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Date : 20160511


Dossier : T-1377-15

Référence : 2016 CF 529

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Vancouver (Colombie-Britannique), le 11 mai 2016

En présence de monsieur le juge Hughes

DANS L’AFFAIRE 0741449 B.C. LTD.

ET UNE DEMANDE DU

MINISTRE DU REVENU NATIONAL

EN VERTU DU PARAGRAPHE 164(1.2) DE LA LOI DE L’IMPÔT SUR LE REVENU

ENTRE :

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

demandeur

et

0741449 B.C. LTD.

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le ministre sollicite des ordonnances conservatoires en vertu des dispositions du paragraphe 164(1.2) de la Loi de l’impôt sur le revenu, S.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.), qui lui permettraient de retenir des fonds qui sont actuellement entre ses mains, ces fonds ayant été payés par l’intimée pour l’impôt dû jusqu’à ce que tous les appels concernant l’impôt aient été tranchés. Pour les motifs suivants, je vais rendre ces ordonnances.

[2]               La défenderesse 0741449 B.C. Ltd. est une société de la Colombie-Britannique, dont Mark Consiglio ou son épouse Nicola Consiglio est l’unique administrateur et actionnaire. Il existe deux demandes concernant cette défenderesse. Les éléments de preuve et les arguments sont communs aux deux demandes, qui ont été entendues ensemble. Depuis que ces demandes ont été déposées, la défenderesse été fusionnée à une autre société de la Colombie-Britannique, également détenue par l’un des deux Consiglio. La société issue de la fusion continue d’exercer ses activités sous le nom de 0722955 B.C. Ltd.

[3]               Le paragraphe 164(1.2) de la Loi de l’impôt sur le revenu permet au ministre de demander à la Cour d’ordonner que les fonds qui sont entre ses mains ne soient pas remboursés au contribuable en dépit d’une demande de remboursement, dans des circonstances où le juge « est convaincu qu’il existe des motifs raisonnables de croire que l’octroi à ce contribuable d’un délai pour payer le montant compromettrait le recouvrement de tout ou partie de ce montant ». Le paragraphe 164(1.2) prévoit ce qui suit :

164(1.2) Malgré le paragraphe (1.1), le juge saisi peut, sur requête du ministre faite dans les 45 jours suivant la réception de la demande écrite d’un contribuable visant le remboursement d’une somme ou la remise d’une garantie, soit ordonner que tout ou partie de la somme ne soit pas remboursée au contribuable ou que tout ou partie de la garantie ne lui soit pas remise, soit rendre toute ordonnance qu’il estime raisonnable dans les circonstances, s’il est convaincu qu’il existe des motifs raisonnables de croire que le fait de lui rembourser la somme ou de lui remettre la garantie conformément à ce paragraphe compromettrait le recouvrement de tout ou partie du montant d’une cotisation établie à son égard.

164(1.2) Notwithstanding subsection 164(1.1), where, on application by the Minister made within 45 days after the receipt by the Minister of a written request by a taxpayer for repayment of an amount or surrender of a security, a judge is satisfied that there are reasonable grounds to believe that the collection of all or any part of an amount assessed in respect of the taxpayer would be jeopardized by the repayment of the amount or the surrender of the security to the taxpayer under that subsection, the judge shall order that the repayment of the amount or a part thereof not be made or that the security or part thereof not be surrendered or make such other order as the judge considers reasonable in the circumstances.

[4]               Les présentes demandes portent sur trois demandes de remboursement présentées par la défenderesse totalisant 1 157 568,24 $. La première demande porte sur deux de ces requêtes, la deuxième porte sur la troisième requête qui a été faite après que la première demande a été déposée. On m’a avisé que la défenderesse a entamé une procédure judiciaire à l’égard de ces cotisations auprès de la Cour de l’impôt, mais qu’aucune date d’audience n’a encore été fixée.

[5]               La défenderesse œuvre principalement dans le domaine du développement immobilier. Ses actifs, mis à part les remboursements demandés au ministre, sont composés de biens immobiliers situés dans la région de Kelowna, en Colombie-Britannique, dont une grande partie est fortement hypothéquée. Je réitère la description de ces actifs telle qu’elle figure dans le mémoire de l’avocat de la défenderesse :

[TRADUCTION]

22.  La défenderesse est propriétaire des biens immobiliers suivants (acquis du prédécesseur 0741 lors de la fusion) :

a.    no 15-4215, chemin Westside, Kelowna, Colombie-Britannique (« lot 15 ») ayant une valeur marchande de 400 000 $ et des passifs garantis par des titres comme suit :

a.  deux hypothèques enregistrées à l’égard du lot 15 totalisant 563 808 $;

b.  un jugement de l’ARC au montant de 530 531,77 $;

c.   des charges de copropriété en souffrance d’environ 10 000 $;

b.    no 20-4215, chemin Westside, Kelowna, Colombie-Britannique (« lot 20 »), ayant une valeur marchande de 600 000 $ et des passifs garantis par des titres comme suit :

i.   une hypothèque enregistrée ayant une valeur nominale de 800 000 $, mais dont le solde n’est que de 431 697 $;

ii.  des charges de copropriété en souffrance d’environ 10 000 $.

23.  La défenderesse est propriétaire des biens immobiliers suivants         (acquis du prédécesseur 0722 lors de la fusion) :

a.  517, chemin Trumpeter, Kelowna, Colombie-Britannique (« 517 Trumpeter »), ayant une juste valeur marchande estimée de 410 000 $ et des hypothèques enregistrées à l’égard de titres totalisant environ 400 000 $;

b. 521, chemin Trumpeter, Kelowna, Colombie-Britannique (« 521 Trumpeter »), ayant une juste valeur marchande estimée de 450 000 $ et des hypothèques enregistrées à l’égard de titres totalisant environ 414 000 $;

c. 5171, chemin Chute Lake, Kelowna, Colombie-Britannique (la « propriété du chemin Chute Lake »), ayant des prêts hypothécaires totalisant 4 200 000 $ enregistrés à l’égard du titre.

[6]               Le seul actif ayant une valeur réelle qui pourrait être réalisé est la propriété de Chute Lake. L’évaluation du ministre donne une valeur marchande d’environ 1,5 M$ à cette propriété, l’évaluation de la défenderesse met une valeur d’environ 4,85 M$ en tant que propriété non bâtie et environ 7,15 M$ en tant que propriété bâtie. La preuve indique qu’il y a une ordonnance de forclusion en suspens de la Cour de la Colombie-Britannique à l’égard de cette propriété et il n’y a aucune preuve au dossier quant à savoir si cette ordonnance a été satisfaite ou autrement résolue. La défenderesse déclare que les plans de développement concernant cette propriété sont en cours, mais une lettre du directeur du service de la planification communautaire de la Ville de Kelowna, versée au dossier, indique qu’une lettre relative à un examen d’aménagement préliminaire (EAP) a été délivrée, mais qu’elle pourrait être révoquée à tout moment et que, en tout état de cause, si M. Consiglio était encore impliqué, il n’approuverait pas une demande de lotissement. On laisse également entendre dans la preuve qu’une vente de la propriété de Chute serait en attente.

[7]               La preuve démontre de plus que M. Consiglio a participé à un certain nombre d’entreprises commerciales dans le passé, dont plusieurs d’entre elles ont omis de payer leurs impôts ou ont fait faillite.

[8]               Seulement deux décisions portant sur le paragraphe 164(1.2) de la Loi de l’impôt sur le revenu ont été évoquées, à savoir : Canada (National Revenue) v. Chabot, 2010 FC 574, une décision de feu le juge Blanchard de la Cour, et la décision Canada (Revenu national) c. Clarke, 2011 CF 838, une décision de la juge Simpson de la Cour fédérale. Parmi celles-ci, la décision Chabot est la plus instructive.

[9]               La jurisprudence antérieure porte sur les dispositions de l’article 225.2 de la Loi de l’impôt sur le revenu, qui permet à la Cour d’émettre une ordonnance conservatoire pour accélérer une cotisation en attente pour laquelle le ministre n’a pas encore reçu les fonds. La jurisprudence, y compris la décision Canada v Golbeck, [1990] 2 CTC 438, une décision de la Cour d’appel fédérale, et 1853-9049 Quebec Inc v Her Majesty the Queen, [1987] 1 CTC 137, une décision de feu le juge Rouleau de la Cour, traite des cas de fraude et des cas où le contribuable pourrait gaspiller, liquider ou autrement transférer la propriété afin d’échapper à l’impôt autorisé. Je suis d’accord avec le juge Blanchard lorsqu’il énonce au paragraphe 22 de la décision Chabot que la jurisprudence élaborée en vertu du paragraphe 225.2(2) a peu d’incidence sur les demandes visées par le paragraphe 164(1.2).

[10]           Le juge Blanchard établit, dans la décision Chabot, que pour qu’un juge soit convaincu qu’il existe des [TRADUCTION] « motifs raisonnables de croire » que la perception de l’impôt serait compromise, la Cour doit évaluer la valeur nette des biens des contribuables et leur capacité de s’acquitter de leur dette fiscale indépendamment du remboursement en cause. Des facteurs comme le comportement peu orthodoxe du contribuable et des éléments de preuve concernant la dissipation potentielle des actifs par le contribuable peuvent être envisagés. Il a énoncé ce qui suit aux paragraphes 23 à 26 de la décision Chabot :

[TRADUCTION]

[23]     Dans le cadre de l’interprétation du paragraphe 164(1.2) de la Loi, j’appliquerai la soi-disant « règle moderne » de l’interprétation législative imposée par la Cour suprême du Canada dans Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27. La règle prévoit ce qui suit :

[I]l faut lire les termes d’une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s’harmonise avec l’esprit de la loi, l’objet de la loi et l’intention du législateur.

[24]     Le libellé clair du paragraphe 164(1.2) prévoit que la mise en danger du recouvrement de la dette du contribuable qui doit être établie par les ministres est le danger qui serait causé par le « remboursement » du montant à rembourser.

[25]     En outre, en insérant la disposition dans cette partie de la Loi portant sur les remboursements, le législateur a voulu prévoir des mesures prêtes à être mises en œuvre par le ministre, lorsque le péril est établi, pour faire en sorte que ces remboursements soient retenus et appliqués comme une compensation des sommes qui font l’objet d’une opposition ou d’un appel.

[26]     À mon avis, les facteurs qui doivent être examinés dans les circonstances d’une demande visée par le paragraphe 164(1.2) sont le montant de la créance à recouvrer par rapport au montant du remboursement, la capacité du contribuable de payer ou de s’acquitter autrement de la dette, la valeur des actifs nets du contribuable et si ceux-ci sont suffisants et accessibles pour s’acquitter de la dette indépendamment du remboursement. Lorsqu’il est établi que le contribuable est en mesure de rembourser la dette ou que ses actifs sont d’une valeur suffisante pour s’acquitter de la dette, la restitution du montant du remboursement ne compromettrait pas la perception du montant. C’est dans le cadre de l’évaluation de la richesse nette du contribuable et de sa capacité à s’acquitter de la dette indépendamment du remboursement que la question du danger est évaluée. Cela peut inclure l’examen de facteurs comme le comportement peu orthodoxe du contribuable et toute preuve concernant la dissipation des actifs par ce dernier. Après examen de ces facteurs, s’il y a des motifs raisonnables de croire, dans toutes les circonstances, que la restitution des fonds au contribuable se traduirait par le fait que ce montant ne serait pas à la disposition du ministre pour recouvrer la dette, le recouvrement de la dette est compromis pour l’application du paragraphe 164(1.2) et une ordonnance conservatoire en vertu de cette disposition est justifiée.

[11]           En l’espèce, je suis convaincu qu’il existe des motifs raisonnables de croire que les fonds qui sont maintenant entre les mains du ministre seraient probablement mis en danger en cas de restitution à la défenderesse. Le seul véritable actif est la propriété de Chute Lake, qui est fortement hypothéquée et fait l’objet d’une ordonnance de forclusion. On a laissé entendre qu’une vente serait imminente. L’approbation d’un plan de lotissement est provisoire et peut ne jamais se produire. Le mandant de la défenderesse, M. Consiglio, ou les entreprises avec lesquelles il est associé, ont des antécédents de non-paiement d’impôt et de faillite. Tout cela fait qu’il est raisonnable pour la Cour de conclure que les fonds qui sont entre les mains du ministre pourraient bien être en danger en cas de restitution au contribuable.

[12]           L’avocat de la défenderesse souligne que les derniers mots du paragraphe 164(1.2) donnent à la Cour un pouvoir discrétionnaire de rendre « toute autre ordonnance qu’il juge indiquée ». L’avocat propose qu’une ordonnance soit rendue pour qu’une partie des fonds étant entre les mains du ministre soit versée à la Ville de Kelowna pour couvrir les frais d’approbation de lotissement et que le solde soit garanti par hypothèque ou par toute autre charge sur la propriété de Chute Lake.

[13]           Je vais refuser de rendre une telle ordonnance, car elle rendrait le ministre partenaire d’affaires du contribuable dans une entreprise quelque peu risquée. Il existe déjà plusieurs hypothèques sur la propriété et il est loin d’être clair si la défenderesse en a toujours la possession.

[14]           Je vais accorder des dépens au ministre d’un montant de 5 000 $.


JUGEMENT

POUR CES MOTIFS, LA COUR CONCLUT que :

1.                  Une ordonnance conservation est accordée dans chacune des demandes T-1327-15 et T‑1377-15 autorisant le ministre à retenir et à appliquer un remboursement d’impôt pour la dette fiscale de la défenderesse, y compris son successeur par fusion 0722955 B.C. Ltd., jusqu’à ce que toutes les oppositions et les appels à l’égard de cette dette fiscale soient conclus.

2.                  Le ministre a droit aux dépens, dans les deux dossiers T-1327-15 et T-1377-15. Ces dépens doivent être payés collectivement par la défenderesse et son successeur, tel qu’il est susmentionné, au montant de 5 000 $.

« Roger T. Hughes »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1377-15

INTITULÉ :

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL c. 0741449 B.C. LTD.

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 10 mai 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE HUGHES

DATE :

Le 11 mai 2016

COMPARUTIONS :

Jason Levine

Loretta Chun

Pour le demandeur

David R. Davies

Shawn Tryon

Pour la défenderesse

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour le demandeur

Thorsteinssons s.r.l.

Vancouver (Colombie-Britannique)

Pour la défenderesse

 

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