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Date : 20160503


Dossier : T­2030­13

Référence : 2016 CF 492

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 3 mai 2016

En présence de monsieur le juge Phelan

ENTRE :

NEIL ALLARD, TANYA BEEMISH, DAVID HEBERT ET SHAWN DAVEY

demandeurs

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

défenderesse

ORDONNANCE ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               La Cour est saisie d’une requête visant à réexaminer une partie de son ordonnance du 24 février 2016 [l’ordonnance Allard], concluant que le Règlement sur la marihuana à des fins médicales, DORS/2013­119 [RMFM] est inconstitutionnel, accordant au gouvernement du Canada six mois pour promulguer un nouveau règlement sur la marihuana à des fins médicales conforme à la Charte, et entre­temps, à proroger l’ordonnance d’injonction prononcée par le juge Manson [l’ordonnance rendue par le juge Manson].

II.                Contexte

[2]               La requête est présentée en vertu du paragraphe 397(1) des Règles des Cours fédérales, DORS/98­106 qui se lit comme suit :

397 (1) Dans les 10 jours après qu’une ordonnance a été rendue ou dans tout autre délai accordé par la Cour, une partie peut signifier et déposer un avis de requête demandant à la Cour qui a rendu l’ordonnance, telle qu’elle était constituée à ce moment, d’en examiner de nouveau les termes, mais seulement pour l’une ou l’autre des raisons suivantes :

397 (1) Within 10 days after the making of an order, or within such other time as the Court may allow, a party may serve and file a notice of motion to request that the Court, as constituted at the time the order was made, reconsider its terms on the ground that

a) l’ordonnance ne concorde pas avec les motifs qui, le cas échéant, ont été donnés pour la justifier;

(a) the order does not accord with any reasons given for it; or

b) une question qui aurait dû être traitée a été oubliée ou omise involontairement.

(b) a matter that should have been dealt with has been overlooked or accidentally omitted.

(2) [concerne les erreurs administratives – non pertinent en l’occurrence]

(2) [deals with clerical errors – not relevant here]

[3]               Les demandeurs invoquent les deux alinéas a) et b) affirmant que : l’ordonnance Allard, en prorogeant l’ordonnance rendue par le juge Manson, ne concorde pas avec les motifs qui, le cas échéant, ont été donnés pour la justifier et qu’en prorogeant l’ordonnance rendue par le juge Manson, la Cour a oublié ou omis volontairement plusieurs lacunes alléguées dans l’ordonnance rendue par le juge Manson.

[4]               Les lacunes alléguées dans l’ordonnance Allard que les demandeurs prétendent que la Cour aurait dû corriger et dont certaines découlent de la prorogation de l’ordonnance rendue par le juge Manson, sont les suivantes :

a)                  la taille ou l’ampleur de la catégorie des personnes qui devraient être visées au cours de la période de six mois durant laquelle le Canada doit mettre en œuvre un nouveau régime de marihuana à des fins médicales;

b)                  l’incapacité de l’ordonnance rendue par le juge Manson à tenir compte des changements d’adresse;

c)                  le fait de ne pas avoir prononcé de jugement déclaratoire selon lequel l’accès à la marihuana est restreint uniquement à sa forme séchée est contraire à la Charte;

d)                 le fait de ne pas avoir annulé la limite de possession établie à un maximum de 150 grammes;

e)                  le fait de ne pas avoir immédiatement déclarer les articles 4, 5 et 7 de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, L.C. 1996, ch. 19 invalides.

III.             Analyse

A.                Remarques préliminaires

[5]               Il convient de noter que ni la défenderesse ni les demandeurs n’ont interjeté appel de l’ordonnance Allard. Les demandeurs ont attendu que le délai d’appel expire (et que la Canada annonce qu’il n’interjetterait pas appel de l’ordonnance Allard) pour déposer cette requête aux fins de réexamen.

[6]               L’article 397 des Règles est en grande partie une disposition technique permettant de régler les erreurs commises par inadvertance, les bévues et les erreurs flagrantes. Il impose une période de dix jours pour pouvoir demander réparation.

[7]               La requête des demandeurs est hors délai.

Les demandeurs se sont heurtés à cette restriction technique lorsqu’ils ont invoqué cette disposition technique.

[8]               Les demandeurs n’abordent pas sur le fond, l’omission d’un dépôt en temps opportuns. Il n’y a pas d’explication quant au retard ni de preuve d’une intention constante de former la présente requête.

[9]               Pour ce motif seul, la requête devrait être radiée.

[10]           Cependant, la Cour est consciente d’une partie de l’intérêt du public et de « l’intérêt public » de toute la question concernant la marihuana à des fins médicales. Pour cette raison, la Cour examinera le fond de la requête.

B.                 Réexamen

[11]           L’article 397 est une exception à la règle générale et est conçu pour traiter certaines restrictions techniques pour un juge ayant affaire à un jugement après qu’il a été prononcé. En règle générale, un juge est « functus officio » (est dessaisi) et n’a pas compétence pour modifier les conditions de l’ordonnance – le recours consiste habituellement à interjeter appel.

[12]           Le juge Barnes dans Samaroo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 431, au paragraphe 3, 157 ACWS (3d) 413, résume les restrictions de l’alinéa 397(1)b) comme suit :

[3]        … Pour obtenir une telle réparation, il faut faire la preuve qu’une question qui aurait dû être traitée a été oubliée ou omise involontairement par la Cour dans la décision. Les Règles n’offrent pas à la Cour la possibilité de réexaminer le bien­fondé d’une décision ou au demandeur de corriger des faiblesses dans la preuve produite lors d’une instance antérieure.

[13]           Je pourrais ajouter qu’il ne s’agit pas non plus d’un forum pour que la Cour fournisse des motifs supplémentaires de sa décision et de l’ordonnance, et, par conséquent, la réponse à la requête d’une cour est limitée. Les motifs et l’ordonnance du juge doivent parler d’eux­mêmes.

[14]           Le juge Barnes a retenu les propos souvent cités dans Lee c. Canada (Ministre de la citoyenneté et de l’immigration), 2003 CFPI 867, aux paragraphes 3, 4 et 7, 124 ACWS (3d) 758 :

[3]        L’alinéa 397(1)b) est une disposition technique, conçue pour les cas où une question qui aurait dû être traitée a été oubliée ou omise involontairement. Or, à mon avis, cette condition n’est pas remplie dans la présente espèce.

[4]        Le requérant soutient dans la présente espèce qu’une question soulevée dans sa plaidoirie pendant l’audition de sa demande de contrôle judiciaire n’a pas été traitée dans les motifs de l’ordonnance en date du 19 juin 2003. À ce propos, Monsieur le juge Pelletier (tel était alors son titre) déclarait ce qui suit aux paragraphes 5 et 6 de la décision Haque c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] A.C.F. 1141 (1re inst.) :

[...] Toutefois, je ne souscris pas à l’avis selon lequel la règle 397 s’applique à la présente situation. À mon avis, le mot « question », tel qu’il est employé dans la règle 397, s’entend d’un élément de la réparation sollicitée par opposition à un argument soulevé devant la Cour. En d’autres termes, la Cour n’a pas examiné une partie de la réparation sollicitée; or, une demande de réexamen vise à faire examiner par la Cour la question de la réparation sollicitée. Permettre que des ordonnances qui doivent être de nature définitive et qui ne peuvent faire l’objet d’aucun appel à moins qu’une question grave de portée générale ne soit certifiée soient réexaminées parce qu’il n’a pas été traité d’un argument porte atteinte au caractère définitif de la décision. En outre, je ne voudrais pas imposer à la Cour l’obligation d’examiner tous les arguments qui sont invoqués sans tenir compte de leur importance ou de leur bien­fondé.

En faisant cette remarque, je songe à l’obligation légale qui incombe au juge de prononcer des motifs. Je ne parle pas de la pratique qu’il convient d’adopter. En pratique, il convient généralement de reconnaître les arguments invoqués par les parties de façon que ces dernières sachent qu’elles ont été entendues. La présente demande prouve jusqu’à quel point il est sage d’adopter pareille ligne de conduite. Cependant, il y a de nombreuses raisons pour lesquelles un juge ne tiendrait peut­être pas compte de tous les arguments invoqués devant la Cour. Mentionnons entre autres la pertinence, l’importance, l’absence de bien­fondé. Il y a également les oublis. Juger certaines raisons suffisantes pour justifier le réexamen alors que d’autres raisons ne le sont pas, c’est entraîner la tenue d’une enquête dans tous les cas où l’on a omis de mentionner les arguments invoqués. Cela porte atteinte au caractère définitif des décisions qui sont rendues. Pour ce motif, la demande de réexamen est rejetée.

[...]

[7]        À mon avis, le demandeur essaie dans la présente espèce de remettre en litige une question qui a été réglée en termes clairs dans les motifs de l’ordonnance considérée. Il se sert à tort de l’article 397 des Règles de la Cour fédérale comme d’un moyen d’appel déguisé. Il ressort à l’évidence de la jurisprudence que la règle relative au réexamen ne peut être utilisée de cette façon; voir Kibale c. Canada (Transport Canada) (1989), 103 N.R. 387 (C.A.F.).

[15]           La Cour d’appel fédérale dans Bell Helicopter Textron Canada Limitée c. Eurocopter, 2013 CAF 261, au paragraphe 15, 235 ACWS (3d) 214, a résumé la situation comparable à de nombreux égards aux présentes circonstances :

[15       Premièrement, la requête d’Eurocopter constitue une tentative plutôt grossière d’invoquer à nouveau un motif d’appel qu’elle avait déjà soulevé dans son mémoire des faits et du droit dans le cadre de son appel incident. Comme l’a souligné le juge Hugessen dans l’affaire Kibale c. Canada (Transports Canada) (C.A.F.) (1988), 103 N.R. 387, la règle permettant le réexamen n’est pas « un instrument permettant à la partie qui échoue de bonifier ou de compléter son plaidoyer ». Elle n’est pas non plus un instrument permettant à un plaideur de débattre une seconde fois une question dans l’espoir que la Cour change d’avis.

C.                 Alinéa 397(1)a)

[16]           Les arrêts précités et ceux auxquels les parties font référence portaient sur l’alinéa 397(1)b). Aucun arrêt concernant l’alinéa 397(1)a) n’a été invoqué devant la Cour. Cependant, les demandeurs se plaignent essentiellement qu’il y ait une discordance entre l’ordonnance Allard et les motifs, car la Cour a conclu à une violation de la Charte, mais elle a pourtant prorogé l’ordonnance rendue par le juge Manson. La jurisprudence est plutôt limitée et n’est pas vraiment révélatrice concernant le paragraphe.

[17]           La discordance habituellement exposée en vertu de l’alinéa 397(1)a) est celle du type où les motifs favorisent une partie et pourtant, en raison d’une erreur manifeste, ce n’est pas le cas de l’ordonnance. L’erreur est absolument évidente.

[18]           À titre d’observation générale, en toute déférence, je ne vois pas de discordance entre les motifs qui affirme qu’il existe une violation de la Charte, que la déclaration d’une telle invalidité devrait être suspendue afin de prendre des mesures correctives dans un court laps de temps et l’ordonnance qui permet cela et maintien le statu quo (l’ordonnance rendue par le juge Manson) jusqu’à l’expiration de la période.

[19]           La mesure de réparation était un choix judiciaire avec lequel les demandeurs sont en partie en désaccord. Cependant, le résultat n’était pas inattendu.

D.                Alinéa 397(1)b)

[20]           La majorité des plaintes précises des demandeurs est régie par cette disposition à elle seule ou en tenant compte de l’alinéa 397(1)a), mais je les aborderai toutes ici.

[21]           Les demandeurs ont le fardeau difficile de me convaincre que j’ai oublié ou omis quelque chose involontairement. C’est sans doute une piètre consolation d’entendre le juge dire que des questions n’ont pas été oubliées, que les questions ont été prises en considération, mais la Cour n’était pas convaincue qu’elles devaient être étudiées comme le proposent les demandeurs.

[22]           Concernant la question [traduction] « taille de la catégorie » qui avait été une question en litige tout au long de l’instance. Elle avait été soumise à la Cour d’appel (et n’a pas été modifiée), elle a été présentée dans les observations finales au procès, elle a été soulevée dans la requête en modification en vertu de l’article 399 des Règles, puis rejetée. La Cour était parfaitement au courant des lacunes alléguées de l’ordonnance rendue par le juge Manson.

[23]           Il est évident que la Cour a fait le choix de ne pas modifier l’ordonnance rendue par le juge Manson et cela devrait régler la question. De toute évidence, même dans la présente requête, la modification de l’ordonnance rendue par le juge Manson soulève un nombre de questions connexes, y compris qui est concerné et qui ne l’est pas, et quels sont les incidences d’une telle modification sur toutes les parties et sur les personnes touchées.

[24]           Concernant la question du « changement d’adresse », le problème a été expressément reconnu au paragraphe 142 des motifs. Cette question a toujours été abordée. La question a posé des problèmes précis au Canada.

En rendant l’ordonnance Allard, la Cour a choisi une méthode différente pour régler diverses questions. Il n’y a eu aucun oubli ni aucune omission involontaire dans son ordonnance.

[25]           Pour ce qui est de considérer que le fait de ne pas avoir prononcé de jugement déclaratoire selon lequel l’accès à la marihuana est restreint uniquement à sa forme séchée était un oubli ou une omission, la Cour a précisément mentionné la question et la décision de la Cour suprême dans R. c. Smith, 2015 CSC 34, [2015] 2 RCS 602 [Smith], au paragraphe 59 et suivants, et au paragraphe 196 des motifs.

[26]           Cette restriction a été radiée par la suite de l’arrêt Smith. Comme le confirme l’arrêt Daniels c. Canada (Affaires indiennes et du Nord canadien), 2016 CSC 12, la Cour ne peut pas prononcer de déclaration des droits lorsque ces droits ont déjà été établis.

[27]           Les demandeurs ont dit en plaidoirie, en l’absence de preuve, que certains policiers ignorent le jugement de la Cour suprême. Si cette affirmation était véridique, cela susciterait de graves inquiétudes, cependant, cela doit être établi devant le forum approprié, à l’aide d’éléments de preuve adéquats.

[28]           La restriction à 150 grammes n’a pas non plus été oubliée ou involontairement omise. Il y est fait mention dans les motifs aux paragraphes 287 et 288 et elle n’est pas considérée comme étant inconstitutionnelle.

[29]           La demande des demandeurs visant à suspendre les articles 4, 5 et 7 de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances a été présentée et rejetée (pour le moment). Tel qu’énoncé au paragraphe 295 des motifs, il s’agirait d’un « instrument rudimentaire ». Bien que dans R c. Parker, (2000) 49 OR (3d) 481, 188 D.L.R (4th) 385 (ONCA), la Cour d’appel de l’Ontario, la réparation a été octroyée immédiatement, la situation factuelle était différente de celle de la Cour.

[30]           La Cour n’a ni empêché ni omis par inadvertance la réparation. Elle a choisi de mettre en place une structure de réparation différente.

IV.             Conclusion

[31]           Il s’agit de la quatrième tentative des demandeurs de modifier l’ordonnance rendue par le juge Manson. Cette fois, leur tentative est une tentative d’appel inadmissible. Elle sera refusée.

[32]           Pour tous ces motifs, la requête est rejetée avec dépens.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la requête soit rejetée avec dépens.

« Michael L. Phelan »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T­2030­13

 

INTITULÉ :

NEIL ALLARD, TANYA BEEMISH, DAVID HEBERT ET SHAWN DAVEY c. SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie­Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 22 avril 2016

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE PHELAN

 

DATE DES MOTIFS :

Le 3mai 2016

 

COMPARUTIONS :

John Conroy

Matthew J. Jackson

Kirk Tousaw

Biblas Vaze

 

Pour les demandeurs

 

Jan Brongers

 

Pour la défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Conroy and Co

Avocats­procureurs

Vancouver (Colombie­Britannique)

 

Pour les demandeurs

 

William F. Pentney

Sous­procureur général du Canada

Vancouver (Colombie­Britannique)

 

Pour la défenderesse

 

 

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