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Date : 20160503


Dossier : IMM-2764-14

Référence : 2016 CF 490

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 3 mai 2016

En présence de monsieur le juge Barnes

ENTRE :

NOUR HUSIEN, KHAIAR

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Le demandeur, Khaiar Nour Husien, conteste une décision rendue par une agente d’immigration (l’agente) le 5 février 2014 déclarant le demandeur interdit de territoire au Canada à cause de sa participation à un groupe terroriste, le Front de libération de l’Érythrée [F.L.E.]. M. Husien allègue qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale parce que l’agente a omis de communiquer un document clé. Il soutient également que la décision était déraisonnable, car elle a tenu compte d’éléments de preuve peu fiables concernant les activités passées du F.L.E.

[2]               La décision à l’étude a été précédée, en juin 2010, du rapport préliminaire d’interdiction de territoire de l’agente. Dans sa décision, l’agente faisait largement référence à un rapport de l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) de janvier 2007 qui décrivait en détail de nombreuses activités terroristes menées par le F.L.E. entre 1969 et 1991. Ce rapport faisait notamment mention de plusieurs cas où le F.L.E. avait participé à des détournements d’avion, à des enlèvements, ainsi qu’à des attentats contre des civils. La décision rendue par l’agente le 5 février 2014 résumait la preuve de terrorisme de la façon suivante :

[traduction] Les renseignements de sources ouvertes montrent que le F.L.E. a participé à des activités terroristes, de sa création jusqu’en 1991 environ. Cette organisation a participé au conflit armé contre le gouvernement éthiopien et a pris part à de nombreux actes terroristes, notamment l’assassinat d’agents du gouvernement, des enlèvements, des meurtres, la destruction de ponts, le déraillement de trains et le détournement d’avions. Elle a aussi été impliquée dans des attentats à la voiture piégée dont certains ont été fatals. Le groupe a enlevé des diplomates étrangers, menaçant parfois de tuer les otages si leurs demandes n’étaient pas satisfaites.

Je suis convaincue que les attentats perpétrés contre des avions de passagers et la mise en danger de la vie de civils constituent des actes de terrorisme. Je suis également convaincue que les enlèvements d’hommes d’affaires et de diplomates sont des actes de terrorisme, tout comme le sont le meurtre d’une infirmière missionnaire n’étant pas partie au conflit et l’enlèvement de citoyens étrangers en les retenant en otage.

Après avoir évalué toute la preuve documentaire qui m’a été présentée au sujet du F.L.E., je suis convaincue qu’il existe des motifs raisonnables de croire que ce groupe a participé à des actes de terrorisme.

[3]               Dès le départ, M. Husien a reconnu être membre du F.L.E. Il a toutefois qualifié ce groupe de mouvement de libération humanitaire. Il a aussi soutenu que sa participation à ce groupe était purement politique et humanitaire, et nié avoir été informé d’activités contre des civils menées par le F.L.E.

[4]               Il est mentionné dans le dossier que M. Husien et sa famille ont eu une entrevue avec Citoyenneté et Immigration Canada (CIC), le 9 novembre 2009. Le 23 avril 2010, l’avocate de M. Husien a écrit à CIC pour obtenir des renseignements au sujet de cette entrevue et savoir où en était rendue la demande de résidence permanente de la famille. Le 28 avril 2010, CIC a répondu qu’une décision écrite était imminente.

[5]               Le 30 avril 2010, CIC a écrit à M. Husien pour l’informer qu’il pourrait être interdit de territoire au Canada en vertu du paragraphe 34(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (LIPR) (la lettre relative à l’équité procédurale). Ainsi qu’il était indiqué dans cette lettre, l’agente avait joint plusieurs références décrivant des activités terroristes attribuées au F.L.E. M. Husien devait répondre à la lettre par écrit avant le 28 mai 2010. Pour des raisons qui ne sont pas expliquées dans le dossier qui m’a été remis, M. Husien n’a pas immédiatement communiqué à son avocate de l’époque la lettre relative à l’équité procédurale ni les pièces qui y étaient jointes, et il a plutôt choisi d’y répondre lui-même. Dans sa réponse, M. Husien a accusé réception des documents qui lui avaient été envoyés et n’a pas contesté les allégations concernant les activités terroristes du F.L.E. Il a toutefois nié avoir eu quelque connaissance de ces activités terroristes et s’est dit opposé à toute forme de terrorisme.

[6]               Le 18 juin 2010, l’agente a rédigé un rapport dans lequel elle déclarait que M. Husien était interdit de territoire en raison de son adhésion reconnue au F.L.E. Dans son rapport, l’agente citait de nombreux extraits du rapport de 2007 de l’ASFC, énumérant notamment 22 cas d’activités terroristes menées par le F.L.E., la plupart contre des non-combattants.

[7]               Peu après, l’avocate de M. Husien a cherché à intervenir au nom de son client. D’après le dossier, il semble en fait que M. Husien était représenté à l’époque par deux avocates, soit Catherine Bruce et Lisa Wyndels. Mme Wyndels a écrit à l’agente le 9 juillet 2010, puis ce fut au tour de Mme Bruce, le lendemain. Dans sa lettre du 9 juillet 2010, Mme Wyndels ne mentionnait que la demande de dispense ministérielle présentée par M. Husien. Quant à Mme Bruce, elle a reconnu, dans sa lettre du 10 juillet 2010, que M. Husien avait reçu la lettre relative à l’équité procédurale de CIC datée du 30 avril 2010, de même que les pièces jointes décrivant les activités terroristes passées du F.L.E. Elle a toutefois soulevé des doutes au sujet de l’évaluation faite par CIC de l’admissibilité de M. Husien et demandait qu’il lui soit donné l’occasion d’intervenir.

[8]               L’agente a répondu à la lettre de Mme Bruce et acquiescé à sa demande de prorogation visant à lui permettre de présenter des arguments à l’appui de la demande de dispense ministérielle en suspens de M. Husien. Dans sa réponse, l’agente n’a fait aucune référence explicite à l’évaluation faite par CIC de l’admissibilité du demandeur.

[9]               Ce n’est qu’à la fin d’octobre 2010 que Mme Bruce a présenté des observations importantes à l’agente. Ces observations ne portaient toutefois que sur la demande de dispense ministérielle de M. Husien et ne faisaient nullement référence à son admissibilité. Là encore, M. Husien a reconnu son affiliation au F.L.E. mais nié toute connaissance d’activités terroristes ou toute participation à de telles activités.

[10]           Le 2 novembre 2010, l’agente a rédigé un rapport à l’intention de son gestionnaire indiquant qu’une décision d’interdiction de territoire avait été rendue à l’endroit de M. Husien le 18 juin 2010. L’agente a demandé que la demande de dispense ministérielle de M. Husien soit traitée.

[11]           Le 2 octobre 2013, s’appuyant sur le rapport d’interdiction de territoire de juin 2010, l’agente a rédigé une décision recommandant le rejet de la demande de résidence permanente de M. Husien. Ce n’est toutefois que le 5 février 2014 que l’agente a informé M. Husien et Mme Bruce qu’une interdiction de territoire avait été prononcée à l’encontre de M. Husien et que sa demande de résidence permanente avait été rejetée. Les motifs suivants ont été invoqués à l’appui de cette décision :

[traduction] Dans sa demande de résidence permanente en date du 21 février 2001, M. Nour Husien a reconnu avoir été membre du Front de libération de l’Érythrée (F.L.E.) de 1980 à 1998. Dans un autre document, il a mentionné avoir été membre du Conseil de la révolution du F.L.E. de 1995 à 1998. Dans sa déclaration sous serment datée du 31 mars 2008, la femme de M. Husien a déclaré que son mari et des membres de sa famille étaient membres actifs du F.L.E. et que son mari avait participé à ce groupe en recueillant de l’argent, en distribuant des pamphlets, ainsi qu’en distribuant des médicaments, des aliments et des vêtements aux membres du F.L.E.; elle a également mentionné que M. Husien avait été détenu en 1981 après que ses activités eurent été découvertes. Durant son entrevue au bureau de Scarborough de CIC, M. Husien a confirmé qu’il avait adhéré au F.L.E en 1984 et qu’avant cette date il n’était auparavant qu’un sympathisant. Sur la base de ces éléments de preuve et des autres renseignements au dossier, je suis convaincue que M. Nour Husien a fait partie du Front de libération de l’Érythrée à peu près de 1980 à 1998.

[…]

Après avoir évalué toute la preuve documentaire qui m’a été présentée au sujet du F.L.E., je suis convaincue qu’il existe des motifs raisonnables de croire que ce groupe a participé à des actes de terrorisme.

[12]           Il convient de souligner que, jusqu’à ce moment, M. Husien n’avait jamais répondu à l’opinion formulée par l’agente selon laquelle le F.L.E. avait participé à des activités terroristes, et l’avait encore moins contestée. Il est également important de souligner que l’avocate de M. Husien n’a pas demandé un réexamen de l’interdiction de territoire pour cause de malentendu au sujet de l’état de ce processus.

[13]           Or c’est ce motif même qu’invoque M. Husien pour affirmer qu’il y a eu manquement à l’équité procédurale, estimant notamment que l’agente a agi d’une manière inéquitable en se basant sur le rapport de 2007 de l’ASFC sans lui en communiquer le contenu : voir les paragraphes 103 et 104 du mémoire complémentaire des faits et du droit du demandeur. Cette question doit être examinée en regard de la norme de la décision correcte.

[14]           Je conviens avec l’avocate de M. Husien que, dans certains cas, l’équité exige du décideur qu’il communique le contenu de la preuve extrinsèque à la partie intéressée. Il s’agit d’un critère bien établi dans la jurisprudence, ainsi que dans les propres lignes directrices du ministre pour l’établissement de l’admissibilité. Le concept sous-jacent veut que, pour qu’il y ait participation significative au processus de prise de décision, les renseignements concernant l’affaire doivent être connus : voir Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Bhagwandass, 2001 CAF 49, au paragraphe 22, [2001] 3 CF 3 (CAF). Cette obligation est satisfaite lorsque le décideur communique à la partie intéressée suffisamment d’information sur les questions en litige et les éléments de preuve pour que la partie intéressée puisse les examiner, les contredire, les clarifier ou les corriger : voir Nadarasa c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1112, au paragraphe 25, 182 ACWS (3d) 161.

[15]           La plainte de M. Husien concernant la non-communication, par l’agente, du rapport de 2007 de l’ASFC doit être examinée dans le contexte de ce que M. Husien savait et de ce qu’il a fait. En 2010, M. Husien a été informé des préoccupations qu’avait l’agente au sujet des actes de terrorisme attribués au Front de libération de l’Érythrée, et son avocate en a également été informée à un stade assez précoce du processus. De plus, une partie du moins de la documentation pertinente sur la situation dans le pays en cause, et sur laquelle s’était fondée l’agente, a été mentionnée dans la lettre relative à l’équité procédurale adressée à M. Husien. Or en aucun moment durant toute la période ayant mené à la décision d’interdiction de territoire en 2014 M. Husien n’a-t-il contesté le fait que l’agente avait déterminé, en 2010, que le F.L.E. était une organisation terroriste.

[16]           Bien que le rapport non communiqué de l’ASFC ait largement influencé la conclusion de l’agente au sujet du F.L.E., M. Husien n’a nulle raison de se plaindre de ce fait compte tenu de l’indifférence dont il a fait preuve à l’époque. M. Husien savait que l’agente était préoccupée par les antécédents du F.L.E. et il a eu l’occasion de répondre à ces préoccupations. Il a toutefois choisi de ne pas aborder cette question dans ses observations, et son avocate n’a pas demandé de réexamen. Il n’est pas loisible à une partie de faire abstraction d’une question dûment soulevée par le décideur, puis de se plaindre d’un manquement à l’équité procédurale parce que seulement une partie de la preuve à l’appui a été présentée : voir Khoshnavaz c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 1134, aux paragraphes 33 et 34, 235 ACWS (3d) 1068 et Zhang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 463, au paragraphe 15, 252 ACWS (3d) 778. Pareille conduite constitue une forme de renonciation. Il n’y a donc eu aucun manquement à l’équité procédurale.

[17]           Alors qu’il avait manifesté de l’indifférence à l’époque, M. Husien se plaint maintenant que l’agente s’est fondée sur deux rapports peu fiables pour conclure que le F.L.E. était un groupe terroriste, invoquant notamment à l’appui le fait que des éléments de preuve n’aient pas été présentés à l’agente. Comme je l’ai indiqué durant la plaidoirie, ces nouveaux éléments de preuve ne sont pas admissibles à des fins de contrôle judiciaire et je n’en ai pas tenu compte.

[18]           La seule preuve admissible concernant la question de la fiabilité est le rapport rédigé par le professeur Dan Connell. Ce rapport avait apparemment été produit à l’appui d’une demande d’asile présentée aux États-Unis qui n’avait aucun lien avec la présente affaire. Dans son rapport, le professeur Connell exprime des réserves au sujet de la fiabilité de certains rapports de la RAND Corporation et de certaines données figurant dans la Global Terrorism Database (base de données sur le terrorisme mondial). Il ne présente toutefois que quelques exemples d’attributions apparemment erronées ou de conclusions discutables; la majeure partie de la preuve utilisée par l’agente n’est donc pas remise en question. Rien dans le rapport Connell ne permet de mettre en doute d’une manière directe et sans équivoque la conclusion de l’agente concernant les activités terroristes du F.L.E.

[19]           Il est important de souligner que la conclusion de l’agente concernant le F.L.E. était fondée sur la norme moins rigoureuse des motifs raisonnables de croire (c.-à-d. une norme moins rigoureuse que la prépondérance des probabilités). Je suis d’avis que les éléments de preuve non contestés dans le dossier étaient suffisants pour corroborer la conclusion de l’agente sur cette question. Bien sûr, la norme de contrôle qui s’applique en l’espèce est celle de la raisonnabilité. Dans sa plaidoirie, le demandeur appelle à une nouvelle appréciation de la preuve, mais ce n’est pas le rôle de la Cour saisie d’une demande de contrôle judiciaire.

[20]           Pour les motifs précités, la demande est rejetée.

[21]           Aucune des parties n’a proposé de question à certifier et la présente affaire ne soulève aucune question grave de portée générale.


JUGEMENT

LA COUR rejette la présente demande.

« R.L. Barnes »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

IMM-2764-14

 

INTITULÉ :

NOUR HUSIEN, KHAIAR c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 23 mars 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE BARNES

DATE DES MOTIFS :

Le 3 mai 2016

COMPARUTIONS :

Andrew Brouwer

Ben Liston

 

Pour le demandeur

David Cranton

Kevin Doyle

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Bureau du droit des réfugiés

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

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