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Date : 20160502


Dossier : T-1391-15

Référence : 2016 CF 482

Ottawa (Ontario), le 2 mai 2016

En présence de monsieur le juge Martineau

ENTRE :

MOHAMED EL HADDADI

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le demandeur recherche l’annulation d’une décision de la division d’appel du Tribunal de la sécurité sociale [DA-TSS], en date du 16 juillet 2015, refusant la permission d’interjeter appel d’une décision de la division générale du Tribunal [DG-TSS]. La DA-TSS a déterminé que l’appel en question n’a aucune chance raisonnable de succès, ce que le demandeur conteste aujourd’hui devant cette Cour. Il désire donc le renvoi de l’affaire à la DA-TSS pour redétermination.

[2]               Le demandeur est un apprenti plombier ayant reçu des prestations d’assurance-emploi durant une première période débutant le 22 juillet 2012 et une seconde période débutant le 21 juillet 2013. Le 27 mars 2014, la Commission de l’assurance-emploi du Canada [Commission] a déterminé que le demandeur n’aurait pas dû recevoir de prestations pour les périodes du 26 février 2013 au 7 avril 2013 et du 3 octobre 2013 au 23 décembre 2013 parce qu’il était absent du Canada. Elle a ordonné au demandeur de rembourser un trop-payé de 9 747 $ et lui a imposé deux pénalités – correspondant à chaque période d’absence du Canada – totalisant 4 874 $ [la pénalité]. Le 26 janvier 2015, suite à une demande de révision, la Commission a réduit de moitié le montant de la pénalité. Le demandeur a fait appel à la DG-TSS.

[3]               Devant la DG-TSS, le demandeur n’a pas contesté le fait qu’il était au Maroc durant les deux périodes d’absence en question. Or, un prestataire doit signaler à Service Canada toute absence hors du pays. Bien que le demandeur était au Maroc du 18 février 2013 au 7 avril 2013 et du 25 septembre 2013 au 23 décembre 2013, il a systématiquement répondu « non » (à onze reprises) à la question suivante du formulaire de demande de prestations : « étiez-vous à l’extérieur du Canada entre le lundi et le vendredi pendant la période visée par cette déclaration ». Le demandeur justifie ses omissions répétées au motif qu’il a mal compris ce qui lui était demandé, car « j’ai pensé plutôt [sic] que vous me demandiez si j’avais travaillé à l’extérieur du Canada en [sic] ce moment-là ».


[4]               Le 4 juin 2015, la DG-TSS a maintenu la décision révisée de la Commission. Elle conclut que le demandeur était inadmissible aux prestations lors de ses absences prolongées du Canada et qu’il n’y avait pas lieu de modifier la pénalité imposée par la Commission. À ce chapitre, la DG‑TSS note dans sa décision :

À l’audience, le prestataire a indiqué qu’il n’avait pas lu la section « droits et responsabilités » au moment de présenter sa demande de prestations d’assurance-emploi. Cette section indique clairement la responsabilité de « déclarer les périodes où vous êtes absent de votre lieu de résidence et tout séjour à l’étranger » (GC-15-748/p. GD3-10) et le prestataire a attesté avoir lu et compris ses droits et ses responsabilités (GE-15-748/p. GD3-12). Le prestataire a aussi indiqué qu’il ne s’agissait pas de sa première demande de prestations d’assurance-emploi. Enfin, le prestataire a indiqué qu’il n’a pas lu les questions au moment de faire ses déclarations comme un mot identifie chacune des sections auxquelles il doit répondre et qu’il sait que la réponse est « non » à toutes les questions sauf à celle sur la disponibilité où il doit répondre « oui ». La question sur les déclarations du prestataire indique « étiez-vous à l’extérieur du Canada entre le lundi et le vendredi pendant la période visée par cette déclaration? ».

Dans Purcell, la Cour a indiqué que « Dans l’arrêt Gates, la Cour a également cité la jurisprudence des juges-arbitres en matière de fardeau de la preuve. D’après cette jurisprudence, c’est au départ à la Commission qu’il appartient de prouver qu’un prestataire a sciemment fait une déclaration fausse ou trompeuse. Mais, à partir du moment où la preuve démontre qu’un prestataire a donné une réponse inexacte à une question très simple ou à des questions figurant sur la carte de déclaration, il y a renversement du fardeau de la preuve et c’est alors au prestataire qu’il appartient d’expliquer l’existence de ses réponses inexactes. Retenant ce raisonnement subsidiaire, le juge Linden explique alors, à la page 22 :

…mais il se peut que l’explication offerte puisse être acceptée facilement. Tout dépend de la preuve, des circonstances et de la décision que prend le juge des faits après les avoir examinées. (Voir par exemple l’arrêt Zysman c. Canada (Commission de l’emploi et de l’immigration), [1994] F.C.J. no 1357 (C.A.) (QL)]). Pour imposer une pénalité au prestataire, le juge des faits doit donc conclure, selon la prépondérance des probabilités, qu’il savait subjectivement que la déclaration était fausse. Il est possible, bien qu’improbable, qu’un prestataire ignore véritablement un fait, même très simple, alors qu’il devrait être connu d’à peu près tout le monde » (Canada (Procureur général) c. Purcell, 1996 CAF A-694-94).

Le Tribunal est d’avis que le prestataire ne peut se contenter d’affirmer qu’il n’avait pas lu ses droits et ses responsabilités, ne lisait pas les questions au moment de sa déclaration et ignorait qu’il devait déclarer un séjour à l’extérieur du Canada, mais croyait qu’il devait déclarer sa situation s’il travaillait à l’extérieur du Canada. Le prestataire indique qu’il est immigrant et de par ce fait, ne comprend pas toutes les subtilités de la Loi sur l’assurance-emploi. Or, le prestataire n’a pas cherché à obtenir de l’information à ce sujet et n’a pas pris la peine de lire les informations données au moment de faire sa demande de prestations.

Ainsi, en se basant sur la preuve et les arguments présentés, le Tribunal est d’avis que, sur une balance des probabilités, le prestataire savait subjectivement que ses déclarations étaient fausses ou trompeuse. Par conséquent, le Tribunal est d’avis qu’une pénalité peut être établie.

Dans Uppal, la Cour a établi que « C’est un principe élémentaire de droit que le juge-arbitre ne peut modifier le montant d’une pénalité sauf s’il peut être établi que la Commission a exercé son pouvoir discrétionnaire d’une manière non conforme à la norme judiciaire ou qu’elle a agi de façon abusive ou arbitraire sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance » (Canada (Procureur général) c. Uppal, CAF #A-341-08).

La Commission a pris en considération le fait que le prestataire a des problèmes financiers et qu’il est en faillite. De ce fait, la Commission a réduit la pénalité imposée à 25% du montant du trop-payé découlant des actes délictueux au lieu de maintenir celle de 50% initialement imposée.

Ainsi, le Tribunal est satisfait que la Commission a exercé son pouvoir discrétionnaire de manière judiciaire. Il ne peut par conséquent, modifier le montant de la pénalité établi par la Commission.

[5]               Le 16 juillet 2015, la DA-TSS a refusé au demandeur la permission de porter en appel la décision de la DG-TSS parce que son appel n’a aucune chance raisonnable de succès. En effet, la DA-TSS est d’avis que le demandeur n’a soulevé aucun des moyens d’appel prévus au paragraphe 58(1) de la Loi sur le ministère de l’emploi et du développement social, LC 2005, c 34 [la Loi], soit un non-respect de la justice naturelle; une erreur de droit ou une erreur de fait.

[6]               Rappelons que les paragraphes 58(1) et (2) de la Loi prescrivent :

58 (1) Les seuls moyens d’appel sont les suivants :

a) la division générale n’a pas observé un principe de justice naturelle ou a autrement excédé ou refusé d’exercer sa compétence;

b) elle a rendu une décision entachée d’une erreur de droit, que l’erreur ressorte ou non à la lecture du dossier;

c) elle a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à sa connaissance.

(2) La division d’appel rejette la demande de permission d’en appeler si elle est convaincue que l’appel n’a aucune chance raisonnable de succès.

58 (1) The only grounds of appeal are that

(a) the General Division failed to observe a principle of natural justice or otherwise acted beyond or refused to exercise its jurisdiction;

(b) the General Division erred in law in making its decision, whether or not the error appears on the face of the record; or

(c) the General Division based its decision on an erroneous finding of fact that it made in a perverse or capricious manner or without regard for the material before it.

(2) Leave to appeal is refused if the Appeal Division is satisfied that the appeal has no reasonable chance of success.

[7]               Devant cette Cour, le demandeur réitère avoir commis une erreur de bonne foi en remplissant sa déclaration d’assurance-emploi, qu’il n’est pas un fraudeur et qu’il avait toujours l’intention de trouver un emploi au Canada pendant ses séjours au Maroc :

9. La question qui est l’objet de ce litige commence par un titre écrit en gras comme suit : Hors Canada, alors chaque fois quand j’étais entrain [sic] de remplir ma déclaration d’assurance-emploi qui je la remplissais rapidement comme d’habitude et dés que j’arrivais à cette question, je lisais rapidement juste le titre qui écrit en gras Hors Canada et je répondais toujours non par ce que toujours je pensais que l’assurance-emploi veut savoir est-ce que je travaillais hors Canada.

[8]               De son côté, le défendeur soumet que la décision de la DA-TSS est raisonnable et constitue une issue acceptable compte tenu de la preuve au dossier et du droit applicable. En effet, un prestataire qui est à l’extérieur du Canada n’a pas droit à des prestations – sauf dans le cadre des exceptions du Règlement – et il ne devrait pas être en mesure d’échapper à ses responsabilités de déclarer ses absences simplement en proclamant son ignorance et qu’il n’a pas lu ou compris la question qui lui était demandée dans le formulaire. D’ailleurs, dans la demande de prestations d’assurance-emploi dûment complétée par le demandeur – qui déclare avoir lu et bien compris ses droits et responsabilités que le demandeur accepte – il est stipulé que « [v]ous devez nous aviser de tous vos déplacements hors du pays » et que « [s]i vous ne dévoilez pas certains éléments d’information, ou si vous faites sciemment une déclaration fausse ou trompeuse, vous commettez une infraction pouvant entraîner un trop-payé et vous vous exposer à de graves pénalités, voire des poursuites ».

[9]               C’est la norme de la décision raisonnable qui s’applique à l’examen d’une décision de la DA-TSS de refuser la permission d’en appeler d’une décision de la DG-TSS (Canada (Attorney General) v Hines, 2016 FC 112 au para 28; Tracey c Canada (Procureur général), 2015 CF 1300 aux para 17, 21-22). La présente demande de contrôle judiciaire doit échouer. Le demandeur se méprend au sujet de la nature du présent contrôle judiciaire, de même que sur la portée limitée des pouvoirs de la DA-TSS – dont le mandat n’est pas de réévaluer l’ensemble de la preuve mais de déterminer si le DG-TSS a violé la justice naturelle ou a commis une erreur de droit ou de fait. Tant lors de son appel devant la DA-TSS qu’aujourd’hui devant cette Cour, le demandeur s’est contenté de réitérer une explication qui a déjà été considérée et rejetée par la DG-TSS et la Commission – à savoir qu’il affirme ne pas avoir compris qu’il devait signaler ses absences à l’extérieur du Canada.

[10]           Le paragraphe 37(b) de la Loi sur l’assurance-emploi, LC 1996, c 23, est clair : « Sauf dans les cas prévus par le règlement, le prestataire n’est pas admissible au bénéfice des prestations pour toute période pendant laquelle il est […] à l’étranger ». Toutefois, l’article 55 du Règlement sur l’assurance-emploi, DORS/96-332, prévoit une exception dans le cas où l’absence du prestataire au Canada est dans le but de « visiter, pendant une période ne dépassant pas 7 jours consécutifs, un proche parent qui est gravement malade ou blessé ». En l’occurrence, la DG-TSS a tenu compte du fait que le demandeur est allé au Maroc pour visiter sa mère qui est gravement malade. Or, la DG-TSS a noté que « la Commission a considéré cette situation puisqu’elle a indiqué avoir accordé au prestataire, une période de 7 jours pour chacun des voyages du prestataire, pour visiter sa mère malade ». Les conclusions de la Commission n’ont pas été sérieusement contestées par le demandeur.

[11]           En outre, selon l’alinéa 38(1)a) de la Loi sur l’assurance-emploi, la Commission peut infliger à un prestataire une pénalité lorsqu’elle prend connaissance de faits qui, à son avis, démontrent que le prestataire a fait sciemment une déclaration fausse ou trompeuse à l’occasion d’une demande de prestations. La Commission doit non seulement être satisfaite que la déclaration est fausse ou trompeuse, mais également qu’elle a été faite sciemment. Il faut donc, sur une balance des probabilités, que le prestataire ait une connaissance du fait qu’il faisait une déclaration fausse ou trompeuse (Mootoo c Canada (Ministre du développement des ressources humaines, 2003 CAF 206). À cet égard, la DG-TSS pouvait s’appuyer sur la preuve au dossier pour inférer que le demandeur savait qu’il faisait une déclaration fausse ou trompeuse et a pleinement justifié sa décision de ne pas modifier la pénalité imposée par la Commission. Le raisonnement de la DG-TSS pour rejeter l’explication du demandeur n’a pas été sérieusement attaqué par le demandeur.

[12]           La conclusion de la DA-TSS à l’effet que l’appel du demandeur n’avait aucune chance raisonnable de succès s’appuyait sur une lecture du dossier et son examen du mérite des prétentions du demandeur. Le demandeur ne prétendait pas avoir été empêché de présenter sa cause, ni que la décision de la DG-TSS était entaché d’une erreur de droit. Restait le troisième moyen d’appel fondé sur une « conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments portés à [la] connaissance [de la DG-TSS] ». Mais, le problème fondamental, c’est que le demandeur ne démontrait pas en quoi la conclusion de fait de la DG‑TSS était erronée ou abusive. Je ne vois donc aucune erreur révisable susceptible de contrôle, qui justifierait cette Cour d’accorder la présente demande de contrôle judiciaire. La DA-TSS n’avait pas à réévaluer l’ensemble de la preuve, mais devait uniquement déterminer si l’appel du demandeur avait une chance raisonnable de succès, compte tenu des moyens qu’il soulevait dans sa demande de permission pour interjeter appel. Même si le demandeur n’est pas d’accord avec le résultat, le refus de la DA-TSS d’accorder la permission d’en appeler appartient aux issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 au para 47).

[13]           La demande de contrôle judiciaire est rejetée sans frais.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée sans frais.

« Luc Martineau »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1391-15

 

INTITULÉ :

EL HADDADI MOHAMED c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 27 avril 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :

LE 2 mai 2016

 

COMPARUTIONS :

Mohamed El Haddadi

 

Pour SON PROPRE COMPTE

Me Mathieu Joncas

 

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Mohamed El Haddadi

St. Leonard (Québec)

 

Pour SON PROPRE COMPTE

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

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