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Date : 20160627


Dossier : IMM-3145-15

Référence : 2016 CF 711

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 27 juin 2016

En présence de monsieur le juge O’Reilly

ENTRE :

JACK PANBOUKIAN,

CARINA PANBOUKIAN,

TAMAR KENDERJIAN ET

CAREN PANBOUKIAN, REPRÉSENTÉE PAR SON TUTEUR À L’INSTANCE

JACK PANBOUKIAN

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               Les demandeurs, une famille de quatre chrétiens arméniens originaires du Liban, ont demandé l’asile au Canada en raison de leur crainte des groupes terroristes islamistes, particulièrement de l’État islamique. Ils sont d’abord venus au Canada en 2012 avec des visas de visiteur. Les demandeurs adultes ont par la suite présenté une demande de permis de travail, sans succès. Ils ont présenté leur demande d’asile en 2014 après avoir appris que la situation de sécurité au Liban s’était gravement détériorée.

[2]               Un tribunal de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la Commission) a rejeté la demande des demandeurs pour le motif que l’État islamique ne contrôlait pas le Liban et que les forces de sécurité avaient mené avec succès une campagne contre le groupe. Par ailleurs, la Commission a conclu que les demandeurs pourraient vraisemblablement vivre en toute sécurité à Beyrouth (c.-à-d. qu’ils avaient une possibilité de refuge intérieur [PRI]). La Commission a donc conclu que les demandeurs n’avaient pas de crainte fondée objective d’être persécutés au Liban. Cette conclusion a été confirmée par la Section d’appel des réfugiés (SAR).

[3]               Les demandeurs affirment que la décision de la SAR n’était pas raisonnable parce qu’elle n’a pas expliqué la raison pour laquelle les éléments de preuve dont elle disposait, y compris les nouveaux éléments de preuve présentés lors de l’appel, ne prouvaient pas que leur crainte d’être persécutés était fondée. Par ailleurs, ils soutiennent que la SAR a conclu de façon déraisonnable que le fait qu’ils ont tardé à présenter une demande d’asile démontrait qu’ils n’avaient pas de crainte subjective d’être persécutés. Ils me demandent d’annuler la décision de la SAR et de demander à un autre tribunal de réexaminer leur demande.

[4]               Je suis d’accord avec les demandeurs sur le fait que les conclusions de la SAR étaient déraisonnables selon les éléments de preuve présentés. Par conséquent, je dois accueillir la présente demande de contrôle judiciaire.

[5]               La seule question à trancher consiste à déterminer si la décision de la SAR était déraisonnable.

II.                La décision de la SAR

[6]               En plus de confirmer les conclusions de la Commission sur la crainte objective et la possibilité de refuge intérieur, la SAR a conclu que le fait que les demandeurs ont tardé à demander l’asile démontrait qu’ils n’avaient pas de crainte subjective d’être persécutés au Liban. La SAR a fait remarquer que la demande d’asile n’a été présentée qu’après que les permis de travail des demandeurs ont été rejetés. Elle a conclu que cela démontrait que la demande d’asile constituait seulement l’une des nombreuses voies envisagées par les demandeurs pour essayer de demeurer au Canada.

[7]               La SAR a aussi fait remarquer que les demandeurs ne craignaient pas d’être persécutés en 2012 et que les éléments de preuve ne démontraient pas que l’État islamique visait maintenant particulièrement les chrétiens arméniens au Liban.

[8]               La SAR a permis aux demandeurs de présenter trois nouveaux documents. Elle a rejeté un quatrième document pour le motif qu’il était raisonnablement accessible avant que leur demande soit entendue par la Commission. Néanmoins, la SAR a conclu que les éléments de preuve présentés ne démontraient pas que les demandeurs avaient une crainte fondée d’être persécutés par l’État islamique.

III.             La décision de la SAR était-elle déraisonnable?

[9]               Le ministre présente un argument préliminaire selon lequel l’affidavit du demandeur Jack Panboukian contient des arguments et un avis juridique et que ces parties du document devraient être radiées. Je suis d’accord, et je n’ai tenu compte que du contenu admissible de l’affidavit.

[10]           Le ministre affirme également que la décision de la SAR était raisonnable d’après les éléments de preuve. Le ministre reconnaît que l’État islamique a persécuté des chrétiens dans certaines régions du Liban, mais il souligne que les demandeurs n’avaient pas de problèmes avant de quitter le pays en 2012. En outre, les éléments de preuve démontrent que les forces de sécurité du Liban ont réussi en partie à contrer la menace que pose l’État islamique. En particulier, la ville de Beyrouth était assez sécuritaire.

[11]           Je ne suis pas d’accord avec les affirmations du ministre. À mon avis, les éléments de preuve démontrent que la crainte des demandeurs découlait raisonnablement de la situation au Liban en 2014, et ce, même s’ils n’avaient pas de problèmes graves en 2012.

[12]           Les récents éléments de preuve présentés à la Commission et à la SAR ont démontré ce qui suit :

  • la menace posée par l’État islamique n’était pas confinée aux régions frontalières;
  • des menaces avaient été faites contre les chrétiens;
  • tant le premier ministre que le ministre des Affaires étrangères du Liban ont reconnu que leur pays ne disposait pas de suffisamment de ressources pour combattre l’État islamique.

[13]           Par ailleurs, les nouveaux éléments de preuve présentés à la SAR démontraient ce qui suit :

  • la menace que posait l’État islamique s’étendait, et des jeunes se préparaient à commettre des attentats suicides;
  • les combattants djihadistes préparaient des attaques contre des villes chrétiennes;
  • l’État islamique avait importé des voitures piégées à Beyrouth, ce qui indiquait qu’il y avait plus de risques dans cette ville.

[14]           Je suis d’avis que ces éléments de preuve contredisent les conclusions de la SAR en ce qui concerne la crainte subjective ou objective des demandeurs, ainsi que sa conclusion selon laquelle ils avaient une possibilité de refuge intérieur à Beyrouth. La SAR n’a pas analysé ces éléments de preuve dans ses motifs. Par conséquent, j’estime que la décision de la SAR n’appartient pas aux issues possibles acceptables au regard des faits et du droit.

IV.             Conclusion et dispositif

[15]           La SAR n’a pas tenu compte d’importants éléments de preuve qui étayent les déclarations des demandeurs et qui contredisent ses conclusions selon lesquelles les demandeurs n’avaient pas de crainte subjective ou objective d’être persécutés au Liban. Par conséquent, je conclus que ses conclusions étaient déraisonnables et j’accueille donc la présente demande de contrôle judiciaire. Aucune des parties n’a proposé de question de portée générale aux fins de certification, et aucune question n’est mentionnée.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.      La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre tribunal de la SAR pour réexamen.

2.      Aucune question de portée générale n’est mentionnée.

« James W. O’Reilly »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3145-15

 

INTITULÉ :

JACK PANBOUKIAN, CARINA PANBOUKIAN, TAMAR KENDERJIAN ET CAREN PANBOUKIAN, REPRÉSENTÉE PAR SON TUTEUR À L’INSTANCE JACK PANBOUKIAN c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 3 février 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS :

Le 27 juin 2016

 

COMPARUTIONS :

J. Stephen Schmidt

 

Pour les demandeurs

 

Maria Burgos

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

J. Stephen Schmidt

Avocat

Kitchener (Ontario)

 

Pour les demandeurs

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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