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Date : 20160516


Dossier : T-389-11

Référence : 2016 CF 552

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 16 mai 2016

En présence de madame la protonotaire Mireille Tabib

ENTRE :

APOTEX INC.

demanderesse

et

ASTRAZENECA CANADA INC.

défenderesse

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]               AstraZeneca dépose la présente requête pour modifier sa défense relativement à l’action en dommages-intérêts d’Apotex, conformément à l’article 8 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) [DORS/93-133].

[2]               Cette requête a essentiellement été motivée par mon ordonnance du 1er avril 2016 au sujet d’une motion visant à déterminer les objections découlant des interrogatoires préalables, dans lesquels j’ai stipulé et ordonné ce qui suit : [traduction]

Apotex fait valoir qu’AstraZeneca n’a peut-être pas déterminé correctement, lors des interrogatoires préalables, si AstraZeneca aurait lancé ou non une version générique autorisée dans un « monde hypothétique » parce qu’elle ne l’a pas invoqué comme un fait. Je suis d’accord. Cependant, je constate que les actes de procédure sont mal fondés. Ceux d’Apotex ne renferment aucune particularité quant à ce qu’elle allègue qu’elle aurait fait dans ce « monde hypothétique ». La défense d’AstraZeneca fait cependant valoir qu’Apotex n’a pas procédé (et n’était pas en mesure de procéder) au lancement avant mars 2011 puisque, dans le monde réel, le lancement n’a eu lieu qu’à cette date, soit neuf mois après avoir reçu son avis de conformité, et seulement dans trois provinces, avec un stock limité. Elle n’invoque pas non plus un scénario de rechange, notamment qu’elle aurait pu lancer une version générique si Apotex avait procédé à un lancement précoce ou généralisé. La réplique d’Apotex se limite à son affirmation précisant qu’elle était [traduction] « en tout temps en mesure de commercialiser légalement » son produit. Cet acte de procédure est équivoque à savoir si Apotex aurait procédé à un lancement généralisé à une certaine date qu’elle l’a fait en réalité.

La Cour comprend que la position d’AstraZeneca est que, si Apotex affirmait qu’elle aurait procédé, dans un « monde hypothétique », à un lancement différent de celui fait dans le monde réel, elle pourrait se défendre en affirmant qu’elle aurait, dans de telles circonstances, lancé une version générique autorisée. Manifestement, les actes de procédure doivent être clarifiés; les parties ne peuvent pas poursuivre leurs interrogatoires préalables et instruire l’affaire sans avoir une excellente compréhension des allégations.

Selon leur état actuel, je suis d’avis que les actes de procédure d’Apotex ne précisent pas suffisamment ce qu’elle affirme qu’elle aurait fait dans le « monde hypothétique » et qu’AstraZeneca n’allègue pas que, si Apotex avait procédé « différemment » à son lancement, elle aurait lancé une version générique autorisée ou que d’autres produits génériques auraient été commercialisés. Par conséquent, les questions portant uniquement sur les mesures prises pour lancer un produit générique dans le « monde hypothétique » ou sur l’entrée d’autres produits génériques sur le marché ne sont pas pertinentes dans les actes de procédure tels qu’ils existent.

Cela dit, les actes de procédure d’AstraZeneca sont nettement suffisants pour mettre en jeu tous les facteurs pris en considération dans la décision, les actions et l’état d’esprit d’Apotex au cours du lancement en temps réel, et comment ces facteurs auraient pu l’influencer dans un « monde hypothétique ». La crainte ou l’anticipation d’Apotex quant aux produits génériques ou aux autres concurrents, ainsi que l’incidence, réelle ou potentielle, sur son propre comportement, est pertinente dans les actes de procédure tels qu’ils existent.

Pour éviter toute autre controverse découlant d’actes de procédure insuffisants, AstraZeneca cherchera à obtenir les précisions qui, selon elle, manquent aux actes de procédure d’Apotex, et elle déposera, au besoin, une requête de modification de ses actes de procédure, conformément à un échéancier à déterminer.

(Non souligné dans l’original.)

[3]               Conformément à l’ordonnance, AstraZeneca a demandé des précisions sur plusieurs aspects de la déclaration d’Apotex. Même si Apotex s’y est opposée dans la plupart des cas, elle a tout de même fourni des précisions affirmant que, si AstraZeneca n’avait pas invoqué le Règlement, elle aurait commercialisé toutes les formes pharmaceutiques, ayant précédemment demandé l’inscription sur la liste des médicaments assurés de son produit à compter de la date de suspension liée au brevet dans toutes les provinces, avec un statut d’interchangeabilité parfaite et à un prix au moins aussi élevé que celui demandé dans le « monde réel ».

[4]               AstraZeneca chercherait à modifier sa défense pour y ajouter les paragraphes suivants : [traduction]

1A.      AstraZeneca s’oppose à l’audace de la déclaration d’Apotex, laquelle ne contient pas les faits substantiels sur lesquels Apotex s’appuie. Apotex n’a pas modifié sa déclaration pour combler les lacunes, même si elle a eu l’occasion de le faire. AstraZeneca s’opposera à toute tentative par Apotex de produire des éléments de preuve positive au procès, lesquels auraient dû être inclus en l’espèce. Sans porter atteinte aux motifs qui précèdent, AstraZeneca énonce ce qui suit.

(...)

15A.    En ce qui concerne toute entrée sur le marché dans un « monde hypothétique », sur laquelle Apotex chercherait à s’appuyer, qui diffère considérablement des entrées sur le marché dans le monde réel (AstraZeneca nie l’existence d’une telle différence) – y compris en ce qui a trait à un ou à plusieurs des aspects suivants : territoire géographique, dates d’entrée sur divers marchés, présentation, prix, dates d’inscription sur la liste des médicaments assurés, spécifications des produits, différents taux de pénétration du marché, nombre et le moment des entrées de médicaments esoméprazole concurrents génériques –, AstraZeneca aurait réagi adéquatement pour protéger ses affaires et son marché de l’esoméprazole, soit en autorisant un produit générique sans s’opposer à l’entrée sur le marché d’autres concurrents génériques. Plus précisément, si Apotex cherche à s’appuyer sur un monde hypothétique dans lequel elle pénètre tous les marchés importants au Canada sans limite de stocks disponibles à compter de la prétendue date de suspension liée au brevet, selon le régime de prix d’Apotex, AstraZeneca aurait lancé une version générique autorisée plus tôt qu’elle l’a fait dans le monde réel, et elle ne se serait pas opposée à l’entrée sur le marché d’autres produits génériques faisant concurrence à Apotex pour une part du marché.

[5]               Le premier paragraphe n’invoque aucun fait essentiel à la définition des questions en litige entre les parties, mais il comprend une version de la plainte quant à la convenance ou à la suffisance des actes de procédure d’Apotex. Les Règles de la Cour fédérale énoncent des mécanismes procéduraux pour donner suite à ces plaintes. La Cour a expressément indiqué à AstraZeneca de demander des détails pour obtenir les clarifications nécessaires. Même si AstraZeneca n’a pas obtenu toutes les précisions demandées, elle a choisi de ne pas déposer une requête exigeant des précisions supplémentaires. Malgré l’obtention de certaines précisions, le nouvel acte de procédure proposé semble ne pas tenir compte des mêmes faits en vue d’entretenir la controverse jusqu’à la tenue du procès. Je ne vois pas comment il est dans l’intérêt de la justice de permettre une modification conçue uniquement pour laisser une question de procédure non résolue, au mépris des directives de la Cour que les actes de procédure soient clarifiés avant que les parties poursuivent leurs interrogatoires préalables ou qu’elles subissent un procès.

[6]               Pour que tout soit parfaitement clair, je tiens à répéter ce que j’ai mentionné à l’audience, c’est-à-dire que les précisions fournies par Apotex en réponse à la demande d’AstraZeneca lient autant Apotex que si elle les avait inclus dans sa déclaration modifiée. Ils servent à circonscrire et à préciser certaines allégations de la déclaration, et ils ne peuvent pas être modifiés sans autorisation.

[7]               À première vue, le deuxième paragraphe proposé, tel qu’il est rédigé, est non limitatif et d’une imprécision inadmissible. Encore une fois, les modifications proposées semblent faire abstraction des précisions fournies en faveur d’une approche dans laquelle on suppose les mêmes incertitudes sur les faits dont Apotex pourrait tenter de démontrer la véracité au procès, laissant ainsi la porte ouverte à AstraZeneca pour invoquer toute défense ou tout scénario qui lui convient. Seule la dernière phrase semble fournir certaines précisions, même si elles sont tout de même inadéquates.

[8]                 Le caractère très vague des allégations proposées semblait initialement appuyer le point de vue exprimé par Apotex dans son dossier de requête selon lequel l’acte de procédure n’offrait aucune apparence de vraisemblance et qu’il était simplement un stratagème pour retarder le procès prévu en mai 2017. Le dossier de requête d’Apotex allait encore plus loin en laissant entendre qu’AstraZeneca ne pouvait pas proposer un plaidoyer précis puisqu’il n’y avait aucun fait qui aurait pu être déposé en preuve pour donner à la défense proposée un semblant de réalité. Dans sa plaidoirie, l’avocat représentant AstraZeneca a voulu clarifier que les documents et les renseignements avaient été fournis au préalable pour démontrer que, dans le monde réel, AstraZeneca a lancé une version générique autorisée après l’entrée sur le marché de produits génériques, et qu’elle a en fait engagé des actes de procédure visant l’obtention d’une ordonnance de prohibition en réponse aux avis d’allégation signifiés par les autres produits génériques. Son avocat a soutenu que les modifications proposées avaient pour but d’alléguer que ces événements réels auraient eu lieu plus tôt si, tel que l’invoque Apotex, Apotex avait commercialisé son produit aussi largement qu’elle l’avait laissé entendre à une date antérieure.

[9]               Apotex s’est opposée à la clarification, faisant valoir que le témoignage de l’avocat n’était pas adéquat et qu’il complétait son dossier. À l’audience, j’ai refusé une copie des documents que l’avocat représentant AstraZeneca cherchait à présenter parce que, à mon avis, il n’existe aucune exigence générale, pour une requête de modification, insistant sur le fait que l’auteur de la requête présente des éléments de preuve pour démontrer l’existence des faits allégués. J’ai toutefois accepté les plaidoiries de l’avocat représentant AstraZeneca à titre d’argument selon lequel le but de la modification proposée est d’alléguer que les événements précis ayant prétendument eu lieu dans le monde réel se seraient produits plus tôt si Apotex avait commercialisé toutes les formes pharmaceutiques de son produit dans toutes les provinces dès qu’elle avait reçu son avis de conformité. L’avocat représentant Apotex a fini par affirmer que l’existence d’événements dans le monde réel (soit le lancement d’une version générique autorisée et l’entrée sur le marché d’autres produits génériques) n’était pas une question de litige. La question de savoir si AstraZeneca peut réussir ou non à prouver que ces événements auraient pu avoir lieu plus tôt ne doit pas être tranchée à ce stade.

[10]           Comme il a été mentionné précédemment, les modifications, telles qu’elles sont rédigées dans le dossier de requête d’AstraZeneca, sont bien trop vagues et imprécises, et je ne les aurais pas accueillies sous cette forme aussi tard dans le procès. Toutefois, dans la mesure où elles sont comprises à la lumière des précisions apportées par l’avocat à l’audience, et en supposant qu’elles peuvent être prouvées au procès, ces modifications révéleraient une défense valable. La requête ne peut donc pas être rejetée sommairement comme étant frivole, vexatoire ou spéculative. Je suis convaincue que les questions qu’AstraZeneca propose de soulever par modification présentent une défense sérieuse et viable, et maintenant je me demande si je dois accueillir leur inclusion dans l’intérêt de la justice et de l’équité, et compte tenu du préjudice qu’aurait pu subir Apotex et qui ne peut être compensé par le versement de dépens.

[11]           Apotex soutient qu’AstraZeneca ne s’est pas acquittée de son fardeau pour prouver que les modifications sont dans l’intérêt de la justice et qu’elle n’occasionnerait pas une injustice. Elle fait valoir que, puisque les modifications s’écartent radicalement des actes de procédure antérieurs, le fardeau de la preuve pour AstraZeneca est beaucoup plus grand, étant donné que cette dernière doit expliquer pourquoi les modifications ont été apportées aussi tard et en quoi elles ne sont pas préjudiciables. Elle soutient que la requête déposée par AstraZeneca doit être rejetée puisque cette dernière n’a pas pu expliquer pourquoi elle ne l’a pas présentée plus tôt.

[12]           La position d’Apotex, selon laquelle les modifications s’écartent radicalement des actes de procédure antérieurs, est fondée sur l’argument que l’existence d’autres versions génériques ou d’une version générique autorisée d’un produit dans un marché hypothétique est, conformément à la jurisprudence bien établie et largement acceptée, une défense affirmative devant être alléguée. Par conséquent, le fait qu’une défense précise n’a pas été invoquée doit être considéré comme une affirmation que le monde hypothétique n’aurait pas inclus d’autres produits génériques. Je ne puis être d’accord.

[13]           Le principe juridique sur lequel est fondé l’argument d’Apotex est évidemment bien compris et bien établi à ce stade, mais ce n’est que dans Apotex Inc. c. Sanofi-Aventis et al., 2012 CF 553, que ce principe est présenté la première fois avec un certain degré de clarté, soit un an après le dépôt de la défense en l’espèce. Si l’on accepte l’argument d’Apotex selon lequel le prononcé de cette décision obligeait AstraZeneca à revoir immédiatement ses actes de procédure pour dénoncer l’existence d’autres médicaments génériques dans le marché hypothétique, alors il devrait en être de même pour Apotex. La décision Apotex c. Sanofi indique clairement que la demanderesse a la charge primaire de prouver qu’elle aurait fait son entrée sur le marché au cours de la période de délai et qu’elle aurait subi des dommages. Je réitère que, même si la déclaration d’Apotex fait valoir qu’elle a subi des dommages (à préciser avant le procès), cette déclaration ne contient aucune allégation selon laquelle Apotex aurait fait son entrée sur le marché au cours de la période de délai. La déclaration d’Apotex affirme tout simplement que l’obtention de son avis de conformité a été retardée, ce qui laisse entendre, au mieux, qu’elle aurait pu faire son entrée sur le marché. Selon son propre argument, sans modifier son acte de procédure, il serait interdit de présenter des éléments de preuve au procès pour démontrer qu’elle aurait fait son entrée sur le marché au cours de la période de délai; AstraZeneca n’aurait donc jamais eu la charge de définir la concurrence dans le marché.

[14]           En me penchant plutôt sur la conduite des parties, je constate que, même si Apotex a soulevé avec force et précision la question concernant l’absence d’allégations précises quant à l’exécution de produits génériques pendant les interrogatoires d’octobre 2015, il n’est pas du tout clair si les parties avaient envisagé ou reconnu au préalable la pertinence des événements du « monde réel » pour le développement du « monde hypothétique », y compris la mise en marché d’autres produits génériques. En effet, sous la direction de la Cour, les parties ont présenté, à la fin de 2014, des tableaux d’instruction énumérant les questions pour lesquelles chaque partie portait le fardeau de la preuve, ainsi que les témoins qu’elles comptaient appeler. On retrouve dans le tableau d’AstraZeneca les points suivants : [traduction] « Approche d’AstraZeneca quant à NEXIUM et mesures prises en réponse à la production de médicaments génériques sur le marché NEXIUM ou celles qui auraient été prises si cette production avait eu lieu plus tôt » et [traduction] « Marché de l’esoméprazole magnésien et incidence de la production de médicaments génériques pour NEXIUM; répartition des parts du marché à la suite de la production de médicaments génériques dans des scénarios hypothétiques ». Selon Apotex, cela démontre qu’AstraZeneca était bel et bien au courant qu’Apotex affirmait qu’elle aurait fait son entrée sur le marché au cours de la période pertinente. Il peut en être ainsi, mais telle qu’elle est rédigée, cette déclaration est certainement assez vague pour inclure à titre de question litigieuse l’approbation d’AstraZeneca d’un médicament générique ou sa décision de renoncer à l’opposition à l’entrée sur le marché d’autres produits génériques. Rien, dans le dossier qui m’a été remis, ne justifie l’interprétation de la déclaration d’AstraZeneca comme excluant intentionnellement des « mesures prises en réponse à la production de médicaments génériques sur le marché NEXIUM » les mesures prises par AstraZeneca quant aux autres produits génériques. Aucune preuve n’appuie la conclusion voulant qu’Apotex aurait cru cette déclaration.

[15]           Bien que ce soit l’auteur de la requête qui porte principalement le fardeau d’une requête de modification, et non la partie défenderesse, Apotex a le contrôle exclusif des éléments de preuve sur ce qu’elle a compris des actes de procédure ou la conduite des parties. Selon Apotex, l’acte de procédure s’écarte radicalement des éléments compris par les parties comme étant des questions litigieuses, et elle reproche à AstraZeneca de ne pas avoir présenté d’éléments de preuve à cet égard, même si elle a elle-même omis de présenter des éléments de preuve à l’appui de cet argument.

[16]           Il faut se rappeler que cette requête résulte d’un désaccord vigoureux entre les parties ayant vu le jour à l’automne 2015 quant aux scénarios problématiques pertinents. Selon la Cour, les actes de procédure d’Apotex étaient insuffisants et nécessitaient des précisions avant qu’AstraZeneca soit dans l’obligation de prendre en considération le besoin d’apporter des modifications en réponse à un scénario précis d’Apotex. Le plaidoyer visé d’AstraZeneca (tel qu’il a été clarifié à l’audience) est à première vue une réponse logique aux éléments présentés par Apotex et révèle une cause d’action valable. Même si je suis d’avis que les actes de procédure antérieurs d’AstraZeneca, tels qu’ils étaient formulés, étaient insuffisants puisqu’ils ne traitaient pas adéquatement de la question liée à l’entrée d’autres produits génériques dans un « monde hypothétique » pour les interrogatoires préalables, je conclus que ni l’une ni l’autre des parties n’a précédemment écarté cette question, de façon implicite ou explicite, comme étant une question justifiant un procès.

[17]           Ce qui importe en fin de compte, c’est de rendre justice aux parties en veillant à ce que les modifications ne causent pas d’injustice et que les intérêts de la justice soient satisfaits. En l’espèce, les deux parties ont cru bon de présenter des actes de procédure ambigus, imprécis ou mal fondés, et d’attaquer, de bloquer ou de piéger l’autre partie dans des disputes de procédure plutôt que de résoudre ou clarifier les problèmes. Apotex, qui est tout aussi à blâmer pour ce type de comportement, est mal placée pour se plaindre de la soumission tardive des éclaircissements nécessaires aux actes de procédure des deux parties et pour avancer que, pour cette raison, l’autorisation de modification serait injuste ou imposerait une obligation plus lourde sur AstraZeneca. Seule la probabilité d’un préjudice non indemnisable au moyen de dépens subis par Apotex devrait, dans les circonstances, être prise en considération comme opposition valable à la modification.

[18]           Je suis d’accord que le dossier de requête d’AstraZeneca ne traite pas la question de préjudice. En effet, puisque les modifications proposées sont si mal définies, il semble qu’AstraZeneca n’a guère examiné la question à savoir quels interrogatoires préalables additionnels seraient requis, le cas échéant, à la suite de ses modifications et si ce travail supplémentaire pourrait raisonnablement être accompli avant le procès. Malgré cela, même si Apotex affirme abruptement dans son dossier de réponse que les modifications visent à retarder le procès et portent préjudice, la demanderesse ne fournit aucune preuve, indication ou argumentation convaincante à l’appui. De plus, elle ne démontre pas comment de telles modifications, si elles sont autorisées, lui causeraient un préjudice non indemnisable au moyen de dépens. Tel qu’il a été mentionné, le retard de présentation des modifications est le résultat de la complaisance et de la conduite des deux parties. Lorsqu’il est question de préjudice éventuel, il n’est pas suffisant pour Apotex de ne rien faire et d’espérer faire refuser la demande de modification simplement en signalant qu’AstraZeneca n’a pas présenté de preuve pour exclure la possibilité d’un préjudice. Si Apotex estimait ne pas pouvoir raisonnablement préparer ses arguments à l’égard des modifications proposées avant le procès, il lui incombait de présenter des éléments de preuve à cet égard.

[19]           Il semble inévitable que d’autres documents et interrogatoires soient nécessaires, ce qui ajoutera aux tâches à exécuter dans la période limitée avant le procès. Cependant, il appartiendra à AstraZeneca de produire les documents requis, et rien n’indique que les modifications proposées nécessiteront la préparation d’autres arguments affirmatifs de la part d’Apotex, de telle sorte qu’Apotex ne puisse pas se préparer ou soit assujettie à des contraintes déraisonnables pour contrer les arguments de la défense formulés dans les modifications. J’estime qu’Apotex ne subira pas un préjudice découlant des modifications qui ne pourra pas être compensé au moyen des dépens.

[20]           Je suis prête à accorder l’autorisation à AstraZeneca de modifier sa défense afin d’expliquer ce qu’elle aurait fait si Apotex avait lancé son produit de la manière décrite dans son exposé de précisions. AstraZeneca doit aussi prouver qu’elle aurait lancé une version générique autorisée plus tôt qu’elle l’a fait et qu’elle ne se serait pas opposée à l’entrée sur le marché d’autres produits génériques. Cependant, le plaidoyer doit être plus détaillé que l’acte de procédure proposé. Il doit présenter précisément les mesures qu’AstraZeneca aurait prises et le moment exact auquel ces mesures auraient été prises, et il doit fournir la ou les dates auxquelles AstraZeneca aurait mis sur le marché chacune des versions génériques.

[21]           Bien qu’AstraZeneca ait obtenu gain de cause en grande partie à l’égard de la requête, les dépens seront payables par AstraZeneca à Apotex. Je rends cette ordonnance pour exprimer le désaccord de la Cour quant aux modifications proposées initialement par AstraZeneca. La décision de la Cour dans son ordonnancement du 1er avril 2016 était très claire : les parties ne peuvent pas poursuivre leurs interrogatoires et instruire l’affaire sans avoir une excellente compréhension des allégations. AstraZeneca a profité de cette occasion pour demander des précisions, mais a refusé de tenir compte des éclaircissements fournis. Elle a non seulement proposé des modifications qui perpétuent les controverses découlant des lacunes apparemment toujours présentes dans les actes de procédure d’Apotex, mais a aussi elle-même proposé indûment des affirmations vagues et non limitatives. Ce faisant, elle a permis à Apotex de contester les actes de procédure pour des raisons techniques, elle a privé la Cour d’observations convaincantes et pertinentes relativement aux observations et documents additionnels qui seront nécessaires à la suite des modifications proposées, a fait de sa requête une véritable cible mobile et a prolongé inutilement la durée de l’audience. Bien que je reconnaisse que la conduite d’AstraZeneca puisse avoir provoqué la réponse exagérément formaliste de la part d’Apotex, je dois ajouter qu’Apotex n’avait pas à réagir à une telle provocation. La détermination d’Apotex à soutenir l’argument que les modifications proposées ont été présentées en retard sans justification ou qu’elles constituaient une dérogation radicale était à la fois fallacieuse et inutile compte tenu de la décision antérieure de la Cour. AstraZeneca a suggéré une somme entre trois et quatre mille dollars, tandis qu’Apotex a suggéré qu’une somme de cinq mille dollars serait plus appropriée. Compte tenu de tous les éléments en l’espèce, j’estime qu’un montant de deux mille dollars devrait être adjugé à Apotex.

[22]           Puisque la conduite des deux parties a nécessité des modifications de clarification à cette date tardive, il ne convient pas en ce moment de déterminer laquelle des deux parties doit assumer les dépens de toute étape additionnelle rendue nécessaire par les modifications. La répartition des dépens sera laissée à la discrétion du juge de première instance.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que :

1.                  AstraZeneca est autorisée à modifier sa défense dans un délai maximal de dix jours suivant la date de la présente ordonnance afin d’ajouter les arguments détaillés déterminant ce qu’elle aurait fait, notamment en ce qui concerne les autres versions génériques, si Apotex avait fait son entrée sur le marché de la manière alléguée dans son énoncé détaillé. La défense modifiée doit inclure les dates auxquelles AstraZeneca soutient que chaque produit générique précis aurait entré le marché à la suite de ses actions.

2.                  Apotex peut signifier et déposer une réponse modifiée donnant suite aux modifications d’AstraZeneca dans les dix jours suivant la signification de la défense modifiée.

3.                  Les parties doivent communiquer entre elles pour discuter de l’horaire de signification des affidavits de documents supplémentaires découlant des modifications, puis présenter à la Cour leurs observations à cet égard dans les 14 jours suivants la présente ordonnance.

4.                  AstraZeneca devra payer à Apotex des dépens s’élevant à deux mille dollars.

5.                  L’adjudication des dépens découlant des modifications sera déterminée par le juge de première instance.

« Mireille Tabib »

Protonotaire


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-389-11

 

INTITULÉ :

APOTEX INC. c. ASTRAZENECA CANADA INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 10 MAI 2016

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE :

PROTONOTAIRE TABIB

 

DATE :

Le 16 MAI 2016

 

COMPARUTIONS :

JERRY TOPOLSKI

MICHAEL YASSKIN

 

Pour la demanderesse

APOTEX INC.

 

GUNARS A. GAIKIS

KEVIN P. SIU

 

Pour la défenderesse

ASTRAZENECA CANADA INC.

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

GOODMANS LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

APOTEX INC.

 

SMART & BIGGAR

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour la défenderesse

ASTRAZENECA CANADA INC.

 

 

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