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Date : 20160705


Dossier : IMM-112-16

Référence : 2016 CF 754

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 5 juillet 2016

En présence de monsieur le juge Manson

ENTRE :

SIU LUN TANG

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision datée du 16 décembre 2015, dans laquelle la Section d’appel de l’immigration (SAI) a rejeté l’appel du demandeur relatif à la décision de refuser la demande de parrainage de conjoint de l’épouse du demandeur en vue d’obtenir la résidence permanente. La SAI a rejeté l’appel pour le motif de l’autorité de la chose jugée.

II.                Contexte

[2]               Le demandeur, Siu Lun Tang, est un citoyen canadien. Il est arrivé au Canada à partir de la Chine en 1997 et il a obtenu l’asile peu de temps après. Le demandeur a obtenu la citoyenneté canadienne en 2008.

[3]               Le 18 février 2008, le demandeur a épousé Sanying Li en Chine, pays de résidence de Mme Li. Le couple s’est rencontré en mai 2007.

[4]               En août 2008, le demandeur a parrainé la demande de résidence permanente de Mme Li comme un membre de la catégorie du regroupement familial. Le 14 janvier 2008, la demande de Mme Li a été refusée et le demandeur a interjeté appel de la décision à la SAI.

[5]               Le 19 mars 2012, la SAI a conclu que le demandeur et Mme Li n’étaient pas crédibles et a confirmé la décision en s’appuyant sur trois motifs (décision de 2012) :

  1. le mariage du demandeur et de Mme Li visait l’immigration, contrairement à l’alinéa 4(1)a) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement);
  2. le mariage du couple n’était pas authentique, contrairement à l’alinéa 4(1)b) du Règlement;
  3. le couple n’a pas démontré pouvoir subvenir aux besoins de Mme Li après son arrivée au Canada, comme le prévoit l’article 39 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi).

[6]               Au mois de mai 2012, le demandeur a sollicité un contrôle judiciaire de la décision de 2012. La demande d’autorisation a été rejetée et le 30 août 2012, la demande a été rejetée.

[7]               Le 12 février 2014, Mme Li a soumis une autre demande de parrainage de conjoint en vue d’obtenir la résidence permanente. Sa demande a été rejetée le 17 octobre 2014.

[8]               Le 14 novembre 2014, le demandeur et Mme Li ont interjeté appel de cette décision auprès de la SAI, entamant ainsi le présent contrôle judiciaire.

[9]               La SAI a rejeté l’appel pour le motif de la chose jugée, qui empêche le candidat de remettre en litige la même question tranchée dans la décision de 2012.

[10]           La SAI a conclu que selon le principe de la chose jugée, il faut éviter de remettre en litige des causes d’action, les questions de droit ou les faits substantiels pour lesquels une cour ou un tribunal administratif a déjà rendu une décision à la suite d’une analyse en deux volets. Avant tout, la cour doit être convaincue que les conditions préalables suivantes sont satisfaites : (i) la même question a été décidée lors d’une instance antérieure; (ii) la décision antérieure était finale; (iii) les parties dans la présente affaire sont les mêmes que celles engagées dans la décision antérieure (Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc, 2001 CSC 44, au paragraphe 25 [Danyluk]).

[11]           Si ces conditions préalables sont satisfaites, la SAI a le pouvoir discrétionnaire de décider si le principe de la chose jugée s’applique et si des circonstances particulières pouvant constituer une exception à la doctrine s’appliquent. La cour doit évaluer l’équilibre entre l’intérêt public qui consiste à assurer le caractère définitif des litiges et l’autre intérêt public qui est d’assurer que, dans une affaire donnée, justice soit rendue (Danyluk, précité, au paragraphe 33).

[12]           Même si la SAI peut refuser d’appliquer le principe de la chose jugée lorsque de nouveaux éléments de preuve qui auraient influé sur la décision lors d’une instance antérieure sont présentés, en l’espèce, les nouveaux éléments de preuve sont postérieurs à la décision de 2012 et n’auraient pas influé sur la décision.

[13]           La SAI a conclu que la présente affaire satisfait aux conditions préalables pour appliquer le principe de la chose jugée : la question en litige et les parties sont les mêmes que celles de la décision finale de 2012.

[14]           En outre, même si la cour peut refuser d’appliquer le principe de la chose jugée dans une instance antérieure marquée par un manquement à l’équité procédurale, la SAI a conclu qu’il n’y avait aucune preuve de manquement dans l’affaire.

[15]           La SAI a conclu que le principe de la chose jugée s’appliquait et l’appel a été rejeté.

III.             Questions en litige

[16]           Les questions en litige sont les suivantes :

  1. La SAI a-t-elle eu raison de conclure que le principe de la chose jugée s’appliquait?
  2. La conclusion de la SAI selon laquelle le principe de la chose jugée s’applique était-elle raisonnable?
  3. La SAI a-t-elle omis de fournir des motifs suffisants lorsqu’elle a rendu sa décision?

IV.             Norme de contrôle

[17]           La question à savoir si les conditions préalables à l’application du principe de la chose jugée sont satisfaites peut être examinée en regard de la norme de contrôle de la décision correcte (Chotai c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1335, au paragraphe 15 [Chotai]).

[18]           La question à savoir si le principe de la chose jugée aurait dû être appliqué peut être examinée en regard de la norme de contrôle de la décision raisonnable (Chotai, précité, au paragraphe 16).

[19]           La question à savoir si la SAI a donné des raisons suffisantes peut être examinée en regard de la norme de contrôle de la décision raisonnable (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62, au paragraphe 22 [NLNU]).

V.                Analyse

A.                La SAI a-t-elle eu raison de conclure que les conditions préalables de la chose jugée s’appliquaient?

[20]           Le demandeur reconnaît que la SAI a correctement déterminé les conditions préalables qui doivent être satisfaites avant l’application du principe de la chose jugée, comme l’a exposé la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Danyluk précité. Le demandeur reconnaît également que les parties dans la présente instance et celles concernées dans la décision de 2012 sont les mêmes et que cette décision était finale.

[21]           Cependant, le demandeur soutient que la question en litige dans la présente instance diffère légèrement de la question précédente. La seule question en litige dans la présente instance est l’authenticité du mariage du demandeur et de Mme Li. La décision de 2012 a examiné l’authenticité du mariage du couple et la viabilité financière de ce dernier après l’arrivée de Mme Li au Canada. Ces questions en litige étaient si inextricablement liées qu’elles sont bien devenues une question macro. Par conséquent, la question en litige dans la décision de 2012 n’est pas la même que la question en litige dans la présente instance; ainsi, selon le demandeur, les conditions d’application du principe de la chose jugée ne sont pas satisfaites.

[22]           Le principe de la chose jugée établit qu’une question de droit ne peut être débattue à nouveau dans le cadre d’une instance ultérieure et interdit l’utilisation de faits substantiels nécessaires pour prendre une décision au sujet de la question (Danyluk, précité, au paragraphe 54).

[23]           La décision de 2012 a établi trois conclusions claires et sans équivoques : 1) le mariage du demandeur et de Mme Li a été contracté aux fins d’immigration; 2) le mariage n’est pas authentique; 3) le demandeur n’était pas en mesure de subvenir aux besoins de Mme Li après son arrivée au Canada. Dans la présente instance, le demandeur tente de porter encore une fois devant les tribunaux deux questions qui s’appuient sur les mêmes faits substantiels. À ce titre, le principe de la chose jugée s’applique.

B.                 La conclusion de la SAI selon laquelle le principe de la chose jugée s’applique est-elle raisonnable?

[24]           Le demandeur soutient qu’il était déraisonnable pour la SAI de conclure que le principe de la chose jugée s’appliquait, et ce, malgré les nouveaux éléments de preuve qui auraient pu changer l’issue de la décision de 2012 : le demandeur a présenté des éléments de preuve dans la présente instance concernant l’état de la relation entre le demandeur et Mme Li, y compris des éléments de preuve de leurs efforts visant à réunir leurs familles depuis leur mariage.

[25]           Puisque la décision de 2012 reposait en partie sur l’absence de preuve prouvant que le couple a tenté de réunir leurs familles, le demandeur soutient qu’à la lumière de la nouvelle preuve soumise dans  l’instance actuelle, la SAI devrait exercer son pouvoir discrétionnaire et refuser d’appliquer le principe de la chose jugée.

[26]           Selon les alinéas 4(1)a) et b) du Règlement, un étranger n’est pas considéré comme étant le « conjoint » d’une personne si le mariage selon le cas : a) visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi ou b) n’est pas authentique.

[27]           Il s’agit de conclusions distinctes. La dernière examine l’état actuel du mariage (évolution possible au fil du temps) et la première n’examine que la raison pour laquelle le mariage a été contracté (Chotai, précité, au paragraphe 20).

[28]           Par conséquent, une conclusion en vertu de l’alinéa 4(1)a) ne peut pas être modifiée en présentant une nouvelle preuve concernant l’état du mariage depuis que ce dernier a été contracté. Elle ne peut être modifiée qu’en présentant une preuve concernant la nature du mariage lorsque ce dernier a été contracté (Chotai, précité, au paragraphe 21).

[29]           En l’espèce, la décision de 2012 avait conclu que le mariage du demandeur et de Mme Li n’était pas authentique et visait principalement l’immigration. La nouvelle preuve du demandeur aurait pu convaincre la SAI de confirmer l’authenticité du mariage; cependant, elle ne peut pas modifier la décision antérieure selon laquelle le mariage visait principalement l’immigration.

[30]           Il était donc raisonnable pour la SAI de déterminer que le principe de la chose jugée doit s’appliquer en l’espèce, puisque la présentation de la nouvelle preuve n’aurait pas modifié le verdict de la décision de 2012.

C.                 La SAI a-t-elle omis de fournir des motifs suffisants?

[31]           Le demandeur soutient que la décision de la SAI est déraisonnable, puisqu’elle omet de fournir des motifs suffisants pour expliquer la raison pour laquelle le principe de la chose jugée s’applique, malgré les manquements à la justice naturelle allégués au cours de l’instance de 2012.

[32]           Le demandeur soutient que le principe de la chose jugée ne s’applique pas s’il y a eu un manquement à la justice naturelle au cours de l’instance antérieure. En fait, la SAI a dûment constaté que cette exception à l’application du principe de la chose jugée existe. Pourtant, la SAI a omis de tenir compte des observations du demandeur au sujet des manquements à la justice naturelle allégués par le demandeur dans l’instance de 2012, plus précisément les éléments de l’interrogatoire pendant l’audience, y compris le ton sur lequel les questions étaient posées et les questions pièges.

[33]           Le demandeur n’a fourni aucune preuve pour étayer les manquements à la justice naturelle allégués dans l’instance de 2012. Les prétentions du demandeur n’ont été soumises à la SAI que sous la forme d’observations écrites et ni le demandeur, ni Mme Li n’ont soumis une déclaration ou de la preuve documentaire pour justifier leurs prétentions. De plus, le décideur n’est pas tenu de tirer une conclusion explicite sur chaque argument ou élément constitutif du raisonnement, si subordonné soit‑il, qui a mené à sa conclusion finale (NLNU, précité, au paragraphe 16). Je conclus que les motifs de la SAI sont suffisants.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.                  La demande est rejetée.

2.                  Aucune question n’est soumise pour être certifiée.

« Michael D. Manson »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-112-16

 

INTITULÉ :

SIU LUN TANG c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 29 juin 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MANSON

 

DATE DES MOTIFS :

LE 5 JUILLET 2016

 

COMPARUTIONS :

Dov Maierovitz

Pour le demandeur

Nur Muhammed-Ally

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Dov Maierovitz

Avocat

Toronto (Ontario)

Pour le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

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