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Date : 20160603


Dossier : T-1916-14

Référence : 2016 CF 620

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 3 juin 2016

En présence de monsieur le juge Barnes

ENTRE :

MAX REALTY SOLUTIONS LTD.

appelante

et

LE DIRECTEUR DU CENTRE D’ANALYSE DES OPÉRATIONS ET DÉCLARATIONS FINANCIÈRES DU CANADA

intimé

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Il s’agit d’un appel interjeté en vertu de l’article 73.21 de la Loi sur le recyclage des produits de la criminalité et le financement des activités terroristes, L.C. 2000, ch. 17 (la Loi), dans lequel Max Realty Solutions Ltd. (Max Realty) conteste la décision du directeur du Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada (le directeur) établissant que Max Realty a violé cette loi. Plus précisément, le directeur a conclu que Max Realty n’a pas nommé un agent de conformité, n’a pas élaboré par écrit de principes et de mesures de conformité mis à jour ni appliqué ceux-ci, n’a pas évalué les risques visés ni conservé de documents à cet effet, n’a pas élaboré ni mis à jour un programme écrit de formation continue à l’intention de ses employés. Vu l’importance de ces constatations, le directeur a imposé des amendes s’élevant à 27 000 $.

[2]               Max Realty a interjeté appel de la décision susmentionnée à notre Cour le 13 novembre 2009. Après avoir examiné minutieusement la preuve, la juge Cecily Strickland conclut que le constat de culpabilité du directeur était raisonnable : voir Max Realty Solutions Ltd. c. Canada, 2014 CF 656, paragraphe 66, (2014) 458 FTR 160 [Max Realty no 1]. Cependant, elle a annulé le montant de l’amende, sur lequel le Directeur devait statuer à nouveau, pour les raisons suivantes :

[76]      En l’espèce, bien que le directeur ait estimé que les faits ne permettaient pas de conclure que la cinquième violation avait été commise et qu’il l’ait de ce fait supprimé et imposé une pénalité de 27 000 $ plutôt que celle de 37 500 $ mentionnée dans le procès-verbal, rien n’indique que le directeur a examiné la demande de révision formulée par Max Realty. De plus, rien n’explique le montant de la pénalité choisi, les facteurs de détermination pris en compte, si le recours à une transaction a été envisagé ou si l’exercice du pouvoir discrétionnaire conféré au directeur d’imposer la pénalité mentionnée au procès-verbal ou une pénalité réduite, ou encore de n’imposer aucune pénalité (paragraphe 73.15(2)) a été considéré.

[77]      Le procureur général reconnaît qu’il s’agit du premier appel de ce type jamais interjeté et que le Règlement sur les pénalités n’est entré en vigueur que le 30 décembre 2008; qu’une analyse plus approfondie de l’amende accompagnait les procès-verbaux dressés dans des affaires postérieures; enfin, qu’une politique interne sur les amendes n’a pas été communiquée à Max Realty, mais l’a été par la suite à d’autres contrevenants. La politique semble fournir pour l’imposition d’amendes des orientations fondées sur l’importance du préjudice causé, les antécédents de conformité ainsi que la taille de l’entité concernée et sa capacité à payer.

[78]      Dans l’arrêt Lemire c. (Commission des droits de la personne), 2014 CAF 18 (CanLII), la Cour d’appel fédérale a déclaré (au paragraphe 102) : « En vérité, les considérations pertinentes au regard de la détermination de la peine peuvent recouper celles qui régissent l’imposition d’une sanction administrative, puisque les dispositions visent dans les deux cas à prévenir une conduite interdite par la loi. » En l’espèce, la difficulté réside dans le fait que Max Realty conteste, en partie et bien que cela ne soit pas dit explicitement, le montant de l’amende. En l’absence de tout motif, ou même de renvoi à des amendes imposées dans des circonstances comparables, la Cour n’est pas en mesure de déterminer si l’amende imposée à l’appelante est ou non raisonnable.

[79]      Pour ce motif, la décision relative à la perpétration des infractions est confirmée, mais l’amende est annulée et la question de son montant est renvoyée au directeur; si une amende est ensuite imposée Max Realty dans sa lettre du 29 juillet 2009, les motifs de la détermination de son montant devront lui être communiqués.

[3]               Conformément à la décision de la juge Strickland, le directeur a reconsidéré le montant de l’amende à imposer, qui a été établi cette fois à 9 000 $. C’est cette dernière décision qui est portée en appel dans l’affaire qui nous occupe.

I.                   Analyse

[4]               Le directeur doit établir des pénalités d’après les faits en usant de son pouvoir discrétionnaire, conformément à la Loi. La norme applicable dans cette affaire est celle de la décision raisonnable : voir Canada c. Kabul Farms Inc., 2016 CAF 143, paragraphe 7, [2016] ACF no 480 (WL) [Kabul Farms] et l’analyse de la juge Strickland dans l’affaire Max Realty no 1, paragraphe 31.

[5]               L’argument principal de Max Realty remet en cause, encore une fois, le bien-fondé du constat de culpabilité établi par le directeur. Le caractère raisonnable de ce constat a été établi par la juge Strickland la dernière fois que notre Cour a été saisie de l’affaire, soit lors d’un appel, et cette question ne peut être plaidée à nouveau dans le contexte du présent appel. Le caractère définitif des instances s’applique ici, comme le décrit la Cour suprême du Canada dans l’affaire Danyluk c. Ainsworth Technologies Inc., 2001 CSC 44, au paragraphe 18, [2001] 2 RCS 460.

18        Le droit tend à juste titre à assurer le caractère définitif des instances. Pour favoriser la réalisation de cet objectif, le droit exige des parties qu’elles mettent tout en œuvre pour établir la véracité de leurs allégations dès la première occasion qui leur est donnée de le faire. Autrement dit, un plaideur n’a droit qu’à une seule tentative. L’appelante a décidé de se prévaloir du recours prévu par la LNE. Elle a perdu. Une fois tranché, un différend ne devrait généralement pas être soumis à nouveau aux tribunaux au bénéfice de la partie déboutée et au détriment de la partie qui a eu gain de cause. Une personne ne devrait être tracassée qu’une seule fois à l’égard d’une même cause d’action. Les instances faisant double emploi, les risques de résultats contradictoires, les frais excessifs et les procédures non décisives doivent être évités.

[6]               Par conséquent, la seule question que notre Cour peut examiner lors de ce deuxième appel est le caractère raisonnable de l’évaluation de la pénalité revue par le directeur. Même si cette question a été soulevée dans l’avis d’appel, la défense ne présente aucun argument à cet effet dans le mémoire des faits et du droit. Le seul argument avancé lors des plaidoiries était que Max Realty ne peut se permettre de payer la somme de 9 000 $. En gros, il reviendrait à la Cour de deviner le fond des préoccupations de Max Realty.

[7]               À la suite de la première décision rendue dans l’affaire présente, la Cour d’appel fédérale a rendu une autre décision dans l’affaire Kabul Farms, précitée. Le juge David Stratas a relevé dans son jugement des lacunes dans l’évaluation de la pénalité établie par le directeur, lacunes qui semblent très bien décrire la décision du directeur en l’espèce. En confirmant la décision du juge Simon Fothergill (2015 CF 628), le juge Stratas a critiqué l’absence de justification de la part du directeur dans le calcul de la pénalité. Voici quelques-unes des préoccupations du juge Stratas qui s’appliquent en l’espèce :

[28]      Pour le directeur, la première étape consistait à choisir, dans un barème de 1 à 100 000 $, un montant de base conséquent avec le tort, potentiel ou réel, attribuable à la violation reprochée. Il a retenu des montants respectifs de 50 000 $, de 75 000 $ et de 25 000 $ pour les 3 violations. Son résumé des calculs ou les lettres qu’il nous a adressées pour nous expliquer pourquoi ces montants étaient conséquents avec les torts potentiels ou réels ne sont guère édifiants. Nous pouvons présumer que le directeur a considéré que les torts réels ou potentiels se situaient respectivement au centre, à la limite supérieure et à la limite inférieure du barème. Toutefois, il est impossible de savoir quels éléments de preuve ou quelle analyse sont à l’origine de ses conclusions. Pour autant que nous sachions, le directeur aurait très bien pu choisir certains chiffres dans le seul but, illicite en soi, d’augmenter les revenus. Et qui nous dit qu’il n’a pas sorti ces chiffres de nulle part, tout aussi illicitement?

[29]      Examinons maintenant les réductions de 20 et 95 % que le directeur a appliquées aux montants de base. Il a choisi ces pourcentages afin de remplir les critères législatifs afférents aux antécédents de conformité et à la nécessité de faire primer l’encouragement à la conformité sur la coercition. Il faut toutefois aller plus loin et nous interroger sur les pourcentages retenus, soit 20 % et de 95 %, la question étant de savoir s’ils sont acceptables et justifiables compte tenu de la preuve soumise au directeur. Disposait-il d’éléments de preuve corroborant ou justifiant le choix de ces pourcentages?

[30]      Nous analyserons en premier lieu la réduction de 20 %, pour laquelle le directeur ne donne aucune justification, pas plus qu’il ne l’a fait pour le choix des montants de base. Le dossier dont il disposait et qui nous a été soumis aux fins du contrôle judiciaire indique que l’intimée a saisi l’autorité réglementaire des questions soulevées en l’espèce, un geste qui suggère une certaine volonté de se conformer, qui normalement militerait en faveur d’une approche plus clémente. À l’opposé, le dossier révèle que l’intimée n’a point remédié aux problèmes relevés, en dépit des velléités manifestées au directeur à cet égard. On peut en déduire que des semonces étaient nécessaires pour rectifier cette attitude, qui fait pencher la balance en faveur d’une approche moins clémente. La preuve va donc dans les deux sens. Pourquoi le directeur a-t-il appliqué un pourcentage de 20 % plutôt qu’un pourcentage de 5 ou de 60 %. Nous n’en avons pas la moindre idée.

[31]      Passons maintenant à la réduction de 95 %. Là encore, le directeur nous laisse dans le vague relativement à ce choix. D’après le dossier, afin de lui imposer une pénalité qui l’encouragerait à se conformer sans être indûment punitive, le directeur a tenu compte du fait que l’entreprise de l’intimée n’est pas un gros établissement financier rentable, mais plutôt une entité de taille modeste. Cela étant dit, le défaut de l’intimée de remédier aux problèmes relevés suggère, là encore, la nécessité d’un redressement de son attitude en matière de conformité. Donc, comme c’est le cas pour la réduction de 20 %, la preuve va dans les 2 sens. Pourquoi le directeur a-t-il opté pour une réduction de 95 %? Pourquoi pas 30 ou 65 %? Nous n’en avons pas la moindre idée.

[32]      Jusqu’à preuve du contraire, les réductions de 20 % et de 95 % peuvent sortir de nulle part ou elles peuvent avoir été choisies pour des considérations complètement étrangères à la législation. Il se pourrait que le directeur n’ait pas poussé son enquête assez loin pour réunir la preuve requise pour étayer sa décision. Il est tout simplement impossible de le savoir. Nous ne disposons d’aucun élément probant qui éclairerait notre lanterne. En l’espèce, nous sommes une juridiction de révision privée de ses moyens.

[8]               Le juge Stratas a également exprimé des doutes concernant le recours présumé à une directive stricte et non divulguée contenant des formules servant à déterminer les sanctions réglementaires : voir les paragraphes 40 et 41. Lors de l’audience en l’espèce, j’ai exprimé des préoccupations semblables, en m’appuyant en partie sur l’analyse du juge Fothergill dans l’affaire Kabul Farms, précitée, en ce qui concerne la possibilité d’entrave.

[9]               Le directeur doit prendre soin de ne pas appliquer les directives comme si celles-ci avaient force de loi. Son pouvoir discrétionnaire ne doit pas être entravé; il doit lui permettre de considérer des éléments de preuve, comme l’exige le mandat du directeur prévu par la loi. Il convient de rappeler, par exemple, que le nombre d’employés à temps plein ne peut servir de base inflexible pour l’évaluation de la capacité à payer. Il se pourrait que d’autres facteurs soient pertinents. Le fait que le Règlement considère des amendes aussi faibles que 1 $ implique aussi que le directeur jouit d’un vaste pouvoir discrétionnaire qui lui permet de tenir compte d’un ensemble de renseignements pertinents; il ne peut donc pas se limiter à une formule qui jamais ne lui donnerait ce montant de 1 $.

[10]           En outre, l’article 73.11 de la Loi est formulé en termes généraux. Il y est question du caractère non punitif de la pénalité qui devrait encourager l’observation de la Loi. Ce dernier élément vient ajouter un peu plus de flexibilité dans l’évaluation des pénalités et demande au Directeur d’être attentif aux circonstances atténuantes et aggravantes.

[11]           Malgré les observations précédentes, je n’ai rien reçu de Max Realty qui m’inciterait à penser que le directeur a refusé de tenir compte de certains éléments de preuve dans le calcul de la pénalité imposée. Il se peut que Max Realty n’ait pas eu vent de ces directives.

[12]           Malgré l’absence d’argumentation de la part de l’appelante, la pénalité imposée par le directeur doit être annulée pour les mêmes raisons que celles invoquées par la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Kabul Farms, précitée. En d’autres termes, il m’est impossible de déterminer de quelle façon le directeur a établi les montants de base et les réductions dans la présente affaire.

[13]           Même si j’agrée en partie avec l’appelante, je ne suis pas disposé à allouer les frais et dépens en sa faveur. L’entreprise n’a pas retenu les services d’un avocat et les arguments présentés à la Cour n’ont pas été utiles en dépit de ses bonnes intentions. Je remarque également que le défendeur n’a pas réclamé les dépens de l’appelante.


JUGEMENT

LA COUR accueille l’appel, en partie, et le directeur doit déterminer à nouveau le montant de la pénalité conformément aux présents motifs.

 « R.L. Barnes »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

T-1916-14

 

INTITULÉ :

MAX REALTY SOLUTIONS c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 2 mai 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BARNES

 

DATE DES MOTIFS :

Le 3 juin 2016

 

COMPARUTIONS :

Shahin Mirkhan

Pour l’appelante

(EN SON PROPRE NOM)

 

James Gorham

Pour l’intimé

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

S.O.

Pour l’appelante

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour l’intimé

 

 

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