Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20160510


Dossier : T-2639-14

Référence : 2016 CF 517

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 10 mai 2016

En présence de madame la juge Elliott

ENTRE :

BIOGEN IDEC MA INC.

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Nature du litige

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision datée du 4 décembre 2014 du commissaire aux brevets (commissaire) qui a déterminé que la demanderesse n’avait pas répondu à temps à une demande parce qu’elle avait fait livrer la correspondance par XpresspostMC, et non par le service Courrier recommandé de Postes Canada. Par conséquent, sa demande de brevet, d’abord déposée en 1979, a été retirée de la procédure de conflit de demandes. Toutes les revendications en conflit de la demanderesse sont considérées comme ayant été abandonnées et ne seront pas prises en considération lorsque des brevets sont accordés pour ces revendications.

II.                CONTEXTE

[2]                En 1989, la Loi sur les brevets a été modifiée de manière considérable et fondamentale. Le système au Canada pour accorder des brevets a changé du « premier inventeur » au « premier déposant ». L’ancienne loi est diversement appelée l’« ancienne loi » ou la « loi antérieure au 1er octobre 1989 ». La Loi sur les brevets actuelle est désignée comme étant la nouvelle loi. L’ancienne loi continue de s’appliquer au brevet qui fait l’objet de la présente demande.

[3]               Les faits sont simples. Ils ne sont pas contestés. La demanderesse a fait livrer par XpresspostMC, le jour où elle était due, la correspondance comportant une preuve par affidavit (la preuve) qui devait être envoyée dans le cadre d’une procédure de conflit de demandes régie par l’ancienne loi.

[4]               Le commissaire a déterminé que la livraison par XpresspostMC n’était pas une livraison par courrier recommandé et ainsi la demande n’a pas été reçue jusqu’à ce qu’elle arrive physiquement, au bureau, quatre jours après la date limite. Le service Courrier recommandé de Postes Canada est l’établissement désigné par le commissaire aux brevets (le commissaire) pour recevoir la correspondance comme si elle lui avait été livrée matériellement.

[5]               On me dit que cela pourrait être le dernier cas à trancher en vertu de l’ancienne loi. Néanmoins, la livraison est maintenant régie par la nouvelle loi, donc mon examen de la décision du commissaire aura un effet continu. Il touchera plus que les brevets. Le Règlement sur le droit d’auteur, le Règlement sur les dessins industriels, le Règlement sur les marques et le Règlement sur les topographies de circuits intégrés, qui sont tous supervisés par le commissaire et suivent le même processus de livraison d’« établissement désigné ».

III.             Exposé des faits

A.                Chronologie des événements

[6]               Le 21 décembre 1979, la demanderesse a déposé la demande de brevet canadien no XXX 497 (la demande 497) intitulée « Recombinant DNA Molecules and their Method of Production ». Aucun brevet n’a encore été accordé.

[7]               En novembre 2000, le commissaire a informé la demanderesse, en vertu du paragraphe 43(2) de l’ancienne loi, qu’un conflit existe entre la demande 497 et 12 demandes en co-instance.

[8]               Le 15 novembre 2012, le commissaire a fixé le délai du dépôt de la preuve dans le cadre de la procédure de conflit de demandes à six mois à compter de cette date. Dix copies de la preuve étaient nécessaires.

[9]               La date de dépôt a été prorogée à deux reprises par ordonnances de la Cour. La prorogation la plus récente a été établie par une ordonnance du juge Beaudry datée du 24 janvier 2014. Il a prorogé le délai de dépôt de l’une des demanderesses en conflit à six mois à compter de la date de l’ordonnance.

[10]           Le 31 janvier 2014, le commissaire a informé toutes les autres parties au conflit que la date limite pour la soumission de la preuve visée par le paragraphe 43(5) avait été prorogée au 24 juillet 2014.

[11]           Le 24 juillet 2014, l’agent de brevets de la demanderesse a emporté la preuve au bureau de Postes Canada à Montréal afin de l’envoyer par courrier recommandé au commissaire conformément au paragraphe 5(4) des règles de la nouvelle loi (nouvelles règles). La preuve pesait 12,5 kg. Elle dépassait la limite de poids de 500 g de Postes Canada pour le courrier recommandé; on a donc refusé de l’accepter pour cette livraison. Par conséquent, l’agent de brevets l’a envoyée, ce jour-là, en utilisant le service XpresspostMC de Postes Canada.

[12]           Le 28 juillet 2014, la preuve a été reçue matériellement par le commissaire à l’Office de la propriété intellectuelle du Canada (OPIC) à Gatineau (Québec).

[13]           Le 29 septembre 2014, le commissaire a informé la demanderesse, par lettre, que le service XpresspostMC était distinct du service Courrier recommandé de Postes Canada, donc la preuve n’a pas été considérée comme ayant été soumise le 24 juillet 2014, date à laquelle elle a été envoyée, mais plutôt à la date à laquelle elle a été reçue matériellement, soit le 28 juillet 2014. Le commissaire a conclu que la demanderesse avait omis de répondre à une demande dans les délais fixés. Il a jugé que la demanderesse avait renoncé à ses revendications concurrentes et aux revendications qui ne sont pas distinctes de celles-ci et a retiré les revendications de la demanderesse de la procédure de conflit de demandes.

[14]           Le 21 octobre 2014, la demanderesse a demandé le réexamen de la décision du 29 septembre 2014 et a demandé la réintégration des revendications jugées abandonnées. Elle a demandé une prorogation de quatre jours du délai imparti pour déposer la preuve.

[15]           Le 4 décembre 2014, le commissaire a refusé de réexaminer la décision initiale. Il a rejeté la réintégration à la procédure de conflit de demandes et a refusé d’accorder une prorogation de délai.

B.                 La demande de contrôle judiciaire

[16]           La demande, déposée le 31 décembre 2014, vise à faire annuler les décisions du commissaire. La demanderesse demande également diverses autres formes de réparation pour remédier efficacement à tout vice de procédure touchant le dépôt de la preuve, réintégrer sa demande de brevet dans la procédure de conflit de demandes et, le cas échéant, obtenir une ordonnance en vertu du paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales (Loi CF) accordant une prorogation de délai pour déposer la demande nunc pro tunc.

IV.             PROCÉDURE DE CONFLIT DE DEMANDES

[17]           La procédure de conflit de demandes a pour but de déterminer qui était le premier inventeur de l’objet de la demande de brevet. Dans le cas de plusieurs parties, comme en l’espèce, certaines peuvent être les premières relativement à certaines revendications, mais pas les premières par rapport à d’autres revendications. Lors de l’audition de la présente demande, l’avocat du défendeur a fait savoir que le commissaire ne poursuivrait pas la procédure de conflit de demandes jusqu’à ce qu’une décision définitive ait été rendue à l’égard de la présente demande. L’étape suivante, quand elle aura lieu, consistera à ouvrir toutes les enveloppes scellées reçues de la part des parties au conflit, afin de déterminer qui était la première inventrice de chaque revendication.

A.                Aperçu

[18]           En vertu de l’ancienne loi, la date réelle du dépôt d’une demande de brevet n’était pas déterminante pour obtenir un brevet. La date de l’invention de l’objet pour lequel la protection par brevet a été revendiquée régissait l’octroi du brevet. Si deux ou plusieurs demandeurs réclamaient la protection par brevet de la même invention, dans l’ensemble, ou de ses composants, ces demandes seraient en conflit. Quand il y avait un conflit, l’article 43, ci-joint en annexe A de ces motifs, stipulait le processus à suivre pour le résoudre. Pour faciliter la consultation, les parties pertinentes des deux paragraphes de l’article 43, qui expliquent le but et l’utilisation de la preuve envoyée par la demanderesse, figurent ci-dessous :

43(5) Si l’objet des revendications visées au paragraphe (3) est reconnu brevetable et que les revendications concurrentes sont maintenues dans les demandes, le commissaire exige de chaque demandeur le dépôt, au Bureau des brevets, dans une enveloppe scellée portant une souscription régulière, dans un délai qu’il spécifie, d’un affidavit du relevé de l’invention....

(6) Aucune enveloppe contenant l’affidavit mentionné au paragraphe (5) ne peut être ouverte, et il n’est pas permis d’examiner les affidavits, à moins que ne subsiste un conflit entre deux ou plusieurs demandeurs, auquel cas toutes les enveloppes sont ouvertes en même temps par le commissaire en présence du sous-commissaire ou d’un examinateur en qualité de témoin, et la date de l’ouverture des enveloppes est inscrite sur les affidavits.

43(5) Formal declaration of conflict—Where the subject matter of the claims described in subsection (3) is found to be patentable and the conflicting claims are retained in the applications, the Commissioner shall require each applicant to file in the Patent Office, in a sealed envelope duly endorsed, within a time specified by him, an affidavit of the record of invention...

(6) Opening envelopes containing record of invention—No envelope containing any affidavit mentioned in subsection (5) shall be opened, nor shall the affidavits be permitted to be inspected, unless there continues to be a conflict between two or more applicants, in which event all the envelopes shall be opened at the same time by the Commissioner in the presence of the Assistant Commissioner or an examiner as witness thereto, and the date of the opening shall be endorsed on the affidavits.

[19]           Dans l’arrêt Mycogen Plant Science, Inc. c. Bayer Biosciences N.V., 2010 CF 124 [Mycogen], le juge Hughes a fourni un aperçu utile de la procédure de conflit de demandes. Dans cet extrait, j’ai souligné les parties les plus pertinentes à ce différend :

[7]        En vertu du système du « premier inventeur », lorsqu’il n’y avait qu’une seule demande de brevet présentée au Bureau des brevets, la personne désignée comme l’inventeur était considérée comme la première personne qui avait inventé l’objet visé par la demande de brevet. Toutefois, il arrivait à l’occasion que deux ou plusieurs demandes de brevets qui semblaient viser un même objet soient déposées au Bureau des brevets. Lorsque ce cas se présentait, le commissaire aux brevets devait décider qui était le premier inventeur. Cette personne se voyait délivrer un brevet pour l’objet à l’exclusion des autres demandeurs.

[8]        L’article 43 de la version de la Loi sur les brevets antérieure au 1er octobre 1989 abordait expressément la procédure à suivre en cas de conflit de demandes. Cette disposition reste en vigueur à ce jour pour disposer des quelques conflits de demandes restants. Une copie de l’article 43 de la Loi sur les brevets antérieure au 1er octobre 1989 est annexée aux présents motifs. Il n’existe pas parmi les Règles sur les brevets ou les Règles des Cours fédérales de règle précise qui traite d’une telle procédure. Les versions des Règles des Cours fédérales antérieures à 1998 contenaient des règles précises traitant d’une telle procédure, mais elles ont été abrogées.

[9]        Le conflit a pris naissance lorsque les examinateurs du Bureau des brevets ont constaté qu’il y avait deux ou plusieurs demandes en attente devant le Bureau qui semblaient viser le même objet. En vertu du système antérieur au 1er octobre 1989, toutes les demandes de brevets étaient confidentielles. Il en va de même pour les demandes en l’espèce. Le Bureau des brevets choisissait parmi les demandes les revendications qui définissaient avec le plus d’exactitude l’objet commun à toutes les demandes, ou pouvait rédiger lui-même lesdites revendications. Ces revendications communes étaient présentées à chaque demandeur qui pouvait choisir de rester dans la procédure de conflit de demandes en insérant certaines, voire toutes les revendications à sa demande si elles ne s’y trouvaient pas déjà. Les demandeurs étaient par la suite invités à soumettre des affidavits énonçant les faits qui établissaient la date de l’invention par leurs inventeurs nommés. Certains choisissaient de se fonder uniquement sur la date du dépôt de la demande au Canada ou dans un autre pays si la demande canadienne revendiquait la priorité d’une telle demande. Lorsque toute la preuve était rassemblée, le commissaire aux brevets prenait connaissance de la preuve et décidait quels inventeurs étaient les auteurs de l’invention décrite dans l’objet des revendications concurrentes. À l’occasion, des inventeurs étaient premiers pour certaines des revendications et d’autres inventeurs l’étaient pour d’autres revendications. Les revendications étaient attribuées par le commissaire à la demande du premier inventeur de chaque revendication en cause, et toutes les demandes faisaient l’objet d’un examen final. Toutefois, toute partie au conflit pouvait, après avoir reçu la décision du commissaire, et si elle en était insatisfaite, commencer une procédure à la Cour fédérale pour déterminer à nouveau qui est le premier inventeur et à qui les revendications seraient attribuées. Il ne s’agit pas d’un appel ni d’un contrôle judiciaire, mais d’une procédure dans le cadre de laquelle une nouvelle décision est rendue. Dans une telle procédure, des revendications reformulées (ce qu’on appelle des revendications substituées) pouvaient être proposées pour régler le conflit. La Cour fédérale procédait comme avec toute autre action et sa décision pouvait être portée en appel de la manière habituelle.

[20]           Dans l’affaire Mycogen, la question était de savoir si le commissaire pouvait accorder une prorogation de délai à une partie pour déterminer, en vertu du paragraphe 43(4), s’il fallait ajouter ou conserver les revendications en conflit afin de rester dans la procédure de conflit de demandes. C’est l’étape précédant la question en litige visée par le paragraphe 43(5) dans cette affaire. Les articles sont suffisamment semblables pour que le jugement Mycogen soit abordé plus loin dans ces motifs lorsqu’il faudra déterminer si le commissaire aurait pu proroger le délai de dépôt de la preuve.

B.                 L’ancienne loi et les anciennes règles

[21]           Bien que l’ancienne loi s’applique en l’espèce, les règles de l’ancienne loi (anciennes règles) ont été complètement abrogées le 1er octobre 1996 lors de l’adoption des nouvelles règles. Aucune règle transitoire pertinente à ce sujet n’a été mise en place.

[22]           Les règles abrogées de l’ancienne loi portaient précisément sur les procédures de conflit visées par les articles 66 à 74. Les articles 138 à 140 octroyaient au commissaire le pouvoir de fixer et de proroger le délai, avant ou après son expiration. Malheureusement, bien que ces règles auraient par ailleurs été appliquées et auraient pu rendre cette demande inutile, elles ne constituent désormais plus qu’un intérêt historique.

[23]           Compte tenu de l’abrogation des anciennes règles, les parties conviennent qu’il n’y a pas de règles en place qui régissent la procédure de conflit de demandes.

[24]           En plus des règles, il y avait des procédures écrites pour guider les examinateurs dans le cadre de l’application de l’ancienne loi et des anciennes règles. Le Recueil des pratiques du Bureau des brevets daté de janvier 1990 et le Manuel de l’examinateur de brevets daté de février 1993 ont tous deux été soumis par le commissaire, dans le cadre du dossier certifié du tribunal, comme étant des documents qu’il jugeait pertinents. Ils sont mentionnés plus loin dans ces motifs.

C.                 La nouvelle loi et les nouvelles règles

[25]           L’article 78.1 de la nouvelle loi prévoit que les demandes de brevet déposées avant le 1er octobre 1989 seront traitées et tranchées en vertu de l’ancienne loi.

[26]           Quelques-unes des nouvelles règles s’appliquent à cette question, mais pas à la procédure de conflit de demandes. La Partie I des nouvelles règles comporte les « Règles d’application générale ». Ces règles s’appliquent à certains aspects de la présente demande comme les communications et le délai prescrit pour prendre certaines mesures.

[27]           Le 13 janvier 1994, un nouvel alinéa 10b) a été ajouté aux règles par DORS/94-30. C’est désormais le paragraphe 5(4) des nouvelles règles. La partie la plus pertinente à cette question prévoit que « [l]a correspondance adressée au commissaire peut être livrée matériellement à tout établissement désigné par lui » et « elle est réputée avoir été reçue par le commissaire le jour de la livraison » à condition que ce soit un jour où le Bureau des brevets est par ailleurs ouvert au public.

[28]           Avant la modification, en 1994, le commissaire pouvait seulement désigner « tout bureau du gouvernement du Canada » comme un bureau auquel le courrier adressé à l’OPIC pouvait être livré. Après la modification, le commissaire pouvait désigner simplement « un établissement » pour recevoir de telles livraisons en l’inscrivant dans la Gazette du Bureau des brevets (GBB).

[29]           L’article 15 de la GBB, vol. 143, no 2, 13 janvier 2015 (en vigueur à compter du 8 mai 2012) traite des « procédures de correspondance ». Le paragraphe 15.2 de la GBB est intitulé « Service Courrier recommandé de Postes Canada ». Il énonce ce qui suit :

Pour l’application des paragraphes 5(4) et 54 (3) des Règles sur les brevets, [...]  le service Courrier recommandé de Postes Canada est un établissement ou bureau désigné auquel la correspondance adressée au commissaire aux brevets [...] peut être livrée.

La correspondance livrée par l’entremise du service Courrier recommandé de Postes Canada sera réputée reçue à la date estampillée sur l’enveloppe par Postes Canada seulement si l’OPIC est ouvert au public à cette date. Sinon, elle sera réputée avoir été reçue à la date du jour d’ouverture suivant de l’OPIC.

[30]           Nous parlerons davantage de la modification de 1994 et des dispositions de la GBB plus loin dans ces motifs lorsque nous devrons déterminer si la demanderesse s’est conformée au paragraphe 5(4).

V.                QUESTIONS EN LITIGE

A.                Aperçu des questions en litige

[31]           La demanderesse, qui insiste que la livraison s’est faite à temps, accuse le commissaire de refuser à tort d’exercer son pouvoir discrétionnaire.

[32]           Le défendeur affirme que le commissaire n’a pas le pouvoir discrétionnaire de fournir une réparation quelconque, car une stricte conformité avec la Loi est obligatoire.

B.                 Énoncé des questions en litige de la demanderesse

[33]           La demanderesse soumet les questions à trancher suivantes :

i.                    Quelle est la norme de contrôle?

ii.                  La conclusion du commissaire selon laquelle XpresspostMC est un établissement distinct du « service Courrier recommandé de Postes Canada » était-elle déraisonnable?

iii.                La décision du commissaire de refuser d’accorder une prorogation de délai conformément à l’article 26 du Règlement sur les brevets était-elle déraisonnable?

iv.                Le commissaire a-t-il outrepassé ses pouvoirs lorsqu’il a jugé que les revendications concurrentes de la demanderesse avaient été abandonnées?

v.                  Le commissaire avait-il entravé à tort son pouvoir discrétionnaire ou n’est-il pas parvenu à l’exercer en refusant même d’envisager la réintégration des revendications concurrentes de la demanderesse?

C.                 Énoncé des questions en litige du défendeur

[34]           Le défendeur soumet les questions à trancher suivantes :

i.                    La demanderesse a-t-elle demandé un contrôle judiciaire hors des délais prescrits?

ii.                  Sinon, le commissaire avait-il raison de conclure que la demanderesse, par effet de la loi, avait manqué la date limite en concluant que XpresspostMC n’est pas un « établissement désigné »?

iii.                Le commissaire avait-il le pouvoir discrétionnaire de proroger le délai fixé par l’ordonnance de la Cour pour la livraison de la preuve? Si oui, la décision de refuser de prolonger le délai était-elle raisonnable?

iv.                Est-ce que le commissaire ou la Cour a le pouvoir de « rétablir » les revendications retirées d’une demande?

D.                Énoncé des questions en litige telles que formulées par la Cour

[35]           Comme on peut le voir, les parties sont en grande partie d’accord sur les questions bien qu’elles les abordent un peu différemment. J’ai reformulé les questions et je m’y pencherai de cette façon, dans cet ordre :

i.                    Quelle est la norme de contrôle applicable?

ii.                  La demande a-t-elle été dûment présentée à la Cour conformément à l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales?

iii.                Si la livraison de la preuve était tardive, le commissaire avait-il le pouvoir d’accorder une prorogation de délai et s’il l’avait fait, ce pouvoir a-t-il été dûment exercé?

iv.                Quelles conséquences découlent de l’échec d’une partie de déposer une preuve dans une procédure de conflit de demandes?

VI.             Norme de contrôle

A.                Position des parties

[36]           La demanderesse soutient que la norme de contrôle de toutes les questions, y compris les questions d’interprétation des lois, est le caractère raisonnable, car le commissaire traite de sa loi constitutive et de ses règles. La demanderesse affirme, cependant, que les décisions du commissaire ne sont pas justifiables, transparentes, intelligibles ou défendables en ce qui concerne les faits et le droit.

[37]           Le défendeur n’a pas abordé la norme de contrôle dans ses documents écrits. Lors de l’audience, en invoquant les affaires de brevets portant sur les frais de petite entité et les correspondants autorisés, il a fait valoir que l’interprétation par le commissaire du paragraphe 5(4) des nouvelles règles au moment où il a créé les établissements désignés est susceptible de révision selon la norme de la décision correcte, car la Cour est aussi bien placée que le commissaire pour rendre la décision. Il a ensuite déclaré que l’application de cette interprétation est soumise à un examen du caractère raisonnable.

[38]           En fin de compte, le défendeur affirme que toutes les questions – la rapidité de la livraison de la preuve, si une prorogation de délai peut être accordée, les conséquences de ne pas déposer la demande dans le cadre de la procédure de conflit de demandes – se résument à la même chose. Soit la loi ne conférait aucun pouvoir discrétionnaire au commissaire, ou il avait un pouvoir discrétionnaire, l’a exercé et a droit à la déférence. C’est bien sûr la norme du caractère raisonnable.

B.                 Analyse et décision

[39]           Quelle que soit la position des parties, il revient à la Cour de déterminer la norme de contrôle. Quand un décideur interprète sa loi constitutive, la norme de contrôle devrait en principe être le caractère raisonnable (Alberta (Information and Privacy Commissioner) c. Alberta Teachers’ Association), 2011 CSC 61 [Alberta Teachers’], au paragraphe 39).

[40]           Si la norme de contrôle a déjà été déterminée de manière satisfaisante, il n’est pas nécessaire de procéder à une autre analyse (Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], au paragraphe 62).

[41]           Toutefois, les décisions antérieures de la Cour et de la Cour d’appel fédérale, rendues avant le jugement Alberta Teachers’, ont jugé que l’interprétation par le commissaire des nouvelles règles est susceptible de révision selon la norme de la décision correcte (Belzberg c. Canada (Commissaire aux brevets), 2009 CF 657, au paragraphe 34; Dutch Industries Ltd. c. Canada (Commissaire aux brevets), 2003 CAF 121, au paragraphe 23).

[42]           De même, les décisions antérieures ont établi que l’interprétation par le commissaire de la loi en vigueur, compte tenu de l’ancienne loi ou de la nouvelle loi, est également susceptible de révision selon la norme de la décision correcte (Bayer Schering Pharma Aktiengesellschaft c. Canada (Procureur général), 2010 CAF 275, au paragraphe 19).

[43]           Le défendeur n’a présenté aucun fondement lui permettant de réfuter la présomption du caractère raisonnable à l’exception de celui selon lequel la Cour est aussi bien placée que le commissaire pour rendre la décision. Je ne trouve aucun fondement pour réfuter la présomption. Cette affaire ne concerne pas des questions constitutionnelles ou des questions de droit qui sont d’une importance capitale pour le système juridique dans son ensemble et qui dépassent l’expertise de l’arbitre. Je ne trouve pas qu’une véritable question de compétence ou de pouvoirs a été soulevée non plus.

[44]           L’interprétation par le commissaire du paragraphe 5(4) au moment où il a désigné l’établissement est, donc, susceptible de révision selon la norme du caractère raisonnable. L’application de cette interprétation aux faits, étant une question de fait et de droit, est également susceptible de révision selon la norme du caractère raisonnable (Karolinska Institut et Innovations AB c. Canada (Procureur général), 2013 CF 715, au paragraphe  20).

[45]           Les questions consécutives de la prorogation de délai, de l’abandon présumé et du rétablissement dans le cadre de la procédure de conflit de demandes sont également des questions d’interprétation de la loi qui découlent de la loi constitutive du commissaire. Elles seront également examinées selon la norme du caractère raisonnable.

[46]           Une décision est raisonnable si le processus de prise de décision est justifié, transparent et intelligible, et que la décision se situe dans une gamme de résultats possibles et acceptables, justifiables au regard des faits et du droit (Dunsmuir, au paragraphe 47).

VII.          La demande a-t-elle été dûment déposée en vertu du paragraphe 18.1(2) de la Loi CF?

[47]           Une question préliminaire consiste à savoir si la présente demande a été dûment présentée à la Cour. Le défendeur affirme que sa demande était tardive relativement à la question de la livraison par XpresspostMC parce que la lettre du commissaire du 29 septembre 2014 traitait de la question tandis que la lettre du 4 décembre 2014 était tout simplement une lettre de courtoisie.

[48]           Il reconnaît la question de savoir si une prorogation de délai devrait ou aurait pu être accordée et que les décisions consécutives de l’abandon et du refus de rétablir la demande dans le cadre de la procédure de conflit de demandes n’ont été soulevées que dans la seconde lettre et qu’elles sont soulevées dans les délais.

[49]           Toutefois, il affirme ensuite qu’il n’y a aucune décision susceptible de révision parce que toutes les autres questions – la livraison tardive, l’abandon de la procédure, le refus de proroger le délai – ont surgi purement par effet de la loi. Plus précisément, il déclare que la question de la livraison tardive a non seulement été soulevée hors des délais, mais n’était, en tout cas, pas une décision non plus, car elle découle de l’application de la loi en ce sens qu’elle ne s’est pas conformée à la désignation faite par le commissaire. Après cela, les autres questions ont découlé de plein droit.

A.                Lettre de réexamen ou de courtoisie?

(1)               La position de la demanderesse

[50]           Après avoir reçu la lettre du 29 septembre 2014, les avocats de la demanderesse ont écrit au commissaire, le 21 octobre 2014. La lettre de trois pages demandait au commissaire de réexaminer la décision initiale. À l’appui de cette demande, ils ont déposé un affidavit qui décrivait en détail les motifs pour lesquels le service XpresspostMC avait été utilisé et des arguments juridiques selon lesquels la demanderesse avait pleinement respecté les exigences de la loi. La lettre comportait également une demande de réintégration dans le cadre de la procédure de conflit de demandes si le commissaire considérait encore que la preuve avait été déposée en retard. À titre subsidiaire, la demanderesse a demandé une prorogation de délai de dépôt au 28 juillet 2014 et a présenté des arguments juridiques à l’appui de cette demande.

[51]           C’est la lettre du 4 décembre 2014 du commissaire en réponse à la lettre du 21 octobre 2014 qui, selon la demanderesse, était la décision définitive et a déclenché la procédure de contrôle judiciaire.

[52]           La demanderesse invoque les deux arrêts Independent Contractors & Business Assn. c. Canada (Ministre du Travail), [1998] ACF no 352 (CAF) [Independent Contractors] et Merham c. Banque Royale du Canada, 2009 CF 1127 [Merham] pour dire que 1) lorsque la question est réexaminée sur la foi de nouveaux faits, il s’agit d’une nouvelle décision et 2) le réexamen lui-même est une décision susceptible de révision. Je suis d’accord que ces deux propositions sont des énoncés de droit exacts.

[53]           Dans l’arrêt Independent Contractors, la Cour d’appel, au paragraphe 19, a adopté ce qu’avait dit le juge Noël dans l’arrêt Dumbrava c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1995), 101 FTR 230 [Dumbrava], à la page 236 (citations omises) :

Chaque fois qu’une autorité décisionnaire qui y est habilitée accepte de revoir une décision à la lumière de faits nouveaux, il en résultera une nouvelle décision, que la décision initiale soit changée, modifiée ou maintenue. (Renvoi omis) La question qui se pose est de savoir s’il y a nouvel exercice du pouvoir discrétionnaire, et il en sera toujours ainsi lorsque l’autorité décisionnaire accepte de revoir sa décision à la lumière de faits et d’arguments dont elle n’avait pas été saisie au moment de la décision initiale.

[54]           La demanderesse fait valoir qu’elle a présenté des faits et des arguments nouveaux qui ont été examinés par le commissaire, donc il y avait une nouvelle décision, pas seulement une simple lettre de courtoisie.

(2)               La position du défendeur

[55]           Le défendeur est d’avis que la lettre du 21 octobre 2014 de la demanderesse demandant un réexamen et une prorogation de délai ainsi que sa réintégration dans le cadre de la procédure de conflit de demandes ne « remet pas les pendules à l’heure » par rapport à la question de savoir s’il y avait une « livraison tardive » de la preuve.

(3)               Analyse et décision

(a)                Aperçu

[56]           Le paragraphe 18.1(2) de la Loi FC prévoit qu’une demande de contrôle judiciaire d’une décision doit être présentée dans les 30 jours suivant la date à laquelle la décision a été communiquée. Sans surprise, la demanderesse soutient que la deuxième lettre est la décision définitive et que c’est elle qui a déclenché le délai en vertu de l’article 18.1(2) tandis que le défendeur affirme que la première lettre est la décision relative à la livraison et que la deuxième lettre était tout simplement une lettre de courtoisie.

[57]           Cette question peut être tranchée en examinant seulement la deuxième lettre. Si elle porte sur un réexamen de la « livraison tardive », alors la demande a été déposée dans les délais. Si c’est tout simplement une lettre de courtoisie relativement à la « livraison tardive », alors la demande a été déposée après les 30 jours. Si tel est le cas, la demande de la demanderesse voulant que j’accorde une prorogation de délai nunc pro tunc conformément à l’article 18.1(2) de la Loi FC sera examinée.

(b)               Les lettres

[58]           La lettre du 21 octobre 2014 des avocats de la demanderesse comportait de nouveaux éléments de preuve sous la forme d’un affidavit de l’agent des brevets inscrit au dossier. Bien que l’affidavit lui-même n’a pas été consigné en preuve, il ressort clairement de la lettre d’accompagnement que l’affidavit appuyait le fait que les éléments de preuve visant la procédure de conflit de demandes ont été emballés et livrés à Postes Canada et qu’une demande a été faite à un employé pour qu’ils soient livrés par le service Courrier recommandé de Postes Canada. Cependant, l’employé a refusé d’accepter la boîte aux fins de la livraison. La lettre (et probablement l’affidavit) présente ensuite en détail la question du poids de 500 g et la décision prise par l’agent de la demanderesse d’utiliser XpresspostMC pour effectuer la livraison. Il s’agit là d’une nouvelle preuve, des détails que le commissaire n’aurait pas connus lors de la réception de la boîte par XpresspostMC.

[59]           La lettre de l’avocat fait ensuite valoir que [traduction] « en livrant matériellement la preuve visée par le paragraphe 43(5) à Postes Canada, le 24 juillet 2014, et en demandant qu’elle soit envoyée par le service Courrier recommandé, la demanderesse a pleinement respecté les exigences du paragraphe 5(4) des Règles sur les brevets ». Elle explique ensuite son raisonnement, à savoir qu’elle a utilisé un service de livraison « par courrier recommandé » de Postes Canada.

[60]           La lettre de réponse traite précisément des faits et des arguments nouveaux présentés relativement au poids de la boîte et l’argument que l’incapacité de se prévaloir du service Courrier recommandé n’aurait pas pu être raisonnablement évitée. Le reste de la lettre traite des autres demandes dont le défendeur ne conteste pas le fait qu’elles aient été présentées dans les délais.

[61]           La lettre du 4 décembre 2014 du commissaire traite directement de la preuve et des observations figurant dans la lettre du 21 octobre 2014 relativement à la livraison par XpresspostMC. Il reprend pratiquement les questions soulevées par la demanderesse et y répond de même qu’elle comprend des formulations du genre [traduction] « après avoir examiné les arguments de la demanderesse » et [traduction] « en conclusion, le Bureau adopte la position définitive que les affidavits et les éléments de preuve reçus au Bureau des brevets, le 28 juillet 2014, sont encore considérés comme n’ayant pas été soumis en temps opportun ».

[62]           Malgré l’utilisation du mot « encore », j’estime que la lettre du 4 décembre 2014 est une explication et une analyse plus approfondie et plus détaillée des motifs présentés dans la lettre du 29 septembre 2014. À mon avis, il est clair, selon les termes employés par le juge Noël dans l’arrêt Dumbrava, qu’elle [traduction] « renvoyait à des faits et des arguments qui ne figuraient pas dans le dossier lorsque la décision initiale avait été rendue ». Elle traitait expressément de faits et d’éléments de preuve supplémentaires présentés par la demanderesse.

(c)                Conclusion

[63]           J’en conclus que la demande déposée le 31 décembre 2014 qui demande une révision de [traduction] « la décision définitive du commissaire aux brevets figurant dans une lettre datée du 4 décembre 2014 » a été déposée dans le délai prescrit par le paragraphe 18.1(2) de la Loi CF. Par conséquent, il n’est pas nécessaire d’aborder la réparation nunc pro tunc demandée par la demanderesse.

B.                 Effet de la loi ou pouvoir discrétionnaire – y a-t-il une décision susceptible de révision?

[64]           L’un des facteurs déterminants dans le cadre de la résolution des questions en litige et aussi une différence importante entre les parties est la question de savoir si le commissaire avait un pouvoir discrétionnaire ou si tout s’est simplement déroulé par effet de la loi.

[65]           Cette question de savoir s’il y avait un pouvoir discrétionnaire ou des conséquences découlant de l’application de la loi s’applique à chacune des conclusions touchant la livraison de la preuve, le refus d’accorder une prorogation de délai, l’abandon présumé et le refus de réintégrer. Le défendeur a admis que la demande de révision des conclusions touchant la prorogation de délai, l’abandon et la réintégration a été présentée dans les délais prescrits. La question touchant chacun de ces points est de savoir si le commissaire a exercé son pouvoir discrétionnaire ou si chaque issue a été déterminée par l’effet de la loi. Nous nous pencherons séparément sur chaque question en commençant par la conclusion de « livraison tardive ».

(1)               La position du défendeur

[66]           Le défendeur soutient qu’il n’y avait eu aucune décision lorsque la preuve est arrivée par XpresspostMC. Étant donné qu’elle n’a pas été délivrée par l’établissement désigné, elle était automatiquement en retard par effet de la loi.

[67]           La position du défendeur est claire. Dans ses observations écrites, il déclare ce qui suit : [traduction]

[8] Ni la Cour ni le commissaire n’ont le pouvoir de soustraire la demanderesse aux conséquences de son défaut de contester la priorité de l’objet du conflit en omettant d’assurer une livraison rapide de la preuve mandatée par le paragraphe 43(5) de l’ancienne loi en conformité avec le régime législatif et l’ordonnance du juge Beaudry. Par conséquent, la présente demande de contrôle judiciaire devrait être rejetée avec dépens.

Il conclut ses observations ainsi : [traduction]

[51] Cette affaire n’est donc qu’une autre longue [sic] file de cas de brevets où la plupart des « précautions élémentaires » n’ont pas été prises et, bien que ce soit « malheureux », le droit de la demanderesse de demander un brevet qui comprend ses revendications concurrentes a été perdu par effet de la Loi sur les brevets à la suite d’une décision raisonnable du commissaire de ne pas lui accorder rétroactivement une prorogation de délai.

[68]           À l’appui de cette position, le défendeur invoque l’arrêt DBC Marine Safety Systems Ltd. c. Canada (Commissaire aux brevets), 2008 CAF 256 [DBC Marine] et d’autres arrêts concernant soit le paiement des taxes périodiques ou la correspondance uniquement avec des agents autorisés. Par exemple, dans l’arrêt DBC Marine, au paragraphe  2, la Cour d’appel a déclaré ce qui suit :

[2]        Le régime des demandes de brevets est solidement établi par la Loi sur les brevets et les Règles sur les brevets. Leurs diverses dispositions législatives forment ensemble un code complet définissant les obligations qui incombent à celui qui demande un brevet, les conséquences de l’inobservation de ces obligations et les mesures à prendre pour éviter ces conséquences.

(2)               La position de la demanderesse

[69]           La position générale de la demanderesse est que les jugements que le défendeur invoque se distinguent de la présente affaire parce qu’ils ont été rendus en vertu de la nouvelle loi dont le libellé législatif est tout à fait précis quant aux conséquences du non-respect. Il n’y a pas une telle conséquence précise dans l’ancienne loi, selon la demanderesse. Sans conséquence législative stricte, il n’y a pas d’effet de loi. Cette position est également valable en ce qui concerne les questions corrélatives de la prorogation de délai, de l’abandon et de la réintégration.

[70]           Sur le plan de la livraison tardive, la position de la demanderesse est qu’il n’y avait pas d’effet de loi et que le commissaire a rendu une décision qui était déraisonnable. Elle ajoute qu’en tout état de cause, les motifs fournis ne répondent pas aux exigences du jugement Dunsmuir en matière de justification, d’intelligibilité et de transparence, et elles ne sont pas défendables au regard des faits et du droit, car le commissaire a tout simplement tiré une conclusion.

(3)               Analyse et décision

[71]           Les jugements invoqués par le défendeur ont été rendus en vertu de lois très différentes, soit la nouvelle loi ou la Loi sur les brevets qui était en place pour les demandes déposées après le 1er octobre 1989 et avant le 1er octobre 1996. Pour déterminer s’il y a eu des conséquences de plein droit, il sera important d’examiner les dispositions de l’ancienne loi.

[72]           Le point de vue du défendeur selon lequel il n’y a pas de décision susceptible de révision à l’égard de la livraison par XpresspostMC dépend de la question de savoir si l’interprétation littérale par le commissaire de la désignation du service Courrier recommandé de Postes Canada comme un établissement distinct de XpresspostMC était raisonnable. En d’autres termes, la livraison s’est-elle faite conformément au paragraphe 5(4)?

C.                 La demanderesse s’est-elle conformée au paragraphe 5(4) des nouvelles règles?

(1)               La décision du commissaire

[73]           La raison du commissaire de conclure que la preuve de la demanderesse n’a pas été livrée conformément au paragraphe 5(4) et qu’elle était donc tardive est exprimée dans sa lettre du 29 septembre 2014 de la façon suivante : [traduction]

La demanderesse a présenté une boîte de documents concernant le présent conflit en recourant au service Xpresspost de Postes Canada. Bien que la date indiquée sur l’emballage soit le 24 juillet 2014, ce service de Postes Canada est considéré par le Bureau comme un établissement distinct du service Courrier recommandé de Postes Canada et, par conséquent, n’est pas considéré comme un établissement désigné par le commissaire aux brevets en vertu des paragraphes 5(4) et 54(3) des Règles sur les brevets. Par conséquent, la correspondance envoyée au Bureau des brevets par Xpresspost ne sera considérée comme étant reçue à la date à laquelle elle a été matériellement livrée au Bureau des brevets de Gatineau. Par conséquent, le Bureau estime que la date de réception des documents soumis est le 28 juillet 2014.

(Non souligné dans l’original.)

[74]           Dans sa lettre du 4 décembre 2014, le commissaire a ajouté que : [traduction]

Malgré les tentatives de la demanderesse d’assurer une livraison rapide en utilisant le service Courrier recommandé de Postes Canada, le commissaire n’en conclut pas qu’une tentative infructueuse de livrer la preuve en temps opportun peut s’assimiler à une livraison en bonne et due forme. Toutes les parties en conflit ont été soumises aux mêmes exigences en matière de livraison des affidavits et des éléments de preuve; toute prorogation de délai constituerait un traitement favorisant une partie contre une autre.

(Non souligné dans l’original.)

(2)               La position de la demanderesse

[75]           La demanderesse avance plusieurs arguments concernant cette question fondamentale. Tout d’abord, la demanderesse affirme qu’en livrant matériellement les éléments de preuve à Postes Canada, le 24 juillet 2014 et du moment que Postes Canada a apposé le timbre-dateur sur le colis ce jour-là, elle s’est conformée au paragraphe 5(4) comme il est libellé. Elle déclare qu’il était déraisonnable pour le commissaire de limiter les types de services de livraison par courrier recommandé fournis par Postes Canada qui satisfont à l’exigence en matière de preuve d’envoi et de livraison. La demanderesse soutient qu’il était déraisonnable pour le commissaire de conclure que la livraison par courrier recommandé au moyen du produit de Postes Canada commercialisé sous le nom de « Xpresspost » est un « établissement distinct » par rapport à la livraison par courrier recommandé au moyen du produit de Postes Canada commercialisé sous le nom de « Courrier recommandé ».

[76]           La demanderesse fait remarquer que même si la GBB parle de « service de courrier recommandé », Postes Canada n’emploie pas ce terme. Il se reporte simplement au « courrier recommandé » dans le cadre d’une catégorie de services de livraison qui fournit un accusé de réception, un suivi et la livraison. Elle affirme que le service XpresspostMC est aussi un type de service de cette catégorie.

[77]           La demanderesse a présenté une preuve non contredite que le service XpresspostMC offre les mêmes avantages et caractéristiques que le courrier recommandé (un numéro de suivi, la confirmation de la livraison et les mises à jour sur la livraison), mais elle précise que c’est, dans l’ensemble, un service de qualité supérieure au courrier recommandé, car il offre des délais de livraison plus rapides et garantis.

[78]           La demanderesse fait valoir que, du moment que les services Courrier recommandéMC et XpresspostMC sont des types de service d’une catégorie fournie par Postes Canada, il n’y a aucun fondement raisonnable au fait que le Commissaire conclue que ce sont des établissements différents.

[79]           La demanderesse souligne le fait qu’il n’y a aucune définition du « service de courrier recommandé » dans la nouvelle loi (ou l’ancienne loi) ou dans les nouvelles règles ou la GBB ou même dans la Loi sur la Société canadienne des postes. Elle fait également remarquer que les noms des produits et services que Postes Canada offre sont établis par Postes Canada, pas le commissaire. Postes Canada peut modifier ces noms de temps en temps, sans consulter le commissaire.

[80]           La demanderesse invoque l’arrêt Biggs and Nova Scotia (Director of Occupational Health and Safety), 2014 NSLB 243 [Biggs] dans lequel la question était de savoir si la signification des documents par le directeur en vertu de la Loi sur la santé et la sécurité au travail a été respectée lorsqu’elle a été faite par XpresspostMC, étant donné que l’alinéa 40(2)b) de cette loi prévoyait ce qui suit : [traduction]

40(2) Une ordonnance, un avis, un document ou toute autre communication peuvent être signifiés ou livrés aux fins de la présente loi ou des règlements par

b) courrier recommandé à la dernière adresse connue du destinataire;

et, la Commission du travail en Nouvelle-Écosse, au paragraphe 12 de sa décision « accepte que le service Xpresspost de Postes Canada soit une forme de courrier recommandé ».

(3)               La position du défendeur

[81]           Le défendeur souligne que la demanderesse participe à la procédure de conflit de demandes depuis l’année 2000, mais a attendu jusqu’au jour où les documents étaient dus pour livrer ses éléments de preuve. Si la demanderesse avait livré ses éléments de preuve à l’un des cinq bureaux d’Industrie Canada ou les avait envoyés par le service Courrier recommandé de Postes Canada, elle aurait obtenu une date de livraison le jour même, comme s’ils avaient été déposés directement auprès du Bureau des brevets. Mais, en ne le faisant pas, elle n’a pas été en mesure de se prévaloir de ce que le défendeur appelle les dispositions à l’« Ave Maria » d’un établissement désigné.

[82]           Les observations écrites du défendeur indiquent ce qui suit : [traduction]

[13] [...] La règle de brevet 5(4) a été adoptée pour aider les demandeurs qui décident d’attendre le dernier jour pour déposer des documents en tenant compte de la livraison à un « établissement désigné » prescrit pour la livraison le « même jour », plutôt qu’une livraison matérielle des documents au Bureau des brevets; cette dernière est la méthode la plus courante pour correspondre avec le Bureau des brevets.

(Non souligné dans l’original.)

[83]           Le défendeur ne conteste pas que XpresspostMC peut fournir les mêmes services postaux de courrier recommandé que Courrier recommandéMC.

[84]           Il s’inquiète, toutefois, du fait que, pour obtenir une signature à la livraison par XpresspostMC, il faut payer des frais pour ce service facultatif. Par conséquent, pour accepter les livraisons par XpresspostMC, cela [traduction] « ajouterait une étape supplémentaire de contrôle administratif pour confirmer si, dans chaque cas particulier, les frais du service facultatif ont été payés pour assurer la conformité avec le régime législatif ». En invoquant la décision de la Cour d’appel dans l’arrêt Unicrop c. Canada (Procureur général), 2011 CAF 55 [Unicrop], il ajoute que [traduction] « pour interpréter le “service Courrier recommandé” de Postes Canada d’une manière générale afin d’inclure toutes les options d’achat supplémentaires d’un service de signature enregistré créerait l’incertitude même que la définition vise à éliminer, car le commissaire serait amené à décider, dans chaque cas, si oui ou non la communication s’est faite par l’intermédiaire d’un établissement désigné ».

[85]           En outre, le défendeur déclare qu’il incombe à la demanderesse de veiller au respect non seulement des délais, mais également des limites applicables des établissements désignés comme les heures d’ouverture, le coût ainsi que les restrictions de taille et de poids. Il affirme que la preuve aurait dû être divisée en autant d’enveloppes distinctes que nécessaire pour répondre à ces limites de taille et de poids. La demanderesse répond en soulignant que, la répartition de la preuve de cette façon se traduirait par l’envoi de plus de 25 enveloppes distinctes plutôt qu’une boîte.

[86]           Le défendeur soutient que si le commissaire avait l’intention de permettre le dépôt par tout type de service de courrier recommandé, cela aurait pu être fait en employant une formulation plus générale plutôt que de préciser le « service Courrier recommandé » de Postes Canada. Il souligne également la mise en majuscules des mots en indiquant qu’un sens doit être attribué aux lettres majuscules.

[87]           À l’audience, le défendeur a fait valoir, relativement au jugement Biggs, que la référence au service de courrier recommandé dans la loi à l’étude ne comportait aucune majuscule et qu’il n’y avait aucune réserve quant à une restriction du type de service de courrier recommandé qui serait acceptable.

[88]           En outre, l’avocat du défendeur a mentionné plus d’une fois que les autres parties intéressées sont toujours en file pour contester toute décision rendue par le commissaire afin d’obtenir un avantage pour leur demande de brevet. Par conséquent, le strict respect de la loi et des règles est nécessaire. Au fil du temps, le commissaire a appris de cette cour et de la Cour d’appel qu’il ou, certaines années elle, n’a aucun pouvoir discrétionnaire parce que la loi et les règles constituent un code complet.

[89]           Enfin, le défendeur a fait remarquer que du moment que la même formulation d’établissement désigné est utilisée dans toutes les lois sur la propriété intellectuelle, [traduction] « la cohérence de l’interprétation des procédures de correspondance assure une administration efficace des diverses lois sur la propriété intellectuelle, y compris la Loi sur les brevets, au Canada ».

(4)               Analyse et décision

(a)                Cohérence de l’interprétation

[90]           En me penchant sur ce dernier point en premier lieu, car les parties ont émis l’hypothèse que c’est un cas de première impression, je ne vois pas comment la cohérence de l’interprétation des procédures de correspondance constitue une question ou un facteur dans cette affaire. Cette interprétation précise n’a pas été présentée auparavant devant la Cour. Si je soutiens l’interprétation actuelle du commissaire, rien ne change. Si je ne la soutiens pas, il y aura sans doute une nouvelle interprétation qui sera adoptée ou le commissaire modifiera les établissements désignés. Une interprétation cohérente s’ensuit, car la même règle s’applique à toutes les lois sur la propriété intellectuelle et le commissaire supervise chacune d’entre elles.

(b)               L’obtention d’une signature à l’OPIC

[91]           Le défendeur n’a pas expliqué pourquoi l’obtention d’une signature, qui prouve la livraison à l’OPIC, devrait [traduction] « imposer une étape administrative supplémentaire » pour déterminer si des frais supplémentaires pour obtenir une telle signature avaient, en effet, été payés. Si ces frais n’ont pas été payés, aucune signature n’est nécessaire. Si quelqu’un de l’OPIC a gratuitement fourni une signature sans qu’on lui demande de le faire, il n’y a aucune preuve indiquant que des frais seraient facturés au commissaire. Je ne vois donc pas quelle étape administrative est ajoutée, soit sur le plan du rendement (après tout, quelqu’un doit signer pour le courrier recommandé, donc c’est déjà « un fardeau ») ou sur le plan du coût supplémentaire.

[92]           L’invocation par le défendeur du jugement Unicrop est hors de propos en l’espèce. Le jugement Unicrop traitait de la confusion au sujet de qui était l’agent autorisé et comment le commissaire trancherait cette question si la définition d’« agent autorisé » est extraite des règles. Il n’a aucune similitude avec le paragraphe 5(4) et il n’y a aucune suggestion de « s’en tenir au » courrier recommandé, mais plutôt de l’interpréter d’une manière plus générique.

[93]           On ne sait pas pourquoi le commissaire estime qu’il est nécessaire d’obtenir une signature à la livraison à l’OPIC afin d’assurer la conformité avec le régime législatif. La date à laquelle les documents sont livrés à l’établissement désigné par le commissaire est l’élément important de la désignation d’un établissement. La date à laquelle les documents sont livrés par l’établissement n’a pas d’importance.

[94]           La notion réside dans la substitution de la livraison matérielle à l’établissement désigné pour la livraison matérielle réelle au Bureau des brevets ou l’un des cinq bureaux d’Industrie Canada. L’obtention d’une signature à l’OPIC confirmant la livraison est certainement prudente, mais pas obligatoire. Le législateur a très soigneusement énoncé ce qui suit dans le paragraphe 5(4) :

5.(4) La correspondance adressée au commissaire peut être livrée matériellement à tout établissement désigné par lui [...]

a) si elle est livrée à l’établissement [...], elle est réputée avoir été reçue par le commissaire le jour de la livraison;

(Non souligné dans l’original.)

[95]           La rédaction de la nouvelle règle de cette façon avait un sens. Il est inutile d’exiger qu’un demandeur obtienne une signature de l’OPIC autrement que comme une forme de réassurance ou, peut-être, une preuve au cas où le colis est égaré à l’OPIC. Cela dit, je ne peux pas imaginer qu’un demandeur ne paye pas toujours tous les frais nécessaires pour obtenir une preuve de livraison à l’OPIC. Cette prudence est tout à fait différente que de dire qu’il s’agit d’une exigence de la loi ou de la désignation faite par le commissaire. La désignation du commissaire ne peut pas modifier la loi pour ajouter une exigence de signature à la livraison à l’OPIC au lieu de la réception réputée par l’OPIC prévue au paragraphe 5(4).

[96]           Lorsque les membres du personnel de l’OPIC reçoivent les documents, que ce soit par Courrier recommandéMC ou XpresspostMC, ils sont simplement tenus de confirmer la date estampillée par Postes Canada sur les documents. Ils appliquent ensuite le paragraphe 5(4) pour déterminer si le jour auquel Postes Canada a reçu et horodaté les documents était également un jour où l’OPIC était ouvert au public. S’il l’était, la date estampillée par Postes Canada est la date de réception par l’OPIC. Rien de plus n’est nécessaire. Ni le commissaire ni son personnel ne sont tenus de vérifier si des frais ont été payés ou non, ou si une signature a été fournie à l’OPIC lors de la livraison. Le seul processus de vérification consiste à examiner la date estampillée sur les documents.

[97]           En conclusion, je n’estime pas que le point de vue du défendeur tienne la route, à savoir que lors de l’interprétation de l’effet de la livraison par XpresspostMC, il faut se demander si un fardeau administratif supplémentaire serait imposé à l’OPIC pour vérifier si une signature est requise. Je ne trouve pas que ce fardeau existe.

(c)                L’utilisation de lettres majuscules

[98]           Je ne suis pas disposée à conclure qu’en mettant en majuscules les mots « service Courrier recommandé », le Commissaire visait à exclure toutes les formes de courrier recommandé. Aucun jugement n’a été invoqué à l’appui de cette suggestion.

[99]           L’article 38 de la Loi d’interprétation, LRC 1985, ch. I-21 prévoit que le langage courant appliqué à tout « objet » signifie que « [l]a désignation courante d’une personne, d’un groupe, d’une fonction, d’un lieu, d’un pays, d’un objet ou autre entité équivaut à la désignation officielle ou intégrale ». Je comprends donc que cela peut signifier que si XpresspostMC est communément appelé courrier recommandé, même si on l’appelle autrement, il peut être un courrier recommandé. Toutefois, ma décision ne repose pas sur l’une ou l’autre de ces appellations.

(d)               Crainte que d’autres parties contestent les décisions

[100]       À la suite du point de vue du commissaire selon lequel tout en l’espèce s’est déroulé par effet de la loi, le défendeur a laissé entendre que le commissaire n’ose prendre aucune position utile parce que les autres parties s’apprêtent toujours à contester ces décisions. Quoi qu’il en soit, en n’étant pas utile au défendeur dans ce cas, le commissaire a tout de même été contesté. Il est tenu d’examiner les questions et d’agir au mieux de sa capacité en conformité avec la loi indépendamment du fait qu’il soit contesté ou non. Ne pas agir par souci d’être contesté est une entrave au pouvoir discrétionnaire dans les cas où il en possède.

[101]       Dans chaque précédent auquel on m’a renvoyée, la jurisprudence repose sur la loi sur les brevets la plus récente du « premier déposant ». Chaque question en litige en l’espèce relève d’un article différent de l’ancienne loi ou de la nouvelle loi que ce qui avait été examiné dans les cas auxquels j’ai été renvoyée, comme Unicrop ou DBC Marine.

[102]       L’argument selon lequel le commissaire ne peut pas être utile parce qu’il pourrait être contesté n’est pas un motif valable pour qu’il adopte une interprétation étroite plutôt que générale de l’établissement désigné qu’est le service Courrier recommandé de Postes Canada.

(e)                Interprétation législative du paragraphe 5(4)

[103]       La question centrale est de savoir si le commissaire a raisonnablement interprété le pouvoir qui lui a été conféré en 1994 par le DORS/94-30 pour désigner les établissements en vue d’accepter la livraison de la correspondance envoyée à l’OPIC. La réponse exige un examen de l’interprétation de la loi par le commissaire à la fois sur le plan de la désignation des établissements selon le paragraphe 5(4), puis, dans ce cas, sur le plan de l’application de cette désignation au fait que la livraison par la demanderesse a été effectuée par XpresspostMC. Le fait que la livraison ait été tardive par effet de la loi ne peut être déterminé qu’une fois que l’analyse est terminée.

[104]       Dans le cadre de l’examen du caractère raisonnable des diverses interprétations de la loi par le commissaire, une approche consiste à évaluer s’il est compatible avec l’application de la disposition autorisant la décision et l’application des lois d’ensemble (Canada (Ministre des Transports, de l’Infrastructure et des Collectivités) c. Jagjit Singh Farwaha, 2014 CAF 56, [Farwaha], au paragraphe 100).

[105]       De même, le principe directeur de l’exercice du pouvoir discrétionnaire dans le domaine des brevets est qu’il doit être compatible avec l’objet et le but d’une loi ou d’une disposition législative et le promouvoir (Repligen Corporation Canada (Procureur général), 2010 CF 1288, au paragraphe 46 [Repligen]).

[106]       Pourquoi les règles ont-elles été modifiées en 1994 pour permettre au commissaire de désigner les établissements? Quel était l’objet et le but de l’habilitation du commissaire à désigner les établissements pour la livraison de la correspondance à l’OPIC?

[107]       Pour répondre à ces questions, j’ai déterminé, à la suite de l’audience, qu’il serait utile d’examiner le Résumé de l’étude d’impact de la réglementation (REIR) qui accompagnait le DORS/94-30. Une copie du REIR a été envoyée aux parties ainsi qu’une invitation à présenter des observations supplémentaires. D’autres observations ont été reçues et ont été prises en considération dans ces motifs.

(i)                 Le REIR

[108]       Dans leurs mémoires, les parties ont convenu que le REIR est un outil utile pour l’interprétation de la loi. Dans l’arrêt Bristol-Myers Squibb Co. c. Canada (Procureur général), 2005 CSC 26, au paragraphe 100, le juge Bastarache, dissident, a confirmé l’utilité de consulter le REIR pour trouver l’intention du règlement et des « renseignements sur l’objet et l’effet du règlement proposé ».

[109]       Les extraits les plus pertinents du REIR sont joints en annexe B. Plutôt que de les citer textuellement, je vais simplement résumer les points clés.

[110]       Le REIR indique que le but et les objectifs de DORS/94-30 étaient de :

i.                    répondre aux plaintes des clients selon lesquels le service existant favorisait les Canadiens qui effectuaient un dépôt dans la région de la capitale nationale ou à un bureau régional ou de district désigné;

ii.                  fournir des options de dépôt à distance supplémentaires à travers le Canada;

iii.                faciliter et améliorer le dépôt en demandant aux établissements d’estampiller la date sur les documents dès leur réception;

iv.                fournir au commissaire une certaine flexibilité pour désigner des établissements aux fins de la livraison de la correspondance, et ce, même dans les lieux les plus éloignés du Canada;

v.                  être un moyen pratique de déposer des documents parce que le dépôt à une date donnée établie par la loi est essentiel surtout dans le système du premier déposant;

vi.                offrir l’avantage des heures de bureau plus longues;

vii.              éliminer un [traduction] « problème important » [traduction] « car il n’y a pas de perte de temps entre le dépôt des documents et leur réception au Bureau des brevets ».

[111]       En plus d’articuler les raisons de l’introduction de la nouvelle règle, le REIR énonce également les solutions de remplacement qui ont été examinées et rejetées. Les voici :

i.                    Le statut quo – cette solution a été rejetée, car elle n’a pas abordé la raison sous-jacente des plaintes déposées par des membres du public et la barre de la propriété intellectuelle relativement au système de livraison existant.

ii.                  Le courrier ordinaire – cette solution a également été rejetée, car elle serait incertaine quant à la date à laquelle les documents ont été livrés puisque l’horodatage lui-même était incohérent et peu fiable. (Remarque : ces solutions n’ont été publiées que dans la Gazette du Canada, Partie I. Elles ont été omises dans la partie II.)

iii.                Recours à la poste prioritaire pour l’administration centrale et les bureaux régionaux et de district aux fins du dépôt – cette solution a été rejetée, car on croyait que le fait de restreindre le service de livraison à la poste prioritaire créerait une concurrence déloyale.

[112]       La demanderesse a fait valoir que, compte tenu des restrictions de taille et de poids imposées au courrier recommandé, le commissaire a effectivement exclu l’utilisation d’un établissement désigné pour la correspondance qui dépasse la taille ou le poids. De cette manière, le commissaire a fait échec à l’objectif de mettre la livraison à la disposition de tous les Canadiens. Il a également imposé une limite arbitraire qui va à l’encontre de l’objectif de [traduction] « garantir pratiquement à tous les Canadiens un moyen de déposer facilement des documents » auprès l’OPIC.

[113]       La demanderesse indique que l’interprétation n’assure également pas un traitement équitable des Canadiens situés à l’extérieur de la région de la capitale nationale ou des grands centres urbains où se trouve l’un des cinq bureaux désignés d’Industrie Canada. Tout particulier ou agent des brevets situé à l’extérieur de ces zones doit compter sur la livraison par un service de courrier recommandé pour obtenir une preuve de la date de dépôt, mais l’option est écartée si l’interprétation étroite comprend les limites de taille et de poids du courrier recommandé au lieu d’inclure d’autres formes de livraison du courrier recommandé.

[114]       Le défendeur fait remarquer que la modification a suivi une vaste consultation et établit clairement que l’objectif de la politique d’améliorer l’accessibilité à tous les Canadiens pour effectuer une livraison « le même jour » devait être mis en œuvre d’une manière qui assure des procédures claires et prévisibles pour la livraison datée sans alourdir indûment le fardeau administratif de l’OPIC.

[115]       La nécessité d’horodater clairement la correspondance s’était fait sentir parce que, comme indiqué dans le REIR, [traduction] « une différence d’un jour peut entraîner le refus d’une demande, car un document pertinent n’est pas parvenu au bureau à temps ».

[116]       Le défendeur fait également remarquer que les services de messagerie comme la poste prioritaire ont été examinés avec une attention particulière, mais ont été rejetés tout comme le courrier ordinaire. Il en tire la conclusion que [traduction] « le fait que d’autres services de livraison ont été examinés et rejetés démontre l’intention du commissaire que seul le service Courrier recommandé de PC doit être reconnu comme une option de service de livraison de remplacement ». Et que la restriction de la livraison à la poste prioritaire a été rejetée par le gouvernement.

[117]       Le défendeur présente les qualités de la détermination d’une date de livraison précise comme étant celles-ci :

i.                    la livraison pendant les heures normales de bureau de l’établissement;

ii.                  l’horodatage des documents par l’établissement lors de la réception;

iii.                l’obligation pour le demandeur de payer des frais pour le service de livraison.

[118]       À l’appui de la désignation par le commissaire du Service courrier recommandé, le défendeur déclare que le commissaire devait équilibrer une plus grande accessibilité et une plus grande équité pour les Canadiens sans imposer un fardeau administratif supplémentaire à l’OPIC. En effet, les « avantages et coûts » décrits dans le REIR comprenaient une charge de travail réduite pour les bureaux régionaux et de district sans ressources humaines ou monétaires supplémentaires nécessaires pour mettre en œuvre les modifications, dont toutes auraient un effet positif sur l’efficacité des procédures de dépôt au Canada.

[119]       La désignation du service Courrier recommandé permet, dit-on, [traduction] d’« éviter de faire des suppositions au sujet de l’horodatage et d’assurer une pratique constante en matière de correspondance avec le Bureau des brevets et compatible avec le REIR ».

[120]       La demanderesse répond en soulignant que le service XpresspostMC non seulement offre l’horodatage clair et certain qui est requis, mais améliore également l’accessibilité en n’ayant pas les restrictions de poids et de taille du courrier recommandé. L’exclusion du service XpresspostMC, dit la demanderesse, ne fait pas avancer les objectifs d’une date de livraison précise en matière de certitude et de prévisibilité. Elle restreint plutôt l’accès en refusant la livraison en fonction de la taille ou du poids.

[121]       La demanderesse souligne que le rejet du mode de livraison de remplacement par le service Poste prioritaire de Postes Canada a eu lieu parce que le législateur ne voulait pas restreindre la livraison à un seul service. Elle précise que le rejet pour ce motif-là ne peut pas appuyer logiquement un service limité à une autre méthode de livraison unique de Postes Canada.

[122]       Enfin, elle fait valoir que pour respecter les restrictions de poids du courrier recommandé, dans ce cas, en le divisant en petits paquets comme le propose le défendeur, cela aurait exigé 25 colis distincts de 500 g à livrer à l’OPIC. Le personnel devait alors les rassembler pour recréer les 10 affidavits différents. Contrairement aux objectifs du REIR, ce processus créerait un fardeau administratif inutile.

(ii)               Exercice du pouvoir discrétionnaire du commissaire dans le cadre de la mise en application du DORS/94-30

[123]       Lorsque la modification de 1994 a été promulguée, le commissaire a laissé en place les bureaux existants d’Industrie Canada et a ajouté « le Service Courrier recommandé de Postes Canada » comme un établissement désigné. Aucune preuve n’a été présentée pour expliquer « comment » ou « pourquoi » ou même « quand » le commissaire a, la première fois, exercé son pouvoir pour désigner les établissements.

[124]       En vertu du paragraphe 12(2) de la loi antérieure au 1er octobre 1989, lorsque le DORS/94-30 a été promulgué et que le paragraphe 5(4) a été ajouté, il avait « la même force et le même effet que s’il avait été promulgué » dans le cadre de la loi. Bien que la règle fait partie d’un règlement, elle n’est pas subordonnée à la loi. Comme prévu par l’article 12 de la Loi d’interprétation, le paragraphe 5(4) est censé apporter une solution de droit et doit s’interpréter de la manière la plus équitable et la plus large.

[125]       La demanderesse interpréterait les mots « service Courrier recommandé de Postes Canada » plus généralement que ne l’a fait le commissaire. Elle déclare que toute forme de service par Postes Canada qui fournit la date de livraison en horodatant les documents au moment de leur réception par Postes Canada est conforme à l’intention du législateur de même qu’elle est également soutenue par le REIR. La demanderesse propose l’approche du « sens ordinaire » de l’interprétation des lois pour dire que le courrier recommandé est quelque chose de plus que le service étroit commercialisé par Postes Canada sous ce nom.

[126]       Le défendeur déclare que « le service Courrier recommandé » n’est pas le même que tout service de courrier recommandé. Il préfère l’approche du « sens ordinaire » et du sens « littéral » de l’interprétation des lois, en déclarant que [traduction] « l’interprétation littérale et restrictive du commissaire est exacte ». XpresspostMC n’est pas un service de courrier recommandé.

[127]       Les arguments des parties montrent que ni un sens ordinaire ni une approche littérale de l’interprétation ne conviennent clairement dans ce cas. Il y a des interprétations plausibles concurrentes à résoudre.

[128]       Ruth Sullivan, dans Sullivan on the Construction of Statutes (5e éd., 2008) (Sullivan) traite des interprétations concurrentes en soulignant que ce n’est pas seulement un exercice académique dans le cadre duquel la Cour choisit l’une ou l’autre. Comme le bien-être des personnes et des collectivités est touché par l’interprétation, les tribunaux s’intéressent aux conséquences de chaque interprétation et doivent déterminer si une conséquence particulière est acceptable. À la page 299, Sullivan déclare ce qui suit : [traduction]

Si l’adoption d’une interprétation en faveur d’une solution de remplacement plausible conduirait à des aberrations, les tribunaux peuvent rejeter cette interprétation en faveur d’une autre qui évite les aberrations.

[129]       Sullivan a déterminé différentes catégories d’« aberrations ». Les catégories qui, selon moi, s’appliquent le mieux sont « le but perd son utilité », « les distinctions irrationnelles » et « les conséquences qui sont de toute évidence irrationnelles ou injustes » (Sullivan, page 300).

[130]       En bref, chaque catégorie est décrite comme suit : [traduction]

i.     Le but perd son utilité : une interprétation qui tendrait à contrecarrer l’objet de la loi est susceptible d’être qualifiée d’absurde.

ii.    Les distinctions irrationnelles : détourner le processus vers un détail qui semble stupide ou trivial; il n’y a pas de lien rationnel entre la conséquence et le principal facteur déterminant.

iii.   Les conséquences irrationnelles ou injustes : Sullivan décrit cela comme [traduction] « une grande catégorie résiduelle de l’aberration se composant de conséquences qui violent la conception de la cour de ce qui est juste, bon ou raisonnable ».

(1)               L’interprétation du commissaire va-t-elle à l’encontre du paragraphe 5(4) et de l’ancienne loi?

[131]       L’un des problèmes est que le commissaire, en 2014, interprète la désignation faite en 1994, ou vers cette date, par un autre commissaire. Les raisons qui ont poussé l’ancien commissaire à faire la désignation initiale semblent être perdues, si elles ont jamais été connues.

[132]       Un autre problème est que quand on a ajouté le paragraphe 5(4), l’ancienne loi avait été abrogée cinq ans plus tôt. Cependant, en 1994, les législateurs et le commissaire auraient certainement été au courant qu’il y avait encore un certain nombre de demandes régies par l’ancienne loi qui frayaient leur chemin dans le système. À l’époque, le commissaire avait peut-être la tâche peu enviable d’avoir un pied à la fois dans l’ancienne loi et la nouvelle loi lorsqu’il a désigné les établissements.

[133]       Le but de l’ancienne loi était d’attribuer un brevet au premier inventeur. La date de dépôt était sans importance sauf si elle était la seule preuve de la date d’invention. L’objectif du premier inventeur était appuyé par le régime de l’ancienne loi. Par exemple, la détermination définitive de qui était le « premier inventeur » était si importante qu’il y avait un droit automatique en vertu du paragraphe 43(8) pour une partie à la procédure de conflit de demandes de demander une toute nouvelle détermination de ses droits par la Cour.

[134]       Le but de la procédure de conflit de demandes était de résoudre les revendications qui se chevauchent en matière de première invention de sorte que, finalement, le premier inventeur de chaque revendication concurrente, tel que déterminé dans le cadre de ce processus, se verrait accorder un brevet pour chaque revendication.

[135]       En examinant le REIR et compte tenu du régime de la loi et des observations des parties, je constate que la création d’un système accessible permettant de faire un dépôt facilement auprès de l’OPIC était l’objectif principal d’apporter le changement pour octroyer au commissaire le pouvoir de désigner les établissements. Le processus qui a été mis en place était relativement simple. L’établissement désigné devait clairement horodater les documents à la réception. C’était la seule exigence. Elle imitait ce qui se passait dans les bureaux d’Industrie Canada et le processus suivi à l’OPIC où, quand un document était reçu, il était horodaté.

[136]       Il était également prévu que les établissements désignés auraient de plus longues heures d’ouverture que l’OPIC et les bureaux d’Industrie Canada, afin d’assurer une plus grande accessibilité. Je souligne que le RPBB de janvier 1990 indique à l’article 4.00 qu’il existait 23 bureaux régionaux et de district désignés où une demande pouvait être déposée, en plus du Bureau canadien des brevets. En 2014, il n’y avait que cinq de ces bureaux. L’un des deux motifs énoncés dans le REIR pour changer la règle était que les clients s’inquiétaient du fait que certains points de courrier désignés pourraient être touchés par les restrictions gouvernementales en matière de ressources. À la lumière de cette préoccupation, la modification de la règle était, dit-on, de [traduction] « garantir pratiquement à tous les Canadiens un moyen de déposer facilement des documents auprès l’OPIC ».

[137]       Je pense qu’il va de soi qu’il ne convient pas de diviser une boîte de documents en 25 enveloppes distinctes ou plus. Je ne pense pas non plus que l’OPIC préférerait recevoir 25 enveloppes à ouvrir et à assembler plutôt qu’une boîte entièrement assemblée prête à l’emploi. Le commissaire, en 1994, aurait été bien conscient que, dans une procédure de conflit de demandes, de nombreux éléments de preuve sont nécessaires pour appuyer la revendication de premier inventeur. Il aurait également été conscient qu’une procédure de conflit de demandes touche plusieurs parties. En l’espèce, même s’il n’y avait qu’une autre partie, pas 10, la limite de poids de 500 g signifie qu’au moins quatre enveloppes distinctes auraient été nécessaires. Je ne peux pas croire que le commissaire, en 1994, parfaitement au courant de la nature de la procédure de conflit de demandes, ferait sciemment une désignation qui causerait un surcroît de travail pour le personnel de l’OPIC et des inconvénients pour les clients. Une telle mesure serait allée à l’encontre de l’objectif déclaré de la modification de la règle et, en tant que telle, aurait été absurde.

[138]       L’interprétation qui appuie l’accessibilité grâce à la commodité et sans alourdir le fardeau administratif est celle qui est avancée par la demanderesse : un service de courrier recommandé par Postes Canada qui fournit un horodatage des documents livrés. Elle est également conforme au libellé du paragraphe 5(4).

(2)               Y avait-il un lien rationnel entre la conséquence et le facteur déterminant clé?

[139]       La situation actuelle démontre un aspect clair de la notion du « ni préjudice, ni faute ». Le processus prévu au paragraphe 43(6) pour ouvrir les affidavits soumis en vertu du paragraphe 43(5) est que toutes les enveloppes doivent être ouvertes immédiatement.

[140]       La demanderesse a remis son enveloppe à Postes Canada à la date d’échéance du 24 juillet 2014. Postes Canada l’a horodatée et acceptée pour la livraison par XpresspostMC. Postes Canada a, par la suite, pris le soin, la garde et le contrôle de l’enveloppe. Le contenu de l’enveloppe a été « verrouillé », le 24 juillet 2014. Lorsque la preuve a été livrée à l’OPIC, le 28 juillet 2014, le contenu était le même que quand il avait été remis à Postes Canada aux fins de la livraison. Il n’est absolument pas différent de ce qui aurait été le cas si la demanderesse avait remis l’enveloppe au comptoir de l’OPIC, le 24 juillet 2014. Il n’est également pas différent de ce qu’il serait si Postes Canada avait livré l’enveloppe par courrier recommandé « ordinaire » si la limite de poids n’avait pas empêché son envoi.

[141]       Le facteur déterminant pour le commissaire n’était pas la date de réception par Postes Canada ou l’horodatage de l’enveloppe qui sont tous deux exprimés dans le paragraphe 5(4). Le REIR signale le fait que [traduction] « les modifications facilitent et améliorent également le dépôt de brevets [...] en établissant une méthode pour déterminer une date de livraison précise ». Ces caractéristiques ont également été avancées par les deux parties comme étant d’une importance cruciale. Elles n’ont pas été prises en compte dans la décision du commissaire.

[142]       Le facteur déterminant clé était la conclusion du commissaire que le service XpresspostMC n’était pas un service de courrier recommandé. Ou, autrement dit, pour paraphraser l’argument de la demanderesse, le jargon commercial employé par Postes Canada pour les différents produits de livraison par courrier recommandé constituait le facteur déterminant. Le processus de fond de remise de la correspondance à Postes Canada aux fins de la livraison par courrier recommandé et son horodatage par Postes Canada répondent aux exigences du paragraphe 5(4) si l’interprétation plus générique est acceptée. La distinction fondée sur le nom du service plutôt que les fonctionnalités fournies est, dans le jargon de l’interprétation des lois, « irrationnelle » et donc déraisonnable. Il n’y a aucune « correspondance » entre la conduite et les conséquences. L’interprétation plausible qui évite ce résultat est préférée.

(3)               Les conséquences étaient-elles « irrationnelles ou injustes »?

[143]       Pour la demanderesse, les conséquences de l’interprétation étroite du commissaire étaient extrêmes. Étant donné que la livraison a été jugée tardive, la demanderesse a non seulement perdu le droit d’être reconnue comme première inventrice de l’une ou l’autre des revendications concurrentes ou qui ne sont pas distinctes de celles-ci; elle a également perdu le droit de demander une nouvelle détermination à cette cour en vertu du paragraphe 43(8). Ces résultats ne se produisent pas si l’interprétation tout aussi plausible que le service XpresspostMC est un établissement inclus dans la désignation du service Courrier recommandé de Postes Canada est acceptée.

[144]       Dans le contexte du paragraphe 5(4), la distinction entre Courrier recommandéMC et XpresspostMC est artificielle. La justification et l’accentuation de la distinction en affirmant qu’aucune prorogation de délai ne pourrait être accordée parce que [traduction] « toutes les parties au conflit étaient soumises aux mêmes exigences relativement à la livraison des affidavits et des éléments de preuve; toute prorogation de délai constituerait un traitement favorable d’une partie par rapport à une autre » ne résiste à aucun examen, même minime. Quel que soit le mode de livraison, on a accordé exactement le même traitement à toutes les enveloppes scellées qui avaient quitté définitivement les mains des parties au conflit. En réalité, les enveloppes sont encore scellées. Il n’y a aucun avantage pour la demanderesse, mais il y a tous les inconvénients. J’estime que la conséquence imposée viole la notion de la Cour de ce qui est juste, bon ou raisonnable. Ce n’est pas raisonnable.

(iii)             Conclusion

[145]       Sur la foi de ce qui précède, j’estime que l’interprétation étroite et stricte du commissaire à l’égard du service Courrier recommandé de Postes Canada est déraisonnable. Elle est rejetée en faveur de l’interprétation plausible avancée par la demanderesse, à savoir qu’en utilisant XpresspostMC, la livraison a été faite à un établissement désigné conformément au paragraphe 5(4).

[146]       Comme il est indiqué précédemment, l’obtention d’une signature à la livraison à l’OPIC n’est pas une exigence du paragraphe 5(4). L’interprétation qui a pour effet de modifier les exigences du paragraphe 5(4) est rejetée en faveur de celle qui est conforme, à savoir l’horodatage à la réception.

[147]       J’estime que la preuve n’était pas tardive. Par conséquent, aucune des autres constatations faites par le commissaire ne mérite d’être abordée, mais, pour dresser un portrait complet, je vais brièvement aborder chacune d’entre elles.

D.                Prorogation de délai

(1)               Aperçu

[148]       Le commissaire a refusé d’accorder une prorogation de délai pour accepter la réception matérielle à l’OPIC du courrier, le 28 juillet 2014, comme étant conforme aux exigences du paragraphe 43(5). Telle que formulée par le défendeur, la question en litige est énoncée comme suit : [traduction]

Le commissaire avait-il le pouvoir discrétionnaire de proroger le délai fixé par l’ordonnance de la Cour pour la livraison de la preuve? Si oui, la décision de refuser de proroger le délai était-elle raisonnable?

[149]       Pour les motifs qui suivent, voici les réponses :

i.        Oui, le commissaire avait le pouvoir discrétionnaire de proroger le délai.

ii.      La décision de refuser une prorogation de délai n’était pas raisonnable.

[150]       Dans la lettre du 21 octobre 2014, la demanderesse a demandé une prorogation de délai de quatre jours jusqu’au 28 juillet 2014, la date de livraison matérielle. La demande a été faite sans préjudice de son droit de maintenir, comme elle a continué de le faire, que sa réponse en vertu du paragraphe 43(5) a été déposée en temps opportun, le 24 juillet 2014. La demanderesse a invoqué la décision du juge Hughes dans l’affaire Mycogen qui traitait de la différence entre un délai « fixé » et un délai « spécifié ». L’argument est que puisque le commissaire avait précisé le délai initial, il avait le pouvoir discrétionnaire de le proroger.

[151]       L’avocat du défendeur m’a poussée à constater qu’une fois que la livraison était en retard, la loi empêchait d’accorder toute prorogation de délai parce que le délai avait été fixé par ordonnance du juge Beaudry. Le défendeur déclare également que la demande de prorogation de délai était une prorogation rétroactive qui ne doit pas être accordée parce que [traduction] « le détriment aux autres parties concernées par la procédure de conflit de demandes » est primordial, car elles seront touchées [traduction] « soit par l’inclusion ou l’exclusion de la preuve de la demanderesse ».

[152]       Le motif du commissaire de ne pas accorder la prorogation, s’il en avait le pouvoir, était le suivant :

Le commissaire estime qu’un nouvel octroi rétroactif d’une prorogation de délai pour l’une des parties sans être en mesure de même de prolonger les délais des autres parties se traduirait par un traitement inéquitable et injuste des parties en conflit.

(2)               Analyse et conclusion

[153]       Le juge Beaudry a accordé une prorogation de délai à l’une des parties. Le commissaire a ensuite accordé une prorogation à toutes les autres parties. À cet égard, le commissaire a fixé un délai pour la demanderesse et les autres. Le libellé actuel du paragraphe 26(1) prévoit que le commissaire est autorisé à proroger le délai qu’il a fixé, sous réserve de la prorogation demandée et du paiement de tous les frais. La demanderesse a effectivement demandé une prorogation. Il n’y a pas de frais fixés pour une prorogation de délai, donc il n’y avait rien à payer.

[154]       Le paragraphe 26(1) ne précise pas qu’une prorogation doit être demandée avant l’expiration. Aux termes des anciennes règles abrogées, une prorogation de délai pouvait être accordée avant ou après l’expiration. À mon avis, cela démontre que la procédure de conflit de demandes ne serait pas entravée si une prorogation de délai avait été accordée après l’expiration du délai. (Voir les articles 18.13 et 18.17 du Manuel de l’examinateur de brevets.)

[155]       Dans l’arrêt Mycogen, le juge Hughes a constaté que le paragraphe 26(1) des nouvelles règles n’empêchait pas les prorogations en cas de conflit. Ses motifs sont énoncés au paragraphe 52 :

Le paragraphe 26(1) permet la prorogation de ce délai « sauf pour l’application de la partie V ». La partie V ne fait nulle mention de la procédure de conflit de demandes. Elle porte sur d’autres questions portant sur les demandes antérieures au 1er octobre 1989 et, dans le cas des délais, ne le fait qu’en ce qui concerne la taxe pour le maintien en état des droits (article 182) et le dépôt d’un échantillon de matière biologique (articles 183 à 186).

[156]       Je suis d’accord que la partie V ne modifie pas l’article 26 lorsque des procédures de conflit de demandes sont en cause. Les dispositions visées dans la partie V sont les suivantes : « Mise en mémoire », « Forme et contenu de la demande », « Dessins », « Priorité des demandes », « Taxes pour le maintien en état » et « Dépôt de matières biologiques ». Les procédures de conflit de demandes ne sont pas incluses dans la ventilation des questions traitées par la Partie V. Bien qu’il y ait un énoncé au début indiquant qu’elle s’applique aux demandes dont la date de dépôt est antérieure au 1er octobre 1989, cette application générale touche donc les dispositions particulières qui figurent dans les articles suivants. Plusieurs articles de l’ancienne loi sont mentionnés dans le texte. L’article 43 n’est directement ou indirectement mentionné dans aucun d’entre eux.

[157]       Je constate que le commissaire avait effectivement le pouvoir discrétionnaire de proroger le délai en vertu des nouvelles règles, mais, en pensant qu’il n’avait aucun pouvoir, il ne l’a pas exercé. Cela représentait une entrave déraisonnable de son pouvoir discrétionnaire.

[158]       Cependant, la référence du commissaire à une prorogation injuste à l’égard des autres parties peut être un exercice du pouvoir discrétionnaire. C’est flou. Si oui, il ne s’agit pas d’une conclusion raisonnable des motifs déjà fournis dans l’analyse du paragraphe 5(4). Le contenu des enveloppes scellées a été « verrouillé » le 24 juillet 2014, lorsque la garde a été confiée à Postes Canada. À compter de la date limite, toutes les parties étaient et continuent d’être dans la même position. Au moins, pour conclure différemment, le commissaire aurait dû peser et équilibrer les intérêts concurrents, en exposant ses motifs pour que les parties puissent comprendre pourquoi il en est venu à la conclusion qu’il a tirée. Puisqu’il ne l’a pas fait, les motifs fournis ne répondent pas aux critères du jugement Dunsmuir. Ce n’est pas un cas où le dossier révèle les motifs qui auraient pu être fournis. Le dossier comporte les commentaires figurant dans le Manuel de l’examinateur de brevets qui appuient une position contraire à celle qui a été prise par le commissaire.

VIII.       Quelles sont les conséquences du défaut de déposer une preuve?

A.                Abandon des revendications concurrentes

[159]       À la suite de la constatation que la preuve avait été livrée en retard, le commissaire a déclaré, dans sa première lettre à la demanderesse, que la demande [traduction] « s’est avérée ne pas répondre à une demande dans le délai fixé par le commissaire aux brevets et sera retirée du conflit, entraînant ainsi l’abandon des revendications concurrentes et des revendications qui ne sont pas distinctes de celles-ci ». Dans sa deuxième lettre, le commissaire l’a formulé un peu différemment. Il a déclaré que la demande n’avait pas répondu à temps à la demande en vertu du paragraphe 43(5) et [traduction] « serait retirée du conflit, entraînant ainsi la perte des revendications concurrentes et des revendications qui ne sont pas distinctes de celles-ci ». La deuxième lettre a changé le mot « abandon » par « perte ». Il a également ajouté une référence au paragraphe 43(5) comme source de la demande.

[160]       La demanderesse conteste vigoureusement le fait que la livraison tardive de sa preuve, si elle avait eu lieu, a conduit à l’abandon de leur position dans la procédure de conflit de demandes. Les dispositions relatives à l’abandon qui traitent de la procédure de conflit de demandes se trouvaient toutes dans les anciennes règles. Ces règles n’existent plus. La demanderesse déclare que l’abrogation des règles signifie que le commissaire n’a aucun pouvoir de conclure que la livraison tardive de ses documents équivaut à l’abandon de ses revendications dans le cadre de la procédure de conflit de demandes.

[161]       En réponse, le défendeur explique que la demanderesse a seulement perdu le droit de demander un brevet pour les revendications concurrentes ou des revendications qui ne sont pas distinctes de celles-ci. La demanderesse a toujours le droit à un examen de toutes les revendications qui sont distinctes des revendications concurrentes. Le défendeur soutient que ce n’est pas un « abandon », car l’abandon s’applique à une demande entière. Cette même réponse s’applique à la demande de réintégration de la demanderesse qui est abordée dans la section suivante.

[162]       Le commissaire n’a cité aucune disposition pour justifier sa position. Dans ses observations écrites, le défendeur déclare, à l’appui de la position du commissaire, que les dispositions se trouvent au paragraphe 18.12.02(3) du Manuel de l’examinateur de brevets et au paragraphe 69(2) des anciennes règles. Le renvoi au Manuel de l’examinateur de brevets aurait dû être le paragraphe 18.12.02(2) qui stipule ce qui suit : [traduction]

2) La demande de tout demandeur qui ne présente pas un affidavit sera retirée du conflit. Toute revendication concurrente et qui n’est pas distincte de celle-ci dans la demande sera rejetée en vertu de la règle 69(2). Comme auparavant, le demandeur ne perd que l’objet du conflit.

(Non souligné dans l’original.)

[163]       Le statut de Manuel de l’examinateur de brevets est identique à des lignes directrices non contraignantes. Dans la mesure où les procédures et les conséquences figurant dans le Manuel de l’examinateur de brevets reposent sur les anciennes règles, il n’a aucun caractère contraignant ni officiel, mais il est instructif.

[164]       Le Manuel de l’examinateur de brevets repose sur le paragraphe 69(2) en ce qui concerne l’énoncé selon lequel le défaut de présenter un affidavit signifie que la demande sera retirée du conflit. Le commissaire ne peut pas invoquer une règle abrogée pour rendre une décision sur l’abandon. Il ne peut invoquer que la loi.

[165]       Il n’y a rien dans l’ancienne loi qui traite de l’abandon d’une demande autre que l’article 30. Il traite du délai dans lequel les demandes doivent être complétées. À cet égard, le défendeur a déjà déclaré, au nom du commissaire, que l’article 30 de l’ancienne loi ne vise que l’abandon d’une demande entière. Par conséquent, le commissaire n’invoque pas l’article 30 pour la conclusion que la demande devrait être retirée du conflit.

[166]       On ne m’a pas renvoyée à des dispositions de l’ancienne loi, et je n’arrive pas à en trouver non plus, indiquant que le défaut de déposer un affidavit en vertu du paragraphe 43(5) conduit à l’abandon, à la perte ou au retrait de la procédure de conflit de demandes. À la suite de l’abrogation des anciennes règles, si un affidavit n’est pas reçu par le commissaire en vertu de l’article 43(5), alors aucune autre preuve n’est effectivement soumise par la demanderesse. La conséquence logique est que la demanderesse doit donc compter sur la date de dépôt initiale et tout ce qui peut avoir été présenté en vertu du paragraphe 43(4). Une conséquence du retrait de la procédure de conflit de demandes est contraire à l’importance du régime du « premier inventeur ».

[167]       Pour que le commissaire puisse conclure que la demande est retirée de la procédure de conflit de demandes, cela exigeait un pouvoir législatif clair. Il n’existe pas. Si je n’avais pas déjà constaté que la livraison n’était pas tardive, j’aurais annulé, faute de pouvoir, la décision du commissaire selon laquelle la demande doit être retirée de la procédure de conflit de demandes.

B.                 Réintégration

[168]       En l’absence d’une conséquence de l’abandon, la réintégration n’est plus nécessaire. Mais, comme dans le cas des autres questions en litige examinées dans les présents motifs, je vais aborder la conclusion relative à la réintégration au cas où on déterminera plus tard que j’ai commis une erreur.

[169]       La demanderesse a présenté une requête en réintégration en vertu du paragraphe 30(2) de l’ancienne loi. Le défendeur déclare que le paragraphe 30(2) ne s’applique pas parce que le paragraphe 30(1) ne s’applique qu’à l’abandon d’une demande entière. Il déclare également que le législateur a limité le droit de contester la décision du commissaire d’attribuer des revendications concurrentes à une procédure d’appel en vertu du paragraphe 43(8) et cela ne s’applique qu’à ceux dont les revendications font l’objet d’un conflit.

[170]       Ma compréhension du processus de résolution de conflits est que l’on accorde une protection par brevet aux revendications dans le cadre du processus d’ouverture des enveloppes scellées prévu au paragraphe 43(6) et de l’examen de la preuve prévu au paragraphe 43(7) pour déterminer qui est le premier inventeur de chaque revendication. La décision du commissaire de ne pas autoriser le dépôt de la demande dans le cadre du processus prévu au paragraphe 43(6) n’en est pas une qui traite de « l’octroi des revendications concurrentes ». L’octroi n’a pas encore eu lieu.

[171]       Je ne lis pas également le paragraphe 43(8) comme étant une disposition qui limite [traduction] « le droit de contester la décision du commissaire relativement à l’octroi des revendications concurrentes à une procédure d’appel ». Il donne accès à la Cour après que les conflits ont été déterminés, pas avant cette décision.

[172]       La demanderesse invoque la décision rendue dans l’affaire Owens-Illinois Inc v Koehring Waterous Ltd. (1978), 40 CPR (2d) 72, qui touchait une procédure de conflit de demandes entre trois demandeurs. Le commissaire a accordé à l’intimée, Koehring Waterous Ltd., une prorogation de délai imparti pour déposer sa preuve par affidavit en vertu de ce qui était alors le paragraphe 45(5), qui est l’actuel paragraphe 43(5). Cette prorogation de délai a été contestée par l’un des autres demandeurs. La cour a jugé, aux paragraphes 23 à 27, que le commissaire avait le pouvoir de proroger le délai et [traduction] « en plus ou à titre subsidiaire, ce que le commissaire a fait en prorogeant le délai dans cette affaire visait, en fait, à rétablir la requête de l’intimée » en vertu de ce qui était alors le paragraphe 32 de l’ancienne loi, devenu le paragraphe 30. La demanderesse soutient que le rétablissement devait, dit-on, se produire au cas où on confirme qu’il est possible pour le commissaire de réintégrer la demanderesse dans la procédure des revendications concurrentes en vertu du paragraphe 30(2).

[173]       Je ne vois aucune raison d’être en désaccord avec la constatation faite dans l’arrêt Owens‑Illinois. Il a été confirmé en appel et n’a été ni renversé ni différencié. Le juge Hughes l’a appliquée dans l’arrêt Mycogen. Je constate que c’est encore un énoncé exact de la loi en ce sens que le commissaire pouvait proroger le délai ou, à titre subsidiaire, si les revendications concurrentes avaient été abandonnées, elle aurait pu être rétablie. En ne tenant pas compte de l’arrêt Owens-Illinois, qui a été porté à l’attention du commissaire par la lettre du 21 octobre 2014 de la demanderesse, le commissaire a déraisonnablement conclu qu’il n’avait pas le pouvoir de rétablir la demande dans la procédure de conflit de demandes sur la foi de son interprétation du paragraphe 30. Le jugement Owens-Illinois, qui était d’un avis contraire, lie le commissaire.

IX.             Décision

[174]       Ma conclusion selon laquelle le recours de la demanderesse au service XpresspostMC constituait une livraison à l’établissement désigné, en vertu du paragraphe 5(4), du service Courrier recommandé de Postes Canada signifie que la preuve a été livrée le 24 juillet 2014. Elle a donc été déposée à temps.

[175]       Par conséquent, il n’y a aucun fondement qui permet de retirer la preuve de la demanderesse de la procédure de conflit de demandes.

[176]       Les questions en litige relativement à la prorogation de délai, l’abandon et la réintégration ont été abordées au cas où on détermine plus tard que j’ai tort en ce qui concerne ma conclusion, mais il n’est par ailleurs pas nécessaire de s’y pencher davantage.

[177]       Aucune des parties n’a demandé des dépens dans cette affaire.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.      La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie.

2.      La décision du commissaire qui est énoncée dans sa lettre du 4 décembre 2014 est annulée.

3.      Le recours au service XpresspostMC de Postes Canada constitue une livraison à un établissement désigné aux termes du paragraphe 5(4) des Règles sur les brevets.

« E. Susan Elliott »

Juge

 


ANNEXE A

CONFLIT DE DEMANDES DE BREVETS

43.       Cas où conflit existe—(1) Se produit un conflit entre deux ou plusieurs demandes pendantes dans les cas suivants:

a)         chacune d’elles contient une ou plusieurs revendications qui définissent substantiellement la même invention;

b)         une ou plusieurs revendications d’une même demande décrivent l’invention divulguée dans l’autre ou les autres demandes.

(2) Lorsque le commissaire a devant lui deux ou plusieurs de ces demandes, il doit :

a)         notifier à chacun des demandeurs le conflit apparent, et transmettre à chacun d’eux une copie des revendications concurrentes, ainsi qu’une copie du présent article;

b)         procurer à chaque demandeur l’occasion d’insérer dans sa demande les mêmes revendications ou des revendications similaires, dans un délai spécifié.

(3) Si deux ou plusieurs de ces demandes complétées contiennent chacune une ou plusieurs revendications décrivant comme nouvelles des choses ou combinaisons de choses, et réclamant un droit de propriété ou privilège exclusif dans des choses ou combinaisons tellement identiques que, de l’avis du commissaire, des brevets distincts ne peuvent être accordés à des brevetés différents, le commissaire en notifie immédiatement chacun des demandeurs.

(4) Dans le délai fixé par le commissaire, chacun des demandeurs pare au conflit en modifiant ou radiant la ou les revendications concurrentes, ou, s’il est incapable de produire ces revendications parce qu’il connaît la découverte ou l’invention antérieure, il peut soumettre à l’appréciation du commissaire cette découverte ou invention antérieure qui, d’après l’allégation, devance les revendications. Chaque demande est dès lors examinée de nouveau par rapport à cette découverte ou invention antérieure, et le commissaire décide si l’objet de ces revendications est brevetable.

(5) Si l’objet des revendications visées au paragraphe (3) est reconnu brevetable et que les revendications concurrentes sont maintenues dans les demandes, le commissaire exige de chaque demandeur le dépôt, au Bureau des brevets, dans une enveloppe scellée portant une souscription régulière, dans un délai qu’il spécifie, d’un affidavit du relevé de l’invention. L’affidavit déclare :

a)         la date à laquelle a été conçue l’idée de l’invention décrite dans les revendications concurrentes;

b)         la date à laquelle a été fait le premier dessin de l’invention;

c)         la date à laquelle a été faite la première divulgation écrite ou orale de l’invention et la manière dont elle a été faite;

d)         les dates et la nature des expériences successives que l’inventeur a pratiquées par la suite afin de développer et mettre graduellement au point cette invention jusqu’à la date du dépôt de la demande de brevet.

(6) Aucune enveloppe contenant l’affidavit mentionné au paragraphe (5) ne peut être ouverte, et il n’est pas permis d’examiner les affidavits, à moins que ne subsiste un conflit entre deux ou plusieurs demandeurs, auquel cas toutes les enveloppes sont ouvertes en même temps par le commissaire en présence du sous-commissaire ou d’un examinateur en qualité de témoin, et la date de l’ouverture des enveloppes est inscrite sur les affidavits.

(7) Après l’examen des faits énoncés dans les affidavits, le commissaire décide lequel des demandeurs est le premier inventeur à qui il attribuera les revendications concurrentes, et il expédie à chaque demandeur une copie de sa décision. Copie de chaque affidavit est transmise aux divers demandeurs.

(8) Les revendications concurrentes sont rejetées ou admises en conséquence, à moins que, dans un délai fixé par le commissaire et dont avis est donné aux divers demandeurs, l’un d’eux ne commence des procédures à la Cour fédérale en vue de déterminer leurs droits respectifs, auquel cas le commissaire suspend toute action ultérieure sur les demandes concurrentes, jusqu’à ce que, dans ces procédures, il ait été déterminé que, selon le cas :

a)         de fait, il n’existe aucun conflit entre les revendications en question;

b)         aucun des demandeurs n’a droit à la délivrance d’un brevet contenant les revendications concurrentes, selon la demande qu’il en a faite;

c)         il peut être délivré, à l’un ou à plusieurs des demandeurs, un ou des brevets contenant des revendications substituées, approuvées par le tribunal;

d)         l’un des demandeurs a droit à l’encontre des autres, à la délivrance d’un brevet comprenant les revendications concurrentes, selon la demande qu’il en a faite.

(9)        À la demande de l’une des parties à une procédure prévue par le présent article, le commissaire transmet à la Cour fédérale les documents déposés au Bureau des brevets qui se rattachent aux demandes concurrentes

CONFLICTING APPLICATIONS

43.       When conflict exists—(1) Conflict between two or more pending applications exists

(a)        when each of them contains one or more claims defining substantially the same invention; or

(b)        when one or more claims of one application describe the invention disclosed in one of the other applications

(2) Procedure to be followed before conflict is declared—When the Commissioner has before him two or more applications referred to in subsection (1), he shall

(a)        notify each of the application of the apparent conflict and transmit to each of them a copy of the conflicting claims, together with a copy of this section; and

(b)        give to each applicant the opportunity of inserting the same or similar claims in his application within a specified time.

(3) Preliminary notice of conflict—When each of two or more of the completed applications referred to in subsection (1) contains one or more claims describing as new, and claims on exclusive property or privilege in, things or combinations so nearly identical that, in the opinion or the Commissioner, separate patents to different patentees should not be granted, the Commissioner shall forthwith notify each of the applicants to that effect.

(4) Response—Each of the applicants referred to in subsection (3), within a time to be fixed by the Commissioner, shall either avoid the conflict by the amendment or cancellation of the conflicting claim or claims, or, if unable to make the claims owing to knowledge of a prior art, may submit to the Commissioner the prior art alleged to anticipate the claims, and thereupon each application shall be re-examined with reference to the prior art, and the Commissioner shall decide if the subject matter of the claims is patentable.

(5) Formal declaration of conflict—Where the subject matter of the claims described in subsection (3) is found to be patentable and the conflicting claims are retained in the applications, the Commissioner shall require each applicant to file in the Patent Office, in a sealed envelope duly endorsed, within a time specified by him, an affidavit of the record of invention, which affidavit shall declare

(a)        the date at which the idea of the invention described in the conflicting claims was conceived;

(b)        the date on which the first drawing of the invention was made;

(c)        the date when and the mode in which the first written or oral disclosure of the invention was made; and

(d)       the dates and nature of the successive steps subsequently taken by the inventor to develop and perfect the invitation from time to time up to the date of the filing of the application for patent.

(6) Opening envelopes containing record of invention—No envelope containing any affidavit mentioned in subsection (5) shall be opened, nor shall the affidavits be permitted to be inspected, unless there continues to be a conflict between two or more applicants, in which event all the envelopes shall be opened at the same time by the Commissioner in the presence of the Assistant Commissioner or an examiner as witness thereto, and the date of the opening shall be endorsed on the affidavits.

(7) Decision of Commissioner—The Commissioner, after examining the facts stated in the affidavits, shall determine which of the applicants is the prior inventor to whom he will allow the claims in conflict and shall forward to each applicant a copy of his decision, together with a copy of each affidavit.

(8) Disposition of applications unless proceedings taken in Federal court—The claims in conflict shall be rejected and allowed accordingly unless within a time to be fixed by the Commissioner and notified to the several applicants one of them commences proceedings in the Federal Court for the determination of their respective rights, in which event the Commissioner shall suspend further action on the applications in conflict until it has been determined in those proceedings that

(a)        there is in fact no conflict between the claims in question;

(b)        none of the applicants is entitled to the issue of a patent containing the claims in conflict applied for by him;

(c)        a patent or patents, including substitute claims approved by the Court, may issue to one or more of the applicants; or

(d)       one of the applicants is entitled as against the others to the issue of a patent including the claims in conflict as applied for by him.

(9) Sending files to Court—The Commissioner shall, on the request of any of the parties to a proceeding under this section, transmit to the Federal Court the papers on file in the Patent Office relating to the applications in conflict.

 


ANNEXE B

ANNEXE

1. L’article 5 des Règles sur les brevets est abrogé et remplacé par ce qui suit :

« 5. Toute communication destinée au Bureau doit être adressée au commissaire. »

2. L’article 10 des mêmes règles est abroge et remplacé par ce qui suit :

« 10. La correspondance adressée au commissaire est réputée reçue par le Bureau le jour où elle est livrée à l’un des établissements suivants, si la livraison est effectuée pendant les heures d’ouverture normales de cet établissement :

a) le Bureau;

b) tout établissement que le commissaire désigne pour recevoir livraison de la correspondance qui lui est adressée.

RÉSUMÉ DE L’ÉTUDE D’IMPACT DE LA REGLEMENTATION

Description

Deux raisons fondamentales justifient la prise d’une telle initiative en ce moment. Premièrement, des clients de l’Office de la propriété intellectuelle du Canada se sont plaints que le service actuel, quoique gratuit, favorise les Canadiens qui déposent des documents dans la région de la Capitale nationale ou à un bureau régional ou de district désigné. Deuxièmement, les clients se préoccupent également du fait les restrictions des ressources du Gouvernement pourraient avoir des effets néfastes sur certains centres de dépôt des documents aux bureaux régionaux et de district.

Les modifications apportées à la règle 10 existante des Règles sur les brevets et à la règle 3 existante du Règlement sur les marques de commerce peuvent, en fait, garantir pratiquement a tous les Canadiens un moyen pratique de déposer des documents auprès du BCB ou du Bureau canadien des marques de commerce (BCMC), notamment dans les cas où les dates de dépôt sont primordiales. La date de dépôt d’un document auprès du BCB ou du BCMC telle que prescrite par la loi est critique pour les demandeurs, puisqu’une différence d’une journée peut se solder par le refus d’une demande si un document pertinent ne parvient pas au Bureau à temps. Il convient particulièrement, à l’heure actuelle, de se préoccuper de la question des dates de dépôt, puisque des dispositions 1egislatives récentes en matière de brevet ont instauré un système de premier déposant plutôt qu’un système de premier inventeur.

En outre, ces modifications faciliteront et améliorent le système de dépôt de documents concernant les brevets et les marques de commerce partout au Canada, puisqu’une méthode en vue d’établir la date précise de livraison sera mise sur pied. Ceci donnera ainsi au commissaire ou au registraire toute la latitude pour désigner des établissements qui recevront la correspondance, même aux endroits les plus éloignés, partout au Canada. La correspondance adressée au commissaire ou au registraire est réputée reçue par le BCB ou le BCMC le jour où elle est livrée à l’établissement désigné, qui apposera un timbre-dateur sur les colis au moment où il les recevra. Les établissements désignes ont l’avantage d’habituellement avoir des heures d’affaires plus longues que l’administration centrale, les bureaux régionaux ou ceux de district. On élimine ainsi un problème grave d’écart entre la date de dépôt et la date de réception au BCB ou au BCMC.

Malgré le fait que la livraison des documents au BCB ou au BCMC par les établissements désignés entraînera des frais minimes de 7 $ à 13 $, les professionnels des brevets et des marques de commerce, qui représentent la majorité des demandeurs, appuient cette initiative car, selon eux, les coûts sont raisonnables. Il est à noter que les intéressés pourront toujours avoir recours au service gratuit offert par l’administration centrale, les bureaux régionaux et les bureaux de district.

De plus, ce nouveau système sera plus équitable pour tous les Canadiens et alignera le système canadien à celui du United States Patent and Trade Mark Office (bureau américain des brevets et des marques de commerce), qui applique déjà une procédure similaire.

Solutions envisagées

Les modifications apportées aux Règles sur les brevets et au Règlements sur les marques de commerce sont le seul moyen efficace de mettre en place les changements nécessaires. Le statu quo a été envisagé puis rejeter parce que des rajustements s’imposaient en raison de l’augmentation de la charge de travail dans les bureaux régionaux et de district et, aussi, du mécontentement du public à l’égard du système actuel. Les règles concernant la correspondance d’autres lois régissant la propriété intellectuelle sont aussi en train d’être modifiées et il nous faut offrir un service uniforme au grand public.

Une solution envisagée était le recours aux messageries prioritaires, à l’administration centrale et aux bureaux régionaux et de district. On a toutefois convenue que le fait de se limiter aux messageries prioritaires comme service de livraison donnerait lieu à une concurrence déloyale. Cette solution a donc été rejetée.

Avantages et coûts

Les modifications apportées aux règles et au règlement, en ce qui concerne le dépôt des documents relatifs aux brevets et aux marques de commerce par les demandeurs, les titulaires et leurs représentants amélioreront l’efficacité des procédures de dépôt de documents partout au Canada.

Le fait de designer des établissements pour le dépôt de documents réduira la charge de travail du personnel des bureaux régionaux et de district. En outre, le ministère n’aura pas à prévoir des ressources humaines ou financières supplémentaires pour mettre en œuvre les nouvelles dispositions.

L’une des répercussions négatives éventuelles, c’est-à-dire les coûts des services de messagerie, sera contrebalancée par la plus grande facilité d’accès découlant de l’utilisation de services de livraison désignes. Les professionnels des brevets et des marques de commerce ont été consultes au sujet des frais de 7 $ à 13 $ (selon les régions) demandes par les établissements désignés, et ils étaient tous d’accord pour dire que ces frais n’empêcheront pas les demandeurs d’y avoir recours.

SCHEDULE

1. Section 5 of the Patent Rules is revoked and the following substituted therefor:

“5. All communications intended for the Office shall be addressed to the Commissioner.”

2. Section 10 of the said Rules is revoked and the following substituted therefor:

“10. Correspondence addressed to the Commissioner shall be considered to be received by the Office on the day the it is delivered to one of the following establishments, where the delivery is made during the ordinary business hours of that establishment:

(a) the Office; or

(b) an establishment that Is designated by the Commissioner as an establishment to which corresponl1cnce addressed to the Commissioner may be delivered.”

REGULATORY IMPACT ANALYSIS STATEMENT

Description

...

There are two basic reasons why this initiative is necessary at this point in time. Firstly, the initiative stems from complaints by clients of the Canadian Intellectual Property Office that the present service, although free, favours Canadians filing in the National Capital Region or at a designated regional or district office. Secondly, clients are also concerned that Government resource restraints might affect some designated mail deposit points in regional and district offices.

The amendment to the existing Rule 10 of the Patent Rules and to the existing Rule 3 of the Trade Marks Regulations, does, in effect, virtually guarantees to all Canadians a means for conveniently depositing documents with the CPO or the Trade-marks Office (TMO). Filing a document with the CPO or the TMO by a particular date established by statute is critical to applicants; a difference of one day may result in the refusal of an application because a relevant document failed to reach the Office on time. The concern over filing dates is particularly valid now, since recent patent legislation introduced a first-to-file system instead of a first-to-invent system.

The amendments also facilitate and improve the filing of patent and trade-marks documents across Canada, by establishing a method to determine a specific delivery date and by providing the Commissioner or Registrar with flexibility to designate establishments for the delivery of correspondence, at even the most remote locations In Canada. Correspondence addressed to the Commissioner or Registrar shall be considered received by the CPO or TMO on the day that it is delivered to the designated establishment, which will in turn date-stamp the documents upon receipt. The designated establishments also provide the advantage of maintaining longer office hours than headquarters and regional and district offices. A major problem is thus eliminated since there is no time loss between the deposit of the documents and the receipt by the CPO and TMO.

Although there is a minimal cost ranging from $7 to $13 for the delivery of documents to the CPO and TMO by the designated establishments, the patent and trade-marks practitioners, representing the majority of applicants, support the initiative, and find the cost reasonable. Nevertheless, the Department’s headquarters and regional and district offices will continue to provide free filing services for applicants.

The new option for filing provides an equitable service to all Canadians and also aligns Canada with the United States Patent and Trade-Mark Office which follows a similar procedure.

Alternatives

Amending the Patent Rules and Trade Marks Regulations is the only effective means of implementing the necessary changes. The status quo was considered and rejected as increased workloads at regional and district offices, and discontent expressed by the public with the current system required that adjustments be made. Correspondence rules in other intellectual property legislation are also being changed and consistency in our service to the public is necessary.

An alternative suggested was to use Priority Post, to headquarters and to regional and district offices for filing. It was agreed, however, that it would constitute unfair competition to restrict the delivery service to Priority Post. This option was therefore rejected.

Benefits and Costs

The amendments to the rules and regulations regarding the filing of patent and trade-marks related documents by applicants, owners and their representatives will have a positive effect on the efficiency of filing procedures across Canada.

Designating alternative establishments will reduce the workload for regional and district office staff. There will be no additional human or monetary resources required by the Department to implement the amendments.

A possible negative effect, that of paying for the services of a courier, is offset by the expanded access provided by such designated establishments. The patent and trade-mark practitioners were consulted regarding the $7 to $13 fee (depending on location in the country) charged by designated establishments and the consensus was that the amount would not discourage use of this service.

 

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-2639-14

 

INTITULÉ :

BIOGEN IDEC MA INC. c. LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 17 août 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ELLIOTT

 

DATE :

Le 9 mai 2016

 

COMPARUTIONS :

Brian Gray

Andres Garin

David Yi

 

Pour la demanderesse

 

Jacqueline Dais-Visca

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Norton Rose Fulbright

Canada LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

William F. Pentney

Sous-procureur général

du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.