Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20160526


Dossier : T-1478-15

Référence : 2016 CF 525

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 26 mai 2016

En présence de monsieur le juge chargé de la gestion de l’instance Kevin R. Aalto

ENTRE :

JANSSEN INC.

demanderesse

et

CELLTRION HEALTHCARE CO., LTD

ET LE MINISTRE DE LA SANTÉ

défendeurs

et

KENNEDY TRUST FOR RHEUMATOLOGY RESEARCH

défendeur/breveté

ORDONNANCE ET MOTIFS MODIFIÉS

[1]               La Cour est saisie d’une requête déposée par la défenderesse, Celltrion Healthcare Co. Ltd. (Celltrion) en radiation de la demande fondée sur l’alinéa 6(5)b) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133, modifié (le Règlement MBAC). La demanderesse, Janssen Inc. (Janssen), conteste la requête.

[2]               Les faits sont quelque peu uniques. Le 15 janvier 2014, Celltrion a reçu un avis de conformité (AC) pour son médicament appelé INFLECTRA (infliximab) utilisé pour le traitement de la polyarthrite rhumatoïde, de la spondylarthrite ankylosante, de la polyarthrite psoriasique et du psoriasis en plaques (collectivement, les indications pour la PR). Actuellement, Celltrion commercialise INFLECTRA au Canada pour ces indications. Au moment du dépôt de sa présentation de drogue nouvelle, le 14 novembre 2012, Celltrion n’avait pas à tenir compte du brevet contesté (le brevet 630).

[3]               Le brevet 630 est la propriété du défendeur/breveté, Kennedy Trust for Rheumatology Research.

[4]               Le brevet 630 a été déposé le 1er août 1997 et viendra donc à expiration le 1er août 2017. Le brevet 630 a été accordé le 4 décembre 2012 et est maintenant inscrit au registre des brevets en lien avec le médicament REMICADE® (infliximab) vendu par Janssen. Il a été inscrit au registre le 6 décembre 2012.

[5]               En 2015, Celltrion a soumis un supplément à une présentation de drogue nouvelle (SPDN) demandant l’approbation des autres utilisations d’INFLECTRA dans le traitement des maladies liées aux différentes formes de maladies inflammatoires chroniques de l’intestin (MICI), notamment la maladie de Crohn, la maladie de Crohn fistulisée et la colite ulcéreuse (collectivement, les indications pour la MICI).

[6]               Le 20 juillet 2015, Celltrion a signifié à Janssen un avis d’allégation (AA) conformément au Règlement MBAC au motif qu’aucune des utilisations prévues (les indications pour la MICI) ne contreferait le brevet 630. Le 2 septembre 2015, Janssen a déposé la présente demande afin d’obtenir une ordonnance d’interdiction.

[7]               Dans son AA, Celltrion décrit en détail les raisons pour lesquelles elle ne contreviendra pas au brevet 630. Essentiellement, Celltrion soutient qu’aucune des utilisations prévues (c’est-à-dire les indications pour la MICI) n’est mentionnée dans les revendications du brevet 630 et que les utilisations pour lesquelles le brevet 630 est vendu par Janssen se limitent aux indications pour la PR. Comme il est mentionné, Celltrion a reçu un AC pour les indications pour la PR. Les indications pour la PR ne sont pas concernées par la requête, malgré les prétentions de Janssen.

I.                   Le Règlement MBAC

[8]               La Cour peut radier une demande en totalité ou en partie en vertu du paragraphe 6(5) du Règlement MBAC qui se lit comme suit :

6(5) Sous réserve du paragraphe (5.1), lors de l’instance relative à la demande visée au paragraphe (1), le tribunal peut, sur requête de la seconde personne, rejeter tout ou partie de la demande si, selon le cas :

6(5) Subject to subsection (5.1), in a proceeding in respect of an application under subsection (1), the court may, on the motion of a second person, dismiss the application in whole or in part

a) les brevets en cause ne sont pas admissibles à l’inscription au registre;

(a) in respect of those patents that are not eligible for inclusion on the register; or

b) il conclut qu’elle est inutile, scandaleuse, frivole ou vexatoire ou constitue autrement, à l’égard d’un ou plusieurs brevets, un abus de procédure.

(b) on the ground that it is redundant, scandalous, frivolous or vexatious or is otherwise an abuse of process in respect of one or more patents.

(5.1) Lors de l’instance relative à la demande visée au paragraphe (1), le tribunal ne peut rejeter tout ou partie de la demande pour la seule raison qu’un brevet inscrit sur une liste de brevets présentée avant le 17 juin 2006 n’est pas admissible à l’inscription au registre.

(5.1) In a proceeding in respect of an application under subsection (1), the court shall not dismiss an application in whole or in part solely on the basis that a patent on a patent list that was submitted before June 17, 2006 is not eligible for inclusion on the register.

[9]               L’approche à appliquer à une requête en vertu du paragraphe 6(5) du Règlement MBAC a été utilement résumée dans un certain nombre de précédents, mais plus récemment dans la décision Bayer Inc. c. Pharmaceutical Partners of Canada Inc., 2015 CF 388. Dans cette décision, le protonotaire Roger R. Lafrenière a fait les observations suivantes concernant l’objectif et l’application du paragraphe 6(5) du Règlement MB(AC), déclarant ce qui suit :

[16]      L’objet du paragraphe 6(5) est de permettre à la Cour de statuer rapidement sur les demandes sans fondement présentées par des premières personnes n’ayant aucune d’avoir gain de cause à l’audience. Les parties conviennent que le rejet d’une demande au titre de l’alinéa 6(5)b) est un redressement extraordinaire qui ne sera accordé que si la demande est « manifestement futile » ou qu’il est « évident et manifeste » qu’elle n’a aucune chance d’être accueillie : Sanofi-Aventis Canada Inc c Novopharm Ltd, 2007 CAF 163 [Sanofi-Aventis], aux paragraphes 28 et 36. C’est la partie qui présente la requête fondée sur l’alinéa 6(5)b) qui assume seule le fardeau de la preuve : Pfizer Canada Inc c Apotex Inc., 2009 CF 671, au paragraphe 33.

[17]      La seconde personne peut demander le rejet de la demande de la première personne en vertu de l’alinéa 6(5)b) au motif que la preuve par affidavit présentée par cette dernière ne suffit pas à prouver que les allégations de contrefaçon de la seconde personne sont injustifiées : Novopharm Limited c Sanofi-Aventis Canada Inc., 2007 CAF 167 [Novopharm], au paragraphe 13. Pour rendre une telle décision, le juge des requêtes doit pouvoir tirer les conclusions de fait nécessaires, en les considérant de la manière la plus favorable à la première personne, et appliquer le droit aux faits.

[18]      La requête en rejet ne sera accueillie que s’il est évident qu’il n’existe aucune cause défendable, eu égard au fond de la demande. La démarche de la Cour ne doit ressembler en rien à l’instruction de l’action liée aux affidavits contradictoires pour évaluer la solidité de la thèse de chaque partie.

II.                Thèses des parties

A.                Janssen

[10]           Pour sa part, Janssen invoque une pléthore de décisions pour affirmer que, dans le cas de questions complexes d’interprétation de la loi, où des questions portent sur l’interprétation des revendications d’un brevet et d’autres éléments semblables, elle devrait être autorisée à procéder à une audience à la lumière d’un dossier complet. Parmi les nombreux précédents cités par Janssen, qui ont tous été pris en considération, mentionnons les suivants : décision Safilo Canada Ltd c. Contour Optik Inc., 2004 CF 1534; arrêt Compagnie pharmaceutique Procter & Gamble Canada c. Canada (Ministre de la Santé) (C.A.), [2003] 1 C.F. 402.

[11]           Janssen fait également valoir que, dans une requête déposée en vertu du paragraphe 6(5), aucun fardeau n’est imposé à Janssen et qu’il incombe entièrement à Celltrion de démontrer que la demande n’a évidemment et manifestement aucune chance d’être accueillie. Pour soutenir cette proposition, Janssen cite notamment la décision Pfizer Canada Inc. c. Apotex Inc., 2009 CF 671. Ce point a été soulevé par Janssen, dans une certaine mesure en réponse au fait que les éléments de preuve déposés par Janssen en réponse à la présente requête étaient peu nombreux. Janssen soutient que, puisque le fardeau de la preuve ne lui est pas imposé, elle n’a pas à soumettre d’éléments de preuve pour soutenir sa position et qu’elle se fie entièrement au dossier de requête de Celltrion, aux contre-interrogatoires et à l’avis de demande.

[12]           Janssen soutient que la requête en l’espèce est extrêmement compliquée et qu’il y a plusieurs questions nouvelles à trancher. Plus particulièrement, Janssen fait valoir qu’il y a au moins cinq questions importantes et distinctes en jeu dans la présente demande, dont plusieurs portent sur des questions d’interprétation de la loi et des questions de droit et de fait qui ne peuvent pas simplement être tranchées dans une requête interlocutoire comme en l’espèce, sans le bénéfice d’un dossier complet.

[13]           Janssen soutient que les éléments de preuve déposés par Celltrion dans la présente requête, à savoir un affidavit de M. Bon Joong Kim, membre de la division des affaires réglementaires au sein de Celltrion (l’affidavit Kim), et un affidavit de M. Steven Sullivan (l’affidavit Sullivan), gastro-entérologue, ne sont d’aucune aide dans cette requête. Janssen fait valoir que les éléments de preuve de ces deux personnes ne sont nullement utiles à la Cour dans l’interprétation des revendications du brevet 630. L’affidavit Kim traite de questions réglementaires, du moment du dépôt des présentations de drogue nouvelle, de la présentation de drogue nouvelle et des approbations demandées par Celltrion pour INFLECTRA. L’affidavit Sullivan porte sur les différences entre les indications pour la PR et les indications pour la MICI et souligne le fait que les gastro-entérologues diagnostiquent et traitent des maladies figurant dans les indications pour la MICI, qui sont distinctes des indications pour la PR du point de vue médical. En outre, c’est un rhumatologue qui prescrirait INFLECTRA pour les maladies figurant dans les indications pour la PR.

[14]           Même si elle soutient que le fardeau de la preuve ne lui revient pas, Janssen a quand même déposé deux affidavits en réponse aux éléments de preuve soumis par Celltrion. Janssen a déposé l’affidavit de Mme Jane P. Castoris, présidente de Regulatory Solutions Inc. (l’affidavit Castoris), consultante de l’industrie des produits pharmaceutiques, des produits de santé naturels et des dispositifs médicaux, et l’affidavit de la Dre Janet E. Pope (l’affidavit Pope), rhumatologue.

[15]           L’affidavit Castoris a fourni des éléments de preuve concernant les renvois, dans le SPDN de Celltrion, aux études portant sur les indications pour la PR, dans le but d’obtenir l’approbation des nouvelles indications pour la MICI. En outre, cet affidavit comporte des opinions concernant l’utilisation des renseignements sur la PR tirés de la première présentation de drogue nouvelle en ce qui concerne l’innocuité liée au SPDN. Après avoir examiné la présentation de drogues nouvelles et le SPDN, l’affidavit Castoris conclut que le médicament utilisé pour traiter les patients atteints de PR, pour lequel Celltrion détient un AC, est le même médicament qui est utilisé pour traiter les patients atteints de MICI.

[16]           L’affidavit Pope porte sur les pratiques de prescription d’INFLECTRA des rhumatologues canadiens et sur la question de savoir s’il y a un chevauchement entre les pratiques de prescription aux patients atteints à la fois de polyarthrite rhumatoïde et d’une maladie gastro-intestinale. En tant que rhumatologue, ses éléments de preuve reposent sur le fait qu’il existe un certain chevauchement entre le traitement des indications pour la PR et le traitement des indications pour la MICI chez un petit nombre de patients. Janssen insiste également sur le fait que l’étiquetage du produit de Celltrion sera le même, peu importe l’indication pour laquelle le médicament est prescrit. L’affidavit Pope fait état d’un petit nombre de patients qui sont atteints à la fois de PR et de MICI et qui pourraient recevoir INFLECTRA pour traiter ces maladies. Toutefois, il est clair, à la lumière de l’affidavit Pope, que les rhumatologues traitent les patients atteints de PR avec l’infliximab pour la PR, alors que les gastro-entérologues traitent les patients atteints de MICI avec l’infliximab. Ce médicament est prescrit par différents spécialistes, pour différents usages et à différentes doses, et il est administré dans les cas de PR avec le méthotrexate.

[17]           Janssen soutient que selon les éléments de preuve présentés à la Cour, Celltrion n’a pas réussi et ne peut pas réussir à s’acquitter du lourd fardeau de la preuve dans une requête déposée en vertu de l’alinéa 6(5)b). Un redressement en vertu de l’alinéa 6(5)b) ne doit être accordé que dans des circonstances exceptionnelles [voir par exemple Nycomed Gmbh c. Canada (Santé), 2008 CF 330].

[18]           En outre, puisque la présente requête nécessite l’interprétation du Règlement MBAC, une requête sommaire ne se prête pas à la détermination des questions complexes d’interprétation législative. Pour cette proposition, elle cite la décision Apotex Inc. v. Merck & Co. Inc., 2004 FC 1452. Toutefois, ce précédent se distingue par le fait qu’il porte sur l’interprétation de l’article 8 et qu’il s’agissait d’une action et non d’une demande. Elle cite également la jurisprudence qui suggère qu’une interprétation appropriée des articles du Règlement MBAC ne devrait être faite que dans les circonstances où il existe une autorité claire pour soutenir l’interprétation ou une autorité claire pour trancher. Elle soutient que les faits en l’espèce ne donnent pas lieu au redressement demandé dans la requête.

[19]           La première question d’interprétation des lois soulevée par Janssen concerne le paragraphe 5(2) du Règlement MBAC. Le paragraphe 5(2) est libellé comme suit :

5(2)      Dans le cas où la seconde personne dépose un supplément à la présentation visée au paragraphe (1), en vue d’obtenir un avis de conformité à l’égard d’une modification de la formulation, d’une modification de la forme posologique ou d’une modification de l’utilisation de l’ingrédient médicinal, lequel supplément, directement ou indirectement, compare celle-ci à une autre drogue commercialisée sur le marché canadien aux termes de l’avis de conformité délivré à la première personne et à l’égard duquel une liste de brevets a été présentée — ou y fait renvoi —, cette seconde personne doit, à l’égard de chaque brevet ajouté au registre pour cette autre drogue, inclure dans son supplément

5(2)      If a second person files a supplement to a submission referred to in subsection (1) seeking a notice of compliance for a change in formulation, a change in dosage form or a change in use of the medicinal ingredient and the supplement directly or indirectly compares the drug with, or makes reference to, another drug that has been marketed in Canada under a notice of compliance issued to a first person and in respect of which a patent list has been submitted, the second person shall, in the supplement, with respect to each patent on the register in respect of the other drug.

(emphasis added)

[20]           Janssen soutient que la comparaison pertinente qui doit être effectuée pour le paragraphe 5(2) du Règlement MBAC concerne le médicament générique et le médicament novateur. À la lumière de son analyse du paragraphe 5(2), la position de Janssen est que la comparaison doit se faire entre les médicaments et non entre les utilisations des médicaments. Pour ces seuls motifs, Janssen soutient que l’approche d’interprétation de ce paragraphe par Celltrion est vouée à l’échec (voir la décision Apotex Inc. c. Canada (Ministre de la Santé), 2004 CF 650 et la décision AstraZeneca Canada Inc. v Canada (Minister of Health), [2006 2 FCR 560]).

[21]           Toutefois, les précédents cités par Janssen ne portent pas directement sur la question. La décision Apotex était un contrôle judiciaire portant sur l’admissibilité à la liste des brevets. La Cour a déterminé que les questions soulevées dans le contrôle judiciaire étaient appropriées dans le contexte des procédures d’interdiction et s’abstenaient spécifiquement de déterminer l’interprétation appropriée du Règlement MBAC. La Cour a observé que le paragraphe 5(1) du Règlement MBAC fait référence aux médicaments et non aux utilisations d’un produit. Toutefois, le paragraphe 5(3), sur lequel se fonde Celltrion, réfère spécifiquement à l’« utilisation de la drogue ».

[22]           La décision AstraZeneca n’est pas utile à Janssen puisqu’il s’agit d’une décision portant sur la bioéquivalence des médicaments et non sur l’utilisation des médicaments.

[23]           Janssen soulève deux autres questions d’interprétation des lois. L’une de ces questions porte sur l’argument selon lequel Celltrion n’a pas comparé son médicament au médicament nommé dans le brevet 630. Dans son AC, Celltrion s’est uniquement penchée sur la question des indications pour la MICI et n’a pas abordé la question des indications pour la PR. Cette question se fond à la troisième question sur l’interprétation des lois, dans laquelle Janssen fait référence à l’exception du [traduction] « gel du registre » dans le Règlement MBAC. Celltrion n’avait pas à tenir compte de la question du brevet 630 en regard de son SPDN initial puisqu’il a été soumis avant l’inscription du brevet 630 au registre. Maintenant que le brevet 630 a été enregistré, le Règlement MBAC exige que Celltrion tienne compte du brevet 630.

[24]           Enfin, Janssen soutient qu’aucun élément de preuve présenté à la Cour ne pourrait aider à l’interprétation des revendications du brevet 630. Le brevet 630 comporte 42 revendications portant sur diverses compositions pharmaceutiques et médicaments destinés à différentes utilisations. À cette fin, pour que cette demande ait la moindre chance d’être accueillie, on fait valoir que la Cour doit déterminer que le médicament de Celltrion n’enfreindra pas les revendications du brevet 630. Pour ce faire, Janssen a cité une jurisprudence abondante pour soutenir la proposition selon laquelle bien que la décision relative à l’interprétation des revendications du brevet revient à la Cour, cela doit se faire à partir d’opinions d’experts (voir par exemple l’arrêt Procter & Gamble Inc. c. Unilever PLC, [1995] A.C.F. no 1005 et l’arrêt Cobalt Pharmaceuticals Company c. Bayer Inc., 2015 CAF 116). Dans l’arrêt Bayer, le juge Davis Stratas a fait les observations suivantes :

[17]      De façon générale, un tribunal lit presque toujours un brevet à travers les lentilles que lui fournissent les experts que le juge considère comme crédibles et exacts. À cause de cela, en pratique, c’est souvent la norme de contrôle de l’erreur manifeste et dominante qui s’applique. La Cour reconnaît cette réalité concrète depuis déjà un certain temps :

Bien que l’interprétation d’un brevet incombe au tribunal, celui‑ci ne doit pas aborder le brevet comme s’il s’agissait d’un contrat ou d’une loi ordinaire, par exemple, il doit se servir des connaissances d’une personne qualifiée dans la mesure où ces connaissances sont expliquées dans les témoignages d’experts acceptés au procès. En résumé, l’interprétation est fortement axée sur les preuves déposées par une personne versée dans l’art.

(Procter & Gamble Inc. c. Unilever PLC, [1995] A.C.F. no 1005 (QL) (C.A.F.), au paragraphe 10)

[25]           Plus particulièrement, le juge Stratas utilise l’expression « presque toujours ». Il existe des circonstances que la Cour n’a pas besoin de lire à travers les lentilles que lui fournit un expert. À mon avis, nous sommes ici en présence de circonstances où les éléments de preuve d’experts ne sont pas requis, comme nous le verrons ci-dessous.

[26]           Bien que Janssen ait avancé d’autres arguments, il s’agit des principales questions soulevées.

B.                 Celltrion

[27]           Pour sa part, Celltrion soutient que la demande en l’espèce ne peut s’appliquer qu’aux allégations d’absence de contrefaçon dans l’AA et que ces allégations ne concernent que les indications pour la MICI. Celltrion fait valoir que le Règlement MBAC soutient cette approche en ce sens que le sous-alinéa 5(2)b)(iv) est rédigé comme suit :

5(2)b)(iv)         elle ne contreferait aucune revendication de l’ingrédient médicinal, revendication de la formulation, revendication de la forme posologique ni revendication de l’utilisation de l’ingrédient médicinal en fabriquant, construisant, utilisant ou vendant la drogue pour laquelle le supplément est déposé. [Non souligné dans l’original.]

Cela signifie que, comme le soutient Celltrion, les indications pour la MICI ne peuvent pas transgresser les revendications du brevet 630 puisque toutes les revendications du brevet 630 visent le traitement des indications pour la PR. En outre, Celltrion note que Janssen, dans l’avis de demande, ne fait pas valoir que les indications pour la MICI contrefont les revendications du brevet 630.

[28]           Comme il est indiqué ci-dessus, l’opinion générale concernant les éléments de preuve soumis dans la requête est que les indications pour la PR et les indications pour la MICI sont distinctes sur le plan médical. Les patients atteints de PR qui recevraient habituellement le médicament de Celltrion seraient orientés vers un rhumatologue pour obtenir un traitement, alors que les patients atteints d’une MICI seraient orientés vers un gastro-entérologue. Janssen s’est efforcée de démontrer qu’il pourrait y avoir un chevauchement chez les patients recevant le médicament de Celltrion pour la PR et pour une MICI. Toutefois, ces patients ont une importance mineure puisque dans les contre-interrogatoires, un seul scénario a été proposé et on a reconnu que les patients atteints à la fois de ces deux maladies sont rares.

[29]           Celltrion soutient également que le Règlement MBAC est conçu pour prévenir la contrefaçon et appuie cette interprétation sur l’arrêt Bristol-Myers Squibb Co. c. Canada (Procureur général), 2005 CSC 26, où la Cour a déclaré :

Deuxièmement, ce ne sont pas toutes les utilisations de l’invention brevetée qui déclencheront l’application du Règlement ADC. Le paragraphe 55.2(4) est expressément destiné à prévenir la contrefaçon par les personnes qui utilisent « l’invention brevetée » en se prévalant des exceptions relatives aux « travaux préalables » et à l’« emmagasinage » susmentionnées aux par. 55.2(1) et 55.2(2). Voilà tout ce que le gouverneur en conseil est autorisé à réglementer.

(L’exception relative à l’emmagasinage a été abrogée par L.C. 2001, ch. 10, par. 2(1), sanctionnée le 14 juin 2001.)

[30]           Aux fins de la disposition, le présent résumé des arguments de Celltrion est suffisant.

III.             Analyse et conclusion

[31]           Cette requête a pris presque deux jours et s’apparentait à plaider une demande intégrale présentée en vertu du Règlement MBAC au fond. Puisqu’il s’agit d’une demande présentée en vertu du Règlement MBAC, avec le délai prescrit de deux ans y afférents, il faut publier les motifs de la décision sans toutefois examiner intégralement les arguments détaillés présentés par les deux parties dans la présente décision. À mon avis, les motifs mentionnés aux présentes abordent adéquatement les positions des parties.

[32]           Par conséquent, pour ces brefs motifs, la requête est accueillie, mais selon les conditions précises indiquées ci-dessous.

[33]           À mon avis, un grand nombre des arguments de Janssen qui, à première vue, semblaient substantiels, ne résistent pas à un examen poussé.

[34]           Il faut se rappeler que la prémisse sous-jacente du Règlement MBAC est d’empêcher la contrefaçon. Ce qui rend unique le cas qui nous occupe est le fait que Celltrion détient actuellement un AC pour les indications pour la PR. Cet AC demeure en vigueur et aucun tribunal n’a été saisi pour l’annuler.

[35]           À première vue, les revendications du brevet 630, sans devoir avoir recours aux éléments de preuve d’un expert, porte spécifiquement et directement sur les indications pour la PR, et seulement sur ces indications. Par exemple, la revendication 17 contient ce qui suit : [traduction] «... aux fins d’utilisation comme traitement d’appoint en association avec un médicament contenant du méthotrexate chez les patients atteints de polyarthrite rhumatoïde... ». [Non souligné dans l’original.]  Les termes désignant les indications pour la PR sont utilisés dans le brevet 630. Les revendications ne font référence à rien d’autre que les indications pour la PR.

[36]           Toutefois, dans les préambules des revendications, le brevet 630 mentionne la maladie de Crohn en plus des indications pour la PR, comme suit :

[traduction] Par conséquent, dans une première forme, l’invention fait référence à une méthode de traitement et/ou de prévention de la polyarthrite rhumatoïde chez une personne par l’administration concomitante d’un anticorps anti-TNF ou d’un fragment de cet anticorps et de méthotrexate en quantités efficaces sur le plan thérapeutique. Dans la deuxième forme, l’invention fait référence à une méthode de traitement et/ou de prévention de la maladie de Crohn chez une personne par l’administration concomitante d’un anticorps anti-TNF ou d’un fragment de cet anticorps et de méthotrexate en quantités efficaces sur le plan thérapeutique. Dans la troisième forme, l’invention fait référence à une méthode de traitement et/ou de prévention d’autres maladies autoimmunes et/ou de maladies immunitaires chroniques associées à une greffe par l’administration concomitante chez une personne d’un anticorps anti-TNF ou d’un fragment de cet anticorps et de méthotrexate en quantités efficaces sur le plan thérapeutique.

[37]           Nonobstant cette référence, les revendications sont les fondements d’une possible revendication de contrefaçon de brevet viable et valide. Les revendications du brevet 630 ne mentionnent et ne tiennent compte que de la polyarthrite rhumatoïde. Ainsi, il n’est pas nécessaire de disposer d’éléments de preuve d’un expert pour interpréter les revendications du brevet 630. Il suffit de lire les revendications du brevet 630 qui, selon une interprétation ordinaire, à première vue, ne se rapportent qu’aux indications pour la PR et à aucune autre indication. Elles n’abordent aucunement les indications pour la MICI et n’y font pas allusion. Ainsi, malgré les efforts de l’avocat pour convaincre la Cour du contraire, advenant que Celltrion obtienne un AC pour son SPDN, elle ne pourrait pas contrefaire les revendications du brevet 630.

[38]           Ce seul motif devrait être suffisant pour trancher la requête. Toutefois, Janssen a soulevé des questions concernant l’application et l’interprétation du Règlement MBAC. Plus particulièrement, la question de savoir si le Règlement MBAC dicte qu’un fabricant de médicaments génériques doit faire mention du médicament, mais pas des utilisations prévues du médicament. Tel que cela est précité, Janssen fonde la proposition sur Apotex. Toutefois, après une lecture attentive du cas, j’ai constaté qu’il n’abordait pas la question en l’espèce et que le commentaire concernant le lien entre les médicaments était un commentaire émis en passant par le juge de première instance et constitue une remarque incidente.

[39]           Il ne fait aucun doute qu’au paragraphe 5(2) du Règlement MBAC on fait référence à une « drogue » et non à l’utilisation de la drogue, à l’exception du mot « drogue » au sous‑alinéa 5(2)b)(iv), qui mentionne spécifiquement « pour laquelle le supplément est déposé », et plus loin, au sous-alinéa 5(3)b)(i), mentionnant « de l’utilisation de la drogue visée par la présentation ou le supplément ». À mon avis, puisque l’objectif sous-jacent du Règlement MBAC est la prévention de la contrefaçon, il est logique, sur le plan contextuel, que si une demande fait référence à une utilisation d’un médicament qui ne constitue pas une contrefaçon et, qu’au sens ordinaire des revendications du brevet, ces utilisations ne constituent pas une contrefaçon, la question devrait être close. Le paragraphe 5(3) fait spécifiquement référence à l’utilisation de la drogue.

[40]           Bien que Janssen soutienne que ces interprétations du Règlement MBAC ne devraient pas être présentées dans des requêtes, mais plutôt dans un dossier complet présenté devant le juge du fond, il n’y avait aucune indication d’éléments de preuve supplémentaires qui pourraient être déposés devant le juge du fond. À mon avis, il n’est pas nécessaire de disposer des éléments de preuve d’un expert pour fournir à la Cour une perspective des revendications du point de vue d’une personne versée dans l’art. Le Règlement MBAC ne changera pas et les faits liés aux revendications en litige ne changeront pas. Autrement dit, la présentation de drogue nouvelle se rapporte aux indications pour la MICI et les revendications du brevet 630 ne couvrent que les indications pour la PR.

[41]           Nonobstant les arguments solides de l’avocat de Janssen, je ne suis pas persuadé que les questions se rapportant à l’interprétation du Règlement MBAC devraient faire l’objet d’une audience. Dans ces circonstances, l’objectif du paragraphe précité est d’assurer une interprétation téléologique du Règlement MBAC, des utilisations du médicament et de la détermination de toute possibilité de contrefaçon des revendications. À mon avis, cette issue est en phase avec la mise en garde émise par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt récent Hryniak c. Mauldin [2014] 1 L.R.C. 87, où la juge Karakatsanis a déclaré ceci aux paragraphes 1 et 2 :

De nos jours, garantir l’accès à la justice constitue le plus grand défi à relever pour assurer la primauté du droit au Canada. Les procès sont de plus en plus coûteux et longs. La plupart des Canadiens n’ont pas les moyens d’intenter une action en justice lorsqu’ils subissent un préjudice ou de se défendre lorsqu’ils sont poursuivis; ils n’ont pas les moyens d’aller en procès. À défaut de moyens efficaces et accessibles de faire respecter les droits, la primauté du droit est compromise. L’évolution de la common law ne peut se poursuivre si les affaires civiles ne sont pas tranchées en public.

On reconnaît de plus en plus qu’un virage culturel s’impose afin de créer un environnement favorable à l’accès expéditif et abordable au système de justice civile. Ce virage implique que l’on simplifie les procédures préalables au procès et que l’on insiste moins sur la tenue d’un procès conventionnel et plus sur des procédures proportionnées et adaptées aux besoins de chaque affaire. L’équilibre entre la procédure et l’accès à la justice qu’établit notre système de justice doit en venir à refléter la réalité contemporaine et à reconnaître que de nouveaux modèles de règlement des litiges peuvent être justes et équitables.

[42]           Janssen soutient que la monographie proposée pour le produit pharmaceutique de Celltrion fait également mention des indications pour la PR et qu’elle contrefait les revendications 1 à 42 du brevet 630. Le problème de cet argument est que Celltrion détient déjà un AC pour ce médicament pour les indications pour la PR. Les indications pour la PR ne sont pas en cause dans la présente instance. Janssen a intenté une action en contrefaçon contre Celltrion pour les indications pour la PR. Il s’agit d’une autre action qui n’a pas de répercussions sur la présente instance.

[43]           Fait intéressant, dans sa demande, Janssen n’allègue pas que les indications pour la MICI contrefont les revendications du brevet 630. Cela s’explique par le fait qu’à la lumière d’une simple lecture des revendications, on constate qu’elles ne font pas référence aux indications pour la MICI et que, quoi qu’il en soit, il n’y aurait aucune contrefaçon. Aucune preuve de contrefaçon n’a été déposée devant la Cour dans la présente requête. Le seul argument que Janssen peut avancer au sujet de la contrefaçon figure au paragraphe 105 de ses observations écrites, où elle fait valoir ce qui suit :

[traduction] Toutefois, l’argument de Celltrion [à savoir, l’absence de contrefaçon] est également en contradiction avec les revendications du brevet 630 qui se rapporte aux compositions pharmaceutiques et aux fabrications de médicaments. En ce qui concerne ces revendications, même selon l’interprétation de Celltrion, il y aurait une contrefaçon des revendications puisque Celltrion fabriquerait INFLECTRA aux fins d’utilisation pour la PR et qu’il serait ensuite vendu et utilisé pour la PR. Il s’agit d’une contrefaçon directe.

[44]           Toutefois, puisque Celltrion détient déjà un AC pour l’indication pour la PR, cet argument ne résiste pas à un examen poussé. Bien que d’autres arguments aient été soulevés, à mon avis, ces arguments n’auraient aucune incidence sur le résultat final et ces motifs sont suffisants pour trancher la question.

[45]           Dans ces circonstances, je ne suis pas persuadé que cette question devrait être entendue en audience. Pour en venir à cette conclusion, j’ai pris en considération et examiné la jurisprudence pertinente relative aux requêtes du paragraphe 6(5) et aux nombreux précédents portant sur les procédures de radiation, dont l’arrêt Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 R.C.S. 959 et la décision David Bull Laboratories (Canada) Inc. c. Pharmacia Inc., [1995] 1 CF 588 (C.A.). Toutefois, compte tenu des ramifications de cette décision, je surseoirai l’ordonnance en l’espèce pendant 30 jours pour permettre à Janssen de prendre les mesures qu’elle juge appropriées.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.                  La requête est accueillie et la présente demande est radiée.

2.                  L’ordonnance est suspendue pendant 30 jours à compter de la date de l’ordonnance.

3.                  Celltrion a droit aux dépens pour la présente requête et la présente instance. Sauf si les parties parviennent à s’entendre, Celltrion déposera ses observations sur les coûts en se limitant à trois pages à doubles interlignes et fera également parvenir une ébauche du mémoire des dépens dans un délai de 15 jours suivant l’expiration de la suspension. Janssen soumettra ses observations en se limitant à trois pages à doubles interlignes dans les 10 jours suivants. Celltrion aura 10 jours pour soumettre ses observations en réponse en se limitant à une page à doubles interlignes.

« Kevin R. Aalto »

Juge chargé de la gestion de l’instance


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1478-15

INTITULÉ :

JANSSEN INC. c. CELLTRION HEALTHCARE CO., LTD ET LE MINISTRE DE LA SANTÉ ET, THE KENNEDY TRUST FOR RHEUMATOLOGY RESEARCH

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 FÉVRIER 2016

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE PROTONOTAIRE AALTO

DATE :

LE 10 MAI 2016

COMPARUTIONS :

Andrew Skodyn

Melanie Baird

Pour la demanderesse

JANSSEN INC.

Warren Sprigings

Christopher Tan

POUR LA DÉFENDERESSE

CELLTRION HEALTHCARE CO., LTD

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lenczner Slaght Royce Smith Griffin LLP

Avocats

Pour la demanderesse

JANSSEN INC.

Sprigings Intellectual Property Law

Avocats

Pour la défenderesse

CELLTRION HEALTHCARE CO., LTD

Ministère de la Justice

William F. Pentney, c.r.

Pour le défendeur

LE MINISTRE DE LA SANTÉ

Lenczner Slaght Royce Smith Griffin LLP

Avocats

Pour le défendeur/BREVETÉ

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.