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Date : 20160609


Dossier : T-1478-15

Référence : 2016 CF 651

[TRADUCTION FRANÇAISE]

ENTRE :

JANSSEN INC.

demanderesse

et

CELLTRION HEALTHCARE CO., LTD ET LE MINISTRE DE LA SANTÉ

défendeurs

et

KENNEDY TRUST FOR RHEUMATOLOGY RESEARCH

défenderesse brevetée

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE HUGHES

[1]               C’est en vertu des dispositions du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133 (Règlement ADC), que la demanderesse Janssen Inc. (Janssen) sollicite une ordonnance qui interdit au ministre de la Santé de délivrer un avis de conformité à la défenderesse Celltrion Healthcare avant l’expiration des lettres patentes canadiennes numéro 2 261 630 (le brevet 630). Les présents motifs sont plus succincts que ceux que j’aurais voulu présenter, car ils devaient être rendus avant le 10 juin 2016.

[2]               Plus précisément, l’affaire dont je suis saisi résulte d’une requête déposée par Celltrion en vertu de l’alinéa 6(5)b) du Règlement ADC auprès du protonotaire Aalto de notre Cour demandant le rejet de la présente demande au motif que celle-ci serait inutile, scandaleuse, frivole ou vexatoire ou constitue autrement, à l’égard du brevet 630, un abus de procédure. Le 10 mai 2016, le protonotaire a rendu une ordonnance et publié ses motifs, qui ont été modifiés le 26 mai 2016. Cette ordonnance se lit comme suit :

1.         La requête est accueillie et la présente demande est radiée.

2.         L’ordonnance est suspendue pendant 30 jours à compter de la date de l’ordonnance.

3.         Celltrion a droit aux dépens pour la présente requête et la présente instance. Sauf si les parties parviennent à s’entendre, Celltrion déposera ses observations sur les coûts en se limitant à trois pages à doubles interlignes et fera également parvenir une ébauche du mémoire des dépens dans un délai de 15 jours suivant l’expiration de la suspension. Janssen soumettra ses observations en se limitant à trois pages à doubles interlignes dans les 10 jours suivants. Celltrion aura 10 jours pour soumettre ses observations en réponse en se limitant à une page à doubles interlignes.

[3]               L’affaire dont je suis saisi prend la forme de plusieurs requêtes, lesquelles sont :

1.      L’appel interjeté par Janssen, concernant la partie de l’ordonnance du protonotaire portant sur la requête de Celltrion et la radiation de la demande;

2.      La requête de Janssen visant à faire changer le texte du paragraphe 2 de l’ordonnance du protonotaire comme suit [traduction] : « La présente ordonnance n’entrera en vigueur que lorsque tous les recours auront été épuisés et que la présente ordonnance sera devenue définitive. »

[4]               Celltrion a de plus déposé une requête visant à permettre l’insertion d’un deuxième affidavit par Bon Joong Kim dans le dossier. Il est difficile de dire si cet affidavit ne se trouve pas déjà dans le dossier. Le protonotaire ne s’est pas chargé de cette question. Je me suis adressé aux avocats des parties pour leur dire que je ne voyais pas la nécessité de traiter cette dernière requête, et ils m’ont donné raison.

[5]               De plus, à la fin des observations présentées par les avocats lors de l’audience que j’ai présidée, un des avocats de Celltrion s’est levé et a demandé que je rende certaines ordonnances pour suspendre ou retarder l’application des ordonnances que je rendrais en l’espèce avec des conditions, dont certaines étaient floues. J’ai dit alors que je n’entendrais pas une telle requête, car elle aurait dû avoir été soumise au préalable par écrit, à l’instar de toutes les autres requêtes, et non pas soulevée au moment où les présentations étaient terminées.

I.                   Contexte

[6]               Afin de contextualiser la présente instance, surtout en ce qui concerne les questions d’entrée en vigueur, certains faits sont nécessaires.

[7]               Le brevet 630 a été délivré le 4 décembre 2012 à la suite d’une demande déposée auprès du Bureau des brevets, la date de dépôt applicable étant le 1er août 1997. Le brevet 630 expire vingt ans après la date de dépôt applicable, c’est-à-dire le 1er août 2017, soit dans quelque treize mois et demi.

[8]               Celltrion a reçu du ministre de la Santé le 15 janvier 2014 un avis de conformité pour vendre le médicament au Canada qu’elle appelle INFLECTRA (ingrédient actif appelé infliximab) pour le traitement de certains maux, notamment la polyarthrite rhumatoïde, la spondylarthrite ankylosante, la polyarthrite psoriasique et le psoriasis en plaques (collectivement, les indications pour les maladies rhumatismales). Celltrion a déposé sa demande d’avis de conformité le 14 novembre 2012, c’est-à-dire avant même la délivrance du brevet 630, ce qui signifie que Celltrion ne devait pas traiter ce brevet, car il est impossible que Janssen ait inscrit à ce moment-là le brevet en application du Règlement ADC.

[9]               Janssen a ensuite intenté une poursuite contre Celltrion prétextant la contrefaçon du brevet 630. Celltrion nie cette contrefaçon et conteste la validité du brevet. L’action en contrefaçon doit être entendue par notre Cour le 12 septembre de cette année, soit dans trois mois environ.

[10]           Celltrion, dont la demande d’avis de conformité remonte au 14 novembre 2012, sollicite un avis qui n’inclut pas seulement les indications pour les maladies rhumatismales, lesquelles ont été approuvées, mais également celles pour le traitement de diverses formes de maladie inflammatoire chronique de l’intestin (MICI), notamment la maladie de Crohn, la maladie de Crohn fistulisante et la colite ulcéreuse (les indications pour les MICI). Les indications pour les MICI ne sont pas approuvées lors de la demande originale de Celltrion. C’est pourquoi Celltrion dépose une autre demande au milieu de 2015 auprès du ministre de la Santé pour solliciter l’approbation de l’indication de l’INFLECTRA dans le traitement des MICI, que Celltrion appelle parfois les indications de supplément à une présentation de drogue nouvelle (SPDN). Entre-temps, le brevet 630 est accordé et Janssen le fait inscrire au registre selon les dispositions du Règlement ADC. Il s’ensuit que Celltrion doit tenir compte du brevet 630 en vertu de ce même Règlement. Concernant ses indications pour les MICI, Celltrion fait parvenir à Janssen un avis d’allégation aux environs du 20 juillet 2015, entraînant les procédures en l’espèce avec le dépôt d’un avis de conformité par Janssen le 2 septembre 2015.

[11]           La gestion de l’instance en l’espèce est assurée par le protonotaire Aalto. Si ce dernier a demandé à Celltrion de produire certains documents, il reste que les parties n’ont déposé aucun autre élément de preuve qui puisse servir à l’instruction.

[12]           Le 23 novembre 2015, Celltrion a présenté une requête en vertu de l’alinéa 6(5)b) du Règlement ADC pour demander le rejet de la requête de Janssen en l’espèce. Elle a déposé à l’appui de sa requête des affidavits de MM. Bon Joong Kim, Stephen Sullivan et de Mme Kelsie Edwards. Janssen s’est opposé à la requête et a demandé dans son mémoire des faits et du droit le rejet de cette requête et toute autre ordonnance que la Cour estime juste. On peut y lire :

[traduction
110.     Celltrion ne s’est pas acquitté de sa tâche, soit d’établir la certitude qu’elle aurait gain de cause, et Janssen, aucune chance, concernant toutes les questions de droit et de fait. C’est pourquoi Janssen demande en toute déférence ce qui suit : a) une ordonnance rejetant la requête de Celltrion, dont les dépens et tous les frais seraient payables sans délai selon le tarif de la colonne V; b) toute autre ordonnance que l’honorable Cour estimera juste.

[13]           Janssen a contre-interrogé les déposants Kim et Sullivan et a déposé l’affidavit de M. Donald Elrich et ceux de Mesdames Janet Pope et Jane P. Costas, les trois ayant été contre‑interrogés.

[14]           Le juge chargé de la gestion de l’instance, le protonotaire Aalto, a entendu la requête le 17 février 2016 et a rendu son ordonnance avec motifs le 10 mai 2016, motifs modifiés le 26 mai 2016, tel que susdit.

[15]           Les avocats conviennent qu’en aucun temps, que ce soit durant l’audience présidée par le protonotaire Aalto ou non, aucune des parties ni le protonotaire n’ont soulevé la question d’accorder un sursis, quelle qu’en soit l’ordonnance. La question n’a été ni soulevée ni abordée.

[16]           Je vais maintenant passer aux requêtes dont je suis saisi.

II.                Requête de Janssen interjetant appel de l’ordonnance du protonotaire ayant rejeté la demande

[17]           Le protonotaire a rejeté la demande de Janssen visant à interdire l’ordonnance rendue en application du Règlement ADC dans son intégralité. Janssen veut, par le présent appel, faire annuler cette ordonnance.

[18]           Le paragraphe 6(5) du Règlement ADC prévoit que « la Cour » peut rejeter une demande; autrement dit, tant un protonotaire qu’un juge peuvent entendre une telle requête et rendre une décision. En l’espèce, un protonotaire s’en est chargé. Même si la façon d’entendre un appel visant à annuler l’ordonnance ou le jugement d’un protonotaire repose sur une vaste jurisprudence, il est évident que, pour les affaires comme la présente dans lesquelles une ordonnance met fin au litige, surtout lorsqu’il s’agissait principalement d’une question de droit, le juge entendant l’appel doit aborder l’affaire de novo. Le juge Stratas de la Cour d’appel fédérale a abordé cette question dans Bayer Inc. v. Fresenius Kabi Canada Ltd., 2016 CAF 13, surtout aux paragraphes 6 et 7 :

[traduction
[6]       Housen ferait autorité ici si le présent appel n’était pas en fait un appel en vertu de l’article 51 des Règles, car selon cet article, la norme de révision n’est pas la même. Il est possible de modifier un jugement de la Cour fédérale lorsque la Cour fédérale n’a pas de motif à s’opposer à la décision du protonotaire ou, en l’absence de tels motifs, lorsque la décision de la Cour fédérale était mal fondée ou qu’elle était manifestement erronée; voir Z.I. Pompey Industrie c. ECU-Line N.V., 2003 CSC 27, [2003] 1 R.C.S. 450, paragraphe 18, qui cite la décision de notre Cour dans l’affaire Jian Sheng Co. c. Great Tempo S.A., [1998] 3 C.F. 418 (C.A.), du juge Décary, pages 427-428. En l’espèce, lorsque la Cour fédérale a entendu l’appel de la décision du protonotaire en vertu de l’article 51 des Règles, elle a recouru à la norme de contrôle utilisée dans l’affaire Aqua-Gem et non la norme de contrôle de l’arrêt Housen, soit la norme d’appel habituelle.

[7]J’ai laissé entendre précédemment que certaines normes de contrôle sont devenues obsolètes et que c’est la norme de contrôle générale à appliquer en matière d’appels en procédure civile : voir Apotex Inc. c. Bristol-Myers Squibb Company, 2011 CAF 34, 91 CPR (4th) 307, paragraphes 6 à 9. En plus des motifs présentés dans cette affaire, je souligne que l’arrêt Housen est postérieur à l’arrêt Aqua-Gem et voulait établir, à ses conditions, la norme de contrôle en matière d’appels en procédure civile : voir Imperial Manufacturing Group Inc. c. Decor Grates Incorporated, 2015 CAF 100, paragraphe 22. En ce qui concerne la formulation de la norme de contrôle énoncée subséquemment par la Cour suprême dans l’arrêt Pompey, précité, elle semble avoir été adoptée par la Cour suprême dans l’arrêt plus récent Hryniak c. Mauldin, 2014 CSC 7, [2014] 1 RCS 87. Dans cette affaire, la Cour suprême invite les tribunaux à prendre des mesures pour rendre les procédures plus simples et plus accessibles. Nous appliquons cette politique dans toute notre jurisprudence en matière de norme de contrôle en visant la simplification et l’unification de la norme de contrôle en matière d’appels en procédure civile : voir Turmel c. Canada, 2016 CAF 9; Imperial Manufacturing, précité.

[19]           Puisque les questions en litige sont essentiellement des questions de droit, je vais les considère de novo.

[20]           Janssen a soulevé plusieurs questions dans son mémoire par ses avocats qui ont fort bien soutenu sa position. Voici l’essentiel de cette argumentation :

                      i.            Il est possible de soutenir raisonnablement que le Règlement ADC, et surtout le paragraphe 5(2), est inconstitutionnel;

                    ii.            Les éléments de preuve présentés dans la présente requête soulèvent la possibilité qu’il y ait eu contrefaçon du brevet 630.

                  iii.            Celltrion doit s’acquitter du lourd fardeau pour annuler la demande déposée en vertu de l’alinéa 6(5)b) du Règlement ADC, et elle ne s’est pas acquittée de cette tâche.

                  iv.            Étant donné que Janssen détient une cause défendable, le seuil nécessaire pour rejeter une demande est suffisamment élevé pour lui accorder l’occasion de présenter ses arguments avec un dossier complet lors d’une audience en bonne et due forme.

[21]           Je vais à présent examiner ces prétentions.

i)                    Interprétation du paragraphe 5(2) du Règlement ADC

[22]           Le paragraphe 5(2) du Règlement ADC se lit comme suit :

Dans le cas où la seconde personne dépose un supplément à la présentation visée au paragraphe (1), en vue d’obtenir un avis de conformité à l’égard d’une modification de la formulation, d’une modification de la forme posologique ou d’une modification de l’utilisation de l’ingrédient médicinal, lequel supplément, directement ou indirectement, compare celle-ci à une autre drogue commercialisée sur le marché canadien aux termes de l’avis
de conformité délivré à la première personne et à l’égard duquel une liste de brevets a été présentée — ou y fait renvoi —, cette seconde personne doit, à l’égard de chaque brevet ajouté au registre pour cette autre drogue, inclure dans son supplément [...]

[23]           Ce paragraphe découle des paragraphes 4(1), 4(3) et de l’alinéa 4(3)c) du Règlement ADC qui prévoient qu’une partie, Janssen en l’occurrence, peut adjoindre un brevet à une liste de brevets concernant une drogue pour laquelle il existe une nouvelle utilisation :

4 (1) La première personne qui dépose ou a déposé la présentation de drogue nouvelle ou le supplément à une présentation de drogue nouvelle peut présenter au ministre, pour adjonction au registre, une liste de brevets qui se rattache à la présentation ou au supplément.

[...]

(3) Est admissible à l’adjonction au registre tout brevet, inscrit sur une liste de brevets, qui se rattache au supplément à une présentation de drogue nouvelle visant une modification de la formulation, une modification de la forme posologique ou une modification de l’utilisation de l’ingrédient médicinal, s’il contient, selon le cas :

[...]

c) dans le cas d’une modification d’utilisation de l’ingrédient médicinal, une revendication de l’utilisation modifiée de l’ingrédient médicinal, l’utilisation ayant été approuvée par la délivrance d’un avis de conformité à l’égard du supplément.

[24]           Les avocats de Janssen soutiennent qu’une partie, Celltrion en l’occurrence, est tenue aux termes du paragraphe 5(2) du Règlement ADC de prendre en considération le brevet qui revendique une utilisation nouvelle ou différente de la drogue à laquelle il est lié. Autrement dit, c’est de la drogue elle-même et non de son utilisation que dépend la conformité, d’où la période de rétention de deux ans dans le Règlement ADC.

[25]           Le protonotaire Aalto a traité de cet argument dans les paragraphes 20 à 26 de ses motifs. Je suis d’accord avec son raisonnement et je le confirme en l’espèce.

[26]           Le juge Binnie, au nom de la Cour suprême du Canada, a examiné minutieusement un argument semblable à celui de Janssen dans Bristol-Myers Squibb Co. c. Canada (Procureur général), [2005] 1 RCS 533. Même si les dispositions du Règlement n’étaient pas exactement les mêmes à l’époque et que leur traitement ait été quelque peu différent, il existe une analogie et une pertinence complètes entre la façon de voir du juge et l’interprétation présentée par Janssen. Aux paragraphes 53, 61, et 66 à 68, le juge Binnie mentionne ce qui suit :

53        Deuxièmement, ce ne sont pas toutes les utilisations de l’invention brevetée qui déclencheront l’application du Règlement ADC. Le paragraphe 55.2(4) est expressément destiné à prévenir la contrefaçon par les personnes qui utilisent « l’invention brevetée » en se prévalant des exceptions relatives aux « travaux préalables » et à l’« emmagasinage » susmentionnées aux par. 55.2(1) et 55.2(2). Voilà tout ce que le gouverneur en conseil est autorisé à réglementer. (L’exception relative à l’emmagasinage a été abrogée par L.C. 2001, ch. 10, par. 2(1), sanctionnée le 14 juin 2001.)

[...]

61        Le libellé du par. 5(1.1) reproduit fidèlement celui du par. 4(1). Il s’agit d’une disposition réciproque dans le sens où le par. 4(1) crée la liste de brevets que doit contourner la personne soumise au par. 5(1.1). Le paragraphe 5(1.1) devrait donc recevoir une interprétation téléologique semblable. L’interprétation du mot « demande « devrait également permettre d’atteindre les objectifs visés par le par. 55.2(4) de la Loi sur les brevets.

[...]

66        L’interprétation libérale préconisée par BMS conduirait à un résultat absurde. Le « médicament » contenu dans la drogue visée par la liste de brevets n’a pas en soi besoin d’être breveté, ou plutôt, il ne doit rien à l’ingéniosité de la « première » personne. Il pourrait s’agir d’un « médicament » dont l’utilité a été découverte par quelqu’un d’autre (comme c’est le cas du paclitaxel) ou d’une chose aussi courante que la pénicilline qui fait partie du domaine public. Tant que ce « médicament » apparaît comme un élément, si négligeable soitil, de la composition chimique de la drogue à laquelle se rattache la liste de brevets, la « deuxième personne » (y compris l’innovateur qui cherche à fabriquer une drogue nouvelle et utile) se voit interdire l’accès au marché en raison du gel légal automatique, et cette « interdiction » se poursuivra tant que le titulaire du brevet visé par la liste pourra perpétuer son produit en recourant à des améliorations brevetables apportées à d’autres éléments ou ajouts, si négligeables soientelles. Cela aurait pour effet d’étouffer la concurrence et l’innovation dans l’industrie pharmaceutique et produirait un résultat contraire à celui recherché par l’autorité de réglementation.

67        Le « sens ordinaire » adopté par la Cour d’appel fédérale en l’espèce laisse entendre que le par. 5(1.1) excède le pouvoir de réglementation qui, comme je l’ai déjà mentionné, n’autorise la prise de règlements que s’ils sont nécessaires « afin d’empêcher la contrefaçon de brevet d’invention par l’utilisateur, le fabricant, le constructeur ou le vendeur d’une invention brevetée au sens des paragraphes (1) [l’exception relative aux ‘travaux préalables’] ou (2) [l’exception relative à l’‘emmagasinage’ — maintenant abrogée] ». Bien qu’il y ait d’autres éléments similaires entre le produit de Biolyse et celui de BMS, la décision de la Cour fédérale rendue en vertu du par. 5(1.1) repose entièrement sur la présence du paclitaxel dans le produit de BMS et dans celui de Biolyse.

68        L’interprétation avancée par BMS devrait être rejetée, non seulement à cause des termes limitatifs du par. 55.2 de la Loi sur les brevets, mais pour la raison plus fondamentale qu’une telle conception permettrait à la « première personne » de voir l’étendue de son monopole dépasser, et de loin, toute contrepartie possible que son talent et son ingéniosité auraient pu procurer au public.

[27]           Par conséquent, dans une affaire comme en l’espèce où un brevet revendique une utilisation précise d’une drogue, c’est cette utilisation qui doit être comparée avec l’utilisation prévue de la drogue générique et non pas la drogue en elle-même.

[28]           En l’espèce, les avocats de Janssen admettent que chaque revendication du brevet 630 concerne l’utilisation de la drogue pour les indications pour la polyarthrite rhumatoïde (PR) et ne doit pas nécessairement traiter des indications tirées de sa demande additionnelle qui concernent la MICI et non la PR.

[29]           La demande de Janssen est tout simplement, selon les termes de l’alinéa 6(5)b) du Règlement ADC, scandaleuse, frivole, vexatoire et constitue, à l’égard du brevet 630, un abus de procédure.

ii)                  Les éléments de preuve de la requête démontrent-ils la possibilité qu’il y ait eu contrefaçon du brevet 630?

[30]           Janssen fait référence aux éléments de preuve du contre-interrogatoire de l’un de ses déposants, le docteur Pope qui traite les patients atteints de polyarthrite rhumatoïde (PR) aux questions 153 à 157 que voici:

[traduction
153.     Q. Des quelque 25 patients que vous dites traiter avec Remicade, combien sont atteints de la maladie de Crohn?

R.         Que je traite pour la PR?

154.     Q.        Oui.

R.         Avec Remicade? Je connais une patiente atteinte de la maladie de Crohn et de la polyarthrite rhumatoïde. En fait, c’est GI qui la traite avec du Remicade. Je la traitais avant qu’elle ne contracte la maladie de Crohn avec un médicament différent et biologique, puis elle a contracté la maladie de Crohn. Elle prenait de l’Etanercept, qui est inefficace contre la maladie de Crohn, alors elle est passée au Remicade avec le docteur GI. Je n’aurais pas prescrit des médicaments biologiques pour les patients de la maladie de Crohn.

155.     Q.        Donc un patient sur les 25?

R.         Bien, c’en est un dont je me souviens.

156.     Q.        Très bien. Et combien de patients prenant de l’Inflectra sont atteints de la maladie de Crohn?

R.         Dans les deux, trois patients que j’ai?

157.     Q.        Oui.

R.         Aucun.

[31]           Il manque de preuve pour démontrer que Celltrion, que ce soit dans la monographie proposée pour le produit, présente au dossier, ou ailleurs, ait incité un docteur ou un patient à utiliser le produit dans le traitement de la PR et de la MICI chez le même patient.

[32]           Dans l’arrêt AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé et du Bien-être social, 2002 CAF 421, la Cour d’appel fédérale a abordé une situation comme celle en l’espèce. Elle a conclu qu’on ne peut refuser l’avis de conformité à un médicament générique au seul motif que la vente de ce médicament offre la possibilité qu’une personne s’en serve pour une utilisation brevetée. Prise isolément, la vente du médicament ne déclenche pas l’application du Règlement ADC. Le juge Sexton, au nom de la Cour, s’est exprimé ainsi aux paragraphes 56 et 57 :

[56]     Les appelantes se sont fondées sur l’extrait suivant de l’arrêt Genpharm, aux paragraphes 47 à 50, pour soutenir que Genpharm devrait s’appliquer au présent appel :

Le fait est que les revendications pour l’utilisation visées au sous-alinéa 5(1)b)(iv) envisagent l’utilisation, non seulement par le fabricant de génériques, mais aussi par les patients, et qu’il en résultera la contrefaçon par les patients qui utilisent un médicament vendu par un fabricant de génériques, même sans incitation de la part de ce fabricant.

L’objet du Règlement semble manifeste. Si un fabricant de génériques vend un produit et que cela a pour effet la contrefaçon d’un brevet par quiconque utilise le produit, c’est la contrefaçon que le Règlement vise à empêcher. Rien n’exige que le fabricant de génériques ait incité ou amené des patients ou d’autres personnes à contrefaire le brevet.

Pour ce motif, j’estime que, dans le cas de revendications pour l’utilisation, il n’est pas nécessaire que le titulaire d’un brevet établisse que, par ses actions, le fabricant de génériques incitera ou amènera des patients ou d’autres personnes à contrefaire le brevet. Dans la mesure où le fabricant de génériques ne peut établir qu’aucune revendication pour l’utilisation du médicament ne serait contrefaite par des patients ou d’autres personnes par la vente de son produit, il ne satisfera pas au critère du bien-fondé de l’allégation énoncé au paragraphe 6(2) du Règlement et une ordonnance d’interdiction doit être rendue.

En l’espèce, si un patient utilise le produit de Genpharm pour l’ostéoporose, les revendications pour l’utilisation que comporte le brevet 376 de P & G seraient contrefaites. C’est la vente de son produit par Genpharm qui aurait pour effet la contrefaçon. La preuve établit de façon écrasante qu’il est non seulement probable mais inévitable que le produit Gen-étidronate de Genpharm soit, en cas de délivrance des avis de conformité, utilisé pour le traitement de l’ostéoporose selon le schéma posologique cyclique qui constitue l’invention suivant le brevet 376. [Non souligné dans l’original.]

Il faut souligner, toutefois, que la Cour a fait ces déclarations après avoir conclu que la preuve dans l’affaire Genpharm établissait de façon écrasante que les actes et les intentions de Genpharm mèneraient inévitablement à la contrefaçon. En l’espèce, aucune conclusion de cette nature n’a pu être établie, ce qui distingue le présent appel de l’arrêt Genpharm. Je ne considère pas que l’arrêt Genpharm établisse que la simple vente par le fabricant d’un générique, sans plus, d’un médicament faisant l’objet d’un brevet d’utilisation suffit à constituer une contrefaçon aux termes du sous-alinéa 5(1)b)(iv).

[57]     Par conséquent, Apotex ne peut être empêchée d’obtenir un avis de conformité pour le seul motif qu’elle vendra de l’oméprazole. Affirmer le contraire soulèverait de graves questions de politique. S’il y avait une quelconque possibilité qu’un patient consomme un produit générique pour une utilisation brevetée, alors le produit générique ne serait pas approuvé. Cela empêcherait l’autorisation de nouvelles utilisations de médicaments existants, car il est toujours possible que quelqu’un, quelque part, utilise le médicament pour l’objet breveté et interdit. Cette position mènerait à une véritable injustice : comme la société qui fabrique des génériques ne peut raisonnablement contrôler comment chacun dans le monde utilise son produit, empêcher le fabricant de génériques de commercialiser son produit contribuerait à conforter et élargir davantage le monopole des titulaires de brevet. Le titulaires de brevet se trouveraient de ce fait à contrôler effectivement non seulement les nouvelles utilisations d’un composé existant, mais le composé lui-même, même si celui-ci n’est pas protégé par le brevet au départ. Les titulaires de brevet auraient ainsi un avantage qu’ils ne devaient pas avoir. En fin de compte, la société serait privée de l’avantage des nouveaux modes d’utilisation des produits pharmaceutiques existants, disponibles à un coût inférieur.

[33]           La juge Mactavish est arrivée à une conclusion semblable dans l’affaire Lundbeck Canada Inc. c. Ratiopharm Inc., 2009 CF 1102, aux paragraphes 367 à 369 :

[367]    S’appuyant sur les considérations qui précèdent, les demanderesses soutiennent qu’en raison de la nature du marché canadien de la mémantine, une contrefaçon du brevet 492 est inévitable, car la mémantine sera prescrite par les médecins, délivrée par les pharmaciens et utilisée par les patients dans le cadre d’une bithérapie.

[368]    C’est fort possible. En effet, la preuve circonstancielle semble indiquer que le produit ratio‑MEMANTINE de Ratiopharm peut finir par être utilisé en association avec des inhibiteurs de l’acétylcholinestérase pour le traitement de la maladie d’Alzheimer, ce qui contreferait le brevet 492. Ratiopharm peut s’attendre à ce qu’une telle éventualité se produise. Ce sont cependant les actes et non les attentes de Ratiopharm qui sont en litige en l’espèce.

[369]    Les parties s’entendent sur le fait que la possibilité de contrefaçon en aval ne suffit pas, en soi, à établir la contrefaçon par incitation. Comme l’a fait observer la juge Gauthier dans la décision Aventis Pharma Inc. c. Pharmascience Inc. 2006 FC 861, 51 C.P.R. (4th) 161, même s’il peut être établi que la contrefaçon du fait d’autres personnes « est très probable, sinon inévitable », cette preuve ne sera pas suffisante pour établir qu’une allégation de non‑contrefaçon n’est pas justifiée : voir le paragraphe 31.

[34]           Je juge qu’il manque de preuve pour conclure que l’hypothèse d’une contrefaçon du brevet 630 par Celltrion repose sur un quelconque fondement.

(iii)       Fardeau de la preuve de Celltrion

[35]           Janssen prétend que le fardeau de la preuve qui incombe à Celltrion pour faire rejeter sa demande en application de l’alinéa 6(5)b) du Règlement ADC est très lourd. Je suis d’accord, mais cette tâche ne relève pas de l’impossible. C’est un sujet que j’aborderai plus loin dans la question (iv) qui suit. Cependant, je conclus que Celltrion s’est acquitté de sa tâche.

(iv)       La cause est-elle défendable? L’affaire mérite-t-elle une audience ultérieure?

[36]           Il ne fait aucun doute que les demandes autorisées par le Règlement ADC devaient suivre une procédure sommaire et, si c’était le cas, la Cour devrait être portée à ne pas examiner les requêtes de rejet avant la tenue d’une audience en bonne et due forme. Malheureusement, les demandes déposées en vertu du Règlement ADC sont devenues un véritable cauchemar pour les parties et pour la Cour. La preuve sous forme d’affidavits, de pièces, de transcriptions de contre‑interrogatoire, etc. emplit des boîtes entières qui s’ajoutent au dossier. Des arguments montés avec soin sur les points de droit obscurs et minuscules sont présentés par les avocats très compétents et persuasifs. La Cour doit rendre un jugement en quelques semaines, voire quelques jours, et remettre ses motifs détaillés à ce moment ou par la suite. Par conséquent, contrairement à bien des types de demandes sommaires, les juges sont fortement motivés à déterminer si l’affaire convient à une décision rapide, à condition d’avoir établi clairement la convenance de rendre une décision rapide. La Cour ne doit pas stimuler la récurrence de telles demandes.

[37]           Dans son arrêt Hryniak c. Mauldin, [2014] 1 RCS87, la Cour suprême du Canada a demandé un virage culturel pour une application mieux proportionnée des ressources de la Cour en vue d’obtenir un règlement juste et équitable des litiges, ce qui n’exige pas toujours la tenue d’un procès ou d’une audience en bonne et due forme. La juge Karakatsanis, s’exprimant au nom de la Cour, a écrit aux paragraphes 31 à 33 ce qui suit (bien qu’il s’agisse des règles pour les jugements sommaires en Ontario, les principes s’appliquent tout aussi bien en l’espèce) :

[31]     Même si la proportionnalité n’est pas expressément codifiée, l’application de règles de procédure qui font intervenir un pouvoir discrétionnaire [traduction] « englobe […] un principe sousjacent de proportionnalité, selon lequel il faut tenir compte de l’opportunité de la procédure, de son coût, de son incidence sur le litige et de sa célérité, selon la nature et la complexité du litige » : Szeto c. Dwyer, 2010 NLCA 36 (CanLII), 297 Nfld. & P.E.I.R. 311, par. 53.

[32]     Ce virage culturel oblige les juges à gérer activement le processus judiciaire dans le respect du principe de la proportionnalité. La requête en jugement sommaire peut permettre d’économiser temps et ressources, mais, à l’instar de la plupart des procédures préalables au procès, elle peut ralentir l’instance si elle est utilisée de manière inappropriée. Bien que les juges puissent contribuer à la réduction de ce risque, et devraient le faire, les avocats doivent, conformément aux traditions de leur profession, agir de manière à faciliter plutôt qu’à empêcher l’accès à la justice. Ils devraient ainsi tenir compte des moyens limités de leurs clients et de la nature de leur dossier et élaborer des moyens proportionnés d’arriver à un résultat juste et équitable.

[33]     Une demande complexe peut comporter un dossier volumineux et exiger un investissement important en temps et en argent. Toutefois, la proportionnalité est forcément de nature comparative; même les procédures lentes et coûteuses peuvent s’avérer proportionnées lorsqu’elles constituent la solution la plus rapide et la plus efficace. La question est de savoir si les frais et les délais additionnels occasionnés par la recherche des faits lors du procès sont essentiels à un processus décisionnel juste et équitable.

[38]           Par conséquent, en l’espèce, bien que les avocats de Janssen ont présenté plusieurs arguments, je conclus, à l’instar du protonotaire Aalto, que ces arguments sont voués à l’échec. Je ne vois rien qui puisse être présenté à la Cour lors d’une audience en bonne et due forme et modifier les conclusions que je tire présentement. Le rejet de la demande est bien le redressement qui convient ici.

III.             Suspension de l’ordonnance pendant 30 jours par le protonotaire Aalto

[39]           Le protonotaire a suspendu son ordonnance pour une période de 30 jours. Il importait de savoir si le temps écoulé se calcule à partir de l’ordonnance initiale du 10 mai 2016 ou de l’ordonnance modifiée du 26 mai 2016. Dans une directive adressée aux parties, le protonotaire a précisé que le sursis commençait le 10 mai 2016.

[40]           C’est pourquoi l’audience que j’ai présidée s’est tenue le 8 juin 2016 et que j’ai rendu mes motifs en même temps que ma décision le 9 juin 2016.

[41]           Ce constat peut paraître sévère, mais il ressort des décisions antérieures qu’une partie occupant la position de Janssen n’en subira aucun préjudice irréparable (même si cela constituait un critère). En intentant une demande auprès de la Cour en vertu du Règlement ADC, Janssen obtient un délai de 24 mois pour délivrer un avis de conformité à une partie, Celltrion en l’occurrence. Le rejet de cette demande annule ce délai tout en laissant à la partie, à Janssen en l’occurrence, les mesures de redressement habituelles dont l’action en contrefaçon de brevet. Dans les faits, Janssen intente une action de ce type et le procès doit commencer dans trois mois.

[42]           Le juge Rothstein s’exprime ainsi dans la décision Janssen-Ortho Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2004 CAF 168, au paragraphe 6 :

[6]       À mon avis, la décision que la Cour d’appel fédérale a rendue dans Bristol-Myers Squibb Canada Inc. c. Canada (Procureur général), [2001] A.C.F. n ° 16 (C.A.), permet de trancher la question. Dans ce jugement, la Cour a statué que, lorsque l’action en contrefaçon de brevet est un recours accessible, l’impossibilité pour un titulaire de brevet d’invoquer les dispositions du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) qui concernent la suspension automatique ne constitue pas un préjudice irréparable. C’est précisément la situation en l’espèce.

[43]           Comme je l’ai dit, il est admis que les questions de sursis n’ont été soulevées ni par le protonotaire Aalto, ni par aucune des parties.

[44]           Si ces questions avaient été soulevées, le protonotaire Aalto aurait eu l’obligation d’examiner la décision Janssen-Ortho Inc. c. Apotex Inc., 2009 CAF 250. Dans ces circonstances similaires relativement au Règlement ADC qu’en l’espèce, la juge Shalow y concluait que, lorsqu’il y a ordonnance rejetant une demande, il n’y a rien qui puisse être suspendu; l’ordonnance ne peut être suspendue. Elle a écrit ce qui suit aux paragraphes 18 à 22 :

[18]     Apotex souligne avec raison que l’ordonnance du protonotaire Aalto est une ordonnance rejetant une demande qu’il a jugée sans fondement. Cette ordonnance n’ordonne à personne de faire quoi que ce soit. Elle met simplement fin aux tentatives de Janssen d’empêcher le ministre de faire la chose que la loi l’habilite à faire, soit délivrer un avis de conformité à Apotex en s’assurant qu’il a été satisfait aux exigences du Règlement sur les aliments et drogues, C.R.C., ch. 870. Pour ce motif, Apotex soutient que l’ordonnance ne saurait être susceptible de sursis.

[19]     L’avocat de Janssen a admis qu’il a été incapable de trouver de précédent où un tribunal aurait accordé un sursis d’exécution d’une ordonnance n’exigeant pas de faire quelque chose, mais il allègue qu’un tel sursis est possible en droit. À son avis, la délivrance d’un avis de conformité à Apotex incombant au ministre en vertu de la loi (à supposer qu’il est satisfait aux exigences réglementaires applicables) est le résultat inévitable de l’ordonnance du protonotaire Aalto. Toutefois, il se trouve que le ministre est tenu d’agir par l’application du Règlement sur les aliments et drogues, et non en raison de l’ordonnance du protonotaire Aalto.

[20]     Janssen s’appuie sur l’extrait suivant tiré de l’arrêt RJR – MacDonald Inc. c. Canada (P.G.), 1994 CanLII 117 (CSC), [1994] 1 R.C.S. 311 (les juges Sopinka et Cory s’exprimant au nom de la Cour) à la page 329 :

Nous sommes d’avis que la Cour est habilitée, tant en vertu de l’art. 65.1 que de l’art. 27, non seulement à accorder un sursis d’exécution et une suspension d’instance dans le sens traditionnel, mais aussi à rendre toute ordonnance visant à maintenir les parties dans une situation qui, dans la mesure du possible, ne sera pas cause de préjudice en attendant le règlement du différend par la Cour, de façon que cette dernière puisse rendre une décision qui ne sera pas dénuée de sens et d’efficacité. Notre Cour doit être en mesure d’intervenir non seulement à l’égard des termes mêmes du jugement, mais aussi à l’égard de ses effets. Cela signifie que notre Cour doit posséder la compétence d’interdire à une partie d’accomplir tout acte fondé sur le jugement, qui, s’il était accompli, tendrait à annuler ou à diminuer l’effet de la décision de notre Cour.

[21]     La Cour aurait ordonné un sursis d’exécution même en l’absence d’un pouvoir d’origine législative. Voici comment la Cour s’est exprimée à la page 332 :

Enfin, si la compétence de notre Cour ne pouvait reposer sur l’art. 65.1 de la Loi et l’art. 27 des Règles, nous sommes d’avis que le fondement de cette compétence pourrait être le par. 24(1) de la Charte. Une lacune dans les pouvoirs accessoires de notre Cour en matière de procédure permettant de préserver les droits des parties en attendant le règlement final d’un différend touchant des droits constitutionnels ne devrait pas faire obstacle à une réparation fondée sur la Charte.

[22]     Je ne suis pas convaincue que l’arrêt RJR – MacDonald démontre que l’ordonnance du protonotaire Aalto en l’espèce est susceptible de sursis. Dans l’arrêt RJR – MacDonald, la Cour était saisie d’une demande visant à obtenir la suspension d’une décision de la Cour d’appel du Québec déclarant que certaines dispositions de la Loi réglementant les produits du tabac, L.R.C. 1985, ch. 14 (4e suppl.) étaient valides. Après le jugement, un règlement a été édicté en vertu de la Loi réglementant les produits du tabac qui, à son entrée en vigueur, avait pour effet d’imposer des obligations onéreuses aux parties revendiquant la contestation constitutionnelle. C’est dans ces circonstances que la Cour suprême du Canada a conclu qu’elle avait compétence pour suspendre la décision de la Cour d’appel du Québec, même si cette dernière avait été rendue sous la forme d’un jugement déclaratoire.

[45]           De plus, le juge Sharlow, dans sa décision du 9 janvier 2001, Bristol-Myers Squibb Canada Inc. c. Canada (Procureur Général), dossier A-721-00, et le juge Boivin (alors juge) dans sa décision du 16 décembre 2011 Apotex Inc. c. Sanofi-Aventis, dossier T-644-09, ont fait des remarques similaires.

[46]           Par conséquent, je vais accueillir l’appel en l’espèce et annuler le paragraphe 2 de l’ordonnance du protonotaire Aalto qui accorde un sursis de 30 jours.

IV.             Requête de Janssen en vue d’obtenir un prolongement du sursis jusqu’à l’épuisement de tous les recours

[47]           Comme je l’ai déjà dit, un sursis n’est tout simplement pas possible dans les circonstances présentes. Si ce l’était, je n’accorderais certainement pas un sursis avec les conditions demandées par Janssen puisque cela entraînerait, en pratique, la perpétuation des procédures bien au-delà de la limite prescrite de deux ans (2 septembre 2017) et même après l’expiration de la durée du brevet 630 (1er août 2017). Concrètement, aucun appel ne pourra être entendu par la Cour d’appel fédérale, ni aucune demande d’autorisation par la Cour suprême du Canada avant ces dates.

[48]           Janssen ne peut pas dans les faits perpétuer l’ordonnance d’injonction sans jamais avoir à plaider sur le fond grâce à l’octroi du sursis qu’elle demande.

V.                Conclusion et dépens

[49]           Pour conclure, je confirme l’ordonnance du protonotaire qui rejette la demande et j’annule la partie de cette même ordonnance qui accordait un sursis. Je n’accorderai pas de sursis, quelles qu’en soient les conditions.

[50]           Quant aux dépens concernant les requêtes que moi-même et le protonotaire Aalto avons examinées, j’invite les observations de Celltrion ne dépassant pas cinq (5) pages dans les dix (10) jours suivant la date de la présente ordonnance. Janssen doit présenter ses observations ne dépassant pas cinq (5) pages dans les dix (10) jours suivant la réception des observations de Celltrion. À la réception des observations des deux parties, je prendrai une décision concernant les dépens.

[51]            Je félicite tous les avocats pour la qualité des documents et des arguments qu’ils m’ont présentés. Je félicite également Ryan Coe, adjoint judiciaire du bureau de la Cour fédérale à Toronto pour avoir préparé avec célérité et minutie les présents motifs.

« Roger T. Hughes »

Juge

Toronto (Ontario)

Le 9 juin 2016

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

T-1478-15

 

INTITULÉ DE LA CAUSE :

JANSSEN INC. c CELLTRION HEALTHCARE CO., LTD. ET LE MINISTRE DE LA SANTÉ ET KENNEDY TRUST FOR RHEUMATOLOGY RESEARCH

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 8 juin 2016

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE HUGHES

 

DATE DES MOTIFS :

Le 9 juin 2016

 

COMPARUTIONS :

Andrew Skodyn

James S.S. Holtom

 

Pour la demanderesse

JANSSEN INC.

 

Warren Sprigings

Dale Schlosser

Christopher Tan

 

Pour les défendeurs

CELLTRION HEALTHCARE CO., LTD

 

Andrew Skodyn

James S.S. Holtom

 

Pour la défenderesse brevetée

KENNEDY TRUST FOR RHEUMATOLOGY RESEARCH

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

LENCZNER SLAGHT ROYCESMITH GRIFFIN LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

JANSSEN INC.

 

Sprigings IntellectualProperty Law

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour les défendeurs

CELLTRION HEALTHCARE CO., LTD

 

LENCZNER SLAGHT ROYCESMITH GRIFFIN LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour la défenderesse brevetée

KENNEDY TRUST FOR RHEUMATOLOGY RESEARCH

 

 

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