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Date : 20160610


Dossier : IMM-5729-15

Référence : 2016 CF 652

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 10 juin 2016

En présence de madame la juge Kane

ENTRE :

MOHAMMAD YARI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur, Mohammad Yari, sollicite le contrôle judiciaire, aux termes de l’article 72 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), d’une décision rendue par la Section d’appel de l’immigration (SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié le 10 novembre 2015, qui a rejeté l’appel du demandeur à l’encontre de la décision du gestionnaire adjoint du programme (gestionnaire du programme) à l’ambassade du Canada à Ankara. La lettre de décision du gestionnaire de programme du 20 décembre 2013 indique que le demandeur n’a pas satisfait à l’exigence de résidence permanente en vertu de l’article 28 de la Loi et que des considérations d’ordre humanitaire ne justifiaient pas le maintien de son statut de résident permanent.

[2]  Le demandeur fait maintenant valoir que la SAI a manqué à son obligation d’équité procédurale dans le déroulement de l’appel. Le demandeur affirme qu’il était évident qu’il ne comprenait pas la nature de la procédure, qu’il n’avait pas reçu le dossier du décideur, et qu’il ne savait pas ce qu’on attendait de lui ou quels arguments il devait présenter.

[3]  La demande est rejetée pour les motifs qui suivent. La SAI n’a pas manqué à son obligation d’équité procédurale et elle a rendu une décision raisonnable.

I.  Contexte

[4]  Le demandeur est un citoyen de l’Iran. Il est arrivé au Canada le 21 juillet 2004, a obtenu le statut de réfugié et est devenu résident permanent en juin 2007. Cependant, il est retourné en Iran à plusieurs reprises et pendant de longues périodes.

[5]  Le demandeur a reçu une lettre détaillée du gestionnaire de programme à l’ambassade du Canada en Turquie, l’informant qu’il ne satisfaisait pas aux conditions de résidence prévues par la loi et qu’il n’y avait pas suffisamment de motifs d’ordre humanitaire pour lui accorder une réparation et lui permettre de conserver son statut de résident permanent. La lettre comprenait des renseignements sur la façon d’interjeter appel de la décision et en pièce jointe figurait un document supplémentaire sur le processus d’appel et les motifs possibles de recours.

[6]  Le demandeur a déposé un avis d’appel à la SAI en date du 15 janvier 2014, lequel précisait les deux adresses du demandeur : une au Canada et l’autre en Iran. Le titre du formulaire d’avis est « Avis d’appel – appel sur l’obligation de résidence ».

[7]  Le 17 février 2014, la SAI a envoyé une lettre au demandeur à l’adresse en Iran et à l’adresse au Canada dans laquelle elle donnait des renseignements supplémentaires sur l’appel et sur le dépôt d’une demande de titre de voyage s’il devait revenir au Canada pour l’appel. En outre, la lettre indique clairement que le conseil du ministre doit transmettre le dossier au demandeur ou au conseil de ce dernier dans les 120 jours suivant le dépôt de l’avis d’appel. La lettre contient un numéro de téléphone sans frais à composer pour obtenir de plus amples renseignements et un lien vers le site Web pertinent pour plus de renseignements sur le processus d’appel.

[8]  Le 2 avril 2015, la SAI a envoyé un « avis de convocation à l’audition d’un appel sur l’obligation de résidence » au demandeur à son adresse au Canada et à son adresse en Iran, lequel avis précisait que l’audience devait avoir lieu le 20 juillet 2015. L’audience a donc été reportée à la demande du défendeur. Un second « avis de convocation à l’audition d’un appel sur l’obligation de résidence » a été envoyé au demandeur. L’avis indiquait que l’audience aurait lieu le 10 novembre 2015 et précisait le lieu de l’audience.

[9]  Le demandeur a assisté à l’audience en personne et sans la présence d’un avocat le 10 novembre 2015.

[10]  La SAI a examiné la question de savoir si le gestionnaire du programme avait commis une erreur et si le demandeur satisfaisait à l’exigence de résidence en vertu de l’article 28 de la Loi, qui exige qu’un résident permanent soit présent au Canada pendant 730 jours au cours de la période quinquennale pertinente, et si une mesure discrétionnaire était justifiée en vertu de l’article 65 et de l’alinéa 67(1)c) de la Loi.

II.  La décision faisant l’objet du contrôle

[11]  La SAI a refusé l’appel du demandeur et a refusé l’octroi d’une mesure discrétionnaire dans une décision orale rendue à l’issue de l’audience, qui a été transcrite.

[12]  Dans la décision, tout comme dans la transcription de l’audience, on faisait remarquer que le commissaire de la SAI avait notamment expliqué ce qui suit : les griefs d’appel possibles; le fait que le demandeur avait reçu une carte de résidence permanente d’un an parce qu’il avait interjeté appel de la décision de décembre 2013; et, le type de motifs d’ordre humanitaire qui pourraient être envisagés en vertu de l’alinéa 67(1)c) de la Loi au sujet de la mesure discrétionnaire.

[13]  La SAI a noté que le demandeur n’avait déposé aucune preuve documentaire et n’avait fait appel à aucun témoin à l’appui de son appel.

[14]  La SAI a conclu, sur la base de documents manuscrits du demandeur, qu’il avait passé au plus 656 jours au Canada au cours de la période quinquennale pertinente allant du 10 juin 2008 au 10 juin 2013. La SAI a fait référence aux notes du STIDI, lesquelles indiquent que le gestionnaire du programme avait établi que le demandeur avait été au Canada pendant seulement 449 jours au cours de cette même période, et ce, à partir des documents qui avaient été fournis au gestionnaire de programme.

[15]  La SAI a conclu qu’aucune preuve ne permettait d’établir que le gestionnaire du programme avait commis une erreur dans ses calculs. Le demandeur n’a pas déposé de documents supplémentaires aux fins de l’audience de novo devant la SAI. Par conséquent, la SAI a conclu que le demandeur ne s’était pas acquitté de l’obligation qui lui incombait de fournir une preuve claire, pertinente et convaincante du fait qu’il avait passé bien plus que 449 jours au Canada au cours de la période visée. La SAI a ajouté que la nature et l’importance du non-respect de son obligation de résidence n’étaient pas négligeables.

[16]  La SAI a ensuite examiné la question de savoir s’il fallait accorder une mesure discrétionnaire pour des motifs d’ordre humanitaire, conformément à l’alinéa 67(1c) de la Loi.

[17]  La SAI a conclu que le demandeur n’était pas crédible, notant plusieurs incohérences dans son témoignage, y compris sur les éléments suivants : sa capacité à entrer en Iran et à en sortir, laquelle était contredite par les timbres dans son passeport qui montraient qu’il s’était rendu dans un autre pays au cours des périodes durant lesquelles il avait allégué qu’il ne pouvait pas quitter l’Iran; ses déclarations de revenus au Canada pour les périodes où il était apparemment en Iran et incapable de quitter le pays; et la date de décès de sa mère, événement qu’il avait avancé pour expliquer son incapacité à revenir au Canada.

[18]  La SAI a conclu que le demandeur n’avait pas fourni de preuve ou de témoignage au sujet d’emplois occupés au Canada ou d’un compte bancaire et qu’il n’avait aucune preuve de ses liens avec sa femme et sa fille au Canada.

[19]  La SAI a fait remarquer que, malgré le fait qu’il avait obtenu le statut de réfugié, le demandeur avait choisi de revenir en Iran, de continuer à vivre là-bas, et de rendre occasionnellement visite à sa famille au Canada. La SAI a conclu qu’aucun facteur de difficulté ou d’ordre humanitaire n’avait été établi.

[20]  Peu de temps après que le commissaire de la SAI a commencé à lire la décision orale, le demandeur a tenté de faire des commentaires supplémentaires, n’a pas renoncé quand il a été informé que l’audience était terminée, et a été expulsé pour avoir crié et s’être promené dans la salle.

III.  Les questions en litige

[21]  Le principal argument du demandeur est que la SAI a manqué à son obligation d’équité procédurale et qu’une nouvelle audience doit avoir lieu. En ce qui concerne le caractère raisonnable de la décision, le demandeur soutient que, bien qu’il ne satisfaisait pas aux 730 jours de présence effective au Canada au cours de la période pertinente, si on lui avait donné l’occasion de fournir des éléments de preuve, la SAI aurait pu conclure à l’existence de motifs d’ordre humanitaires en faveur d’une mesure discrétionnaire.

IV.  La norme de contrôle

[22]  Une question d’équité procédurale doit être examinée selon la norme de la décision correcte (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 43, [2009] 1 SCR 339).

[23]  Les questions de fait et questions mixtes de fait doivent être examinées selon la norme de la décision raisonnable. Pour déterminer si une décision est raisonnable, la Cour doit se pencher sur « l’existence d’une justification, la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel » ainsi que sur « l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit » (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47, [2008] 1 RCS 190). Il convient de faire preuve de déférence à l’égard du décideur et la Cour ne réévaluera pas la preuve.

A.  Est-ce que la SAI a manqué à son obligation d’équité procédurale envers le demandeur?

[24]  Le demandeur fait valoir que la SAI a manqué à son obligation d’équité procédurale comme l’a montré le déroulement de l’audience. Le demandeur fait remarquer qu’il recourait à un interprète, qu’il n’avait pas de conseiller juridique, et qu’il n’avait pas reçu le compte rendu de la décision du gestionnaire du programme.

[25]  Le demandeur affirme qu’il était évident pour la SAI qu’il ne comprenait pas la nature de l’appel ou son caractère formel, les questions juridiques, qu’il ne savait pas qu’il était tenu de fournir des éléments de preuve ou qu’il aurait pu demander à des témoins de témoigner. Par conséquent, la SAI aurait dû ajourner l’audience.

[26]  Le demandeur reconnaît que le dossier lui a été envoyé, comme l’a établi le défendeur, mais il atteste ne pas l’avoir reçu. Il soutient que la SAI n’aurait pas dû aller de l’avant sachant qu’il n’avait pas eu le dossier, car il ne savait pas quels arguments il devait présenter. Le demandeur ajoute que le résumé du dossier qui lui a été fourni à l’audience par la SAI n’était pas suffisant pour qu’il puisse répondre.

[27]  Le demandeur fait valoir que le commissaire de la SAI a interrompu son témoignage et a montré de l’impatience au point que l’audience a jeté le discrédit sur l’administration de la justice.

[28]  Le demandeur affirme également qu’il ignorait que l’instance était un appel. Il souligne des passages de la transcription où il avait exprimé sa confusion quant à l’enjeu du processus et où le commissaire de la SAI lui avait conseillé d’arrêter de parler, l’avait interrompu dans ses réponses, et avait redirigé les questions.

[29]  Le demandeur ajoute que son expulsion de la salle d’audience lors de la lecture de la décision de la SAI était injustifiée et avait altéré sa capacité à répondre étant donné qu’il avait d’autres choses à ajouter.

B.  La SAI n’a pas manqué à son obligation d’équité procédurale.

[30]  L’obligation d’équité procédurale est « souple et variable » (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817, aux paragraphes 23 à 28, 174 DLR (4th) 193 [Baker]). Dans Baker, le juge L’Heureux-Dubé a souligné que la portée de l’obligation doit être déterminée selon le contexte particulier de chaque cause et dépend du contexte de la loi et du droit touchés. L’équité procédurale est fondée sur le principe que les personnes visées doivent avoir la possibilité de présenter entièrement et équitablement leur position, et ont droit à ce que les décisions touchant leurs droits, intérêts ou privilèges soient prises à la suite d’un processus équitable, impartial et ouvert « adapté au contexte légal, institutionnel et social de la décision » (au paragraphe 28).

[31]  La question de savoir si la SAI a manqué à l’équité procédurale dépend de la portée de l’obligation dans le cadre de l’appel de la décision en cause et des faits.

[32]  Comme le fait remarquer le défendeur, la SAI n’est pas tenue d’agir en tant que conseiller juridique d’une personne qui a choisi de se représenter elle-même (Thompson c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2015 CF 808, au paragraphe 15, [2015] ACF no 857 (QL) [Thompson]; Wagg c. Canada (Procureur général), 2003 CAF 303, aux paragraphes 25 et 31, [2004] 1 RCF 206 [Wagg]).

[33]  En l’espèce, la transcription de l’audience démontre que le commissaire de la SAI avait soigneusement expliqué au demandeur que la SAI ne pouvait pas fournir des conseils juridiques et qu’il avait effectivement expliqué le processus, la loi applicable, les motifs éventuels d’appel, le type de facteurs d’ordre humanitaire susceptibles d’être envisagés, et la façon dont l’audience allait se dérouler.

[34]  Bien que la SAI ait le devoir de veiller à ce que ses audiences soient justes, cela ne veut pas dire que l’audience doit être parfaite (Thompson, aux paragraphes 12 et 13, Cyril c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1106, au paragraphe 14, [2015] ACF  no 1124 (QL); Wagg, au paragraphe 36).

[35]  Dans Li c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 927, [2015] ACF no 925 (QL), le juge Russel a fourni un résumé de la jurisprudence pertinente et a noté ce qui suit :

[37]  Selon mon examen de la jurisprudence, une audience est équitable tant que le demandeur comprend la nature de l’instance et est prêt à se représenter lui-même. Dans le cas des parties qui se représentent elles‑mêmes, la Commission peut être obligée d’expliquer le processus au demandeur et de préciser la nature de la décision rendue. Les conséquences de la décision et la complexité de l’affaire peuvent avoir une incidence lorsqu’il s’agit de décider si une audience est équitable.

[36]  La SAI a rempli son obligation de veiller à ce que le demandeur comprenne la nature de la procédure et les conséquences de la décision.

[37]  Je n’accepte pas l’affirmation du demandeur selon laquelle il ne savait pas quels arguments il devait présenter. Comme il est indiqué plus haut, il a reçu la lettre de décision du gestionnaire du programme qui énonçait les motifs de la décision selon laquelle il n’avait pas respecté les exigences en matière de résidence et qui comprenait des renseignements précis sur son droit d’interjeter appel de la décision et sur la façon de procéder. Le demandeur a choisi de déposer un avis d’appel malgré la déclaration qu’il a faite plus tard, à savoir qu’il ne savait pas que l’instance était un appel. Il ne peut pas désormais prétendre qu’il ne savait pas que l’audience devant la SAI était un appel étant donné que c’est lui qui avait lancé cette procédure.

[38]  Le demandeur a également reçu deux avis d’audience qui mettent en évidence dans le titre qu’il s’agit d’un « appel sur l’obligation de résidence ». En outre, la lettre du 17 février 2014 informait le demandeur qu’il recevrait le dossier dans les 120 jours suivant son avis d’appel puisqu’il s’agissait d’une condition préalable à la procédure d’appel. Par conséquent, il avait été clairement informé que le processus était un appel, qu’il avait lancé, et avait été avisé qu’il recevrait le dossier. Compte tenu de cet avis, il aurait pu se renseigner à tout moment sur le dossier qu’il atteste ne pas avoir reçu.

[39]  Bien que le demandeur ait choisi de ne pas demander des conseils juridiques, les renseignements qui lui ont été fournis, y compris la lettre de décision et les deux avis d’audience, étaient suffisants en ce sens qu’ils l’informaient des questions en appel et des arguments qu’il devait présenter, à savoir prouver qu’il avait respecté l’obligation de résidence et qu’il satisfaisait aux facteurs pertinents d’ordre humanitaire.

[40]  Le défendeur a démontré qu’il avait envoyé le dossier au demandeur comme l’exigent les règles. Bien que le demandeur atteste maintenant ne pas avoir reçu le dossier, il avait témoigné devant la SAI qu’il n’avait peut-être pas reçu le dossier. À l’audience, il a déclaré ne pas [traduction] « avoir [le dossier] ici ». Il a reconnu [traduction] « l’avoir peut-être reçu ». Même si le demandeur n’avait pas reçu le dossier, il avait reçu d’autres notifications bien à l’avance et on lui a également montré le dossier à l’audience.

[41]  Le dossier comprend les renseignements que le demandeur avait fournis au gestionnaire du programme, la décision, et les lettres mentionnées plus haut qu’il ne nie pas avoir reçues. La seule partie du dossier que le demandeur n’aurait pas vue avant l’audience et qui ne provenait pas de lui était les notes du STIDI, qui réitèrent les demandes de documents prouvant le temps qu’il a passé au Canada et en Iran et les calculs de ces périodes de temps.

[42]  En ce qui concerne l’argument du demandeur selon lequel il était évident qu’il ne savait pas ce qui se passait et que la SAI aurait dû proposer un ajournement, la transcription démontre que le commissaire de la SAI avait expressément demandé au demandeur au début de l’audience, après que le membre a donné un aperçu, s’il [traduction] « souhait[ait] poursuivre cet appel aujourd’hui » et il a répondu « Oui ».

[43]  La SAI n’était pas tenue de proposer un ajournement compte tenu des observations faites par le demandeur, à savoir qu’il ne savait pas ce qu’était un appel, ou parce qu’il avait désigné un éventuel témoin lors de l’audience, sans indication quant à ce que le témoin présenterait comme arguments, témoin qui n’était pas présent. La SAI a fait remarquer que de nombreuses lettres expliquant le processus avaient été envoyées au demandeur, que le demandeur avait accès à Internet et pouvait en apprendre davantage sur le processus et qu’il aurait pu demander des conseils juridiques.

[44]  Je suis d’accord que le demandeur disposait de suffisamment de renseignements et qu’il avait eu amplement le temps de se renseigner davantage sur l’audience d’appel en consultant le site Web ou en composant le numéro de téléphone sans frais.

[45]  Les allégations selon lesquelles le commissaire de la SAI avait interrompu le témoignage du demandeur ne sont pas corroborées par un examen de la transcription dans son intégralité. Le commissaire de la SAI a invité le demandeur à arrêter de parler pour permettre à l’interprète de suivre le rythme et a tenté à plusieurs reprises de clarifier les questions pour que le demandeur puisse y répondre plutôt que de fournir d’autres renseignements non pertinents. Même si le demandeur a pensé que le commissaire de la SAI était impatient, cela ne constitue pas une violation de l’équité procédurale.

[46]  La SAI a le pouvoir discrétionnaire de réglementer sa propre procédure lorsque les Règles de la Section d’appel de l’immigration, DORS/2002-230 (les Règles) sont muettes. Dans Rezaei c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 1259, [2003] 3 RCF 421 (CFPI), le juge Beaudry a conclu ce qui suit :

[48]  Il va clairement de soi qu’un tribunal comme la CISR, ou l’une ou l’autre de ses sections constituantes, doive être en mesure de réglementer sa propre procédure. La Commission doit également réglementer le privilège de comparaître devant elle pour la représentation d’un revendicateur.

[47]  L’expulsion du demandeur de la salle d’audience n’était pas injuste sur le plan procédural, car elle ne le privait pas de la possibilité de participer à son appel. Au moment où il a été expulsé, il avait déjà donné son témoignage et avait présenté des observations finales à la SAI; l’audience était terminée. Si la SAI avait mis sa décision en délibéré et avait rendu par écrit une décision, aucune question ne se poserait. Une copie écrite de la décision lui aurait été envoyée. La SAI a choisi de rendre une décision orale, a informé le demandeur de ce qui se passait, et lui a dit que l’audience était, à ce moment-là, terminée. On lui avait conseillé de s’abstenir d’interrompre le déroulement de l’audience.

[48]  En ce qui concerne l’allégation du demandeur selon laquelle la SAI aurait dû accepter sa carte de visite à titre de preuve qu’il était employé, il était loisible à la SAI de ne pas accepter cette preuve de dernière minute qui ne respectait pas les règles. En outre, je ne vois pas comment une carte de visite pourrait prouver qu’il occupait un emploi au cours de la période visée alors que les éléments de preuve, y compris les timbres dans le passeport du demandeur, démontrent qu’il n’était pas au Canada.

[49]  Je conclus, dans les circonstances particulières de l’espèce, que la SAI n’a pas manqué à son obligation d’équité procédurale envers le demandeur.

[50]  En invoquant l’arrêt Cardinal c. Directeur de l’Établissement Kent, [1985] 2 RCS 643, 24 DLR (4th) 44 [Cardinal], pour affirmer que tout manquement à l’équité procédurale exige qu’une nouvelle audience soit tenue, le demandeur a, à mon avis, exagéré.

[51]  Dans une décision plus récente de la Cour d’appel fédérale, Renaud c. Canada (Procureur général), 2013 CAF 266, 425 FTR 48, la Cour d’appel a noté que des irrégularités de procédure ne nécessitent pas nécessairement que la décision soit annulée et qu’une nouvelle audience soit ordonnée :

[4]  [...] En matière d’équité procédurale, la jurisprudence a conclu qu’une audition inéquitable pouvait rendre une décision invalide et ce, peu importe l’issue potentielle du litige (Gale c. Canada (Conseil du Trésor), 2004 CAF 13 au par. 12; et Université du Québec à Trois-Rivières c. Larocque, [1993] 1 R.C.S. 471 à la p. 493).

[5]  Cependant, il existe une exception importante à ce principe : lorsque le résultat d’une décision sur le fond était inévitable, il est possible de confirmer la décision malgré tout; voir à cet effet Mobil Oil Canada Ltd. c. Office Canada Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 R.C.S. 202 aux pp. 228, 229....

[52]  Dans l’arrêt Gale c. Canada (Conseil du Trésor), 2004 CAF 13, au paragraphe 12, 316 NR 395, la Cour d’appel a renvoyé au principe de l’arrêt Cardinal invoqué par le demandeur, à savoir que « la négation du droit à une audition équitable rend toujours une décision invalide, que la cour qui exerce le contrôle considère ou non qu’une audition équitable aurait vraisemblablement amené une décision différente ». La Cour suprême note ensuite ce qui suit :

[13]  Nous reconnaissons qu’une cour peut exercer son pouvoir discrétionnaire et décider de ne pas accorder un redressement par suite d’un manquement à l’équité procédurale lorsque le résultat est inéluctable (voir Mobil Oil Canada Ltd. c. Office Canada-Terre-Neuve des hydrocarbures extracôtiers, [1994] 1 R.C.S. 202, aux pages 228 et 229). Or, ce n’est pas le cas en l’espèce. Dans la présente affaire, l’arbitrage porte sur la crédibilité et nous ne pouvons pas dire que la décision est inéluctable d’une manière ou d’une autre.

[53]  Même si je n’ai pas conclu à une violation de l’équité procédurale en l’espèce, dans les cas où une telle violation se produit, la question est de savoir si le résultat serait inévitable.

[54]  L’équité procédurale fait office de pierre angulaire de notre système de justice, mais comme il est indiqué plus haut, l’obligation d’équité procédurale varie selon le contexte. Le droit de connaître les arguments à présenter et le droit d’avoir une occasion de répondre sont des exigences minimales. En l’espèce, même si le demandeur n’a pas reçu le dossier, il avait été amplement informé et il savait quelles questions il devait aborder dans son appel. Il a interjeté cet appel et il a assisté à l’audience d’appel. Il a abordé les questions concernant le temps qu’il a passé au Canada et en Iran et la SAI a estimé que ses réponses étaient incohérentes. Il a été informé de la nature des observations d’ordre humanitaire et il a fait de brèves observations en indiquant qu’il avait une femme et un enfant au Canada, mais il n’a fourni aucune autre information au sujet de sa relation avec eux. Les mêmes conclusions en ce qui concerne l’insuffisance des motifs d’ordre humanitaire avaient été notées dans la lettre de décision de 2013. Il aurait été difficile de montrer un quelconque établissement au Canada compte tenu de la preuve qui démontre que le demandeur avait été au Canada pendant seulement 449 jours au cours de la période quinquennale.

C.  La décision de la SAI est raisonnable

[55]  La SAI a raisonnablement conclu que le demandeur n’avait pas passé plus de 449 jours au Canada au cours de la période quinquennale pertinente. Cette décision était corroborée par les timbres d’autres pays dans le passeport et elle ne semble pas être contestée par le demandeur. On est bien loin des 730 jours exigés. La conclusion de la SAI selon laquelle le demandeur manquait de crédibilité était raisonnable compte tenu de ses réponses incohérentes et de son incapacité à fournir une explication raisonnable pour justifier ces incohérences. La SAI a également raisonnablement conclu qu’il n’avait pas réussi à démontrer son établissement économique ou familial au Canada et qu’il n’avait présenté aucune preuve de motifs d’ordre humanitaire. Si le demandeur a déclaré que sa femme et sa fille étaient au Canada, compte tenu de ses longues absences du Canada, la SAI a raisonnablement conclu qu’il n’y avait aucune preuve de la nature de la relation familiale.


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande de contrôle judiciaire.

Aucuns dépens ne sont adjugés. Aucune question n’est certifiée.

« Catherine M. Kane »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5729-15

 

INTITULÉ :

MOHAMMAD YARI c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 1er juin 2016

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

LA JUGE KANE

 

DATE DES MOTIFS :

Le 10 juin 2016

 

COMPARUTIONS :

J. Randal Montgomery

 

Pour le demandeur

MOHAMMAD YARI

 

Suzanne M. Bruce

 

Pour le défendeur

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

J. Randal Montgomery

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

MOHAMMAD YARI

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Ottawa (Ontario)

 

Pour le défendeur

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

 

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