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Date : 20160630


Dossier : IMM-4974-15

Référence : 2016 CF 740

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 30 juin 2016

En présence de monsieur le juge Hughes

ENTRE :

BINGHONG QIU,

GIULAN ZHU,

ET ZHIHENG QIU

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Il s’agit d’un contrôle judiciaire d’une décision rendue par la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada datée du 14 octobre 2015, par laquelle il a été conclu que la demande d’asile des demandeurs n’avait aucun fondement crédible et que les demandeurs n’avaient ni la qualité de réfugiés au sens de la Convention ni la qualité de personnes à protéger. Par conséquent, leurs demandes ont été rejetées.

[2]               Les demandeurs sont le mari et sa femme et leur fils, et ils sont des citoyens de la Chine. Le principal demandeur, le mari, allègue que le gouvernement a exproprié sa ferme porcine, mais lui a offert une indemnisation inadéquate. Il allègue que lui et d’autres personnes ont fortement protesté, mais que des représentants du Bureau de la sécurité publique (BSP) se sont rendus chez lui pour lui remettre une convocation en vue de son arrestation. Il affirme que de nombreuses autres personnes ont été arrêtées et que son fils a été suspendu de l’école. Les demandeurs se sont cachés et, avec l’aide d’un passeur, se sont rendus au Canada. Apparemment, ils ont réussi à quitter la Chine et à obtenir un visa américain en Chine sans incident.

[3]               Le commissaire de la SPR a exposé à plusieurs reprises ses conclusions selon lesquelles la preuve du demandeur n’était pas crédible. Le commissaire a également évalué certains des documents présentés par les demandeurs à l’appui de leur demande. Le commissaire a souligné en particulier que le demandeur principal a admis qu’il avait « obtenu irrégulièrement » un visa américain pour quitter la Chine (paragraphe 21 de ses motifs). Il est important de prendre note que la preuve ne réside pas dans le fait que le visa américain est faux ou contrefait, mais qu’à certains égards, le demandeur principal a fourni de faux renseignements aux autorités américaines pour obtenir ce visa (dossier certifié du tribunal, pages 538 et 539).

[4]               Au paragraphe 22 de ses motifs, le commissaire accorde « peu d’importance » à la convocation fournie en preuve puisqu’elle ne comportait pas de [traduction] « caractéristiques de sécurité connues et était imprimée sur du papier ordinaire  ». Il a fait des commentaires sur la [traduction] « facilité avec laquelle on peut obtenir des documents frauduleux en Chine ».

[5]               Le commissaire n’a fait aucun commentaire et n’a exposé aucune conclusion à propos des autres documents présentés en preuve par les demandeurs, y compris un avis d’expropriation, un avis d’indemnisation, un rapport d’évaluation et un avis de suspension émis par l’école du fils ainsi qu’une carte de visite de prison, qui ont tous été traduits du mandarin à l’anglais et qui apparemment, portaient les estampilles officielles. Ces documents, s’ils avaient été examinés attentivement, auraient pu avoir une certaine incidence sur le fondement crédible de la demande des demandeurs. Comme le juge Russell de notre Cour l’a mentionné dans Ru c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 935, au paragraphe 20, il peut y avoir une bonne raison de douter, mais il est possible qu’il n’y ait aucune preuve fiable que les documents sont frauduleux. Et comme le juge Rennie l’a mentionné (lorsqu’il était juge de notre Cour) dans Chen c. Canada (Citoyenneté et Immigration, 2013 CF 311, aux paragraphes 20 et 21, la Commission ne devrait pas tirer de conclusion concernant la crédibilité après avoir examiné certains éléments de preuve puis déterminer que le reste de la preuve n’est pas crédible parce qu’elle est incompatible avec cette conclusion. Les documents, y compris les documents susmentionnés auraient dû être examinés de façon indépendante.

[6]               Le principal enjeu de cette affaire consiste à déterminer, en fonction des éléments de preuve, si la SPR aurait dû conclure que les demandes « n’ont pas de fondement crédible »  La conclusion « d’absence de fondement crédible » a certains effets pratiques. L’un d’entre eux, c’est qu’il ne peut pas y avoir d’appel à la Section d’appel des réfugiés (alinéa 110(2)c) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR), L.C. 2001, ch. 27, tel que modifié). Toutefois, cela n’écarte pas la possibilité de faire une demande d’autorisation pour déposer une demande de contrôle judiciaire de la décision de la SPR directement auprès de notre Cour, comme cela a été fait en l’espèce. Un autre effet que peut avoir une décision « d’absence de fondement crédible », c’est qu’il n’y a aucun sursis automatique qui aurait autrement eu lieu si un appel en instance avait été fait auprès de la Section d’appel des réfugiés (SAR) [Règlement de la LIPR, paragraphe 231[11]]. Par conséquent, la présente Cour a établi un seuil élevé en vertu duquel une conclusion « d’absence de fondement crédible » peut être faite (Ramón Levario c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 314).

[7]               La base sur laquelle une conclusion d’» absence de fondement crédible » peut reposer a été résumée dans de nombreuses affaires. Je citerai le juge Rennie (son titre d’alors) dans l’affaire Levario, précitée, aux paragraphes 18 et 19.

[18] Pour conclure à l’absence d’un minimum de fondement d’une demande d’asile, le seuil à franchir est élevé, ainsi qu’il est indiqué dans l’arrêt Rahaman, au paragraphe 51 :

[…] Comme j’ai tenté de le démontrer, la Commission doit, suivant le paragraphe 69.1(9.1), examiner tous les éléments de preuve qui lui sont présentés et conclure à l’absence d’un minimum de fondement seulement s’il n’y a aucun élément de preuve crédible ou digne de foi sur lequel elle aurait pu se fonder pour reconnaître le statut de réfugié au revendicateur.

[19]  C’est donc dire que s’il existe un élément de preuve crédible ou digne de foi qui est susceptible d’étayer une reconnaissance positive, il n’est pas loisible à la Commission de conclure que la demande d’asile est dénuée d’un minimum de fondement, même si, au bout du compte, elle conclut que cette demande n’a pas été établie selon la prépondérance des probabilités.

[8]               En l’espèce, je suis convaincu que la décision visée par le contrôle doit être annulée, ne serait-ce que parce ce qu’on y conclue que les demandes « n’ont pas de fondement crédible ». Ma décision est fondée sur le fait que si l’on avait accordé aux documents mentionnés précédemment aux présentes l’attention qu’ils méritaient, ils « auraient » pu constituer un élément à l’appui d’une conclusion positive en faveur des demandeurs.

[9]               S’il n’y avait pas eu de conclusion « d’absence de fondement crédible », la décision visée par le contrôle aurait pu être portée en appel devant la SAR, ce qui aurait joué en faveur des demandeurs d’un sursis d’origine législative. C’est donc consciemment que je ne fais aucun jugement sur les conclusions différentes auxquelles en est arrivée la SPR, en vertu desquelles les demandeurs n’ont ni qualité de réfugiés au sens de la Convention, ni qualité de personnes à protéger et ont vu leurs demandes rejetées. Je souhaite que la question demeure ouverte et qu’il incombe à la SAR de la trancher.

[10]           Dans cette affaire, il est difficile de déterminer la meilleure façon d’élaborer un jugement. Le juge Phelan de notre Cour a tenté de le faire dans Mahdi c. Canada (Citoyenneté et Immigration) 2016 CF 218, alors qu’il a accordé un sursis de la mise en œuvre de sa décision de trente jours pour permettre aux demandeurs d’interjeter appel devant la SAR.

[11]           Je propose de procéder autrement. Il s’agit d’un contrôle judiciaire qui est régi par la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7. En vertu de l’alinéa 18.1(3)b) de cette Loi, je peux renvoyer l’affaire à l’office en question conformément aux instructions que j’estime appropriées.

[12]           Par conséquent, je renverrai l’affaire à la SPR en émettant les instructions suivantes, à savoir que la partie de la décision dans laquelle il est déclaré que la demande n’a aucun fondement crédible soit annulée et qu’une décision modifiée à cet égard soit rendue en y inscrivant la date de la modification. Pour ce motif, la SPR n’aurait pas besoin de tenir une autre audience, et il serait possible d’interjeter appel auprès de la SAR.

[13]           Les parties ont demandé qu’on leur accorde du temps pour déposer des demandes relatives à une demande certifiée.


JUGEMENT

POUR LES MOTIFS QUI PRÉCÈDENT,

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.                  La partie de la décision de la Section de la protection des réfugiés visée par le contrôle dans laquelle il est déterminé que les revendications des demandeurs n’ont pas de fondement crédible est annulée;

2.                  L’affaire est renvoyée à la Section de la protection des réfugiés avec l’instruction de rendre une décision modifiée, en date où cette décision sera rendue, dans laquelle la conclusion d’absence de fondement crédible est retirée;

3.                  L’une ou l’autre des parties ou les deux parties peuvent présenter une demande relative à une question certifiée dans un délai de quinze (15) jours à partir de la date du présent jugement;

4.                  Aucune ordonnance n’est rendue quant aux dépens.

« Roger T. Hughes »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

IMM-4974-15

 

INTITULÉ :

BINGHONG QIU, GIULAN ZHU ET ZHIHENG QIU c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 29 juin 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE HUGHES

DATE DES MOTIFS :

Le 30 juin 2016

COMPARUTIONS :

Phillip Trotter

Pour les demandeurs

Jelena Urosevic

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lewis & Associates

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour les demandeurs

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

 

Pour le défendeur

 

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