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Date : 20160530


Dossier : IMM-3818-15

Référence : 2016 CF 598

Ottawa (Ontario), le 30 mai 2016

En présence de monsieur le juge Gascon

ENTRE :

JENNY MARCELA TOVAR MORA

SARA SIERRA TOVAR

demanderesses

Et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   L’aperçu

[1]               Les demanderesses, Madame Jenny Tovar Mora et sa fille Sara Sierra Tovar, sont citoyennes de la Colombie. Elles demandent le contrôle judiciaire d’une décision rendue en juillet 2015 par la Section de protection des réfugiés [SPR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada [CISR], refusant de leur reconnaître le statut de réfugié ou de personne protégée en vertu des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR] au motif que le récit de Madame Tovar n’est pas crédible.

[2]               Madame Tovar plaide qu’en rendant sa décision, la SPR n’avait pas de raisons suffisantes pour douter de sa crédibilité et que la SPR n’a pas respecté les Directives numéro 4 du président : Revendicatrices du statut de réfugié craignant d'être persécutées en raison de leur sexe [Directives] émises par la CISR. Aussi, Madame Tovar et sa fille demandent à la Cour d’annuler la décision de la SPR et de retourner le dossier pour que leurs demandes soient réévaluées par un tribunal différemment constitué à la lumière de tous les éléments soumis.

[3]               Les questions en litige soulevées par la présente demande de contrôle judiciaire sont les suivantes :

  • La SPR a-t-elle commis une erreur en concluant que Madame Tovar n’était pas crédible?
  • La SPR a-t-elle commis une erreur en ne mentionnant pas les Directives dans sa décision?

[4]               Pour les raisons qui suivent, la demande de contrôle judiciaire de Madame Tovar et de sa fille doit échouer. En effet, je ne décèle dans la décision de la SPR aucune erreur qui justifierait l’intervention de la Cour. Je suis plutôt d’avis que les conclusions de la SPR sur le manque de crédibilité du récit de Madame Tovar sont raisonnables et font clairement partie des issues possibles acceptables dans les circonstances. De plus, je conclus que la SPR a respecté les principes établis par les Directives dans son traitement de la demande de Madame Tovar.

I.                   Le contexte

A.                Les faits

[5]               Madame Tovar œuvrait comme commerçante dans les municipalités de Vista Hermosa et Puerto Gaitan en Colombie. En avril 2013, un homme connu sous le nom de « Le Singe » aborde Madame Tovar à plusieurs reprises au nom d’une autre personne, dite « Le Monsieur ». Le Singe informe alors Madame Tovar que Le Monsieur désire la rencontrer dans un endroit isolé et qu’il s’occupera d’elle en achetant toute la marchandise de son commerce. Madame Tovar ne donne pas suite à ces approches. Elle se renseigne sur l’identité des deux individus et apprend qu’ils sont associés aux Forces armées révolutionnaires de Colombie [FARC].

[6]               Le 13 avril 2013, Madame Tovar refuse de nouveau l’invitation du Singe à rencontrer Le Monsieur, suite à quoi Le Singe la menace avec une arme à feu et l’injurie. Madame Tovar quitte alors précipitamment Vista Hermosa pour se rendre à Bogota, la capitale de la Colombie. Elle s’y installe chez sa mère, cesse toutes ses activités commerciales, mais ne porte toutefois pas plainte à la police colombienne.

[7]               Deux ans s’écoulent sans incident puis, en avril 2015, Madame Tovar reçoit un message texte sur son téléphone cellulaire personnel, lequel message menace son intégrité et celle de sa fille Sara. En rappelant le numéro, Madame Tovar découvre que l’appel provient d’un téléphone public situé à Vista Hermosa. Croyant que l’appel origine du Singe, Madame Tovar entreprend des démarches pour quitter la Colombie. Elle rapporte aussi l’incident au bureau du procureur général, qui lui conseille de changer d’adresse et de solliciter une protection policière.

[8]               Madame Tovar quitte rapidement la Colombie et entre au Canada avec sa fille en mai 2015, via les États-Unis. Elle dépose alors sa demande d’asile auprès des autorités canadiennes.

B.                 La décision de la SPR

[9]               Dans sa décision rendue en juillet 2015, la SPR conclut que le récit de Madame Tovar et de sa fille n’est pas crédible. La SPR relève notamment deux contradictions majeures entre le formulaire de Fondement de demande d’asile [FDA] complété par Madame Tovar et son témoignage entendu à l’audience devant le tribunal. Dans son FDA, Madame Tovar a indiqué qu’elle était persécutée pour avoir refusé une proposition d’affaires faite par Le Monsieur et que des habitants de Vista Hermosa l’avaient informée des affiliations du Singe et du Monsieur aux FARC. À l’audience, Madame Tovar a plutôt dit avoir refusé des avances sexuelles de la part du Monsieur et avoir été informée de l’affiliation des deux individus aux FARC par l’entremise d’un de ses clients.

[10]           Selon la SPR, Madame Tovar a également omis d’indiquer dans son FDA que plusieurs femmes auraient disparu dans des circonstances similaires. Par ailleurs, la SPR ne juge pas crédible le fait que Madame Tovar prétende être toujours recherchée par Le Singe et Le Monsieur deux ans après avoir refusé les prétendues avances formulées par Le Monsieur, alors que rien n’est arrivé dans l’intervalle. La SPR considère également confus le témoignage de Madame Tovar portant sur la question des téléphones cellulaires publics et conclut que Madame Tovar a été incohérente dans ses actions en ne portant pas plainte aux autorités colombiennes suite à la première série d’incidents survenue en 2013, tout en le faisant promptement dans la foulée de l’incident ultérieur de 2015, quelques jours à peine après avoir décidé de quitter la Colombie.

C.                La norme de contrôle

[11]           Il est bien établi que, lorsqu’il s’agit de la crédibilité ou de la vraisemblance du récit d’un demandeur d’asile, les conclusions de la SPR sont de nature factuelle et commandent un degré élevé de déférence judiciaire, compte tenu du rôle de juge des faits du tribunal administratif (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 [Khosa] au para 59; Lawal c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 155 au para 9; Martinez Giron c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 7 au para 14; Dong c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 55 au para 17).

[12]           L’évaluation de la crédibilité loge en fait au cœur même de l’expertise de la SPR et elle est intimement liée aux faits d’une espèce donnée (Pepaj c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 938 au para 13; Lubana c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2003 CFPI 116 aux para 7-8). La SPR est ainsi mieux placée pour apprécier la crédibilité d’un demandeur d’asile, puisqu’elle peut le voir à l’audience, observer ses manières et entendre son témoignage. Le tribunal a alors la possibilité et la capacité de juger le témoin, son comportement, sa franchise, la spontanéité avec laquelle il répond ainsi que la cohérence et l’uniformité de ses propos. De plus, la SPR bénéficie des connaissances spécialisées de ses membres pour évaluer la preuve ayant trait à des faits qui relèvent de leur champ d’expertise (El-Khabib c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 471 au para 6).

[13]           Puisqu’il s’agit de questions mixtes de faits et de droit, la norme de contrôle applicable aux questions portant sur la crédibilité et l’évaluation de la preuve faite par la SPR est donc celle de la décision raisonnable (Aguebor c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF No 732 (CAF) [Aguebor] au para 4; Bikoko c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1313 au para 8). Sur de telles questions de crédibilité et d'appréciation de la preuve, la Cour ne doit pas substituer son point de vue à celui du tribunal administratif même si cela pourrait constituer, à ses yeux, un dénouement préférable (Khosa au para 59). La Cour ne doit intervenir que si le processus décisionnel n’est pas transparent et intelligible et que la décision n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir] au para 47).

[14]           Les motifs d’une décision sont considérés raisonnables « s'ils permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil du Trésor), 2011 CSC 62 [Newfoundland Nurses] au para 16). Dans ce contexte, la Cour doit faire preuve de retenue envers la décision du tribunal. Elle n'a pas pour mission de soupeser à nouveau les éléments de preuve au dossier ni de s’immiscer dans les conclusions de fait du tribunal, mais doit plutôt se limiter à rechercher si une conclusion a un caractère irrationnel ou arbitraire (Mikhno c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 385 aux para 32-33; Diallo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1062 au para 30).

[15]           Pour déterminer le caractère raisonnable, la Cour doit passer en revue les motifs de la SPR, mais elle peut aussi, au besoin, examiner le dossier pour mesurer et apprécier le caractère raisonnable de la décision (Newfoundland Nurses au para 15). Ceci dit, un contrôle judiciaire n’est pas une « chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur » (Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34 au para 54).

[16]           L’appréciation de la crédibilité d’un demandeur d’asile par la SPR doit être transparente et intelligible (Hilo c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1991), 130 NR 236 (CAF) [Hilo] au para 6). Ainsi, les motifs du tribunal doivent constituer une évaluation de la crédibilité du demandeur exprimée « en termes clairs et explicites ». À l’opposé, une analyse déclinée de façon vague et générale restera lacunaire et insuffisante, car un tribunal ne peut pas se contenter de tirer des conclusions au sujet de la crédibilité sans expliquer pourquoi ou de quelle façon cette crédibilité est contestée ou s’avère insuffisante.

II.                L’analyse

A.                La SPR a-t-elle commis une erreur en concluant que Madame Tovar n'était pas crédible?

[17]           Madame Tovar et sa fille soumettent que la SPR a fait preuve d’un zèle excessif afin de trouver des contradictions et des invraisemblances dans leur récit. Selon elles, la SPR n’aurait pas tenu compte de l’aspect culturel dans l’appréciation des avances sexuelles subies par Madame Tovar. De plus, elle n’aurait pas compris leurs explications au sujet des téléphones cellulaires publics utilisés en Colombie. La SPR aurait aussi mal saisi que Madame Tovar avait d’abord cherché refuge dans son propre pays, tel qu’elle avait l’obligation de le faire, lors des événements survenus en avril 2013. Madame Tovar plaide que le témoignage d’un demandeur d’asile est présumé véridique (Adu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1995] ACF No 114 (CAF) au para 1; Maldonado c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1980] 2 CF 302 (CAF) [Maldonado] au para 5), et que la décision de la SPR doit être fondée sur la prépondérance de la preuve.

[18]           Je ne peux pas souscrire aux arguments avancés par Madame Tovar et sa fille. Je partage plutôt l’avis du ministre à l’effet que toute la preuve au dossier a été considérée par la SPR et qu’elle appuie amplement les conclusions de la SPR sur le manque de crédibilité de Madame Tovar. L’évaluation de la preuve et de la crédibilité de Madame Tovar relève du pouvoir discrétionnaire de la SPR et il n’appartient pas à la Cour d’y substituer sa propre interprétation.

[19]           Les principes qui régissent la façon dont un tribunal administratif doit apprécier la crédibilité et la vraisemblance du récit d’un demandeur d’asile peuvent se résumer comme suit. D’entrée de jeu, il faut préciser que la présomption de véracité énoncée dans la décision Maldonado n’est pas irréfragable, et que le manque de crédibilité d’un demandeur d’asile suffit pour la repousser. De plus, même si des éléments peuvent être insuffisants lorsque pris individuellement ou isolément, l’accumulation de contradictions, d’incohérences internes ou d’omissions en lien avec des éléments cruciaux du récit d’un demandeur d’asile peut sous-tendre une conclusion négative quant à sa crédibilité (Sary c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2016 CF 178 au para 20; Quintero Cienfuegos c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 1262 au para 1).

[20]           Certes, la SPR ne peut pas fonder sa conclusion quant au manque de crédibilité sur des contradictions mineures relevées dans des éléments de preuve secondaires ou marginales à la demande d’asile. Le tribunal ne doit donc pas aller trop en profondeur dans son approche ou se livrer à une analyse de la preuve qui soit « microscopique ». Autrement dit, ce ne sont pas toutes les incohérences et invraisemblances qui peuvent justifier une conclusion défavorable quant à la crédibilité; ce type de conclusion ne doit pas reposer sur un examen microscopique de questions sans pertinence ou périphériques à la demande d'asile (Attakora c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) (1989), 99 NR 168 (CAF) au para 9; Cooper c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 118 [Cooper] au para 4; Akhigbe c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) 2002 CFPI 249 au para 16).

[21]           Cependant, à l’inverse, une absence de crédibilité relative aux éléments centraux d’une revendication pourra s’étendre aux autres éléments de la demande d’asile (Sheikh c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] ACF No 604 (CAF) aux para 7-9) et être généralisée à l’ensemble de la preuve documentaire présentée pour corroborer une version des faits.

[22]           La SPR est également en droit de tirer des conclusions portant sur la crédibilité d’un demandeur d’asile en se basant sur l’invraisemblance, le bon sens et la raison, et de rejeter des témoignages irréfutés si ceux-ci ne sont pas compatibles avec les probabilités propres à l'affaire prise dans son ensemble (Hilo au para 4; Shahamati c Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1994] ACF No 415 (CAF) au para 2; Yin c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 544 au para 59; Hernandez Utrera c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CF 1212 au para 61). Mais les conclusions et les inférences de la SPR doivent toujours demeurer raisonnables et être formulées en termes clairs et explicites (Cooper au para 4).

[23]           En l’espèce, les conclusions de la SPR sur le manque de crédibilité de Madame Tovar se fondent sur plusieurs motifs valables. Il faut d’abord mentionner que Madame Tovar a livré une version différente de son histoire à l’audience et a bonifié son témoignage en alléguant des avances sexuelles attribuées à Le Monsieur, des allégations jusque-là absentes de sa demande d’asile. Compte tenu qu’il ne s’agissait pas d’un élément périphérique à sa demande, loin de là, il est difficile de concevoir que Madame Tovar n’ait pas détaillé cet aspect dans son récit initial, tel qu’elle avait l’obligation de le faire.

[24]           Au surplus, la SPR a recensé plusieurs autres invraisemblances et incohérences lors du témoignage de Madame Tovar, qui minaient la crédibilité de cette dernière. Parmi celles-ci figure l’omission du fait que Le Singe aurait été à l’origine de la disparation de plusieurs autres femmes, un élément pourtant significatif pour établir une crainte objective de persécution. C’est aussi à bon droit que la SPR s’est attardée sur le défaut de Madame Tovar de contacter les autorités colombiennes après les menaces physiques reçues du Singe en 2013, au moment où elle avait alors l’intention de demeurer en Colombie. Il n’était pas logique qu’elle ne cherche pas à obtenir une protection à cette époque alors que, deux ans plus tard en 2015, elle y aurait rapidement eu recours en quelques jours à peine, après avoir déjà décidé de quitter le pays. La SPR a par ailleurs trouvé invraisemblable que Madame Tovar soit soudainement menacée deux ans après les incidents originaux, alors qu’elle avait vécu à Bogota pendant cette période sans être inquiétée par Le Singe ou Le Monsieur. Or, selon Madame Tovar, Le Singe avait été passablement insistant en avril 2013 et avait multiplié les sollicitations à son endroit sur une très courte période de temps; dans ces circonstances, il n’était certes pas déraisonnable pour la SPR de conclure que, si Madame Tovar devait être sujette à des représailles, celles-ci se seraient manifestées bien avant avril 2015.

[25]           En définitive, j’estime que l’analyse de la crédibilité de Madame Tovar faite par la SPR n’est entachée d’aucune erreur révisable. Il est bien établi que la Cour doit faire preuve d’une déférence importante à l’égard de l’appréciation que fait la SPR de la crédibilité d’un demandeur d’asile, ces questions de crédibilité étant au cœur même de la compétence de la SPR (Dunsmuir au para 53; Aguebor au para 4; Rahal c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2012 CF 319 au para 22). Toutes les déterminations de la SPR qui fondent sa conclusion de non-crédibilité de Madame Tovar sont raisonnables et il ne fait aucun doute qu’elles appartiennent aux issues possibles acceptables pouvant se justifier en regard des faits et du droit.

[26]           Par ailleurs, le fait qu’un élément de preuve ne soit pas traité expressément dans une décision ne la rend pas déraisonnable lorsque les motifs sont suffisants pour évaluer le raisonnement du tribunal (Corzas Monjaras c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 771 au para 20; Cepeda-Gutierrez c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1998] ACF No 1425 [Cepeda-Gutierrez] au para 16). La SPR est présumée avoir soupesé et examiné l’ensemble de la preuve qui lui a été présentée, à moins que le contraire ne soit établi (Newfoundland Nurses au para 16; Florea c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] ACF No 598 (CAF) au para 1). Dans le cas présent, je suis satisfait que la SPR a tenu compte de toute la preuve, même si elle ne se réfère pas directement à toutes ses composantes. Ce n’est que lorsqu’un tribunal passe sous silence des éléments de preuve qui contredisent ses conclusions de façon claire que la Cour peut intervenir et inférer que le tribunal n'a pas examiné la preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait (Cepeda-Gutierrez au para 17). Ce n’est pas le cas en l’espèce.

[27]           La Cour n'a pas pour mission d'apprécier de nouveau les éléments de preuve au dossier mais doit plutôt se limiter à rechercher si une conclusion a un caractère irrationnel ou arbitraire. Sous la norme de la décision raisonnable, il suffit que le processus et la décision respectent les principes de justification, de transparence et d’intelligibilité, et la Cour ne doit pas substituer son opinion à celle du tribunal. Les arguments avancés par Madame Tovar expriment simplement son désaccord sur l’appréciation de la preuve effectuée par la SPR et invitent en fait la Cour à préférer son évaluation et sa lecture à celle du tribunal. Or, ce n’est pas là le rôle de la Cour en matière de contrôle judiciaire (Kanthasamy c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CAF 113 au para 99; Cina c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 635 au para 67). Les motifs de la décision de la SPR sur le manque de crédibilité de Madame Tovar possèdent les attributs de la justification, de la transparence et de l’intelligibilité, et permettent de déterminer que la conclusion appartient aux issues possibles acceptables. Il n’y a donc pas lieu pour la Cour d’interférer.

B.                 La SPR a-t-elle commis une erreur en ne mentionnant pas les Directives dans sa décision?

[28]           Madame Tovar et sa fille soutiennent par ailleurs que la SPR a omis de prendre en considération les Directives dans sa décision, commettant ainsi une erreur justifiant l’intervention de la Cour. Les Directives ne sont en effet mentionnées nulle part dans les motifs de la SPR, alors que Madame Tovar a allégué être persécutée en raison de son sexe suite aux avances à caractère sexuel faites par Le Monsieur.

[29]           Je ne partage pas l’avis de Madame Tovar.

[30]           Dans Boluka c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 37, la juge Gagné a résumé ainsi l’application des Directives dans un contexte de contrôle judiciaire, au paragraphe 16 :

[16] La demanderesse doit démontrer que la SPR a manqué de sensibilité ou de compassion pour convaincre la Cour que les Directives n'ont pas été appliquées (Sandoval Mares c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2013 CF 297, au paragraphe 43). De plus, la Cour a déjà conclu que le fait que la SPR ne mentionne pas expressément les Directives dans ses motifs ne révèle pas, en soi, l'insensibilité de la SPR (Akinbinu c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2014 CF 581) et que le défaut de prendre en compte les Directives ne porte pas toujours un coup fatal à une décision (Higbogun, précitée, au paragraphe 65).

[31]           Il faut donc déterminer si, malgré le silence des motifs sur la question, les Directives devaient être considérées par la SPR en l’espèce et si, dans les faits, les Directives ont été appliquées par le tribunal.

[32]           Selon la jurisprudence, les Directives n’ont à être considérées par la SPR que dans les situations appropriées (Higbogun c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010 CF 445 au para 57). C’est le cas, par exemple, des demandeurs d’asile qui allèguent être victimes de violence en raison de leur sexe (Khon c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 143 [Khon] au para 20). Dans ses représentations, Madame Tovar se rabat fréquemment sur la décision Khon, dans laquelle le tribunal administratif avait refusé une demande d’asile en concluant que la demanderesse n’avait pas cherché à obtenir la protection de l’État et qu’il existait une possibilité de refuge interne. Dans cette affaire, le décideur n’avait pas examiné les Directives mais n’avait pas non plus douté de la véracité des allégations avancées par la demanderesse au sujet du harcèlement et des agressions à répétition subies aux mains de son ex-conjoint. La décision du tribunal avait été jugée déraisonnable en raison du défaut de prendre en compte et d’appliquer les Directives.

[33]           Cependant, la décision Khon n’est pas d’un grand secours pour Madame Tovar car elle se distingue manifestement du cas présent, en raison des conclusions de la SPR sur le manque de crédibilité de Madame Tovar. En effet, le fait pour la SPR de ne pas mentionner les Directives dans sa décision n’est pas une erreur déterminante lorsque le tribunal a devant lui un récit jugé non crédible et qu’il existe des preuves suffisantes supportant la conclusion du tribunal sur le manque de crédibilité d’un demandeur d’asile (Diallo c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2004 CF 1450 au para 36; Kaur c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1066 au para 12). Dans le cas de Madame Tovar, il ne subsistait aucune allégation crédible reliée à la persécution de nature sexuelle dont elle se prétendait victime. Dans ses motifs, la SPR a énoncé en termes clairs, explicites et intelligibles les raisons valables pour lesquelles elle doutait de la véracité des allégations de Madame Tovar et, dans un tel contexte, la SPR n’avait donc pas à appliquer les Directives (Munoz c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1273 au para 33).

[34]           À tout événement, le fait que les Directives ne soient pas mentionnées dans les motifs de la décision ne signifie pas qu’elles n’ont pas été considérées ou que la SPR ait été sourde aux principes établis par les Directives. Une simple lecture de la décision et du dossier laisse bien voir que la SPR n’a pas agi de manière inappropriée ou fait preuve d’un manque de sensibilité à l’égard de Madame Tovar. Compte tenu de la teneur des allégations avancées par Madame Tovar lors de l’audience devant la SPR, il eût peut-être été souhaitable, et plus transparent, que la SPR mentionne expressément les Directives dans ses motifs. Même si la SPR ne l’a pas fait, rien n’autorise toutefois à conclure qu’elle n'a pas tenu compte des Directives dans sa décision. Au contraire, les transcriptions de l’audience laissent transparaître la compassion et la sensibilité démontrées par la SPR à l’endroit de Madame Tovar. Les Directives servent à s’assurer que les revendications fondées sur le sexe soient entendues avec compassion et sensibilité et, même si elle avait conclu à un manque de crédibilité de la part de Madame Tovar, je suis satisfait que la SPR a tout à fait suivi la lettre et l’esprit des Directives dans le cas présent.

III.             Conclusion

[35]           Pour les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire de Madame Tovar et de sa fille est rejetée. La décision de la SPR refusant leur demande d’asile est transparente et intelligible, et ses conclusions sur le manque de crédibilité de Madame Tovar appartiennent aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit. De plus, en aucun temps la SPR n’a-t-elle manqué à ses obligations au niveau de l’application des Directives.

[36]           Les parties n’ont pas soulevé de question grave d’intérêt général à certifier dans leurs représentations et je suis d’accord qu’il n’y en a aucune.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      La demande de contrôle judiciaire est rejetée, sans dépens;

2.      Aucune question grave de portée générale ne sera certifiée.

« Denis Gascon »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3818-15

INTITULÉ :

JENNY MARCELA TOVAR MORA, SARA SIERRA TOVAR c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 février 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE GASCON

DATE DES MOTIFS :

LE 30 MAI 2016

COMPARUTIONS :

Me Manuel Centurion

Pour les demandeRESSES

Me Alain Langlois

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Manuel Centurion – Avocat

Avocat(e)s

Montréal (Québec)

Pour les demandeRESSES

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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