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Date : 20160531

Dossiers : T-2175-04

T-2056-11

Référence : 2016 CF 593

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 31 mai 2016

En présence de monsieur le juge Hughes

Dossier : T-2175-04

ENTRE :

JANSSEN INC. ET DAIICHI SANKYO COMPANY, LIMITED

demanderesses

(défenderesses reconventionnelles)

et

TEVA CANADA LIMITÉE

défenderesse

(demanderesse reconventionnelle)

Dossier : T-2056-11

ET ENTRE :

JANSSEN-ORTHO LLC, JANSSEN PHARMACEUTICALS, INC., et OMJ PHARMACEUTICALS, INC.

demanderesses

et

TEVA CANADA LIMITÉE et

DAIICHI SANKYO COMPANY, LIMITED

défenderesses


JUGEMENT PUBLIC ET MOTIFS

[1]               La présente décision porte sur la détermination et la quantification des dommages-intérêts faisant suite à une décision de la présente Cour dans le dossier numéro T-2175-04, datée du 17 octobre 2006, dans laquelle je suis venu à la conclusion que la revendication 4 du brevet canadien numéro 1 304 080 était valide et qu’elle avait été contrefaite par la défenderesse, Novopharm Limited, maintenant Teva Canada Limitée. J’avais accordé une injonction et des dommages-intérêts, sans toutefois accorder un dédommagement pour la perte de profits. Cette décision, dont les motifs sont cités sous la référence 2006 CF 1234, a été confirmée par la Cour d’appel fédérale le 7 juin 2007 (dossier numéro A-500-06, dont les motifs sont cités sous la référence 2007 CAF 217). L’autorisation d’interjeter appel a été refusée par la Cour suprême du Canada le 6 décembre 2007 (dossier numéro 32200).

[2]               Pour les fins de la présente décision, le dispositif de ma décision précédente, suivant une déclaration relativement à la validité et à la contrefaçon de la revendication 4 et l’octroi de dommages-intérêts (tels qu’ils ont été confirmés subséquemment comme nous l’avons déjà mentionné), est le suivant :

3.         La défenderesse peut opter pour l’une ou l’autre des mesures énoncées ci-dessous au regard des produits contenant de la lévofloxacine qui sont en sa possession, sous sa garde ou sous son contrôle à la date du prononcé du présent jugement :

a.   vendre ces produits dans le cours normal de ses activités conformément au paragraphe 2 ci-dessus, pourvu qu’elle se départisse de tous les produits non vendus à l’expiration de la période de trente (30) jours de la façon prévue à l’alinéa b) ou à l’alinéa c) ci-dessous;

b.   détruire ces produits et fournir un affidavit d’un agent compétent de la défenderesse attestant cette destruction;

c.   remettre ces produits aux demanderesses au lieu et de la manière précisés par les demanderesses, étant entendu que si cette remise doit être faite à l’extérieur de la région du Grand Toronto, les demanderesses devront en prendre les coûts à leur charge;

4.         Les demanderesses ont droit d’être indemnisées par la défenderesse de tous les dommages subis en raison des activités de la défenderesse qui constituent une contrefaçon de la revendication 4 du brevet. La Cour tiendra une instruction séparée, précédée d’une communication préalable si les parties en font la demande, pour déterminer le montant des dommages et des intérêts accordés par le présent jugement. Tout montant versé conformément au paragraphe 2 ci-dessus devra être pris en compte, par déduction ou autrement, dans le calcul définitif du montant des dommages-intérêts.

5.         Les demanderesses ont droit aux intérêts avant jugement sur le montant des dommages-intérêts, intérêts non composés calculés séparément pour chaque année depuis le début de la contrefaçon au taux bancaire annuel moyen établi par la Banque du Canada comme le taux minimal auquel la Banque du Canada consent des avances à court terme aux banques énumérées à l’annexe I de la Loi sur les banques, S.R.C. 1985, ch. B-1.

6.         Les demanderesses ont droit aux intérêts après jugement, non composés, au taux de cinq pour cent (5 %) par année. Ces intérêts sont comptabilisés à compter de la détermination définitive du montant des réparations pécuniaires; avant cette date, les intérêts avant jugement s’appliquent.

[3]               Voici une liste des sujets couverts par les présents motifs recoupés par numéro de paragraphe :

SUJET

PARAGRAPHE

  1. LES PARTIES

4

  1. BREVET EN CAUSE

8

  1. PRODUITS DE JANSSEN

11

  1. PRODUITS DE TEVA/NOVOPHARM

13

    V.            LA PREUVE/LES TÉMOINS

a)      Éléments de preuve convenus

b)      Preuve des demanderesses Janssen

c)      Preuve de la défenderesse Teva

14

15

16

20

  1. GLOSSAIRE

24

  1. QUESTIONS EN LITIGE

25

  1. PREMIÈRE QUESTION EN LITIGE – QUALITÉ DE JANSSEN É.-U.

26

  1. DEUXIÈME QUESTION EN LITIGE – MONTANT DES DOMMAGES-INTÉRÊTS

a)      Quantification des dommages de manière générale

b)      Faits, hypothèses et jeu de chiffres

c)      Thèses des parties et concessions

d)      Le marché tel qu’il existait dans les faits

e)      Scénarios

f)        Le marché « n’eût été » l’entrée du produit générique

i)          Le cours normal des événements

ii)      Concurrence – Autres molécules

iii)      Perturbations dans le marché

g)      Conclusions relatives au marché potentiel « n’eût été » l’entrée du produit générique

h)      Période du préjudice

i)        Ventes dans les hôpitaux – Compression de prix

j)        Ventes dans les hôpitaux – Groupe « diamant », « non-diamant » et « établissements d’enseignement/gouvernements »

k)      Ventes dans les hôpitaux – Pourcentage

l)        Redevances versées à Janssen Porto Rico

69

69

72

74

75

89

91

97

99

101

104

107

116

119

125

132

  1. TROISIÈME QUESTION EN LITIGE – INTÉRÊTS AVANT JUGEMENT

133

  1. QUATRIÈME QUESTION EN LITIGE – LIMITATION DES DOMMAGES

139

  1. DÉPENS

148

  1. CONCLUSIONS

149

I.                   LES PARTIES

[4]               La demanderesse dans le dossier numéro T-2175-04 est Janssen Inc. (anciennement Janssen-Ortho Inc.), désignée dans la présente par Janssen Canada. Il a été établi, au paragraphe 3 de mes motifs précédents, que cette société est une société canadienne titulaire d’une licence de la demanderesse, Daiichi Sankyo Company, Limited, et qu’elle constitue ainsi une personne se réclamant du brevet en cause.

[5]               Il a été déterminé au paragraphe 2 de mes motifs précédents que Daiichi Sankyo Company, Limited, désignée dans la présente par Daiichi, est une société japonaise titulaire du brevet en cause. Daiichi, en sa qualité de titulaire du brevet, est également nommée à titre de défenderesse dans le dossier numéro T-2056-11. Dans une lettre adressée à la Cour en date du 9 novembre 2012, les avocats de Daiichi ont déclaré que la société n’avait pas l’intention de participer à la présente instance, qu’elle avait réglé sa réclamation en dommages-intérêts contre Teva Canada Limitée, et qu’elle se conformera à la décision de la Cour dans le présent dossier.

[6]               L’autre défenderesse dans le dossier numéro T-2056-11, et l’unique défenderesse dans le dossier numéro T-2175-04, est Teva Canada Limitée. Au moment de rendre ma décision précédente dans le dossier numéro T-2175-04, cette défenderesse était connue sous le nom de Novopharm Limited. Au paragraphe 4 de mes motifs précédents, j’ai conclu qu’elle était une société établie au Canada qui, depuis le mois de décembre 2004 environ, commercialisait et vendait des produits à base de lévofloxacine au Canada. Je référerai généralement à cette partie en tant que Teva, et parfois, Novopharm.

[7]               Les demanderesses dans le dossier numéro T-2056-11 sont trois sociétés liées à Janssen. Janssen-Ortho LLC est une société à responsabilité limitée du Delaware, parfois appelée JOLLC dans les éléments de preuve. Janssen Pharmaceuticals, Inc. est une société par actions de la Pennsylvanie, parfois appelée JPI ou Janssen É.-U. dans les éléments de preuve. OMJ Pharmaceuticals, Inc. est une société par actions du Delaware, parfois appelée OMJ dans les éléments de preuve. Collectivement, JOLLC et OMJ sont parfois appelées Janssen Porto Rico.

II.                BREVET EN CAUSE

[8]               Le brevet en cause est le brevet canadien numéro 1 304 080, que l’on désignera dans la présente sous le nom de brevet 080. La demande pour ce brevet a été déposée au Bureau des brevets du Canada le 19 juin 1986, de sorte que le brevet est régi par les dispositions de « l’ancienne » Loi sur les brevets, S.R.C. 1985, ch. P-4 (avant le 1er octobre 1989). Le brevet a été délivré et accordé à Daiichi le 23 juin 1992, et a expiré dix-sept (17) ans plus tard, soit le 23 juin 2009.

[9]               J’ai conclu dans ma décision précédente que la revendication 4 du brevet 080 était valide et qu’elle avait été contrefaite par Teva en ce qu’elle avait vendu, offert en vente et autrement fait le commerce au Canada de produits contenant de la lévofloxacine. Le 17 octobre 2006, j’ai interdit à Teva de procéder à d’autres ventes et de faire autrement le commerce au Canada de produits contenant de la lévofloxacine, sous réserve d’une période dite « de vente » de trente (30) jours lui permettant de se départir de ces produits moyennant toutefois un paiement à Janssen. Teva a tiré parti de cette période et elle a déjà versé le paiement dû à Janssen relativement à ces produits. Les témoins experts ont tenu compte de ce paiement dans leurs calculs.

[10]           Après l’expiration du brevet le 23 juin 2009, Teva, ainsi que toute autre personne, pouvaient vendre ou autrement faire le commerce au Canada de produits contenant de la lévofloxacine, libres de toute réclamation pour contrefaçon à l’égard du brevet 080.

III.             PRODUITS DE JANSSEN

[11]           Janssen Inc. vend et fait autrement le commerce au Canada de produits contenant de la lévofloxacine depuis 1998 environ. Ces produits ont été offerts, à différents moments, sous forme de comprimés de divers dosages, soit de 250 mg, de 500 mg et de 750 mg, sous le nom LEVAQUIN.

[12]           Janssen Inc. a également vendu et autrement fait le commerce au Canada de produits de solution intraveineuse contenant de la lévofloxacine, sans toutefois réclamer de dommages-intérêts en ce qui a trait à ces produits dans la présente demande.

IV.             PRODUITS DE TEVA/NOVOPHARM

[13]           La défenderesse, Teva/Novopharm, a lancé ses comprimés génériques contenant de la lévofloxacine dans le marché canadien en décembre 2004, et elle a continué de les vendre et de les distribuer jusqu’à ce qu’une injonction soit accordée par notre Cour le 17 octobre 2006, sous réserve de la période de vente de trente (30) jours susmentionnée. Ces comprimés étaient vendus dans des dosages de 250 mg et de 500 mg sous le nom Novo-Levofloxacin.

V.                LA PREUVE/LES TÉMOINS

[14]           La preuve présentée lors du procès est commune pour les deux dossiers, T-2175-04 et T-2056-11.

a)        Éléments de preuve convenus

[15]           Les avocats ont accompli un travail tout à fait louable en s’entendant sur de nombreux faits, lesquels sont énoncés aux pièces A1, A2, A3, A40 et A43. Ils ont également convenu de plusieurs documents, dont la preuve sera dispensée, bien que la véracité du contenu de certains de ceux-ci soit contestée. Ces documents sont répartis dans plusieurs volumes, et un onglet numéroté est attribué à chaque document; collectivement, ces volumes ont été déposés en preuve (pièce A4), et ils ont été complétés par des documents sur support électronique dans une clé USB (pièce A14). Un livret renfermant les avis de demandes d’admission et les réponses connexes signifiés par chaque partie à l’autre a été déposé en preuve (pièce A66).

b)      Preuve des demanderesses Janssen

[16]           Janssen a fait entendre trois témoins experts qui ont chacun soumis des rapports, lesquels sont réputés avoir été lus dans le dossier :

1.                   Dr Jerry Rosenblatt, Ville Mont-Royal (Québec). Son rapport et sa réponse ont été déposés en preuve (pièces P5 et P6). Les parties ont accepté que ce témoin soit appelé à témoigner à titre de témoin expert, et elles ont convenu de ses qualifications comme suit :

[traduction] Il est un expert dans la commercialisation de produits pharmaceutiques au Canada, ainsi que dans l’analyse de données et la prévision relativement aux ventes de produits pharmaceutiques et aux parts de marché au Canada, y compris en ce qui a trait à l’incidence de l’introduction d’un produit générique.

J’ai trouvé que ce témoin était direct et faisait preuve de professionnalisme lors de son témoignage. Certaines de ses opinions étaient basées sur ce que le Dr Chan lui avait mentionné quant à l’état du marché au Canada.

2.                   Farley Cohen, Toronto (Ontario). Ses rapports et annexes ont été déposés en preuve (pièces P7, P8, P9, P10 et P11). Les parties ont accepté que ce témoin soit appelé à témoigner à titre de témoin expert, et elles ont convenu de ses qualifications comme suit :

[traduction] … comptable agréé expert et évaluateur d’entreprise avec une spécialisation en comptabilité d’enquête et en comptabilité judiciaire, doté d’une expertise dans la quantification des dommages économiques et de la perte de profits, de même que dans la détermination des revenus.

Encore une fois, j’ai trouvé que ce témoin était direct et faisait preuve de professionnalisme dans le cadre de son témoignage. Certaines de ses opinions étaient basées sur celles du DRosenblatt et du DChan.

3.                   Dr Charles Chan, North York (Ontario). Son rapport et son rapport en réponse ont été déposés en preuve (pièces P19 et P20). Les parties ont accepté que ce témoin soit appelé à témoigner à titre de témoin expert, sans toutefois être en accord sur ses qualifications. Les avocats de Janssen ont proposé de définir son expertise comme suit :

[traduction] … comme expert pour les motifs suivants : un médecin détenant une certification à titre de spécialiste en pneumologie et possédant une expertise en ce qui a trait aux maladies des voies respiratoires, aux anti-infectieux et aux pratiques de prescription, y compris une expertise relative aux lignes directrices canadiennes sur les antibiotiques.

Les avocats de Teva étaient en désaccord quant à son expertise relative aux pratiques de prescription et aux lignes directrices canadiennes sur les antibiotiques. Après avoir entendu le Dr Chan, j’accepte la déclaration de Janssen à l’égard de ses qualifications. J’ai toutefois quelques réserves au sujet de son témoignage. Bien que le Dr Chan possède un vaste savoir et des années d’expérience relativement à plusieurs des médicaments en cause, il a été incapable de répondre à de simples questions posées par ses propres avocats ou par les avocats en contre-interrogatoire sans entrer dans des réponses longues, complexes et souvent non pertinentes. En accusant fréquemment l’avocat menant le contre-interrogatoire de tenter de le tromper ou de déformer les faits ou ses propres réponses, il est de toute évidence une personne qui n’est pas habituée de voir ses opinions être remises en question. Je traiterai le témoignage du DChan avec prudence.

[17]           Janssen a fait entendre sept témoins des faits, à savoir :

1.                   Rod Curtis, Markham (Ontario). Directeur financier des activités médicales de Janssen au Canada. Il a témoigné sur la structure organisationnelle de Janssen au Canada et dans d’autres pays de l’hémisphère occidental.

2.                   Jeff Smith, Flemington (New Jersey). Vice-président de l’expansion des affaires de Janssen Pharmaceuticals Inc. Il travaille au sein de Janssen (et de ses sociétés remplacées) depuis trois décennies environ, et il a témoigné sur l’évolution de la structure organisationnelle de la société. Il a fourni un organigramme organisationnel (pièce P17). Bien que j’accepte son témoignage, pour ce qu’il est, celui-ci n’a été appuyé par aucun document. Je n’ai pas été surpris qu’il n’ait pas été en mesure d’identifier certains documents, comme des factures, mais il a aussi été incapable d’identifier des documents de « haut niveau », comme des contrats de licence et des lettres d’entente.

3.                   John Stewart, Holland Landing (Ontario). Directeur d’une unité fonctionnelle de Janssen Inc. Il a été impliqué au niveau supérieur dans la société Janssen Inc. (et ses sociétés remplacées) dans la commercialisation de ses produits à base de lévofloxacine au Canada. Il a témoigné d’une manière directe au sujet de la stratégie et des décisions de commercialisation de Janssen quant à ses produits à base de lévofloxacine au Canada.

4.                   Seth Fischer, Bridgewater (New Jersey). Il a travaillé pendant de nombreuses années au sein de la société Johnson & Johnson, y compris dans les entités Ortho-McNeil, au cours des années 1990 et 2000. Il a depuis quitté la société Johnson & Johnson, et il est présentement employé par une autre société en Californie. Il a témoigné sur le lancement des produits à base de lévofloxacine aux États-Unis et au Canada, et sur la relation entre les diverses entités de Johnson & Johnson et Daiichi. Il a identifié diverses ententes intervenues entre ces entités et Daiichi, de même que des échanges de courriels s’y rapportant. Il a témoigné d’une manière directe.

5.                   Lindsey Villacis, Flemington (New Jersey). Analyste financière principale au sein du groupe Johnson & Johnson. Elle a témoigné sur les documents portant sur la production et la vente de produits contenant de la lévofloxacine au sein du groupe de sociétés Johnson & Johnson et, plus précisément, sur les ventes à la société canadienne. Elle a traité de nombreux documents liés aux ventes que l’on retrouve à la pièce P37, sans toutefois être en mesure d’identifier certains documents qu’on lui a présentés lors de son contre-interrogatoire. Elle a été directe, voire prudente, lors de son témoignage.

6.                   Carlos Fernandini, Bayamon (Porto Rico). Directeur financier principal de Johnson-Ortho Porto Rico. Il a témoigné sur l’envoi de lévofloxacine (parfois appelée l’ingrédient pharmaceutique actif) par Daiichi à l’unité de production de Porto Rico, et sur l’envoi des produits de cette unité à Janssen Inc. au Canada. Il a identifié plusieurs documents se rapportant à ces transactions. Son témoignage était direct. Il n’a pas été en mesure d’identifier certains documents qu’on lui a présentés lors de son contre-interrogatoire.

7.                   Bob Roarty, Flemington (New Jersey). Directeur du financement mondial de la division chargée de la chaîne d’approvisionnement de Janssen au sein de Johnson & Johnson, au New Jersey. Il a témoigné sur la circulation physique des produits et sur la documentation s’y rapportant, de Daiichi vers Porto Rico, puis vers le Canada. Son témoignage est illustré dans les tableaux déposés comme pièces P39 et P17. Son témoignage était direct; il a identifié certains documents lors de son interrogatoire principal, mais il n’a pas été en mesure d’en identifier d’autres lors de son contre-interrogatoire.

[18]           À la conclusion des témoignages des témoins de la demanderesse, les avocats de celle-ci ont présenté un affidavit de Cheewooi Lim, un résident du Japon, qui travaille au sein du service d’expansion des affaires et des licences de Daiichi. Les avocats de la défenderesse se sont opposés au dépôt de cet affidavit au motif que M. Lim n’avait pu être contre-interrogé et, semble-t-il, qu’il ne pouvait témoigner sous serment au Japon dans le cadre d’une instance n’étant pas du ressort de ce pays. J’ai reçu l’affidavit en preuve (pièce P41), mais j’ai indiqué aux parties que je ne lui accorderai que peu de poids, voire aucun.

[19]           Les demanderesses ont déposé un extrait de leur interrogatoire préalable de la défenderesse (pièce P42), lequel est réputé avoir été lu dans le dossier.

c)      Preuve de la défenderesse Teva

[20]           La défenderesse Teva n’a présenté aucun témoin des faits, mais a fait témoigner quatre témoins experts. Les parties ont convenu que ces quatre témoins pouvaient être appelés à témoigner à titre de témoins experts, et elles se sont entendues sur la portée de leur expertise (pièce A45). Leurs rapports ont été déposés en preuve, lesquels sont réputés avoir été lus dans le dossier. Ces experts sont les suivants :

1.                   Alan Mak, Toronto (Ontario). Les parties ont convenu de son expertise comme suit :

[traduction] … un expert en comptabilité d’enquête et en matière de litiges.

On a fourni à M. Mak des hypothèses et des données, et on lui a demandé de calculer les pertes (gains) de Janssen découlant de l’entrée du produit générique de Teva dans le marché de produits à base de lévofloxacine. Son rapport a été déposé en preuve (pièces D46, D47 et D48).

M. Mak a témoigné d’une manière directe. Par contre, ses opinions et les conclusions auxquelles il en est venu dépendent des hypothèses sur lesquelles on lui a demandé de se baser.

2.                   Dr Paul Grootendorst, Oakville (Ontario). Les parties ont convenu de son expertise comme suit :

[traduction] … un expert en économie dans le domaine pharmaceutique et de la santé.

Le Dr Grootendorst a reçu des hypothèses et des données, et on lui a demandé de donner son opinion quant à la part de marché qu’auraient obtenu les produits à base de lévofloxacine de Janssen, le LEVAQUIN, dans le marché « n’eût été » l’entrée du produit générique de Teva. Ses rapports ont été déposés en preuve (pièces D52 et D53, et D54 avec corrections).

Ses opinions dépendent des hypothèses qu’on lui a fournies et d’autres hypothèses qu’il a lui-même formulées. Son témoignage a été donné d’une manière franche et directe.

3.                   Dre Lea Katsanis, Westmount (Québec). Les parties ont convenu de son expertise comme suit :

[traduction] … une experte dans la commercialisation des produits pharmaceutiques.

Son rapport a été déposé en preuve (pièce D55). Elle a témoigné sur la part de marché qu’aurait probablement obtenu le produit Levaquin de Janssen dans le marché « n’eût été » l’entrée de Teva, et elle a conclu à une part décroissante. Je concède qu’elle se soit efforcée de formuler des opinions raisonnables même si, en contre-interrogatoire, elle s’est montrée trop loquace ou confuse. Lorsque je lui ai demandé de comparer la conclusion du Dr Grootendorst à la sienne, elle a indiqué que leurs conclusions étaient approximativement les mêmes, mais qu’il est possible que le Dr Grootendorst ait eu plus de données à sa disposition.

4.                   Dr Andrew Simor, Toronto (Ontario). Les parties ont convenu de son expertise comme suit :

[traduction] … un expert en microbiologie médicale et dans le traitement de maladies infectieuses.

Il a témoigné sur l’utilisation et les recommandations d’utilisation (lignes directrices) de médicaments anti-infectieux, y compris les macrolides et les quinolones. Ses rapports ont été déposés en preuve (pièces D58 [2 volumes] et D59). Il a témoigné d’une manière directe et candide.

[21]           La défenderesse a déposé en preuve quatre volumes d’extraits de ses interrogatoires préalables de la demanderesse dans le dossier T-2175-04 (pièce D61), ainsi qu’un volume supplémentaire dans le même dossier (pièce D62). Les documents auxquels font référence ces extraits ont été déposés en preuve (pièce D63).

[22]           Les extraits des interrogatoires préalables des demanderesses réalisés par la défenderesse dans le dossier T-2056-11 ont été déposés en preuve (pièce D64), de même que les documents auxquels font référence ces extraits (pièce D65).

[23]           Toute cette documentation provenant des interrogatoires préalables est réputée avoir été lue dans le dossier et, comme convenu dans ces deux dossiers, tous les extraits et les documents des interrogatoires préalables s’appliquent également aux deux dossiers.

VI.             GLOSSAIRE

[24]           Voici un glossaire de certains des termes utilisés dans les éléments de preuve :

1.         Dans les éléments de preuve, les fluoroquinolones sont parfois appelées quinolones. Elles comprennent les médicaments dont les noms génériques se terminent par floxacine, comme la ciprofloxacine (CIPRO), la lévofloxacine (LEVAQUIN), la moxifloxacine (AVELOX) et la gatifloxacine (TEQUIN).

2.         Les fluoroquinolones respiratoires sont un sous-ensemble de fluoroquinolones. Il s’agit des fluoroquinolones susceptibles d’être utilisées pour traiter un spectre de bactéries causant des infections respiratoires, comme la bactérie S. pneumoniae. Parmi les fluoroquinolones que l’on retrouve dans les éléments de preuve, la lévofloxacine (LEVAQUIN), la moxifloxacine (AVELOX) et la gatifloxacine (TEQUIN) sont des fluoroquinolones respiratoires. Bien que la ciprofloxacine (CIPRO) ne fasse pas partie des fluoroquinolones respiratoires, elle a été utilisée pour traiter certaines infections respiratoires dans les années 2000.

3.         Les macrolides sont un groupe d’antibiotiques également utilisés dans le traitement d’infections respiratoires. Leurs noms génériques se terminent par omycine; ils comprennent l’érythromycine, la clarithromycine (BIAXIN BID ou BIAXIN XL) et l’azithromycine (ZITHROMAX).

4.         Les bêta-lactamines ou β-lactamines sont une autre classe d’antibiotiques. Un exemple ancien de bêta-lactamine est la pénicilline. L’un des éléments communs parmi les médicaments de cette classe est une structure moléculaire connue sous le nom de noyau bêta-lactame. Au cours de l’instance, il a été fait mention de plusieurs de ces antibiotiques, y compris l’amoxicilline, le céfuroxime et la ceftriaxone.

5.         La polythérapie avec bêta-lactamine et macrolide permet d’utiliser une combinaison d’un médicament de chaque classe pour le traitement d’une infection respiratoire.

6.         Un ingrédient pharmaceutique actif est l’ingrédient médicamenteux actif d’un médicament. Cet ingrédient est combiné à d’autres, souvent appelés excipients, pour créer le produit final (p. ex., un comprimé). La lévofloxacine est un ingrédient pharmaceutique actif produit par Daiichi, et expédié à Porto Rico, où il est mélangé à d’autres ingrédients (excipients) pour créer des comprimés.

7.         Une infection respiratoire désigne une infection des voies respiratoires, c’est-à-dire du nez aux poumons. De telles infections sont habituellement causées par un virus ou une bactérie, et elles englobent le rhume, la sinusite, la grippe, la bronchite et la pneumonie.

8.         Une pneumonie acquise dans la communauté est l’une des infections respiratoires les plus courantes. Ce type de pneumonie est développé par une personne qui n’a eu aucun contact avec un hôpital ou un autre établissement médical. Une pneumonie nosocomiale est une pneumonie développée par une personne qui a eu des contacts avec un hôpital ou un autre établissement médical.

VII.          QUESTIONS EN LITIGE

[25]           La Cour doit répondre à quatre questions en litige en l’espèce; les trois premières questions sont proposées par Janssen, et la quatrième par Teva, qui s’est dite en accord avec les trois questions proposées par Janssen. Les voici :

1.         Janssen É.-U. a-t-elle la qualité pour présenter une réclamation en dommages-intérêts en raison de la contrefaçon du brevet 080 par Teva?

2.         Quel est le montant des dommages subis par Janssen Canada et par Janssen É.-U.?

3.         De quelle manière les intérêts avant jugement, le cas échéant, accordés à Janssen É.-U. seront-ils calculés?

4.         Janssen Canada aurait-elle dû prendre des mesures pour limiter ses dommages et, dans l’affirmative, à quel moment et dans quelle mesure?

VIII.       PREMIÈRE QUESTION EN LITIGE – QUALITÉ DE JANSSEN É.-U.

[26]           Le brevet 080 est détenu par Daiichi, et cette dernière a réglé sa réclamation contre Teva. Janssen Inc., la demanderesse dans le dossier T-2175-04, a présenté une réclamation en dommages-intérêts contre Teva, laquelle n’est contestée qu’au chapitre du montant des dommages, et non pas quant au droit à une indemnisation pour lequel une décision antérieure a été rendue dans la présente affaire.

[27]           On dénombre trois demanderesses dans le dossier T-2056-11; deux d’entre elles, Janssen-Ortho LLC et OMJ Pharmaceuticals Inc. (collectivement connues sous le nom de Janssen Porto Rico), n’ont soumis aucune réclamation en dommages-intérêts. Il ne reste ainsi que Janssen Pharmaceuticals, Inc. (JPI ou Janssen É.-U.), l’entité présentant une réclamation en dommages-intérêts dans ce dossier.

[28]           La réclamation de Janssen É.-U. en dommages-intérêts s’appuie sur les dispositions du paragraphe 55(1) de la Loi sur les brevets (les dispositions sont identiques dans les versions de la Loi avant et après octobre 1989), qui prévoient qu’un contrefacteur est responsable de tous les dommages subis non seulement par le breveté, mais également par toute personne « se réclamant » du breveté.

55 (1) Quiconque contrefait un brevet est responsable envers le breveté et toute personne se réclamant de celui-ci du dommage que cette contrefaçon leur a fait subir après l’octroi du brevet.

55 (1) A person who infringes a patent is liable to the patentee and to all persons claiming under the patentee for all damage sustained by the patentee or by any such person, after the grant of the patent, by reason of the infringement.

[29]           Il existe une abondante jurisprudence des tribunaux canadiens sur la définition d’une personne « se réclamant » d’un breveté. Par comparaison, la Patents Act 1977 du Royaume-Uni, ch. 37, articles 33, 61, 67 et 68, accorde un droit d’action en contrefaçon ainsi qu’un droit de réclamer une réparation non seulement au propriétaire (titulaire) d’un brevet, mais également au titulaire d’une licence exclusive à condition que celui-ci ait, dans les six mois, enregistré les données de la licence auprès du bureau des brevets. Une telle disposition donne à la situation un fort degré de certitude.

[30]           La décision de principe au Canada est l’arrêt Armstrong Cork Ltd. Canada c. Domco Industries Ltd., [1982] 1 RCS 907, de la Cour suprême du Canada. Ce dossier a été jugé sur la base d’un exposé conjoint des faits. Le titulaire du brevet (Congoleum) avait accordé à Domco une licence limitée non exclusive en vertu d’un brevet se rapportant à un revêtement de sol doté d’un motif gravé. La licence prévoyait que le breveté n’entrerait pas dans le marché canadien pendant trois ans, et qu’aucune licence ne serait accordée à autrui pendant cinq ans. La question que la Cour devait trancher était de savoir si Domco pouvait être considérée comme une personne « se réclamant » du breveté. Le juge Martland, s’exprimant pour la Cour, a examiné des décisions antérieures, y compris les décisions du Conseil privé dans Spun Rock Wools Ltd. c. Fiberglas Canada Ltd., [1947] AC 313 et de la Cour d’appel fédérale dans American Cyanamid Co. c. Novopharm Ltd., [1972] CF 739. Dans Fiberglas, le Conseil privé, aux pages 320 et 321, a précisé que les « titulaires de licence » pouvaient agir en dommages-intérêts sur le fondement de l’article 55 de la Loi sur les brevets. Par contre, selon les faits de cette affaire, le « titulaire de licence » détenait une licence exclusive, et les avocats ont tenté de distinguer cette décision sur ce motif. Le juge Martland a rejeté cet argument et a mentionné qu’il n’existait aucun motif valide pour exclure un titulaire d’une licence non exclusive de l’application des dispositions de la Loi sur les brevets relativement aux personnes « se réclamant » du breveté. Il a précisé ce qui suit aux pages 917 à 920 :

Même s’il est exact que le titulaire de la licence dont il s’agissait dans l’affaire Fiberglas était présenté comme «le sous-titulaire d’une licence exclusive» (ou «le titulaire d’une licence exclusive») du brevet, les arrêts ne donnent aucun renseignement concernant la nature précise de la licence, et rien dans les motifs de jugement sur ce point ne porte sur la distinction entre le titulaire d’une licence exclusive et le titulaire d’une licence non exclusive ou le simple titulaire d’une licence. Dans leurs motifs de jugement, le juge Davis de cette Cour aux motifs duquel le juge Taschereau a souscrit, et lord Simonds du Comité judiciaire ont employé l’expression générale «titulaire d’une licence». On ne peut supposer qu’ils l’ont employée en voulant en limiter l’application au titulaire d’une licence exclusive, en particulier lorsque lord Simonds a défini la question de droit comme suit : [traduction] «La question en l’espèce est de savoir si un titulaire d’une licence est une personne qui se réclame du breveté» (p. 320).

Armstrong tente d’établir une distinction entre une licence exclusive et une licence non exclusive en disant que la première accorde une partie du monopole et que le titulaire de cette licence est pratiquement, pour la durée de la licence, un cessionnaire du brevet avec tous les droits découlant du brevet. Il est difficile de concilier ce raisonnement et ce qu’on a dit dans l’arrêt Heap v. Hartley (précité) (que cette Cour a appliqué dans l’affaire Electric Chain Co.) dans le passage que j’ai déjà cité. J’en répète l’extrait suivant qui est pertinent à l’égard de l’argument d’Armstrong :

[traduction] Il expose son cas de deux façons. Il dit : «D’abord, à titre de titulaire exclusif d’une licence, je suis dans la position d’un cessionnaire des lettres patentes pour cette région et pour cette période et, en cette qualité, j’ai le droit de faire cesser les activités de toute personne qui commet une contrefaçon dans cette région.» Cet argument paraît fondé sur une idée complètement erronée de la nature d’une licence. Une licence exclusive est seulement une licence dans un seul sens; c’est-à-dire que la véritable nature d’une licence est la suivante. C’est une permission de faire une chose et un contrat par lequel on s’engage à ne donner à personne d’autre la permission de faire la même chose. Mais cela ne confère, comme toute autre licence, aucun intérêt ou droit réel dans la chose.

À mon avis, les motifs qui ont amené cette Cour et le Conseil privé à conclure comme ils l’ont fait dans l’affaire Fiberglas s’appliquent autant au titulaire d’une licence non exclusive qu’au titulaire d’une licence exclusive. Si le titulaire d’une licence exclusive est une personne qui se réclame du breveté au sens du par. 57(1), ce que l’arrêt Fiberglas décide, il n’y a pas de motif valable, en vertu du texte de ce paragraphe, d’exclure de son application le titulaire d’une licence non exclusive, et il n’y a pas de motif valable d’interpréter autrement la conclusion de l’arrêt Fiberglas.

On a en outre fait valoir au nom d’Armstrong que le titulaire d’une licence non exclusive n’a pas de droits susceptibles d’être violés et donc n’a pas de recours contre le contrefacteur d’un brevet. C’est l’opinion que le juge en chef Jackett a exprimée dans l’arrêt American Cyanamid. Il était d’avis que le titulaire d’une licence non exclusive avait uniquement le droit d’exploiter le brevet, et que la contrefaçon ne portait pas atteinte à ce droit.

C’était la situation juridique qui prévalait, même à l’égard du titulaire d’une licence exclusive, avant l’adoption de l’art. 55 de la Loi de 1935. L’article 55 a été adopté pour régler cette difficulté et, à mon avis, il a résolu le problème. Le paragraphe 55(1), par son texte même, impose au contrefacteur du brevet une responsabilité envers le breveté et également envers toutes les personnes qui se réclament de lui pour tous dommages que subissent le breveté ou ces personnes en raison de la violation. La responsabilité découle de la violation du brevet. Si la violation cause des dommages au breveté ou à une personne qui se réclame de lui, le contrefacteur doit les indemniser des dommages imputables à la violation du brevet. Un titulaire de licence qui invoque ce paragraphe ne réclame rien au contrefacteur pour la violation des droits que lui accorde la licence, il réclame des dommages-intérêts en compensation des pertes qu’il a subies en conséquence de la violation du brevet.

Sur ce point, je souscris aux motifs déjà cités du juge suppléant Sweet dans l’affaire American Cyanamid.

Armstrong a fait valoir que l’expression «dommages-intérêts» au par. 57(1) signifie la perte qui résulte d’une ingérence dans les droits du réclamant. L’expression «dommages-intérêts», dit-elle, se rapporte à l’indemnisation pécuniaire accordée par l’application de la loi à une personne pour un tort donnant ouverture à procès et qu’une autre personne lui a fait subir.

Il faut chercher à établir le sens de l’expression «dommages-intérêts» employée dans cette disposition législative particulière. Le paragraphe 57(1) prévoit expressément que le contrefacteur est responsable de tous dommages qu’il fait subir au breveté ou à toute personne qui se réclame du breveté en raison de la violation. C’est une obligation prévue par la loi de payer les dommages-intérêts et elle s’applique en faveur de toute personne visée par les dispositions de ce paragraphe. À mon avis, Domco relève effectivement de ce paragraphe.

[31]           Dans la décision Signalisation de Montréal Inc. c. Services de Béton Universels Ltée [1993] 1 CF 341 (CA), la Cour d’appel fédérale a été saisie de la question de savoir si une partie était une personne « se réclamant » d’un breveté. Dans cette affaire, le titulaire d’un brevet se rapportant à des machines déplaçant des barrières sur l’autoroute avait accordé une licence exclusive à une entité connue sous le nom de Barrier. En échange, Barrier avait nommé la demanderesse Signalisation à titre de représentante exclusive au Québec. Le juge Hugessen a adopté une interprétation large de la définition d’une personne « se réclamant » du breveté. Il a écrit ce qui suit aux paragraphes 24 et 25 :

[24]     À mon avis, une personne "se réclamant" du breveté est une personne qui tire du breveté son droit d’utilisation de l’invention brevetée, à quelque degré que ce soit. Le droit d’employer une invention en est un dont le monopole est conféré par un brevet. [...] Lorsque la violation de ce droit est alléguée par une personne qui peut directement faire remonter son titre jusqu’au breveté, cette personne "se réclame" du breveté. Peu importe le moyen technique par lequel le droit d’utilisation peut avoir été acquis. Il peut s’agir d’une cession directe ou d’une licence. Comme je l’ai indiqué, il peut s’agir de la vente d’un article constituant une réalisation de l’invention. Il peut également s’agir de la location de l’invention. Ce qui importe est que le réclamant invoque un droit sur le monopole et que la source de ce droit puisse remonter au breveté. C’est ce qui se produit ici dans le cas de l’appelante.

[25]     À mon avis, l’appelante a qualité pour intenter une action en dommages-intérêts en vertu de l’article 55 de la Loi sur les brevets et elle l’a notamment fait dans les paragraphes de la déclaration que j’ai ci-dessus reproduits et résumés. Cette déclaration n’aurait pas dû être radiée.

[32]           Le juge Décary s’est montré en désaccord en écrivant ce qui suit aux paragraphes 44 à 46 :

[44]     Il n’est pas impossible, non plus, que l’appelante ait quelque motif de poursuivre elle-même l’intimée sur la base d’une quelconque responsabilité délictuelle.

[45]     Qu’il y ait ou non, ou qu’il y ait eu ou non, possibilité de recours contractuel contre Energy ou Barrier ou de recours délictuel contre l’intimée, il n’appartient pas à cette Cour d’étendre le recours statutaire prévu par le législateur. Ainsi que le rappelait le juge Judson, dans Commissioner of Patents v. Farbwerke Hoechst Aktiengesellschaft Vormals Meister Lucius & Bruning, [1964] R.C.S. 49, à la page 57:

[traduction] Il n’existe pas, en common law, de droit inhérent à un brevet. L’inventeur détient un brevet en conformité avec la Loi sur les brevets, ni plus ni moins.

Il en va de même de la personne qui se réclame du breveté. Cette personne est celle que la Loi sur les brevets reconnaît telle, et aucune autre. Retenir les prétentions de l’appelante, c’est, à mon avis, interpréter le paragraphe 55(1) de la Loi comme si les mots "se réclamant du breveté" ne s’y trouvaient pas et comme s’il suffisait que des dommages soient subis en raison de la contrefaçon d’un brevet pour que la personne lésée ait un recours en vertu de ce paragraphe.

[46]     J’en viens donc à la conclusion qu’un simple contrat d’achat d’un produit breveté ne fait pas de l’acheteur une personne se réclamant du breveté au sens du paragraphe 55(1) de la Loi.

[33]           En accord avec le juge Hugessen, le juge Létourneau a répondu comme suit au juge Décary au paragraphe 51 :

[51]     Je ne crois pas non plus, comme mon collègue le juge Décary, J.C.A., le laisse entendre, que les mots "personne se réclamant du breveté" figurant au paragraphe 55(1) sont plus restreints que le mot "intéressé" figurant au paragraphe 60(1) ou le mot "personne" figurant au paragraphe 60(2) de la Loi. Au paragraphe 60(1), il doit s’agir d’un intéressé et une réserve est donc faite. Au paragraphe 60(2), il doit s’agir d’une personne qui emploie ou se propose d’employer un procédé ou d’une personne qui fabrique, utilise ou vend un article qui pourrait constituer une contrefaçon du brevet. De même au paragraphe 55(1), il doit s’agir d’une personne qui se réclame du breveté, c’est-à-dire une personne qui, en sa qualité d’utilisateur, de cessionnaire, de porteur de licence ou de locataire, possède un titre ou un droit dont la source peut être attribuée au breveté.

[34]           Les derniers mots employés par le juge Létourneau sont instructifs; une personne « qui se réclame » qui, en sa qualité d’utilisateur, de cessionnaire, de porteur de licence ou de locataire, possède un titre ou un droit dont la source peut être attribuée au breveté, peut ainsi être une personne qui se réclame du breveté.

[35]           Plusieurs autres décisions plus récentes ont été rendues dans lesquelles les tribunaux devaient déterminer si une personne pouvait être considérée comme étant une personne « se réclamant » d’un breveté. Certaines de ces décisions portent sur des circonstances guère différentes de celles en l’espèce, à savoir qu’il était convenu, malgré l’absence d’une entente écrite, que le demandeur faisait partie d’une famille ou d’un groupe d’entités faisant le commerce, d’une façon ou d’une autre, des biens brevetés.

[36]           Dans la décision AstraZeneca Canada Inc. c. Apotex Inc., 2014 CF 638 (confirmée par 2015 CAF 158, autorisation d’interjeter appel à la CSC accordée le 10 mars 2016), le juge Rennie (son titre d’alors) a examiné attentivement la preuve et a conclu que l’une des demanderesses, AstraZeneca Canada Inc., avait la qualité pour agir à titre de personne « se réclamant » du breveté. Il s’est exprimé comme suit aux paragraphes 10, 23 et 24 :

[10]     À mon avis, AstraZeneca Canada a qualité pour agir. Plus spécifiquement, elle est une personne se réclamant du breveté puisqu’AstraZeneca et AstraZeneca Canada sont liées par une licence tacite quant à la vente de Nexium. Cependant, avant d’approfondir ce point, il est important de rappeler le contexte factuel de la défense étonnamment technique fondée sur la qualité pour agir qu’Apotex oppose à la prétendue contrefaçon.

[...]

[23]     Dans la présente affaire, il y a autre chose. Un certain nombre de faits étayent la conclusion que le droit d’utilisation d’AstraZeneca Canada remonte jusqu’à AstraZeneca Aktiebolag :

1.   AstraZeneca Canada et AstraZeneca Aktiebolag sont toutes deux des filiales indirectes de la même société mère, AstraZeneca PLC, établie en Suède;

2.   AstraZeneca Aktiebolag, la titulaire du brevet 653, est le principal fournisseur de Nexium d’AstraZeneca Canada et dans le monde;

3.   AstraZeneca Canada a demandé et obtenu l’autorisation réglementaire de vendre le Nexium au Canada. Les renseignements présentés à l’appui du dossier réglementaire émanaient d’AstraZeneca Aktiebolag – qui détient la fiche maîtresse du médicament pour Nexium;

4.   En décembre 2000, AstraZeneca Canada et AstraZeneca Aktiebolag ont conclu une entente concernant la formulation, l’emballage et la distribution (l’entente de distribution) dans laquelle AstraZeneca Canada est désignée comme la « distributrice » et obtient des droits non exclusifs à l’égard de « produits » incluant le Nexium. Cette entente traite des droits de propriété intellectuelle aux articles 24.1 et 24.2 :

24        DROITS DE PROPRIÉTÉ INTELLECTUELLE

24.1 Tous les droits de propriété intellectuelle se rapportant aux produits demeurent en tout temps la propriété d’ASTRAZENECA. La distributrice n’acquiert aucun droit de propriété intellectuelle à l’égard des produits et n’est autorisée à exercer que les droits qui lui sont accordés au titre de la présente entente.

24.2 La distributrice informera ASTRAZENECA de toute contrefaçon, réelle ou soupçonnée, portée à son attention et visant les droits de propriété intellectuelle d’ASTRAZENECA sur le marché. ASTRAZENECA prendra toutes les mesures raisonnables pour poursuivre les contrefacteurs, à ses propres frais. La distributrice fournira à ASTRAZENECA toute l’assistance possible dans le cadre de telles poursuites [Non souligné dans l’original.].

5.   De 2001 à 2008, AstraZeneca Canada a emballé les comprimés de Nexium qu’AstraZeneca Aktiebolag lui fournissait en vrac, avant de les mettre en vente au Canada. En 2008, l’usine d’emballage d’AstraZeneca Canada à Mississauga a été fermée. La lettre d’entente entre AstraZeneca Canada et AstraZeneca Aktiebolag, datée du 12 décembre 2007, précisait qu’après la fermeture, la seconde fournirait la première en comprimés de Nexium finis et emballés, et qu’AstraZeneca Canada continuerait d’agir comme distributrice. Par conséquent, après 2008, AstraZeneca Canada recevait du Nexium préemballé d’AstraZeneca Aktiebolag pour en faire la vente au Canada. Elle a donc toujours été approvisionnée (sous forme préemballée ou en vrac) par AstraZeneca Aktiebolag, à l’exception d’une période de trois mois en 2001 et d’une période de six mois en 2012 durant lesquelles AstraZeneca UK a été son fournisseur;

6.   Selon le témoignage de sa PDG, Mme Elaine Campbell, AstraZeneca Canada a obtenu le consentement d’AstraZeneca Aktiebolag pour déposer les listes de brevets (formulaire IV) au titre du Règlement sur les médicaments brevetés (AC);

7.   Mme Campbell a déclaré que tous les frais juridiques engagés par AstraZeneca Canada dans le cadre du présent litige étaient acquittés par AstraZeneca Aktiebolag.

[24]     À la lumière de ce contexte factuel, il est possible de faire remonter le droit d’utilisation du brevet par AstraZeneca Canada jusqu’à AstraZeneca Aktiebolag, la brevetée. AstraZeneca Canada tire tous ses droits d’utilisation de Nexium d’AstraZeneca Aktiebolag, par l’effet d’une entente tacite. Les parties ne sont pas liées par une licence expresse et n’en ont pas invoqué, mais leur conduite permet de conclure qu’AstraZeneca Aktiebolag a accordé une licence tacite. L’entente de distribution autorise AstraZeneca Canada à exercer les droits de propriété intellectuelle d’AstraZeneca Aktiebolag [traduction] « dans la mesure nécessaire à l’exercice des droits qui lui sont accordés » par ce document. Ceux-ci incluent le droit de vendre le Nexium et l’obligation de prêter assistance à AstraZeneca Aktiebolag dans tout recours civil intenté contre d’éventuels contrefacteurs. L’introduction d’une action en contrefaçon par AstraZeneca Canada relève d’une interprétation raisonnable des articles 24.1 et 24.2 de ladite entente, ce qui revient à lui reconnaître tacitement le droit de recouvrer des dommages-intérêts relativement à la contrefaçon, au nom de la brevetée. Par conséquent, AstraZeneca Canada se réclame de la brevetée, comme l’exige le paragraphe 55(2) de la Loi sur les brevets, et a qualité pour agir dans le cadre du présent procès.

[37]           Dans la décision Eli Lilly and Company c. Apotex Inc., 2009 CF 991 (confirmée par 2010 CAF 240), la juge Gauthier (son titre d’alors) a également examiné rigoureusement les faits et a conclu que l’une des demanderesses, Lilly Canada, avait la qualité pour agir. Elle s’est exprimée comme suit aux paragraphes 76 à 83 :

[76]     Lilly Canada n’est pas en désaccord avec les déclarations ci-dessus. Elle dit simplement qu’en l’espèce elle a non seulement établi, au moyen du témoignage de M. Pytynia (transcription, volume 7, pages 56 à 63 et 83 et 84) que Lilly Canada est une filiale à part entière, mais qu’elle détenait aussi une licence expresse à la fois à l’égard des brevets de Lilly et de ceux de Shionogi en cause en l’espèce. Il a été également reconnu que Lilly Canada vend le CeclorMD (céfaclor) au Canada depuis 1980. Lilly Canada a renvoyé de manière précise à diverses pièces déposées au cours de l’audience pour appuyer sa position, plus particulièrement un accord signé qui entrait en vigueur le 1er janvier 1991 entre Lilly U.S. et Lilly Canada (TX-109) qui prévoit ce qui suit :

[traduction] Lilly déclare et garantit que pour le Canada, elle a le droit exclusif d’accorder des licences pour autoriser le titulaire de licence à fabriquer, à faire fabriquer, à utiliser et à vendre certains produits, y compris le droit d’utiliser au Canada, certains brevets, certaines marques de commerce

[…]

relatifs à ces produits et à leur préparation, à leur fabrication, à leur transformation et à leur emballage.

[77]     Dans ledit accord, Lilly U.S. nomme Lilly Canada distributrice autorisée de tous les produits de Lilly U.S. au Canada (ce qui inclut le CeclorMD) et l’article 1.2 est rédigé comme suit :

[traduction] De plus, Lilly accorde à Lilly Canada une sous-licence non exclusive (sans le droit d’accorder d’autres sous-licences sauf dans la mesure autorisée par écrit par Lilly) en vertu des demandes de brevet et des brevets canadiens énumérés dans l’annexe A

[…]

pour fabriquer, faire fabriquer, utiliser ou vendre et (ou) importer les produits de Lilly dont la préparation est visée par les demandes de brevets et les brevets.

[78]     Les quatre brevets de Lilly en cause en l’espèce sont énumérés aux pages 8 et 9 de l’annexe A. Habituellement, la question de savoir si Lilly Canada a la qualité pour agir en vertu du paragraphe 55(1) de la Loi sur les brevets, du moins à l’égard de ces brevets, ne devrait pas soulever la controverse.

[79]     Apotex soutient toutefois que le 1er janvier 1995, l’accord de 1991 a été modifié (TX-110) pour supprimer les différentes annexes, ce qui a été fait, selon M. Pytynia, pour éviter de les maintenir à jour, une chose difficile à faire. Selon Apotex, cette modification a eu pour effet de simplement faire en sorte que Lilly Canada ne détenait plus les licences concernant les brevets de Lilly ou de Shionogi.

[80]     Selon Apotex, cela était particulièrement logique[23] à l’égard des brevets de Shionogi, compte tenu qu’aucune des substances achetées par Lilly Canada n’était fabriquée selon les procédés protégés par ces brevets et que Lilly Canada n’a jamais effectivement fabriqué, acheté ou vendu des composés revendiqués dans les brevets en cause. Apotex rejette également l’effet de l’accord général d’approvisionnement et de distribution, déposé sous la cote TX-112, au motif que le rôle de Lilly Canada à titre de distributrice semble être fondé sur un accord qui ne prévoit rien à propos des droits de brevet, pas plus qu’il ne qualifie Lilly Canada comme mandataire et nie expressément tous autres droits existant entre les parties.

[81]     La Cour est d’accord avec la demanderesse qu’une telle interprétation de l’accord de 1991 et ses modifications au fil du temps conduit à un résultat absurde et qu’elle est tout simplement incorrecte. L’accord du 1er janvier 1995 prévoit expressément ce qui suit :

[traduction] ATTENDU QUE les parties désirent maintenir les droits, les licences et les sous-licences accordés par l’ACCORD tout en reconnaissant également que les parties recevront une rémunération complète en vertu de l’accord-cadre d’approvisionnement et de fabrication ou d’autres accords.

[82]     Il est aussi utile de souligner que l’accord de 1991 a été de nouveau modifié le 9 avril 1998 (TX-113) donnant à Lilly Canada le droit d’accorder d’autres sous-licences à des tiers en vertu de quelques-uns des brevets visés par l’accord, conformément à l’article 1.2 de l’accord de 1991. Plus précisément, la modification mentionne la licence accordée en vertu de l’accord de 1991 à l’égard du céfaclor et :

[traduction] accorde à Lilly Canada le droit d’accorder des sous-licences concernant les licences suivantes qui lui ont été accordées en vertu de l’accord de licence [de 1991] (collectivement appelées les « licences ») à l’égard du céfaclor : (i) les licences accordées en vertu des droits de brevet de Lilly U.S. (y compris, sans les restreindre, les brevets énumérés à l’annexe A des présentes).

Ladite annexe mentionnait expressément trois des brevets de Lilly en cause (les seuls brevets manquants sont les brevets 007 et 026, ce dernier ayant expiré à ce moment-là).

[83]     Après avoir examiné l’ensemble de la preuve, la Cour est convaincue que Lilly Canada a établi de manière satisfaisante qu’elle a la qualité d’agir fondée sur une licence expresse du titulaire de brevet.

[38]           Dans la décision Apotex Inc. c. Sanofi-Aventis, 2011 CF 1486 (infirmée pour d’autres motifs, 2013 CAF 186), le juge Boivin (son titre d’alors) a examiné le contexte factuel de l’affaire et a conclu qu’une « société » avait la qualité d’agir. Il a écrit ce qui suit aux paragraphes 46 à 48 et 55 à 57 :

[46]     Sur cette toile de fond, la Cour examinera maintenant la preuve qui lui a été soumise à propos des droits conférés à la Société.

D.        La preuve soumise à la Cour

[47]     Au cours de l’instruction, le Dr Thierry Saugier, vice-président de l’Alliance et de la Société chez Sanofi-Aventis, a été appelé par Sanofi à témoigner sur la qualité pour agir de la Société. Le Dr Saugier a déclaré que, depuis avril 2006, il gérait le groupe d’alliances pour Sanofi-Aventis, y compris l’alliance comprenant la société du Territoire B et la société du Territoire A.

[48]     Le DSaugier a déclaré notamment que, pour structurer l’alliance, Sanofi avait accordé à la Société une licence exclusive pour le clopidogrel, comme on peut le constater dans les Accords de partenariat qui sont encore en vigueur aujourd’hui. Les divers accords produits comme preuve confirment d’ailleurs le témoignage du DSaugier sur les droits conférés aux termes de tels accords.

[...]

[55]     La Cour croit qu’une telle liste ne pouvait, d’un point de vue pratique, être modifiée chaque fois qu’avait lieu une évolution pour des produits faisant l’objet d’activités de recherche ou d’une demande de brevet. Les termes et les contours de l’accord en cause sont tels que […] doit être interprété d’une manière qui englobe les composés récemment développés. Conclure autrement serait aller contre l’objet même des Accords de partenariat, qui était de permettre à la Société d’exercer toutes les activités se rapportant au développement, à la fabrication, au sourçage et à la commercialisation du clopidogrel dans le territoire appelé Territoire B, puisque la réalisation de l’objet des accords de partenariat serait ainsi contrariée.

[56]     Finalement, la Cour rappelle que les avocats d’Apotex ont interrogé le Dr Saugier à propos de l’absence de matériel de production, d’employés et d’un siège social au Canada afin d’établir l’absence de qualité pour agir. Vu l’étendue des accords de partenariat, la Cour estime que les questions posées par les avocats d’Apotex ne permettent pas de trancher la question de la qualité pour agir.

E.         Conclusion sur la qualité pour agir

[57]     Somme toute, compte tenu du sens étendu des mots « personne se réclamant » d’un breveté, au paragraphe 55(1) de la Loi sur les brevets, et après examen des accords de partenariat ainsi que des témoignages produits à leur sujet, la Cour estime que la Société justifie d’un « fondement crédible et suffisant en droit » pour, en l’occurrence, se réclamer d’un breveté. La preuve montre d’ailleurs clairement que la Société s’est vu accorder, à la faveur des divers accords, depuis 1997, une licence exclusive pour les produits contenant du clopidogrel. Il s’ensuit que la Société a qualité pour intenter l’action en cause alléguant un acte de contrefaçon qui, affirme-t-elle, a eu lieu avant le 6 décembre 2007.

[39]           Dans la décision Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., [2001] 1 CF 495, la Cour d’appel fédérale a conclu qu’elle ne pouvait refuser la qualité pour agir à la personne « se réclamant » de la brevetée considérant que la brevetée ainsi que la personne « se réclamant » d’elle s’adressaient toutes deux à la Cour et que les deux faisaient valoir que cette personne « se réclamant » de la brevetée avait qualité. Le juge Rothstein a écrit ce qui suit au paragraphe 99 :

[99]     Peut-être est-il indiqué de faire remarquer qu’en l’espèce, la présumée titulaire de licence n’est pas la seule à ester en justice pour contrefaçon de brevet, la brevetée également s’adresse à la Cour comme codemanderesse et appuie la revendication de GWI. Il est difficile de concevoir ce qu’on pourrait demander de plus. Lorsque la brevetée et la personne se réclamant de celle-ci sont toutes deux parties à l’action, sont affiliées parce que toutes deux détenues par la même société mère et ont le même intérêt relativement au litige--la brevetée appuyant la demande de la personne se réclamant d’elle--il est surprenant, c’est le moins qu’on puisse dire, que des arguments techniques relatifs à la qualité pour agir soient avancés comme moyen de défense à une action en contrefaçon.

[40]           Dans des circonstances impliquant des parties très similaires à celles de la présente affaire, la juge Reed de cette Cour a examiné la qualité des parties dans la décision Kirin-Amgen Inc. c. Hoffmann-LaRoche Ltd. (1999), 87 C.P.R. (3d) 1 (confirmée par 11 CPR (4th)78). Elle a écrit ce qui suit aux paragraphes 89 à 94 :

89        Kirin-Amgen est le propriétaire du brevet numéro ’047. Celui-ci a été délivré le 27 mai 1997 et, ainsi qu’il a été souligné, il a été séparé d’une demande de brevet plus étendue, déposée le 12 décembre 1984. Le 30 septembre 1985, Kirin-Amgen a octroyé une licence à Ortho Pharmaceutical Corporation (maintenant dénommée Ortho-McNeil Pharmaceutical Inc.) et à ses sociétés affiliées en vue d’utiliser et de vendre dans un certain nombre de pays, dont le Canada, des produits fabriqués aux États-Unis d’Amérique qui sont visés par la demande de brevet plus étendue. Il existe une entente écrite à cet effet. L’EPO recombinante utilisée dans le produit EPREX vendu au Canada est fabriquée à Puerto Rico, État associé des États-Unis.

90        En 1986, Ortho Pharmaceutical Corporation a confié au prédécesseur de Janssen-Ortho un mandat pour commercialiser et vendre l’EPREX au Canada. Aucune licence écrite documentant cette entente ne peut être trouvée. Aucun avis écrit à l’intention de Kirin-Amgen au sujet de cette sous-licence n’a été trouvé. Néanmoins, il semble que Kirin-Amgen ait été avisée qu’une sous-licence avait été octroyée au prédécesseur de Janssen-Ortho et maintenant à Janssen-Ortho en vue d’utiliser et de vendre le produit EPREX au Canada. Ce produit a été lancé sur le marché canadien en 1990. Depuis, Janssen-Ortho a payé des redevances, d’abord à ce qui était à l’époque Ortho Pharmaceutical Corporation, et plus récemment à Ortho Biotech Inc. Les redevances sont alors versées à Kirin-Amgen.

91        Les droits acquis de Kirin-Amgen en 1985 ont subséquemment été cédés par Ortho Pharmaceutical Corporation (renommée Ortho-McNeil Pharmaceutical Inc.) à Ortho Biotech Inc. aux termes d’une convention de cession d’éléments d’actif prenant effet le 1er janvier 1998. Kirin-Amgen a consenti à cette cession.

92        Étant donné qu’aucun document écrit attestant l’entente intervenue entre Ortho Pharmaceutical Corporation et le prédécesseur de Janssen-Ortho en 1986 ne pouvait être trouvé, un accord de licence écrit a été signé par Ortho Biotech, Ortho McNeil et Janssen-Ortho le 20 novembre 1998 pour confirmer qu’une sous-licence avait été octroyée à Janssen depuis 1986 par Ortho Pharmaceuticals, le prédécesseur d’Ortho-McNeil, en vue d’utiliser et de vendre les produits contenant de l’érythropoïetine au Canada. Dans cet accord, Ortho Biotech octroie aussi à Janssen-Ortho un droit non exclusif d’utiliser et de vendre les produits faisant l’objet d’une licence contenant de l’érythropoïetine, comme le prévoit la convention de licence relative au produit signée par Kirin-Amgen et Ortho Pharmaceuticals le 30 septembre 1985. Un avis écrit de cette entente a été remis à Kirin-Amgen (Pièce D-6). [para. 93] Il est aussi nécessaire de souligner que les sociétés Ortho sont toutes apparentées. Johnson & Johnson, une société de New Brunswick (New Jersey) est propriétaire de 100 % des actions avec droit de vote de Janssen-Ortho. Elle est aussi propriétaire, directement ou indirectement, de 100 % des actions avec droit de vote de Ortho-McNeil Pharmaceutical Inc. et de Ortho Biotech Inc.

94        L’avocat des demanderesses soutient que l’application du critère formulé dans Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd. (1998), 1998 CanLII 7610 (CF), 79 C.P.R. (3d) 193 (C.F. 1re inst.), aux pages 300 et 301, (lequel critère consiste à se demander si le droit invoqué par le demandeur peut remonter au breveté), mène à la conclusion que Janssen-Ortho est une personne " se réclamant " du breveté pour les fins de l’article 55 de la Loi sur les brevets. Je souscris à cet argument.

[41]           Dans la décision Jay-Lor International Inc. c. Penta Farms Systems Ltd., 2007 CF 358, la juge Snider de cette Cour a examiné la jurisprudence et, plus précisément, les motifs du juge Weston dans la décision Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd. (1998), 79 C.P.R (3d) 193. Elle a conclu que la faculté d’une partie de se réclamer d’un breveté dépend de la mesure dans laquelle elle est capable d’établir un intérêt dans le brevet et n’exige pas nécessairement l’existence d’une licence explicite. Elle a écrit ce qui suit aux paragraphes 32 à 38 :

[32]     Plus récemment, dans la décision Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., 79 C.P.R. (3d) 193, 145 F.T.R. 161, [1998] A.C.F. n° 382 (C.F. 1re inst.) (QL), confirmée sur ce point par 2000, 10 C.P.R. (4th) 65 (C.A.F.), 262 N.R. 137 (Wellcome), le tribunal a examiné la relation entre les deux sociétés liées qui avaient intenté une action en contrefaçon et fourni des analyses utiles sur le droit de se prévaloir des droits visés au paragraphe 55(1) de la Loi sur les brevets. Dans cette affaire, Glaxo Wellcome Inc. (GWI) prétendait avoir le droit d’intenter une action en contrefaçon parce qu’elle était titulaire d’une licence exclusive de Wellcome Foundation Ltd. pour importer, fabriquer utiliser et vendre l’invention décrite dans le brevet. Wellcome était inscrite comme la propriétaire du brevet. Bien qu’aucune licence écrite n’ait été produite pour établir la qualité de licenciée de GWI, GWI maintenait que la licence était implicite.

[33]     Les arguments avancés par les demanderesses dans l’affaire Wellcome étaient très semblables à ceux des défenderesses en l’espèce. Les demanderesses affirmaient que GWI ne s’était pas acquittée du fardeau d’établir qu’elle avait qualité pour poursuivre en vertu du paragraphe 55(1) de la Loi sur les brevets. Elles faisaient valoir qu’une licence, comme tout autre contrat, doit être établie à l’aide de ses dispositions et de ses effets.

[34]     Dans la décision Wellcome, aux paragraphes 360 et 361, le juge Wetston a fait les observations suivantes sur l’interprétation du paragraphe 55(1) :

La jurisprudence canadienne a adopté une interprétation large des personnes « se réclamant » du breveté. Il a été jugé que cette notion couvre une gamme d’intérêts, notamment ceux du licencié, exclusif ou non, de l’acheteur d’articles brevetés et de l’agent de vente. Cette interprétation est exposée dans Signalisation de Montréal Inc. c. Services de Béton Universels Ltée et al. (1992), 46 C.P.R. (3d) 199 (C.A.F.) par le juge Hugessen à la p. 211 :

Peu importe le moyen technique par lequel le droit d’utilisation peut avoir été acquis. Il peut s’agir d’une cession directe ou d’une licence. Comme je l’ai indiqué, il peut s’agir de la vente d’un article constituant une réalisation de l’invention. Il peut également s’agir de la location de l’invention. Ce qui importe est que le réclamant invoque un droit sur le monopole et que la source de ce droit puisse remonter au breveté.

[35]     Dans la décision Wellcome, le juge Wetston n’a pas conclu qu’il existait une relation société mère-filiale entre GWI et Wellcome. Toutefois, les deux sociétés étaient sous la propriété et le contrôle de Glaxo Wellcome plc. La preuve établissait que les licences étaient rarement écrites. Se fondant sur son examen des faits de l’espèce, le juge Wetston a conclu au paragraphe 367 que « GWI est en mesure d’établir un intérêt dont la source remonte au breveté du fait des pratiques concernant la concession de licences implicites au sein du groupe de sociétés contrôlé par Glaxo Wellcome plc ».

[36]     En résumé, je retiens de la décision Wellcome et d’autres sources jurisprudentielles que la faculté d’une partie de se réclamer d’un breveté dépend de la mesure dans laquelle elle est capable d’établir un intérêt dont la source remonte au breveté et n’exige pas nécessairement l’existence d’une licence explicite. En l’absence d’une licence explicite, la décision dans chaque affaire repose sur les faits de l’espèce.

[37]     En l’espèce, je suis convaincue, selon la prépondérance de la preuve, que JAY-LOR Fabricating s’est acquittée de son obligation d’établir un intérêt dont la source remonte à JAY-LOR International. Les faits qui appuient cette conclusion peuvent se résumer comme suit :

   JAY-LOR Fabricating et JAY-LOR International sont toutes les deux sous le contrôle de M. Tamminga;

   aucune autre licence n’a été concédée, soit explicitement soit implicitement, à un tiers;

   les deux sociétés ont structuré leurs affaires d’une manière compatible avec une relation de licencié-concédant de licence.

[38]     En conclusion, je suis persuadée sur ce point que JAY-LOR Fabricating a qualité pour intenter la présente action.

[42]           En dernier lieu, je vais me pencher sur la décision de la juge Snider dans Les Laboratories Servier c. Apotex Inc., 2008 CF 825 (confirmée sans discussion sur ce point, 2009 CAF 222), dans laquelle elle a déterminé que la simple existence d’un lien entre des sociétés n’est pas une preuve concluante d’un droit à titre de personne « se réclamant » d’un breveté; il doit y avoir plus. Dans cette décision, elle a conclu qu’une entité qui n’exerce pas ses activités « au Canada » n’est pas une personne « se réclamant » du breveté. Elle a écrit ce qui suit aux paragraphes 70, 81 et 82 et 88 à 91 :

[70]     Le critère applicable pour déterminer qui est une personne se réclamant du breveté n’est pas simplement la question de savoir si le breveté a consenti à ce que la personne se joigne comme demanderesse à une action, pas plus qu’il est suffisant de démontrer que les parties sont liées. Dans chaque cas, les faits doivent montrer un fondement crédible et suffisant en droit pour se réclamer d’un breveté (JAY-LOR International Inc. c. Penta Farm Systems Ltd., 2007 CF 358, 59 C.P.R. (4th) 228 (C.F.), aux paragraphes 31 et 36 (JAY-LOR)).

[...]

[81]     M. Langourieux a confirmé qu’aucune demanderesse étrangère autre qu’ADIR ne fabrique, ne propose à la vente, ni n’importe au Canada de composant revendiqué dans le brevet 196. Il a également reconnu que chaque filiale dans un pays donné se concentre sur la promotion, la commercialisation et l’enregistrement du produit dans son ressort. Par exemple, Servier UK assure la promotion, la commercialisation, la vente et la distribution des médicaments du Groupe Servier uniquement sur le marché du Royaume-Uni. Je n’ai vu aucune preuve que Servier Canada vend du perindopril au Royaume-Uni. Servier UK existe à cette fin. Servier Australia assure la promotion, la commercialisation, la vente et la distribution des produits Servier sur les marchés australien et néo-zélandais. La fabrication de l’ingrédient actif du COVERSYL est réalisée par Oril Industries en France. Ainsi, la preuve montre que les sociétés affiliées du Groupe Servier n’exercent pas d’activités en tant qu’unité unique. Chacune a son propre champ d’activités et ses propres responsabilités au sein du Groupe Servier. Néanmoins, les demanderesses étrangères autres qu’ADIR pourraient quand même répondre aux exigences du paragraphe 55(1) de la Loi sur les brevets, grâce à une licence ou à un autre arrangement du même genre.

[82]     Ainsi que je l’ai déjà signalé, la simple existence d’un lien entre des sociétés n’est pas une preuve concluante d’un droit en vertu du paragraphe 55(1) de la Loi sur les brevets. Il doit y avoir plus. La jurisprudence a, de façon constante, présenté cet élément supplémentaire comme une « licence » ou quelque autre arrangement (par exemple, un bail, une cession ou une vente) qui accorderait à la société affiliée le droit d’utiliser le brevet.

[...]

[88]     Comme les éléments de preuve le démontrent, aucune demanderesse étrangère autre qu’ADIR n’exerce d’activités au Canada. Dans sa plaidoirie finale, l’avocat de Servier a tenté de réfuter les arguments d’Apotex concernant l’utilisation des brevets par les demanderesses étrangères autres qu’ADIR au moyen de l’exemple hypothétique suivant :

[traduction] Il est tout à fait possible d’envisager que si Servier Australia n’avait plus de perindopril et que Servier Canada en avait trop, que Servier Australia achèterait le perindopril du Canada, ou même au Canada.

La position de mon collègue soit empêcherait cette situation de se produire, parce que Servier Australia ne détiendrait pas une licence au Canada, soit ferait que tout le monde s’arrêterait pour négocier une sous-licence en vertu du brevet 196, ou on ferait intervenir ADIR pour accorder une licence à Servier Australia en vertu du brevet canadien.

Cela est illogique [...] lorsque l’on examine la manière dont le groupe de sociétés Servier se perçoit et exerce ses activités.

[89]     Ce raisonnement pose deux problèmes. Premièrement, il n’est fondé sur aucun élément de preuve selon lequel cela se serait déjà produit dans l’histoire du Groupe Servier; il s’agit d’une pure hypothèse. Deuxièmement, il n’est pas du tout [traduction] « illogique » d’exiger que des sociétés affiliées signent un document quelconque pour établir des droits juridiques.

[90]     De plus, aucune de ces demanderesses n’a eu besoin d’une licence à l’égard du brevet 196 parce qu’aucune activité étrangère se rapportant à la fabrication, à l’utilisation ou à la vente de perindopril ne peut constituer une contrefaçon du brevet 196.

[91]     Manifestement, les demanderesses étrangères autres qu’ADIR n’utilisent pas le brevet 196 au Canada ou ailleurs. Elles n’ont pas besoin qu’ADIR leur accorde une licence à l’égard de ce brevet. Il est exagéré de dire que les demanderesses étrangères autres qu’ADIR sont parties à une licence implicite pour le brevet 196 lorsqu’une telle licence n’est pas exigée.

[43]           Je retiens de cette jurisprudence les éléments suivants pour qu’une Cour en vienne à la conclusion qu’une partie est une personne « se réclamant » du breveté au sens du paragraphe 55(1) de la Loi sur les brevets :

                la personne doit posséder, en sa qualité d’utilisateur, de cessionnaire, de porteur de licence ou de locataire, un titre ou un droit dont la source peut être attribuée au breveté (Signalisation);

                il importe peu que la personne soit titulaire d’une licence exclusive ou non exclusive (Domco);

                la licence doit être prouvée, mais il n’est pas nécessaire qu’elle existe par écrit (Jay-Lor);

                la réclamation doit viser une utilisation au Canada, et non pas ailleurs dans la chaîne de sociétés (Servier).

[44]           J’examinerai maintenant les éléments de preuve dans la présente affaire.

[45]           Les parties conviennent que Daiichi, la titulaire du brevet, a conclu un contrat de licence écrit avec une entité dénommée Johnson & Johnson [J&J], une société du New Jersey, qui est entré en vigueur le 28 mai 1991, relativement aux produits à base de lévofloxacine. Ce contrat a été déposé en preuve sous l’onglet 298 de la pièce 4. Il est convenu que ce contrat s’applique au brevet 080. L’article 2.1 de ce contrat de licence accorde à J&J une licence pour fabriquer les produits finaux contenant de la lévofloxacine et les vendre notamment au Canada, en échange du paiement de certaines redevances telles qu’elles sont énumérées à l’article 6.00. L’article 7 prévoit que Daiichi assurera l’approvisionnement en lévofloxacine [l’ingrédient pharmaceutique actif] pour combler tous les besoins de J&J en la matière. L’article 11.00 précise que J&J informera Daiichi de toute contrefaçon, et que Daiichi prendra les mesures qui s’imposent à cet égard avec le soutien de J&J. L’article 21.00 prévoit que toute modification au contrat doit être confirmée par écrit. L’article 2.3, qui se rapporte aux sous-licences accordées aux filiales de J&J, est important en l’espèce, et c’est pourquoi je le reproduis dans son intégralité :

[traduction] 2.3       J&J a le droit d’accorder une sous-licence à ses filiales dans chaque pays du territoire relativement à l’une ou à l’ensemble des licences octroyées selon les modalités et conditions du présent contrat, à condition que le droit d’accorder des sous-licences pour la fabrication de la préparation finale à partir du composé soit accordé à l’une des filiales de J&J dans chacun des pays du territoire. Aucun contrat de sous-licence conclu conformément au présent paragraphe ne sera réputé libérer J&J de la responsabilité lui incombant en vertu de la présente, y compris, mais sans limitation, la responsabilité de s’assurer que le paiement approprié soit versé à DAIICHI pour tous les montants dus et exigibles en vertu du présent contrat. En outre, J&J a le droit de nommer des distributeurs et de leur accorder des sous-licences dans chacun des pays du territoire B en vue de vendre la préparation finale, le tout sous réserve des modalités et conditions du présent contrat. Dans l’éventualité où J&J a l’intention d’accorder une sous-licence en application du présent paragraphe, J&J devra obtenir au préalable le consentement écrit de DAIICHI relativement au contenu de tel contrat de sous-licence, consentement qui ne sera refusé sans motif raisonnable.

[46]           Plusieurs modifications et compléments écrits au contrat de licence ont été déposés en preuve. Aucun de ces documents ne se rapporte directement à Janssen Pharmaceuticals, Inc. (ou à ses sociétés remplacées) ou ne concerne précisément le Canada.

[47]           Il n’existe aucun contrat écrit en preuve qui soit intervenu directement entre Daiichi et Janssen Pharmaceuticals, Inc. ou l’une de ses sociétés remplacées.

[48]           La pièce P35, laquelle comprend un courriel d’un cadre de Daiichi à Seth Fischer, qui était à l’époque un cadre d’une filiale de Johnson & Johnson, a été introduite dans le cadre du témoignage de M. Fischer. Selon M. Fischer, ce courriel était en réponse à une lettre qu’il avait communiquée à Daiichi, dont l’ébauche, selon lui, [TRADUCTION] « ressemble » à la pièce P36. Voici un extrait de cette ébauche de lettre :

[traduction] Des changements apportés aux lois fiscales américaines touchant la situation fiscale de nos activités de fabrication du produit Levaquin à Porto Rico sont entrés en vigueur en date d’aujourd’hui, le 1er décembre. Malgré la nature très technique de ces changements, ceux-ci n’auront aucun effet significatif sur la façon selon laquelle nous fabriquons le produit Levaquin. Par contre, nous en sommes venus à la conclusion que nous devrions documenter une forme de sous-licence de Johnson & Johnson à notre filiale à part entière située à Porto Rico, Janssen Ortho LLC, de façon à disposer d’un dossier écrit quant aux droits qu’elle détient relativement à la fabrication du produit Levaquin. De telles sous-licences sont prévues à l’article 2.3 du contrat de 1991, le contrat de licence que nous avons conclu avec vous.

Je joins à la présente une ébauche de la sous-licence de fabrication proposée de Johnson & Johnson à Janssen Ortho LLC afin que vous la passiez en revue.

On m’a souligné que l’article 2.3 est quelque peu ambigu quant à savoir s’il est nécessaire d’obtenir le consentement de Daiichi relativement à l’octroi d’une sous-licence à notre filiale, ou si l’exigence de consentement à ce même article est limitée aux contrats de nomination de distributeurs tiers.

J’apprécierais que vous confirmiez que vous convenez que l’exigence de consentement à l’article 2.3 ne s’applique pas à l’octroi d’une sous-licence à notre filiale, ou, en tout état de cause, que vous confirmiez que vous ne vous opposez pas à la sous-licence jointe à la présente.

[49]           Voici un extrait du courriel de Daiichi communiqué en réponse à ce qui précède, pièce 35 :

[traduction]

Cher Seth,

Votre courriel à l’intention du Dr Une m’a été transmis.

Selon notre compréhension de l’article 2.3 du contrat, l’exigence de consentement s’applique à l’octroi d’une sous-licence tant aux filiales de Johnson & Johnson qu’aux distributeurs tiers.

Par contre, compte tenu de la situation réelle et de nos communications antérieures, il est expressément entendu que vous avez accordé une sous-licence de fabrication à vos filiales (dans le cas en l’espèce, Janssen Ortho LLC) relativement au produit Levaquin dans le territoire, et nous avons déjà fait valoir notre accord à l’égard d’une telle sous-licence.

Par conséquent, nonobstant l’article 2.3, il n’est pas nécessaire que nous donnions notre consentement écrit à un contrat de sous-licence pour Janssen Ortho LLC.

Néanmoins, si Daiichi devait formuler un commentaire sur l’ébauche du contrat de sous-licence, j’aimerais partager la même interprétation avec vous, à savoir que ce contrat de sous-licence ne semble pas s’arrimer avec le contrat de licence (p. ex., article 1.6 ou 2).

Je suppose simplement que la raison est que ce contrat a été rédigé à titre de « contrat global » entre Johnson & Johnson et ses filiales, en réaction aux modifications des lois fiscales, et qu’il n’est pas limité au produit Levaquin.

Bref, pour autant que les obligations de Johnson & Johnson stipulées dans le contrat de licence soient satisfaites par Johnson & Johnson et ses filiales, nous ne pensons pas que ce contrat de sous-licence posera de problème de notre côté.

[50]           Jeff Smith a témoigné sur le fait qu’il, avec d’autres employés de la division Ortho-McNeill de l’organisation J&J, avait participé à de nombreuses réunions et qu’il entretenait des communications fréquentes avec Daiichi au Japon et aux États-Unis, et que Daiichi était bien au fait de la façon selon laquelle l’organisation J&J fabriquait et vendait les produits finaux à base de lévofloxacine par l’intermédiaire de l’une ou de plusieurs de ses sociétés liées.

[51]           L’affidavit de M. Lim (pièce P41), auquel j’accorde peu de poids, est essentiellement du ouï-dire et est peu utile dans tous les cas.

[52]           Dans le cadre de leur témoignage, M. Smith et M. Roarty ont discuté de graphiques : le premier présentant l’historique organisationnel de Janssen É.-U. (pièce P17), et le deuxième (pièce P38) donnant un aperçu de la chaîne d’approvisionnement pour le produit Levaquin. Ces éléments de preuve, compte tenu de leurs limites, tels que présentés dans ces graphiques n’ont pas été sérieusement contestés lors du contre-interrogatoire.

[53]           D’après la pièce P17, Janssen Pharmaceuticals, Inc. a fusionné avec Ortho-McNeil Inc. le 31 décembre 2007, et la société fusionnée a poursuivi ses activités sous le nom Ortho-McNeil-Janssen Pharmaceuticals, Inc. Cette entité a changé son nom le 22 juin 2011 pour devenir Janssen Pharmaceuticals, Inc., la demanderesse actuelle que nous appelons Janssen É.-U.

[54]           La pièce P38 indique que Johnson & Johnson [J&J] est la société mère de Janssen Porto Rico, Janssen É.-U. et Janssen Canada. Cette pièce montre que Daiichi fournit la lévofloxacine à Janssen Porto Rico, qui fabrique ensuite les comprimés finaux à base de lévofloxacine à Porto Rico (Gurabo) et les expédie directement à Janssen Canada. Le flux des documents étayant les transactions de vente montre toutefois que Janssen Porto Rico vend ces comprimés à Janssen É.-U., qui les vend ensuite à Janssen Canada. Le prix auquel Janssen É.-U. vend les comprimés à Janssen Canada est parfois appelé le prix de transfert. La réclamation en dommages-intérêts de Janssen É.-U. se fonde sur la perte alléguée de ventes à Janssen Canada au prix de transfert moins les coûts, tels que les paiements à Janssen Porto Rico pour l’achat du produit et d’autres dépenses.

[55]           Outre les documents que j’ai déjà évoqués, de nombreux documents commerciaux reflétant des transactions concernant les produits à base de lévofloxacine au sein des sociétés J&J ainsi qu’avec les clients de Janssen Canada ont été présentés en preuve. Plusieurs d’entre eux constituent des extraits d’un système appelé SAP, un vaste programme informatisé dans lequel des données, comme les ventes et le transfert de produits, peuvent être saisies, conservées et extraites. Ces données ne présentent pas d’information quant au transfert du titre d’un produit.

[56]           Des copies de certaines des factures et d’autres documents similaires ont été déposées en preuve, notamment la pièce P37, par l’entremise du témoin Lindsey Villacis, une cadre du groupe d’approvisionnement de Janssen au New Jersey. Ce témoin a été incapable, tout comme les autres témoins experts ou des faits, d’informer la Cour quant au moment et à l’endroit du transfert du titre relativement au produit à base de lévofloxacine. Je retranscris ici un extrait du contre-interrogatoire de Mme Villacis qui se trouve à la page 853 de la transcription :

[traduction] Q.        Lorsque vous parlez du transfert du titre à Gurabo, s’agit-il du transfert du titre à Janssen Canada à Gurabo?

R.         Je ne saurais vous dire l’entité juridique précise dans laquelle le titre se transfère au point d’expédition, mais je peux affirmer que la propriété financière change à la fin du mois. À ce moment, Janssen-Ortho Inc. est propriétaire du produit.

[traduction] Q.        Parlez-vous seulement de l’aspect financier, sans toutefois dire à la Cour où se transfère le titre?

R.         C’est vrai. Oui.

[traduction] Q.        Vous ne pouvez me dire à quel point dans le processus le titre passe d’une partie à une autre, de l’envoi du produit LEVAQUIN de Porto Rico vers le Canada?

R.         Je suis incapable de vous le dire. Ce que je peux vous dire, c’est que le processus commence à Gurabo et qu’il se termine avec Janssen-Ortho Inc.

[57]           M. Fernandini, un cadre de Janssen Porto Rico, mentionne ce qui suit aux pages 886 à 888 de son contre-interrogatoire :

[traduction] Q.        Vous ne savez pas qui détenait le titre du produit, à quelque point que ce soit?

R.         En ce qui concerne le titre du produit, lorsqu’il est question de Janssen-Ortho LLC, nous assumons le risque d’avoir ce produit pharmaceutique actif à Gurabo. Si la matière est rejetée ou endommagée, Janssen-Ortho assume la responsabilité à l’égard de celle-ci.

[traduction] Q.        Elle avait également le titre du produit final à Gurabo?

R.         Lorsqu’il arrive à Gurabo, il fait partie de l’inventaire de Gurabo.

[traduction] Q.        Lorsqu’on le place dans l’avion en vue de son expédition vers le Canada, le titre...       

R.         Cela dépend des modalités et des conditions; je ne m’en souviens plus. Il est nécessaire de voir les modalités et les conditions.

[traduction] Q.        Vous ne pouvez me dire qui détient le titre après?

R.         Non. Il est en déplacement. Cela dépend des modalités.

[...]

[traduction] Q.        Vous ne savez pas s’il y avait une incidence sur le titre?

R.         Mais le titre était à Janssen-Ortho. En tout temps, il était à Janssen-Ortho LLC.

[traduction] Q.        Lorsque vous me dites que Janssen-Ortho LLC détenait le titre du produit à Porto Rico, elle détenait celui-ci au moins jusqu’à ce que le produit soit placé dans l’avion pour être expédié vers le Canada?

R.         Oui.

[58]           Lors de son contre-interrogatoire, M. Roarty, un cadre de Johnson & Johnson, a précisé ce qui suit (pages 910 et 911) :

[traduction] Q.        À ce moment, le produit LEVAQUIN – vous comprenez que le produit LEVAQUIN était fabriqué à Porto Rico?

R.         Oui.

[traduction] Q.        Au moment où le produit LEVAQUIN est expédié de l’installation et qu’il est placé dans un avion, il n’appartient pas à Janssen Pharmaceuticals Inc. ou à une société antérieure de Janssen Pharmaceutical Inc., n’est-ce pas?

R.         Je ne crois pas. Il aurait appartenu soit à OMJ Pharmaceuticals ou à Janssen-Ortho LLC, selon le moment.

[traduction] Q.        Elle en aurait été la propriétaire au moment où le produit était placé dans l’avion, et possiblement à un moment ultérieur, lorsque l’entrée SAP était saisie dans le système?

R.         Je n’ai jamais été impliqué dans ces transactions. Je ne connais pas la séquence exacte et je ne sais pas quand a lieu le transfert du titre, ou ce genre de choses.

[traduction] Q.        Janssen-Ortho LLC ou OMJ Pharmaceuticals Inc. en était la propriétaire pendant que le produit était en déplacement. Puis, il atterrit au Canada?

R.         Je ne suis pas certain de qui en est le propriétaire pendant son déplacement.

[traduction] Q.        Vous pouvez uniquement me dire à qui il appartenait au moment où il était placé dans l’avion?

R.         Je crois qu’il appartenait au fabricant.

[traduction] Q.        Étant Janssen-Ortho LLC?

R.         Exact.

[traduction] Q.        Et cela est exact pour la période de 2005 à 2006, etc.?

R.         Après 2006, je crois qu’il s’agissait de Janssen-Ortho LLC. Avant cela, c’était OMJ Pharmaceuticals.

[traduction] Q.        Vous ne seriez pas en mesure de me dire qui était le propriétaire du produit LEVAQUIN au moment de l’atterrissage de l’avion au Canada?

R.         Je ne suis pas certain s’il appartenait à l’entité au Canada à ce moment-là ou à celle des États-Unis ou de Porto Rico.

Q.        Simplement parce que vous ne le savez pas?

R.         C’est exact.

[59]           Teva fait valoir que Janssen É.-U. ne peut être une personne « se réclamant » du breveté, Daiichi, puisqu’il n’y a aucun élément de preuve clair voulant que Janssen É.-U. avait « employé » l’invention brevetée au Canada. Teva soutient que Janssen É-.U. a le fardeau de démontrer qu’elle détenait, même pour un court moment, un titre à l’égard des comprimés à base de lévofloxacine au Canada aux termes duquel, n’eût été une licence de Daiichi, elle porterait atteinte au brevet 080. Teva prétend que les éléments de preuve ne permettent pas de prouver, même selon le fardeau de la preuve en matière civile, que Janssen É.-U. détenait un titre à l’égard des comprimés au Canada et, par conséquent, qu’elle avait « employé » l’invention au Canada.

[60]           Janssen affirme qu’il n’est pas nécessaire de démontrer que Janssen É.-U. avait « employé » l’invention au Canada, que ce soit par le fait de détenir un titre à l’égard des comprimés au Canada ou autrement. Selon Janssen, il suffit de démontrer que Janssen É.-U. faisait partie de la chaîne par laquelle les comprimés transitaient par l’entremise de la licence de Daiichi à J&J, par des licences non écrites, à Janssen Porto Rico, puis à Janssen É.-U. et finalement à Janssen Canada; l’entité faisait partie d’une chaîne titulaire d’une licence de Daiichi, non pas par voie d’un écrit, mais implicitement et par acquiescement.

[61]           Je suis d’avis que l’argument de Janssen est conforme à l’état du droit tel qu’il existe aujourd’hui au Canada, du moins au niveau de cette Cour. Janssen É.-U. a établi à ma satisfaction qu’elle détenait la licence ou l’autorisation, par acquiescement, de Daiichi, pour être impliquée dans la chaîne de vente de comprimés fabriqués à Porto Rico par Janssen Porto Rico, par l’intermédiaire de Janssen É.-U. à Janssen Canada. Il n’est pas pertinent de savoir si Janssen É.-U. détenait un titre, ne serait-ce que momentanément, à l’égard des comprimés au Canada.

[62]           Cette question a été traitée directement par la juge Polowin de la Cour supérieure de justice de l’Ontario dans la décision Roche Palo Alto LLC v Apotex Inc. (2005), 44 C.P.R. (4th) 431, au paragraphe 37 :

[traduction]

37        Le paragraphe 55(1) de la Loi sur les brevets ne prévoit pas de restriction géographique. En outre, selon la décision Signalisation, supra, la Cour doit adopter une interprétation large de la notion de personne se réclamant d’un breveté. La réclamation en dommages-intérêts d’Allergan Sales et Allergan Irlande découle de la contrefaçon alléguée du brevet 614 (un brevet canadien) par Apotex. Les éléments de la cause d’action d’une contrefaçon d’un brevet sont énoncés dans la déclaration. Allergan Irlande est le fabricant exclusif des produits ophtalmiques à base de kétorolac aux termes du brevet 614, lesquels sont vendus à Allergan Canada aux fins d’être mis en vente au Canada. Allergan Sales est le concédant d’un savoir-faire technique à Allergan Irlande relativement à ces produits, et elle a conclu une entente sur les redevances à cet égard. À ce titre, Allergan Sales et Allergan Irlande allèguent qu’elles ont subi des dommages découlant de la contrefaçon du brevet 614.

[63]           Bien que je ne sois pas lié par cette décision, je suis d’accord avec l’interprétation de cette Cour à l’égard de l’article 55 (1) de la Loi sur les brevets et de la décision Signalisation.

[64]           La décision AlliedSignal Inc. c. DuPont Canada Inc. (1998), 78 C.P.R. (3d) 129 (C.F. 1re inst.) (confirmée par 86 C.P.R. (3d) 324 (CAF)), démontre que la Loi sur les brevets canadienne permet le recouvrement de dommages-intérêts à l’égard d’activités à l’extérieur du Canada. Un breveté américain réalisant des ventes à des clients aux États-Unis peut recouvrer des dommages-intérêts pour la perte de ventes dans le cas où un contrefacteur canadien vend un produit fabriqué au Canada à des clients américains. Au moment de déterminer un point de référence pour les dommages-intérêts, le juge Heald a écrit ce qui suit au paragraphe 33:

33        Pour conclure, le droit de réclamer le manque à gagner n’est pas circonscrit, de par la portée territoriale de la Loi sur les brevets, au profit réalisé sur les ventes faites au Canada. Le détenteur de brevet a droit à une compensation pour tous les dommages découlant de la contrefaçon à l’intérieur du Canada, celle-ci pouvant comprendre les profits réalisés sur des ventes hors du Canada. De plus, le manque à gagner n’est qu’un moyen utile pour déterminer un niveau équitable et convenable de compensation. En l’espèce, la demanderesse a droit au manque à gagner sur ces ventes, que celles-ci aient été réalisées au Canada ou aux États-Unis, dans la mesure où elle prouve qu’elle aurait pu elle-même réaliser ces ventes, n’eût été la présence sur le marché du film DARTEK (R) de la défenderesse.

[65]           Bien qu’elle ne porte pas précisément sur ce point, la décision de la juge Reed dans Kirin Amgen, dont j’ai fait mention précédemment, en arrive à la même conclusion en permettant à une société américaine faisant partie de la chaîne de sociétés J&J impliquées dans la fabrication et la vente de biens, de participer à une réclamation en dommages-intérêts sans démontrer précisément qu’elle avait, même momentanément, un titre à l’égard du produit au Canada.

[66]           Je m’appuie également sur la décision de la Cour d’appel fédérale dans Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., citée précédemment, dans laquelle le juge Rothstein précise que, considérant que le breveté et la personne « se réclamant » de celui-ci s’étaient présentés devant la Cour, la Cour ne lui refuserait pas ce statut. L’affaire dont nous sommes saisis diffère en ce que le breveté, Daiichi, n’a pas effectivement participé à cette instance. Néanmoins, Daiichi est clairement au fait de cette instance et elle n’a pas posé d’action pour s’opposer au statut de Janssen É.-U.

[67]           Je fais une distinction entre la décision de la juge Snider dans Les Laboratories Servier, supra, et la présente affaire puisque la juge est venue à la conclusion, au paragraphe 81, que chacune des entités étrangères était tenue d’avoir son propre champ d’activités et ses propres responsabilités au sein du Groupe Servier et, en conséquence, les entités n’exerçant pas d’activités au Canada ne pouvaient être considérées comme étant des personnes « se réclamant » du breveté. Dans l’affaire dont je suis saisi, le groupe de sociétés J&J est exploité en tant qu’équipe grâce à laquelle les comprimés sous licence sont ultimement acheminés au Canada.

[68]           Par conséquent, je conclus que, dans les circonstances de la présente affaire, Janssen É.-U. est une personne « se réclamant » du breveté, Daiichi, afin d’établir sa qualité pour présenter une réclamation en dommages-intérêts en raison de la contrefaçon du brevet 080 par Teva dans le cadre de la présente instance.

IX.             DEUXIÈME QUESTION EN LITIGE – MONTANT DES DOMMAGES-INTÉRÊTS

a)        Quantification des dommages de manière générale

[69]           Lorsqu’une Cour doit quantifier les dommages de manière générale, on dit qu’elle doit faire appel à une imagination vive et procéder à une détermination approximative pour faire en sorte, par des moyens financiers, que le demandeur retrouve la situation dans laquelle il se serait trouvé, n’eût été la contrefaçon. Les mots de lord Shaw dans la décision Watson, Laidlaw & Co. Ltd. v Pott Cassels, and Williamson (1914), 31 R.P.C. 104, aux pages 117 et 118, qui a été rendue il y a plus de cent ans, sont encore tout aussi pertinents aujourd’hui :

[traduction] À mon avis, l’affaire soulève une question importante quant à l’évaluation des dommages-intérêts dans les dossiers impliquant un brevet; je traiterai maintenant de cette question. Il s’agit probablement d’une erreur linguistique que de traiter les méthodes habituellement employées dans l’évaluation des dommages dans les dossiers impliquant des brevets en tant que « principes ». Ce sont des règles pratiques de fonctionnement qui semblent avoir été utiles pour permettre aux juges d’en venir à une estimation réelle de l’indemnité devant être accordée au breveté par un contrefacteur. Pour ce qui est des dommages-intérêts généraux, un principe sous-tend l’évaluation, principe que l’on pourrait appeler la remise en état. L’idée consiste à remettre en état la personne qui a subi une blessure ou une perte dans la condition dans laquelle elle se serait trouvée, n’eût été cette blessure ou perte. Dans le cas de pertes financières, d’un préjudice au commerce et de situations similaires, causés par un manquement contractuel ou par un délit civil, il est possible de réaliser une évaluation chiffrée qui se veut correcte. Une deuxième catégorie de dossiers pour lesquels la remise en état est en fait difficile (comme pour les dossiers impliquant une perte de réputation) ou même impossible (lorsqu’il y a perte de vie, d’une faculté ou d’un membre à titre d’exemple), la tâche qui consiste à remettre en état le demandeur par la voie d’une indemnité fait appel à l’inférence, à la conjecture et à des concepts similaires. Cette démarche est nécessairement accompagnée des lacunes inhérentes à la conversion en argent de certains éléments qui sont très réels, qui visent à compenser la joie de vivre et l’utilité de l’expression de la vie, mais qui n’ont jamais été convertis ou mesurés. La remise en état par voie d’une indemnisation est, par conséquent, accomplie dans une grande mesure en faisant appel à une imagination vive et à une détermination approximative. C’est dans de tels cas, vos seigneuries, que la décision de la Cour de première instance a la plus grande importance, et ce, que le résultat ait été atteint par un verdict d’un jury ou par la conclusion d’un seul juge. Il n’est pas nécessaire d’aller en chercher les raisons bien loin; citons d’ailleurs à cet égard l’observation directe de la valeur du témoignage, jusqu’aux nuances de son expression, ce qui comprend, bien évidemment, l’attitude et le comportement des témoins. Par contre, dans toutes ces situations, la justice s’efforce de retrouver le statu quo ante dans les faits, ou d’atteindre avec imagination, par voie d’une indemnisation, un résultat respectant le même principe. Dans les dossiers impliquant des brevets, le principe de la remise en état dépend, dans tous les cas à divers degrés et dans plusieurs cas dans toute la mesure, du même principe de remise en état.

[70]           Dans l’arrêt Colonial Fastener Co. Ltd. v Lightning Fastener Co. Ltd., [1937] RCS 36 à la page 44, le juge Kerwin de la Cour suprême du Canada fait référence au principe de la détermination approximative tel qu’exprimé par lord Shaw dans la décision Watson, Laidlaw.

[71]           Lord Buckley a exprimé une idée semblable dans la décision Meters Ltd. v Metropolitan Gas Meters Ltd (1911), 28 RPC 157 (Eng CA) à la page 161 :

[traduction] Par conséquent, dans un dossier comme celui en l’espèce, où des licences ne sont pas accordées à quiconque en fait la demande moyennant une somme fixe, cette question doit être traitée de manière imparfaite, en faisant de notre mieux, sans tenter d’être précis dans les moindres détails, ou de le prétendre, en tenant compte de toutes les circonstances du dossier, et en accomplissant, dans l’ensemble, ce qui est équitable.

b)        Faits, hypothèses et jeu de chiffres

[72]           Les parties se sont entendues sur plusieurs faits sous-jacents, y compris sur les chiffres en jeu. Toutefois, lorsqu’elles appliquent ces faits pour en venir à un calcul raisonnable des dommages, les parties en viennent à un résultat dont l’écart est presque décuplé. Janssen fait valoir que des dommages-intérêts s’élevant jusqu’à dans les huit chiffres lui sont dus, alors que Teva soutient qu’elle a fait économiser à Janssen un montant dans les sept chiffres. Ces conclusions dépendent en grande partie des hypothèses formulées et appliquées par les experts des parties.

[73]           L’application de certaines hypothèses à ces faits et chiffres convenus peut toutefois mener à des différences remarquables. On retrouve un exemple d’une telle situation dans le rapport en réponse du DRosenblatt (pièce P6 au procès, aux paragraphes 7 et 8), dans lequel il présente des graphiques qui illustrent, à la figure 1, que les ventes de lévofloxacine sont en hausse sur une période donnée alors que dans la figure 2, ces ventes semblent être en baisse. La différence est mince, mais les résultats sont considérablement différents. Chacune de ces figures démontre une « ligne de tendance » générée par ordinateur pour les ventes sur une période donnée. La figure 1 vise la période 1/2000 à 11/2004 tandis que la figure 2 porte sur la période de 1/2001 à 11/2004; autrement dit, la figure 2 commence une année plus tard que la figure 1.

c)         Thèses des parties et concessions

[74]           Avant la tenue du procès, et pendant celui-ci, les parties ont fait valoir certaines positions et fait certaines concessions qui méritent d’être soulignées; certaines d’entre elles sont d’ailleurs mentionnées dans les présents motifs. Les éléments suivants sont à noter :

1.         Janssen Porto Rico, les demanderesses Janssen-Ortho LLC et OMJ collectivement dans le dossier T-2056-11, ont retiré leur réclamation en dommages-intérêts. Elles demeurent demanderesses dans la présente demande pour l’unique raison qu’il était trop tard pour se retirer à l’approche du procès. En pratique, Janssen É.-U., c’est-à-dire Janssen Pharmaceuticals, Inc., est l’unique demanderesse participant activement à la demande;

2.         Janssen É.-U. ne réclame pas de dommages-intérêts pour la période précédant le 19 décembre 2005, mais elle en réclame pour la période se terminant le 31 décembre 2010, nonobstant l’expiration du brevet 080 en date du 23 juin 2009;

3.         Janssen Canada, demanderesse dans le dossier T-2175-04, réclame des dommages-intérêts pour la période du 1er décembre 2004 au 31 décembre 2010;

4.         Teva a vendu des comprimés contenant de la lévofloxacine de 250 mg et 500 mg au Canada. Elle n’a jamais vendu de comprimés de 750 mg;

5.         Les ventes de comprimés contenant de la lévofloxacine de 250 mg par Teva doivent être prises en compte, aux fins d’établissement des dommages-intérêts, sur la base d’une substitution correspondante avec les comprimés LEVAQUIN de 250 mg de Janssen;

6.         La réclamation en dommages-intérêts de Daiichi a été satisfaite, et elle ne joue aucun rôle actif dans la présente instance;

7.         Suivant l’injonction que j’ai accordée le 17 octobre 2006, Teva a tiré parti de la période de vente de trente (30) jours que j’avais autorisée, et a versé un paiement à Janssen à cet égard. Toutes les parties ont déduit ce paiement dans leurs observations sur les dommages-intérêts.

d)        Le marché tel qu’il existait dans les faits

[75]           La façon de définir le marché pertinent a fait l’objet d’un certain débat entre les experts. Je commencerai par des observations générales. Dans la présente affaire, il est question de médicaments utilisés comme antibiotiques pour le traitement d’infections, plus précisément d’infections respiratoires et, dans une certaine mesure, d’infections urinaires.

[76]           Dans les années 1950, une classe de médicaments, appelés macrolides, a été développée pour le traitement de diverses infections bactériennes. La classe « quinolone » des macrolides, qui a été développée dans les années 1950, était une classe particulièrement importante qui s’est avérée efficace contre les bactéries définies comme étant Gram négatif; par contre, les quinolones se sont révélées inefficaces contre d’autres types de bactéries connues comme étant Gram positif.

[77]           Dans les années 1980, certains types de quinolones connues sous le nom de fluoroquinolones ont été développés; parmi ceux-ci, le type le plus populaire était la ciprofloxacine ou CIPRO. Toutefois, ce médicament ne s’est avéré efficace qu’à l’encontre d’un groupe particulier de patients infectés par des bactéries Gram négatif précises. Néanmoins, les médecins continuent à ce jour d’utiliser l’antibiotique CIPRO, y compris une variante de celui-ci, CIPRO XL, pour traiter les patients.

[78]           Des médicaments appelés ZITHROMAX (azithromycine) et BIAXIN (clarithromycine), et une version ultérieure, BAIXIN XL, ont également été introduits dans les années 1990 pour le traitement d’infections respiratoires. Ces médicaments, plus particulièrement le BIAXIN XL, continuent d’être utilisés à ce jour.

[79]           À la fin des années 1990, un groupe particulier de fluoroquinolones, les fluoroquinolones respiratoires, a été introduit. La première molécule de ce groupe a été la lévofloxacine (LEVAQUIN), l’objet de la présente instance. Par la suite, la moxifloxacine (AVELOX) et la gatifloxacine (TEQUIN) ont été introduites. D’autres fluoroquinolones ont été introduites dans le marché, mais leur présence a été de courte durée et elles n’ont eu aucune incidence sur les questions à trancher en l’espèce.

[80]           Janssen Canada a lancé son produit LEVAQUIN au Canada à la fin de 1997, ou au début de 1998. Ce produit était disponible en comprimés de 250 mg et de 500 mg ainsi qu’en formules intraveineuses, lesquelles ne font toutefois pas l’objet de la présente instance. Les comprimés de 500 mg étaient utilisés pour le traitement d’infections respiratoires et ceux de 250 mg, pour le traitement d’infections urinaires.

[81]           AVELOX (moxifloxacine), un produit en concurrence avec le LEVAQUIN dans le marché, a été introduit à la fin de l’année 2000, et continue d’être utilisé à ce jour. Entre les années 2000 et 2010, il n’y avait aucune version générique de ce médicament dans le marché canadien.

[82]           TEQUIN (gatifloxacine), un autre produit en concurrence avec le LEVAQUIN dans le marché, a été introduit à la fin de l’année 2001. Des préoccupations quant à l’innocuité de ce produit ont commencé à être soulevées en 2004, et celui-ci a été ultimement retiré du marché en juin 2006. Aucune version générique de ce produit n’existait.

[83]           Le 29 novembre 2004, ou aux environs de cette date, Teva a lancé sa version générique du produit LEVAQUIN sous le nom de Novo-Levofloxacin en comprimés de 250 mg et de 500 mg. Le produit a été retiré du marché suivant l’injonction que cette Cour a accordée le 17 octobre 2006, sous réserve de la période de vente de trente (30) jours dont j’ai déjà fait état. Il s’agissait du seul produit générique à base de lévofloxacine dans le marché jusqu’à l’expiration du brevet 080.

[84]           Au début de l’année 2003, Janssen Canada a introduit des comprimés LEVAQUIN de 750 mg, qu’elle a continué de vendre au moins jusqu’à la fin de 2010. Ni Teva ni aucun autre concurrent de Janssen n’a commercialisé de comprimés de ce dosage durant la période pertinente.

[85]           Les clients des antibiotiques à base de lévofloxacine et d’autres antibiotiques ont été regroupés en deux, voire trois groupes dans les éléments de preuve. Un premier groupe englobe les ventes directes aux hôpitaux, un deuxième comprend les ventes au détail, c’est-à-dire les ventes directes ou indirectes aux pharmacies et aux commerces apparentés, et un troisième inclut les établissements gouvernementaux et d’enseignement, mais la classification de ceux-ci suscite un débat dans la présente instance.

[86]           À titre d’illustration, j’ai reproduit les graphiques préparés par les experts de chaque partie, qui montrent le nombre d’ordonnances rédigées pour certains de ces médicaments. Le graphique préparé par le Dr Rosenblatt, un expert de Janssen, illustre le marché total des fluoroquinolones respiratoires et détaille les ventes de lévofloxacine (marque et générique), de moxifloxacine (AVELOX) et de gatifloxacine (TEQUIN) entre les années 2000 et 2010.

[87]           Le graphique préparé par le Dr Grootendorst, un expert de Teva, comprend également d’autres médicaments, dont la ciprofloxacine (CIPRO) et la clarithromycine (BIAXIN), et prolonge la période jusqu’à l’année 2012.

[88]           Bien que ces graphiques fassent l’objet d’un débat, ils permettent d’illustrer que le nombre d’ordonnances de lévofloxacine (Janssen plus Teva) est en baisse depuis 2004 environ, que celui pour la gatifloxacine est en baisse depuis 2004 et est devenu inexistant en 2006, et que celui pour la moxifloxacine a été en hausse de 2000 à 2006, pour ensuite atteindre un plateau. Le marché pour d’autres médicaments, comme la ciprofloxacine et la clarithromycine, est demeuré solide.

e)      Scénarios

[89]           Janssen, par l’entremise de son témoin expert, le Dr Rosenblatt, a présenté deux scénarios de ce qu’aurait été l’état du marché « n’eût été » l’entrée du produit générique à base de lévofloxacine de Teva. Ces scénarios, qu’il désigne le scénario A et le scénario B, sont décrits aux paragraphes 51(a) de son rapport, pièce P5, comme suit :

[traduction]

51.       Dans les paragraphes qui suivent, je fournirai des estimations du volume d’ordonnances dans le marché « n’eût été » l’entrée du produit générique, et ce, sur la base de deux scénarios différents. L’hypothèse principale commune aux deux scénarios est que le nombre total d’ordonnances au cours de la période du préjudice dans le marché concurrentiel de la lévofloxacine ne diffère pas de ce qui s’est réellement produit au cours de cette période. Les deux scénarios sont définis ci-dessous :

51(a)    Les deux scénarios du marché « n’eût été » l’entrée du produit générique sont les suivants :

51a(i) Scénario A – Pour ce scénario, j’ai présumé que la part du produit LEVAQUINMD, grâce à des efforts de vente à des niveaux similaires à ceux déployés au cours de la période précédant immédiatement la période du préjudice, aurait été de 51,8 % du marché réel combiné pour la lévofloxacine (500 mg et 750 mg) et le produit AVELOXMD. En décembre 2004, au début de la période du préjudice, la part du produit LEVAQUINMD dans le marché combiné pour la lévofloxacine (500 mg et 750 mg) et le produit AVELOXMD était de 51,8 %. J’estime qu’il s’agit du scénario le plus probable.

51a(ii) Scénario B – Pour ce scénario, on m’a demandé de présumer que, pour le produit LEVAQUINMD, les efforts de vente qui existaient au moment précédant la période du préjudice auraient été maintenus et que tous les autres facteurs du marché seraient demeurés stables. Autrement dit, on m’a demandé de faire fi des données réelles concernant les ordonnances pour les produits TEQUINMD et AVELOXMD. Un modèle de prévision statistique (par lissage exponentiel, détaillé à l’annexe E) estime que le niveau moyen du volume d’ordonnances entre les années 2000 et 2004 se serait reproduit entre les années 2005 et 2010; il s’agit d’un scénario très conservateur qui présume une absence de croissance pour la molécule lévofloxacine, même en présence d’une promotion continue de celle-ci. Je ne crois pas qu’il s’agisse d’un scénario probable.

[Soulignement dans l’original.]

[90]           Teva, par l’entremise de son expert, M. Mak, a présenté six scénarios différents, lesquels sont décrits au paragraphe 7 de son rapport en réponse à la réponse, pièce D47 :

7.    J’ai révisé mes calculs de la manière présentée dans le présent rapport. Les résultats des scénarios de perte économique que j’ai pris en compte se résument de la façon suivante :

Scénario 1 : La perte de volumes basée sur les ventes prix départ usine de Teva, avec diverses hypothèses relatives aux dépenses de publicité et de promotion et différentes périodes de perte pour l’effritement des prix. Les pertes estimées (bénéfice net), avec les intérêts avant jugement, varient entre [expurgé] $ et [expurgé] $, après déduction de la somme de [expurgé] $ que Teva a déjà versée à Janssen Canada.

Scénario 2 : Même scénario que le scénario 1, mais la perte de volumes pour les comprimés de 500 mg est basée sur les données relatives au nombre total d’ordonnances (ordonnances exécutées). Les pertes estimées (bénéfice net), avec les intérêts avant jugement, varient entre [expurgé] $ et [expurgé] $, après déduction de la somme de [expurgé] $ que Teva a déjà versée à Janssen Canada.

Scénario 2.1 : Même scénario que le scénario 2, mais la perte de volumes pour les comprimés de 500 mg est basée sur les volumes départ usine reconnus, selon la vente du total d’ordonnances par mois (ordonnances exécutées). Les pertes estimées (bénéfice net), avec les intérêts avant jugement, varient entre [expurgé] $ et [expurgé] $, après déduction de la somme de [expurgé] $ que Teva a déjà versée à Janssen Canada.

Scénario 3 : Sur la base du scénario A du rapport CHS, mais ajusté pour des volumes corrigés relatifs au total des ordonnances, et avec diverses hypothèses au sujet des dépenses de publicité et de promotion et différentes périodes de perte pour l’effritement des prix. Aucune perte permanente de part de marché n’est présumée pour les demanderesses (LEVO 2). Les pertes estimées (bénéfice net), avec les intérêts avant jugement, varient entre [expurgé] $ et [expurgé] $, après déduction de la somme de [expurgé] $ que Teva a déjà versée à Janssen Canada.

Scénario 4 : Même scénario que le scénario 3, mais avec une perte permanente présumée de part du marché pour les demanderesses (LEVO 2). Les pertes estimées (bénéfice net), avec les intérêts avant jugement, varient entre [expurgé] $ et [expurgé] $, après déduction de la somme de [expurgé] $ que Teva a déjà versée à Janssen Canada.

Scénario 5 : Sur la base du scénario B du rapport CHS, avec les mêmes ajustements que ceux du scénario 3. Les pertes estimées (bénéfice net), avec les intérêts avant jugement, varient entre [expurgé] $ et [expurgé] $, après déduction de la somme de [expurgé] $ que Teva a déjà versée à Janssen Canada.

Scénario 6 : Même scénario que le scénario 5, mais avec une perte permanente présumée de part du marché pour les demanderesses (LEVO 2). Les pertes estimées (bénéfice net), avec les intérêts avant jugement, varient entre [expurgé] $ et [expurgé] $, après déduction de la somme de [expurgé] $ que Teva a déjà versée à Janssen Canada.

[Soulignement dans l’original.]

f) Le marché « n’eût été » l’entrée du produit générique

[91]           La Cour doit tenter de reconstruire ce qu’auraient été les ventes des comprimés LEVAQUIN de Janssen dans le marché canadien, « n’eût été » l’entrée, pendant une période donnée, du produit générique LEVAQUIN de Teva.

[92]           L’expert de Janssen, M. Cohen, a pris en compte les deux scénarios présentés par le Dr Rosenblatt (scénario A et scénario B), et s’est efforcé de recréer le marché « n’eût été » l’entrée du produit générique, pour ainsi en arriver au calcul des dommages subis par Janssen Canada et Janssen É.-U. Il a également préparé le scénario C qui illustre certains de ses arguments en réplique à l’expert de Teva, M. Mak. Le scénario C peut être écarté, tout comme toute tentative de Janssen de mettre de l’avant sa réclamation en dommages-intérêts; seuls les scénarios A et B doivent être pris en compte à cet égard. Le graphique qui suit illustre ces divers scénarios ainsi que la réclamation en dommages-intérêts :

[Expurgé]

[93]           L’expert de Teva, M. Mak, a présenté six scénarios fondés sur les hypothèses qu’il a reçues de plusieurs témoins de Teva, y compris le Dr Simor, le Dr Grootendorst et le Dr Katsanis. Il a préparé des graphiques illustrant des scénarios fondés sur différentes hypothèses. Je reproduis son scénario 1 à titre d’illustration :

[Expurgé]

[94]           La différence entre les scénarios présentés par les experts est plus grande que ce à quoi on aurait pu s’attendre. À titre d’exemple, Janssen postule des dommages de [expurgé] $ dans l’un de ses scénarios, tandis que Teva postule que Janssen aurait en fait réalisé des économies de [expurgé] $ dans l’un de ses scénarios.

[95]           À la fin de son interrogatoire et de son contre-interrogatoire, j’ai soumis les questions suivantes à l’expert de Teva, M. Mak, qui a répondu ce qui suit (pages 1010 et 1011 de la transcription du procès) :

[traduction]

LE JUGE HUGHES :    J’aimerais poser certaines questions au témoin. M. Mak, je regarde les divers scénarios, et je retiens qu’ils aboutissent en la pièce D-48 suivant les divers ajustements que vous avez apportés, après avoir pris en compte les avis d’autres personnes, etc.

LE TÉMOIN :                 C’est exact.

[traduction] LE JUGE HUGHES :            En ce qui a trait à l’onglet C de la pièce D-48, ai-je raison de conclure que, comme total global, vous dites que Janssen et d’autres entités réalisent des gains de 4 millions de dollars en raison du fait que Teva se trouve dans le marché des demanderesses?

LE TÉMOIN :                 Oui, car Teva est dans le marché et que Janssen n’a pas à dépenser.

[traduction] LE JUGE HUGHES :            Elles auraient donc été en meilleure posture si le générique était entré encore plus tôt. Elles auraient donc eu plus d’argent dans leurs poches. Est-ce bien ce que vous dites?

LE TÉMOIN :                 Possiblement, si elles avaient été en mesure d’éviter ces dépenses supplémentaires.

[traduction] LE JUGE HUGHES :            Lorsque je regarde l’analyse de M. Cohen, par exemple, P-9. Je ne sais pas si vous l’avez devant vous, mais il serait utile de lui apporter la pièce P-9. Il s’agit de son rapport en réponse dans lequel il prend en compte divers éléments.

Si vous allez à la page 4, vous y trouverez un graphique. Nous ferons abstraction des intérêts avant jugement. Il illustre des scénarios. Celui qu’il préfère est le scénario qui entraîne une perte de profits, soit que Janssen a un manque à gagner de près de 20 millions de dollars. Est-ce exact?

LE TÉMOIN :                 C’est exact.

[traduction] LE JUGE HUGHES :            J’ai de la difficulté à comprendre le fait que vous dites que Janssen a plutôt bénéficié de l’entrée de Teva dans le marché en réalisant des gains de plus de 4 millions de dollars, et que M. Cohen dit qu’elle a subi une perte de près de 20 millions de dollars. Quelle est la plus grande différence ou quelles sont les différences entre vos deux analyses?

LE TÉMOIN :                 La perte de volumes. La plus grande différence, ou la source de la différence, au chapitre du montant, est la définition que nous avons chacun attribuée à la perte de volumes. Soit que vous acceptiez que [h] est le volume de Teva, tel que dans mes scénarios, ou du marché concurrentiel de la lévofloxacine, comme dans les scénarios de M. Cohen et du Dr Rosenblatt.

[96]           Dans leurs plaidoiries, les avocats ont soulevé divers facteurs qui ont, à leur avis, contribué aux différences dans les scénarios de quantification des dommages présentés par les experts.

i)          Le cours normal des événements

[97]           Dans le monde idéal de la commercialisation, une compagnie pharmaceutique lance un nouveau produit et en fait massivement la promotion, principalement par l’entremise de visites de représentants auprès de médecins, d’hôpitaux et d’autres clients, afin de familiariser les acheteurs et prescripteurs potentiels avec les avantages du médicament. Cette phase est suivie par une phase de maintien, où une telle promotion se poursuit, mais à un rythme plus modéré. Lors de la dernière phase, la phase de récolte, la protection conférée par le brevet arrive à échéance; la promotion est diminuée afin de réduire les coûts et maximiser les profits.

[98]           John Stewart a expliqué cette stratégie de commercialisation dans le cadre de son interrogatoire principal :

[traduction] Q.        Je souhaite maintenant aborder un nouveau sujet. J’aimerais discuter avec vous du cycle de vie d’un médicament breveté au sein de Janssen. Comment Janssen structure-t-elle ses efforts promotionnels pour un produit breveté?

R.         Comment nous faisons... au cours du cycle de vie?

[traduction] Q.        Oui.

R.         Il existe quatre phases typiques pour le développement de produits et la promotion de ceux-ci. Le processus commence par la phase de pré-lancement lors de laquelle a lieu l’élaboration de la stratégie globale et des tactiques. Au cours de cette phase, nous acquérons une compréhension exhaustive du marché. Lorsque Santé Canada donne son approbation, nous passons à la phase de croissance. C’est au cours de cette phase que nous investissons grandement pour accélérer la croissance de la marque.

À un certain moment, moment qui est propre à chaque marque, nous atteignons ce que l’on appelle un sommet au chapitre de la part du marché. Notre part du marché a été maximisée et elle commence à plafonner. Nous passons à ce que nous appelons la phase de maintien lors de laquelle nous nous posons la question suivante : de quelles ressources avons-nous besoin pour conserver le niveau de part de marché de la marque ou le niveau de ventes?

Cette phase nous amène jusqu’à la fin de la durée de vie de notre brevet, moment auquel nous passons à la phase de récolte, soit quatre à six mois avant l’expiration du brevet. Nous retirons toutes nos ressources afin de maximiser notre rentabilité.

[traduction] Q.        Permettez que je revienne un peu en arrière pour que vous nous donniez des explications plus détaillées. Dites-moi ce qui se passe au cours de la phase de pré-lancement. Quand commence-t-elle, et qu’est-ce qui est fait?

R.         Une à deux années avant l’approbation prévue de Santé Canada, nous investissons en embauchant un directeur du marketing et, parfois, un directeur de produit ainsi qu’un gestionnaire de produit. Leur rôle consiste à explorer le marché et à comprendre la taille de celui-ci, qui sont les concurrents, quels sont les enjeux dans le marché et où s’intégrera notre marque, à élaborer les stratégies et les tactiques, à formuler des recommandations sur l’ampleur de la force de vente, sur les programmes nécessaires, etc. Bref, tout ce qui nous permettra d’atteindre le point où, au moment de l’approbation, nous sommes prêts à lancer le produit.

[traduction] Q.        Qu’arrive-t-il après avoir reçu l’approbation?

R.         Au moment de l’approbation, nous lançons le produit au cours d’une réunion de vente. Les objectifs des représentants sont fixés, et ils sont prêts à entamer leur travail. Il s’agit d’un investissement important pour accélérer la croissance, tant du côté monétaire qu’au chapitre de l’effectif. Ces investissements dépassent dans bien des cas les revenus, mais une telle situation est planifiée pour nous assurer que nous atteignions le sommet de la part de marché le plus rapidement possible.

[traduction] Q.        Lors de l’approbation, comment appelle-t-on cette phase de croissance?

R.         La phase de croissance.

[traduction] Q.        Quelle est la durée habituelle d’une phase de croissance?

R.         Cela dépend. Elle peut durer trois ans, ou encore cinq ans. Cela dépend de la marque, des conditions du marché, etc. Il n’y a pas de prévision standard quant à la durée.

[traduction] Q.        Comment Janssen décide-t-elle à quel moment se terminera la phase de croissance?

R.         Essentiellement, c’est lorsque l’on regarde la courbe de croissance en ce qui a trait aux revenus de vente ou à la part de marché, ou à ces deux éléments. Lorsque ces indicateurs commencent à plafonner ou à ralentir et que l’investissement ne stimule pas une croissance progressive, la décision est prise ou la question est posée – nous avons dépensé beaucoup d’argent et en avons perdu beaucoup tout au long de cette période de croissance. On se pose donc la question suivante : quelles ressources pouvons-nous dédier à la marque, soit moins de ressources pour conserver ce niveau de revenu jusqu’à la fin du cycle de vie?

[traduction] Q.        Qu’en est-il des ressources humaines impliquées dans la promotion au cours de la phase de croissance? Sont-elles toujours requises dans la phase de maintien?

R.         Nous avons nécessairement besoin de ressources au cours de la phase de maintien. Nous avons besoin de représentants et d’argent pour la promotion, mais à une échelle bien plus modeste.

[traduction] Q.        Quel est le type d’efforts de vente et de commercialisation entrepris au cours de la phase de maintien?

R.         Essentiellement, dans la phase de maintien, les médecins connaissent très précisément notre marque. Ils y ont eu recours. Ils n’ont pas besoin que nous leur présentions beaucoup d’informations pour qu’ils se sentent à l’aise de prescrire notre produit. Ils ont acquis l’habitude, et ils continuent de prescrire notre produit.

Il existe du matériel de vente de base destiné à renforcer les avantages associés à notre marque. Il y a des échantillons, puisque les médecins aiment en avoir sous la main pour parfois faire l’essai du produit auprès de patients, du matériel de soutien destiné aux patients, ce genre de choses.

[traduction] Q.        Vous avez mentionné plus tôt que la quatrième phase s’appelait la phase de récolte. Pouvez-vous nous décrire cette phase?

R.         Cette phase est assez simple. C’est lorsque nous prenons la décision de retirer toutes les ressources dédiées à la marque. Comme le dit l’expression, nous allons récolter les profits à ce stade. Ultimement, nous regardons la marque sur l’ensemble de son cycle de vie et il est à espérer que nous ayons généré un RCI positif.

[traduction] Q.        À quel moment le cycle de vie se termine-t-il habituellement?

R.         Il se termine à l’expiration du brevet.

[traduction] Q.        Comment se prend la décision de passer de la phase de maintien à la phase de récolte?

R.         Généralement, peut-être de quatre à six mois avant.

[traduction] Q.        Avant quoi?

R.         Désolé. Avant l’expiration du brevet. S’il y a une occasion de transférer des gens vers de nouvelles occasions, de nouvelles occasions de croissance, cette période peut être six ou quatre mois. De manière générale, nous prenons ces décisions à l’approche de la fin de la durée de vie.

[traduction] Q.        Encore une fois de manière générale, quel est l’effet, s’il y en a, de l’entrée de produits génériques sur le cycle de vie planifié d’un médicament de Janssen?

R.         Cela signifie que l’on doit passer directement à la phase de récolte puisque tout l’investissement dans la marque devra être coupé.

[traduction] Q.        Pourquoi faites-vous cela?

R.         Le modèle d’érosion de nos activités lorsqu’un produit générique est lancé est bien établi. En 12 mois, il ne reste que 10 à 20 pour cent des revenus. Tout investissement supplémentaire au cours de cette phase ne fait que stimuler la demande pour la version générique.

[traduction] Q.        Y a-t-il un changement au nombre de ressources humaines dédiées à un projet?

R.         Absolument. Nous cessons toutes les dépenses. Nous redéployons les gens vers d’autres rôles dans l’organisation, ce que nous espérons être en mesure de faire plutôt que de mettre fin à leur emploi.

ii)        Concurrence – Autres molécules

[99]           Le produit de Janssen à base de lévofloxacine, le LEVAQUIN, a été le premier produit à base de fluoroquinolones respiratoires introduit dans le marché canadien et, pendant une certaine période, il était le seul produit de ce genre dans ce marché, sous réserve d’autres fluoroquinolones non respiratoires comme le CIPRO. Un an ou deux plus tard, d’autres produits, également des fluoroquinolones respiratoires, mais de molécules différentes, sont entrés dans le marché : la moxifloxacine (AVELOX) et la gatifloxacine (TEQUIN). Janssen a dû déployer des efforts pour conquérir des parts dans ce marché en particulier, ce qu’elle a fait en mettant de l’avant l’« innocuité avérée » de son produit.

[100]       John Stewart explique cette stratégie aux pages 674 et 675 de la transcription du procès :

[traduction] Q.        L’entrée de la moxifloxacine et de la gatifloxacine dans le marché a-t-elle changé la façon selon laquelle Janssen faisait la promotion du produit LEVAQUIN?

R.         Oui, puisque nous avions maintenant deux personnes qui rivalisaient sur la question des fluoroquinolones, mais cela n’a pas changé notre orientation qui était de présenter les macrolides dans le cadre du paradigme du traitement de patients à plus haut risque.

[traduction] Q.        Comment Janssen positionnait-elle le LEVAQUIN par rapport aux autres fluoroquinolones?

R.         Au début, notre position n’était pas de commencer à attaquer immédiatement les autres fluoroquinolones. C’était leur travail de dire qu’elles étaient supérieures au LEVAQUIN. Mais lorsque vint le moment de discuter des deux produits, ceux-ci se ressemblaient davantage qu’ils n’étaient différents.

Ils étaient tous d’une très grande efficacité, mais deux éléments ressortaient en notre faveur : la moxifloxacine était associée à une prolongation du QT, un effet secondaire de type arythmie cardiaque, ce qui n’est pas une bonne chose, et les problèmes que provoquait la gatifloxacine en lien avec l’hyperglycémie et l’hypoglycémie, donc une fluctuation des niveaux de glucose, ce qui n’est également pas une bonne chose. Nous avons différencié le LEVAQUIN en nous appuyant sur son innocuité avérée.

iii)      Perturbations dans le marché

[101]       Entre 2004 et 2006, deux perturbations ont touché le marché des fluoroquinolones. L’une d’elles a été la disparition de la gatifloxacine (TEQUIN) en raison de préoccupations quant à son innocuité. L’autre a été l’introduction du produit générique à base de lévofloxacine de Teva, et son retrait subséquent en raison de l’injonction accordée par la présente Cour. La question que la Cour doit maintenant trancher est de déterminer quelles auraient été les ventes de Janssen et, en conséquence, quels auraient été ses profits, si le produit générique de Teva n’avait pas été introduit dans le marché.

[102]       Lorsque le produit générique à base de lévofloxacine de Teva est entré dans le marché, Janssen avait essentiellement mis fin à la promotion de ses comprimés LEVAQUIN, comme l’a expliqué John Stewart (pages 694 à 698); pourquoi promouvoir un produit lorsque la concurrence obtiendra la plus grande part du marché?

[103]       Au moment où le produit TEQUIN a été retiré, le produit AVELOX, dont la promotion était assurée par la compagnie pharmaceutique Bayer, a de toute évidence gagné une part du marché de TEQUIN. Le produit LEVAQUIN aurait-il gagné une part de ce marché et, dans l’affirmative, dans quelle proportion? Les médecins et les hôpitaux auraient-ils entièrement abandonné la classe des fluoroquinolones respiratoires et opté pour d’autres médicaments comme le CIPRO ou le BIAXIN?

g)      Conclusions relatives au marché potentiel « n’eût été » l’entrée du produit générique

[104]       Il existe une gamme d’hypothèses différentes qui ont aidé à créer les différents scénarios A et B du Dr Rosenblatt, et les scénarios 1 à 6 de M. Mak, hypothèses que j’examinerai plus en détail.

[105]       Il est possible de relever des différences entre la position du Dr Chan et celle du Dr Simor quant à savoir ce qu’auraient probablement fait les médecins rédigeant les ordonnances d’antibiotiques, tel que le LEVAQUIN, à l’égard de la prescription de ce médicament ou d’un autre médicament dans le marché « n’eût été » l’entrée du produit générique de Teva. Voici quelques-uns des points litigieux :

      l’effet des représentants (ayant des compétences techniques) qui visitent les médecins et assurent la promotion du produit. Après examen de tous les éléments de preuve, je conclus que ces visites ont un effet aux stades initiaux du lancement d’un produit, mais lorsqu’un produit est établi, ces visites ont un effet moins important;

      l’habitude ou le niveau de persistance selon lequel les médecins ont tendance à prescrire ce qu’ils connaissent et ce qui semble avoir le meilleur effet auprès de leurs patients. Je conclus que l’effet est considérable à cet égard;

      l’effet des lignes directrices publiées à l’intention des hôpitaux ou des médecins relativement à ce qu’ils devraient ou peuvent prescrire. Je conclus que les lignes directrices ont un effet, mais qu’elles ne créent pas d’obligations dictatoriales quant à ce qui devrait être prescrit;

      le changement pour d’autres médicaments lorsque le produit Tequin est disparu du marché. Je conclus que la plupart des médecins auraient opté pour la lévofloxacine ou la moxifloxacine, mais que certains autres auraient choisi d’autres produits tels que le CIPRO ou l’un des macrolides;

      le marché de comparaison pertinent est celui de la classe de fluoroquinolones respiratoires;

      les dépenses de Janssen relatives à la promotion, à la recherche et au développement si le produit générique de Teva n’avait pas été lancé. Je conclus que Janssen aurait continué à engager des dépenses promotionnelles, mais, considérant que le brevet tirait à sa fin, ces dépenses auraient probablement diminué. En ce qui a trait aux dépenses en recherche, je préfère l’estimation de Janssen puisque celle de Teva accorde trop d’importance aux dépenses anormalement importantes de Janssen pour une année donnée; et

      l’introduction des comprimés LEVAQUIN de 750 mg de Janssen a probablement entraîné une réduction des ventes de ses comprimés de 500 mg et une réduction des ventes du produit AVELOX (moxifloxacine).

[106]       En tenant compte de tous les éléments de preuve soumis par chacune des parties, je conclus que le scénario A présenté par le témoin expert de Janssen, Dr Rosenblatt, représente le mieux ce qu’aurait été le marché « n’eût été » l’entrée du produit générique. Par contre, j’estime que des changements doivent être apportés à certaines des hypothèses qui sous-tendent ce scénario, soit quant à la période du préjudice et au pourcentage de ventes aux hôpitaux. La question de savoir si les ventes aux établissements gouvernementaux ou d’enseignement devraient être incluses à titre de ventes aux hôpitaux doit également être examinée. J’examinerai les changements devant être apportés, et j’énoncerai les hypothèses appropriées qui devraient, à mon avis, sous-tendre le scénario A.

h)     Période du préjudice

[107]       Les demanderesses Janssen ont calculé leurs pertes sur une période commençant au moment où Teva est entrée dans le marché en décembre 2004 et se terminant en décembre 2010. Le brevet a expiré le 23 juin 2009.

[108]       Teva, par l’entremise de son expert, M. Mak, a calculé ses pertes en se fondant sur la période pendant laquelle Teva se trouvait dans le marché, mais, pour ce qui est de la compression de prix dans les hôpitaux, elle a présenté diverses options de périodes qui varient entre la date à laquelle Janssen récupère l’exclusivité jusqu’à des scénarios quelques mois après l’expiration du brevet (un délai nécessaire pour lui permettre d’exécuter ses contrats).

[109]       La juge Snider a conclu dans la décision Merck & Co., Inc. c. Apotex Inc., 2013 CF 751, au paragraphe 183, qu’un demandeur a droit à des dommages-intérêts pour le préjudice subi après l’expiration de son brevet par suite de l’activité du contrefacteur au cours de la période pendant laquelle le brevet était en vigueur :

[183]   La Loi sur les brevets ne contient aucune disposition portant que seul le préjudice subi pendant la durée du brevet doit être pris en compte. Aux termes du paragraphe 55(1), quiconque contrefait un brevet est responsable « envers le breveté [ou licencié] du dommage que cette contrefaçon leur a fait subir après l’octroi du brevet ». Merck a droit à une indemnité au titre des ventes contrefaisantes même si ces ventes ont en fait eu lieu après l’expiration du brevet.

[110]       Dans la présente affaire, il est raisonnable de présumer que la période du préjudice se prolongerait au-delà de la date d’expiration du brevet. En effet, les ordonnances devaient être exécutées, les contrats devaient être respectés, et d’autres obligations existantes contractées lors de la période de compression de prix tandis que le brevet était en vigueur devaient être satisfaites.

[111]       Par contre, je ne trouve aucun fondement dans le dossier pour étayer le prolongement de la date du préjudice jusqu’en décembre 2010, ou pour appuyer la cessation du préjudice à l’expiration du brevet ou un mois après celle-ci.

[112]       Dans les circonstances, je dois appliquer le principe de la « détermination approximative ». Je conclus que les pertes causées par les ventes liées aux ordonnances (au détail) cesseraient environ deux mois après l’expiration du brevet, soit le 31 août 2009, et celles liées aux hôpitaux, environ un an après l’expiration du brevet, soit le 30 juin 2010.

[113]       Lorsqu’il a examiné les données sur le total des ordonnances, c’est-à-dire les données se rapportant aux ventes des pharmacies aux patients, l’expert de Teva, M. Mak, a réalisé des calculs qui incluent un décalage d’un mois au début de la période du préjudice pour le motif que les pharmacies conservent des stocks qui auraient été vendus par Janssen à la pharmacie ou au grossiste environ un mois avant que la pharmacie ne vende le produit au patient. Considérant que les pertes de Janssen se réalisent lorsqu’elle vend le comprimé et non pas lorsque c’est la pharmacie qui le vend, ce décalage était destiné à compenser l’utilisation des données sur le total d’ordonnances.

[114]       L’expert de Janssen, M. Cohen, convient qu’il existe un décalage lorsque l’on suit le produit, mais il indique que les ventes d’ordonnances constituent un bon substitut aux ventes départ-usine puisqu’elles correspondent étroitement (se reporter au tableau 1 à la page 11 de son rapport en réponse, pièce P9). Même si le même comprimé physique n’est pas vendu immédiatement de l’usine au patient, les chiffres correspondent suffisamment pour être utilisés dans l’établissement de modèles économiques. M. Cohen précise ainsi qu’il n’est pas nécessaire d’intégrer ce décalage dans le modèle, même lorsque les données sur le total d’ordonnances sont utilisées.

[115]       Je suis convaincu par l’analyse de M. Cohen, car dire le contraire créerait une fenêtre d’un mois au milieu de la période d’exclusivité de Janssen lors de laquelle il n’y aurait aucune vente. De surcroît, considérant que les données sur le total d’ordonnances correspondent étroitement aux ventes départ-usine, celles-ci constituent un substitut raisonnable aux fins de l’approche de la « détermination approximative ».

i)        Ventes dans les hôpitaux – Compression de prix

[116]       La loi est claire. Une réclamation en dommages-intérêts pour une compression de prix peut être présentée si, en raison des activités d’un contrefacteur, un breveté ou une personne se réclamant de celui-ci a dû réduire ses prix du fait de l’entrée dans le marché d’un contrefacteur offrant le produit à un prix inférieur. Comme l’a écrit le juge Heald dans la décision AlliedSignal Inc. c. Du Pont Canada Inc. (1998), 78 C.P.R. (3d) 129 (C.F. 1re inst.), confirmé par 86 CPR (3d)324 (CAF) au paragraphe 23 :

23        Outre le manque à gagner imputable à la perte de ventes, le détenteur de brevet peut aussi réclamer le manque à gagner imputable à la compression de prix s’il peut prouver qu’il a été dans l’obligation de réduire ses prix pour concurrencer le contrefacteur : Colonial Fastener Co. v. Lightning Fastener Co., American Braided Wire Co. v. Thomson.

[117]       Les éléments de preuve démontrent que Janssen Canada a réduit ses prix pour les hôpitaux de [expurgé] $ lorsque Teva est entrée dans le marché avec son produit générique à base de lévofloxacine, et qu’elle n’a pu les augmenter après que Teva ait été forcée de se retirer du marché. Comme le précise le témoin de Janssen, John Stewart, aux pages 698 à 699, 703 à 704 et 758 de la transcription du procès :

[traduction]

Q.        La présence de Novopharm dans le marché a-t-elle eu un effet sur la tarification de Janssen pour les hôpitaux?

R.         Oui, dans la mesure où l’on perd toute occasion de s’associer aux hôpitaux et aux spécialistes, il ne reste plus qu’à adopter la stratégie des produits génériques. Le seul élément dont on peut tirer parti pour tenter de conserver nos affaires est de baisser notre prix, et de concurrencer sur cette base.

En [expurgé] 20[expurgé], nous avons systématiquement diminué nos prix pour les hôpitaux par un autre [expurgé] pour cent, d’une part, pour permettre à tous les hôpitaux d’économiser de l’argent et, d’autre part, puisque nous n’avions aucune ressource à dédier pour établir des distinctions entre les hôpitaux en ce qui a trait à la tarification. Par conséquent, le prix a été réduit pour tous les hôpitaux.

[traduction] Q.        Avant l’entrée du Novo-Levofloxacin dans le marché, est-ce que Janssen avait l’intention de réduire ses prix pour les hôpitaux?

R.         Une stratégie de réduction systématique de 30 pour cent ne faisait pas partie de nos plans.

[...]

[traduction] Q.        Au cours de la période suivant le départ de Novopharm du marché, y a-t-il eu un effet sur les prix que proposait Janssen aux hôpitaux pour le produit LEVAQUIN?

R.         Il n’y a eu aucun changement à notre tarification pour les hôpitaux.

[traduction] Q.        Pourquoi?

R.         Nous avions établi des relations et des listes de référencement fondées sur les prix que nous avions offerts aux hôpitaux depuis les deux dernières années, voire plus longtemps. Nous n’allions pas faire de vagues et changer nos prix pour ces clients. Ce n’est pas notre façon de faire.

[...]

[traduction] Q.        Lorsqu’il vous a posé des questions sur les chutes de prix dans les hôpitaux, vous avez dit à M. Wilcox -- pardonnez-moi, M. Markwell -- qu’après avoir réduit les prix pour les hôpitaux en 2006 lorsque vous avez regagné le marché, vous ne vouliez pas les augmenter puisque vous ne vouliez pas faire de vagues, n’est-ce pas?

R.         C’est exact.

[traduction] Q.        Vous entendez par cela que vous auriez pu perdre des clients et qu’ils auraient alors acheté le produit ailleurs?

R.         Nous allions entrer dans le marché avec d’autres produits anti-infectieux destinés aux hôpitaux qui étaient, à l’époque, l’avenir de notre franchise en la matière. Pourquoi contrarier notre client en étant trop près de nos sous pour un produit alors que nous voulions lui demander d’en référencer d’autres plus tard?

[118]       Les changements réellement apportés aux prix des hôpitaux font partie des éléments de preuve convenus.

j)        Ventes dans les hôpitaux – Groupe « diamant », « non-diamant » et « établissements d’enseignement/gouvernements »

[119]       La réclamation en dommages-intérêts de Janssen concerne la compression de prix visant les « ventes aux hôpitaux ». En réponse à la question posée à Janssen lors de l’interrogatoire préalable, laquelle peut être paraphrasée comme suit :

[traduction] Veuillez nous informer s’il y a une réclamation en dommages-intérêts concernant une compression de prix et (ou) une érosion des ventes autre que pour les ventes aux hôpitaux par suite de l’entrée du Novo-Levofloxacin dans le marché

la réponse écrite fournie par les avocats a été la suivante (pièce D61 au procès) :

[traduction] Il n’y en a pas. L’unique réclamation en dommages-intérêts concernant une compression et (ou) une érosion de prix vise les ventes aux hôpitaux.

[120]       La question est de déterminer en quoi consistent les « ventes aux hôpitaux ».

[121]       Les éléments de preuve démontrent que Janssen Canada avait divisé ses clients en groupes, dont les hôpitaux du groupe « diamant » (étant les hôpitaux de plus grande taille ou plus influents), les hôpitaux du groupe « non-diamant » et les « établissements d’enseignement/gouvernements ». M. Park, représentant de Janssen, a expliqué en quoi consiste ce dernier groupe dans le cadre de son interrogatoire préalable (pièce D61, questions 3331 à 3333) comme suit :

[traduction] Q.        Très bien. Et qu’en est-il des « établissements d’enseignement... »

Je vais peut-être faire une pause.

« Grossiste en médicaments », cela n’inclurait pas les ventes aux hôpitaux? Ou est-ce que ça pourrait être le cas?

R.         C’est possible, si un hôpital de plus petite taille qui ---

Les hôpitaux peuvent passer une commande auprès de Janssen directement ou auprès d’un grossiste.

Ils peuvent choisir l’un ou l’autre.

[traduction] Q.        Très bien.

La prochaine ligne est « établissements d’enseignement/gouvernements »...

R.         Oui. Il aurait pu s’agir d’un gouvernement provincial ou du gouvernement fédéral faisant un achat important pour des épidémies ou pour toute préoccupation : Anthrax ou quoi que ce soit d’autre.

Il semble qu’il y ait...

Je pense avoir déjà vu quelque chose qui correspond avec ce chiffre, « 53 722 ».

Il s’agissait d’un achat important du gouvernement.

[traduction] Q.        Très bien. Et puis, « hôpitaux ».

R.         Les « hôpitaux » seraient ceux qui commandent le Levaquin auprès de Janssen directement.

[122]       Les éléments de preuve démontrent que M. Cohen a inclus les ventes aux établissements d’enseignement/gouvernements à titre de ventes aux hôpitaux du groupe non-diamant lorsqu’il a déterminé la compression de prix, les excluant ainsi du calcul du prix au détail. Ce n’est pas ce que M. Mak a fait. En raison de cette différence entre les deux approches, Janssen Canada est avantagée d’environ [expurgé] $.

[123]       Je suis préoccupé par le fait que Janssen ait fourni une réponse lors de l’interrogatoire préalable qui pourrait être considérée comme étant trompeuse. Aucune correction ou clarification n’a été apportée à l’égard de cette réponse. Janssen aurait dû clarifier l’ambiguïté causée par cette réponse qui pourrait être interprétée comme étant quelque peu ambiguë. Même au cours du procès, elle n’a fait aucun effort pour clarifier la réponse.

[124]       Je conclus que les ventes aux établissements d’enseignement/gouvernements devraient être exclues des ventes aux hôpitaux, ce qui entraîne une réduction apparente de la réclamation en dommages-intérêts de Janssen d’environ 300 000 $.

k)      Ventes dans les hôpitaux – Pourcentage

[125]       Les éléments de preuve démontrent que les hôpitaux sont exigeants relativement aux prix et qu’ils exigent généralement, et reçoivent, un prix réduit sur les médicaments. À titre d’exemple, à la page 93 de la transcription du procès, le Dr Rosenblatt suggère qu’un comprimé vendu à cinq dollars (5 $) au détail (c’est-à-dire aux grossistes) serait vendu directement aux hôpitaux à quatre dollars (4 $) le comprimé. Par contre, les ventes de produits qui sont ultimement utilisés dans les hôpitaux ne constituent pas toutes des ventes directes aux hôpitaux. En effet, certains hôpitaux peuvent parfois faire des achats auprès de détaillants ou de grossistes (Dr Rosenblatt, pièce P6 en réponse, au paragraphe 35, DGrootendorst, transcription, à la page 1097, M. Stewart, transcription, à la page 679). Plus le nombre de ventes réalisées indirectement auprès d’hôpitaux était élevé, p. ex. par l’intermédiaire de détaillants ou de ventes en gros, plus les marges de profits de Janssen étaient importantes, considérant que ces comprimés étaient vendus par Janssen aux détaillants ou grossistes à un prix plus élevé.

[126]       Les experts des parties qui ont abordé cette question, à savoir le Dr Rosenblatt et le Dr Grootendorst, ont convenu qu’il n’y avait pas de façon précise de déterminer le pourcentage des ventes indirectes aux hôpitaux. Le Dr Rosenblatt a utilisé [expurgé] %, alors que le Dr Grootendorst a utilisé [expurgé] %. Plus la valeur est élevée, plus celle-ci favorise Janssen.

[127]       Le Dr Rosenblatt a expliqué et justifié sa détermination du pourcentage s’élevant à [expurgé] % dans son rapport (pièce P5, paragraphe 66), dans sa réponse (pièce P6, paragraphe 35) de même que lors de son interrogatoire et de son contre-interrogatoire au procès (transcription, pages 90 à 95, et page 183). Les faits ont été étayés par le témoignage de John Stewart (transcription, page 679) et par des extraits de l’interrogatoire préalable (pièces D61 et D62).

[128]       Le Dr Grootendorst s’est basé sur le pourcentage s’élevant à [expurgé] % dans son rapport (pièce D52, paragraphe 170). Lors de son contre-interrogatoire au procès (transcription du procès, pages 1096 à 1098), il a convenu que les avocats de Teva lui avaient fourni ce pourcentage et que, selon ses propres calculs, du moins pour l’année 2004, ce pourcentage s’élèverait de [expurgé] %.

[129]       Dans leur plaidoirie finale, les avocats de Janssen ont convenu que ce pourcentage, [expurgé] %, était une estimation élevée, mais ils ont fait valoir que l’estimation fournie par Teva, à savoir [expurgé] %, était beaucoup trop faible.

[130]       Sur cette question, je dois adopter l’approche de la « détermination approximative ». La médiane entre [expurgé] % et [expurgé] % est [expurgé] %. Toutefois, en se fondant sur les éléments de preuve, il est plus probable que ce pourcentage soit plus élevé puisque je penche davantage en faveur de l’approche du Dr Rosenblatt que celle du Dr Grootendorst qui tire son origine d’un pourcentage fourni par les avocats.

[131]       Je conclus que le pourcentage approprié pour ces ventes aux hôpitaux est le suivant : [expurgé] %.

l)        Redevances versées à Janssen Porto Rico

[132]       M. Mak a débité des charges de redevance de [expurgé] % et de [expurgé] % versées aux sociétés de Janssen Porto Rico relativement aux ventes réalisées entre 2006 et 2010. Ces redevances ne devraient être appliquées que pour l’année 2010 puisqu’aucun élément de preuve ne permet de démontrer qu’elles ont été payées pour les années précédentes.

X.                TROISIÈME QUESTION EN LITIGE – INTÉRÊTS AVANT JUGEMENT

[133]       Dans ma décision précédente dans le dossier T-2175-04, au paragraphe 5, j’ai accordé aux demanderesses, Janssen Canada et Daiichi, des intérêts avant jugement, non composés, au taux bancaire moyen établi. Cette décision n’a pas été modifiée en appel, et Janssen Canada est liée par celle-ci.

[134]       Janssen É.-U. fait valoir que si elle est en mesure de démontrer une perte de profits imputable à la contrefaçon et que ces profits auraient généré un revenu régulier au cours de la période de privation de ceux-ci, elle aurait alors également subi un préjudice découlant de cette perte de revenus tirés de ces profits; elle soutient en outre qu’il n’est pas nécessaire de présenter une preuve exacte de la façon selon laquelle ces profits perdus auraient été utilisés. Elle s’appuie sur la décision du juge Zinn de cette Cour dans Eli Lilly and Company c. Apotex Inc., 2014 CF 1254, particulièrement aux paragraphes 115 à 119 lorsqu’il énonce :

[115]   L’interprétation que fait Apotex du jugement de l’arrêt Banque d’Amérique est beaucoup trop restrictive. S’il est vrai que la Cour suprême a affirmé que « [l]es tribunaux ont reconnu que l’equity pouvait conférer un autre droit aux intérêts, y compris à l’intérêt composé, que celui expressément prévu » dans la loi du tribunal pertinente, et que « [l]e droit contractuel à l’indemnisation de la perte du profit escompté, reconnu en common law, constitue également une autre source du droit aux intérêts »; la Cour suprême n’a cependant jamais affirmé que ces droits étaient les seuls autres « droits » dont on pouvait se prévaloir pour appuyer l’octroi d’intérêts composés.

[116]   Il est possible que des intérêts doivent être versés en vertu d’une autre disposition législative, ce que la juge Gauthier a implicitement reconnu lorsqu’elle a écrit que Lilly pouvait avoir droit à des intérêts composés avant jugement « comme élément de l’indemnisation ». L’« indemnisation » tire sa source du paragraphe 55(1) de la Loi sur les brevets qui prévoit que le contrefacteur est responsable envers le breveté « du dommage » que cette contrefaçon lui a fait subir. S’il peut établir que les pertes de profits découlent de la contrefaçon et que ces profits auraient généré un revenu régulier au cours de la période de privation de ces profits, alors le breveté a également subi le préjudice de perte de revenus tirés de ces profits.

[117]   Apotex soutient que Lilly n’a pas réussi à prouver de quelconques pertes de cette nature. Elle n’a pas établi qu’elle aurait investi les profits perdus et réinvesti tout revenu tiré de ceux-ci ou encore qu’elle aurait remboursé une dette.

[118]   Selon moi, le breveté n’est pas tenu de prouver exactement ce qu’il aurait fait des profits perdus en raison des actions du contrefacteur. Le scénario hypothétique existe justement parce que le breveté ne disposait pas des fonds. Je souscris à l’avis exprimé par S. M. Waddams dans The Law of Damages (3e éd., 1997), au paragraphe 437, cité au paragraphe 37 de l’arrêt Banque d’Amérique :

[traduction] [A]ucun principe ne paraît justifier qu’un tribunal ne puisse accorder des intérêts composés. S’il avait été indemnisé le jour où il a subi le préjudice, le demandeur aurait disposé d’un capital à placer; il aurait périodiquement touché de l’intérêt sur ce capital, qu’il aurait également placé. Le défendeur a quant à lui bénéficié des intérêts composés.

J’irais même plus loin pour dire que, dans le monde d’aujourd’hui, il faut présumer qu’un demandeur aurait gagné de l’intérêt composé sur les fonds dus et que c’est justement ce que fait un défendeur au cours de la période pendant laquelle il retient les fonds.

[119]   Apotex soutient que l’attribution d’intérêts composés aurait pour effet de surcompenser Lilly parce que cela permet de calculer les intérêts sur des sommes avant impôts plutôt qu’après impôts. Elle affirme que l’[traduction] « octroi d’intérêt simple permet d’éviter de tenir compte de telles questions fiscales – qui peuvent se révéler très complexe – et de simplifier le calcul ». La facilité du calcul n’est pas un point à considérer dans la détermination des dommages-intérêts. Mis à part le fait qu’elle a affirmé que le calcul pourrait donner lieu à l’attribution de gains fortuits pour le breveté, Apotex n’a présenté aucun élément de preuve soutenant une réduction justifiée des intérêts composés au cours de la période visée de douze ans. Toute réduction au titre des intérêts composés appliquée par la Cour dans ce dossier ne serait rien d’autre qu’une pure spéculation. Quoi qu’il en soit, si l’omission de tenir compte du fait que les intérêts cumulatifs auraient été gagnés sur des sommes après impôts peut occasionner une indemnisation plus élevée pour Lilly, ceci est contrebalancé, en partie ou en totalité, par le fait que les intérêts composés ne tiennent pas précisément compte des trois facteurs cernés par la Cour suprême pour évaluer la dépréciation de la valeur de l’argent : (i) le coût de renonciation, (ii) le risque et (iii) l’inflation.

[135]       Cette décision fait actuellement l’objet d’un appel. Je souligne que la demanderesse dans cette décision s’est vue accorder des intérêts composés, et non pas les profits qui, selon elle, auraient été générés.

[136]       Janssen É.-U. s’appuie sur le témoignage de M. Smith lors de son interrogatoire principal aux pages 448 à 449 de la transcription. Je retranscris ci-dessous l’extrait de son témoignage :

[traduction] Q.        J’ai quelques questions à vous poser sur le volet financier chez Ortho-McNeil. Aviez-vous une responsabilité financière chez Ortho-McNeil pour Ortho-McNeil-Janssen Pharmaceuticals?

R.         Bien entendu. J’étais responsable de l’état des revenus et des dépenses du volet commercial pour la société. Donc, oui.

[traduction] Q.        Si ces sociétés avaient réalisé des profits supplémentaires, les auriez-vous laissés à la banque afin d’accumuler de l’intérêt au taux bancaire?

R.         Non, certainement pas. C’est encore le cas aujourd’hui. C’était le cas à l’époque. Nous ne disposons jamais assez de ressources pour tirer parti de toutes les occasions qui se présentent à nous. Nous établissons toujours les priorités de nos investissements. Nous n’avons pas assez d’argent pour toutes les occasions potentielles d’investissement.

Comme société ouverte ayant des actionnaires, nous sommes responsables de faire croître l’entreprise et, nous l’espérons, d’augmenter nos profits d’année en année. Nos décisions sont en tout temps remises en question, que ce soit notre décision de mener, pour une marque, d’autres essais cliniques qui pourraient l’aider à avoir plus de succès ou être plus disponible pour les patients, notre décision de réaliser plus de ventes directes ou de déployer davantage d’efforts de marketing, ou encore celle d’accorder de nouveau des licences pour d’autres molécules importantes pouvant profiter aux patients à long terme. Nous faisons toujours ces compromis. Si nous avions de l’argent en surplus, il ne serait pas à la banque. Il serait assurément réinvesti dans l’entreprise.

[traduction] Q.        Et cela aurait-il été le cas pour la période commençant en décembre 2005?

R.         Absolument.

[traduction] Q.        Cela aurait-il été le cas pour tout profit supplémentaire que vous auriez touché à l’égard du LEVAQUIN?

R.         Je ne pense pas que cela ait à voir avec le produit ayant généré les profits. Les profits auraient été réinvestis, peu importe le produit les ayant engendrés. Si le LEVAQUIN avait généré des profits supplémentaires, nous les aurions assurément réinvestis dans l’entreprise.

[137]       Teva fait valoir, du moins en l’espèce, que les termes de ma décision précédente applicables à Janssen Canada devraient s’appliquer également à Janssen É.-U.; que la décision n’a pas été modifiée en appel et que Janssen Canada n’a pas remis en question cette partie de la décision en appel. Dans tous les cas, Teva affirme que le témoignage de M. Smith est vague et qu’il n’est pas concluant; que la déclaration de revenus aux États-Unis de Janssen É.-U. dans le dossier de preuve devant moi démontre un profit au cours de certaines années et des pertes pour d’autres; et qu’il n’y a aucun élément de preuve précis relativement au produit LEVAQUIN.

[138]       Je suis d’accord avec Teva. Les termes de ma décision précédente à l’égard de Janssen Canada et des intérêts avant jugement devraient s’appliquer également à Janssen É.-U. Le juge Zinn dans la décision Eli Lilly semble prendre en compte la perte de profits découlant d’un préjudice imputable à la perte de ventes dans l’attribution d’intérêts composés. La Cour d’appel clarifiera peut-être la situation. Dans tous les cas, je ne suis pas convaincu que les éléments de preuve en l’espèce, à savoir le témoignage de M. Smith et les déclarations de revenus, suggèrent qu’une réclamation pour pertes de profits ou pour l’attribution d’intérêts composés soit justifiée.

XI.             QUATRIÈME QUESTION EN LITIGE – LIMITATION DES DOMMAGES

[139]       Le droit canadien est clair. La partie cherchant à obtenir des dommages-intérêts dans le cadre d’une poursuite est tenue de prendre toutes les mesures raisonnables pour limiter ceux-ci. Le juge Estey de la Cour suprême du Canada a écrit dans l’arrêt Asamera Oil Corporation Ltd. c. Sea Oil & General Corporation, [1979] 1 RCS 633 à la page 661 en citant lord Haldane dans l’arrêt British Westinghouse Electric and Manufacturing Company, Limited v. Underground Electric Railways Company of London, Limited, [1912], AC 673 à la page 689 :

[traduction] Le principe fondamental est donc la compensation des pertes pécuniaires découlant naturellement de l’inexécution; mais ce principe est mitigé par un autre qui veut que le demandeur ait l’obligation de prendre toutes mesures raisonnables pour limiter le préjudice résultant de la rupture du contrat et ne puisse être indemnisé pour la partie du préjudice qu’il aurait ainsi pu éviter. Comme l’a écrit le lord juge James dans Dunkirk Colliery Co. v. Lever, « Celui qui ne respecte pas un contrat n’est pas responsable des dommages supplémentaires attribuables à l’inaction des demandeurs, ces derniers étant tenus d’agir en hommes raisonnables sans toutefois être obligés de prendre d’autres mesures que celles se situant dans le cours normal des affaires ».

[140]       La juge Karakatsanis de la Cour suprême du Canada a écrit dans l’arrêt Southcott c. Toronto Catholic School Board, 2012 CSC 51, au paragraphe 24, que lorsqu’il est allégué que le demandeur n’a pas mitigé le préjudice, il incombe au défendeur de démontrer non seulement que le demandeur n’a pas pris toutes les mesures raisonnables pour mitiger le préjudice, mais encore qu’il était possible de mitiger le préjudice.

[141]       Nous devons examiner deux questions de preuve; la première consiste à déterminer les mesures prises, et la deuxième est de savoir si d’autres mesures, ou des mesures différentes, auraient dû être prises.

[142]       Traitons d’abord des mesures qui ont réellement été prises. Ma décision interdisant à Teva de continuer de vendre des comprimés de lévofloxacine, sous réserve de la période de vente de trente (30) jours, a été rendue le 17 octobre 2006. Cette décision a été portée en appel, et confirmée par la Cour fédérale d’appel le 7 juin 2007. L’autorisation d’interjeter appel devant la Cour suprême du Canada a été refusée le 6 décembre 2007. Ainsi, la question quant à la validité et à la contrefaçon n’a été définitivement fixée que le 6 décembre 2007.

[143]       Les éléments de preuve lors de l’interrogatoire préalable fournis par Janssen, tels que lus dans le dossier de preuve au procès par Teva, indiquent qu’il était impossible en pratique pour Janssen d’augmenter ses prix pour le groupe d’hôpitaux clients, car elle était liée par un contrat en vigueur. Je retranscris ci-dessous un extrait (pages 544 à 545) de l’interrogatoire préalable de M. Park :

[traduction] M. KLEE :      J’aimerais maintenant savoir sur quoi se base la déclaration voulant que les « réductions de prix doivent rester en place, même après l’octroi de l’injonction, pour éviter de perdre des clients... »

LE TÉMOIN :       Nous avions conclu un contrat d’une durée de trois ans. Le fait que nous récupérions le nouveau [sic] brevet ne fait aucune différence pour un hôpital. Il s’agissait d’un contrat d’une durée de trois ans. Après l’expiration du contrat, nous aurions pu par la suite, à un moment donné, renégocier en fonction de ce qui se passe dans le nouveau marché...

[144]       Cette position a été confirmée lors du procès au cours de l’interrogatoire principal de John Stewart. Je retranscris ci-dessous un extrait (pages 703 à 704) de la transcription du procès :

[traduction] Q.        Au cours de la période suivant le départ de Novopharm du marché, y a-t-il eu un effet sur les prix que proposaient Janssen aux hôpitaux pour le produit LEVAQUIN?

R.         Il n’y a eu aucun changement à notre tarification pour les hôpitaux.

[traduction] Q.        Pourquoi?

R.         Nous avions établi des relations et des listes de référencement fondées sur les prix que nous avions offerts aux hôpitaux depuis les deux dernières années, voire plus longtemps. Nous n’allions pas faire de vagues et changer nos prix pour ces clients. Ce n’est pas notre façon de faire.

[145]       En ce qui a trait aux clients au détail, comme les médecins, les éléments de preuve démontrent que Janssen a commencé à réviser ses plans de commercialisation pour le LEVAQUIN en avril 2006, mais qu’elle n’a réaffecté son équipe de mise en marché responsable du LEVAQUIN que plus tard au cours de l’année 2007. John Stewart en a expliqué la raison aux pages 702 et 703 de la transcription du procès.

[traduction] Q.        Savez-vous pourquoi Janssen n’a réaffecté les gens au LEVAQUIN qu’au troisième cycle de 2007?

R.         Comme je l’ai mentionné précédemment, ce genre de changement prend du temps à réaliser. Si nous n’avons pas l’effectif dans l’organisation, nous devons possiblement embaucher des gens qui occuperont des rôles précis. Puis, il faut conserver absolument tout l’effectif puisqu’il y a du roulement et des changements à notre force de vente.

Nous devons préparer tout le matériel de vente. Il faut se remettre à jour en ce qui a trait aux enjeux dans le marché. Il ne s’agit pas d’une opération clé en main. L’élaboration de stratégies et de tactiques exige beaucoup de travail. On n’a pas tendance à réaliser tout cela au milieu d’un cycle. On le fait au début du cycle 1 ou 2. Dans le cas qui nous occupe, cela était prêt au cycle 3. C’est un délai raisonnable.

[146]       C’est ce qui a été véritablement accompli. Teva n’a présenté aucun élément de preuve quant à ce qui aurait dû être fait. Seuls les avocats de Teva ont présenté des arguments lors de leur plaidoirie quant à ce qui aurait dû être fait et quand cela aurait dû être fait. La Cour ne dispose d’aucun témoignage d’une personne de Teva spécialisée en mise en marché ni d’aucun élément de preuve pour suggérer que les mesures prises par Janssen étaient tardives ou inadéquates.

[147]       Considérant les éléments de preuve dont je dispose, je ne peux conclure que les mesures prises par Janssen étaient insuffisantes pour limiter le préjudice subi.

XII.          DÉPENS

[148]       Les parties ont demandé de se faire entendre sur la question des dépens après avoir pris connaissance de ma décision. Par conséquent, je demande de recevoir les arguments relativement aux dépens des demanderesses dans un délai de vingt (20) jours de la présente décision, et ceux de la défenderesse dans un délai de vingt (20) jours après cette échéance.

XIII.       CONCLUSIONS

[149]       J’ai communiqué les présents motifs sous forme d’ébauche aux avocats de chaque partie, et je leur ai demandé qu’ils préparent, en collaboration avec leurs experts, M. Cohen et M. Mak, les chiffres qui résultent des changements apportés à certaines des hypothèses qui sous-tendent le scénario A. Ils ont répondu à la demande et ils ont soumis des chiffres sur lesquels ils s’entendent, lesquels comprennent les intérêts avant jugement calculés conformément aux présents motifs et à ma décision précédente, jusqu’à la dernière journée de mai 2016. Il demeure entendu, bien qu’en étant en accord sur ces chiffres, que les parties se réservent le droit de contester l’une ou l’ensemble de mes conclusions en l’espèce. Les dommages-intérêts, avec les intérêts avant jugement, ont été calculés individuellement pour Janssen Canada et Janssen É.-U.

[150]       J’ai conclu que Janssen Pharmaceuticals, Inc. (Janssen É.-U.) a qualité en tant que personne « se réclamant » de Daiichi, le titulaire du brevet 080, pour soumettre une demande en dommages-intérêts en l’espèce.

[151]       Janssen É.-U. a droit de recevoir des intérêts avant jugement selon les mêmes termes que ceux exprimés au paragraphe 5 de ma décision précédente datée du 17 octobre 2006 concernant Janssen Canada.

[152]       Il n’a pas été établi que Janssen Canada avait fait défaut de limiter son préjudice.

[153]       Janssen Canada est en droit de recevoir des dommages-intérêts de Teva de 5 498 270 $, somme incluant les intérêts avant jugement, tel que susmentionné, et Janssen É.-U. a droit de recevoir des dommages-intérêts de 13 342 949 $, somme incluant les intérêts avant jugement.


JUGEMENT

POUR LES MOTIFS QUI PRÉCÈDENT,

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.       Teva Canada Limitée doit payer à Janssen Inc. des dommages-intérêts s’élevant à 5 498 270 $, somme incluant les intérêts avant jugement.

2.      Teva Canada Limitée doit payer à Janssen Pharmaceuticals, Inc. des dommages-intérêts s’élevant à 13 342 949 $, somme incluant les intérêts avant jugement.

3.      Les dépens feront l’objet d’un jugement subséquent lorsque les arguments des parties auront été reçus conformément aux délais prescrits dans les présents motifs, et qu’ils auront été pris en considération.

« Roger T. Hughes »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-2175-04

INTITULÉ :

JANSSEN INC. ET DAIICHI SANKYO COMPANY, LIMITED c. TEVA CANADA LIMITÉE

ET DOSSIER :

T-2056-11

INTITULÉ :

JANSSEN-ORTHO LLC, JANSSEN PHARMACEUTICALS, INC., et OMJ PHARMACEUTICALS, INC. c. TEVA CANADA LIMITÉE et DAIICHI SANKYO COMPANY, LIMITED

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATES DE L’AUDIENCE :

Les 4, 5, 6, 7, 8, 11, 12, 14, 15 et 21 avril 2016

JUGEMENT PUBLIC ET MOTIFS :

LE JUGE HUGHES

DATE DES MOTIFS :

LE 31 MAI 2016

COMPARUTIONS :

Peter Wilcox

Jason Markwell

Marian Wolsanski

Greg Beach

Stephanie Anderson

Stefanie Di Giandomenico

Benjamin Reingold

Pour les demanderesses

Marcus Klee

Jonathan M. Giraldi

Aleem Abdulla

Abbas Kassam

Pour la défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bellmore Neidrauer LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour les demanderesses

Aitken Klee LLP

Avocats

Ottawa (Ontario)

POUR LA DÉFENDERESSE

 

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