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Date : 20160516


Dossier : IMM-4107-15

Référence : 2016 CF 549

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 16 mai 2016

En présence de monsieur le juge Boswell

ENTRE :

A.N.

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La demanderesse, A.N., est une citoyenne de la Chine âgée de 18 ans. Avant d’arriver au Canada comme visiteur, le 16 mai 2014, pour assister à la collation des grades de fin d’études secondaires de sa cousine, la demanderesse vivait avec son père, sa mère et sa jeune sœur dans la région autonome ouïgoure du Xinjiang en Chine. Depuis son arrivée au pays, la demanderesse habite chez sa tante paternelle, R.J. (la tante), qui est citoyenne canadienne et qui est devenue sa pourvoyeuse principale de soins.

[2]               En octobre 2014, la demanderesse a présenté une demande d’asile de l’intérieur, en invoquant sa crainte d’être persécutée en Chine du fait qu’elle était une jeune femme d’origine ouïgoure, ainsi qu’en raison de sa religion musulmane et de ses opinions politiques présumées. Comme la demanderesse était mineure au moment où elle a présenté sa demande, sa tante a assumé le rôle de représentante désignée durant l’audience devant la Section de la protection des réfugiés (SPR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada (la CISR). Dans une décision datée du 11 février 2015, la SPR a rejeté la demande d’asile en raison du manque de crédibilité de la demanderesse et de sa représentante désignée sur certains éléments clés de la demande. La demanderesse a interjeté appel de la décision de la SPR auprès de la Section d’appel des réfugiés (SAR) de la CISR mais, dans une décision rendue le 17 août 2015, la SAR a rejeté l’appel et confirmé les conclusions de la SPR et le rejet de la demande d’asile. La demanderesse s’adresse maintenant à la Cour, aux termes du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la Loi), pour lui demander d’annuler la décision de la SAR et de renvoyer l’affaire à un autre commissaire de la SAR aux fins de réexamen.

I.                   La décision de la SAR

[3]               Avant de rendre sa décision, la SAR a approuvé une requête de la tante qui souhaitait renoncer à son rôle de représentante désignée, car elle estimait que ses « intérêts entraient en conflit » avec ceux de la demanderesse. Après consultation de l’avocat de la demanderesse qui proposait que le nouveau représentant n’ait aucun lien avec la famille de la demanderesse, la SAR a nommé, en avril 2015, une représentante désignée choisie parmi la liste des représentants de la CISR. Bien que la nouvelle représentante désignée ait assisté à plusieurs rencontres avec la demanderesse et son avocat et ait passé en revue le témoignage par affidavit présenté aux fins de l’appel auprès de la SAR, elle n’a présenté aucun argument au nom de la demanderesse devant la SAR.

[4]               Dans sa décision, la SAR a d’abord exposé le contexte général de la demande d’asile. La SAR a noté entre autres que la demanderesse avait reçu par Internet (WeChat), d’une personne qu’elle ne connaissait pas, un article qui critiquait le traitement que le gouvernement chinois réservait aux Ouïghours. La demanderesse a par la suite transmis l’article à quelques amis qui l’ont informée que la personne qui avait initialement envoyé cet article avait été arrêtée par la police. Après le départ de la demanderesse de la Chine, son père l’a informée, et a informé les membres de sa famille vivant au Canada, que la police chinoise était venue pour interroger la demanderesse au sujet de cet article.

[5]               La SAR a ensuite établi les questions soulevées par l’appel de la demanderesse, dont une était de déterminer si le droit de la demanderesse à une audience pleine et équitable avait été compromis en raison des intérêts conflictuels de sa représentante désignée ou de la présence d’un interprète ouïgour durant l’audience devant la SPR. La SAR a ensuite reconnu son rôle, conformément à la décision rendue dans l’affaire Huruglica c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 799, [2014] 4 RCF 811, de faire une évaluation indépendante de la demande en se fondant sur les éléments de preuve. Elle a aussi mentionné la jurisprudence divergente dans Singh c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1022, [2015] 3 RCF 587 et Denbel c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 629, 254 ACWS (3d) 915, quant aux conditions régissant la prise en compte de nouveaux éléments de preuve en application du paragraphe 110(4) de la Loi et du paragraphe 29(4) des Règles de la Section d’appel des réfugiés (DORS/2012-257) (Règles de la SAR). À cet égard, la SAR a cherché à déterminer si l’exclusion des nouveaux éléments de preuve présentés par la demanderesse nuirait à un examen de l’appel fondé sur les faits et respecterait les lois régissait l’acceptation des nouveaux éléments de preuve.

[6]               La demanderesse a présenté à la SAR, à titre de nouveaux éléments de preuve, de nombreux articles de presse traitant de la minorité ouïgoure en Chine, ainsi qu’un affidavit de sa tante et deux affidavits d’elle-même. La SAR a rejeté tous ces éléments de preuve, à l’exception de trois articles, car ils contenaient essentiellement les mêmes renseignements que ceux présentés à la SPR. Les trois articles traitant de l’incarcération d’un membre de la famille de la demanderesse, S.N., ont toutefois été acceptés comme nouveaux éléments de preuve, car la demanderesse n’a été informée de l’incarcération de S.N. qu’après le rejet de sa demande et qu’elle n’aurait donc pas pu présenter cette preuve lors de son audience devant la SPR.

[7]               Durant l’examen de l’affidavit de la tante, la SAR a noté que tous les renseignements qu’il contenait, à l’exception des trois paragraphes concernant S.N., étaient connus avant le témoignage de la tante à l’audience de la SPR. Dans cet affidavit, la tante disait notamment vouloir renoncer à son rôle de représentante désignée de la demanderesse car, à la suite de l’audience devant la SPR, elle s’était rendue compte que la réserve dont elle avait fait preuve au moment de divulguer l’information à l’appui de la demande d’asile de la demanderesse n’était pas dans l’intérêt de cette dernière; elle a aussi déclaré ce qui suit : [traduction] « Je dirais qu’elle (la demanderesse) ne parle et ne comprend l’ouïgour que dans une proportion d’environ 60 %... Je sais maintenant qu’elle (la demanderesse)... a plus de facilité à parler le mandarin et, bien qu’elle soit d’origine ouïgoure, il aurait été préférable que sa demande d’asile soit rédigée et que l’audience se déroule en mandarin... Cependant, nous craignions vivement que la présence d’un interprète mandarin n’augmente le risque que notre histoire soit connue de la communauté chinoise et que les autorités chinoises ne soient informées de la demande (de la demanderesse) ». La SAR a rejeté cet affidavit pour les motifs suivants :

[traduction] [55]     À l’exception des paragraphes 41, 42 et 43 (renseignements concernant [S.N.]), tout le contenu de l’affidavit était déjà connu (de la tante) au moment où celle-ci a témoigné à l’audience de la demanderesse. La déclaration selon laquelle la tante n’a pas été aussi directe qu’elle aurait pu l’être dans la présentation de la preuve, car elle craignait que les autorités chinoises ne soient informées de la demande d’asile de la demanderesse et ne punissent sa famille, ne résiste pas à un examen approfondi.

[56]      La demanderesse a présenté sa demande d’asile autour du 19 octobre 2014. (La tante) et sa fille… ont beaucoup participé au processus, aidant la demanderesse à chacune des étapes. …

[57]      (La tante) avait accès à un avocat expérimenté… qui représentait (et représente toujours) la demanderesse. Les éléments de preuve montrent qu’elle (la tante) est inquiète pour la demanderesse et qu’elle veut ce qu’il y a de mieux pour elle. On s’attendrait donc à ce qu’elle (la tante) en discute au préalable avec l’avocat si elle croyait être incapable de présenter franchement les éléments de preuve durant l’audience confidentielle de la SPR.

[58]      […] Sans analyser la pertinence des renseignements contenus dans cet affidavit, il convient de préciser que ces renseignements étaient connus avant le rejet de la demande d’asile; par conséquent, à l’exception des renseignements concernant (S.N.), ils auraient pu être présentés durant l’audience de la SPR et certainement avant le rejet de la demande.

[8]               La SAR a aussi rejeté l’affidavit de la demanderesse daté du 3 juin 2015, jugeant qu’il n’était pas conforme au paragraphe 110(4) de la Loi. Dans cet affidavit, la demanderesse avait notamment déclaré ce qui suit : [traduction] « Je me suis sentie obligée d’indiquer l’ouïgour dans ma demande d’asile, même si je parle habituellement le mandarin ou une combinaison de mandarin et d’ouïgour pour communiquer avec les membres de ma famille au Canada… Ma famille ici a cru qu’il serait préférable d’avoir un interprète ouïgour plutôt qu’un interprète mandarin… Cependant, durant l’audition de ma demande d’asile, je me suis sentie [sic] incapable de m’exprimer parfaitement en ouïgour, en particulier d’exprimer mes émotions et mes sentiments profonds. J’espérais que ma tante intervienne pour corriger les faits, si je n’arrivais pas à comprendre quelque chose ou si j’omettais certains renseignements. » Pour appuyer son refus d’admettre cet affidavit comme nouvel élément de preuve en application du paragraphe 110(4) de la Loi, la SAR a déclaré ce qui suit :

[traduction] [61]     La demanderesse était représentée par une représentante désignée dont le rôle était de prendre des décisions dans l’intérêt supérieur de la demanderesse. Elle était également représentée par un avocat expérimenté... Les questions telles que la langue dans laquelle la demanderesse voulait témoigner auraient pu, et auraient dû, être discutées avec l’avocat.

[62]      Les renseignements contenus dans l’affidavit ne deviennent pas de nouveaux éléments de preuve parce que la demanderesse ou sa représentante désignée choisissent de ne pas faire part de leurs préoccupations avec l’avocat ou demandent que l’audience se déroule dans une langue que la demanderesse dit ne pas maîtriser…

[63]      La demanderesse et sa représentante désignée ont eu de nombreuses occasions durant leur témoignage d’aborder les questions soulevées dans cet affidavit. …

[9]               La SAR a également rejeté le deuxième affidavit de la demanderesse daté du 16 juin 2015, en déclarant que la preuve établissant les liens de famille exacts entre la demanderesse et S.N. n’était pas nouvelle et qu’elle était connue au moment de l’audience devant la SPR.

[10]           Au moment d’évaluer la nouvelle preuve concernant S.N., la SAR a conclu qu’aucun nouvel élément n’indiquait que les autorités chinoises avaient établi un lien entre S.N. et la demanderesse ou sa famille. La SAR a donc accordé peu de poids à cette preuve et, comme elle n’était pas essentielle à la demande de la demanderesse ni n’influençait sa crédibilité, la SAR a déterminé qu’aucune audience n’était nécessaire.

[11]           La SAR s’est ensuite penchée sur les conclusions défavorables tirées par la SPR au sujet de la crédibilité de la demanderesse, et elle a entrepris sa propre évaluation de cette question. Tout comme la SPR, la SAR a estimé qu’il était très peu probable que la tante et le père de la demanderesse aient pu discuter de la demande d’asile sans aborder l’article sur WeChat envoyé par la demanderesse ni le fait que cette dernière était recherchée par la police à cause de cet article. La SPR a également jugé peu crédible le témoignage de la tante, lorsque celle-ci a déclaré que le père de la demanderesse n’avait réalisé l’importance de cet article qu’après avoir appris que des jeunes avaient été emprisonnés pour avoir diffusé des articles anti-gouvernement sur Internet. La SAR est d’accord avec la SPR sur ce point. La SAR a également souscrit à la conclusion défavorable de la SPR concernant la crédibilité de la demanderesse, du fait que celle-ci avait omis d’indiquer dans son témoignage ce qu’il était advenu des autres jeunes qui avaient participé à la diffusion de cet article sur WeChat.

[12]           De même, tout comme la SPR, la SAR a estimé que les éléments de preuve présentés ne permettaient pas de conclure que la demanderesse avait un profil politique particulier en Chine. La SAR a également jugé que la conclusion de la SPR, selon laquelle le délai dans la présentation de la demande d’asile témoignait d’un manque de crainte subjective de la part de la demanderesse, était défendable sur la base des éléments de preuve présentés. Elle a conclu que, même s’il aurait été utile que la SPR tire une conclusion précise au sujet de l’attaque en pleine rue et en plein jour dont la demanderesse avait été victime à cause de son origine ouïgoure, il n’existait guère « de possibilité raisonnable qu’un tel incident se reproduise si la demanderesse retournait en Chine ».

[13]           Au moment de déterminer si le droit de la demanderesse à une audience équitable avait été compromis, la SAR a conclu que la majeure partie de son analyse visant à déterminer si l’affidavit de la tante répondait aux exigences du paragraphe 110(4) s’appliquait également à cette question. La SAR a noté que la tante n’avait soulevé aucune préoccupation durant l’audience de la SPR au sujet de son incapacité d’être aussi directe qu’elle l’aurait voulu dans la présentation de la preuve, car elle craignait qu’elle et sa famille ne se trouvent dans une situation dangereuse et que cela n’ait une incidence sur la possibilité pour eux de retourner en Chine et pour son mari d’y mener ses affaires, si le gouvernement chinois était informé de la demande d’asile de la demanderesse. La SAR a déterminé qu’il était illogique de penser que la tante ait été incapable de présenter directement la preuve, étant donné son rôle de pourvoyeuse principale de soins de la demanderesse et sa grande participation à la demande d’asile; [traduction] « on ne peut donc accorder que très peu de poids à [son] affirmation selon laquelle elle était en situation de conflit d’intérêt face à la demanderesse ».

[14]           Quant au recours à un interprète ouïgour, la SAR a souligné le fait que la demanderesse était représentée à la fois par une représentante désignée et un avocat expérimenté; donc, si elle avait eu quelque problème au sujet de la langue de l’audience, elle [traduction] « aurait pu facilement en discuter avec le professionnel qu’elle avait embauché pour la représenter ». Selon la SAR, il était « inconcevable » que la demanderesse et sa tante aient pris une décision à ce sujet sans en discuter avec leur avocat. Après lecture de la transcription de l’audience, la SAR a également conclu que l’interprétation qui avait été faite n’avait soulevé aucune question identifiable et qu’aucune question n’avait été soulevée par l’avocat. La SAR a donc déterminé que le droit de la demanderesse à une audience équitable n’avait pas été compromis parce que sa tante avait agi de représentante désignée ou que l’audience s’était déroulée en ouïgour.

[15]           La SAR a conclu sa décision en déclarant que, bien que la SPR ait considéré à tort le peu de temps qui restait à la demanderesse pour terminer ses études comme un facteur atténuant le risque de mauvais traitement que la demanderesse pourrait subir à l’école si elle retournait en Chine, la décision de la SPR était solidement fondée sur les éléments de preuve qui lui avaient été présentés, et la SPR n’a pas commis d’erreur en rejetant la demande d’asile de la demanderesse.

II.                Questions en litige

[16]           Les questions soulevées par cette demande peuvent être reformulées comme suit :

1.                  Quelle est la norme de contrôle appropriée?

2.                  La SAR a-t-elle fait une évaluation raisonnable des nouveaux éléments de preuve?

3.                  La décision de la SAR était-elle raisonnable?

A.                Quelle est la norme de contrôle appropriée?

[17]           La Cour d’appel fédérale a récemment déterminé que la norme de contrôle appropriée pour l’examen, par notre Cour, d’une décision de la SAR est celle de la décision raisonnable (voir : Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Huruglica, 2016 CAF 93, au paragraphe 35, [2016] A.C.F. no 313).

[18]           Par conséquent, la Cour ne devrait pas intervenir si la décision de la SAR est intelligible, transparente, justifiable et défendable au regard des faits et du droit : Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190 au paragraphe 47 [Dunsmuir]. Les motifs répondent à ces critères s’ils « permettent à la cour de révision de comprendre le fondement de la décision du tribunal et de déterminer si la conclusion fait partie des issues possibles acceptables » : (Newfoundland and Labrador Nurses’ Union c. Terre-Neuve-et-Labrador [Conseil du Trésor], 2011 CSC 62, au paragraphe 16, [2011] 3 RCS 708. Il faut considérer la décision comme un tout et la Cour doit s’abstenir de faire une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur (Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c. Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 CSC 34 au paragraphe 54, [2013] 2 RCS 458; voir aussi Ameni c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 164, au paragraphe 35, [2016] A.C.F. no 142).

[19]           Quant à la question de l’équité procédurale soulevée par la demanderesse, la Cour suprême du Canada a récemment conclu que la norme de la décision correcte demeure la norme de contrôle pour l’examen de ces questions (voir : Établissement de Mission c. Khela, 2014 CSC 24, au paragraphe 79, [2014] 1 RCS 502). La norme de contrôle à appliquer pour l’examen de cette question est donc celle de la décision correcte. La cour de révision qui applique la norme de la décision correcte n’acquiesce pas au raisonnement du décideur; elle décide plutôt si elle est d’accord ou non avec la conclusion du décideur et, en cas de désaccord, elle substitue sa propre conclusion et rend la décision qui s’impose (voir Dunsmuir, au paragraphe 50).

B.                 La SAR a-t-elle fait une évaluation raisonnable des nouveaux éléments de preuve?

[20]           La Cour d’appel fédérale a également déterminé récemment que l’interprétation que fait la SAR du paragraphe 110(4) de la Loi doit être révisée en appliquant la norme de la décision raisonnable (voir : Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Singh, 2016 CAF 96, au paragraphe 74 [Singh]). Cependant, en déterminant l’admissibilité de nouveaux éléments de preuve en vertu du paragraphe 110(4), la SAR doit se conformer aux exigences explicites de ce paragraphe, tout en tenant compte également des conditions implicites d’admissibilité de la preuve en regard de sa crédibilité, de sa pertinence, de sa nouveauté et de son caractère substantiel, comme le prévoit Raza c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CAF 385, aux paragraphes 13 à 15, 289 DLR (4th) 675 (voir : Singh, aux paragraphes 38 et 74). Sauf pour le critère du caractère substantiel des nouveaux éléments de preuve, « il n’y a pas lieu d’interpréter différemment le paragraphe 110(4) et l’alinéa 113a) » (Singh, au paragraphe 64). L’exigence du caractère substantiel de la nouvelle preuve doit s’apprécier dans le contexte du paragraphe 110(6) de la Loi, à la seule fin de déterminer si la SAR peut tenir une audience (Singh, au paragraphe 74). De plus, en ce qui a trait au caractère substantiel de la nouvelle preuve présentée à la SAR, la Cour d’appel a déclaré ce qui suit dans l’arrêt Singh :

[47]      … il y a peut-être lieu de procéder à certaines adaptations. [...] La SAR… a un mandat beaucoup plus étendu [qu’un agent d’ERAR] et peut intervenir pour corriger toute erreur de fait, de droit ou  mixte. Par conséquent, il se peut que la preuve nouvelle ne soit pas déterminante en soi, mais puisse influer sur l’appréciation globale que fera la SAR de la décision rendue par la SPR.

[21]           En l’espèce, la SAR a rejeté tous les nouveaux éléments de preuve présentés par la demanderesse, à l’exception de trois articles de presse et des trois paragraphes de l’affidavit de la tante portant sur l’incarcération de S.N. La SAR a rejeté ces nouveaux éléments de preuve parce qu’ils ne répondaient pas, selon elle, aux exigences du paragraphe 110(4) de la Loi qui s’énonce comme suit :

110 (4) Dans le cadre de l’appel, la personne en cause ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet de sa demande ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’elle n’aurait pas normalement présentés, dans les circonstances, au moment du rejet.

110 (4) On appeal, the person who is the subject of the appeal may present only evidence that arose after the rejection of their claim or that was not reasonably available, or that the person could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection.

[22]           Je suis d’avis toutefois qu’il était déraisonnable, pour la SAR, de rejeter les portions de l’affidavit de la demanderesse daté du 3 juin 2015 et celles de l’affidavit de la tante daté du 16 juin 2015 portant sur la langue de l’audience devant la SPR et la représentation de la demanderesse par sa tante. La déposition par affidavit présentée sur cette question concernait l’équité de l’audience de la demanderesse devant la SPR, et il n’était pas raisonnable pour la SAR d’évaluer cet élément de preuve d’une manière restrictive et de le rejeter en vertu du paragraphe 110(4) de la Loi. De plus, il était contradictoire et inintelligible et, donc, déraisonnable, pour la SAR de rejeter cet élément de preuve en le déclarant inadmissible en vertu du paragraphe 110(4) de la Loi, puis, ultérieurement dans ses motifs, de prendre en compte ces éléments rejetés pour déterminer si le droit de la demanderesse à une audience pleine et équitable avait été compromis.

[23]           Les restrictions touchant la présentation d’éléments de preuve en vertu du paragraphe 110(4) de la Loi et de la règle 29(4) des Règles de la Section d’appel des réfugiés ne devraient pas nécessairement s’appliquer lorsque les éléments de preuve présentés lors d’un appel devant la SAR soulèvent des questions touchant l’équité procédurale de l’instance devant la SPR et non la crédibilité, les faits ou la substance de la demande d’asile. Même si ces restrictions pouvaient s’appliquer, les éléments de preuve concernant les difficultés de la demanderesse durant l’audience en ouïgour et les intérêts conflictuels de la tante n’ont été présentés qu’après le rejet de la demande d’asile; on ne pouvait donc pas raisonnablement s’attendre, compte tenu des circonstances en l’espèce, à ce que la demanderesse puisse présenter les éléments de preuve concernant les intérêts conflictuels de sa tante avant que celle-ci ne lui en ait fait part.

C.                 La décision de la SAR était-elle raisonnable?

[24]           Même si la SAR a rejeté de manière déraisonnable la preuve qui lui a été présentée concernant les difficultés de la demanderesse durant l’audience tenue en ouïgour et les conflits d’intérêt de la tante, ce fait en soi ne rend pas automatiquement la décision entièrement déraisonnable. La question pertinente que l’on doit plutôt se poser est de déterminer, à la lumière de ces éléments de preuve, si la SAR a conclu de manière raisonnable que le droit de la demanderesse à une audience pleine et équitable n’avait pas été compromis du fait des intérêts conflictuels de sa représentante désignée ou de la présence d’un interprète ouïgour durant l’audience devant la SPR.

[25]           Dans son affidavit, la tante de la demanderesse a déclaré que ses intérêts conflictuels étaient liés à la crainte qu’elle éprouvait pour les autres membres de sa famille ainsi que pour les intérêts commerciaux de son mari en Chine, ainsi qu’au risque qu’elle ne puisse retourner en Chine pour voir son père. Elle a aussi mentionné qu’elle avait pris soin de présenter l’information d’une manière qui n’était pas dans le meilleur intérêt de la demanderesse, et qu’il y avait eu d’autres attaques contre la demanderesse et d’autres personnes dont elle n’avait pas fait mention.

[26]           Le paragraphe 167(2) de la Loi prévoit ce qui suit : « Est commis d’office un représentant à l’intéressé qui n’a pas dix-huit ans ou n’est pas, selon la section, en mesure de comprendre la nature de la procédure [non souligné dans l’original] ». En d’autres mots, un demandeur d’asile qui est mineur, comme l’était la demanderesse au moment de l’audience devant la SPR et l’instance devant la SAR, doit avoir un représentant désigné.

[27]           Les alinéas 20(4)c) et d) des Règles de la Section de la protection des réfugiés, DORS/2012-256 (Règles de la SPR), stipulent qu’un représentant désigné doit respecter les conditions suivantes : « être disposé et apte à agir dans le meilleur intérêt du demandeur d’asile ou de la personne protégée » et « ne pas avoir d’intérêts conflictuels par rapport à ceux du demandeur d’asile ou de la personne protégée ». Les responsabilités d’un représentant désigné incluent celles énoncées au paragraphe 20(10) des Règles de la SPR :

20 (10) Les responsabilités d’un représentant désigné sont notamment les suivantes :

20 (10) The responsibilities of a designated representative include

a) décider s’il y a lieu de retenir les services d’un conseil et, le cas échéant, donner à celui-ci des directives, ou aider la personne représentée à lui donner des directives;

(a) deciding whether to retain counsel and, if counsel is retained, instructing counsel or assisting the represented person in instructing counsel;

b) prendre des décisions concernant la demande d’asile ou toute autre demande ou aider la personne représentée à prendre de telles décisions;

(b) making decisions regarding the claim or application or assisting the represented person in making those decisions;

c) informer la personne représentée des diverses étapes et procédures dans le traitement de son cas;

(c) informing the represented person about the various stages and procedures in the processing of their case;

d) aider la personne représentée à réunir et à transmettre les éléments de preuve à l’appui de son cas et, au besoin, témoigner à l’audience;

(d) assisting in gathering evidence to support the represented person’s case and in providing evidence and, if necessary, being a witness at the hearing;

e) protéger les intérêts de la personne représentée et présenter les meilleurs arguments possibles à l’appui de son cas devant la Section;

(e) protecting the interests of the represented person and putting forward the best possible case to the Division;

f) informer et consulter, dans la mesure du possible, la personne représentée lorsqu’il prend des décisions relativement à l’affaire;

(f) informing and consulting the represented person to the extent possible when making decisions about the case; and

g) interjeter et mettre en état un appel devant la Section d’appel des réfugiés, si nécessaire.

(g) filing and perfecting an appeal to the Refugee Appeal Division, if required.

[28]           Les dispositions précitées signifient que le représentant désigné du mineur s’apparente au tuteur à l’instance dans une procédure civile. Le représentant désigné ne peut être un mineur, ni vice versa. Le représentant doit agir dans le meilleur intérêt du mineur tout au long de l’instance et ne doit laisser aucun intérêt extrinsèque ou extérieur, ni préoccupation extrinsèque ou extérieure, altérer sa capacité de protéger les intérêts du mineur et de présenter à la SPR la meilleure argumentation possible au nom du mineur. De fait, dans Kurija (Tutrice à l’instance) c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1158, au paragraphe 23, [2014] 4 RCF 657, la Cour a déclaré que la représentation adéquate des jeunes immigrants dans le cadre de demandes d’asile devrait être « tout autant source préoccupation que l’impartialité du décideur […] il s’agit en outre d’un point au sujet duquel des éléments de preuve nouveaux sont recevables après le fait… ». On ne devrait donc pas minimiser le rôle et l’importance du représentant désigné d’un demandeur d’asile mineur ni en faire abstraction (voir aussi : Hillary c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CAF 51, aux paragraphes 31 à 36, [2012] 4 RCF 164).

[29]           En l’espèce, la SAR s’est basée sur des éléments de preuve qu’elle avait rejetés pour déterminer si l’équité procédurale avait été respectée durant l’audience de la demanderesse mineure devant la SPR. Cette approche ne peut toutefois pas être justifiée; elle est donc déraisonnable, non seulement parce que la SAR avait précédemment rejeté les éléments de preuve liés à la difficulté de la demanderesse du fait que l’audience se déroulait en ouïgour ainsi qu’aux intérêts conflictuels de la tante, mais aussi parce que la SAR a fait une interprétation erronée de cette preuve. Il ressort clairement des affidavits de la demanderesse et de la tante que la demanderesse s’est « sentie obligée » par sa tante d’utiliser l’ouïgour pour sa demande d’asile, malgré le fait qu’elle parlait couramment le mandarin, et aussi que la tante a présenté l’information d’une manière sélective qui n’était pas dans le meilleur intérêt de la demanderesse. Devant ces éléments de preuve, il incombait à la SAR d’évaluer pleinement l’équité de l’instance devant la SPR du point de vue de la demanderesse mineure en tenant dûment compte du fait que la tante tenait lieu de parent pour la demanderesse, et de ne pas conclure banalement que la demanderesse et sa tante auraient dû demander conseil à l’avocat (que la SAR a qualifié d’« expérimenté » sans justifier cette caractérisation) au sujet des conflits d’intérêt et de la langue de l’audience.

III.             Conclusion

[30]           La demande de contrôle judiciaire de la demanderesse est donc accueillie. La décision de la SAR est annulée et l’affaire est renvoyée devant la SAR aux fins de réexamen par un autre commissaire, conformément aux motifs du jugement. Aucune question de portée générale n’est certifiée.


JUGEMENT

LA COUR accueille la demande de contrôle judiciaire; l’affaire est renvoyée à la Section de la protection des réfugiés aux fins de réexamen par un autre commissaire, conformément aux motifs du présent jugement, et aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

« Keith M. Boswell »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4107-15

 

INTITULÉ :

A.N. c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 14 mars 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BOSWELL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 16 mai 2016

 

COMPARUTIONS :

Peter Edelmann

 

Pour la demanderesse

 

Helen Park

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Edelmann and Company

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour la demanderesse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour le défendeur

 

 

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