Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20160119


Dossier : T-798-15

Référence : 2016 CF 54

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 19 janvier 2016

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

TRUNG KIEN HOANG

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Contexte

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision rendue par la Commission canadienne des droits de la personne [CCDP], en date du 8 avril 2015, par laquelle la CCDP a rejeté la plainte déposée par le demandeur contre le ministre des Transports et a conclu, en vertu du sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c H-6 [la Loi] qu’un examen plus poussé n’est pas justifié. Dans sa plainte, le demandeur allègue avoir été traité de façon discriminatoire par le ministre des Transports pour un motif fondé sur sa situation familiale lorsque le ministre des Transports a refusé sa demande d’habilitation de sécurité, cote requise pour son emploi en tant que préposé d’escale pour Air Canada à l’aéroport international de Vancouver.

[2]               Le demandeur, M. Trung Kien Hoang (âgé de 25 ans), est un citoyen canadien. Il est né à Hong Kong en 1990, a immigré au Canada avec ses parents en décembre 1991, et a obtenu sa citoyenneté canadienne en 1995.

[3]               En septembre 2010, Air Canada a embauché le demandeur comme préposé d’escale sous réserve de l’obtention par le demandeur d’une habilitation de sécurité en matière de transport [HST] de Transport Canada. Le 19 octobre 2010, le demandeur a fait une demande d’HST et, le même jour, il a obtenu une carte d’identité pour les zones réglementées. Le 23 octobre 2010, le demandeur a commencé à travailler pour Air Canada.

[4]               Dans une lettre datée du 1er février 2012, Transports Canada a informé le demandeur que des renseignements défavorables lui ont été transmis par la Gendarmerie royale du Canada [GRC] et que ces renseignements ont soulevé des préoccupations à l’égard de son admissibilité à l’obtention d’une HST. Dans cette lettre, Transports Canada encourageait le demandeur à fournir de l’information supplémentaire en vue de décrire les circonstances entourant les renseignements défavorables, ainsi qu’à fournir toute autre information ou explication pertinentes, y compris des circonstances atténuantes, le cas échéant.

[5]               En réponse à cette lettre, le demandeur a envoyé un courriel le 4 mars 2012 dans lequel il indiquait n’avoir aucune relation avec son père, à qui il n’avait pas adressé la parole depuis plusieurs années. Il avait également ajouté que l’on avait désigné à tort son frère comme étant un narcotrafiquant reconnu puisque, même si son frère a été officiellement accusé d’un tel acte, son innocence a par la suite été prouvée. Le demandeur a d’ailleurs expliqué les circonstances de l’arrestation de son frère le 16 janvier 2009. À la fin de son courriel, le demandeur a fait valoir qu’il n’est pas un criminel et qu’il n’a aucune intention criminelle.

[6]               Le 27 avril 2012, le demandeur a été informé que sa demande d’HST a été rejetée. En raison de ce rejet, le demandeur a été congédié de son emploi chez Air Canada.

[7]               Le 25 mai 2012, le demandeur a déposé un avis de demande auprès de la Cour fédérale à l’égard de la décision rendue par le ministre des Transports. Les parties ont convenu que, sous réserve d’un consentement, le ministre devra rendre une nouvelle décision.

[8]               Le 11 février 2013, le demandeur a été informé que sa demande d’HST a encore une fois été rejetée.

[9]               Le demandeur n’a pas présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision du ministre. Il a plutôt déposé une plainte auprès de la CCDP, le 16 août 2013, dans laquelle il allègue être assujetti à un traitement discriminatoire de la part du ministre des Transports en raison de sa situation familiale.

II.                Décision contestée

[10]           Dans une décision datée du 8 avril 2015, la CCDP a rejeté la plainte du demandeur et a conclu qu’un examen plus poussé n’est pas justifié. Plus précisément, la CCDP a décidé que rien n’indique un traitement discriminatoire dans la façon dont le ministre a pris en considération l’identité des membres de la famille du demandeur :

[traduction]

Bien que la pratique en soi ne soit pas prétendument discriminatoire, la question en litige est de savoir si la façon dont cette pratique a été appliquée à la plainte serait considérée comme étant discriminatoire. Même si le ministre a pris en considération l’identité des membres de la famille du plaignant, ce qui, tel qu’il a été susmentionné, est une pratique raisonnablement nécessaire, rien n’indique un traitement discriminatoire dans la façon dont le ministre a procédé. Au contraire, la preuve indique que le demandeur n’a pas appliqué avec rigueur une règle stricte qui prévoit que, si un membre de la famille du demandeur était impliqué dans un crime, cette information porterait automatiquement un coup fatal à la demande. Une évaluation individuelle a été effectuée pour la demande du plaignant. Lorsque les antécédents criminels des membres de sa famille ont été découverts, on lui a accordé la possibilité de fournir une explication. Le plaignant a aussi eu l’occasion d’interjeter appel de la décision.

De plus, les renseignements concernant les membres de la famille du plaignant n’étaient pas le seul fondement de la décision du ministre, contrairement à ce qu’allègue le plaignant. Tel qu’il est énoncé dans le rapport d’évaluation, le ministre avait aussi des préoccupations concernant la conduite du plaignant en tant que tel.

(Affidavit de Trung Kien Hoang, dossier du demandeur, décision de la Commission, aux pages 164 et 165)

[11]           Pour en arriver à sa conclusion, la CCDP a examiné les observations du demandeur (formulaire de plainte et arguments dans le rapport d’évaluation). La CCDP a conclu que la plainte du demandeur doit être rejetée pour les raisons susmentionnées et les motifs énoncés dans le rapport d’évaluation daté du 23 janvier 2015. La CCDP a également affirmé dans le rapport d’évaluation qu’un examen plus poussé n’était pas justifié pour les motifs suivants.

[12]           La CCDP reconnaît que la situation familiale du demandeur, notamment sa relation avec son père et son frère, était un facteur sur lequel Transports Canada s’est basé pour rejeter la demande d’habilitation de sécurité du demandeur. En conséquence, la CCDP a déterminé qu’il y avait discrimination à première vue et a procédé à la deuxième étape de l’analyse, soit de déterminer si le ministre avait un motif justifiable de prendre une telle décision ayant mené au refus de l’habilitation de sécurité pour le demandeur en raison d’une discrimination à première vue fondée sur une raison valable.

[13]           La CCDP a déterminé que Transports Canada a fourni un motif justifiable de refuser la plainte du demandeur. La CCDP a examiné quatre questions afin de déterminer si le ministre avait un motif justifiable :

1)      La demande d’habilitation de sécurité et le procédé d’habilitation de sécurité ont-ils été exécutés conformément à une politique établie?

2)      Cette politique a-t-elle été créée dans le but d’atteindre l’objectif de sécurité légitime relativement au poste en question?

3)      La politique repose-t-elle sur une conviction honnête et de bonne foi selon laquelle elle est nécessaire à l’atteinte de l’objectif de sécurité légitime dans le cadre du poste en question?

4)      La politique ou la norme est-elle raisonnablement nécessaire pour atteindre l’objectif de sécurité légitime dans le cadre du poste en question?

[14]           Premièrement, la CCDP a conclu que les éléments de preuve recueillis ont révélé que la demande d’habilitation de sécurité et l’habilitation de sécurité en soi sont effectuées conformément à l’article 4.8 de la Loi sur l’aéronautique, L.R.C. (1985), ch. A-2. Cet article confère au ministre le pouvoir d’accorder, de refuser, de suspendre ou d’annuler une habilitation de sécurité. Par conséquent, la demande d’habilitation de sécurité et l’habilitation de sécurité en soi ont été effectuées conformément à une politique établie.

[15]           Deuxièmement, la CCDP a conclu que les éléments de preuve indiquent que la pratique a été créée pour un objectif de sécurité légitime, puisque la preuve étaye que la pratique a été créée conformément au mandat du ministre consistant à servir l’intérêt public en favorisant un réseau de transport au Canada qui soit sûr et sécuritaire, efficace et respectueux de l’environnement. La pratique est donc en place pour atténuer les risques que posent des individus qui pourraient constituer une menace au transport aérien et maritime.

[16]           Troisièmement, la CCDP a conclu qu’il n’y a rien dans la preuve qui suggère que la politique est basée sur des motifs autres qu’une conviction honnête et de bonne foi.

[17]           Quatrièmement, la CCDP a jugé que la pratique du ministre était raisonnablement nécessaire pour veiller, dans la mesure du possible, à ce que les employés des aéroports ne soient pas sujets ou susceptibles d’être incités à aider ou d’inciter toute autre personne à commettre un acte d’intervention illicite visant l’aviation civile. Il est essentiel pour le ministre, dans l’exercice de son mandat visant à assurer la sûreté et la sécurité de l’infrastructure de transport du Canada, de vérifier les antécédents des personnes qui ont accès aux zones réglementées d’un aéroport.

[18]           Puisque le demandeur était responsable du chargement et du déchargement des bagages à bord d’un avion commercial, il est raisonnable de supposer que le ministre doit obtenir et prendre en considération tous les renseignements disponibles, y compris l’information sur les associés et membres de la famille du demandeur, lors de l’évaluation de l’admissibilité d’une personne à l’emploi. En maintenant le demandeur en poste, il y avait un risque – réel ou perçu – d’interférence avec l’aviation civile.

[19]           Par conséquent, en vertu du sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi, la CCDP a jugé qu’un examen plus poussé n’était pas justifié.

III.             Questions en litige

[20]           La Cour estime que les questions ci-dessous sont essentielles à la présente demande de contrôle judiciaire.

1.      Était-ce raisonnable pour la CCDP de décider qu’aucun examen plus poussé n’était justifié?

2.      Le ministre a-t-il manqué aux exigences en matière d’équité procédurale?

IV.             Dispositions législatives

[21]           Les dispositions législatives suivantes s’appliquent.

Article 4.8 de la Loi sur l’aéronautique :

Délivrance, refus, etc.

Granting, suspending, etc.

4.8 Le ministre peut, pour l’application de la présente loi, accorder, refuser, suspendre ou annuler une habilitation de sécurité.

4.8 The Minister may, for the purposes of this Act, grant or refuse to grant a security clearance to any person or suspend or cancel a security clearance.

Politique sur le Programme d’habilitation de sécurité en matière de transport [Politique sur le PHST] :

I.4 – Objectif

I.4 – Objective

L’objectif de ce programme est de prévenir l’entrée non contrôlée dans les zones réglementées d’un aéroport énuméré dans le cas de toute personne:

The objective of this Program is to prevent the uncontrolled entry into a restricted area of a listed airport by any individual who

1. connue ou soupçonnée d’être mêlée à des activités relatives à une menace ou à des actes de violence commis contre les personnes ou les biens;

1. is known or suspected to be involved in activities directed toward or in support of the threat or use of acts of serious violence against persons or property;

2. connue ou soupçonnée d’être membre d’un organisme connu ou soupçonné d’être relié à des activités de menace ou à des actes de violence commis contre les personnes ou les biens;

2. is known or suspected to be a member of an organization which is known or suspected to be involved in activities directed toward or in support of the threat or use of acts of serious violence against people or property;

3. soupçonnée d’être étroitement associée à une personne connue ou soupçonnée

3. is suspected of being closely associated with an individual who is known or suspected of

• de participer aux activités mentionnées à l’alinéa (1);

• being involved in activities referred to in paragraph (1);

• d’être membre d’un organisme cité à l’alinéa (2); ou

• being a member of an organization referred to in paragraph (2); or

• être membre d’un organisme cité à l’alinéa (5).

• being a member of an organization referred to in subsection (5) hereunder.

4. qui, selon le ministre et les probabilités, est sujette ou peut être incitée à:

4. the Minister reasonably believes, on a balance of probabilities, may be prone or induced to

• commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile; ou

• commit an act that may unlawfully interfere with civil aviation; or

• aider ou à inciter toute autre personne à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile.

• assist or abet any person to commit an act that may unlawfully interfere with civil aviation.

5. est connu ou soupçonné d’être ou d’avoir été membre d’une organisation criminelle ou d’avoir pris part à des activités d’organisations criminelles, tel que défini aux articles 467.1 et 467.11 (1) du Code criminel du Canada;

5. is known or suspected to be or to have been a member of or a participant in activities of criminal organizations as defined in Sections 467.1 and 467.11 (1) of the Criminal Code of Canada;

6. est membre d’un groupe terroriste, tel que défini à l’alinéa 83.01(1)(a) du Code criminel du Canada.

6. is a member of a terrorist group as defined in Section 83.01 (1)(a) of the Criminal code of Canada.

V.                Thèses des parties

[22]           Le demandeur affirme que la décision du ministre est déraisonnable puisque la CCDP aurait commis quatre erreurs manifestes et dominantes.

[23]           Premièrement, la CCDP a mal appliqué le critère servant à établir un motif justifiable et a indûment tenu compte des données liées à ce critère. Notamment, la CCDP a limité son analyse au vaste mandat du ministre sans prendre en considération la question précise à savoir s’il y avait un motif justifiable de rejeter la demande d’HST du demandeur en raison des membres de sa famille. Plus précisément, la Commission n’a pas discuté des hypothèses du ministre à l’égard des tendances potentielles du demandeur à prendre part à des activités criminelles étant donné les actions de son père avec lequel il s’est brouillé et des présumées activités criminelles de son frère.

[24]           Deuxièmement, la CCDP a mal interprété sa compétence. Elle affirme que ce n’est pas son rôle de réviser la décision du ministre selon la norme de la décision raisonnable ou correcte en ce qui a trait au refus de la demande d’HST du demandeur. Par conséquent, la CCDP exprime clairement son refus d’enquêter sur le bien-fondé de la plainte du demandeur. Il était déraisonnable pour la CCDP de limiter indûment sa compétence.

[25]           Troisièmement, la CCDP s’est appuyée sur des éléments de preuve qui ne lui ont pas été dûment soumis, puisqu’elle a accepté, sans preuve à l’appui, la prétention du ministre selon laquelle c’est à lui que revient la décision d’accorder ou non une habilitation de sécurité à un demandeur ayant des membres de sa famille impliqués dans des activités criminelles ou possédant un casier judiciaire.

[26]           Quatrièmement, la CCDP a conclu de façon déraisonnable que la discrimination fondée sur le motif de distinction illicite n’était que l’un des facteurs dans la décision du ministre. Cela va à l’encontre de la jurisprudence bien établie.

[27]           Par la suite, le demandeur fait valoir que la CCDP a manqué à l’équité procédurale puisqu’elle n’a pas assuré un degré de rigueur minimum dans son enquête en omettant de communiquer avec la mère du demandeur.

[28]           Inversement, le défendeur affirme que la CCDP n’a pas manqué à son devoir d’équité procédurale puisque le demandeur a eu l’occasion de présenter des observations à la CCDP après la soumission du rapport d’évaluation et avant que la CCDP rende sa décision. L’enquête menée par la CCDP était exhaustive, et l’enquêteur n’était pas tenu d’interroger la mère du demandeur.

[29]           Par conséquent, le défendeur soutient que la décision de la CCDP est raisonnable.

[30]           Le défendeur fait valoir que la CCDP a correctement appliqué le critère établi par la Cour suprême du Canada pour déterminer s’il y a un motif justifiable, comme dans l’arrêt Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU (grief de Meiorin), [1999] 3 RSC 3, [Meiorin] et dans l’arrêt Colombie-Britannique (Superintendent of Motor Vehicles) c. Colombie-Britannique (Council of Human Rights), [1999] 3 RCS 868 [Grismer]. Le défendeur a raisonnablement conclu que le ministre avait un motif justifiable de refuser la demande d’habilitation de sécurité du demandeur : i) la norme a été adoptée dans un but rationnellement lié à l’exécution du travail en cause; ii) la norme a été imposée honnêtement et de bonne foi; et, iii) la norme est raisonnablement nécessaire pour réaliser ce but ou objectif lié au travail.

[31]           Enfin, le défendeur affirme que le rôle de la Cour n’est pas d’effectuer un contrôle judiciaire sur la décision du ministre de refuser la demande d’habilitation de sécurité, mais plutôt d’examiner la décision de la CCDP par laquelle la plainte pour motif de discrimination déposée par le demandeur a été refusée. Toutefois, le défendeur fait valoir que la décision du ministre de refuser l’habilitation de sécurité était raisonnable puisque le ministre, de façon raisonnable, n’était pas convaincu que le demandeur ne serait pas une menace potentielle à la sûreté aérienne.

VI.             Norme de contrôle

[32]           La CCDP a toute latitude de rejeter une plainte, en vertu du sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi, lorsqu’elle est d’avis qu’il n’y a pas lieu d’examiner davantage la plainte (Walsh c. Canada (Procureur général), 2015 CF 230, au paragraphe 19 [Walsh]), puisque « La Loi confère à la Commission un degré remarquable de latitude dans l’exécution de sa fonction d’examen préalable au moment de la réception d’un rapport d’enquête » (Bell Canada c. Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, [1999] 1 RCF 113).

[33]           La première question en litige est de savoir si la CCDP a correctement appliqué la norme de contrôle en fonction d’un motif justifiable à une conclusion mixte de droit et de fait. La norme de contrôle de la décision raisonnable s’applique lorsque des conclusions mixtes de droit et de fait sont tirées par la CCDP en vertu du sous-alinéa 44(3)b)(i) de la Loi (Walsh, précitée, au paragraphe 22; Mohawks de la Baie de Quinte c. Canada (Procureur général), 2014 CF 527, au paragraphe 14 [Mohawks de la Baie de Quinte]). Par contre, la norme de contrôle de la décision correcte est applicable au non-respect d’une obligation d’équité procédurale à l’étape postérieure à l’enquête (Mohawks de la Baie de Quinte, précitée, au paragraphe 14).

VII.          Analyse

A.                Était-ce raisonnable pour la CCDP de décider qu’aucun examen plus poussé n’était justifié?

(1)               La Commission a-t-elle mal appliqué le critère servant à établir un motif justifiable et a-t-elle indûment tenu compte de ce critère?

[34]           À la première étape d’une plainte pour motif de discrimination, il incombe au plaignant d’établir que la pratique est discriminatoire à première vue (Grismer, précité, au paragraphe 20).

[35]           Dans sa décision, la CCDP a déclaré que [traduction] « même si le ministre a pris en considération l’identité des membres de la famille du plaignant, ce qui, tel qu’il est susmentionné, est une pratique raisonnablement nécessaire, rien n’indique que la façon dont le ministre a effectué l’examen était discriminatoire » (dossier du demandeur, décision de la CCDP, à la page 164). À l’inverse, dans le rapport d’évaluation, la CCDP a conclu que [traduction] « selon la preuve recueillie, le statut familial du plaignant, notamment sa relation avec son père et son frère, était un facteur qui a influé sur la décision du défendeur de refuser la demande d’habilitation de sécurité du demandeur » (dossier du demandeur, rapport d’évaluation, paragraphe 20, à la page 152).

[36]           Même s’il y a une légère contradiction entre la décision et le rapport d’évaluation, le demandeur et le défendeur ont reconnu que la CCDP a conclu avec raison que la situation familiale du demandeur était un facteur ayant influé sur la décision du ministère de refuser l’habilitation de sécurité. Puisqu’on a établi l’existence d’une discrimination à première vue, il incombait au ministre de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’il avait un motif justifiable de rejeter la demande :

[20]      Dès que le demandeur établit que la norme est discriminatoire à première vue, il incombe alors au défendeur de prouver, selon la prépondérance des probabilités, que cette norme discriminatoire est une EPJ ou a une justification réelle et raisonnable. Pour établir cette justification, le défendeur doit prouver :

(1) qu’il a adopté la norme dans un but ou objectif rationnellement lié aux fonctions exercées;

(2) qu’il a adopté la norme de bonne foi, en croyant qu’elle était nécessaire pour réaliser ce but ou cet objectif;

(3) que la norme est raisonnablement nécessaire à la réalisation de son but ou objectif, en ce sens que le défendeur ne peut pas composer avec les personnes qui ont les mêmes caractéristiques que le demandeur sans que cela lui impose une contrainte excessive.

(Grismer, précité, au paragraphe 20)

[37]           Le demandeur soutient que la CCDP a fait une mauvaise application du critère des motifs raisonnables puisqu’elle a omis d’examiner la question de savoir si le refus de la demande d’HST du demandeur, en raison de l’identité des membres de sa famille, était appuyé par un motif justifiable. La CCDP a plutôt limité son analyse au vaste mandat du ministre et à l’importance du rôle général que joue le ministre dans l’évaluation de l’admissibilité d’une personne à une HST.

[38]           La Cour rejette cet argument. La CCDP a raisonnablement considéré la question à savoir si le ministre avait un motif justifiable conformément au critère établi par la Cour suprême dans les arrêts Grismer et Meiorin.

(a)                But de la norme

[39]           À la première étape de l’analyse du motif justifiable, le ministre devait démontrer que le but de la norme était rationnellement lié aux fonctions qu’il exerce (Grismer, précité, au paragraphe 23). À cette étape du processus, l’accent doit être mis non pas sur la validité de la norme particulière en cause, mais plutôt sur la validité de son objet plus général (Meiorin, précité, au paragraphe 59). Premièrement, la CCDP a déclaré que la demande d’HST du demandeur a été traitée conformément à une pratique établie, notamment celle énoncée à l’article 4.8 de la Loi sur l’aéronautique. Deuxièmement, la CCDP s’est appuyée sur les observations du ministre pour établir que le ministre a pour mandat de servir l’intérêt public en favorisant un réseau de transport au Canada qui soit sûr et sécuritaire, efficace et respectueux de l’environnement. Le ministre accomplit son mandat, en partie, au moyen du Programme d’habilitation de sécurité en matière de transport [PHST]. Dans l’exécution de son mandat, le ministre exige suffisamment de renseignements vérifiables et fiables auprès d’un demandeur et des organismes d’application de la loi afin d’établir l’identité du demandeur et de déterminer s’il constitue une menace à l’aviation civile et au transport maritime. Par conséquent, la CCDP a conclu que la pratique a été établie pour un objectif de sécurité légitime.

[40]           Cette conclusion de la CCDP est raisonnable puisqu’elle est conforme à la jurisprudence de la Cour relativement au but du PHST et aux exigences d’une vérification approfondie des antécédents :

[4]        La Politique du PHST a pour objet de prévenir tout acte d’intervention illicite visant l’aviation civile en obligeant certaines catégories de personnes à détenir une habilitation de sécurité. Toute personne qui sollicite une habilitation de sécurité doit se soumettre à une vérification approfondie de ses antécédents, notamment à une vérification de casier judiciaire à partir d’empreintes digitales auprès de la Gendarmerie royale du Canada (la GRC) et à un examen des dossiers pertinents d’organismes d’application de la loi, y compris des renseignements recueillis aux fins d’application de la loi.

(Meyler c. Canada (Procureur général), 2015 CF 357 [Meyler])

(b)               Bonne foi

[41]           À la deuxième étape de l’analyse, le ministre doit démontrer qu’il a adopté la norme particulière en croyant sincèrement qu’elle était nécessaire à la réalisation de son objet, sans avoir l’intention de faire preuve de discrimination envers le demandeur (Meiorin, précité, au paragraphe 60). À cette étape, l’analyse passe de l’objet général de la norme à la norme particulière elle‑même. La CCDP a déterminé que le but du PHST est de réduire le risque de menaces pour la sûreté et à prévenir les interventions illicites dans le réseau de transport aérien et maritime grâce à des vérifications des antécédents des travailleurs aux aéroports et du secteur maritime qui ont accès à certaines zones réglementées. La CCDP a conclu que le ministre a adopté la Politique du PHST avec une conviction honnête et de bonne foi afin de réaliser son but, comme il n’y a aucune preuve convaincante du contraire.

[42]           Puisqu’il n’y avait aucune preuve étayant que le ministre a adopté la Politique du PHST d’une façon autre qu’en croyant sincèrement qu’elle était nécessaire à la réalisation de son but, soit de prévenir les actes illégaux d’interférence avec l’aviation civile en donnant une habilitation de sécurité à des personnes qui satisfont les normes établies dans le PHST, il était donc raisonnable pour la CCDP de conclure que le ministre avait respecté la deuxième étape du critère.

(c)                Norme raisonnablement nécessaire

[43]           À la troisième étape, le ministre doit démontrer que la norme est raisonnablement nécessaire pour l’exécution du PHST. Pour ce faire, le ministre doit démontrer qu’il est impossible d’accepter la requête du demandeur, à savoir de ne pas prendre en considération les allégations formulées contre son père et son frère dans sa demande d’HST, sans que cela impose une contrainte excessive sur le ministre dans la réalisation desdits objectifs expliqués à cet égard.

[44]           La plainte du demandeur à la CCDP reposait essentiellement sur la décision du ministre de refuser sa demande d’habilitation de sécurité en raison du prétendu comportement de son père et de son frère : le demandeur affirme avoir été victime de discrimination en raison de sa situation familiale. Pour la troisième étape de l’analyse de la plainte du demandeur, la question en litige est à savoir si le ministre a démontré qu’il est raisonnablement nécessaire, pour évaluer l’admissibilité d’un demandeur à l’obtention d’une HST, de prendre en considération les antécédents des membres de famille du demandeur qui auraient été déclarés coupables ou accusés de participer au trafic de narcotiques, ou contre lesquels de telles allégations auraient été formulées.

[45]           Comme il a été mentionné précédemment, l’objet de la politique du PHST est de prévenir les actes d’intervention illicite dans l’aviation civile au moyen d’évaluations pour accorder une habilitation aux gens qui répondent aux normes de ce programme (Politique du PHST, partie I.1). Pour évaluer si une personne peut obtenir une habilitation de sécurité, le ministre doit procéder à une vérification approfondie des antécédents de cette personne, notamment une vérification de casier judiciaire à partir d’empreintes digitales auprès de la Gendarmerie royale du Canada (la GRC) et un examen des dossiers pertinents d’organismes d’application de la loi, y compris des renseignements recueillis aux fins d’application de la loi (Meyler, précité, au paragraphe 4). Contrairement aux prétentions du demandeur, la Cour a conclu qu’il est suffisant de se fonder exclusivement sur les rapports fournis par la GRC lors du processus de vérification nécessaire pour l’obtention d’une habilitation de sécurité (Fontaine c. Canada (Transports), 2007 CF 1160, au paragraphe 75 [Fontaine]; Brown c. Canada (Procureur général), 2014 CF 1081, au paragraphe 65; Henri c. Canada (Procureur général), 2014 CF 1141, au paragraphe 40).

[46]           Tel qu’il est défini à la partie I.4 de la Politique sur le PHST, l’objectif de ce programme est de prévenir l’entrée non contrôlée de certaines personnes dans les zones réglementées d’un aéroport, surtout, tel qu’il est énoncé au paragraphe I.4(4) de la politique, toute personne qui est sujette ou peut être incitée à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile ou à aider ou à inciter toute autre personne à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile (Clue c. Canada (Procureur général), 2011 CF 323, au paragraphe 15; Kaczor c. Canada (Transport), 2015 CF 698, au paragraphe 30). Le ministre s’est fondé sur ce motif pour prendre la décision, en date du 11 février 2013, de rejeter la demande d’HST du demandeur :

[traduction]

Des préoccupations ont été soulevées lors de l’examen des renseignements figurant à votre dossier, y compris les faits révélant que votre père a été condamné à une peine d’emprisonnement de neuf ans pour avoir joué un rôle dans un complot en vue de faire le trafic d’une substance inscrite à l’annexe I, que votre frère a été arrêté pour possession de crack et d’héroïne en 2008, et que vous étiez l’unique occupant d’un véhicule dans lequel les policiers ont détecté une odeur de marijuana et ont trouvé un petit sac contenant de la marijuana. La prise en compte de tous ces facteurs m’a porté à croire, selon la prépondérance des probabilités, que vous pourriez être amené ou incité à commettre un acte, ou à aider ou encourager une autre personne à commettre un acte qui pourrait illégalement interférer avec l’aviation civile. J’ai également tenu compte de vos déclarations écrites, ainsi que des renseignements présentés dans votre affidavit. J’ai néanmoins encore des préoccupations concernant votre risque d’être suborné. [Non souligné dans l’original.]

(Dossier du demandeur, décision du ministre de Transports Canada en date du 11 février 2013, pages 121 et 122)

[47]           L’accès aux zones protégées d’un aéroport est un privilège et non un droit (Fontaine, précitée, au paragraphe 59). Pour déterminer si une personne peut se voir accorder ce privilège, le ministre doit prendre en considération suffisamment de renseignements fiables et vérifiables révélateurs du caractère et des tendances du demandeur (Salmon c. Canada (Procureur général), 2014 CF 1098, au paragraphe 82), étant donné que la Politique sur le PHST est prospective (MacDonnell c. Canada (Procureur général), 2013 CF 719, au paragraphe 29). Il est entendu que le rejet d’une demande d’HST a une incidence défavorable sur les perspectives d’emploi d’une personne ayant déposé une demande d’HST; il n’en demeure pas moins que, dans la pondération des intérêts en jeu, l’intérêt du public doit avoir préséance sur celui d’une personne ayant déposé une demande d’HST :

[15]      Par ailleurs, tant l’objet de la Loi que la nature de la question ont trait à la protection du public en prévenant des actes d’intervention illicite dans l’aviation civile. Même si la décision du ministre vise directement les droits et les intérêts du demandeur, ce sont les intérêts du grand public qui sont en jeu et qui ont préséance sur la capacité du demandeur d’avoir son HST pour pouvoir travailler à titre de pilote. L’objectif de la Loi émane d’un problème élargi qui englobe les intérêts de la société tout entière et non seulement ceux du demandeur.

(Rivet c. Canada (Procureur général), 2007 CF 1175, au paragraphe 15)

[48]           La Cour a conclu que le simple fait d’entretenir des liens avec des personnes impliquées dans la narco‑criminalité suffisait pour l’annulation par le ministre, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, d’une habilitation de sécurité (Rossi c. Canada (Procureur général), 2015 CF 961, au paragraphe 23; Thep-Outhainthany c. Canada (Procureur général), 2013 CF 59, au paragraphe 25).

[49]           Tel qu’il a été susmentionné, la question en litige est à savoir si le ministre a démontré qu’il est raisonnablement nécessaire, pour évaluer l’admissibilité d’un demandeur à l’obtention d’une HST, de déterminer si les membres de famille du demandeur ont déjà été déclarés coupables ou accusés de participer au trafic de narcotiques, ou si de telles allégations auraient été formulées contre eux.

[50]           À la troisième étape de l’analyse, dans le rapport d’évaluation, la CCDP a conclu qu’il était raisonnable de supposer que le ministre est tenu d’obtenir et de prendre en considération tout renseignement disponible, y compris l’information sur les associés et membres de la famille du demandeur, lors de l’évaluation de l’admissibilité d’une personne à un emploi. Elle a aussi conclu qu’il était raisonnable pour le ministre d’avoir des doutes légitimes quant à l’admissibilité d’un demandeur à une habilitation de sécurité :

[traduction]

37.       Il n’est pas contesté que les comportements des membres de la famille du plaignant, notamment son père et son frère, ont constitué des facteurs dans la décision du défendeur de rejeter la demande d’habilitation de sécurité du plaignant. […] La question en litige est donc de déterminer si le défendeur peut justifier le motif pour lequel il a pris en considération les antécédents des membres de famille du plaignant pour rendre sa décision de refuser la demande du plaignant.

38.       […] Les vérifications des antécédents des travailleurs aux aéroports sont essentielles pour assurer l’intégrité des zones protégées et la sécurité en général aux aéroports. Les éléments de preuve recueillis révèlent que le défendeur évalue individuellement chaque demandeur ayant sollicité une habilitation de sécurité. [...] Compte tenu de tous les éléments de preuve recueillis lors de l’évaluation, la pratique du défendeur est raisonnablement nécessaire pour veiller, dans la mesure du possible, à ce que les employés ne soient pas sujets ou puissent être incités à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile ou à aider ou à inciter toute autre personne à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile.

39.       Enfin, une évaluation s’avère nécessaire en raison de la nature de l’emploi du plaignant. En sa qualité de préposé d’escale, le plaignant était responsable du chargement et du déchargement des bagages à bord des avions commerciaux. Il est donc raisonnable de présumer que le défendeur doit obtenir et examiner tous les renseignements disponibles, y compris l’information sur les associés et les membres de la famille du demandeur, au moment d’évaluer l’admissibilité d’une personne à ce type d’emploi. En l’espèce, il est raisonnable que le défendeur ait eu des doutes légitimes concernant l’admissibilité du plaignant étant donné que son père et son frère ont eu des démêlés avec la justice impliquant des narcotiques. En maintenant le plaignant en poste, il y aurait eu risque, réel ou perçu, d’interférence avec l’aviation civile. Selon la prépondérance des probabilités, le défendeur a conclu que le risque était suffisant et qu’il ne pouvait pas justifier lui accorder une habilitation de sécurité.

[Non souligné dans l’original.]

(Dossier du demandeur, rapport d’évaluation, paragraphes 37 à 39, pages 154 et 155).

[51]           Le demandeur soutient que la CCDP a commis une erreur en omettant d’examiner la question à savoir si le refus de la demande d’HST du demandeur en raison des antécédents criminels de son père et de son frère était un motif justifiable. Cet argument doit être rejeté. Au paragraphe 39 de son rapport d’évaluation, la CCDP déclare [traduction] « qu’il est donc raisonnable de présumer que le ministre doit obtenir et examiner tous les renseignements disponibles, y compris l’information sur les associés et les membres de la famille du demandeur, au moment d’évaluer l’admissibilité d’une personne à un emploi ». La CCDP a examiné la question à savoir si le ministre avait un motif justifiable de prendre en considération les renseignements sur les allégations formulées contre le père et le frère du demandeur.

[52]           De plus, cette conclusion est raisonnable puisque le ministre doit prendre en considération suffisamment de renseignements fiables et vérifiables pour déterminer si une personne pose un risque pour la sécurité à l’aéroport. Pour déterminer si le demandeur peut se voir accorder une habilitation de sécurité, le ministre a le droit de prendre en considération tout facteur qu’il juge pertinent (Fontaine, précitée, au paragraphe 78). Puisque le simple fait d’entretenir des liens avec des personnes impliquées dans la narco‑criminalité est suffisant pour que le ministre, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire, refuse une demande d’habilitation de sécurité, le ministre doit déterminer si la personne ayant déposé une demande d’habilitation de sécurité a un lien avec une telle personne ou de telles personnes, peu importe s’il s’agit de membres de la famille ou d’amis.

[53]           Il était aussi raisonnable pour la CCDP d’énoncer, dans l’exposé de sa décision, que le ministre n’applique nécessairement pas la règle de façon rigoureuse; c’est seulement après l’examen de l’ensemble des faits qu’une décision est prise à savoir si le fait qu’un membre de la famille du demandeur a été impliqué dans un crime entraînerait le rejet de la demande. Le demandeur n’a fourni aucune preuve du contraire. En février 2012, le ministre a informé le demandeur que des renseignements défavorables ont été découverts et que cette information a soulevé des préoccupations au sujet de l’admissibilité du demandeur à une habilitation de sécurité. Le demandeur a eu l’occasion de fournir des renseignements supplémentaires, ce qu’il a fait. Ce n’est qu’après avoir examiné les arguments du demandeur que le ministre a rejeté la demande d’habilitation de sécurité. Tous les éléments de preuve démontrent qu’une décision a seulement été prise après l’examen de tous les faits présentés.

[54]           À la lumière de ce qui précède, la Cour conclut que la décision de la CCDP, laquelle est appuyée par un rapport d’évaluation, a raisonnablement examiné la question à savoir si le ministre a fourni un motif justifiable.

(2)               La CCDP a-t-elle commis une erreur en déterminant que la discrimination fondée sur un motif de distinction illicite était seulement l’un des multiples facteurs pris en considération?

[55]           Le demandeur fait valoir que la CCDP a commis une erreur en justifiant la décision du ministre par la mention d’autres facteurs qui pourraient avoir été pris en considération. La Cour rejette cet argument. La CCDP a bien appliqué le critère établi dans les arrêts Grismer/Meiorin. Premièrement, la CCDP a établi l’existence d’une discrimination à première vue pour un motif fondé sur la situation familiale puisque les liens du demandeur avec son père et son frère ont été un facteur dans la décision du ministre de refuser de la demande d’HST. Deuxièmement, la CCDP a déterminé que le ministre avait un motif justifiable pour sa décision prise en fonction de l’évaluation de tous les faits. La CCDP était limitée à ce rôle puisqu’elle ne pouvait pas déroger à sa compétence relativement à l’examen de divers facteurs par le ministre pour prendre une décision à l’égard de la demande d’HST.

B.                 Le ministre a-t-il manqué aux exigences en matière d’équité procédurale?

[56]           L’obligation de faire enquête impose à la CCDP qu’elle se penche sur les aspects essentiels ou fondamentaux d’une plainte (Besner c. Canada (Procureur général), 2008 CAF 191, au paragraphe 9). En l’espèce, l’aspect fondamental de la plainte était de déterminer si la pratique du ministre qui consiste à tenir compte de l’identité d’un membre de la famille du demandeur lors de l’évaluation d’une demande d’HST est une norme discriminatoire fondée sur la situation familiale. Le cas échéant, une telle pratique est-elle justifiée comme étant raisonnablement nécessaire?

[57]           Le demandeur soutient que la CCDP a manqué à l’équité procédurale en n’interrogeant pas la mère du demandeur, puisqu’elle aurait pu fournir un élément de preuve important relativement à la relation du demandeur avec son père et son frère et expliquer les activités de son père et de son frère. En raison de cette erreur alléguée, la CCDP, selon le demandeur, aurait trop limité son analyse, dans la mesure où elle n’aurait pas examiné la question à savoir si la décision prise par le ministre à l’égard de la menace éventuelle que pourrait poser le demandeur à l’aviation civile, en raison de certains membres de sa famille, était raisonnable ou non.

[58]           Le demandeur a mal compris le rôle du rapport d’évaluation et de la décision de la CCDP. La CCDP devait déterminer : i) si le ministre a appliqué une norme discriminatoire et, le cas échéant, ii) si l’application de cette norme était justifiable. Le rôle de la CCDP n’est pas de passer en revue la décision du ministre selon laquelle le demandeur est sujet ou peut être incité à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile ou à aider ou à inciter toute autre personne à commettre un acte d’intervention illicite pour l’aviation civile. Le demandeur aurait pu demander un contrôle judiciaire de la décision du ministre devant la Cour, mais il a décidé de procéder autrement; il a déposé une plainte auprès de la CCDP au lieu de demander un contrôle judiciaire devant la Cour sans déposer de plainte auprès de la Commission.

[59]           De plus, l’enquêteur a affirmé dans le rapport d’évaluation, en date du 23 janvier 2015, que le demandeur a demandé qu’on interroge sa mère pour les besoins de l’évaluation, mais que l’enquêteur a décidé de ne pas le faire puisque le but de l’évaluation n’est pas de réévaluer l’admissibilité du demandeur à l’obtention d’une habilitation de sécurité. Le demandeur a fourni une réponse au rapport d’évaluation, en date du 13 février 2015, dans laquelle il n’aborde pas le fait que sa mère n’a pas été interrogée. Si le demandeur était d’avis que le témoignage de sa mère était un élément de preuve important que la CCDP devait examiner avant de rendre sa décision, il aurait dû signaler ce fait dans sa réponse au rapport d’évaluation. De plus, la Cour a conclu que, lorsqu’une partie reçoit un rapport d’enquête complet, comme un rapport d’évaluation, et se voit accorder la possibilité d’en critiquer le contenu, le fait que la CCDP n’a pas interrogé chaque témoin proposé par le demandeur n’est pas, en tant que tel, fatal (Mohawks de la Baie de Quinte, précitée, aux paragraphes 16 et 17; Slattery c. Canada (Commission des droits de la personne), [1994] 2 RCF 574, au paragraphe 57).

[60]           Enfin, le demandeur n’a pas fourni des indications sur la raison pour laquelle il estime que l’enquêteur n’a pas examiné un élément fondamental de sa plainte en omettant d’interroger sa mère. Il n’est toujours pas clair quels sont les renseignements supplémentaires que la mère du demandeur aurait pu fournir au sujet de la relation du demandeur avec son père et son frère et le demandeur n’aurait pas été en mesure de fournir lui-même.

[61]           Par conséquent, la Cour estime que la CCDP n’a pas manqué à son devoir d’équité procédurale.

VIII.       Conclusion

[62]           Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucuns dépens ne seront adjugés en raison de l’importance des questions en litige.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT : La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucuns dépens ne seront adjugés en raison de l’importance des questions en litige.

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-798-15

INTITULÉ :

TRUNG KIEN HOANG c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 14 janvier 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SHORE

DATE :

Le 19 janvier 2016

COMPARUTIONS :

Andres Barker

Pour le demandeur

Michele Charles

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Kent Employment Law

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour le défendeur

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.