle si cette action porte principalement sur un brevet, une marque de commerce ou un droit d’auteur : Titan Linkabit Corp. c. S.E.E. Voir Electronic Engineering Inc. (1992), 44 C.P.R. (3rd) 469, à la page 472, 58 F.T.R. 1, 35 A.C.W.S. (3d) 416 (1re inst.). En l’espèce, les plaidoiries montrent que le principal point en litige consiste à déterminer si le demandeur a le droit, au Canada, d’obtenir la rétrocession du brevet. La défenderesse prétend que le demandeur s’est vu offrir l’option d’acquérir à nouveau le brevet mais qu’il a refusé de verser le prix convenu, de sorte que l’option s’est éteinte. Le principal point en litige semble porter sur la nature de la convention relative à l’option et sur la question de savoir si les parties en ont respecté les modalités.

6          À mon avis, c’est en tranchant ce point contractuel qu’il sera possible de déterminer la propriété du brevet et le redressement qui s’impose. Pour ces motifs, j’ai conclu qu’il s’agit principalement en l’espèce d’un différend contractuel et que les questions relatives au brevet sont secondaires. Par conséquent, la Cour n’a pas compétence. Le demandeur devrait faire valoir ses droits devant la Cour suprême de la Colombie-Britannique. Comme l’énonçait le juge Dubé dans l’affaire Laurin c. Champagne (1991), 38 C.P.R. (3d) 193, à la p. 196, 49 F.T.R. 280, 29 A.C.W.S. (3d) 588 (1re inst.), le demandeur peut ultérieurement demander à la Cour de modifier l’inscription de la cession si c’est nécessaire.

[21]           La question est donc de savoir si la présente demande renvoie principalement au droit contractuel ou au droit des brevets, puisque la Cour aura compétence uniquement sur une action portant principalement sur le droit des brevets.

[22]           En caractérisant la nature principale du présent litige, la seule existence de la contestation d’un recours ne doit pas servir de fondement pour conclure que toutes les demandes contestées en vertu de l’article 52 de la Loi sur les brevets sont essentiellement de nature contractuelle et qu’elles outrepassent donc la compétence de la Cour. Il pourrait en effet être tentant de conclure que la compétence attribuée par l’article 52 vise seulement les demandes de corrections administratives du registre des brevets, mais cette conclusion serait non fondée puisque la Cour d’appel fédérale a suggéré que notre Cour peut avoir compétence pour statuer sur la propriété d’un brevet avant d’ordonner conséquemment la modification du registre si toute la preuve pertinente se retrouve au dossier, si tous ceux pouvant faire valoir des droits sur le brevet sont représentés à l’audience et si la demande en vertu de l’article 52 leur a été signifiée de façon conforme (671905 Alberta Inc. c. Q’Max Solutions Inc., 2003 CAF 241, aux paragraphes 33 à 36, [2003] 4 RCF 713 [Q’Max]). (Je m’arrête ici pour souligner qu’il faut distinguer Q’Max du cas en litige puisque, dans cette affaire, tous ceux qui pouvaient faire valoir des droits sur le brevet étaient représentés devant la Cour, alors qu’en l’espèce, des parties comme ESC et Tomann, qui ont peut-être des droits à l’égard du brevet canadien, ne sont pas parties à la demande et ne sont pas représentées devant la Cour).

[23]           Le fil conducteur entre les décisions R.L.P. Machine, Axia, Lawthier et autres est la conclusion selon laquelle il est essentiel d’interpréter d’abord des documents contractuels pour pouvoir ensuite déterminer la propriété d’un brevet, puisque dans ces affaires, la nature du litige était principalement contractuelle et les questions de droit des brevets devenaient incidentes ou secondaires. Je suis d’avis que le cas en litige ne se distingue pas de la décision R.L.P. Machine, dans laquelle la demanderesse, tout comme SALT en l’espèce, demandait notamment d’obtenir une déclaration de propriété du brevet en question. La Cour a déclaré ce qui suit dans la décision R.L.P. Machine :

[35]      La demanderesse sollicite une déclaration de propriété du brevet. Elle prétend être la propriétaire du brevet, mais ne peut invoquer qu’une série de contrats à l’appui de sa prétention. Pour décider si la demanderesse a effectivement acquis la propriété du brevet en question, il faut qu’un tribunal interprète ces contrats. La présente Cour n’a aucune compétence inhérente lui permettant de se prononcer sur des contrats privés qui ne relèvent pas autrement de sa compétence.

[36]      À mon avis, la situation en l’espèce est analogue à celle qu’a eu à examiner le protonotaire Morneau dans l’affaire Engineering Dynamics Ltd. c. Joannou (précitée). Je fais également miennes les remarques formulées par madame la juge Simpson dans l’affaire Lawther c. 424470 B.C. Ltd. (1995), 60 C.P.R. (3d) 510, aux pages 511 et 512 (précitée) [...

[24]           En l’espèce, la demanderesse souhaite obtenir une ordonnance modifiant les registres du Bureau des brevets. En soi, une telle ordonnance semble s’inscrire dans la compétence de la Cour. Toutefois, une telle ordonnance est secondaire et dépendante de l’interprétation préalable des diverses ententes de cessions qui, des dires de la demanderesse, la rendent propriétaire légitime du brevet canadien. L’interprétation de ces ententes est manifestement une question contractuelle et non de droit des brevets. Pour ce seul motif, je conclus que la Cour n’a pas compétence pour statuer sur la question de savoir si la demanderesse est propriétaire ou non du brevet.

[25]           En outre, le redressement subsidiaire demandé par la demanderesse est encore plus problématique du point de vue de la compétence. En ordonnant au défendeur de signer la cession de brevet au Dr Markels, notre Cour autoriserait en fait une forme d’exécution directe en fonction de la cession Markels-Baker de 2007 ou de l’amendement Markels Baker de 2010. Or, non seulement cette ordonnance entraînerait nécessairement l’interprétation et l’application de ces documents, mais on peut de plus également douter que la demanderesse, comme tierce partie à ces ententes, possède même le lien de droit nécessaire pour obtenir un tel redressement (voir, par exemple, McFarland c. Hauser et autre, [1979] 1 RCS 337, au paragraphe 51, 88 DLR (3d) 449).

[26]           Je conclus par conséquent que l’ensemble des conclusions recherchées par la demanderesse est accessoire à la détermination des droits conférés par les ententes de cession relatives au brevet canadien. La première question en litige dans le cas en l’espèce concerne le droit contractuel, à savoir la propriété du brevet canadien en regard de telles ententes, et non de droit des brevets. Tant que la question de la propriété n’est pas tranchée, cette affaire ne relève pas de la compétence de notre Cour.

(2)               Compétence en vertu des principes de conflit de lois

[27]           Puisque j’ai conclu que notre Cour n’a pas compétence sur l’objet principal de l’instance, la question secondaire de la compétence personnelle et matérielle de notre Cour en application des principes de conflit de lois est devenue essentiellement théorique. Il est néanmoins justifié de faire quelques observations sur cette question secondaire.

[28]           La compétence de la Cour en vertu des principes de conflit de lois est, bien entendu, distincte de l’attribution de compétence conférée par la Loi sur les Cours fédérales et la Loi sur les brevets. Il demeure toutefois impossible de dissocier complètement les deux questions. La caractérisation de l’objet du litige comme étant principalement de nature contractuelle entraîne deux effets distincts. Le premier renvoie à la tribune appropriée pour statuer sur le litige, alors que le second est relié au choix du droit applicable relatif au litige même. En règle générale, le droit auquel sont assujettis les contrats est choisi par les parties elles-mêmes, à défaut de quoi les Cours appliquent généralement la loi étant en [traduction] « la relation la plus étroite ou la plus substantielle » avec le contrat (Castel & Walker, Canadian Conflict of Laws, 6th ed (feuilles mobiles) à la page 31-4 [Canadian Conflict of Laws]).

[29]           En l’espèce, l’entente Markels-ECS de 1997 dispose qu’elle est soumise aux lois de la Caroline du Sud, alors que l’entente Markels-Baker de 2007 prévoit qu’elle est assujettie aux lois de l’État de Géorgie. La cession Markels-SALT de 2015 déclare que l’entente est régie par les lois de l’Ontario. Toutes les autres ententes citées au début des présents motifs sont muettes à ce sujet et seront vraisemblablement régies par le critère de la [traduction] « relation la plus étroite ou la plus substantielle » précité.

[30]           Ceci étant dit, le choix du droit applicable pour les cessions pertinentes au cas en l’espèce n’a aucune conséquence sur les droits prévus par la loi dans le brevet canadien en lui-même. Les droits prévus par la loi relativement à un brevet sont régis par les lois du ressort territorial dans lequel le brevet est en vigueur (voir Canadian Conflict of Laws, à la page 24-2). Les droits prévus par la loi applicable aux brevets sont strictement de nature territoriale et relèvent du ressort territorial où le brevet est attribué. Par conséquent, toute cession et tout transfert ne peuvent avoir lieu qu’en conformité avec les règles de droit en vigueur dans ce ressort territorial.

[31]           Ainsi, aucun élément des ententes de cession ne peut avoir pour effet de les soustraire à l’application de l’article 51 de la Loi sur les brevets, qui dispose que toute cession non enregistrée est nulle à l’égard des cessionnaires subséquents. Comme il a été souligné dans la décision Verdellen v Monaghan Mushrooms Ltd, 2011 ONSC 5820, 207 ACWS (3d) 553 :

[traduction]

[41]      Il est facile de comprendre que, lorsqu’une demande internationale de TCMB [Traité de coopération en matière de brevets] en arrive à la phase nationale au Canada, la demande devient sujette à la Loi sur les brevets et qu’un litige entre deux parties revendiquant des droits sur un brevet canadien est régi par les dispositions relatives à l’enregistrement prévues à l’article 51 de la Loi sur les brevets. Peut-on toutefois dire qu’un litige entre deux parties revendiquant des droits relatifs à un brevet étranger serait également soumis à l’application de l’article 51 de la Loi sur les brevets? À mon avis, je ne crois pas.

[32]           L’issue définitive de cette affaire devra donc tenir compte de la Loi sur les brevets, nonobstant toute loi provinciale ou étrangère pouvant être applicable aux ententes de cession en cause, et ce, peu importe le tribunal qui statuera finalement sur le litige, qu’il s’agisse d’une cour supérieure d’une province canadienne ou de la Cour supérieure de l’État de Géorgie, devant laquelle un recours est actuellement en suspend entre M. Baker et le Dr Markels concernant l’interprétation des ententes et la propriété du brevet canadien.

[33]            Il n’est toutefois pas nécessaire pour la Cour d’établir quel tribunal devrait statuer sur la propriété du brevet canadien ou quelle loi la régit. Il est très possible que la Cour supérieure de Fulton County, dans l’État de Géorgie, reconnaisse sa compétence pour statuer sur le litige en application de ses propres règles sur la compétence. Cela ne signifie toutefois pas qu’une cour supérieure canadienne n’aura pas à intervenir plus tard.

B.                 La rétrocession Baker-Markels de 2015 doit-elle être enregistrée par le Bureau des brevets?

[34]           Pour les motifs élaborés précédemment, je suis d’avis qu’il est nécessaire qu’une décision soit d’abord rendue sur le droit à la propriété du brevet canadien en vertu des ententes de cessions pertinentes avant de pouvoir enregistrer la rétrocession Baker-Markels de 2015. Puisque notre Cour n’a pas compétence pour rendre une telle décision, elle n’ordonnera pas à ce moment l’enregistrement de la rétrocession Baker-Markels de 2015.

IV.             Conclusion

[35]           En conclusion, la demande de la demanderesse déposée en vertu de l’article 52 de la Loi sur les brevets est rejetée dans sa totalité.

[36]           Le défendeur a droit aux dépens dans la présente requête. Après avoir examiné les observations des parties à l’égard des dépens formulées au cours de l’audience, j’adjuge au défendeur des dépens d’un montant forfaitaire de 10 000 $, comprenant les taxes, débours et autres frais.

 


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT : La demande de la demanderesse est rejetée; des dépens d’un montant forfaitaire de 10 000 $ sont adjugés au défendeur, comprenant les taxes, débours et autres frais.

« Keith M. Boswell »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1620-15

 

INTITULÉ :

SALT CANADA INC. c. JOHN W. BAKER

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 4 juillet 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BOSWELL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 20 juillet 2016

 

COMPARUTIONS :

Keith Bird

 

Pour la demanderesse

 

James T. Swanson

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

McMillan S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

Miller Thomson LLP

Avocats

Calgary (Alberta)

 

Pour le défendeur

 

 

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