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Date : 20160603

Dossier : T-1112-13

Référence : 2016 CF 613

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 3 juin 2016

En présence de monsieur le juge Hughes

ENTRE :

E. MISHAN & SONS, INC. ET

BLUE GENTIAN, LLC

demanderesses

(défenderesses reconventionnelles)

et

SUPERTEK CANADA INC., INTERNATIONAL EDGE, INC. ET TELEBRANDS CORP.

défenderesses

(demanderesses reconventionnelles)

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Les demanderesses et les défenderesses ont toutes les deux déposé une requête de jugement sommaire en l’espèce. Ces requêtes s’opposent. Pour les motifs que j’invoque ci-dessous, j’accueille la requête de jugement sommaire qui invalide l’enregistrement du dessin industriel no 146 676 et j’ordonne un procès sommaire selon la revendication de Supertek en vertu de l’alinéa 7a) de la Loi sur les marques de commerce.

[2]               Voici une liste des sujets couverts par les présents motifs recoupés par numéro de paragraphe :

SUJET

PARAGRAPHE

  1. LE CONTEXTE

3

  1. LES REQUÊTES

a)      Requête des demanderesses

b)      Requête des défenderesses

16

16

21

  1. QUESTIONS EN LITIGE

26

  1. PRINCIPES DES JUGEMENTS SOMMAIRES ET DES PROCÈS SOMMAIRES

28

    V.            DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

a)      Loi sur les dessins industriels

b)      Loi sur les marques de commerce

c)      Loi sur la concurrence

33

34

46

51

  1. REQUÊTE DES DÉFENDERESSES – VALIDITÉ DE L’ENREGISTREMENT DU DESSIN INDUSTRIEL

54

  1. REQUÊTE EN JUGEMENT SOMMAIRE DES DEMANDERESSES – ALINÉA 7a) de la LOI SUR LES MARQUES DE COMMERCE

70

I.                   LE CONTEXTE

[3]               Il convient de présenter l’historique de la présente action. La demanderesse Blue Gentian, LLC (Blue Gentian) est la propriétaire du brevet canadien no 2 779 882 (le brevet 882) et du dessin industriel no 146 676 (le dessin 676) enregistrés au Canada. Le brevet et le dessin correspondent tous les deux à un boyau d’arrosage extensible, lequel est formé d’un tube interne flexible et extensible enrobé d’un tuyau externe en tissu fixé aux deux extrémités par des raccords à boyau d’arrosage courants. Ce boyau aurait été conçu par Michael Berardi, un dirigeant de Blue Gentian. Pour l’essentiel, le boyau est notablement compact en l’absence de pression d’eau, car le tuyau externe en tissu plié en accordéon recouvre alors le tube interne non expansé; lorsqu’on applique une pression d’eau, le tube interne s’allonge, la longueur pouvant être de vingt-cinq, cinquante ou soixante-quinze pieds (7,6, 15,2 ou 22,9 mètres, respectivement), et la seule restriction serait celle de la longueur maximale du tuyau externe en tissu déplié.

[4]               La demanderesse E. Mishan & Sons, Inc. (Emson) est titulaire du brevet et du dessin en litige et est responsable de l’inclusion des particularités brevetées dans les boyaux et de la commercialisation de ces boyaux aux détaillants du Canada et d’ailleurs.

[5]               La défenderesse Supertek Canada Inc. (Supertek) fait la vente au Canada de boyaux qui, selon les allégations des demanderesses, violerait le brevet 882 et le dessin 676. Elle commercialise souvent ses produits en indiquant [traduction] « tels que vus à la télévision ».

[6]               La défenderesse Telebrands Corp. fait la promotion et la vente de boyaux, notamment ceux de Supertek, à la télévision, et les clients visés par ses promotions à la télévision incluent les Canadiens.

[7]               La défenderesse International Edge, Inc. (International Edge) est une société de l’État de New York qui vend de boyaux du type en litige à des clients grossistes non américains. Cette dernière défenderesse ne joue plus aucun rôle essentiel, puisqu’elle s’est désistée de sa demande reconventionnelle concernant la validité du dessin en litige et n’a pas déposé une demande reconventionnelle en dommages-intérêts.

[8]               Les demanderesses ont intenté la présente action pour violation de leur droit exclusif relatif au brevet 882 et au dessin 676. L’action intentée à l’origine visait également Home Depot du Canada, mais cette défenderesse n’est plus visée par l’action depuis le 28 janvier 2014. Les défenderesses ont contesté l’action par une demande reconventionnelle selon laquelle ni le brevet 882 ni le dessin 676 ne seraient valides et que les demanderesses auraient eu recours à des stratégies de marketing agressives envers les clients et les clients éventuels des défenderesses au Canada; elles affirment que le brevet et le dessin contreviendraient à l’alinéa 7a) de la Loi sur les marques de commerce, RSC 1985, ch. T-13, et aux articles 36 et 52 de la Loi sur la concurrence, RSC 1985, ch. C-34.

[9]               Une ordonnance de disjonction que le protonotaire Alto a délivrée le 20 janvier 2014 a scindé les questions de la présente action. Les questions de la contrefaçon et de la validité du brevet 882 devaient être entendues en premier, alors que les questions du dessin, de la Loi sur les marques de commerce et de la Loi sur la concurrence seraient entendues après le règlement définitif de la question du brevet.

[10]           J’ai entendu le procès concernant la validité et la contrefaçon du brevet 882 patent en mars 2014. Le 17 avril 2014, j’ai rendu un jugement déclarant que les demandes en litige concernant le brevet 882 sont et ont toujours été invalides et nulles, que l’action en contrefaçon est rejetée et qu’on devrait demander la gestion des instances pour les questions qu’il reste à trancher. Ce jugement a été confirmé par la Cour fédérale d’appel le 14 juillet 2015.

[11]           Le 10 juillet 2014, les représentants de Blue Gentian ont fait parvenir une lettre au Bureau des dessins industriels pour indiquer ce qui suit concernant le brevet 676 :

[traduction]

Sous réserve des conditions de la présente lettre, Blue Gentian, LLC., propriétaire, cède irrévocablement par la présente au public tous les droits qu’elle détient sur le dessin industriel enregistré au Canada no 146 676 et intitulé ENSEMBLE DE BOYAU EXTENSIBLE.

La présente cession se fait sans renoncer aux droits de Blue Gentian en tant que propriétaire ou titulaire de brevet, brevet en instance, dessin ou dessin en instance autre que le dessin industriel dont il est ici question et, tout particulièrement, sans cession aucune des dessins ou brevets étrangers.

[12]           Le 9 juin 2014, les avocats des demanderesses ont signifié et déposé un avis de désistement relativement à la partie de leur action traitant du dessin industriel. On peut y lire :

[traduction]

Les demanderesses se désistent entièrement de leurs réclamations concernant le dessin industriel enregistré n146 676 faites à l’encontre des défenderesses dans le contexte de la présente action.

[13]           En ce même jour du 9 juin 2014, les avocats des demanderesses ont fait parvenir aux avocats des défenderesses l’engagement formel de ne poursuivre ni les défenderesses ni leurs clients pour contrefaçon du dessin 676. On peut y lire :

[traduction]

Conformément aux Règles des Cours fédérales, nous vous signifions par la présente un avis de désistement concernant la réclamation pour contrefaçon du dessin industriel dans le contexte de l’action susmentionnée.

En outre, les demanderesses vous remettent l’engagement formel présent, lequel, tout comme la présente lettre, est désigné [traduction] « information confidentielle » conformément à l’ordonnance de protection du 20 janvier 2014, au numéro de dossier de la cour T-1112-13 :

E. Mishan & Sons Inc. et Blue Gentian LLC s’engagent par covenant à ne pas poursuivre Supertek Canada Inc., Telebrands Corp. et International Edge, Inc., ni leurs clients, pour contrefaçon du dessin industriel enregistré au Canada no 146 676 relativement à des produits fabriqués, vendus ou distribués par Supertek Canada Inc., Telebrands Corp. ou International Edge, Inc., y compris les produits Pocket Hose, Pocket Hose Deluxe et Pocket Hose Ultra.

En conséquence du présent convenant et de l’avis de désistement, tous les jugements sommaires perdent toute portée pratique. Veuillez nous aviser si les défenderesses ont l’intention de poursuivre leur action en application de l’alinéa 7a) de la Loi sur les marques de commerce et de l’article 52 de la Loi sur la concurrence en vue d’en informer la Cour.

[14]           Le 15 octobre 2014, la défenderesse International Edge a signifié et déposé un avis de désistement relativement à toutes ses réclamations concernant l’invalidité et la non-contrefaçon du dessin 676.

[15]           Le 30 mai 2016, le jour précédant l’audition de ces requêtes, la défenderesse et demanderesse reconventionnelle Telebrands Corp. a déposé un avis de désistement pour renoncer entièrement à ses demandes reconventionnelles dans le contexte de la présente action.

II.                LES REQUÊTES

a)             Requête des demanderesses

[16]           Les demanderesses (défenderesses reconventionnelles) ont présenté une requête de jugement sommaire visant à rejeter le reste de la demande reconventionnelle relativement à la présente action. Plus précisément, l’avis de requête déposé par les demanderesses en date du 29 février 2016 vise à obtenir :

[traduction]

1.                  une ordonnance rejetant les questions encore en suspens de la demande reconventionnelle, y compris les mesures réparatoires demandées à la disposition 32, aux paragraphes b) [concernant le dessin 676], c), et de e) à j) dans la nouvelle défense et demande reconventionnelle modifiée (« Questions de la demande reconventionnelle en suspens ») qui a été déposée le 21 mars 2014;

2.                  les dépens relatifs aux questions de la demande reconventionnelle en suspens, y compris ceux de la présente motion, sur une base avocat-client, ainsi que les débours et les taxes des demandeurs;

3.                  toute autre réparation que la Cour estime juste.

[17]           Dans leur mémoire des faits et du droit récemment modifié, les demanderesses affirment, pour soutenir leur requête de jugement sommaire datée du 27 avril 2016, qu’elles souhaitent obtenir la réparation suivante :

[traduction]

126.     Les demanderesses souhaitent obtenir une ordonnance qui rejette la demande reconventionnelle, le tout avec dépens.

127.     Dans le cas où la Cour conclurait qu’il existe une véritable question litigieuse, les demanderesses demandent que la Cour conduise un procès sommaire ou un mini-procès sur les questions soulevant un véritable litige de façon à régler la demande reconventionnelle de façon sommaire.

[18]           Les défenderesses, dans leur mémoire des faits et du droit daté du 17 août 2015, demandent à ce que la requête des demanderesses soit rejetée avec dépens.

[19]           La requête des demanderesses a reçu le soutien d’un affidavit et d’un affidavit en réplique de M. Edward J. Mishan, président d’Emson, et le soutien d’un affidavit de M. Jack Guindi, directeur des ventes au détail chez Emson et la personne qui a été responsable de la vente de produits, notamment le boyau en litige, à des clients comme Canadian Tire et Wal-Mart au Canada. MM. Mishan et Guindi ont tous les deux été contre-interrogés.

[20]           Les défenderesses ont déposé l’affidavit de M. Patrick Noiseux, vice-président de la vente et de la mise en marché chez Supertek Canada. Ce dernier a été contre-interrogé.

b)             Requête des défenderesses

[21]           La requête de jugement sommaire déposée par les défenderesses vise à obtenir ce qui suit dans l’avis de requête modifié, daté du 18 février 2016 :

[traduction]

1.             Jugement sommaire :

a)        déclarer que l’enregistrement du dessin industriel no 146 676 (le « dessin 676 ») est non valide et ordonner que le dessin 676 soit radié du registre des dessins industriels;

[…]

2.                  Sinon, un procès sommaire des questions litigieuses susmentionnées relatives à l’invalidité du dessin 676;

3.                  les dépens pour la présente requête;

4.                  toute autre réparation que l’honorable Cour autorise.

[22]           Les défenderesses, dans la nouvelle modification de leur mémoire des faits et du droit, également datée du 18 février 2016, affirment qu’elles souhaitent obtenir l’ordonnance suivante :

[traduction]

40.       Une ordonnance de jugement sommaire rejetant la réclamation des demanderesses/défenderesses reconventionnelles pour contrefaçon du dessin 676 et accueillant la demande reconventionnelle des défenderesses/demanderesses reconventionnelles visant à invalider l’inscription du dessin 676 et à ordonner que le dessin 676 soit radié du registre des dessins industriels, le tout avec dépens.

[23]           Les demanderesses, dans leur mémoire des faits et du droit daté du 17 mai 2016, affirment qu’elles cherchent à obtenir une ordonnance rejetant la requête des défenderesses pour une déclaration d’invalidité du dessin 676 avec dépens.

[24]           La requête des défenderesses a reçu le soutien de deux affidavits de M. Alexander Manu, un spécialiste du dessin industriel, qui a été contre-interrogé. M. Manu a fait connaître son opinion selon laquelle le dessin, tel qu’il est enregistré, ne serait pas valide. Il a de plus fourni une copie de la décision d’un tribunal français concernant un dessin apparemment semblable et enregistré en France. Les défenderesses ont également fourni l’affidavit de M. Michael Burgess, un étudiant stagiaire au bureau des avocats des défenderesses, attestant l’achat de certains boyaux auxquels l’affidavit de M. Manu fait référence. M. Burgess n’a pas été contre-interrogé.

[25]           Les demanderesses ont déposé l’affidavit de M. Gary Arkin, un partenaire de la société agissant à titre de mandataire pour les demanderesses concernant le dessin 676; cet affidavit vient attester la lettre datée du 10 juillet 2014, susmentionnée, qui a été déposée auprès du Bureau des dessins industriels. Ce dernier n’a pas été contre-interrogé. Les demanderesses ont également déposé l’affidavit de Madame Kristina Zilic, une stagiaire d’été au bureau des avocats des demanderesses, auquel étaient joints la décision d’un tribunal des Pays-Bas concernant un dessin apparemment semblable à celui présentement en litige, un avis de désistement dans le contexte de la présente action et la lettre datée du 9 juin 2014, susmentionnée, envoyée par les avocats des demanderesses aux avocats des défenderesses qui contient l’engagement de ne pas intenter d’action. Madame Zilic a été contre-interrogée.

III.             QUESTIONS EN LITIGE

[26]           En ce qui concerne la requête des demanderesses, la Cour doit décider si la requête en jugement sommaire est accueillie, ce qui rejetterait les questions non tranchées de la demande reconventionnelle. Dans le cas du rejet de cette requête, faut-il ordonner un procès sommaire?

[27]           En ce qui concerne la requête des défenderesses, la Cour doit décider si elle accueille le jugement sommaire qui déclarerait le dessin 676 non valide ou si elle ordonne un procès sommaire sur la question.

IV.             PRINCIPES DES JUGEMENTS SOMMAIRES ET DES PROCÈS SOMMAIRES

[28]           Les articles 213 à 219 des Cours fédérales prescrivent que la Cour puisse rendre un jugement sommaire lorsqu’elle « est convaincue qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse quant à une déclaration ou à une défense ». Les pouvoirs dont dispose la Cour sont établis dans l’article 215 :

215 (1) Si, par suite d’une requête en jugement sommaire, la Cour est convaincue qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse quant à une déclaration ou à une défense, elle rend un jugement sommaire en conséquence.

(2) Si la Cour est convaincue que la seule véritable question litigieuse est :

a) la somme à laquelle le requérant a droit, elle peut ordonner l’instruction de cette question ou rendre un jugement sommaire assorti d’un renvoi pour détermination de la somme conformément à la règle 153;

b) un point de droit, elle peut statuer sur celui-ci et rendre un jugement sommaire en conséquence.

(3) Si la Cour est convaincue qu’il existe une véritable question de fait ou de droit litigieuse à l’égard d’une déclaration ou d’une défense, elle peut :

a) néanmoins trancher cette question par voie de procès sommaire et rendre toute ordonnance nécessaire pour le déroulement de ce procès;

b) rejeter la requête en tout ou en partie et ordonner que l’action ou toute question litigieuse non tranchée par jugement sommaire soit instruite ou que l’action se poursuive à titre d’instance à gestion spéciale.

215 (1) If on a motion for summary judgment the Court is satisfied that there is no genuine issue for trial with respect to a claim or defence, the Court shall grant summary judgment accordingly.

(2) If the Court is satisfied that the only genuine issue is

(a) the amount to which the moving party is entitled, the Court may order a trial of that issue or grant summary judgment with a reference under rule 153 to determine the amount; or

(b) a question of law, the Court may determine the question and grant summary judgment accordingly.

(3) If the Court is satisfied that there is a genuine issue of fact or law for trial with respect to a claim or a defence, the Court may

(a) nevertheless determine that issue by way of summary trial and make any order necessary for the conduct of the summary trial; or

(b) dismiss the motion in whole or in part and order that the action, or the issues in the action not disposed of by summary judgment, proceed to trial or that the action be conducted as a specially managed proceeding.

[29]           Notre Cour peut ainsi rendre un jugement sommaire en tout ou en partie, statuer sur un point de droit, ordonner la tenue d’un procès sommaire et, il va de soi, rejeter la requête en jugement sommaire.

[30]           La Cour suprême du Canada dans l’arrêt Hryniak c. Mauldin, [2014] 1 RCS 87, a récemment envisagé comment et à quel moment la Cour doit appliquer les dispositions relatives au jugement sommaire. Cette Cour a déclaré qu’un virage culturel s’imposait, que l’accès à la justice doit être proportionné, expéditif et abordable et que le meilleur forum pour régler un litige pourrait ne pas être celui de la procédure la plus laborieuse. Je répète ce que la juge Karakatsanis, s’exprimant au nom de la Cour, a écrit aux paragraphes 23 à 25 et 28 :

[23]      Le présent pourvoi traite des valeurs et des choix à la base de notre système de justice civile, ainsi que de la faculté, pour les Canadiens ordinaires, d’avoir accès à ce système. Notre système de justice civile repose sur le principe que le processus décisionnel doit être juste et équitable. Ce principe ne souffre aucun compromis.

[24]      Or, les formalités excessives et les procès interminables occasionnant des dépenses et des délais inutiles peuvent faire obstacle au règlement juste et équitable des litiges. La tenue d’un procès complet est devenue largement illusoire parce que, sans une contribution financière de l’État[1], les Canadiens ordinaires n’ont pas les moyens d’avoir accès au règlement judiciaire des litiges civils[2]. Les coûts et les délais associés au processus traditionnel font en sorte que, comme l’a mentionné l’avocat de l’intervenante Advocates’ Society (dans Bruno Appliance) à l’audition du présent pourvoi, le procès prive les gens ordinaires de la possibilité de faire trancher le litige. Alors que l’instruction d’une action en justice est depuis longtemps considérée comme une mesure de dernier recours, d’autres mécanismes de règlement des litiges, comme la médiation et la transaction, sont davantage susceptibles de donner des résultats justes et équitables lorsque la décision judiciaire demeure une solution de rechange réaliste.

[25]      Le règlement expéditif des litiges par les tribunaux permet aux personnes concernées d’aller de l’avant. Toutefois, lorsque les coûts et les délais judiciaires deviennent excessifs, les gens cherchent d’autres solutions ou renoncent tout simplement à obtenir justice. Ils décident parfois de se représenter eux-mêmes, ce qui entraîne souvent d’autres difficultés en raison de leur méconnaissance du droit.

[…]

[28]      Un virage culturel s’impose. L’objectif principal demeure le même : une procédure équitable qui aboutit au règlement juste des litiges. Une procédure juste et équitable doit permettre au juge de dégager les faits nécessaires au règlement du litige et d’appliquer les principes juridiques pertinents aux faits établis. Or, cette procédure reste illusoire si elle n’est pas également accessible — soit proportionnée, expéditive et abordable. Le principe de la proportionnalité veut que le meilleur forum pour régler un litige ne soit pas toujours celui dont la procédure est la plus laborieuse.

[31]           La Cour fédérale d’appel a par la suite examiné l’arrêt Hryniak dans l’affaire Sa Majesté la Reine du chef du Manitoba c. Sa Majesté la Reine du chef du Canada et Roger Southwind, 2015 CAF 57. S’il admet qu’il existe des différences entre les règles relatives au jugement sommaire des Cours de l’Ontario et celles des Cours fédérales, le juge Stratas, s’exprimant au nom de la Cour, reconnaît que ce sont les impératifs d’apporter à tout litige une solution qui soit juste et la plus expéditive et économique possible, comme l’établit l’article 3 des Cours fédérales, qui doivent guider l’interprétation et l’application de toutes les règles de la présente Cour. Voici le texte des paragraphes 14 à 16 :

[14]     Les règles énoncées dans les Règles des Cours fédérales en matière de jugements sommaires ont été modifiées il y a à peine six ans afin de prendre en compte des considérations du genre de celles abordées dans l’arrêt Hryniak ainsi que les difficultés que posent les litiges dans le contexte moderne : voir DORS/2009-331, article 3. La principale modification a consisté à introduire, à l’article 216 des Règles, une procédure élaborée et audacieuse pour le déroulement des procès sommaires qui s’accorde avec la terminologie employée dans les Règles des Cours fédérales. J’examinerai maintenant le libellé précis des articles 215 et 216 des Règles.

[15]     Suivant le paragraphe 215(1) des Règles des Cours fédérales, s’il « n’existe pas de véritable question litigieuse », la Cour « rend » un jugement sommaire. Sur la question de l’« [a]bsence d’une véritable question litigieuse », la jurisprudence des Cours fédérales, qui doit tenir compte des objectifs d’équité, de célérité et de rentabilité énoncés à l’article 3 des Règles, est conforme aux valeurs et aux principes formulés dans l’arrêt Hryniak. Pour reprendre ce qui est dit dans l’arrêt Burns Bog Conservation Society c. Canada, 2014 CAF 170, il n’y a « pas de véritable question » s’il n’y a pas de « fondement juridique » à la demande compte tenu du droit ou de la preuve invoquée (aux paragraphes 35 et 36). Selon les termes employés dans l’arrêt Hryniak, il n’y aura pas de « question de ce genre » si la demande est dénuée de fondement juridique ou si le juge dispose de « la preuve nécessaire pour trancher justement et équitablement le litige » (au paragraphe 66). L’arrêt Hryniak fait également allusion à de « nouveaux pouvoirs » qui peuvent aider le juge à trancher ces questions (au paragraphe 44). Mais selon le libellé des Règles des Cours fédérales, ces pouvoirs n’interviennent qu’à une étape ultérieure de l’analyse prévue à l’article 216 des Règles.

[16]     S’il existe une véritable question litigieuse de fait ou de droit, comme l’a conclu la Cour fédérale en l’espèce, cette dernière « peut » alors (c’est-à-dire, dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire), entre autres choses, tenir un procès sommaire sous le régime de l’article 216 des Règles : paragraphe 215(3) des Règles. Comme on le constate aisément à la lecture de l’article 216 des Règles, le procès sommaire fournit un cadre procédural serré pour la prise de décisions préliminaires, lequel peut être assimilé à ces « nouveaux pouvoirs » dont sont investis les tribunaux ontariens, pour reprendre l’expression employée par la Cour suprême dans l’arrêt Hryniak (au paragraphe 44).

[32]           En ce qui concerne les deux requêtes dont j’ai été saisi, je dois tenir compte de l’article 3 et des articles 213 à 219 de notre Cour et des principes établis dans les arrêts Hryniak et Southwind précités.

V.                DISPOSITIONS LÉGISLATIVES PERTINENTES

[33]           L’objet de ces deux requêtes fait intervenir la Loi sur les dessins industriels, la Loi sur les marques de commerce et, jusqu’à récemment, la Loi sur la concurrence.

a)             Loi sur les dessins industriels

[34]           La Loi sur les dessins industriels, LRC 1995, ch. I-9, qui a été adoptée il y a presque cent ans, a fait l’objet de bien des critiques au cours des années qui ont suivi. Plusieurs modifications apportées à cette loi (L.C. 2014, ch. 39) ont été adoptées par le Parlement et doivent entrer en vigueur au jour fixé par ordonnance du gouverneur en conseil. Ce jour n’est pas encore arrivé.

[35]           Selon les définitions de cette loi, à l’article 2, un « dessin » or dessin industriel signifie des caractéristiques ou une combinaison de caractéristiques visuelles d’un objet fini, en ce qui touche la configuration, le motif ou les éléments décoratifs :

Définitions

2 Les définitions qui suivent s’appliquent à la présente loi.

ensemble Réunion d’objets du même genre généralement vendus ou destinés à être utilisés ensemble et auxquels sont appliqués le même dessin ou des variantes du même dessin. (set)

Definitions

2 In this Act,

design or industrial design means features of shape, configuration, pattern or ornament and any combination of those features that, in a finished article, appeal to and are judged solely by the eye; (dessin)

[36]           L’article 5.1 interdit l’inscription d’un dessin dont les caractéristiques s’appliqueraient à un objet utilitaire et ne résulteraient que de la fonction utilitaire de cet objet :

5.1 Les caractéristiques résultant uniquement de la fonction utilitaire d’un objet utilitaire ni les méthodes ou principes de réalisation d’un objet ne peuvent bénéficier de la protection prévue par la présente loi.

5.1 No protection afforded by this Act shall extend to

(a) features applied to a useful article that are dictated solely by a utilitarian function of the article; or

[37]           Le paragraphe 6(1) prévoit qu’un dessin ne sera enregistré que s’il n’est pas identique à un autre dessin déjà enregistré ou qu’il ne lui ressemble pas de près :

6 (1) Si le ministre trouve que le dessin n’est pas identique à un autre dessin déjà enregistré ou qu’il n’y ressemble pas au point qu’il puisse y avoir confusion, il l’enregistre et remet au propriétaire une esquisse ou une photographie ainsi qu’une description en même temps que le certificat prescrit par la présente partie.

6 (1) The Minister shall register the design if the Minister finds that it is not identical with or does not so closely resemble any other design already registered as to be confounded therewith, and shall return to the proprietor thereof the drawing or photograph and description with the certificate required by this Part.

[38]           Le paragraphe 7(3) prévoit qu’en l’absence de preuve contraire, le certificat est une attestation suffisante du dessin, de son originalité et, entre autres choses, de l’observation de la Loi :

7 (3) En l’absence de preuve contraire, le certificat est une attestation suffisante du dessin, de son originalité, du nom du propriétaire, du fait que la personne dite propriétaire est propriétaire, de la date et de l’expiration de l’enregistrement, et de l’observation de la présente loi.

7 (3) The certificate, in the absence of proof to the contrary, is sufficient evidence of the design, of the originality of the design, of the name of the proprietor, of the person named as proprietor being proprietor, of the commencement and term of registration, and of compliance with this Act.

[39]           On considère que la référence à l’originalité du dessin au paragraphe 7(3) impose une exigence qui surpasse celle prévue au paragraphe 6(1) de la Loi; l’inscription d’un dessin n’est donc valide que si ce dessin est « original ». Le juge Diner de notre Cour a cité l’exigence de l’originalité du dessin dans sa décision récente de l’affaire AFX Licencing Corporation c. HJC America, Inc., 2016 CF 435, aux paragraphes 106 à 111 :

[traduction]

[106]   Contrairement aux motifs du paragraphe 6(1) et de l’alinéa 6(3)a), que la Loi décrit clairement, l’originalité est un critère de validité qui est mentionné, mais non défini, dans la Loi. À la place, on trouve sa définition dans la jurisprudence. Dans Clatworthy & Son Ltd c. Dale Display Fixtures Ltd, [1929] RCS 429, p. 433[Clatworthy], la Cour suprême l’a décrit comme suit :

[…] pour être original, un dessin doit différer suffisamment d’un dessin qui existe déjà. Un petit changement du contour ou de la configuration, ou une variation non substantielle ne suffisent pas pour permettre à l’auteur d’obtenir l’enregistrement.

[107]   En dessin industriel, l’originalité constitue un seuil plus élevé que l’originalité en droit d’auteur : « [i]l semble à tout le moins exiger une étincelle d’inspiration de la part de l’auteur, soit par la création d’un dessin entièrement nouveau ou par la découverte d’un nouvel usage pour un dessin qui existait déjà » [Bata Industries Ltd c. Warrington Inc, [1985] ACF no 239, 5 CPR (3e) 339, p. 347 (CF 1re inst.)]; voir aussi Bodum, par. 97).

[108]   Il existe des similitudes entre l’analyse de la contrefaçon et l’analyse d’originalité pour déterminer la validité. Pour ce qui est de la contrefaçon, la fonctionnalité dans un dessin joue un rôle (« lorsqu’un objet est majoritairement fonctionnel, des différences minimes peuvent être suffisantes pour conclure à l’originalité » [Rothbury, par. 38]), tout comme l’art antérieur (« pour être original, un dessin doit différer suffisamment d’un dessin qui existe déjà » [Clatworthy p. 433]). En outre, comme pour la contrefaçon, l’examen des caractéristiques du dessin par rapport à l’art antérieur doit être fait du point de vue du consommateur informé (Rothbury, par. 31).

[109]   L’originalité, selon le paragraphe 7(3), est par conséquent un critère plus vaste que le paragraphe 6(1) ou l’alinéa 6(3)a), étant donné qu’il exige que le dessin visé par la demande soit « différent de façon importante » de l’art antérieur (voir Bodum, par. 96) et s’applique même si l’art antérieur existant n’est pas enregistré. Il est distinct de la condition en vertu du paragraphe 6(1), qui donne une protection supplémentaire aux dessins déjà enregistrés, et il est distinct de l’alinéa 6(3)a), qui traite précisément de la publication du dessin exact et que j’interprète comme un mécanisme visant à encourager les demandeurs à obtenir l’enregistrement de leurs nouveaux dessins en temps opportun.

[110]   Bref, un dessin qui peut être enregistré (i) doit différer de façon importante de l’art antérieur (être « original »), (ii) ne peut pas ressembler à des dessins enregistrés (en vertu du paragraphe 6(1)), et (iii) ne peut pas avoir été publié plus d’un an avant sa demande d’enregistrement (en vertu de l’alinéa 6(3)a).

[111]   Par voie d’obiter, je souligne que l’on doit se demander comment un dessin pourrait différer de façon importante de l’art antérieur [c.-à-d. être « original » et, par conséquent, survivre aux motifs du paragraphe 7(3)], mais alors ressembler tellement à un dessin déjà enregistré au point qu’il y a confusion [c.-à-d. ne pas satisfaire aux motifs du paragraphe 6(1)]. Un motif distinct d’originalité, autrement dit, semble rendre le paragraphe 6(1) superflu. Je souligne également que les modifications prévues à la Loi semblent ne faire aucune distinction entre l’art antérieur enregistré et non enregistré dans l’évaluation de l’enregistrabilité d’un dessin visé par une demande.

[40]           Le paragraphe 22(1) prévoit que la Cour fédérale peut, à l’instance de toute personne lésée par une inscription au registre, rayer ou modifier cette inscription :

22 (1) La Cour fédérale peut, sur l’information du procureur général, ou à l’instance de toute personne lésée, soit par l’omission, sans cause suffisante, d’une inscription sur le registre des dessins industriels, soit par quelque inscription faite sans cause suffisante sur ce registre, ordonner que l’inscription soit faite, rayée ou modifiée, ainsi qu’elle le juge à propos ou peut rejeter la demande.

22 (1) The Federal Court may, on the information of the Attorney General or at the suit of any person aggrieved by any omission without sufficient cause to make any entry in the Register of Industrial Designs, or by any entry made without sufficient cause in the Register, make such order for making, expunging or varying any entry in the Register as the Court thinks fit, or the Court may refuse the application.

[41]           L’article 24 prévoit qu’une ordonnance prescrivant de rayer ou de modifier une inscription sur le registre doit être transmise au ministre responsable après quoi le registre est rectifié ou modifié en conséquence :

24 Une copie certifiée d’une ordonnance du tribunal prescrivant d’effectuer, de rayer ou de modifier une inscription sur le registre des dessins industriels, ou de faire une addition ou une modification à un dessin industriel enregistré, est transmise au ministre par un fonctionnaire du greffe du tribunal; après quoi, le registre est rectifié ou modifié conformément à l’ordonnance transmise, ou la teneur de cette ordonnance est autrement dûment inscrite sur le registre, selon le cas.

24 A certified copy of any order of the Federal Court for the making, expunging or varying of any entry in the Register of Industrial Designs, or for adding to or altering any registered industrial design, shall be transmitted to the Minister by an officer of the Registry of the Court, and the Register shall thereupon be rectified or altered in conformity with the order, or the purport of the order otherwise duly entered therein, as the case may be.

[42]           À ce stade, je compare les dispositions du paragraphe 22(1) et de l’article 24 de la Loi sur les dessins industriels avec celles du paragraphe 60(1) et de l’article 62 de la Loi sur les brevets, LRC 1985, ch. P-4. Ces dernières dispositions prévoient qu’un brevet peut être invalidé, c’est‑à‑dire déclaré nul, en tout ou en partie, par la Cour fédérale, après quoi l’ordonnance de la Cour sera déposée au Bureau des brevets et le brevet ou la partie du brevet devient alors « nul et de nul effet » :

60 (1) Un brevet ou une revendication se rapportant à un brevet peut être déclaré invalide ou nul par la Cour fédérale, à la diligence du procureur général du Canada ou à la diligence d’un intéressé.

62 Le certificat d’un jugement annulant totalement ou partiellement un brevet est, à la requête de quiconque en fait la production pour que ce certificat soit déposé au Bureau des brevets, enregistré à ce bureau. Le brevet ou telle partie du brevet qui a été ainsi annulé devient alors nul et de nul effet et est tenu pour tel, à moins que le jugement ne soit infirmé en appel en vertu de l’article 63.

60 (1) A patent or any claim in a patent may be declared invalid or void by the Federal Court at the instance of the Attorney General of Canada or at the instance of any interested person.

62 A certificate of a judgment voiding in whole or in part any patent shall, at the request of any person filing it to make it a record in the Patent Office, be registered in the Patent Office, and the patent, or such part as is voided, shall thereupon be and be held to have been void and of no effect, unless the judgment is reversed on appeal as provided in section 63.

[43]           La différence est importante puisque la Loi sur les dessins industriels prévoit que la Cour peut déposer une ordonnance d’invalidité auprès du Bureau des dessins industriels et que l’inscription est rectifiée par la suite. En vertu de la Loi sur les brevets, c’est l’ordonnance de la Cour qui, par son dépôt au Bureau des brevets, invalide le brevet et le rend nul et sans effet. La différence réside donc dans la chronologie; pour un dessin, la radiation n’arrive qu’après le dépôt de l’ordonnance de la Cour, alors que dans le cas du brevet, après le dépôt de l’ordonnance, le brevet aura toujours été nul et sans effet.

[44]           Il faut remarquer que la Loi sur les dessins industriels ne prévoit rien concernant la cession au domaine public d’un dessin inscrit. La Loi sur les brevets ne le fait pas non plus, mais la Loi sur les brevets prévoit la possibilité d’une renonciation lorsque le breveté reconnaît que son brevet contenait des erreurs (voir l’article 48). Néanmoins, la cession au domaine public des revendications concernant un brevet, en tout ou en partie, est à présent une pratique avérée telle que la Cour prendra en considération la cession au domaine public par le breveté qui ne veut plus retenir le brevet ou des éléments de celui-ci. Dans la décision Merck & Co. c. Apotex Inc., 2006 CF 524 (confirmé sans référence à ce stade, 2006 CAF 323), j’ai écrit aux paragraphes 164 à 166 :

[164]   La Loi sur les brevets et les Règles sur les brevets ne comportent aucune disposition concernant la cession au domaine public d’un brevet ou de revendications. Il existe toutefois une disposition de renonciation à tout ou partie d’un brevet, pratique que prévoit l’article 48 de la Loi sur les brevets, qui exige du breveté qu’il justifie sa renonciation par une erreur, un accident ou par l’inadvertance. Qu’en est-il s’il n’y a aucune erreur, aucun accident ou aucune inadvertance, mais que le breveté ne souhaite plus posséder le monopole que lui confère un brevet ou certaines de ses revendications?

[165]   Le brevet est un monopole et chaque revendication, une définition distincte de ce monopole, qui se constitue seulement dans le cas où une personne demande le monopole. La délivrance d’un brevet est le fait du gouvernement fédéral, mais exclusivement en réponse à une demande de monopole. Lorsque le demandeur a obtenu l’octroi du brevet, il est libre soit d’exploiter ce monopole par l’exploitation de l’invention ou la concession d’une licence, soit de ne pas le faire. Fermer les yeux sur la contrefaçon potentielle par d’autres personnes de ce monopole peut donner lieu à des moyens de défense tels que le manque de diligence, l’acquiescement ou des moyens de défense analogues si, à une date ultérieure, le breveté souhaite faire respecter son droit au monopole. Un monopole non exploité peut aussi ouvrir droit à des licences obligatoires visant l’exploitation de l’invention.

[166]   Dans le cas où le breveté souhaite ne pas tenir compte de son monopole et souhaite aussi en informer le public, il a parfaitement droit de le faire par la voie d’un avis public. De la même manière qu’un breveté peut définir un monopole par la rédaction appropriée de revendications, il peut communiquer au public, par un texte rédigé en conséquence, ce dont il ne veut pas tenir compte ou ce dont il ne veut plus se prévaloir.

[45]           La Cour fédérale d’appel a constaté la pratique de la cession d’un brevet dans l’appel Sandoz Canada Inc. c. Abbott Laboratories, 2010 CAF 168, notamment par la juge Dawson s’exprimant au nom de la Cour aux paragraphes 39 à 58, mais comme elle n’a pas jugé nécessaire d’examiner la question plus loin que ne le demandait l’appel dont elle était saisie, le brevet doit être interprété sans renvoi aux revendications cédées.

b)      Loi sur les marques de commerce

[46]           En l’espèce, la Cour doit considérer l’alinéa 7a) de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, ch. T-13, qui prévoit ceci :

7 Nul ne peut :

a) faire une déclaration fausse ou trompeuse tendant à discréditer l’entreprise, les produits ou les services d’un concurrent;

7 No person shall

(a) make a false or misleading statement tending to discredit the business, goods or services of a competitor;

[47]           Cette disposition trouve son origine dans la Convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle, 1883, modifiée plusieurs fois et à laquelle le Canada est partie. L’article 10 bis de cette Convention prévoit ceci :

1)      Les pays de l’Union sont tenus d’assurer aux ressortissants de l’Union une protection effective contre la concurrence déloyale.

2)      Constitue un acte de concurrence déloyale tout acte de concurrence contraire aux usages honnêtes en matière industrielle ou commerciale.

3)      Notamment devront être interdits :

i)             tous faits quelconques de nature à créer une confusion par n’importe quel moyen avec l’établissement, les produits ou l’activité industrielle ou commerciale d’un concurrent;

ii)            les allégations fausses, dans l’exercice du commerce, de nature à discréditer l’établissement, les produits ou l’activité industrielle ou commerciale d’un concurrent;

iii)           les indications ou allégations dont l’usage, dans l’exercice du commerce, est susceptible d’induire le public en erreur sur la nature, le mode de fabrication, les caractéristiques, l’aptitude à l’emploi ou la quantité des marchandises.

[48]           Dans la mesure où l’alinéa 7a) s’applique au brevet, à la marque de commerce ou au droit d’auteur, il semble que la Cour en ait accepté la validité sur le plan constitutionnel (voir ITT Hartford Life Insurance Company of Canada c. American International Assurance Life Company (1997), 79 C.P.R. (3d) 441 (CF), décision du juge Nadon, page 447). Il a été jugé qu’il en serait de même avec les dessins industriels (voir Benisti Import-Export Inc. c. Modes Tst Carbon Inc. (2002), 20 C.P.R. (4th) 125, décision du juge Morneau, p. 129 à 131).

[49]           L’affaire la plus importante serait l’arrêt de la Cour suprême du Canada, S & S Industries Inc. v Rowell, [1966] R.C.S. 419. Cette affaire concernait un breveté dont l’avocat avait envoyé des mises en demeure aux clients d’un compétiteur qui laissait planer la menace de poursuites en contrefaçon de brevet dans le cas où les clients s’approvisionneraient chez le compétiteur. Aucune telle action n’ayant été intentée, le compétiteur a, lui, intenté une action pour indemnisation en vertu de l’alinéa 7a) de la Loi sur les marques de commerce. La Cour suprême a conclu qu’il n’existe aucune exigence expresse à ce que les déclarations fausses ou trompeuses aient été faites en connaissance de leur fausseté ou de façon malveillante. Le juge Martland, s’exprimant au nom de la majorité, a écrit ce qui suit, p. 424-425 :

[traduction]

L’article 7 de la Loi sur les marques de commerce s’est substitué à l’article 11 de la Loi sur la concurrence déloyale, ch. 38, Statuts du Canada 1932. En ce qui concerne l’alinéa 7a), la portée de cet alinéa dépasse celle de l’alinéa 11a), car il s’applique autant à une « déclaration trompeuse » qu’à une déclaration fausse.

[traduction]

L’alinéa 7a) et le paragraphe 52 de la Loi sur les marques de commerce ont ensemble pour effet de créer une cause d’action statutaire en vertu de laquelle des dommages-intérêts peuvent être accordés à la personne lésée par des déclarations fausses ou trompeuses d’un concurrent qui tendent à discréditer son entreprise, ses marchandises ou ses services. Les éléments essentiels d’une telle action sont :

1.       la présence d’une déclaration fausse ou trompeuse;

2.       le fait que cette déclaration tend à discréditer l’entreprise, les marchandises ou les services d’un concurrent;

3.       le fait qu’il en résulte un dommage.

Il n’existe aucune exigence expresse à ce que les déclarations fausses ou trompeuses aient été faites en connaissance de leur fausseté ou de façon malveillante. Une interprétation de ces dispositions qui accepterait tacitement ces contraintes équivaudrait à reformuler les règles de loi déjà en existence. Cette approche n’est pas adéquate, à mon avis. La Loi sur la concurrence déloyale était un code statutaire en ce qui concerne le traitement équitable dans le commerce. L’article 11 est basé sur l’article 10 bis de la Convention de Paris pour la protection de la propriété industrielle, signée à La Haye le 6 novembre 1925, à laquelle le Canada est partie. Pour interpréter les dispositions d’une loi, la procédure à suivre est celle de Lord Herschell, énoncée dans l’arrêt Bank of England v. Vagliano Brothers [[1891] A.C. 107 at 144, 64 L.T. [353]. En examinant l’approche à suivre par la Cour d’appel pour interpréter une disposition de la Loi des lettres de change relativement à l’état du droit avant l’adoption de la loi, il écrivit :

Vos excellences, malgré un profond respect envers les éminents juges dont l’opinion diffère, je ne peux me résoudre à penser qu’il s’agit là de la bonne façon d’interpréter une loi comme la Loi sur les lettres de change, qui était censé être un code de loi sur les titres négociables. Je pense que la bonne procédure à adopter consiste, en première instance, à examiner le langage de la loi et à se demander ce que serait sa signification normale, sans considération aucune de ce que fut l’ancien état de droit; il ne s’agit pas de se demander ce qu’était l’ancien état de droit pour ensuite présumer que cet état ne doit pas être altéré et de rechercher dans le texte de loi une interprétation qui serait conforme à cet état d’esprit.

À mon avis, selon sa signification naturelle, l’alinéa 7a) vise à fournir une cause d’action, dans certaines circonstances, relativement à des déclarations qui sont fausses dans les faits, et il ne faut tenir compte de l’absence de malveillance que lors de l’attribution des dommages-intérêts.

Les circonstances de la présente affaire font en sorte que les dispositions de l’alinéa 7a) s’appliquent au défendeur et, par conséquent, à mon avis, l’appel doit être rejeté avec dépens.

[50]           Le juge Spence, dans une décision concordante, précise que même si la malveillance avait été un élément nécessaire, il y a eu démonstration de malveillance parce que le breveté s’est désisté de ses actions aussitôt que le compétiteur a fait savoir qu’il entendait contester les allégations de contrefaçon. Il a écrit à la page 433 :

Il semblerait donc que le défendeur, après avoir reçu un avis formel indiquant que le demandeur nie être coupable de contrefaçon et a l’intention de réclamer des dommages-intérêts en raison des actions intentées contre lui par le défendeur et qui font l’objet de la présente action, a procédé avec la plus grande célérité pour régler l’action afin d’éviter de tester la validité de son brevet et aussi d’éliminer toute possibilité qu’un grand fabricant ou qu’un grand distributeur ne vienne contester cette validité ou aider une contestation de ce genre. En outre, le défendeur a privé le demandeur d’une occasion de vendre ses marchandises dans un marché très appréciable.

Par conséquent, à mon avis, les preuves tirées de l’examen des circonstances suffisent à démontrer que ce que le défendeur a affirmé ne reposait sur aucune justification raisonnable. Cette malveillance est donc avérée et le juge éminent de la Cour de l’Échiquier aurait pu se prononcer en faveur du demandeur même si elle devait être nécessaire à la preuve et sa décision ne doit pas être contrecarrée.

c)      Loi sur la concurrence

[51]           Le paragraphe 52(1) de la Loi sur la concurrence modifiée, LRC 1985, ch. C-34, prévoit que nul ne peut, aux fins de promouvoir la fourniture d’un produit, donner sciemment ou sans se soucier des conséquences des indications fausses ou trompeuses sur un point important. Les paragraphes suivants portent sur un certain nombre de questions, notamment sur ce pour quoi une preuve n’est pas nécessaire.

52 (1) Nul ne peut, de quelque manière que ce soit, aux fins de promouvoir directement ou indirectement soit la fourniture ou l’utilisation d’un produit, soit des intérêts commerciaux quelconques, donner au public, sciemment ou sans se soucier des conséquences, des indications fausses ou trompeuses sur un point important.

52 (1) No person shall, for the purpose of promoting, directly or indirectly, the supply or use of a product or for the purpose of promoting, directly or indirectly, any business interest, by any means whatever, knowingly or recklessly make a representation to the public that is false or misleading in a material respect.

[52]           L’article 36 de cette loi prévoit qu’une personne qui a subi une perte ou des dommages par suite de fausses déclarations peut réclamer des dommages-intérêts devant la présente Cour.

36 (1) Toute personne qui a subi une perte ou des dommages par suite :

a) soit d’un comportement allant à l’encontre d’une disposition de la partie VI;

b) soit du défaut d’une personne d’obtempérer à une ordonnance rendue par le Tribunal ou un autre tribunal en vertu de la présente loi,

peut, devant tout tribunal compétent, réclamer et recouvrer de la personne qui a eu un tel comportement ou n’a pas obtempéré à l’ordonnance une somme égale au montant de la perte ou des dommages qu’elle est reconnue avoir subis, ainsi que toute somme supplémentaire que le tribunal peut fixer et qui n’excède pas le coût total, pour elle, de toute enquête relativement à l’affaire et des procédures engagées en vertu du présent article.

36 (1) Any person who has suffered loss or damage as a result of

(a) conduct that is contrary to any provision of Part VI, or

(b) the failure of any person to comply with an order of the Tribunal or another court under this Act,

may, in any court of competent jurisdiction, sue for and recover from the person who engaged in the conduct or failed to comply with the order an amount equal to the loss or damage proved to have been suffered by him, together with any additional amount that the court may allow not exceeding the full cost to him of any investigation in connection with the matter and of proceedings under this section.

[53]           Les décisions concernant l’application de ces dispositions aux dessins industriels inscrits sont en nombre infime. Elles sont accidentelles dans le cas des brevets. Comme je le dirai plus loin, la réclamation en vertu de la Loi sur la concurrence ne fait plus partie de la demande reconventionnelle.

VI.             REQUÊTE DES DÉFENDERESSES – VALIDITÉ DE L’ENREGISTREMENT DU DESSIN INDUSTRIEL

[54]           Je vais d’abord considérer la requête en jugement sommaire des défenderesses (demanderesses reconventionnelles) visant à invalider l’inscription du dessin industriel 676. Lorsque je parle des défenderesses, j’entends la seule demanderesse reconventionnelle qui reste au sujet du dessin, soit Supertek.

[55]           Je dispose de la preuve de la défense, soit une preuve d’opinion offerte par un expert, M. Manu, établie dans deux affidavits qui ont fait l’objet d’un contre-interrogatoire, et un affidavit préparé par un étudiant stagiaire. Ce dernier comprenait une décision rendue par un tribunal français, dans laquelle un dessin inscrit a été invalidé, dessin qui serait semblable à celui du présent litige.

[56]           Les demanderesses n’ont pas déposé d’affidavit d’expert en ce qui a trait au dessin. Elles ont déposé l’affidavit d’un stagiaire d’été appuyé par une décision rendue par un tribunal néerlandais qui aurait validé l’inscription d’un dessin qui serait semblable à celui en litige en l’espèce.

[57]           Pour commencer, je vais examiner les décisions des tribunaux français et néerlandais. Je ne dispose pas, dans ces éléments de preuve, des lois pertinentes de ces pays concernant les questions en litige devant ces tribunaux. En l’absence d’autres éléments de preuve, je ne peux me prononcer sur la nature et l’effet de ces décisions. Ces décisions n’auront donc aucune influence sur ma décision en l’espèce.

[58]           En ce qui concerne la preuve d’expert, les demanderesses n’ont pas fourni de preuve d’expert qui réfuterait celle des défenderesses ou qui validerait l’inscription du dessin en litige. En fait, il est évident que les demanderesses n’ont aucun intérêt à soutenir l’inscription du dessin puisqu’elles ont cédé ce dessin au domaine public, se sont désistées de la partie de leur action concernant la contrefaçon du dessin et ont transmis une lettre contenant l’engagement de ne pas intenter d’action.

[59]           Les demanderesses invoquent une partie du contre-interrogatoire de l’expert présenté par les défenderesses et certains arguments se fondant sur l’option de leur avocat concernant la validité de l’inscription du dessin. Cependant, après avoir lu les deux affidavits de M. Manu et le contre-interrogatoire, je suis convaincu que son opinion, résumée au paragraphe 38 de son premier affidavit, bien fondée :

[traduction]

38.    À mon avis, le dessin 676 qui est en litige n’est pas un dessin original. Ce dessin n’est pas le fruit d’une intention; il lui manque de l’uniformité et de la répétabilité. De plus, seule la fonction utilitaire dicte le dessin de cet ensemble de boyau extensible formé d’un tuyau élastique recouvert d’une enveloppe de tissu.

[60]           Les demanderesses n’ont pas adéquatement réfuté cette opinion. Je conclus que le dessin 676 n’est pas original et ne résulte que de sa fonction utilitaire.

[61]           Les demanderesses s’opposent au dépôt du deuxième affidavit (supplémentaire) de M. Manu présenté en réplique en faisant valoir qu’une copie de la décision du tribunal français est en pièce jointe et que M. Manu commente cette décision. Comme je l’ai mentionné précédemment, la décision du tribunal français ne peut influencer ma décision; il m’est donc loisible de rejeter cette objection.

[62]           Les principaux arguments des défenderesses visant à réfuter la contestation des défenderesses de l’inscription du dessin sont, premièrement, que la question n’a plus de portée pratique depuis que le dessin a été cédé au domaine public et, deuxièmement, que les défenderesses, n’étant pas des personnes lésées au sens du paragraphe 22(1) de la Loi sur les dessins industriels, ne peuvent demander la radiation ou la modification de l’inscription.

[63]           Premièrement, sur l’absence de portée pratique, le représentant des demanderesses a déposé une lettre auprès du Bureau des dessins industriels datée du 10 juillet 2014 pour signifier la cession irrévocable du dessin au domaine public. J’en arrive à la conclusion que cette lettre n’a pas évacué la question de la validité. L’effet d’une telle cession n’en est pas moins discutable et la cession est postérieure au dépôt de la demande reconventionnelle concernant l’invalidité dans le présent litige. Quelle que soit la signification de cette cession, elle n’a pas eu d’effet avant le 10 juillet 2014. La question n’est donc pas théorique.

[64]           Deuxièmement, sur la question des personnes lésées, compte tenu de la cession, du désistement des demanderesses concernant la revendication en contrefaçon et de la lettre contenant l’engagement de ne plus intenter de poursuites, je conclus que les actions entreprises par les demanderesses, toutes unilatérales, ne peuvent servir à faire perdre le statut de personne lésée aux défenderesses.

[65]           La lettre de l’avocat proposant l’engagement de ne pas poursuivre et l’avis de désistement constituent, dans le meilleur des cas, une offre unilatérale. Le dernier paragraphe incite les défenderesses à se désister des poursuites en réparation relativement à la présente action :

[traduction]

Veuillez nous aviser si les défenderesses ont l’intention de poursuivre leur action en application de l’alinéa 7a) de la Loi sur les marques de commerce et de l’article 52 de la Loi sur la concurrence en vue d’en informer la Cour.

[66]           Les défenderesses n’ont rien fait à ce sujet et il se trouve que l’une d’elles poursuit toujours l’action en fonction de ces allégations. L’offre unilatérale n’a donc jamais été acceptée.

[67]           Malgré leurs efforts, les demanderesses n’ont pas réussi à faire perdre aux défenderesses leur droit de contester la validité de l’inscription du dessin en tant que personnes lésées.

[68]           Je conclus qu’il n’y a pas de véritable question litigieuse en ce qui concerne la validité de l’inscription du dessin 676. Les défenderesses continuent d’avoir le droit de contester la validité de l’inscription en tant que personnes lésées; la question de la validité de l’inscription n’est pas théorique en ce qui concerne ladite « cession »; la seule preuve d’expert est celle que les défenderesses ont présentée et qui est bien fondée à mon avis; le dessin n’est pas original et résulte uniquement de la fonction utilitaire de l’objet. Les décisions des tribunaux français et néerlandais n’ont eu aucune influence sur la décision que je rends.

[69]           Par conséquent, je déclare que l’inscription du dessin 676 doit être radiée et que cette décision doit être déposée auprès du Bureau des dessins industriels.

VII.          REQUÊTE EN JUGEMENT SOMMAIRE DES DEMANDERESSES – ALINÉA 7a) de la LOI SUR LES MARQUES DE COMMERCE

[70]           Dans leur mémoire des faits et du droit daté du 17 mai 2016, déposé à la suite à la requête en jugement sommaire des demanderesses, les défenderesses (demanderesses reconventionnelles) ont considérablement réduit la portée de leur demande. On peut y lire ceci :

[traduction]

Supertek se désiste de sa réclamation en application de l’article 52 de la Loi sur la concurrence. Pour sa part, la demanderesse reconventionnelle Telebrands Corp. (« Telebrands ») a l’intention de se désister de la demande reconventionnelle, car la valeur de la réclamation devient hypothétique.

[71]           Du fait qu’International Edge n’a pas fait de demande reconventionnelle et que, le jour précédent l’audition de ces requêtes, Telebrands s’est désisté de la demande reconventionnelle, il ne reste à trancher (mis à part la validité de l’inscription du dessin, question résolue précédemment) que la réclamation de Supertek en application de l’alinéa 7a) de la Loi sur les marques de commerce. Lors de l’audition de ces requêtes, l’avocat de Supertek a encore réduit la portée de la réclamation de Supertek à seulement deux clients potentiels, soit Canadian Tire et Wal-Mart Canada, sur une période de deux ans seulement, soit 2013 et 2014. La requête des demanderesses vise par conséquent à faire rejeter cette réclamation réduite par jugement sommaire ou à obtenir une ordonnance de la Cour pour la tenue d’un procès sommaire concernant cette réclamation réduite.

[72]           Après avoir examiné la preuve et entendu les avocats de chacune des parties, je ne suis pas convaincu, pardon pour la double négation, qu’il n’existe pas de véritable question litigieuse dans la demande reconventionnelle de Supertek qui reste. Cette demande dépend essentiellement sur ce que MM. Mishan et Guindi, les représentants d’Emson, ont dit aux représentants de Canadian Tire et de Wal-Mart Canada au sujet du dessin 676 et du brevet 882 et sur les menaces d’une poursuite à cet effet. Les éléments de preuve dont je dispose à cet égard et la crédibilité des témoignages, notamment ceux de MM. Mishan et Guindi, influenceront mon jugement pour rendre une décision juste. Je tiens compte des principes exprimés par le juge Pelletier dans l’arrêt Suntec Environmental Inc. c. Trojan Technologies Inc. (2004), 31 CPR (4th) 241 (CAF), soit que la Cour saisie d’une requête en jugement sommaire doit se garder de se prononcer sur la question de la crédibilité des témoins.

[73]           Je cite à titre d’exemple dans les éléments de preuve des extraits de courriels rédigés par le personnel de Wal-Mart Canada : [traduction] « On m’a dit que si on tenait une variante du XHose, il y avait violation de brevet »; « Je n’ai pas l’intention d’y jeter un coup d’œil s’il y a possibilité de violation de brevets. »

[74]           De même, on peut lire dans certains courriels rédigés par le personnel de Canadian Tire : [traduction] « À la réunion avec Emson, hier, on nous a menacés d’une action en justice. » Dans un courriel envoyé par M. Mishan au personnel de Canadian Tire, on trouve l’extrait [traduction] « l’inventeur des brevets Xhose est très porté sur les poursuites » suivi d’une liste de six poursuites différentes, dont trois ayant eu lieu au Canada.

[75]           MM. Mishan et Guindi, dans leurs premiers affidavits, ont dit ne pas se souvenir d’avoir discuté de propriété intellectuelle ni de litige avec ces clients. Dans leurs deuxièmes affidavits, ils nient avoir fait des menaces ou demandé l’annulation de commandes. Lors du contre‑interrogatoire, ils semblaient esquiver les questions sur ce sujet au lieu de donner des réponses claires et directes.

[76]           La défenderesse et demanderesse reconventionnelle Supertek n’a apporté aucune preuve directe des personnes concernées travaillant pour Canadian Tire ou Wal-Mart Canada. Les courriels, dont ceux qui ont été cités précédemment, font partie de la preuve, mais rien ne lie les auteurs aux courriels.

[77]           Vu l’état des éléments de preuve dont je dispose, je ne peux pas conclure qu’il n’y a pas une véritable question litigieuse demandant la tenue d’un procès. J’aimerais entendre les personnes concernées travaillant pour Canadian Tire et Wal-Mart Canada, et les citer à comparaître si cela devient nécessaire. J’aimerais que MM. Mishan et Guindi témoignent en personne devant la Cour.

[78]           En ce qui concerne les dommages subis par Supertek, si tel est le cas, j’ai des éléments prouvant que Canadian Tire a annulé deux commandes et, à l’exception d’un détaillant indépendant de l’Ontario, n’a plus jamais passé de commande à Supertek pour les boyaux faisant l’objet du litige. Wal-Mart Canada n’a jamais passé aucune commande pour ce type de boyau à Supertek. La question de savoir si l’annulation de commandes ou l’absence de commandes découle de ce qu’Emson aurait dit ou fait doit être démontrée. Le montant des dommages‑intérêts, s’il y a lieu, en réparation des commandes annulées ou perdues doit être démontré. Toutes ces démonstrations requièrent une certaine forme de procès.

[79]           J’ai proposé aux parties que l’affaire soit jugée par procès sommaire. Les éléments de preuve déjà déposés peuvent servir d’élément de preuve lors du procès. MM. Mishan et Guindi pourront comparaître en personne pour témoigner. Certains témoins appropriés de Canadian Tire et de Wal-Mart Canada pourront témoigner; il reste à déterminer si ce sera par assignation à témoigner ou par affidavit et contre-interrogatoire. Les éléments de preuve concernant les dommages-intérêts et le montant attribué peuvent être basés sur des faits ou, si besoin est, une preuve d’expert. Les parties conviennent qu’ils pourront examiner ces questions et celles qui seront pertinentes pour en arriver à une proposition de calendrier pour le procès sommaire. Cette proposition doit être faite dans les dix (10) prochains jours.

[80]           Il reviendra au juge présidant ce procès sommaire d’adjuger les dépens des présentes requêtes.


JUGEMENT

POUR LES MOTIFS QUI PRÉCÈDENT,

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.         L’inscription au Canada du dessin industriel numéro 146 676 n’est pas valide et doit être radiée du registre après le dépôt du présent jugement auprès du Bureau des dessins industriels;

2.         Un procès sommaire doit avoir lieu concernant la revendication de la défenderesse ou demanderesse reconventionnelle Supertek Canada en application de l’alinéa 7a) de la Loi sur les marques de commerce. Les parties doivent proposer un calendrier à cet effet dans les dix (10) jours suivant la date de la présente ordonnance;

3.         Le juge présidant à ce procès sommaire adjugera les dépens des présentes requêtes.

« Roger T. Hughes »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1112-13

 

INTITULÉ :

E. MISHAN & SONS. ET BLUE GENTIAN, LLC c. SUPERTEK CANADA INC., INTERNATIONAL EDGE, INC. ET TELEBRANDS CORP.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 31 mai 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE HUGHES

 

DATE DES MOTIFS :

Le 3 juin 2016

 

COMPARUTIONS :

Angela M. Furlanetto

Alan Macek

Nikolas Purcell

 

Pour les demanderesses

(défenderesses reconventionnelles)

 

Andrew I. McIntosh

Adam Bobker

Pour les défenderesses

(demanderesses reconventionnelles)

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Dimock Stratton, S.E.N.C.R.L.

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour les demanderesses

(défenderesses reconventionnelles)

 

Bereskin & Parr, S.E.N.C.R.L.

Avocats

Toronto (Ontario)

Pour les défenderesses

(demanderesses reconventionnelles)

 

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