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Date : 20160607


Dossier : IMM-2679-15

Référence : 2016 CF 631

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 7 juin 2016

En présence de monsieur le juge O’Reilly

ENTRE :

MEHMET SEFA VERIM

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               En 2014, M. Mehmet Sefa Verim a demandé l’asile au Canada au motif qu’il a déjà été persécuté en Turquie en tant que Kurde de confession yézidie. Il a prétendu que des ultranationalistes turcs ont fait irruption dans sa maison et ont attaqué son frère et sa mère. De plus, il a affirmé qu’au cours d’un autre incident survenu en 1999, des ultranationistes turcs l’ont poignardé. De plus, il a affirmé avoir subi des mauvais traitements de la part de la police turque, qui l’a détenu, interrogé et battu. Il a quitté la Turquie pour chercher asile aux États-Unis. Cependant, il a abandonné sa demande d’asile aux États-Unis et a plutôt déposé ce même type de demande pour le Canada.

[2]               Un tribunal de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande de M. Verim principalement en raison d’un manque d’éléments de preuve crédibles. La Commission a conclu que, dans son exposé écrit des faits, M. Verim avait omis des détails importants au sujet de l’incident de 1999 au cours duquel il affirme avoir été poignardé. Pour cette raison, la Commission a déterminé que cet incident n’avait probablement pas eu lieu. La Commission a tiré des conclusions défavorables de cette omission d’autres détails dans l’exposé des faits de M. Verim. Elle a conclu que le demandeur avait ajouté les détails ultérieurement afin d’embellir sa demande. En outre, la Commission n’a pas été convaincue par les explications de M. Verim concernant l’abandon de sa demande d’asile aux États-Unis et a déterminé que les événements en Turquie correspondaient davantage à de la discrimination qu’à de la persécution. La Commission a conclu qu’il n’existait aucun fondement crédible à l’appui de la demande d’asile au Canada de M. Verim, ce qui veut dire que ce dernier ne pouvait pas interjeter appel de la décision de la Commission auprès de la Section d’appel des réfugiés.

[3]               M. Verim soutient que la Commission a rendu une décision déraisonnable parce qu’elle a tiré des conclusions défavorables relativement à la crédibilité en se fondant sur les omissions dans son exposé des faits et les circonstances entourant sa demande d’asile aux États-Unis. Il maintient également que la Commission n’a pas utilisé la définition appropriée d’un réfugié et a conclu de façon déraisonnable que la demande d’asile du demandeur n’avait pas de fondement crédible. Il me demande d’annuler la décision de la Commission et de demander à un autre tribunal de réexaminer sa demande.

[4]               Je suis d’accord avec l’affirmation de M. Verim selon laquelle les conclusions de la Commission étaient déraisonnables et j’accueille, par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire. La seule question à trancher est de savoir si la décision de la Commission était déraisonnable.

II.                La décision de la Commission était-elle raisonnable?

[5]               Le ministre fait valoir que la Commission a appliqué la définition appropriée du concept de réfugié et a tiré des conclusions raisonnables en matière de crédibilité. Par conséquent, le ministre considère que la décision de la Commission ne devrait pas être annulée.

[6]               Je suis d’accord avec le ministre lorsqu’il affirme que la décision de la Commission a appliqué le critère approprié. Cependant, je suis en désaccord avec l’affirmation du ministre voulant que la Commission ait tiré des conclusions raisonnables en matière de crédibilité. Par conséquent, je dois accueillir la présente demande de contrôle judiciaire.

[7]               M. Verim suggère que la Commission a appliqué le mauvais critère lorsqu’elle a affirmé qu’il ne ferait pas l’objet de persécution s’il retournait en Turquie. La question appropriée qu’il faut trancher est de savoir s’il est exposé à plus qu’une simple possibilité de persécution. Je suis d’accord avec la formulation de la question. Cependant, je ne crois pas que la Commission a appliqué le mauvais critère. La Commission a conclu que M.Verim ne courait aucun risque de persécution en Turquie de la part d’ultranationalistes. Il s’ensuit, en toute logique, qu’il ne serait pas exposé à plus qu’une simple possibilité de persécution. De même, lorsque la Commission a déterminé que le demandeur ne serait pas exposé à un risque de persécution en ce qui concerne la demande sur place, il s’agissait uniquement d’une autre formulation de la même conclusion. Si la Commission avait affirmé que le demandeur n’a pas établi qu’il serait persécuté, elle aurait commis une erreur en utilisant un critère trop élevé – avec ce critère, le demandeur aurait pu faire face à plus qu’un simple risque de persécution et sa demande aurait quand même été rejetée. Je ne constate aucune erreur dans la décision de la Commission à cet égard.

[8]               Même si la Commission a appliqué le bon critère, certaines de ses conclusions étaient déraisonnables. Plus particulièrement, la Commission a conclu que M. Verim n’avait pas présenté suffisamment de détails dans son exposé écrit des faits, ce qui a soulevé des doutes quant à la crédibilité de ses affirmations. La Commission a notamment indiqué que M. Verim n’avait pas mentionné que la police avait refusé de porter des accusations en ce qui concerne l’agression à l’arme blanche de 1999 et qu’il n’avait pas fourni une description complète de ses blessures découlant de cette agression. M. Verim a modifié son exposé des faits pour inclure ces détails, mais la Commission a déterminé qu’il n’avait pas bien expliqué pourquoi il avait omis cette information au départ. À mon avis, M. Verim ne faisait que fournir des détails supplémentaires à l’appui de sa demande. Je ne vois aucun fondement dans la conclusion de la Commission prouvant que l’agression n’a pas eu lieu.

[9]               En outre, la Commission a souligné que M. Verim n’a pas énuméré les questions précises que la police lui a posées au sujet de son appartenance au PKK au moment de sa détention en 2014, et qu’il n’a pas divulgué le nom des autres personnes qui ont été arrêtées avec lui à cette occasion. En conséquence, la Commission a tiré des conclusions défavorables contre M. Verim. Encore une fois, je crois que ces renseignements sont simplement des détails supplémentaires ajoutés à l’exposé des faits de M. Verim. Je ne vois aucun fondement permettant de conclure que leur omission est venue miner la crédibilité de M. Verim.

[10]           La Commission a également conclu que l’explication de M. Verim concernant l’abandon de sa demande d’asile aux États-Unis n’était pas crédible et contredisait sa crainte subjective de persécution. Cependant, la Commission n’a pas reconnu que le US Department of Homeland Security avait déterminé que la demande d’asile aux États-Unis de M. Verim était crédible. Aucun élément de preuve ne vient étayer la conclusion de la Commission voulant que M. Verim était à la recherche de commissaires plus accommodants lorsqu’il a abandonné sa demande aux États-Unis pour faire une demande au Canada.

[11]           Enfin, à la lumière de ce qui précède, j’estime qu’il était déraisonnable pour la Commission de conclure que la demande Verim n’avait aucun fondement crédible. La Commission a reconnu que M. Verim était un Kurde qui appuyait la cause de son peuple et que ses activités ont attiré l’attention des autorités. Selon moi, cela suffisait, en tenant compte de la preuve documentaire, pour que la Commission conclue qu’il existait un fondement de crédibilité à la demande de M. Verim. Par conséquent, je considère que la conclusion contraire tirée par la Commission était déraisonnable.

III.             Conclusion et dispositif

La Commission a tiré un certain nombre de conclusions défavorables en matière de crédibilité à l’encontre de M. Verim qui n’étaient pas soutenues par des éléments de preuve. Les conclusions de la Commission ne sont pas justifiables en matière de faits et de droit – ces conclusions étaient déraisonnables. Par conséquent, je dois accueillir la présente demande de contrôle judiciaire. Aucune des parties n’a proposé de question de portée générale aux fins de certification, et aucune question n’est mentionnée.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.      La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre tribunal de la Commission pour réexamen.

2.      Aucune question de portée générale n’est mentionnée.

« James W. O’Reilly »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-2679-15

 

INTITULÉ :

MEHMET SEFA VERIM c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 13 janvier 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS :

Le 7 juin 2016

 

COMPARUTIONS :

Micheal Crane

 

Pour le demandeur

 

Catherine Vasilaros

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Micheal Crane

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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