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Date : 20160602


Dossier : T-1230-15

Référence : 2016 CF 615

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 2 juin 2016

En présence de monsieur le juge Barnes

ENTRE :

NORITSSA KARADEOLIAN

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La présente demande vise à contester une décision rendue par la Division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale du Canada [le Tribunal], qui a refusé à la demanderesse l’autorisation d’interjeter appel du refus de la Division générale de lui accorder des prestations d’invalidité du Régime de pensions du Canada [RPC], en vertu de l’article 58 de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social, L.C. 2005, ch. 34 [la Loi].

I.                   Contexte

[2]               Mme Karadeolian a été blessée dans un accident de voiture en 1996. Selon ses observations, ses blessures l’ont empêché de retourner immédiatement au travail, mais à partir de l’an 2000, elle a occupé un emploi de couturière. Entre 2005 et 2010, elle repassait et suspendait des vêtements, apparemment à temps plein. En avril 2010, elle a cessé de travailler en raison de douleurs chroniques, de maux de tête et d’engourdissement.

[3]               Mme Karadeolian a présenté une demande de prestations d’invalidité du RPC en avril 2011. Sa demande a été refusée le 7 octobre 2011 pour les motifs suivants :

[traduction]


Nous avons examiné tous les renseignements et documents contenus dans votre dossier, y compris les rapports suivants :

•           Votre demande et votre questionnaire;

•           Le rapport de votre médecin de famille daté du 11 mai 2011, et toute la documentation qui l’accompagne.

Nous reconnaissons que vous avez constaté des limitations résultant de douleurs au cou et aux bras, d’anxiété et de dépression. Toutefois, nous avons aussi tenu compte des facteurs suivants :

•           Les renseignements au dossier indiquent que vous souffrez depuis longtemps de douleurs aux bras et dans le haut du dos. Vous avez été en mesure d’exercer un emploi rémunéré avec ces douleurs par le passé.

•           Il n’y a aucun élément de preuve au dossier montrant un problème orthopédique ou neurologique grave.

•           Nous reconnaissons que vous vous plaignez constamment de douleurs. Un programme complet de contrôle de la douleur a été recommandé. Aucun renseignement au dossier ne montre de démarches en ce sens.

Bien que vous ne soyez pas en mesure de faire votre travail habituel, nous avons conclu que vous devriez néanmoins être en mesure de faire certains types de travaux. Par conséquent, vous ne répondez pas aux critères d’invalidité grave et prolongée.

[4]               Mme Karadeolian a réclamé sans succès le réexamen de la décision de rejeter sa demande de prestations puis a interjeté appel à la Division générale. Une fois encore, sa demande a été rejetée au motif que, nonobstant ses limites fonctionnelles, elle était en mesure de se reconvertir pour occuper un [traduction] « emploi sédentaire convenable ». Son invalidité n’était donc pas « grave » et le rejet de sa demande de prestations a été maintenu.

[5]               Mme Karadeolian a ensuite déposé une demande de permission d’en appeler au Tribunal. Elle a affirmé qu’elle était incapable de faire un travail sédentaire. Elle a également maintenu que la Division générale avait agi injustement et, qu’avec un seul membre, elle n’était pas légalement constituée.

[6]               Le Tribunal a rejeté sa demande parce que Mme Karadeolian n’a pu indiquer un moyen d’appel qui ait une « chance raisonnable de succès ». La présente de demande de redressement découle de cette décision.

II.                Analyse

[7]               Dans la décision Tracey c. Canada (Procureur général), 2015 CF 1300, 261 ACWS (3d) 505, la juge Sylvie Roussel a abordé la question de la norme de contrôle applicable à une demande d’autorisation d’interjeter appel présentée au Tribunal. Aux fins de la présente demande, j’adopte l’analyse de la juge Roussel reproduite ci-dessous :

[19]      Lorsque la DA‑TSS se prononce sur la question de savoir si la permission d’interjeter un appel devrait être accordée ou refusée, elle interprète sa loi constitutive. Par contraste, sous l’ancien régime qui était ancré dans la common law par le biais de la jurisprudence, le critère que doit appliquer la DA‑TSS lorsqu’elle se prononce sur la question de savoir si l’autorisation d’interjeter un appel doit être accordée ou refusée est maintenant énoncé au paragraphe 58(2) de la LMEDS. L’autorisation d’interjeter un appel est refusée si la DA‑TSS est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès.

[20]      Le paragraphe 58(1) de la LMEDS énumère également les seuls moyens en vertu desquels un appel peut être interjeté : 1) la division générale du Tribunal de la sécurité sociale [DG‑TSS] (auparavant le TR) n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence; 2) la DG‑TSS a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier; 3) la DG‑TSS a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

[21]      À mon avis, la détermination de la question de savoir si une demande d’autorisation d’interjeter un appel a une chance raisonnable de succès relève nettement du champ d’expertise de la DA‑TSS, dont la responsabilité finale, si l’autorisation est accordée, sera de se prononcer sur l’appel au fond, une décision qui sera susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable. Voici ce que la Cour d’appel fédérale a déclaré dans l’arrêt Atkinson c Canada (Procureur général), 2014 CAF 187, au paragraphe 31 :

[31]      À mon avis, les différences de structure, de composition et de mission entre le TSS et la CAP ne réduisent en rien la nécessité d’appliquer une norme de contrôle caractérisée par la retenue lors de l’examen des décisions du TSS. L’une des missions du TSS consiste à interpréter le RPC et à le mettre en application, et, dans le cadre de l’exercice de ses fonctions, le TSS est appelé de façon régulière à appliquer ce texte législatif. En outre, le paragraphe 64(2) de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social restreint également le type de questions de droit ou de fait que le TSS peut trancher concernant le RPC, probablement pour assurer que ce tribunal n’examine que les questions qui relèvent de son champ d’expertise. Il ressort de ces facteurs que l’intention du législateur était que la Cour fasse preuve de retenue à l’égard du TSS étant donné que son champ d’expertise est plus étendu en matière d’interprétation et d’application du RPC.

[22]      Étant donné que la décision finale en appel est susceptible de contrôle selon la norme de la décision raisonnable, la détermination de la question de savoir si l’autorisation d’interjeter un appel devrait être accordée ou refusée devrait également être assujettie à la même norme de contrôle. En outre, je souligne qu’au paragraphe 58(2) de la LMEDS, le législateur a laissé à la DA‑TSS le soin d’être « convaincue » que l’appel a une chance raisonnable de succès. À mon avis, ce libellé vient encore plus appuyer l’argument selon lequel la déférence est de mise envers la DA‑TSS lorsqu’elle se prononce sur la question de savoir si l’autorisation d’interjeter un appel devrait être accordée.

[23]      Finalement, je conclus que la présomption selon laquelle la norme de contrôle est la norme de la décision raisonnable n’a pas été réfutée. À l’occasion de la détermination de la question de savoir si un appel a une chance raisonnable de succès, les questions juridiques soulevées lorsque la DA‑TSS applique sa loi constitutive n’appartiennent pas aux catégories des questions auxquelles la norme de contrôle de la décision correcte s’applique, comme il l’a été énoncé dans l’arrêt Alberta Teachers, précité.

[8]               Il est évident que le Tribunal a appliqué la norme correcte de « chance raisonnable de succès » à la question dont il était saisi. Il a aussi rejeté de façon raisonnable les moyens avancés dans la demande d’autorisation d’interjeter appel de Mme Karadeolian. En particulier, il n’a rien trouvé pour appuyer l’argument selon lequel le rejet de sa demande était injuste ou selon lequel le tribunal n’était pas légalement constitué. L’évaluation faite par le Tribunal du dossier médical et d’invalidité a ensuite été présentée ainsi :

[8]        [traduction] Finalement, la demanderesse a énuméré quelques-unes de ses limitations physiques. La Division générale a décrit les limitations de la demanderesse et en a tenu compte dans sa décision. La répétition de ces renseignements n’est pas un moyen d’appel aux termes de l’article 58 de la Loi sur le ministère de l’Emploi et du Développement social. Si les limitations particulières établies dans la demande d’autorisation d’interjeter appel à la Division d’appel n’ont pas été précisément présentées à l’audience de la Division générale, leur présentation aujourd’hui n’est pas un moyen d’appel qui a une chance raisonnable de succès en appel. L’article 58 de la Loi établit les seuls moyens d’appel qui peuvent être envisagés. La présentation de nouveaux éléments de preuve n’est pas un moyen d’appel qui y est énuméré.

[9]               En plaidoirie, l’avocat de Mme Karadeolian a affirmé que le Tribunal a commis une erreur en n’examinant pas plus en détail le dossier médical afin de déceler des erreurs potentielles d’appréciation de la preuve qui auraient pu être exploitées avec succès en appel. Une certaine latitude était nécessaire pour tenir compte du faible niveau d’instruction de Mme Karadeolian et de son manque de connaissances en droit. La difficulté que présente cet argument est que rien qui soit de la nature d’une erreur potentielle d’appréciation de la preuve n’a été présenté au Tribunal par Mme Karadeolian ou à la Cour par son avocat.

[10]           J’admets que le Tribunal doit s’assurer de ne pas appliquer de façon mécanique le libellé de l’article 58 de la Loi quand il exerce sa fonction de gardien. Il ne doit pas se laisser piéger par les moyens d’appel précis avancés par une partie qui se représente elle-même, comme c’est le cas de Mme Karadeolian. Dans des cas comme celui-ci, le Tribunal doit examiner les éléments de preuve médicale et les comparer à la décision à examiner. Si des éléments de preuve importants ont été laissés de côté ou possiblement mal interprétés, l’autorisation d’interjeter appel doit habituellement être accordée, peu importe l’existence de déficiences techniques dans la demande d’appel.

[11]           En l’espèce, la Division générale a soigneusement examiné le dossier médical de Mme Karadeolian et y a trouvé très peu d’éléments appuyant l’affirmation selon laquelle elle est totalement incapable de travailler. En fait, les rapports médicaux semblent avoir largement fait abstraction de la question de l’employabilité de Mme Karadeolian. Dans le contexte du dossier présenté au Tribunal, rien n’appuyait l’argument selon lequel la Division générale a fait abstraction ou mal interprété des éléments de preuve importants ou commis une erreur dans son appréciation de la preuve. En clair, les arguments de Mme Karadeolian appuyant une invalidité grave et prolongée étaient faibles et peu convaincants, et les décisions de la Division générale et du Tribunal étaient raisonnables.

[12]           Pour les motifs qui précèdent, la demande est rejetée. À juste titre, le défendeur ne demande pas de dépens et aucuns dépens ne sont adjugés.

 


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande.

« R.L. Barnes »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1230-15

 

INTITULÉ :

NORITSSA KARADEOLIAN c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 3 mai 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BARNES

 

DATE DES MOTIFS :

Le 2 juin 2016

 

COMPARUTIONS :

Idowu Thomas

 

Pour la demanderesse

 

Vanessa Luna

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Florence Thomas Law Firm

Waterloo (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Gatineau (Québec)

 

Pour le défendeur

 

 

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