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Date : 20160713


Dossier : IMM-5101-15

Référence : 2016 CF 799

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 13 juillet 2016

En présence de monsieur le juge Barnes

ENTRE :

KAMALJEET SINGH KAHLON

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

APRÈS avoir entendu la demande de contrôle judiciaire à Edmonton (Alberta), le lundi 6 juin 2016;

ET APRÈS avoir examiné les documents déposés et entendu les avocats des parties;

ET APRÈS avoir conclu que la demande doit être rejetée pour les motifs suivants :

[1]               Dans la présente demande, le demandeur, Kamaljeet Singh Kahlon, conteste la décision de la Section d’appel de l’immigration (la Commission) de confirmer une décision d’interdiction de territoire rendue par un agent des visas.

[2]               M. Kahlon est citoyen des États-Unis et, jusqu’à tout récemment, il avait le statut de résident permanent au Canada. Dans une décision datée du 8 août 2013, un agent des visas a toutefois révoqué conditionnellement ce statut pour les motifs suivants :

[traduction]
En vertu du paragraphe 28(2) de la Loi un résident permanent se conforme à l’obligation dès lors que, pour au moins 730 jours pendant une période quinquennale, selon le cas :

(i)         il est effectivement présent au Canada,

(ii)        il accompagne, hors du Canada, un citoyen canadien qui est son époux ou conjoint de fait ou, dans le cas d’un enfant, l’un de ses parents [sic],

(iii)       il travaille, hors du Canada, à temps plein pour une entreprise canadienne ou pour l’administration publique fédérale ou provinciale [sic],

(iv)       il accompagne, hors du Canada, un résident permanent qui est son époux ou conjoint de fait ou, dans le cas d’un enfant, l’un de ses parents, et qui travaille à temps plein pour une entreprise canadienne ou pour l’administration publique fédérale ou provinciale [sic].

Afin de déterminer si vous vous êtes conformé à l’obligation de résidence, j’ai examiné la période de cinq ans ayant précédé immédiatement le 7 août 2013, date de réception de la demande. J’ai aussi examiné tous les documents que vous avez présentés en appui à votre demande de titre de voyage. J’ai conclu que vous ne vous êtes pas acquitté de votre obligation de résidence d’au moins 730 jours. Vous vous êtes joint à Canrig, une entreprise américaine, en 2007. L’entreprise vous a ensuite muté à sa filiale canadienne en janvier 2012. Pour être réputé vous être conformé à l’obligation de résidence au Canada, vous devez avoir travaillé hors du Canada pour une entreprise canadienne vous ayant muté hors du Canada. Selon votre demande, vous n’avez pas résidé au Canada au cours des cinq dernières années.

Vous n’avez avancé aucun motif d’ordre humanitaire lié à votre situation personnelle et j’estime que votre situation personnelle ne comporte pas de motifs d’ordre humanitaire suffisamment impérieux pour avoir préséance sur le non-respect de l’obligation de résidence qui vous incombait.

Le défaut de vous conformer à l’obligation de résidence en vertu de l’article 28 de la Loi fait en sorte que vous êtes interdit de territoire au Canada en vertu de l’alinéa 41b) de la Loi. Par conséquent, je suis dans l’impossibilité de délivrer le document que vous avez demandé pour vous permettre de revenir au Canada. Votre demande de titre de voyage pour revenir au Canada a été rejetée.

[3]               M. Kahlon a interjeté appel de cette décision auprès de la Commission, mais celle-ci a également conclu qu’il n’avait pas résidé au Canada durant une période suffisamment longue pour pouvoir conserver son statut de résident permanent.

[4]               M. Kahlon a soutenu devant la Commission qu’il avait le droit d’être exonéré de la condition de résidence stricte exigeant une présence effective au Canada durant au moins 730 jours sur une période de cinq ans. Il a affirmé que son emploi était visé par l’exception stipulée au paragraphe 61(3) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (DORS/2002-227) [Règlement de la LIPR]. Cette disposition se lit comme suit :

(3) Pour l’application des sous-alinéas 28(2)a)(iii) et (iv) de la Loi respectivement, les expressions travaille, hors du Canada, à temps plein pour une entreprise canadienne ou pour l’administration publique fédérale ou provinciale et travaille à temps plein pour une entreprise canadienne ou pour l’administration publique fédérale ou provinciale, à l’égard d’un résident permanent, signifient qu’il est l’employé ou le fournisseur de services à contrat d’une entreprise canadienne ou de l’administration publique, fédérale ou provinciale, et est affecté à temps plein, au titre de son emploi ou du contrat de fourniture :

(3) For the purposes of subparagraphs 28(2)(a)(iii) and (iv) of the Act, the expression employed on a full-time basis by a Canadian business or in the public service of Canada or of a province means, in relation to a permanent resident, that the permanent resident is an employee of, or under contract to provide services to, a Canadian business or the public service of Canada or of a province, and is assigned on a full-time basis as a term of the employment or contract to

a) soit à un poste à l’extérieur du Canada;

(a) a position outside Canada;

b) soit à une entreprise affiliée se trouvant à l’extérieur du Canada;

(b) an affiliated enterprise outside Canada; or

c) soit à un client de l’entreprise canadienne ou de l’administration publique se trouvant à l’extérieur du Canada.

(c) a client of the Canadian business or the public service outside Canada.

[5]               La Commission a conclu qu’entre 2007 et 2012, M. Kahlon était employé de Canrig Drilling Technology Ltd. (Canrig U.S.), une entreprise américaine affiliée à Canrig Drilling Technology Canada Ltd. (Canrig Canada). En 2012, M. Kahlon est devenu employé de Canrig Canada, mais la nature de son travail est demeurée la même. Après ce changement, il a continué à entreprendre des affectations à l’étranger pour le compte de son nouvel employeur. La Commission a soutenu que l’emploi de M. Kahlon n’était pas visé par l’exception stipulée au paragraphe 61(3) du Règlement de la LIPR pour les raisons suivantes :

[12]      Au moment de son embauche par Canrig Drilling Technology Ltd., l’appelant savait qu’il s’agissait d’une entreprise américaine. Même s’il était affecté à des tâches un peu partout dans le monde, il ne rendait de comptes à aucune entreprise au Canada. Je ne pense pas que le fait qu’il travaillait avec des pièces ayant été fabriquées au Canada des années auparavant signifie qu’il gardait un lien de rattachement avec une entreprise canadienne de la façon dont l’explique le juge Noël [sic] dans la décision Bi. Je présume que des pièces de forage et d’autres pièces mécaniques fabriquées au Canada se retrouvent dans de nombreux pays, mais le fait de travailler avec ces pièces ou de les réparer ne permet pas d’établir un lien avec le Canada aux fins du calcul relatif à l’obligation de résidence. De plus, l’appelant n’a pas démontré qu’il n’était affecté que temporairement à un poste à l’extérieur du Canada du fait que son salaire lui était versé en dollars canadiens depuis janvier 2012. Il n’a présenté aucun élément de preuve montrant qu’il reviendrait au Canada pour occuper un poste à Canrig Drilling. Par conséquent, je conclus que l’appelant ne s’est pas acquitté du fardeau qu’il avait de prouver qu’une entreprise canadienne l’avait affecté à un poste à temps plein à l’extérieur du Canada pour une période donnée ou dans le cadre d’un contrat pendant 730 jours au cours de la période quinquennale allant du 8 août 2008 au 7 août 2013. L’intimé a fait remarquer que, même si le nombre de jours qui se sont écoulés depuis que l’appelant touche son salaire en dollars canadiens, c’est‑à‑dire depuis janvier 2012, est pris en compte dans le calcul relatif à l’obligation de résidence, l’appelant [sic] ne cumule pas les 730 jours exigés. En outre, l’appelant n’a pas été effectivement présent au Canada durant la période en cause; par conséquent, je conclus qu’il ne s’est pas conformé à l’obligation de résidence énoncée aux sous alinéas 28(2)a)(i) et 28(2)a)(iii) et que la décision de l’agent des visas est valide en droit.

[6]               À la suite d’un examen de l’établissement de M. Kahlon au Canada, la Commission a résumé les motifs d’ordre humanitaire qu’il a invoqués comme suit :

[23]      L’appelant a montré qu’il s’était établi au Canada dans une certaine mesure, quoiqu’il l’ait fait en grande partie après la décision de l’agent d’immigration. Toutefois, selon la prépondérance des probabilités et compte tenu de l’ensemble des circonstances de l’affaire, l’appelant n’a pas démontré qu’il y a des motifs d’ordre humanitaire justifiant la prise de mesures spéciales. Comme je l’ai déjà mentionné, j’estime également que l’appelant n’a pas démontré qu’il travaillait à temps plein pour une entreprise canadienne à l’extérieur du Canada durant la période en cause.

[24]      L’appelant ne s’est pas acquitté du fardeau de la preuve. J’estime que la décision de l’agent des visas est valide en droit et, selon les éléments de preuve dont je dispose et la prépondérance des probabilités, je conclus qu’il n’y a pas – compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché – de motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales. Par conséquent, l’appel interjeté par Kamaljeet Singh KAHLON est rejeté.

[7]               M. Kahlon conteste les deux aspects de la décision de la Commission. Il prétend que la Commission a commis une erreur dans l’application des dispositions du paragraphe 61(3) du Règlement de la LIPR aux conditions de son emploi. Il affirme également que, compte tenu des éléments de preuve versés au dossier, la Commission a commis une erreur en rejetant les motifs humanitaires qu’il a invoqués. Il s’agit là de questions mixtes de fait et de droit, et elles doivent être évaluées selon la norme de la décision raisonnable (voir Bi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 293, [2012] ACF no 366, paragraphe 12).

[8]               L’avocat de M. Kahlon a soutenu, avec grande conviction, que la Commission avait commis une erreur en concluant que Canrig U.S. était une entreprise américaine. Il a fait référence à une lettre de Canrig Canada, datée du 13 août 2015, dans laquelle il était indiqué que Canrig U.S. est une entreprise inscrite dans la province de l’Alberta, au Canada, et qu’elle possède les permis d’exploitation canadiens appropriés (voir la page 104 du dossier du demandeur). Selon l’exposé des arguments en réponse de M. Kahlon, cet élément de preuve démontre clairement que Canrig U.S. est une entreprise canadienne visée par le paragraphe 61(1) du Règlement de la LIPR ou, à titre subsidiaire, qu’elle est affiliée à une entreprise canadienne aux termes de l’alinéa 61(3)b).

[9]               En ce qui concerne le premier des arguments ci-dessus, le problème fondamental réside dans le fait que M. Kahlon n’a pas établi que Canrig U.S. avait été « constituée sous le régime du droit fédéral ou provincial », en vertu de l’alinéa 61(1)a). L’argument subsidiaire n’est pas retenu essentiellement pour la même raison. Le paragraphe 61(3) s’applique uniquement si un résident permanent est employé par une entreprise canadienne et qu’il est ensuite affecté à une entreprise affiliée se trouvant à l’extérieur du Canada.

[10]           Compte tenu de l’ensemble des éléments de preuve et de la norme de la décision raisonnable, la conclusion de la Commission selon laquelle Canrig U.S. est une entreprise américaine est inattaquable. Parmi les documents présentés par M. Kahlon se trouvait un organigramme décrivant Canrig U.S. comme une entreprise des États-Unis (voir la page 263 du dossier certifié du tribunal). Encore plus significatif est le certificat de constitution délivré par l’État du Delaware le 14 juillet 1994 pour Canrig U.S. (voir les pages 311 à 313 du dossier certifié du tribunal). Ce document officiel contredit la lettre de Canrig Canada datée du 13 août 2015. Lorsque le certificat de constitution du Delaware a été présenté à M. Kahlon et qu’on lui a demandé si Canrig U.S. avait été constituée en société au Delaware en juillet 1994, il a répondu ce qui suit : [traduction] « [o]ui, c’est celui que j’ai reçu de mon entreprise »  (voir la page 363 du dossier certifié du tribunal).

[11]           En outre, dans son plaidoyer final devant la Commission, l’ancien avocat de M. Kahlon avait essentiellement reconnu que Canrig U.S. est une entreprise américaine. À ce moment, l’argument de l’avocat était que Canrig U.S. et Canrig Canada étaient la propriété de la même entreprise canadienne et que, d’une certaine façon, la propriété commune satisfaisait aux critères mentionnés au paragraphe 61(3) du Règlement de la LIPR. Cet argument a été rejeté par la Commission et je conclus également qu’il n’est pas fondé. Pour satisfaire aux critères énoncés au paragraphe 61(3), M. Kahlon devait prouver que, durant sa période d’emploi de 2007 à 2012, Canrig U.S. était une entreprise canadienne. Compte tenu des éléments de preuve fournis par M. Kahlon, il était raisonnable pour la Commission d’en arriver à une conclusion contraire. Comme il n’a pas réussi à prouver à la Commission que Canrig U.S. est une entreprise canadienne, M. Kahlon ne peut pas, à ce stade avancé, soutenir que la Commission n’a pas examiné les éléments de preuve contradictoires auxquels il fait maintenant référence.

[12]           Pour les motifs qui précèdent, la conclusion de la Commission, selon laquelle M. Kahlon ne pouvait pas invoquer les dispositions du paragraphe 61(3) du Règlement de la LIPR et qu’il ne s’était donc pas acquitté de son obligation de résidence, est maintenue.

[13]           Les critiques formulées par M. Kahlon concernant la conclusion de la Commission relativement aux motifs d’ordre humanitaire ne sont également pas fondées. Des arguments très peu convaincants ont été présentés en son nom pour obtenir cette forme de redressement; il était donc raisonnable pour la Commission de rejeter la demande. La Commission a examiné soigneusement les éléments de preuve et a tenu compte des facteurs suivants :

a)                  M. Kahlon n’a été effectivement présent au Canada que durant 47 jours sur les 730 jours exigés.

b)                  Il a pris la décision de quitter le Canada pour travailler aux États-Unis pour une entreprise américaine et il était fréquemment séparé de sa famille durant de longues périodes. Son emploi était stable.

c)                  Il a obtenu la citoyenneté américaine, a épousé une Américaine et a deux Américains à sa charge; ils habitent tous aux États-Unis. Sa femme travaille aux États-Unis.

d)                 Il a fait peu d’efforts pour revenir au Canada.

e)                  Il possède une copropriété en Colombie-Britannique qu’il utilise comme bien locatif.

f)                   Conjointement avec d’autres membres de sa famille, il détient des intérêts dans un magasin de vins et spiritueux en Alberta, lequel est probablement géré par d’autres personnes.

g)                  Sa mère et d’autres membres de sa famille habitent au Canada. Sa mère fait fréquemment de longs séjours aux États-Unis.

h)                  Il apporte un soutien financier à sa mère, ce qu’il pourrait continuer à faire à partir des États-Unis.

[14]           Comme l’a conclu la Commission, le dossier, très peu convaincant, ne justifiait pas la prise de mesures spéciales. Il était donc tout à fait raisonnable de rejeter cet aspect de l’appel de M. Kahlon. Les critiques formulées relativement à cette partie de la décision de la Commission équivalent uniquement à une demande inadmissible de réévaluation de la preuve. La Cour n’entreprendra pas cet exercice dans le cadre d’un contrôle judiciaire.

[15]           Pour les motifs qui précèdent, la demande est rejetée. Aucune des parties n’a proposé de question à certifier et la présente affaire ne soulève aucune question grave de portée générale.


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande.

« R.L. Barnes »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5101-15

 

INTITULÉ :

KAMALJEET SINGH KAHLON c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Edmonton (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 6 juin 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BARNES

 

DATE DES MOTIFS :

Le 13 juillet 2016

 

COMPARUTIONS :

Ranbir S. Thind

 

Pour le demandeur

 

Camille Audain

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Randbir Thind & Associates

Avocats

Edmonton (Alberta)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Edmonton (Alberta)

 

Pour le défendeur

 

 

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