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Date : 20160603


Dossier : T‑832‑15

Référence : 2016 CF 624

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 3 juin 2016

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

GRAHAM MCKENZIE ANDREWS

demandeur

et

THOMAS HILARY MCHALE et 1625531 ALBERTA LTD.

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               La Cour est saisie, sous le régime de l’article 34 de la Loi sur le droit d’auteur, L.R.C. (1985), ch. C‑42 (la Loi), et du paragraphe 20(2) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F‑7, qui lui confère compétence en la matière, d’une demande par laquelle M. Graham McKenzie Andrews (M. Andrews) sollicite des déclarations et des mesures de réparation relatives à la violation supposée de son droit d’auteur et de ses droits moraux par les défendeurs, M. Thomas Hilary McHale (M. McHale) et 1625531 Alberta Ltd (la société à numéro), société appartenant à M. McHale.

[2]               M. Andrews soutient que sont protégés par le droit d’auteur les quatre systèmes logiciels qu’il dénomme comme suit : CIRYS Travel and Rooms Management (gestion de voyages et d’hébergement CIRYS) [CYRIS], GTMS, Gemstones Travel Management Systems (systèmes de gestion de voyages Gemstones), et FIFO (Fly‑In/Fly‑Out) Flight Scheduling and Aviation Program Management Software (logiciel de gestion d’horaires de vol et de programmes d’aviation pour services de navette aérienne) [FIFO]. Ces quatre systèmes sont ci‑après désignés les « logiciels considérés ». Le demandeur affirme que, en vertu d’un enregistrement valable sous le régime de la Loi, il est à la fois coauteur des logiciels considérés et cotitulaire du droit d’auteur y afférent, et détient des droits moraux sur ces logiciels. Peu avant la date de l’audience, M. Andrews a déposé un avis de désistement par lequel il renonçait à demander un certain nombre des mesures de réparation sollicitées dans son avis de demande. Les mesures de réparation qu’il continue de solliciter sont les suivantes :

A.                des déclarations comme quoi les logiciels considérés sont protégés par le droit d’auteur, lui-même et M. Jianfei Xu sont coauteurs des logiciels considérés et cotitulaires du droit d’auteur y afférent (dans un cas conjointement avec la société de M. Andrews, Applecross Innovations Inc. [Applecross]), et les défendeurs ont violé son droit d’auteur et ses droits moraux;

B.                 le paiement de dommages-intérêts et d’une proportion des profits réalisés par les défendeurs du fait de la violation du droit d’auteur, à déterminer sous le régime du paragraphe 35 de la Loi, ou le paiement de dommages-intérêts préétablis par l’article 38.1 de la même Loi;

C.                 une ordonnance le déchargeant, à l’égard des logiciels considérés, de toute responsabilité légale, morale ou financière découlant des actes des défendeurs.

[3]               Les défendeurs contestent les allégations du demandeur et soutiennent que seuls deux des logiciels considérés, soit CIRYS et FIFO, sont protégés par le droit d’auteur, GTMS et Gemstones Travel Management Systems n’étant que des marques ou noms antérieurs de CIRYS.

II.                Rappel des faits

[4]               M. McHale est administrateur unique et seul actionnaire avec droit de vote de la société à numéro. Celle‑ci et ses filiales ont pour activité de fournir des solutions aux problèmes logistiques que posent les lieux de travail éloignés au Canada, activité qui comporte l’utilisation des logiciels considérés. M. Jianfei Xu (M. Xu), qui n’est pas partie à la présente demande, est administrateur, dirigeant et actionnaire de sociétés dénommées Draxware Inc. (Draxware) et Draxware Solutions Inc. (Draxware Solutions), qui ont des relations d’affaires avec les sociétés de M. McHale. On trouvera reproduit ci‑dessous, à partir du mémoire des faits et du droit de M. McHale, un tableau qui représente la structure organisationnelle des sociétés lui appartenant directement ou indirectement, en tout ou en partie, même si cette structure n’est pas étroitement pertinente quant aux questions en litige dans la présente instance. Exception faite d’Unienginetech Ltd, ce mémoire désigne collectivement ces entreprises les « sociétés Gemstone », désignation que j’utiliserai ici par souci d’uniformité.

Raison sociale

Participations

Administrateurs

Gemstone Logistics Inc.

[Logistics]

Société à numéro (0,01 %)

McHale (99,99 %)

McHale

Gemstone Travel Management Systems Inc.

[GTMSI]

Société à numéro (51,02 %)

Draxware (48,98 %)

McHale, Xu et trois autres personnes

Gemstone Global Inc.

Société à numéro

McHale

Gemstone Travel Inc.

Société à numéro

McHale

McHale Aviation Services Inc.

Société à numéro

McHale

Unienginetech Ltd

Gemstone Global Inc (33,3 %) Draxware (66,67 %)

McHale, Xu et une autre personne

[5]               MM. McHale et Xu ont fait connaissance en mai 2012. M. Xu cherchait de l’aide dans le développement de marchés pour une plate-forme logicielle de marque Uni‑Engine, outil logiciel préchargé contenant un code préconstruit apte à remplir toutes sortes de fonctions dans divers secteurs d’activité, selon les données qu’on y introduirait (la plate-forme Uni‑Engine). La plate-forme Uni‑Engine appartient à Draxware. Logistics cherchait quant à elle une solution logicielle propre à fournir des outils intuitifs de planification de voyages et de réservation de chambres qui simplifient la gestion des voyages et de l’hébergement et permette aux clients d’utiliser une plate-forme unique intégrée. Ces objectifs ont été par la suite poursuivis au moyen d’un ensemble d’accords entre Draxware et les sociétés Gemstone que nous détaillerons plus loin dans les présents motifs.

[6]               M. Andrews, ancien journaliste et ancien fonctionnaire du Service correctionnel du Canada, est le propriétaire exploitant d’Applecross, société constituée en juin 2014 qu’il définit comme une entreprise de développement de logiciels et de technologie. Il a travaillé pour certaines des sociétés Gemstone de novembre 2012 à septembre 2014, dans le cadre d’abord d’une série de relations d’emploi, puis d’un contrat de consultation auquel il a associé Applecross.

[7]               Entre le 4 mars et le 7 mai 2015, M. Andrews a demandé l’enregistrement des droits d’auteur qui font l’objet de la présente instance, par suite de quoi l’Office de la propriété intellectuelle du Canada a délivré des certificats d’enregistrement désignant MM. Andrews et Xu comme coauteurs de GTMS, Gemstone Travel Management Systems, FIFO et CIRYS, et comme cotitulaires du droit d’auteur sur ces logiciels. La thèse du demandeur selon laquelle il est coauteur des logiciels considérés et cotitulaire du droit d’auteur y afférent, dont dérivent ses allégations de violation de ce droit d’auteur, se fonde sur les contributions qu’il affirme avoir faites à la création de ces logiciels pendant sa relation avec les sociétés Gemstone.

III.             Les requêtes

[8]               J’analyserai maintenant à titre préliminaire trois requêtes formées par M. Andrews et examinées à l’audience de la présente demande le 13 avril 2016, soit :

A.                une requête, plaidée au début de l’audience de la présente demande, tendant à obtenir l’autorisation, sous le régime de l’article 312 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 (les Règles), de déposer des éléments de preuve complémentaires au soutien de sa demande;

B.                 deux requêtes tendant à faire respectivement exclure ou radier l’affidavit signé par M. Xu le 15 juillet 2015 (l’affidavit de M. Xu) et l’affidavit signé par M. McHale le 3 juillet 2015 (l’affidavit de M. McHale), que les défendeurs invoquent à l’appui de leur contestation de la demande de M. Andrews. Les parties ont débattu ces deux requêtes au cours de leurs plaidoiries sur le principal.

A.                La requête en autorisation de déposer des éléments de preuve complémentaires

[9]               La requête de M. Andrews fondée sur l’article 312 des Règles (la requête fondée sur l’article 312) tendait à obtenir l’autorisation de déposer, au soutien de sa demande, un affidavit complémentaire signé par lui le 4 avril 2016 (le nouvel affidavit). Il invoquait aussi le contenu du nouvel affidavit à l’appui de sa requête en autorisation. Les défendeurs ont contesté celle‑ci. À l’issue d’un débat tenu au début de l’audience, le 13 avril 2016, j’ai rejeté cette requête de vive voix, en expliquant que j’exposerais les motifs de cette décision en même temps que ceux de la décision sur le principal. Voici donc les motifs qui m’ont amené à rejeter ladite requête.

[10]           J’ai rejeté la requête fondée sur l’article 312 parce que M. Andrews n’avait pas rempli le critère formulé dans l’arrêt Rosenstein c. Atlantic Engraving Ltd., 2002 CAF 03 [Rosenstein], plus précisément parce qu’il n’avait pas convaincu la Cour qu’elle dût accueillir sa requête, déposée le 4 avril 2016, alors que les renseignements et documents en question étaient à sa disposition depuis de nombreux mois.

[11]           La présente demande a été introduite par avis de demande en date du 20 mai 2015, et le dossier du demandeur a été déposé le 2 décembre de la même année. Ce dossier comprend l’affidavit signé par M. Andrews le 18 juin 2015, qui constitue le principal élément de preuve produit au soutien de sa demande. M. Andrews a déposé sa demande d’audience le 2 février 2016.

[12]           Le nouvel affidavit concerne entre autres des renseignements et documents que M. Andrews a communiqués aux défendeurs par l’intermédiaire de leurs avocats en novembre 2015. Le demandeur y définit les éléments ainsi communiqués comme contredisant le contenu de l’affidavit de M. McHale. M. Andrews a expliqué lors du débat à l’audience que ces contradictions portaient sur les moments respectifs où les logiciels considérés avaient acquis des capacités déterminées et l’affirmation de M. McHale selon laquelle n’importe qui, y compris les utilisateurs de ces logiciels, aurait pu y apporter les contributions revendiquées par le demandeur. Le nouvel affidavit fait état d’insuffisances des logiciels considérés, ainsi que de communications y afférentes entre M. Andrews et des utilisateurs de ceux‑ci, allant de juillet 2013 à décembre 2015. En outre, le demandeur énumère dans cet affidavit certains de ses titres de compétence et y exprime la crainte de conflit d’intérêts que lui inspire le fait qu’un cabinet d’avocats qui l’avait représenté, Bennett Jones, ait fourni ses services à M. McHale du 7 décembre 2015 au 4 février 2016.

[13]           M. Andrews a défini à juste titre le critère à appliquer par notre Cour à l’examen de la requête fondée sur l’article 312 comme étant celui qu’a formulé la Cour d’appel fédérale dans son arrêt Rosenstein. Selon ce critère, la Cour peut autoriser le dépôt d’éléments de preuve complémentaires lorsque les conditions suivantes sont réunies :

ii.                  les éléments de preuve vont dans le sens des intérêts de la justice;

iii.                les éléments de preuve aideront la Cour;

iv.                les éléments de preuve ne causeront pas de préjudice grave à la partie adverse.

[14]           Le juge Nadon ajoutait, au paragraphe 9 de Rosenstein, que le demandeur doit démontrer que les éléments de preuve qu’il souhaite produire n’étaient pas disponibles avant le contre-interrogatoire relatif aux affidavits de la partie adverse. En effet, une partie ne peut se servir de l’article 312 pour diviser sa cause et elle est tenue de présenter sa meilleure preuve le plus tôt possible.

[15]           Bien que non représenté, M. Andrews a démontré qu’il comprenait les Règles. Les défendeurs font référence à des actes précédemment déposés par le demandeur, ainsi qu’à des lettres adressées par lui à la Cour et à leurs avocats, attestant qu’il était au courant du rôle de l’article 312 en octobre 2015 et faisant état dès novembre 2015 de son intention de former une requête en vertu de cet article. Or il n’a déposé sa requête que le 4 avril 2016, soit neuf jours avant l’audience de sa demande, et il n’a pas établi que les éléments qu’il avait communiqués aux défendeurs en novembre 2015 concernant les capacités et insuffisances des logiciels considérés n’eussent pas été disponibles à une étape antérieure de la présente instance, lorsqu’il préparait et rassemblait ses moyens.

[16]           L’arrêt Rosenstein pose la question de savoir si les éléments de preuve étaient disponibles au moment du contre-interrogatoire, parce qu’il se fonde sur une jurisprudence selon laquelle il est permis de produire de nouveaux éléments de preuve à condition qu’ils découlent du contre-interrogatoire relatif aux affidavits de la partie adverse. Mais, d’un point de vue plus général, Rosenstein exprime à mon sens le principe qu’une partie ne peut s’appuyer sur l’article 312 des Règles que si les nouveaux éléments de preuve qu’elle veut produire n’étaient pas disponibles pour la production à l’étape antérieure de l’instance qui aurait été appropriée, lorsqu’elle déposait ses documents et éléments matériels devant la Cour conformément aux Règles.

[17]           Bien qu’on ne puisse dire avec certitude que tous les éléments communiqués par M. Andrews aux défendeurs en novembre 2015 fussent déjà à sa disposition lorsqu’il a signé son principal affidavit en juin de la même année, ils l’étaient indubitablement lorsqu’il a déposé son dossier en décembre 2015 et sa demande d’audience en février 2016. S’il est vrai que son nouvel affidavit fait référence à des communications avec les utilisateurs des logiciels considérés intervenues entre avril et décembre 2015, de sorte que les dernières de ces communications pourraient être postérieures au 2 décembre 2015, date du dépôt de son dossier, il connaissait à l’évidence la nature de ces éléments à cette date, et il avait une connaissance complète de ceux‑ci au moment du dépôt de sa demande d’audience. Il connaissait aussi, bien évidemment, les éléments relatifs à ses titres de compétence au moment où il établissait et déposait les documents produits au soutien de sa demande. Par conséquent, rien ne justifierait que la Cour admette ces nouveaux éléments de preuve le jour de l’audience.

[18]           Si j’estime que l’analyse ci‑dessus règle le sort de la requête, au moins pour ce qui concerne les éléments communiqués aux défendeurs en novembre 2015 et ceux qui se rapportent aux titres de compétence de M. Andrews, je constate aussi que les autres volets du critère Rosenstein militent contre l’accueil de cette requête :

A.                M. Andrews n’a pas établi que la production des nouveaux éléments de preuve en question irait dans le sens des intérêts de la justice et aiderait la Cour. Il affirme que le nouvel affidavit contredira la preuve des défendeurs, mais il ne propose pas grand-chose au soutien de cette affirmation, à part des déclarations, contenues dans l’affidavit même, touchant ce qu’il pourra démontrer. Pour ce qui concerne les insuffisances des logiciels considérés que M. Andrews relève dans le nouvel affidavit et les précisions qu’il y apporte sur ses titres de compétence, la Cour ne considère pas ces nouveaux éléments comme particulièrement pertinents ou importants quant aux questions en litige dans la présente demande.

B.                 Touchant la question du préjudice pour les défendeurs, M. Andrews fait valoir qu’ils avaient connaissance des nouveaux éléments de preuve puisqu’il les leur avait communiqués en novembre 2015. Cependant, comme ils le font remarquer, les défendeurs n’ont pas eu la possibilité de contre-interroger le demandeur sur le nouvel affidavit, de solliciter la radiation des passages de cet affidavit dont ils pourraient soutenir l’absence de pertinence, d’enquêter sur les faits y exposés, ni de déposer un mémoire supplémentaire des faits et du droit. M. Andrews a assez longtemps annoncé dans sa correspondance son intention de former une requête sous le régime de l’article 312 des Règles, mas il ne l’a enfin fait que pendant la semaine précédant l’audience, de sorte que les défendeurs ne sauraient avoir eu le temps de se préparer à répondre aux nouveaux éléments de preuve en question. Je conclus donc que l’admission de ceux‑ci leur causerait un préjudice.

[19]           Enfin, je dois noter que la partie du nouvel affidavit exposant les inquiétudes qu’inspire à M. Andrews le conflit d’intérêts possible de Bennett Jones se rapporte à une période plus récente que les éléments relatifs aux logiciels. Cependant, Bennett Jones ne représente plus M. McHale, et, si M. Andrews exprime néanmoins la crainte que leurs liens antérieurs n’aient entraîné la communication aux défendeurs de renseignements confidentiels le concernant, il n’a spécifié aucun renseignement ainsi compromis qui aurait été inclus dans le dossier dont dispose maintenant la Cour. La Cour ne peut trouver dans le nouvel affidavit, relativement au conflit d’intérêts supposé, aucun élément de preuve qui serait pertinent quant aux questions en litige dans la présente demande et dont l’admission irait dans le sens des intérêts de la justice ou l’aiderait à juger cette demande.

[20]           En conséquence, la Cour a rejeté la requête fondée sur l’article 312. Les défendeurs, ayant obtenu gain de cause sur cette requête, ont demandé des dépens y afférents de 2 000 $. Je leur ai accordé dans ma décision de vive voix des dépens de 1 000 $, quelle que soit l’issue de la cause. Par souci d’ordre, j’ai inclus dans le jugement formulé à la fin des présents motifs ma décision relative à ladite requête.

B.                 Les requêtes en exclusion de l’affidavit de M. Xu et de l’affidavit de M. McHale

[21]           Selon la définition de M. Andrews, ces requêtes tendent à faire exclure de l’examen de la Cour l’affidavit de M. McHale et l’affidavit de M. Xu. Les défendeurs, quant à eux, y voient des requêtes en radiation de ces affidavits. Je pense que la terminologie des défendeurs est la plus conventionnelle des deux, mais la manière de définir ces requêtes me paraît dépourvue de conséquences. Comme je le disais plus haut, les parties les ont débattues au cours de leurs plaidoiries sur le principal, M. Andrews s’appuyant dans une large mesure sur ses conclusions écrites. La Cour a mis en délibéré sa décision sur les requêtes en question.

[22]           De nombreux points soulevés par M. Andrews, touchant en particulier l’affidavit de M. McHale, ont pour teneur que les déclarations contenues dans les affidavits attaqués ne sont pas étayées par les pièces ni par d’autres éléments de preuve, ou entrent en contradiction avec ces pièces. De même, M. Andrews avance que les déclarants n’ont pas étayé les affirmations selon lesquelles ils possédaient la connaissance personnelle des faits qu’exige l’article 81 des Règles.

[23]           Soit dit en tout respect, ces arguments ne peuvent être retenus au soutien de l’exclusion ou de la radiation des éléments en question. Ils peuvent se rapporter au poids que la Cour devrait accorder à ces éléments dans l’examen au fond de la demande, mais ils ne peuvent fonder leur radiation.

[24]           Les autres arguments avancés par M. Andrews au sujet de l’affidavit de M. McHale se rapportent à la règle du ouï‑dire. Le demandeur relève à cet égard un certain nombre de paragraphes de cet affidavit – notamment le paragraphe 4, qu’il privilégie comme exemple – dont le contenu est basé selon lui sur des échanges avec M. Xu.

[25]           Après examen des paragraphes de l’affidavit de M. McHale relevés par M. Andrews, je constate comme lui que les paragraphes 4, 5, 7 et 56 comprennent des éléments fondés sur des échanges avec M. Xu. Cependant, tout ouï-dire contenu dans ces paragraphes ne me paraît pas justifier leur radiation, au motif que M. Xu s’est exprimé séparément sur ces échanges dans son propre affidavit. La preuve en question, par conséquent, se trouve intégrée au dossier dont dispose la Cour par un moyen qui n’enfreint pas la règle du ouï-dire, et il est permis à M. McHale de faire référence à cette preuve dans le cadre de l’exposé des faits qu’il donne dans son affidavit. Par exemple, après la phrase du paragraphe 7 concernant la conclusion qu’il a tirée d’un entretien avec M. Xu selon laquelle ce dernier serait chargé du développement du logiciel, M. McHale cite un accord de maintenance, d’assistance et de développement, annexé à son affidavit, qui atteste cette responsabilité.

[26]           Vu l’ensemble de la preuve pertinente, je ne conçois aucune raison de radier ou d’exclure une quelconque partie de l’affidavit de M. McHale.

[27]           Pour ce qui concerne l’affidavit de M. Xu, M. Andrews me paraît avancer trois catégories d’arguments :

A.                Cet affidavit expose des faits dont M. Xu n’a pas une connaissance personnelle et il contient des déclarations non étayées de documents, de sorte qu’il enfreint l’article 81 des Règles.

B.                 Certaines parties de l’affidavit de M. Xu enfreignent le paragraphe 80(3) des Règles, au motif qu’elles renvoient à des pièces annexées à l’affidavit de M. McHale. M. Andrews fait aussi valoir que certaines pièces annexées à ce dernier affidavit, auxquelles l’affidavit de M. Xu fait référence, ne paraissent pas être les documents visés.

C.                 Les défendeurs, au moyen d l’affidavit de M. Xu, essaient indûment de produire une preuve d’expert sans se conformer aux règles applicables aux témoins experts. Cette catégorie comprend l’argument selon lequel l’affidavit de M. Xu formule des conclusions de droit, qu’il appartient à la Cour, et non au témoin, de tirer.

[28]           Concernant les arguments relatifs à l’article 81 des Règles, ma conclusion est la même que celle que j’ai formulée au sujet de l’affidavit de M. McHale : ces arguments ne justifient pas la radiation des éléments en question; ils peuvent se rapporter au poids que la Cour devrait accorder à ces éléments dans l’examen au fond de la demande, mais ils ne peuvent fonder leur radiation.

[29]           Quant à la question des pièces, je conclus que l’affidavit de M. Xu n’enfreint pas le paragraphe 80(3) des Règles. S’il est vrai qu’il renvoie à des pièces annexées à un autre affidavit, celui de M. McHale, cela ne me paraît pas faire problème. Lorsqu’un document est régulièrement certifié comme pièce jointe à un affidavit, il n’est pas nécessaire de l’annexer à un autre affidavit qui y fait référence; la règle contraire entraînerait en effet la multiplication de pièces identiques et ferait ainsi augmenter inutilement la taille du dossier. Les défendeurs admettent que M. Xu s’est trompé en assimilant à la pièce D de l’affidavit de M. McHale un état de recherche relatif à l’une de ses sociétés, alors qu’il aurait dû renvoyer à la pièce E, tout en ajoutant que ce n’est pas là un motif suffisant de radiation, ce en quoi je suis d’accord.

[30]           Je ne puis non plus souscrire à l’argument de M. Andrews voulant que l’affidavit de M. Xu constitue une tentative irrégulière de produire une preuve d’expert. M. Xu a participé à un grand nombre des événements qui ont conduit à la présente demande, et c’est à juste titre, selon moi, que les défendeurs l’ont présenté comme un témoin ordinaire ou profane dont les déclarations sont proposées relativement aux faits et non comme opinion d’expert.

[31]           Cependant, j’estime comme M. Andrews que certains passages de l’affidavit de M. Xu s’égarent dans des considérations qui portent soit sur des points de droit, soit sur des questions que la Cour doit trancher afin de statuer sur la présente demande. Les paragraphes de l’affidavit de M. Xu relevés par M. Andrews au soutien de cet argument portent sur les questions de savoir :

A.                si l’auteur d’un logiciel est la personne qui fait le codage;

B.                 si M. Andrews a qualité d’auteur des logiciels considérés et de titulaire du droit d’auteur y afférent;

C.              si c’est irrégulièrement que M. Andrews a obtenu ses enregistrements de droit d’auteur sur les logiciels considérés.

[32]           Je n’ai rien à redire aux divers passages où M. Xu parle de la qualité d’auteur du logiciel et ajoute entre parenthèses qu’il entend par là le codage. J’y vois une manière d’expliquer que, lorsqu’il parle de sa qualité d’auteur, il veut dire qu’il a exécuté le codage, ce qui est une question de fait.

[33]           Je conclus cependant que lorsque M. Xu formule des déclarations comme quoi M. Andrews n’a joué aucun rôle comme auteur ou coauteur du logiciel en question, et qu’il n’est ni l’auteur ou un coauteur de celui‑ci, ni le titulaire ou un cotitulaire du droit d’auteur y afférent, il s’égare dans des considérations sur des questions qu’il appartient à la Cour de trancher. J’arrive à la même conclusion au sujet des déclarations de M. Xu selon lesquelles il croit que M. Andrews et/ou Applecross ont obtenu irrégulièrement les enregistrements de droit d’auteur. J’ordonnerai en conséquence dans le jugement formulé à la fin des présents motifs la radiation des passages suivants de l’affidavit de M. Xu :

A.                Les mots suivants du paragraphe 25 : [TRADUCTION] « ou d’autre manière l’auteur, le coauteur ».

B.                 Les phrases suivantes du paragraphe 26 : [TRADUCTION] « Graham Andrews n’est ni l’auteur ou un coauteur du logiciel CIRYS, ni le titulaire ou un cotitulaire du droit d’auteur y afférent. De même, Applecross n’est ni le titulaire ni un cotitulaire du droit d’auteur sur ce logiciel. »

C.                 Les paragraphes 27, 32 et 33.

[34]           Les défendeurs demandent des dépens relativement à ces requêtes, quelle que soit l’issue de la cause. Ayant rejeté entièrement la requête en radiation de l’affidavit de M. McHale, j’accorde aux défendeurs des dépens de 1 000 $ à cet égard, quelle que soit l’issue de la cause. Comme j’ai accueilli partiellement – et seulement partiellement – la requête en radiation de l’affidavit de M. Xu, je n’accorde de dépens à aucune des parties concernant cette requête.

IV.             Les questions en litige

[35]           M. Andrews soutient que les questions soulevées par la présente demande sont les suivantes :

A.                Les défendeurs ont-ils surmonté la présomption de droits du demandeur?

B.                 Les logiciels considérés sont-ils protégés par le droit d’auteur tel qu’enregistré par le demandeur?

C.                 Les contributions du demandeur à la création des logiciels considérés remplissent­elles le critère définissant la qualité d’auteur?

D.                Le demandeur a‑t‑il renoncé à ses droits aussi bien moraux qu’économiques sur les logiciels considérés?

[36]           Je synthétiserais et résumerais comme suit les questions soulevées par les deux défendeurs :

A.                Les logiciels CIRYS et FIFO sont-ils les seuls à être protégés par le droit d’auteur?

B.                 M. Andrews est‑il coauteur des logiciels considérés?

C.                 M. Andrews est‑il cotitulaire du droit d’auteur sur les logiciels considérés?

D.                Était‑il interdit par contrat à M. Andrews de former la présente demande?

E.                 M. McHale, la société à numéro ou les sociétés liées à celle‑ci ont‑ils commis une quelconque violation du droit d’auteur?

F.                  M. McHale est‑il personnellement responsable des actes de la société à numéro ou des sociétés liées à celle‑ci?

G.                Quelles mesures de réparation notre Cour est-elle compétente pour prononcer? Peut-elle notamment faire droit à la demande des défendeurs tendant à obtenir la radiation du registre des droits d’auteur des enregistrements faits par M. Andrews?

[37]           Après examen des arguments respectifs des parties, je reformulerais comme suit les questions sur lesquelles la Cour a à statuer :

A.                Les logiciels GTMS, Gemstone Travel Management Systems, FIFO et CIRYS constituent‑ils des œuvres distinctes protégées par le droit d’auteur?

B.                 M. Andrews a‑t‑il qualité d’auteur des logiciels considérés et de titulaire du droit d’auteur y afférent, et possède‑t‑il des droits moraux sur ces œuvres? De cette question découle la sous-question des effets des divers accords conclus entre les parties.

C.                 Les défendeurs ont-ils commis une quelconque violation de tout droit d’auteur ou de tous droits moraux que posséderait M. Andrews? De cette question découle la sous-question de savoir si M. McHale est personnellement responsable des actes de la société à numéro ou d’autres sociétés Gemstone.

D.                S’il y a eu violation, à quelles mesures de réparation M. Andrews a‑t‑il droit? Subsidiairement, les défendeurs ont-ils droit aux mesures de réparation qu’ils sollicitent, notamment la radiation des enregistrements de droit d’auteur faits par M. Andrews?

V.                Analyse

A.                Observations générales

[38]           Avant d’entreprendre l’analyse de la preuve et des arguments des parties sur les questions en litige dans la présente demande, j’aimerais formuler quelques observations générales. Je note d’abord qu’une grande partie de la preuve produite par M. Andrews au moyen de son affidavit et des pièces y annexées concerne le mécontentement que lui inspire ce qu’il considère comme un manquement de M. McHale à ses promesses touchant la rémunération, notamment le droit à des primes, ainsi qu’un contrat verbal supposé par lequel ce dernier se serait engagé à lui consentir une part, ou un droit sur les résultats, des accords commerciaux entre Draxware et les sociétés Gemstone. Or tout grief que M. Andrews pourrait avoir à cet égard contre les défendeurs ou l’une quelconque des sociétés Gemstone échappe au ressort de la Cour fédérale.

[39]           Par conséquent, et pour éviter de formuler des observations sur des questions qui pourraient à un moment ou un autre être mises en litige devant une cour supérieure provinciale, je n’ai pas l’intention d’examiner la preuve relative à la rémunération de M. Andrews ou au contrat verbal supposé – à une exception près. Cette exception concerne l’argument avancé par le demandeur selon lequel sa contribution au développement des logiciels considérés s’est faite en dehors de sa relation d’emploi avec les sociétés Gemstone. Il fait valoir cet argument en réponse à celui par lequel les défendeurs invoquent le paragraphe 13(3) de la Loi, qui confère à l’employeur la titularité du droit d’auteur sur les œuvres exécutées par un employé dans l’exercice de son emploi. J’estime nécessaire d’analyser, encore que dans une mesure limitée, la preuve relative au contrat verbal supposé (ce que je ferai plus loin dans le cadre de l’examen des divers accords conclus entre les parties) afin d’établir si elle étaye cet argument de M. Andrews.

[40]           Autre observation générale, je note que, lorsqu’on se concentre sur la preuve relative aux questions de droit d’auteur qui sont du ressort de notre Cour, la présente demande n’exige guère de déterminations de crédibilité. Je remarque qu’aucun des affidavits déposés par les parties à la présente instance n’a été mis en question par voie de contre-interrogatoire. Cependant, on ne trouve dans cette preuve que peu de contradictions pertinentes quant aux questions de droit d’auteur. Ma décision repose donc largement sur l’application à cette preuve du droit applicable.

B.                 Le nombre d’œuvres distinctes protégées par le droit d’auteur

[41]           M. Andrews soutient que les logiciels considérés se composent de quatre œuvres originales distinctes – soit GTMS, Gemstone Travel Management Systems, FIFO et CIRYS – et que chacune d’elles est protégée par le droit d’auteur. Il affirme que l’introduction des données initiales dans la plate-forme Uni‑Engine a donné naissance à GTMS, la première déclinaison en date du logiciel sectoriel, et fait valoir que l’article 2 de la Loi, qui définit les termes employés dans cette dernière, porte qu’« [e]st assimilé à une œuvre le titre de l’œuvre lorsque celui‑ci est original et distinctif ». Or, comme les titres de chacune des entités logicielles considérées sont originaux et distinctifs, raisonne M. Andrews, chacune d’elles constitue une œuvre distincte protégeable par un enregistrement du droit d’auteur.

[42]           Selon la thèse des défendeurs, CIRYS et FIFO sont protégés par le droit d’auteur, mais pas GTMS ni Gemstone Travel Management Systems, au motif que GTMS, Gemstone Travel Management Systems et CIRYS ne forment qu’une seule et même œuvre. Les défendeurs rappellent que pour être dite originale, une œuvre doit être davantage qu’une copie (CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut‑Canada, 2004 CSC 13, au paragraphe 16 [CCH]). Ils avancent que la seule différence séparant GTMS, Gemstone Travel Management Systems et CIRYS est le nom, étant donné qu’il s’agit dans ces trois cas de la même entité logicielle, et que le changement de nom est une modification trop négligeable pour justifier la protection que le droit d’auteur confère à une œuvre originale.

[43]           L’affirmation de fait des défendeurs voulant que CIRYS, GTMS et Gemstone Travel Management Systems ne forment qu’une seule et même entité logicielle est étayée par la preuve de M. McHale selon laquelle il s’agit là de trois marques de la même plate-forme logicielle, actuellement désignée CIRYS et commercialisée sous ce nom. La preuve de M. McHale n’a pas été mise en question par voie de contre-interrogatoire et, quoi qu’il en soit, la position de M. Andrews semble fondée, non pas sur une interprétation différente des faits, mais plutôt sur l’effet de la définition du terme « œuvre » que donne la Loi.

[44]           Examinons la Loi de plus près sous ce rapport. Son paragraphe 5(1) porte que, sous réserve de ses autres dispositions et de certaines conditions de citoyenneté ou de résidence qui ne sont pas ici d’application, le droit d’auteur existe au Canada « sur toute œuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique originale ». L’article 2 de la Loi définit comme suit cette expression :

toute œuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique originale S’entend de toute production originale du domaine littéraire, scientifique ou artistique quels qu’en soient le mode ou la forme d’expression, tels les compilations, livres, brochures et autres écrits, les conférences, les œuvres dramatiques ou dramatico-musicales, les œuvres musicales, les traductions, les illustrations, les croquis et les ouvrages plastiques relatifs à la géographie, à la topographie, à l’architecture ou aux sciences.

every original literary, dramatic, musical and artistic work includes every original production in the literary, scientific or artistic domain, whatever may be the mode or form of its expression, such as compilations, books, pamphlets and other writings, lectures, dramatic or dramatico-musical works, musical works, translations, illustrations, sketches and plastic works relative to geography, topography, architecture or science;

[45]           Selon la définition que donne l’article 2 de l’expression « œuvre littéraire », définition qui se révélera d’une pertinence particulière plus loin dans les présents motifs, sont assimilés à une telle œuvre les tableaux, les programmes d’ordinateur et les compilations d’œuvres littéraires. Cependant, aux fins de la présente question, le point important est le terme « originale » dans la définition de « toute œuvre littéraire, dramatique, musicale ou artistique originale ». La Cour suprême du Canada a défini comme suit le terme « originale » dans son arrêt CCH :

[16]      J’arrive à la conclusion que la juste interprétation se situe entre ces deux extrêmes. Pour être « originale » au sens de la Loi sur le droit d’auteur, une œuvre doit être davantage qu’une copie d’une autre œuvre. Point n’est besoin toutefois qu’elle soit créative, c’est-à-dire novatrice ou unique. L’élément essentiel à la protection de l’expression d’une idée par le droit d’auteur est l’exercice du talent et du jugement. J’entends par talent le recours aux connaissances personnelles, à une aptitude acquise ou à une compétence issue de l’expérience pour produire l’œuvre. J’entends par jugement la faculté de discernement ou la capacité de se faire une opinion ou de procéder à une évaluation en comparant différentes options possibles pour produire l’œuvre. Cet exercice du talent et du jugement implique nécessairement un effort intellectuel. L’exercice du talent et du jugement que requiert la production de l’œuvre ne doit pas être négligeable au point de pouvoir être assimilé à une entreprise purement mécanique. Par exemple, tout talent ou jugement que pourrait requérir la seule modification de la police de caractères d’une œuvre pour en créer une « autre » serait trop négligeable pour justifier la protection que le droit d’auteur accorde à une œuvre « originale ».

[46]           Donc, l’originalité exige un exercice non négligeable de talent et de jugement dans la production d’une œuvre, et une œuvre constituant une simple copie d’une autre œuvre ne sera pas considérée comme originale sauf si cette condition est remplie. Il s’agit par conséquent ici de savoir si le fait de rebaptiser CIRYS les logiciels précédemment désignés GTMS et Gemstone Travel Management Systems, soit une opération ne consistant en réalité qu’à changer le nom du logiciel ou le titre de l’œuvre, constitue l’exercice de talent et de jugement nécessaire pour rendre originale l’œuvre rebaptisée.

[47]           Cependant, je conclus de l’examen de cette question qu’il n’est pas nécessaire pour la Cour de la trancher dans la présente instance, au motif que la réponse qu’on lui donnerait serait ici sans conséquences. M. Andrews ne soutient pas, selon mon interprétation, qu’il ait contribué au choix des divers noms du logiciel actuellement désigné CIRYS. Par conséquent, l’étude des points de savoir s’il est l’un des auteurs des logiciels considérés, s’il est l’un des titulaires du droit d’auteur y afférent et s’il possède des droits moraux sur ces logiciels – soit l’ensemble des questions qui seront maintenant examinées dans les présents motifs – ne dépend pas du point de savoir si les œuvres en cause, c’est‑à‑dire les logiciels considérés protégeables par le droit d’auteur, sont au nombre de deux ou de quatre.

C.                 La qualité d’auteur, la titularité et les droits moraux

1)         La thèse du demandeur

[48]           M. Andrews affirme avoir fourni [TRADUCTION] « le contexte et le contenu » par lesquels la plate-forme Uni‑Engine a reçu les données essentielles à sa fonctionnalité. Il déclare dans son affidavit qu’il a commencé à travailler avec M. Xu sur les logiciels considérés en janvier 2013 et que, au départ de cette collaboration, la plate-forme Uni‑Engine ne possédait pas de fonctionnalité sectorielle, mais que, au début du printemps de la même année, grâce seulement à son travail et à celui de M. Xu, GTMS avait acquis une fonctionnalité suffisante pour être introduit en milieu réel. Toujours selon ses déclarations, lui-même et M. Xu ont dirigé le prélancement de GTMS en mai 2013, et il a joué le rôle principal dans les présentations offertes aux clients au cours de ce mois et dans au moins deux autres. M. Andrews précise que l’exploitation génératrice de produits des logiciels considérés a commencé le 16 septembre 2013 et que, jusqu’à cette période, lui et M. Xu étaient les seuls membres de l’équipe de développement de ces logiciels.

[49]           M. Andrews affirme avoir contribué au développement des logiciels considérés à tel point qu’il est avec M. Xu coauteur des logiciels CIRYS, GTMS et Gemstones Travel Management Systems, et cotitulaire du droit d’auteur y afférent. Il avance de même qu’il est avec M. Xu coauteur de FIFO, et que lui-même, sa société Applecross et M. Xu sont cotitulaires du droit d’auteur sur ce logiciel. La position de M. Andrews selon laquelle Applecross partage la titularité du droit d’auteur sur FIFO découle du fait que cette entité logicielle a été développée plus tard (à compter d’avril 2014 jusqu’à sa viabilité commerciale, atteinte en juin 2015, selon l’affidavit de M. McHale) et que sa relation avec les sociétés Gemstone a pris la forme, à partir de juillet 2014, d’un accord de consultation avec Applecross. Sa revendication de droits moraux sur les logiciels considérés découle de sa qualité supposée d’auteur.

2)         La thèse des défendeurs

[50]           Selon les défendeurs, M. Xu est le seul auteur des logiciels considérés. La qualité d’auteur, font‑ils valoir, exige la création d’une œuvre originale et, pour se voir reconnaître cette qualité, M. Andrews doit prouver qu’il a créé l’œuvre en collaboration avec M. Xu. Les défendeurs rappellent que les logiciels considérés, étant des programmes d’ordinateur, entrent dans la définition de l’expression « œuvre littéraire » que donne l’article 2 de la Loi et que l’expression « programme d’ordinateur » est elle-même définie au même article dans les termes suivants :

programme d’ordinateur Ensemble d’instructions ou d’énoncés destiné, quelle que soit la façon dont ils sont exprimés, fixés, incorporés ou emmagasinés, à être utilisé directement ou indirectement dans un ordinateur en vue d’un résultat particulier.

computer program means a set of instructions or statements, expressed, fixed, embodied or stored in any manner, that is to be used directly or indirectly in a computer in order to bring about a specific result;

[51]           Les défendeurs soutiennent que l’« [e]nsemble d’instructions ou d’énoncés » dont parle la définition de « programme d’ordinateur » est créé et exprimé au moyen d’un code conçu et écrit en vue d’un résultat particulier, c’est‑à‑dire que l’auteur du programme d’ordinateur est la personne qui en a écrit le code.

[52]           Il est acquis aux débats, font observer les défendeurs, que M. Xu a effectué le développement et est l’auteur de la plate-forme Uni‑Engine, la base à partir de laquelle les logiciels considérés ont été développés. S’appuyant sur les éléments relatifs aux titres de compétence de M. Xu en matière d’architecture et de conception de logiciels, ils ajoutent que la preuve établit que celui‑ci a élaboré et écrit le code source des logiciels considérés, et qu’il a assumé la responsabilité et la supervision d’ensemble de ce code source.

[53]           La contribution intellectuelle de M. Andrews aux logiciels considérés a été par contre limitée, poursuivent les défendeurs, et ne comprenait aucune activité qu’on puisse attribuer à un auteur. Pour ce qui concerne le développement et le codage des logiciels considérés, selon eux, M. Andrews a simplement réuni certains éléments d’information qu’il a présentés à M. Xu, qui les a analysés afin d’établir lesquels seraient utiles et quel en serait le meilleur usage avant d’écrire le code pour mettre en œuvre toutes modifications nécessaires. Par conséquent, raisonnent les défendeurs, M. Xu est le seul auteur, et le code est dû à l’exercice de son talent et de son jugement, à l’application de son expérience et à son travail.

3)         Les présomptions législatives

[54]           Avant d’aborder l’examen de la preuve relative à ces questions, je note que, selon M. Andrews, ses allégations sont étayées par des présomptions législatives. Ces présomptions se trouvent formulées aux articles 34.1 et 53 de la Loi, dont voici le texte :

34.1 (1) Dans toute procédure civile engagée en vertu de la présente loi où le défendeur conteste l’existence du droit d’auteur ou la qualité du demandeur :

34.1 (1) In any civil proceedings taken under this Act in which the defendant puts in issue either the existence of the copyright or the title of the plaintiff to it,

a) l’œuvre, la prestation, l’enregistrement sonore ou le signal de communication, selon le cas, est, jusqu’à preuve contraire, présumé être protégé par le droit d’auteur;

(a) copyright shall be presumed, unless the contrary is proved, to subsist in the work, performer’s performance, sound recording or communication signal, as the case may be; and

b) l’auteur, l’artiste-interprète, le producteur ou le radiodiffuseur, selon le cas, est, jusqu’à preuve contraire, réputé être titulaire de ce droit d’auteur.

(Non souligné dans l’original)

(b) the author, performer, maker or broadcaster, as the case may be, shall, unless the contrary is proved, be presumed to be the owner of the copyright. (Emphasis added)

53 (1) Le registre des droits d’auteur, de même que la copie d’inscriptions faites dans ce registre, certifiée conforme par le commissaire aux brevets, le registraire des droits d’auteur ou tout membre du personnel du Bureau du droit d’auteur, fait foi de son contenu.

53 (1) The Register of Copyrights is evidence of the particulars entered in it, and a copy of an entry in the Register is evidence of the particulars of the entry if it is certified by the Commissioner of Patents, the Registrar of Copyrights or an officer, clerk or employee of the Copyright Office as a true copy.

(2) Le certificat d’enregistrement du droit d’auteur constitue la preuve de l’existence du droit d’auteur et du fait que la personne figurant à l’enregistrement en est le titulaire.

(2) A certificate of registration of copyright is evidence that the copyright subsists and that the person registered is the owner of the copyright.

(2.1) Le certificat d’enregistrement de la cession d’un droit d’auteur constitue la preuve que le droit qui y est inscrit a été cédé et que le cessionnaire figurant à l’enregistrement en est le titulaire.

(2.1) A certificate of registration of an assignment of copyright is evidence that the right recorded on the certificate has been assigned and that the assignee registered is the owner of that.

(2.2) Le certificat d’enregistrement de la licence accordant un intérêt dans un droit d’auteur constitue la preuve que l’intérêt qui y est inscrit a été concédé par licence et que le titulaire de la licence figurant au certificat d’enregistrement détient cet intérêt.

(2.2) A certificate of registration of a licence granting an interest in a copyright is evidence that the interest recorded on the certificate has been granted and that the licensee registered is the holder of that interest.

(3) Les copies certifiées conformes et les certificats censés être délivrés selon les paragraphes (1) ou (2) sont admissibles en preuve sans qu’il soit nécessaire de prouver l’authenticité de la signature qui y est apposée ou la qualité officielle du signataire.

(Non souligné dans l’original.)

(3) A certified copy or certificate appearing to have been issued under this section is admissible in all courts without proof of the signature or official character of the person appearing to have signed it.

(Emphasis added)

[55]           Les défendeurs ont renvoyé la Cour à l’analyse que donne de l’application de ces présomptions la Cour supérieure de justice de l’Ontario dans sa décision Close Up International Ltd c 1444953 Ontario Ltd (2006), 151 ACWS (3d) 513 (Prot. Ont.) [Close Up]. La décision Close Up concerne une présomption différente, celle qu’établit le paragraphe 53(2.2) de la Loi; l’analyse en est exposée comme suit au paragraphe 17 de cette décision :

[TRADUCTION] 17 […] Cependant, ainsi que le rappelle la décision 955105 Ontario Inc. c. Video 99 (1993), 48 C.P.R. (3d) 204 (C.O.D.G.) : « Aucune preuve de la qualité du demandeur n’est exigée pour l’enregistrement. Le Bureau du droit d’auteur n’assume aucune responsabilité à l’égard de la véridicité des faits affirmés dans la demande d’enregistrement et n’effectue aucun examen indépendant de ces faits. » Le demandeur à une action qui présente un certificat d’enregistrement « a produit une certaine preuve au soutien de son action », mais un tribunal ne retiendra ce certificat comme preuve d’un tel droit qu’« en l’absence de toute preuve contradictoire ». Dans la présente instance, la demanderesse a produit les accords mêmes sur lesquels se fonde la revendication d’un intérêt afférent au droit d’auteur, ce qui constitue évidemment la meilleure preuve. J’ai conclu de l’examen de ces documents, comme je le disais plus haut, qu’aucune des sociétés ontariennes ne s’est vu céder d’intérêt afférent au droit d’auteur sur les films considérés. (Non souligné dans l’original.)

[56]           J’estime que cette analyse s’applique tout autant à la présomption établie par le paragraphe 53(2) de la Loi, relevée plus haut, selon laquelle la personne figurant à l’enregistrement est le titulaire du droit d’auteur. S’il est vrai que M. Andrews a droit au bénéfice de cette présomption, du fait des certificats d’enregistrement qu’il a annexés à son affidavit, la Cour ne devrait considérer ces documents comme preuve de sa titularité du droit d’auteur sur les logiciels considérés que jusqu’à preuve contradictoire.

[57]           Ma conclusion est que les enregistrements obtenus par M. Andrews n’aident pas la Cour à établir, dans la présente espèce, qui est titulaire du droit d’auteur. J’examinerai la preuve relative à cette question de manière plus détaillée ci‑dessous. Qu’il me suffise pour l’instant, aux fins de l’examen de la question de la présomption, de faire observer que les défendeurs ont produit des éléments de preuve contredisant la titularité que les certificats d’enregistrement attribuent à M. Andrews.

[58]           Selon la preuve de M. Xu, c’est lui-même, et seulement lui, qui a écrit le code des logiciels considérés, et M. Andrews n’a joué aucun rôle dans cette opération. M. Xu détaille comme suit la participation de M. Andrews au développement des logiciels considérés : il a recueilli auprès des clients les renseignements nécessaires, c’est‑à‑dire les noms complets et dates de naissance de leurs employés et fournisseurs de services; il a introduit ces renseignements dans un tableur; il a coordonné la formation du personnel, des fournisseurs de services, des clients et des groupes d’utilisateurs associés; il a assuré l’implantation des logiciels considérés; il a fait en sorte que des présentations et des outils soient offerts aux clients, et coordonné la communication des réactions de ceux‑ci aux maquettes d’états; et il a mis en œuvre des stratégies pour contribuer au règlement des difficultés relatives aux clients.

[59]           M. Xu reconnaît que M. Andrews le conseillait à l’occasion touchant des questions soulevées ou des suggestions faites par les utilisateurs licenciés du logiciel CIRYS, mais il ajoute que c’est lui-même qui, dans ces cas, examinait les questions ou évaluait les suggestions et décidait s’il y avait lieu de modifier le code. Lorsqu’il décidait qu’une modification était justifiée, M. Xu écrivait le code nécessaire. Il explique que les seules révisions que M. Andrews pourrait avoir effectuées relativement aux logiciels considérés ne pouvaient être que des révisions du tableur, qui contenait les renseignements sur les utilisateurs à introduire dans ces logiciels. Il se peut, ajoute M. Xu, que M. Andrews ait remanié ou reclassé les renseignements sur les utilisateurs, ou modifié leur présentation, mais il n’a apporté aucune révision au code.

[60]           La présente instance exige l’examen de la signification juridique de la qualité d’auteur dans le contexte des programmes d’ordinateur, dont je m’acquitterai plus loin. Cependant, aux fins de la question qui nous occupe maintenant, j’estime la preuve de M. Xu suffisante pour réfuter la présomption législative établie par le paragraphe 53(2) de la Loi, de sorte que la Cour doit prononcer sur la qualité d’auteur et la titularité du droit d’auteur en se fondant sur la totalité de la preuve produite.

[61]           Il est à noter que l’autre présomption relevée plus haut, celle qu’établit l’alinéa 34.1(1)b) de la Loi, a été examinée dans la décision Samsonite Canada Inc c. Costco Wholesale Corp (1993), 62 FTR 278 (1re inst.), où la Section de première instance de la Cour fédérale a formulé la conclusion suivante :

[TRADUCTION] Le protonotaire adjoint Peter Giles est arrivé à sa décision en se fondant à l’évidence sur l’opinion que la défenderesse n’avait connaissance d’aucun fait qui lui aurait permis de réfuter la présomption de titularité des droits d’auteur en litige, présomption qui dans la présente espèce joue en faveur de la demanderesse du fait du certificat d’enregistrement délivré à son nom. La jurisprudence considère cette présomption comme suffisante pour établir la titularité d’un droit d’auteur en l’absence de preuve démontrant la qualité de titulaire d’une autre personne. (Voir Circle Film Enterprises Inc. c. CBC (1959), 31 C.P.R. 57, [1959] R.C.S. 602; et Blue Crest Music Inc. et al. c. Canusa Records Inc. et al., 17 C.P.R. (2d) 149.) (Non souligné dans l’original.)

[62]           Bien que ce passage semble donner à penser que la présomption de l’alinéa 34.1(1)b) s’applique de la même manière que celle du paragraphe 53(2), je ferais observer que le libellé de l’alinéa 34.1(1)b), qui assimile l’auteur de l’œuvre au titulaire du droit d’auteur y afférent, établit à première vue une présomption plus forte, qui n’est surmontée que par la preuve du contraire, et non pas seulement par la production d’une preuve contradictoire. Cependant, quelle que soit la bonne interprétation de l’application de cette présomption, elle n’a pour effet que d’attribuer la titularité du droit d’auteur à l’auteur de l’œuvre; elle n’aide pas la Cour à répondre à la question portée en fait devant elle, qui est celle de savoir si M. Andrews possède réellement la qualité d’auteur.

[63]           Je reprendrai maintenant l’examen de la preuve sur la question de la qualité d’auteur.

4)         La preuve

[64]           Comme je le disais plus haut, aucun élément de la preuve par affidavit n’a été mis en question par voie de contre-interrogatoire, et, en général, je ne vois pas de contradictions importantes entre la preuve du demandeur et celle des défendeurs. Voyons d’abord la preuve de ces derniers. Selon son affidavit, M. Xu compte 20 ans d’expérience dans le secteur de l’architecture et de la conception des logiciels, où il a travaillé comme ingénieur d’études, ingénieur de terrain, chercheur, architecte de logiciels et réalisateur principal de logiciels. C’est M. Xu qui a développé la plate-forme Uni‑Engine et qui en est l’auteur. Selon ses déclarations et celles de M. McHale, il a entamé avec ce dernier en mai 2012 ou à peu près des discussions sur la possibilité d’utiliser la plate-forme Uni‑Engine comme base pour le développement d’une solution logicielle qui, selon le vœu de M. McHale, fournirait des outils de planification de voyages et de réservation de chambres propres à simplifier la gestion des voyages et de l’hébergement, et à permettre aux clients de réserver des vols nolisés et des chambres dans des camps au moyen d’une plate-forme unique et intégrée. À la suite de ces discussions, les deux interlocuteurs ont convenu que M. Xu serait chargé de développer un logiciel de cette nature.

[65]           M. McHale déclare dans son affidavit que cet accord a donné lieu à la signature, le 14 décembre 2012, de deux contrats entre GTSMI et Draxware Solutions, annexés en pièces jointes audit affidavit : 1) un contrat cadre de licence de logiciel (le contrat de licence), portant sur l’utilisation de la plate-forme Uni‑Engine comme base pour le logiciel qui devait être développé pour GTMSI ou Logistics; 2) un contrat de maintenance, de soutien et de développement (le contrat de développement), concernant le développement, ainsi que la maintenance et le soutien permanents, du logiciel en question par Draxware Solutions. Le contrat de développement portait que tout logiciel développé en exécution de ses stipulations serait la propriété de GTMSI. Ajoutons, bien que le fait ne soit pas particulièrement important aux fins qui nous occupent, que ces contrats ont été modifiés en février 2014, et que la société à numéro, Draxware et M. Xu y ont alors été ajoutés comme parties.

[66]           Selon la preuve des défendeurs, le logiciel CIRYS avait atteint le stade opérationnel au printemps 2013, mais n’est devenu commercialement viable qu’en juin ou juillet de la même année, une fois achevé le codage du module [TRADUCTION] « enregistrement des voyageurs » (encore que n’ait été produit devant la Cour aucun élément de preuve expliquant exactement en quoi consistait ce module). En outre, la preuve des défendeurs décrit le développement du logiciel FIFO, qu’elle définit comme une déclinaison de CIRYS destinée aux clients qui n’utilisent pas un système tiers de géodistribution. Le développement de FIFO a commencé en avril 2014, en réponse à la demande d’un client éventuel de Logistics. Cependant, celui‑ci a en fin de compte décidé de ne pas acquérir de licence d’utilisation, et le développement de FIFO n’a pas dépassé le stade des essais à cette époque. Toujours selon les défendeurs, Logistics a commencé à utiliser certains éléments de FIFO à l’interne en juillet 2014 ou à peu près, et, à la suite de négociations entre cette société et un autre client éventuel, FIFO est devenu commercialement viable comme système autonome en juin 2015.

[67]           M. Xu déclare aussi dans son affidavit qu’il a demandé à l’Office de la propriété intellectuelle du Canada, le 23 juillet 2014, l’enregistrement du droit d’auteur sur le logiciel CIRYS sous le titre GTMS et que, par suite, GTMSI (encore que sa raison sociale fût amputée du mot « Inc. ») s’est trouvée inscrite comme le titulaire du droit d’auteur sur le logiciel GTMS, et lui-même comme l’auteur unique de celui‑ci. Il fait référence à cet enregistrement de droit d’auteur comme étant annexé à l’affidavit de M. McHale.

[68]           Cette preuve – non contestée à ce qu’il semble – établit que selon l’accord conclu entre les sociétés Gemstone, d’une part, et d’autre part M. Xu, Draxware et Draxware Solutions, c’est à GTMSI que devaient revenir les droits de propriété intellectuelle afférents aux résultats du travail de développement par M. Xu des logiciels considérés. Le différend entre les parties à la présente instance a pour objet le point de savoir si toutes contributions apportées au développement des logiciels considérés par M. Andrews et/ou sa société Applecross étayent l’affirmation par le demandeur de sa qualité d’auteur, de sa titularité du droit d’auteur et de ses droits moraux.

[69]           Pour ce qui concerne la relation des sociétés Gemstone avec M. Andrews, ici encore – exception faite du contrat verbal supposé, que j’examinerai plus loin dans les présents motifs –, la chronologie contractuelle ne paraît pas contestée. M. McHale a annexé en pièces jointes à son affidavit un certain nombre d’accords conclus avec M. Andrews et/ou Applecross. On trouve parmi ces pièces quatre lettres d’accord signées par Logistics et M. Andrews :

A.                un accord daté du 21 décembre 2012 et signé par M. Andrews le 11 janvier 2013, portant sur son emploi de courte durée chez Logistics au poste d’adjoint administratif du président, à compter du 3 novembre 2012;

B.                 un accord daté du 12 mars 2013 et signé par M. Andrews le 18 du même mois, portant sur son emploi de longue durée chez Logistics au poste d’adjoint administratif du président;

C.                 un accord daté du 19 juin 2013 et signé par M. Andrews à la même date, portant sur son emploi chez Logistics au poste de chef de projet;

D.                un accord daté du 21 novembre 2013 et signé par M. Andrews le lendemain, le 22 novembre, portant sur son emploi au poste de directeur général de Gemstone Travel Management Systems; je note que cet accord est signé par Logistics, mais précise bien que le poste de directeur général attribué à M. Andrews est chez Gemstone Travel Management Systems.

[70]           On trouve aussi en pièces annexées à l’affidavit de M. McHale une lettre de Logistics à M. Andrews, datée du 21 juillet 2014, qui met fin à l’emploi du demandeur dans cette société à compter du 6 juillet 2014 en prévision de la conclusion d’une nouvelle entente, cette fois de fourniture de services, ainsi que les deux accords suivants relatifs à cette entente :

A.                un accord de services de consultation daté du 7 juillet 2014 (l’accord de consultation) entre Logistics, M. Andrews et Applecross, selon lequel cette dernière fournirait à Logistics des services de consultation;

B.                 un accord de confidentialité et d’attribution des inventions daté du 25 juillet 2014 (l’accord de confidentialité) entre Logistics, M. Andrews et Applecross.

[71]           Enfin, les pièces annexées à l’affidavit de M. McHale comprennent une lettre en date du 15 septembre 2014 adressée par Logistics à Applecross et à M. Andrews, qui mettait fin à l’accord de consultation, et un accord de décharge signé par Applecross et M. Andrews le 2 octobre 2014 (la décharge). J’examinerai plus loin dans les présents motifs les modalités de ces accords auxquels Applecross était partie, dans la mesure pertinente aux fins de ma décision.

[72]           Les lettres d’accord portant sur les divers postes de M. Andrews dans les sociétés Gemstone sont muettes sur ses fonctions et attributions. M. McHale déclare dans son affidavit que les fonctions de M. Andrews étaient respectivement les suivantes :

A.                Adjoint administratif du président. – Fournir l’aide administrative demandée; aider à la création et à la mise en œuvre de documents de commercialisation; répondre aux besoins de déplacements personnels du président; et contribuer à d’autres tâches commerciales à la demande du président.

B.                 Chef de projet. – Contribuer à la commercialisation, au lancement et à l’implantation de CIRYS; former les clients et les employés des sociétés Gemstone à l’utilisation de CIRYS; rendre compte aux clients des résultats des données recueillies par CIRYS; et communiquer les réactions des clients à l’équipe de développement (qui, selon l’affidavit de M. McHale, comprenait M. Xu et deux autres personnes embauchées respectivement en février et en avril 2014).

C.                 Directeur général. – Sous la direction immédiate du président : communiquer avec l’équipe de développement touchant toutes suggestions ou réactions; mettre en œuvre des stratégies de contribution au règlement des problèmes des clients; contrôler la qualité de tous les rapports, présentations et outils de formation; gérer l’implantation de CIRYS comme produit fini; établir, évaluer et réviser les procédures opérationnelles au besoin; veiller à ce que les chefs de service soient pleinement informés des objectifs opérationnels de la société; tenir régulièrement des réunions avec les chefs de service pour établir les priorités et assurer la coordination; et faciliter le règlement des problèmes interservices.

[73]           M. Andrews soutient qu’aucun de ces éléments de preuve de M. McHale n’est corroboré par les documents contractuels. Cependant, la preuve de M. McHale n’a pas été mise en question par voie de contre-interrogatoire, et l’on ne discerne aucune contradiction entre la preuve documentaire et les descriptions qu’il donne des divers postes occupés par M. Andrews. Je remarque également que les sortes de fonctions décrites par M. McHale cadrent avec les services expressément énumérés dans l’accord de consultation que M. Andrews a conclu avec Logistics après la cessation de son emploi de directeur général.

[74]           Les défendeurs invoquent ces descriptions de tâches au soutien de leur thèse que M. Andrews n’a pas été embauché pour contribuer au développement des logiciels considérés. Fait assez révélateur, M. Andrews a convenu à l’audience de la présente demande ne pas avoir été embauché pour participer à ce développement. Cette déclaration me paraît destinée à étayer sa position selon laquelle sa contribution au développement des logiciels considérés n’a pas été faite dans l’exercice de son emploi, de sorte que le paragraphe 13(3) de la Loi n’a pas pour effet de conférer la titularité du droit d’auteur à son employeur. J’examinerai cet argument plus loin dans les présents motifs. Cependant, aux fins actuelles d’appréciation de la preuve, je ne vois aucune raison de rejeter les déclarations de M. McHale concernant les fonctions et attributions de M. Andrews. Ce point ne me paraît pas particulièrement important toutefois, la question substantielle n’étant pas de savoir ce que M. Andrews a été embauché pour faire, mais ce qu’il a fait en réalité.

[75]           À ce propos, je note que l’affidavit de M. Andrews est notablement avare de détails concernant sa contribution aux logiciels considérés. Les principales déclarations que j’ai relevées à cet égard dans le corps de l’affidavit vont dans le sens suivant :

A.                M. Andrews a apporté une contribution intellectuelle à la conception, au schéma de montage, à la fonctionnalité et à l’expression d’ensemble des logiciels considérés.

B.                 Lorsqu’il a commencé à travailler avec M. Xu en janvier 2013, la plate-forme Uni‑Engine n’avait pas de fonctionnalité sectorielle.

C.                 Au début du printemps 2013, par suite du seul travail accompli par M. Xu et lui-même, le logiciel GTMS disposait d’une fonctionnalité suffisante pour être introduit en milieu réel.

D.                Le 1er mai 2013 ou vers cette date, lui et M. Xu ont dirigé le prélancement de GTMS pour les processus de réservation de vols nolisés et d’enregistrement de voyageurs sur ces vols.

E.                 Le 3 mai 2013, M. Andrews a présenté un vaste tour d’horizon du logiciel GTMS à plusieurs cadres d’une entreprise cliente.

F.                  Il a fait au moins deux autres présentations aux cadres de cette entreprise.

[76]           J’analyserai un peu plus loin le droit relatif à la définition de la qualité d’auteur dans le contexte du développement de logiciels. Qu’il me suffise pour l’instant de noter que la preuve contenue dans le corps de l’affidavit de M. Andrews consiste en affirmations générales, insuffisamment détaillées pour permettre de conclure à sa qualité d’auteur, et en l’exposé d’activités qui représentent des contributions à la commercialisation des logiciels considérés, mais n’en concernent nullement la paternité.

[77]           On trouve des renseignements un peu plus détaillés dans l’une des pièces annexées à l’affidavit de M. Andrews, soit un courriel daté du 27 mars 2015 et adressé à Me Richard Stobbe, que le demandeur présente comme un avocat travaillant pour certaines des sociétés Gemstone. Ce courriel répondait à une lettre où Me Stobbe contestait les enregistrements récents de droit d’auteur faits par M. Andrews, et son affirmation de droits, concernant les logiciels considérés. Au paragraphe 12 de son courriel du 27 mars 2015, dont le contenu a été débattu à l’audience de la présente demande, M. Andrews décrit comme suit sa contribution aux logiciels considérés :

A.                la création et l’enregistrement de tout le contenu sectoriel : calculs, organisation, structure, fonctions de signalisation, tableaux, renvois et instructions globales, c’est‑à‑dire la réalisation de l’ensemble de la fonctionnalité et de l’exploitabilité sectorielles;

B.                 la résolution des problèmes fondamentaux relatifs à la manière dont les réservations faites au moyen du système Sabre pouvaient être importées dans le nouveau logiciel sans les frais additionnels liés aux changements et/ou aux annulations;

C.                 l’élaboration d’un plan de cabine validant tous les éléments de la programmation des vols, de l’inventaire des aéronefs et de la gestion des réservations;

D.                l’examen de la manière dont les inventaires de chambres de camp et les états correspondants pouvaient être intégrés dans le nouveau logiciel à partir des systèmes logiciels existants;

E.                 la création d’un système de réservation de chambres et de gestion des stocks complètement indépendant;

F.                  l’élaboration de tous les algorithmes de renvoi et règles nécessaires pour coordonner les réservations de chambres de camp avec les réservations de vols.

[78]           Comme elle se compose simplement de déclarations faites par M. Andrews à Me Stobbe en mars 2015 concernant la manière dont il aurait contribué aux logiciels considérés, cette preuve est plutôt faible. Le demandeur n’a pas déclaré dans son affidavit qu’il eût fait ces contributions. Cependant, je crois comprendre d’après les conclusions formulées par l’avocat de M. McHale à l’audience que ce dernier ne nie pas tant ces contributions qu’il ne soutient qu’elles ne suffisent pas à établir la qualité d’auteur des logiciels considérés. Je souscris à cette position. Même si l’on considère les affirmations formulées par M. Andrews au paragraphe 12 de son affidavit comme des éléments tendant à prouver les contributions qu’il a faites, j’arrive à la conclusion, motivée ci‑dessous, qu’il n’a pas établi la qualité d’auteur dont il se prétend revêtu.

5)         La définition juridique de la qualité d’auteur d’un programme d’ordinateur

[79]           Si je comprends bien leur position, les défendeurs soutiennent en fait que, s’agissant de cette sorte d’« œuvre littéraire » qu’est un programme d’ordinateur, l’auteur est la personne qui en a écrit le code. Si je souscrivais sans réserve à cette proposition, je devrais automatiquement rejeter la demande de M. Andrews, puisque sa revendication de la titularité découle de sa prétention à la qualité d’auteur et que la preuve paraît établir sans ambiguïté qu’il n’a en rien contribué à l’écriture du code des logiciels considérés. Cependant, je ne suis pas disposé à prononcer une conclusion aussi catégorique.

[80]           Les défendeurs invoquent une décision anglaise, rendue par la Chambre de la Chancellerie à la Haute Cour de justice : Fylde Microsystems Ltd c. Key Radio Systems Ltd, [1998] FSR 449 (CCR‑U)) [Fylde]. La défenderesse à cette instance, comme moyen de défense contre l’allégation de violation du droit d’auteur sur le logiciel contenu dans des cartes de circuits imprimés fournies par la demanderesse, faisait valoir que, si les employées de cette dernière avaient écrit entièrement ce logiciel, elle-même avait mis en œuvre talent, temps et efforts pour faire en sorte que ledit logiciel fonctionnât comme il le faisait. Les employés de la défenderesse avaient établi les spécifications du logiciel, signalé les erreurs et les bogues, fait des suggestions concernant les causes de certains défauts et fourni l’information technique relative au matériel avec lequel le logiciel devait fonctionner. Par conséquent, raisonnait la défenderesse, la paternité du logiciel était conjointe, et elle était cotitulaire du droit d’auteur y afférent.

[81]           La Haute Cour, après avoir examiné la nature et la qualité des éléments nécessaires pour établir la paternité conjointe d’un programme d’ordinateur, a conclu qu’il faut se demander si l’auteur supposé a apporté la contribution de talent et de travail de la nature requise et, dans l’affirmative, si cette contribution était quantitativement suffisante. Elle a noté que la qualité d’auteur peut dépasser l’acte mécanique de créer le texte du code pour s’étendre à l’élaboration de la structure du programme et des caractéristiques nominales. La Haute Cour a cependant conclu que, bien que la contribution de la défenderesse eût été considérable et techniquement complexe, lui eût pris beaucoup de temps et se fût révélée très précieuse pour la demanderesse, elle n’avait pas nécessité la sorte de talent et de travail dont dépend la paternité ou qualité d’auteur.

[82]           La décision Fylde a été examinée dans une autre décision anglaise – Cyprotex Discovery Limited c. the University of Sheffield [2003] EWHC 760 (CTB), conf. par [2004] EWCA Civ 380 [Cyprotex] –, rendue par la Cour de la technologie et du bâtiment (Chambre du Banc de la Reine à la Haute Cour de justice). La Cour a formulé au paragraphe 78 de cette décision les observations suivantes touchant la sorte particulière de talent et de travail que protège le droit d’auteur :

[TRADUCTION] 78.       […] L’objet de la protection est le talent et le travail que comporte l’effort artistique ou technique qu’a exigé la création de l’œuvre. La protection du droit d’auteur se rapporte donc au processus de la création de l’œuvre, et non aux idées qui y entrent ni à la fonctionnalité ou au produit final qui en résulte. Par conséquent, s’agissant de programmes d’ordinateur, l’objet protégeable est constitué par les codes qu’écrit le programmeur, y compris la conception et la structure du programme.

[83]           Dans cette affaire, la défenderesse soutenait être coauteur, avec la demanderesse, du programme d’ordinateur en cause, au motif qu’un membre de son équipe y avait apporté des contributions, notamment la conception d’algorithmes et de bases de données fournies à la demanderesse, et la communication à celle‑ci d’un exposé détaillé de ce que devaient être le contenu et les paramètres du programme. Appliquant en cela la décision Fylde, la Cour a conclu au paragraphe 84 que ces contributions ne constituaient pas le travail d’un auteur.

[84]           Les défendeurs ont aussi renvoyé notre Cour à l’arrêt Ashton-Tate Corporation c. Richard Ross et al., 916 F.2d 516 (9th Cir 1990), rendu par la Cour d’appel des États‑Unis pour le neuvième circuit, au soutien de la thèse que, pour être un auteur, il faut faire plus que fournir simplement une orientation ou des idées : il faut fixer une idée dans une expression tangible protégeable par le droit d’auteur.

[85]           Je suis conscient de la prudence dont il faut faire preuve lorsqu’on veut s’appuyer sur une jurisprudence étrangère. Il est manifestement établi en droit canadien que l’auteur d’une œuvre protégeable par le droit d’auteur est la personne qui a exercé le talent et le jugement dont a résulté l’expression de l’œuvre sous forme matérielle; voir New Brunswick Telephone Co c. John Maryon International Ltd (1982), 141 DLR (3d) 193 (CAN-B). La décision Delrina Corp c. Triolet Systems Inc, [1993] 47 CPR (3d) 1 (Div. gén. Ont.), à la page 41, conf. par (2002), 17 CPR (4th) 289 (CA) [Delrina], expose dans les termes suivants la règle voulant que ce soit l’expression qui forme l’objet de la protection :

[TRADUCTION] 5. Le droit d’auteur ne protège pas « un agencement, un système, un schéma, une méthode, une procédure, un procédé, un concept, un principe ou une découverte, mais seulement l’expression originale qu’en donne un auteur. Par conséquent, selon l’opinion admise en matière de droit d’auteur, celui‑ci peut protéger une expression particulière d’un algorithme mathématique ou autre procédure destinée à résoudre un problème ou à obtenir un certain résultat, sous forme d’ensembles d’instructions ou d’énoncés, mais pas l’algorithme mathématique ou autre procédure en soi. » (Sookman, Computer Law, page 3‑96.)

[86]           La Cour d’appel de l’Ontario a aussi examiné dans Delrina la distinction entre les idées et leur expression, et l’interprétation que donne de cette distinction la jurisprudence américaine :

[TRADUCTION]

[32]      Ces aspects se rapportent tous, de diverses manières, à ce que Carolian affirme être l’application erronée par le juge de première instance du terme « originale » dans le contexte du droit d’auteur, plus précisément à son argument selon lequel le juge de première instance n’aurait pas tenu compte du fait que Sysview remplissait le critère de l’originalité sous le régime de la Loi sur le droit d’auteur. Cette erreur, selon l’allégation de Carolian, résulte du fait que ledit juge s’est appuyé sur une jurisprudence américaine, plutôt que sur des précédents canadiens et anglais.

[33] C’est une caractéristique fondamentale du droit d’auteur dans les trois pays de ne protéger que l’expression originale, et non l’idée sous-jacente à l’expression. On a souvent cité les observations suivantes formulées par le protonotaire Thorson à la page 203 de Moreau c. St. Vincent, [1950] R.C.E. 198, 12 C.P.R. 32 :

C’est […] un principe élémentaire du droit d’auteur que celui‑ci ne protège pas les idées, mais seulement leur expression. Le droit d’auteur ne donne pas à l’auteur le monopole sur l’utilisation des idées qu’il manie ni aucun droit de propriété sur elles, même si elles sont originales. Le droit d’auteur se limite à l’œuvre littéraire dans laquelle il les a exprimées. Les idées sont propriété publique, l’œuvre littéraire lui appartient en propre. N’importe qui peut librement adopter et utiliser les idées, mais personne ne peut reproduire son œuvre littéraire sans son consentement.

[34] S’il est vrai que la dichotomie idée/expression est une caractéristique commune du droit d’auteur dans les trois pays, on a observé qu’elle est appliquée avec une plus grande rigueur aux États‑Unis, avec pour effet d’accroître la part perçue de l’idée dans l’œuvre et, inversement, de réduire celle de l’expression. Il en résulte une diminution de la portée de la protection par le droit d’auteur. Le caractère plus large attribué à la protection que confère les droits anglais et canadien repose sur une certaine reconnaissance du talent et du travail qu’a exigés la création de l’œuvre :

Si le droit d’auteur anglo-canadien accorde aussi une grande importance à la distinction idée/expression, il n’applique pas ce principe avec la même rigueur. Les tribunaux canadiens et britanniques se sont en effet montrés disposés à s’écarter de ce principe et à accorder la protection du droit d’auteur sur le fondement du talent et du travail mis dans la création de l’œuvre. Ces écarts n’ont pas été sans entraîner une certaine tension doctrinale. En choisissant de protéger le talent et le travail, les tribunaux britanniques et canadiens ont en fait accordé un certain degré de protection aux idées.

Michael F. Morgan, « Canadian Copyright and Computer Software: Back to the Future? » (1995), 12 C.I.P.R. 162, pages 173 et 174.

[35] Il se peut que cette différence existe dans les droits respectifs des trois pays, mais il est néanmoins reconnu en droit anglo-canadien que la non-protection des idées a pour conséquence l’absence de droit d’auteur sur tout agencement, système, schéma, méthode ou procédé. Sookman cite plusieurs décisions anglaises et canadiennes à l’appui de cette proposition à la page 3‑151 (note de bas de page 644.117) de Computer, Internet, and Electronic Commerce Law, Toronto, Carswell, 1991.

[36] Je renvoie aussi le lecteur à l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce (l’Accord sur les ADPIC) de l’Organisation mondiale du commerce (l’OMC), incorporé dans le droit canadien par L.C. 1994, ch. 47, art. 8. L’article 9.2 de cet accord est ainsi libellé : « La protection du droit d’auteur s’étendra aux expressions et non aux idées, procédures, méthodes de fonctionnement ou concepts mathématiques en tant que tels » (non souligné dans l’original). Les termes que j’ai soulignés illustrent la catégorie d’objets qui, d’après cette source autorisée, échappe à la protection du droit d’auteur; voir Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd (2000), 10 C.P.R. (4th) 65 (C.A.F.), à la page 84.

[87]           Même si l’on admet que la dichotomie expression/idées peut recevoir en droit américain une application différente de celle qui a cours dans les droits canadien et anglais, cette dichotomie existe de toute évidence en droit d’auteur canadien, et l’on n’a porté à mon attention aucune jurisprudence canadienne selon laquelle je ne devrais pas m’appuyer sur la manière dont elle est exprimée ou appliquée dans Fylde ou Cyprotex.

[88]           Pour revenir aux éléments de preuve que contient le paragraphe 12 du courriel du 27 mars 2015, où M. Andrews décrit ses contributions aux logiciels considérés, je ne puis conclure que ces contributions représentent un exercice de talent et de jugement de la nature nécessaire pour faire du demandeur un auteur. M. Andrews n’a guère détaillé ces contributions devant la Cour, pas plus qu’il n’a produit d’éléments de preuve relatifs aux liens entre elles et leur expression possible dans les logiciels considérés. Ces contributions paraissent se ranger dans la catégorie des idées, méthodes, procédures, algorithmes et apports assimilés, qui, de si grande valeur qu’ils puissent être, ne relèvent pas du genre d’effort intellectuel protégé par le droit d’auteur, et ressemblent à bien des égards aux contributions qui, selon Fylde et Cyprotex, ne mettaient pas en œuvre la sorte de talent et de jugement nécessaire pour établir la qualité d’auteur. La charge pesant sur M. Andrews de prouver le bien-fondé de sa revendication de la qualité d’auteur, je conclus, en l’absence d’une preuve plus détaillée, qu’il ne s’est pas acquitté de cette charge.

6)         L’effet des accords

[89]           Comme j’ai conclu que M. Andrews n’est pas un auteur des logiciels considérés et qu’il n’en est donc pas le coauteur avec M. Xu comme il le soutient, il doit être débouté de sa demande, puisque ses revendications de titularité aussi bien que de droits moraux se fondent sur sa qualité d’auteur supposée. Il n’est donc pas nécessaire d’examiner les effets contractuels des divers accords conclus entre les parties, sur aucun desquels M. Andrews ne s’appuie pour revendiquer la titularité. Cependant, par souci d’analyse complète, j’examinerai les effets que ces accords auraient sur sa demande dans le cas où il aurait pu établir sa qualité d’auteur.

[90]           Pour ce qui concerne d’abord les quatre lettres d’accord relatives aux emplois successifs de M. Andrews, j’estime que leur effet est déterminé par l’application du paragraphe 13(3) de la Loi, dont le passage pertinent est libellé comme suit :

(3) Lorsque l’auteur est employé par une autre personne en vertu d’un contrat de louage de service ou d’apprentissage, et que l’œuvre est exécutée dans l’exercice de cet emploi, l’employeur est, à moins de stipulation contraire, le premier titulaire du droit d’auteur; … .

(3) Where the author of a work was in the employment of some other person under a contract of service or apprenticeship and the work was made in the course of his employment by that person, the person by whom the author was employed shall, in the absence of any agreement to the contrary, be the first owner of the copyright … .

[91]           Si la contribution de M. Andrews aux logiciels considérés lui avait valu la qualité d’auteur, le paragraphe 13(3) aurait conféré la titularité du droit d’auteur à son employeur, c’est‑à‑dire Logistics, ou peut-être GTMSI pour ce qui concerne son poste de directeur général. Je note que, selon M. Andrews, ses relations d’emploi et contractuelles ont en tout temps été seulement avec Logistics. Cependant, je n’estime pas important le point de savoir si sa relation d’emploi, s’agissant du poste de directeur général, était avec Logistics ou GTMSI. Dans l’un ou l’autre cas, le paragraphe 13(3) aurait pour effet qu’il ne serait pas titulaire du droit d’auteur et ne serait donc pas fondé à former une plainte en violation du droit d’auteur.

[92]           J’ai tenu compte, dans l’analyse qui m’a mené à cette conclusion, de l’argument de M. Andrews comme quoi ce n’est pas dans l’exercice de son emploi qu’il a fait aux logiciels considérés les contributions sur lesquelles il fonde sa demande. Il a certainement apporté ces contributions pendant qu’il était employé par les sociétés Gemstone, ou pendant la durée de son accord de consultation, que j’examinerai plus loin. Cependant, je note que M. Andrews fait aussi valoir l’existence d’un contrat verbal, résultant d’un entretien avec M. McHale en date du 17 septembre 2013. J’ai donc examiné le point de savoir si la preuve relative à ce contrat supposé justifierait la conclusion que, en même temps qu’il était employé par les sociétés Gemstone, M. Andrews contribuait au développement des logiciels considérés dans le cadre d’une relation contractuelle distincte de sa situation de salarié.

[93]           M. Andrews déclare dans son affidavit que, le 17 septembre 2013 ou vers cette date, il a eu un entretien avec M. McHale concernant les premiers jours du lancement générateur de produits du logiciel GTMS. M. McHale, au dire du demandeur, a alors reconnu ses importantes contributions au succès des logiciels considérés et le fait que tout accord commercial qu’il conclurait directement avec Draxware serait un résultat immédiat de la collaboration professionnelle de M. Andrews avec M. Xu dans le développement de ces logiciels. M. Andrews ajoute dans son affidavit que M. McHale lui a verbalement garanti qu’il lui donnerait une participation dans les accords commerciaux qui seraient conclus entre les sociétés de ce dernier et Draxware.

[94]           M. Andrews, au soutien de ses déclarations, a annexé à son affidavit un courriel en date du 22 août 2014 adressé par lui à M. McHale, où il fait référence à l’entretien susdit de septembre 2013. Le demandeur y rappelle à M. McHale que ce dernier lui a dit en septembre que s’il pouvait l’aider à conclure un accord commercial direct entre Gemstone et Draxware, il en serait récompensé par une participation dans cet accord. M. Andrews a aussi annexé à son affidavit la transcription d’un enregistrement fait par lui d’un entretien qu’il avait eu avec M. McHale le 5 septembre 2014, où il décrit en termes semblables l’entretien de septembre 2013, disant : [TRADUCTION] « Vous étiez assis dans ce fauteuil même et vous m’avez dit : "Si vous pouvez m’aider à décrocher un accord avec l’Uni‑Engine, je vous donnerai un droit sur les résultats de cet accord." »

[95]           Comme toute réclamation fondée sur ce contrat verbal supposé échappe à la compétence de notre Cour, je ne formulerai aucune conclusion sur la preuve ou les allégations relatives à ce sujet, sinon pour constater que cette preuve n’établit pas que M. Andrews ait contribué au développement des logiciels considérés dans le cadre d’une relation contractuelle distincte de sa situation de salarié. Premièrement, la chronologie milite contre la thèse de M. Andrews : l’entretien dont découle selon lui le contrat verbal a eu lieu en septembre 2013, alors qu’il déclare avoir commencé à travailler avec M. Xu sur les logiciels considérés en janvier de la même année. Deuxièmement, dans la preuve documentaire qu’il a produite au soutien de l’existence du contrat verbal supposé de septembre 2013, M. Andrews parle de ce contrat comme lui garantissant une récompense pour l’arrangement d’un accord commercial avec Draxware, et non pour sa contribution au développement des logiciels considérés.

[96]           Je ne vois aucun motif de souscrire à l’argument de M. Andrews selon lequel il aurait contribué au développement des logiciels considérés hors de l’exercice de son emploi. Par conséquent, même si j’avais conclu que ses contributions étaient de nature à lui valoir la qualité d’auteur, le paragraphe 13(3) de la Loi aurait pour effet de conférer la titularité du droit d’auteur à son employeur, l’une des sociétés Gemstone.

[97]           Les défendeurs font aussi valoir que l’accord de confidentialité en date du 25 juillet 2014 conclu par Logistics avec M. Andrews et Applecross stipulait, premièrement, que toutes inventions (catégorie définie comme comprenant les logiciels et autres objets du droit d’auteur) élaborées par le demandeur ou sa société pendant la durée de cet accord ou dans les deux années suivantes seraient la propriété exclusive de Logistics ou de l’une de ses sociétés affiliées, et deuxièmement, que M. Andrews et Applecross renonçaient à tous droits moraux sur de telles inventions.

[98]           Je souscris à cette interprétation de l’accord de confidentialité et conclus qu’il a pour effet d’interdire à M. Andrews tout recours en violation du droit d’auteur ou de droits moraux afférents au travail accompli durant la relation de consultation qui a pris naissance en juillet 2014. Au moment des plaidoiries, la société à numéro a admis que l’accord de confidentialité ne comporte pas expressément d’effet rétroactif, mais en ajoutant que cet accord peut être considéré comme représentatif de l’intention fondamentale des parties concernant l’attribution des droits de propriété intellectuelle tout au long de leur relation. S’il est vrai que cadre avec mes conclusions la proposition des défendeurs selon laquelle la titularité du droit d’auteur sur les logiciels considérés appartient à l’une des sociétés Gemstone à quelque étape de la relation des parties qu’ils aient été développés, je n’étaye pas ces conclusions sur l’accord de confidentialité, au motif que celui‑ci se limite manifestement à la relation de consultation qui a commencé en juillet 2014.

[99]           Je ne souscris pas non plus à l’argument des défendeurs comme quoi la décharge signée par Applecross et M. Andrews le 2 octobre 2014 aurait pour effet de lui interdire de faire valoir la violation de droits de propriété intellectuelle. Le passage pertinent de cette décharge est son article premier :

[TRADUCTION] [Applecross et M. Andrews], par les présentes, déchargent, libèrent et dispensent définitivement et solidairement Gemstone Workforce Logistics Inc. (ci‑après désignée « Gemstone »), ses dirigeants, administrateurs, actionnaires, employés et mandataires, ainsi que ses filiales et autres sociétés apparentées, de toutes actions, causes et causes d’action, réclamations, poursuites, dettes, contributions, obligations financières, dépenses et demandes d’indemnisation, de quelque nature qu’elles soient, qu’elles relèvent du droit, de l’equity, d’un contrat ou d’un statut, y compris, mais non exclusivement, de tout recours fondé sur tout statut, notamment, mais non exclusivement, l’Alberta Business Corporations Act, l’Alberta Human Rights Act et l’Employment Standards Code, ainsi que de toute réclamation relative à la résiliation de l’accord de services de consultation entre Gemstone, d’une part, et Applecross et Andrews, d’autre part, ayant pris effet le 7 juillet 2014 (ci‑après désigné l’« Accord de services de consultation »), de même que de tout grief ou réclamation qu’Andrews, en tant qu’employé, administrateur, dirigeant ou actionnaire de Gemstone, a jamais eu, a maintenant ou pourrait avoir à l’avenir contre Gemstone, pour tout motif ou à l’égard de tout objet existant jusqu’à la date du présent accord de décharge inclusivement, en raison, par suite ou à propos de la résiliation de l’Accord de services de consultation ou de la révocation d’Andrews comme administrateur de Gemstone. (Non souligné dans l’original.)

[100]       Les passages soulignés dans cette citation le sont dans le mémoire des faits et du droit de la société à numéro, qui vise par là, d’après ce que je crois comprendre, à étayer un argument relatif à la portée de la décharge, laquelle s’appliquerait à tous griefs éventuels d’Applecross ou de M. Andrews découlant de l’emploi de celui‑ci ou de l’accord de consultation. Selon mon interprétation, cet argument veut que les termes qui suivent le titre « Employment Standards Code » soient seulement des exemples des types de réclamations ou de griefs visés par les formules générales qui précèdent ce titre et, en particulier, que la stipulation restrictive formulée à la fin de l’article – « pour tout motif ou à l’égard de tout objet existant jusqu’à la date du présent accord de décharge inclusivement, en raison, par suite ou à propos de la résiliation de l’Accord de services de consultation ou de la révocation d’Andrews comme administrateur de Gemstone » – n’entame pas la généralité de ces formules.

[101]       Soit dit en tout respect, j’estime que c’est là une interprétation forcée du libellé de la décharge. S’il est vrai que l’article premier est constitué par une très longue phrase, le libellé par ailleurs général de cet article me paraît restreint par ses dernières lignes. Accepter l’interprétation des défendeurs reviendrait à conclure que la généralité de la formulation n’admet aucune restriction temporelle, de sorte que la décharge s’appliquerait même à des réclamations ou griefs découlant d’événements futurs. En revanche, l’interprétation appliquant la stipulation restrictive à l’ensemble de l’article a pour effet de limiter temporellement les griefs ou réclamations visés par la décharge à ceux qui se rapportent à « tout motif ou […] tout objet existant jusqu’à la date du présent accord de décharge inclusivement ».

[102]       À mon sens, cette interprétation est conforme à la fois au libellé de la décharge et aux principes de saine gestion commerciale; voir les paragraphes 85 à 87 de l’arrêt Offshore Interiors Inc c. Harry Sargeant III et al., 2015 CAF 46, où la Cour d’appel fédérale a examiné les principes applicables d’interprétation contractuelle. Il suit de cette interprétation que la dernière partie de l’article, « en raison, par suite ou à propos de la résiliation de l’Accord de services de consultation ou de la révocation d’Andrews comme administrateur de Gemstone », a aussi pour effet de restreindre la généralité de la décharge. Donc les griefs ou réclamations éventuels visés par celle‑ci sont ceux de M. Andrews ou d’Applecross contre Gemstone (au sens défini par la décharge) qui se rapportent à la résiliation de l’accord de consultation ou à la révocation du demandeur comme administrateur. Par conséquent, je conclus que la décharge ne s’applique pas aux allégations de violation du droit d’auteur ou de droits moraux qui forment le contenu de la présente demande.

7)         Les droits moraux

[103]       Enfin, avant d’achever l’examen de la question des droits de M. Andrews sur les logiciels considérés, j’ajouterai une brève observation sur sa revendication de droits moraux y afférents, à savoir que, comme le paragraphe 14.1(1) de la Loi confère de tels droits à l’auteur de l’œuvre, ma conclusion selon laquelle le demandeur n’a pas qualité d’auteur de ces logiciels a pour conséquence qu’il n’est en rien fondé à revendiquer sur eux des droits moraux.

D.                 La violation du droit d’auteur ou des droits moraux

[104]       Comme j’ai conclu que M. Andrews n’est titulaire ni du droit d’auteur ni de droits moraux sur les logiciels considérés, il n’est pas nécessaire que j’examine la question de la violation de ces droits. Cependant, dans le cas où je serais tenu de prononcer sur cette question, je constaterais que, à mon sens, la preuve produite par M. Andrews ne suffit pas à établir la violation.

[105]       Le paragraphe 27(1) de la Loi dispose que constitue une violation du droit d’auteur l’accomplissement, sans le consentement du titulaire de ce droit, d’un acte qu’en vertu de la Loi seul ce titulaire a la faculté d’accomplir. On lit par ailleurs au paragraphe 3(1) de la Loi que le droit d’auteur sur l’œuvre comporte le droit exclusif de produire ou reproduire la totalité ou une partie importante de l’œuvre, sous une forme matérielle quelconque, ainsi que, s’agissant d’un programme d’ordinateur, le droit exclusif de louer un tel programme qui peut être reproduit dans le cadre normal de son utilisation, sauf la reproduction effectuée pendant son exécution avec un ordinateur ou autre machine ou appareil.

[106]       La preuve de M. Andrews parle de l’utilisation à des fins commerciales qu’ont faite les défendeurs des logiciels considérés, mais ne propose que très peu de détails sur cette utilisation. L’utilisation commerciale des logiciels considérés aurait évidemment pu constituer une violation si j’avais reconnu à M. Andrews la titularité d’un droit d’auteur y afférent, mais il aurait été très difficile de tirer une telle conclusion de la preuve au dossier dont dispose la Cour.

[107]       Pour ce qui concerne les droits moraux, qui, aux termes du paragraphe 14.1(1) de la Loi, se rapportent à l’intégrité de l’œuvre, la Haute Cour de justice de l’Ontario les a définis, dans Snow c. Eaton Centre Ltd (1982), 70 CPR (2d) 105, comme la faculté d’empêcher toute déformation, mutilation ou autre modification de l’œuvre qui porterait préjudice à l’honneur ou à la réputation de son auteur. Cette signification de la violation du droit de l’auteur à l’intégrité de son œuvre se trouve maintenant exprimée au paragraphe 28.2(1) de la Loi. Dans la présente espèce, même si j’avais conclu que M. Andrews possède des droits moraux sur les logiciels considérés, il resterait qu’il n’a produit aucun élément de preuve propre à établir que les défendeurs aient modifié ou déformé ces logiciels de sorte à en compromettre l’intégrité et à violer ainsi de tels droits.

[108]       Comme je ne vois aucun motif de conclure à une quelconque violation en faveur de M. Andrews, il n’est pas nécessaire que j’examine le point de savoir si M. McHale aurait été personnellement responsable envers le demandeur des actes de la société à numéro ou des autres sociétés Gemstone.

E.                  Les mesures de réparation

[109]       N’ayant pas établi de cause d’action contre les défendeurs, M. Andrews n’a droit à aucune des mesures de réparation qu’il a sollicitées. Je dois cependant examiner la demande de réparation, formulée par les défendeurs aussi bien dans leurs conclusions écrites qu’à l’audience de la présente instance, tendant à obtenir la radiation du registre des droits d’auteur des quatre enregistrements faits par M. Andrews. Le mémoire des faits et du droit de la société à numéro prie aussi la Cour, encore que ce point n’ait pas été repris à l’audience, de rendre une ordonnance déclarant M. Xu seul auteur des logiciels considérés, GTMSI seul titulaire du droit d’auteur y afférent, et valable l’enregistrement de droit d’auteur sur les logiciels considérés fait par GTMSI.

[110]       La Cour fédérale a compétence pour radier, modifier ou rectifier une inscription au registre des droits d’auteur, en vertu de l’alinéa 20(1)b) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F‑7, et du paragraphe 57(4) de la Loi, lequel est ainsi libellé :

(4) La Cour fédérale peut, sur demande du registraire des droits d’auteur ou de toute personne intéressée, ordonner la rectification d’un enregistrement de droit d’auteur effectué en vertu de la présente loi :

(4) The Federal Court may, on application of the Registrar of Copyrights or of any interested person, order the rectification of the Register of Copyrights by

a) soit en y faisant une inscription qui a été omise du registre par erreur;

(a) the making of any entry wrongly omitted to be made in the Register,

b) soit en radiant une inscription qui a été faite par erreur ou est restée dans le registre par erreur;

(b) the expunging of any entry wrongly made in or remaining on the Register, or

c) soit en corrigeant une erreur ou un défaut dans le registre.

(c) the correction of any error or defect in the Register,

Pareille rectification du registre a effet rétroactif à compter de la date que peut déterminer la Cour.

and any rectification of the Register under this subsection shall be retroactive from such date as the Court may order.

[111]       J’ai soulevé à l’audience de la présente instance la question de savoir si la Cour a compétence pour prononcer la réparation sollicitée par les défendeurs, alors que la demande dont elle se trouve saisie est une instance introduite par M. Andrews comme recours en violation de ses droits supposés de propriété intellectuelle, et non une demande des défendeurs tendant à obtenir la radiation de son enregistrement. Aucune des parties n’a proposé à la Cour de jurisprudence relative à cette question. Cependant, les défendeurs font valoir qu’ils auraient retardé l’audience de la présente demande en déposant une demande reconventionnelle afin d’invoquer plus explicitement la compétence de la Cour pour prononcer les mesures de réparation qu’ils sollicitent. Les questions à trancher par la Cour relativement à ces mesures, raisonnent-ils, sont les mêmes que celles mises en litige par la demande de M. Andrews, de sorte que l’absence d’une demande reconventionnelle en bonne et due forme ne lui porte pas préjudice.

[112]       Même si je comprends bien les arguments des défendeurs fondés sur l’économie des ressources judiciaires que permet la formation d’une demande de radiation dans le cadre de la présente instance, il reste que les considérations d’économie ne confèrent pas de compétence à la Cour. Je conclus donc que, les défendeurs n’ayant pas introduit une demande de radiation en bonne et due forme, la Cour n’a pas compétence, sous le régime du paragraphe 57(4) de la Loi, pour prononcer cette mesure de réparation.

[113]       Je rejette également la demande des défendeurs tendant à obtenir une ordonnance qui déclare M. Xu seul auteur des logiciels considérés, GTMSI seul titulaire du droit d’auteur y afférent, et valable l’enregistrement fait par elle de ce droit. Je n’ai tiré ici que les conclusions nécessaires pour trancher, entre les parties, les questions que soulève la présente demande relative aux droits de M. Andrews. Or ces questions n’exigent pas de la Cour les conclusions qui seraient nécessaires pour fonder la réparation sollicitée par les défendeurs.

VI.             Les dépens

[114]       Les défendeurs ont formulé à l’audience leur position sur les dépens pour le cas où ils obtiendraient gain de cause dans la contestation de la présente demande. Ayant déclaré avoir établi un mémoire informel de dépens basé sur le tarif, selon lequel les dépens s’élevaient à 80 000 $, l’avocat de M. McHale a demandé, pour le compte des deux défendeurs, une somme globale de 70 000 $ au titre de ce qu’il a appelé les dépens avocat-client. Au soutien de cette réclamation de dépens élevés, il a invoqué en particulier ce qu’il a défini comme les allégations de fraude non étayées et non prouvées que contient l’affidavit de M. Andrews. Il avance en outre que la Cour devrait accorder aux défendeurs le supplément d’honoraires de 50 % que prévoit l’article 14b) du tarif pour les services d’un second avocat.

[115]       Les deux parties ont signalé l’existence d’offres de transaction qui pourraient influer sur les dépens, mais je leur ai ordonné de ne faire aucune communication à la Cour concernant de telles offres avant qu’elle n’ait prononcé sur le fond de la demande (voir l’article 422 des Règles).

[116]       Je ne suis pas disposé à accorder aux défendeurs la somme globale qu’ils demandent en se fondant sur un mémoire informel de dépens qui n’a pas pour l’instant été présenté à la Cour. Cependant les défendeurs ont raison de dire que l’affidavit de M. Andrews contient un bon nombre d’allégations attribuant à M. McHale des déclarations, entreprises et activités frauduleuses, ainsi que de la malhonnêteté. Les défendeurs m’ont convaincu que ces allégations non prouvées de M. Andrews militent en faveur de l’adjudication de dépens élevés. En conséquence, j’accorde aux défendeurs des dépens qui, sous réserve de toutes directives découlant de l’examen des offres de transaction (comme je l’explique plus loin), seront à taxer selon le milieu de la colonne IV du tarif. J’accorde aussi aux défendeurs le supplément d’honoraires de 50 % que prévoit l’article 14b) du tarif pour les services d’un second avocat, en considération du travail nécessaire pour répondre aux requêtes de M. Andrews qui ont été débattues à l’audience de la présente demande.

[117]       Comme chacune des parties a signalé l’existence d’offres de transaction susceptibles d’influer sur les dépens, mon ordonnance sur ceux‑ci autorisera chacune d’elles à demander à la Cour en vertu de l’article 403 des Règles, par avis à signifier et déposer dans les 30 jours suivant la date du présent jugement, de donner à l’officier taxateur des directives concernant l’effet des offres de transaction sur ma décision relative aux dépens. Si aucune requête de cette nature n’est formée, les dépens seront taxés conformément au paragraphe précédent des présents motifs.


JUGEMENT

LA COUR STATUE comme suit :

1.                  La requête du demandeur fondée sur l’article 312 des Règles est rejetée, avec dépens de 1 000 $ en faveur des défendeurs, quelle que soit l’issue de la cause.

2.                  La requête du demandeur tendant à faire exclure l’affidavit signé par M. Thomas McHale le 3 juillet 2015 est rejetée, avec dépens de 1 000 $ en faveur des défendeurs, quelle que soit l’issue de la cause.

3.                  La requête du demandeur tendant à faire exclure l’affidavit signé par M. Jianfei Xu le 15 juillet 2015 est accueillie en partie, sans dépens, et les passages suivants sont radiés de cet affidavit :

a.                   Les mots suivants du paragraphe 25 : [TRADUCTION] « ou d’autre manière l’auteur, le coauteur ».

b.                  Les phrases suivantes du paragraphe 26 : [TRADUCTION] « Graham Andrews n’est ni l’auteur ou un coauteur du logiciel CIRYS, ni le titulaire ou un cotitulaire du droit d’auteur y afférent. De même, Applecross n’est ni le titulaire ni un cotitulaire du droit d’auteur sur ce logiciel. »

c.                   Les paragraphes 27, 32 et 33.

4.                  La présente application est rejetée.

5.                  Les défendeurs ont droit à des dépens à taxer selon les directives suivantes :

a)                  sous réserve de toutes directives découlant de l’examen d’offres de transaction, les dépens seront taxés selon le milieu de la colonne IV du tarif;

b)                  est accordé aux défendeurs le supplément d’honoraires de 50 % que prévoit l’article 14b) du tarif pour les services d’un second avocat;

c)                  chacune des parties est autorisée à demander à la Cour en vertu de l’article 403 des Règles, par avis de requête à signifier et déposer dans les 30 jours suivant la date du présent jugement, de donner à l’officier taxateur des directives concernant l’effet des offres de transaction sur la présente décision relative aux dépens.

« Richard F. Southcott »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑832‑15

INTITULÉ :

GRAHAM MCKENZIE ANDREWS c. THOMAS HILARY MCHALE ET AL.

LIEU DE L’AUDIENCE :

EDMONTON (ALBERTA)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 13 AVRIL 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE southcott

DATE DES MOTIFS :

LE 3 JUIN 2016

COMPARUTIONS :

Graham Andrews

POUR LE DEMANDEUR

(non représenté)

Frank Tosto

Loni da Costa

Neil Kathol

Laura MacFarlane

POUR LES DÉFENDEURS

(pour Thomas Hilary McHale)

(pour 1625531 Alberta Ltd)

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Frank Tosto

Loni da Costa

Borden Ladner Gervais, s.r.l.

Calgary (Alberta)

POUR LES DÉFENDEURS

(pour Thomas Hilary McHale)

Neil Kathol

Laura MacFarlane

Field Law, s.r.l.

Calgary (Alberta)

POUR LES DÉFENDEURS

(pour 1625531 Alberta Ltd)

 

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