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Date : 20160422

Dossiers : T-1110-12

T-491-14

Référence : 2016 CF 435

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 22 avril 2016

EN PRÉSENCE DE : monsieur le juge Diner

Dossier : T-1110-12

ENTRE :

AFX LICENSING CORPORATION

demanderesse

et

HJC AMERICA, INC

ET HJC CO, LTD (KR)

défenderesses

Dossier : T-491-14

ET ENTRE :

AFX LICENSING CORPORATION

demanderesse

et

ROYAL DISTRIBUTING INC

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               Dans la présente action, la demanderesse allègue que les défenderesses ont contrefait son dessin industriel enregistré – « pare-visage pour casque », ID Can no 133964 (10 février 2010) [ID 964] – qui prétend protéger la visière, ou le protecteur facial, d’un casque de motoneige. Elle demande une injonction et des dommages-intérêts pour contrefaçon en vertu de la Loi sur les dessins industriels, LRC 1985, ch. I-9 [la Loi].

[2]               Les défenderesses nient ces allégations. Elles allèguent, par demande reconventionnelle, l’invalidité du dessin et demandent que la Cour raye ce dernier du Registre des dessins industriels. Les défenderesses allèguent également qu’en prétendant que le dessin est valide, la demanderesse a contrevenu à l’alinéa 7d) de la Loi sur les marques de commerce, LRC 1985, ch. T-13.

[3]               Pour les motifs exposés ci-dessous, je conclus que bien que l’ID 964 soit valide, les défenderesses ne l’ont pas contrefait. Compte tenu de la validité du dessin, les arguments des défenderesses invoqués en vertu de la l’alinéa 7d) sont théoriques.

II.                Contexte factuel

A.                Les parties

[4]               La demanderesse, AFX Licensing Corporation [AFX], est une société de l’Ontario. Elle détient tous les droits de l’ID 964, qui a été enregistré le 3 septembre 2010. Par conséquent, AFX affirme qu’elle détient le droit exclusif, en vertu de la Loi, « de fabriquer, d’importer à des fins commerciales, ou de vendre, de louer ou d’offrir ou d’exposer en vue de la vente ou la location » tout produit auquel s’applique l’ID 964 jusqu’au 3 septembre 2020, date à laquelle prend fin la période de 10 ans énoncée au paragraphe 10(1) de la Loi.

[5]               HJC America, Inc. [HJC America], une société de la Californie, est la division chargée de la commercialisation de HJC Co, Ltd (KR) [HJC Korea], une société de la Corée du Sud qui fabrique et distribue le protecteur facial pour casque HJ-17L, le produit qui, selon la demanderesse, contrefait l’ID 964.

[6]               Royal Distributing Inc. [RDI], un détaillant de Guelph, s’approvisionne auprès de Parts Canada – un distributeur de HJC Korea au Canada – et reconnaît avoir vendu 20 pare-visage pour casque HJ-17L. À l’origine, la demanderesse a poursuivi RDI dans une instance distincte (dossier T-491-14); les deux actions ont ultérieurement été regroupées étant donné que les éléments de preuve, les témoins, les avocats, les questions et les produits en cause étaient identiques. La présente décision porte donc sur les deux actions.

B.                 Le dessin industriel et le pare-visage prétendument contrefacteur

[7]               En Amérique du Nord, les consommateurs peuvent se procurer des casques de motoneige depuis au moins les années 1960. Les casques et leurs pare-visage sont conçus principalement pour protéger les humains contre des blessures à la tête résultant la plupart du temps de collisions, de chutes et de branches d’arbre sur les sentiers de motoneige. Les pare-visage, comme celui représenté par l’ID 964, protègent les yeux et le visage des motoneigistes contre le vent et le froid, tout en leur permettant de voir où ils vont. Pour empêcher qu’il se forme une buée ou une condensation sur la partie intérieure de la visière, certains pare-visage (comme celui de la demanderesse) ont une couche d’air incorporé entre la lentille intérieure et la lentille extérieure. D’autres sont munis d’éléments chauffants électriques.

(1)               Le dessin industriel, ID 964

[8]               L’ID 964 a été enregistré à l’origine au nom d’AFX North America Inc. [AFX-NA] le 3 septembre 2010, puis il a été attribué à la demanderesse le 9 novembre 2011. Il contient la brève description suivante :

[traduction]
Le dessin consiste en la forme, la configuration, le motif et les éléments décoratifs du pare-visage pour casque illustré dans les esquisses.

[9]               Les esquisses mentionnées dans cette description sont reproduites dans leur intégralité ci‑dessous, avec une clarification additionnelle pour décrire la perspective de chaque image :

ID 964, figure 1 – Perspective avant gauche

ID 964, figure 2 – Perspective de l’extérieur

ID 964, figure 3 – Perspective de l’intérieur

ID 964, figure 4 – Perspective du côté gauche

 

ID 964, figure 5 – Perspective du côté droit

ID 964, figure 6 – Perspective du dessus


ID 964, figure 7 – Perspective du dessous

[10]           Ces esquisses montrent le pare-visage sous divers angles et perspectives. On peut clairement y voir la forme de la zone de visualisation, que je décrirais comme rectangulaire avec des coins arrondis, et dont la partie supérieure est courbée, avec des extrémités effilées. La hauteur de la zone de visualisation diminue le long des bras.

[11]           Lors du procès de première instance, la demanderesse a insisté sur ce qu’elle appelait [traduction] « la projection moulée vers l’extérieur et la surface de contour lisse autour de la zone de visualisation » [la « projection moulée vers l’extérieur »], que l’on voit très clairement dans les figures 4 et 5 de l’ID 964 ci-dessus.

(2)               Le protecteur facial HJ-17L

[12]           Le HJ-17L, fabriqué par HJC Korea, est un pare-visage pour casque à double lentille qui, comme l’ID 964, comporte une zone de visualisation à lentille surélevée qui, selon les dires de la demanderesse, contrefait l’ID 964. Des photographies du HJ-17L correspondant aux figures 1 à 7 de l’ID 964 sont présentées ci-dessous :

HJ-17L, figure 1 – Perspective avant gauche

 

HJ-17L, figure 2 – Perspective de l’extérieur

 

HJ-17L, figure 3 – Perspective de l’intérieur

 

HJ-17L, figure 4 – Perspective du côté gauche

 

HJ-17L, figure 5 – Perspective du côté droit

 

HJ-17L, figure 6 – Perspective du dessus

HJ-17L, figure 7 – Perspective du dessous

III.             Questions en litige

[13]           Les trois questions à trancher sont les suivantes :

A.                 Le HJ-17L contrefait-il l’ID 964?

B.                 L’ID 964 est-il valide?

C.                 La demanderesse a-t-elle contrevenu à l’alinéa 7d) de la Loi sur les marques de commerce en représentant faussement l’ID 964 comme valide?

IV.             Témoins des faits

A.                George Douglas Hill

[14]           M. Hill est le cofondateur d’AFX-NA et de la demanderesse. AFX-NA est un fabricant de casques pour sports motorisés. En 1996, M. Hill a lancé AFX-NA avec sa femme et leur associé en affaires après avoir travaillé dans l’industrie des sports motorisés depuis 1978. M. Hill a défini l’industrie des sports motorisés comme étant celle qui [traduction] « [c]omprend les motocyclettes, les motoneiges, les VTT, les scooters, les motos hors route [et] tous les aspects liés aux [véhicules] récréatifs à deux roues, à trois roues et à quatre roues » (transcription condensée des procédures, p. 9 [TCP]). Dans son témoignage, M. Hill a affirmé qu’AFX-NA avait récemment expédié son deuxième millionième casque.

[15]           Pour ce qui est du produit en litige, M. Hill a clarifié que le terme « visière » possède plusieurs significations interchangeables dans l’industrie des sports motorisés, y compris la pointe d’un casque de moto hors route. Par conséquent, il a affirmé qu’il serait plus juste de désigner l’ID 964 et le HJ-17L par les noms « protecteurs » ou « pare-visage ».

[16]           Dans son témoignage, M. Hill a déclaré avoir commencé à mettre au point son pare‑visage en 2009 et qu’à l’époque, il y avait seulement deux façons de fabriquer un pare‑visage pour casque adapté aux températures froides. Le premier procédé de fabrication du « cadre en plastique noir » consistait à insérer deux pièces en plastique transparent (la zone de visualisation) dans un cadre en plastique noir. Le deuxième procédé consistait à poser un autocollant transparent sur la face intérieure d’un pare-visage adapté aux températures chaudes.

[17]           M. Hill a déclaré que son équipe des ventes a exercé « des pressions » sur lui pour qu’il mette au point un nouveau concept, étant donné le succès considérable de leur casque de motocyclette FX-90, pour lequel il n’existait aucune version adaptée aux températures froides. Il a ensuite décrit son « coup de génie » qui lui est venu après avoir trouvé un moyen d’intégrer son nouveau concept à ce casque « révolutionnaire » :

[traduction]
Ce que j’ai conçu, c’est une zone de visualisation moulée vers l’extérieur tout autour du périmètre de l’ouverture du pare-visage pour casque, le contour lisse de tout le périmètre, si bien que, lorsqu’on regarde le casque, le côté extérieur est éloigné du visage de la personne, il est donc moulé vers l’extérieur dans cette direction, loin du visage de la personne qui porte le casque, avec une courbe de contour lisse tout autour de la zone de visualisation visible.

(TCP, p. 19)

[18]           Dans son témoignage, M. Hill a dit avoir mis en marché son concept de pare-visage au début de 2010, qu’il estimait unique en son genre. Il a reconnu plus tard, en contre-interrogatoire, de ne pas avoir fait de recherches sur les brevets, tout en reconnaissant [traduction] « qu’il est impossible de savoir tout ce qu’il y a sur le marché » (TCP, p. 32). Il a déclaré avoir pris connaissance d’autres concepts existants en raison de son exposition à ces articles dans l’exercice de ses activités commerciales et de sa participation régulière à des événements organisés par l’industrie.

[19]           M. Hill a alors cherché à obtenir pour son concept la protection conférée aux brevets et aux dessins industriels. La demande de brevet visait à protéger [traduction] « un pare-visage ou une visière pour casque muni d’une deuxième lentille séparée de la première pour améliorer la caractéristique antibuée du pare-visage » (TCP, p. 35). Cependant, un protêt a été logé en vertu de l’article 10 des Règles sur les brevets, DORS/96-423, sous le prétexte qu’un pare-visage similaire était sur le marché depuis 2008. La demande de brevet a par la suite été abandonnée.

[20]           Toutefois, la demande d’enregistrement du dessin industriel a été déposée le 10 février 2010, et le dessin a été enregistré sous l’ID 964 quelque sept mois plus tard.

[21]           Le 7 novembre 2011, M. Hill a constitué la demanderesse en société. Deux jours plus tard, il a cédé la propriété de l’ID 964 d’AFX-NA à la demanderesse. L’intention de M. Hill était que la demanderesse distribue sous licence l’ID 964 à toutes les parties intéressées, moyennant 1 $ par article vendu. Ensuite, près de deux ans après avoir mis en marché le pare-visage d’AFX, il a vu une publicité sur le HJ-17L à l’adresse http://www.hjchelmets.com, un site Web de HJC America. Puis il en a commandé un auprès du détaillant de HJC Korea.

B.                 George Hong

[22]           M. Hong est le président de la défenderesse, HJC America. Dans son témoignage, il a affirmé que HJC America est une petite entreprise chargée de commercialiser les casques de la marque HJC et qu’elle ne fabrique pas, ne distribue pas et ne vend pas des casques. Bref, le site Web de HJC America, accessible à l’adresse http://www.hjchelmets.com, sert de source de renseignements sur des produits destinés aux consommateurs. Les détails du site Web sont affichés directement sur l’emballage du protecteur pour casque HJ-17L lorsqu’il est vendu. L’adresse du site Web figure également dans un manuel inséré dans la boîte contenant le pare‑visage.

[23]           Concernant ses activités au Canada, M. Hong a déclaré que HJC America offre à l’occasion de l’aide aux clients relativement aux garanties et au remplacement des produits. Cependant, on ne peut acheter un produit HJC qu’auprès d’un détaillant; il n’est pas offert à partir du site Web de l’entreprise, qui comprend néanmoins un localisateur de détaillants. Concernant ces activités de marketing et de service à la clientèle, HJC America est rémunérée entièrement par HJC Korea.

[24]           Finalement, M. Hong a affirmé dans son témoignage que le 16 novembre 2011, il a reçu du demandeur un avis de contrefaçon ainsi que l’enregistrement de l’ID 964. M. Hong a aussi reconnu que le protecteur HJ-17L a été mis en marché après le dépôt de la demande concernant l’ID 964.

C.                Gregory Forrest

[25]           M. Forrest est un agent de brevets à l’emploi du cabinet d’avocats des défenderesses, McMillan LLP. M. Forrest est allé à l’adresse http://www.archive.org, où se trouve le site Web de Wayback Machine d’Internet Archive, pour connaître la date d’un catalogue affiché sur le site Web d’Al’s Snowmobile Parts Warehouse [Al’s], une entreprise américaine. Internet Archive est un organisme sans but lucratif qui recueille automatiquement les données provenant de sites Web individuels à des intervalles irréguliers et stocke ces données en vue d’une récupération ultérieure (affidavit de Gregory Forrest, p. 1). Lorsque les données sont en mémoire, la date à laquelle elles ont été recueillies est également mise en mémoire, comme le décrit le juge McVeigh dans Davydiuk c. Internet Archive Canada, 2014 CF 944, paragraphe 6 :

La « Wayback Machine » est une collection de sites Web accessibles par l’entremise des sites « archive.org » et « web.archive.org ». Cette collection est créée par des logiciels appelés robots d’indexation, qui parcourent la toile et conservent des copies de sites Web dans l’état où ils existaient au moment de la visite. D’après Internet Archive, les utilisateurs de la Wayback Machine peuvent visionner plus de 240 milliards de pages conservées dans ses archives et hébergées sur des serveurs situés aux États-Unis. La Wayback Machine emploie six personnes qui veillent au fonctionnement et à l’exploitation de la plate-forme dans les bureaux d’Internet Archive à San Francisco, en Californie. Aucun des ordinateurs utilisés par Internet Archive ne se trouve au Canada. Aucun des ordinateurs utilisés par Internet Archive ne se trouve au Canada.

[26]           M. Forrest a déclaré dans son témoignage avoir fait des recherches pour l’adresse http://www.alssnowmobile.com, un site Web exploité par Al’s. Il a consulté la version du 10 octobre 2007 de ce site Web, puis téléchargé un fichier en langage postscript [PDF] du catalogue des produits de 2007-2008 disponible sur le site Web d’Al’s [catalogue d’Al’s] à ce moment-là. Il a affirmé dans son témoignage que les métadonnées associées au fichier PDF du catalogue d’Al’s indiquaient que sa plus récente date de modification était le 18 septembre 2007. Le catalogue était joint au titre de la pièce A de l’affidavit de M. Forrest. Toutefois, au cours de son contre-interrogatoire, M. Forrest a reconnu que Wayback Machine n’est pas une preuve définitive que le catalogue était disponible sur le site Web d’A1’s ou que l’ordinateur utilisé pour y accéder indiquait nécessairement la bonne date.

V.                Le témoin expert des défenderesses : le professeur Harry Mahler

[27]           Le professeur Mahler détient un grade d’associé (Ontario College of Art) et une maîtrise (Université de Birmingham) en dessin industriel. Il enseigne le dessin depuis 1989 (à plein temps depuis 2004) et il a travaillé auparavant dans le secteur privé, où il concevait des casques et des visières de hockey pour Cooper Canada, Ltd (maintenant Bauer Hockey).

[28]           Comme il est expliqué plus loin, même si j’ai pris acte de ses observations sur les limites fonctionnelles de la conception d’un pare-visage, le professeur Mahler a fini par reconnaître qu’il ignorait la notion de dessin au sens de la Loi. Par conséquent, je n’ai pas accordé beaucoup de poids à ses conclusions tant sur la contrefaçon que sur la validité. Quoi qu’il en soit, il est instructif de revoir son témoignage, qui était le suivant.

[29]           Le professeur Mahler a d’abord donné les grandes lignes des similitudes de conception entre la visière d’un casque de hockey et celle d’un casque de motoneige :

[traduction]
La géométrie de la visière doit être modélisée de manière à assurer une visibilité claire de l’utilisateur, d’un côté à l’autre. La visière des deux casques doit protéger à la fois les yeux et le visage de la personne qui le porte de tout impact imprévu. Les deux visières sont conçues pour soutenir des impacts grâce à des éléments structuraux, notamment la modélisation surfacique, afin de renforcer la visière et d’en améliorer la résistance aux impacts. Lorsqu’une visière en plastique est utilisée dans un environnement froid, la formation d’une buée peut constituer un problème, tant pour un casque de hockey qu’un casque de motoneige. Les deux visières ont besoin de points de fixation réglables ainsi que des mécanismes de libération afin de les enlever et les nettoyer. La forme de la visière doit correspondre à celle du casque afin de permettre la fixation. La visière doit être conçue pour épouser la forme [...] du casque afin de prévenir les vibrations. Il est très important que la visière et le casque s’apparient parfaitement.

(TCP, p. 94 et 95)

[30]           On a demandé au professeur Mahler, à titre d’expert en dessin industriel, d’aborder deux questions. Premièrement, en ce qui concerne la question de la validité, le professeur Mahler a examiné si l’ID 964 de la demanderesse était identique aux dessins décrits dans la défense et la demande reconventionnelle (dont il est question dans mon analyse ci-dessous) ou à un tel point semblables à eux qu’il était possible de les confondre. Deuxièmement, en ce qui concerne la question de la contrefaçon, le professeur Mahler a vérifié si l’ID 964 avait été appliqué au pare‑visage du HJ-17L (affidavit d’expert du professeur Harry Mahler, paragraphe 8 [affidavit Mahler]).

[31]           Le professeur Mahler a reçu les articles suivants, qui ont tous été admis en preuve pour le procès de première instance de la présente action : une copie de l’ID 964; une copie de la « visière anti-condensation », brevet américain no 5765235 (20 novembre 1995) [le brevet Arnold]; une copie du « casque muni d’un protecteur », brevet américain no 5161261 (16 août 1991) [le brevet Kamata]; une copie du « pare-visage pour casque », brevet américain no 11/148450 (demande déposée le 9 juin 2005) [la demande de brevet Douglas]; une copie de la demande de brevet abandonnée par M. Hill [« pare-visage pour casque », brevet canadien no 2731186 (demande déposée le 8 février 2011)]; quelques pages du catalogue d’Al’s; et deux pare-visage HJ-17L (affidavit Mahler, paragraphe 9).

[32]           Le professeur Mahler a également joint la pièce A de son affidavit, intitulée [traduction] « Comparaison visuelle de visières de motoneige », qui présentait plusieurs images (vue latérale) de protecteurs pour casque fixés à des casques de motoneige. Dans son témoignage, il a dit avoir trouvé ces images au terme d’une recherche effectuée sur Internet en 2014. La demanderesse a toutefois soutenu que ces images ne peuvent être prises en compte dans une analyse des antériorités, étant donné qu’aucun élément de preuve n’a été présenté à partir duquel la Cour pourrait conclure que les protecteurs reproduits existaient avant l’enregistrement de l’ID 964 datant du 3 septembre 2010. Je suis du même avis et, en conséquence, je ne prendrai pas en considération les observations du professeur Mahler concernant ces casques de motoneige.

[33]           Le professeur Mahler a d’abord affirmé dans son témoignage qu’il est difficile de différencier les dessins qui illustrent principalement le fonctionnement et que, par conséquent, ces dessins ne seraient pas perçus comme étant uniques (affidavit Mahler, paragraphe 17). Il a ensuite déclaré qu’il existe plusieurs restrictions fonctionnelles à la conception d’un protecteur pour casque, notamment ce qui suit :

A.                la forme du protecteur doit reproduire exactement la forme du casque de sorte que a) le protecteur doit passer par-dessus le casque lorsqu’il est en position relevée sur ses charnières et b) le protecteur doit s’adapter parfaitement au casque lorsqu’il recouvre la zone de visualisation;

B.                 tant la largeur que la longueur du pare-visage sont déterminées par l’emplacement des points d’articulation sur le casque et la taille de ce dernier;

C.                 la taille et la forme de la zone de visualisation du protecteur sont contraintes par le champ de vision de l’utilisateur ainsi que par la taille et la forme globales du casque, en particulier son ouverture pour la zone de visualisation.

[34]           Par conséquent, la forme et la fonction du casque dictent au bout du compte l’apparence globale du protecteur. Le professeur Mahler a conclu ce qui suit :

[traduction]
Étant donné que toutes les visières satisfont sensiblement à la même exigence, notamment en ce qui concerne leur taille et leur forme globales, afin de s’adapter et se fixer à un casque standard, qu’elles satisfont aux exigences visuelles et physiques de l’utilisateur et que l’emplacement des points de fixation du casque est semblable, l’apparence des visières [tend] à être normalisée. Elles sont très semblables.

(TCP, p. 106)

[35]           Concernant l’ID 964, le professeur Mahler a affirmé dans son témoignage que les images dans l’ID 964 avaient été [traduction] « simplifiées à leur forme la plus fondamentale » et qu’elles étaient [traduction] « génériques sans comporter de détails de conception, tout simplement des esquisses fonctionnelles très élémentaires » (TCP, p. 105). Il s’est attardé plus particulièrement sur la figure 1 qui, selon lui, ne montrait pas une saillie externe près du contour de la zone de visualisation. À ce sujet, le professeur Mahler a déclaré que la figure 1 était une esquisse [traduction] « mal faite » parce que [traduction] « [l]orsque vous faites une esquisse de ce genre, vous devez en fait dessiner en perspective, ce qui permet de différencier les différentes surfaces que vous présentez. Cette esquisse n’est pas dessinée en perspective et elle n’est pas présentée correctement » (TCP, p. 151).

[36]           En contre-interrogatoire, le professeur Mahler a reconnu que même si la figure 1 de l’ID 964 ne démontrait pas un « changement en hauteur » dans la zone de visualisation (c.-à-d. une « projection moulée vers l’extérieur »), la figure 4 montrait effectivement ce changement. Le professeur Mahler a en outre reconnu que toutes les figures doivent être interprétées ensemble pour bien comprendre l’ID 964.

[37]           Le professeur Mahler a aussi fait des observations précises sur la bordure de la zone de visualisation, démarquée par une ligne double dans les figures, ce qu’il a pris pour une « ligne blanche » de ruban ou de bande adhésive reliant la lentille intérieure à la lentille extérieure afin de créer un vide d’air isolé et antibuée. Au cours de son contre-interrogatoire, il a admis être parvenu à cette conclusion en supposant que l’ID 964 décrivait un pare-visage adapté pour l’hiver, et non parce que l’ID 964 contenait quoi que ce soit pour éclairer sa conclusion.

[38]           Le professeur Mahler a ensuite pris en considération les divers dessins qui lui ont été fournis, les décrivant tous comme étant « très semblables », sauf pour la taille de la zone de visualisation des casques et le point de connexion au casque dans chacun. Il a donc conclu que [traduction] « [l’ID 964] ne satisfait pas aux critères [...] d’être original parce qu’il ne se différencie pas lui-même [...] sensiblement des antériorités » (affidavit Mahler, paragraphe 21).

[39]           En comparant les pare-visage ID 964 et HJ-17L pendant le témoignage oral, le professeur Mahler a physiquement attiré l’attention sur plusieurs différences entre les pare‑visage, notamment :

[traduction]
[S]i nous comparons [l’ID 964] au [protecteur HJ-17L], nous avons la languette que [l’ID 964] n’a pas. Nous avons une surface texturée que [l’ID 964] n’a pas. Nous avons une section plus longue qui va plus loin à l’arrière sur le [HJ-17L]. Nous avons des détails ici qui sont en fait très intéressants, ils sont également texturés. Nous avons une vue en détail de l’ouverture réelle [du HJ-17L]. Rien de cela ne se trouve dans l’esquisse de [l’ID 964].

Il est donc vraiment difficile de laisser entendre qu’ils sont identiques parce que [l’ID 964] n’offre aucun renseignement à ce sujet.

(TCP, p. 111)

[40]           Le professeur Mahler a conclu que les protecteurs HJ-17L contrefont l’ID 964 de la demanderesse, mais « il en est de même pour les antériorités » (TCP, p. 117). Autrement dit, et comme il l’a affirmé en contre-interrogatoire, le professeur Mahler est d’avis que [traduction] « [t]out ce qu’il y a sur le marché en termes de visière contrefait l’enregistrement de ce dessin, ce dernier étant tellement vague qu’il englobe essentiellement tout » (TCP, p. 134). Le professeur Mahler est revenu à plusieurs reprises sur cette évaluation, déclarant, par exemple, que les figures de l’ID 964 [traduction] « étaient mal faites » et que si un de ses étudiants les avait présentées, il [traduction] « aurait échoué » (TCP, p. 148 à 152).

[41]           Même si le professeur Mahler a conclu que l’ID 964 « ne satisfait pas aux critères d’être original parce qu’il ne se différencie pas lui-même sensiblement des antériorités » (affidavit Mahler, par. 21), il est devenu clair qu’il ne saisissait pas complètement certains éléments clés du terme « dessin » au sens de la Loi. Le professeur Mahler a reconnu qu’il ne connaissait ni la loi ni la procédure d’examen concernant la protection conférée au dessin industriel. Il a aussi déclaré en contre-interrogatoire qu’il n’était pas d’accord avec la définition de « dessin » utilisée dans la Loi et qu’il a appliqué une définition différente au moment de mener son analyse :

[traduction]
Q : Professeur Mahler, serait-il juste de dire que, par conséquent, vos mots ou votre utilisation du mot « dessin » dans votre affidavit ne reflètent pas la définition du mot « dessin » dans la Loi?

R : Non, la Loi est plus étroite et plus exclusive. Et lorsque je parle de dessin, je parle de dessin dans [le] sens plus large.

(TCP, p. 144)

[42]           Ce « dessin dans [le] sens large » sur lequel il s’est appuyé comprenait, par exemple, un élément de fonctionnalité :

Q : Donc, un bon dessin, intrinsèquement, intègre un élément de fonctionnalité?

R : Oui. Mais ce n’est pas tout – le dessin va bien au-delà de la fonction du produit.

[…]

Q : Existe-t-il une démarcation nette, professeur, entre le dessin et la fonction? Ou y a-t-il un point auquel où ils se mélangent?

R : Ils font tous partie de la même chose. Mais cela va bien au-delà de la fonction. En gros, la fonction n’est qu’un seul aspect.

(TCP, p. 124)

[43]           Comme il en sera question de façon plus détaillée ci-dessous, la protection conférée par la Loi ne couvre pas un seul élément fonctionnel ou utilitaire du dessin en cause. Dans l’arrêt Zero Spill Systems (Int’l) Inc c. Heide, 2015 CAF 115, paragraphe 24 [Zero Spill], la Cour d’appel fédérale a déclaré que « [s]i les caractéristiques peuvent être à la fois utiles et attrayantes visuellement », il reste qu’une compréhension claire de la distinction juridique entre utilité/fonction et dessin est une précondition essentielle pour trancher de façon significative la question de la contrefaçon et de l’originalité. Il suffit de dire que les critiques du professeur Mahler à l’endroit de l’ID 964, notamment en ce qui concerne l’imprécision et le nombre insuffisant de détails visuels, étaient ancrées dans son expertise de dessinateur industriel et de professeur dans ce domaine d’études, et non dans son expertise de la protection conférée au dessin industriel au Canada ou de ce qui constitue une contrefaçon d’un dessin enregistré au pays.

[44]           De plus, au cours de son contre-interrogatoire, le professeur Mahler a reconnu qu’on ne lui avait pas remis un échantillon matériel des antériorités qu’on lui demandait d’examiner. Il a affirmé que cela n’a modifié en rien sa capacité, en tant qu’expert en dessin, d’évaluer le degré de similarité entre l’ID 964 et les antériorités. Il est pourtant clair, d’après la confusion entourant la « bordure de bande adhésive blanche » qu’il supposait présente dans l’ID 964, qu’il y a des limites à ce que l’on peut déterminer à partir de représentations visuelles seulement, y compris les images du catalogue d’Al’s.

[45]           Compte tenu de tout ce qui précède, je conclus que les éléments de preuve du professeur Mahler concernant les limites fonctionnelles sur un dessin de pare-visage pour casque sont utiles. Cependant, je n’accorde pas beaucoup de poids à ses conclusions, à savoir si le dessin de l’ID 964 est original, valide ou s’il est contrefait par le protège-visage HJ-17L.

VI.             Dispositions légales pertinentes

[46]           Selon l’article 2 de la Loi :

[D]essin Caractéristiques ou combinaison de caractéristiques visuelles d’un objet fini, en ce qui touche la configuration, le motif ou les éléments décoratifs.

[D]esign or industrial design means features of shape, configuration, pattern or ornament and any combination of those features that, in a finished article, appeal to and are judged solely by the eye;

[47]           L’article 5.1 de la Loi énonce certaines limites essentielles à la protection conférée au dessin industriel.

5.1 Les caractéristiques résultant uniquement de la fonction utilitaire d’un objet utilitaire ni les méthodes ou principes de réalisation d’un objet ne peuvent bénéficier de la protection prévue par la présente loi.

5.1 No protection afforded by this Act shall extend to

(a) features applied to a useful article that are dictated solely by a utilitarian function of the article; or

(b) any method or principle of manufacture or construction.

[48]           L’article 6 énonce aussi des conditions liées à l’enregistrement d’un dessin.

6 (1) Si le ministre trouve que le dessin n’est pas identique à un autre dessin déjà enregistré ou qu’il n’y ressemble pas au point qu’il puisse y avoir confusion, il l’enregistre et remet au propriétaire une esquisse ou une photographie ainsi qu’une description en même temps que le certificat prescrit par la présente partie.

[…]

(3) Le ministre refuse d’enregistrer le dessin si la demande d’enregistrement a été déposée au Canada :

a) plus d’un an après sa publication au Canada ou ailleurs dans le monde, dans le cas d’une demande déposée au Canada à compter de l’entrée en vigueur du présent paragraphe;

b) plus d’un an après sa publication au Canada, dans les autres cas.

6. (1) The Minister shall register the design if the Minister finds that it is not identical with or does not so closely resemble any other design already registered as to be confounded therewith, and shall return to the proprietor thereof the drawing or photograph and description with the certificate required by this Part.

[…]

(3) The Minister shall refuse to register the design if the application for registration is filed in Canada

(a) more than one year after the publication of the design in Canada or elsewhere, in the case of an application filed in Canada on or after the day on which this subsection comes into force; or

(b) more than one year after the publication of the design in Canada, in the case of an application filed in Canada before the day on which this subsection comes into force.

[49]           Le paragraphe 7(3) de la Loi indique qu’un certificat d’enregistrement, que la demanderesse possède à l’endroit de l’ID 964, crée une présomption de validité :

7 (3) En l’absence de preuve contraire, le certificat est une attestation suffisante du dessin, de son originalité, du nom du propriétaire, du fait que la personne dite propriétaire est propriétaire, de la date et de l’expiration de l’enregistrement, et de l’observation de la présente loi.

7. (3) The certificate, in the absence of proof to the contrary, is sufficient evidence of the design, of the originality of the design, of the name of the proprietor, of the person named as proprietor being proprietor, of the commencement and term of registration, and of compliance with this Act.

[50]           Finalement, l’article 11 de la Loi décrit le droit exclusif conféré au propriétaire d’un dessin enregistré :

11 (1) Pendant l’existence du droit exclusif, il est interdit, sans l’autorisation du propriétaire du dessin :

a) de fabriquer, d’importer à des fins commerciales, ou de vendre, de louer ou d’offrir ou d’exposer en vue de la vente ou la location un objet pour lequel un dessin a été enregistré et auquel est appliqué le dessin ou un dessin ne différant pas de façon importante de celui-ci;

b) d’effectuer l’une quelconque des opérations visées à l’alinéa a) dans la mesure où elle constituerait une violation si elle portait sur l’objet résultant de l’assemblage d’un prêt-à-monter.

(2) Pour l’application du paragraphe (1), il peut être tenu compte, pour déterminer si les différences sont importantes, de la mesure dans laquelle le dessin enregistré est différent de dessins publiés auparavant.

11. (1) During the existence of an exclusive right, no person shall, without the licence of the proprietor of the design,

(a) make, import for the purpose of trade or business, or sell, rent, or offer or expose for sale or rent, any article in respect of which the design is registered and to which the design or a design not differing substantially therefrom has been applied; or

(b) do, in relation to a kit, anything specified in paragraph (a) that would constitute an infringement if done in relation to an article assembled from the kit.

(2) For the purposes of subsection (1), in considering whether differences are substantial, the extent to which the registered design differs from any previously published design may be taken into account.

VII.          Analyse

A.                Contrefaçon

(1)               Le statut de HJC America

[51]           Une question préliminaire à aborder au moment d’examiner la contrefaçon est de savoir si HJC America prenait effectivement part à des activités qui relèveraient de l’alinéa 11(1)a) de la Loi.

[52]           HJC America soutient que, puisqu’elle est une division de mise en marché, elle ne s’occupe pas de fabriquer, d’importer, de vendre, de louer ou encore d’offrir ou d’exposer en vue de la vente ou de la location le pare-visage HJ-17L.

[53]           En revanche, la demanderesse soutient que HJC America expose, à tout le moins, les pare-visage HJ-17L en vue de la vente en les affichant sur son site Web et en indiquant aux clients intéressés les détaillants auprès desquels ils peuvent, s’ils le souhaitent, se les procurer. La demanderesse affirme en outre que même si HJC America ne fabrique ou ne vend pas le HJ‑17L, comme l’a fait savoir clairement M. Hong dans son témoignage, HJC America joue un rôle important dans le processus en vertu duquel HJC Korea vend ses produits au Canada. HJC America, par exemple, est exploitée à perte et existe uniquement pour mettre en marché les produits que HJC Korea met au point.

[54]           Bien que cette question soit intéressante et que la jurisprudence pour ce qui est d’« exposer en vue de la vente » soit rare, comme il sera indiqué ci-dessous, je ne conclus pas que les pare-visage HJ-17L contrefont l’ID 964. Il n’est donc pas nécessaire d’établir si HJC America prenait part à l’une des activités énumérées à l’alinéa 11(1)a) de la Loi.

(2)               Le critère de contrefaçon

[55]           Pour établir s’il y a contrefaçon ou non, les quatre mesures suivantes doivent être exécutées : (i) un examen des antériorités; (ii) une évaluation de la fonction utilitaire et de toute méthode ou tout principe de fabrication ou de construction; (iii) une analyse de la portée de la protection décrite dans le libellé et les figures du dessin enregistré lui-même et (iv) compte tenu de tout ce qui précède, une analyse comparative du dessin enregistré et du produit prétendument contrefacteur.

(a)               Les antériorités

[56]           L’analyse de la question de la contrefaçon commence par un examen des antériorités (Bodum USA, Inc c. Trudeau Corporation (1889) Inc., 2012 CF 1128, paragraphe 52 [Bodum]). Car, en vertu de l’alinéa 11(1)a) de la Loi, le propriétaire du dessin industriel conserve les droits exclusifs sur le dessin et un dessin ne différant pas de façon importante de celui-ci. Le paragraphe 11(2) de la Loi prescrit qu’« il peut être tenu compte, pour déterminer si les différences sont importantes, de la mesure dans laquelle le dessin enregistré est différent de dessins publiés auparavant ». Autrement dit, il faut tenir compte des antériorités dans l’évaluation de la portée de « différence importante ».

(b)               Fonction utilitaire et méthodes et principes de réalisation

[57]           Un deuxième aspect à prendre en compte dans l’établissement des paramètres de l’analyse de la contrefaçon est que, comme il est décrit à l’article 5.1 de la Loi, un dessin industriel enregistré ne peut pas protéger les a) « caractéristiques résultant uniquement de la fonction utilitaire d’un objet utilitaire » ni b) « méthodes ou principes de réalisation ». À ce titre, « les similitudes qui découlent de la fonction utilitaire ne sont pas prises en compte par la Cour dans son analyse de la contrefaçon » (Bodum, paragraphe 46), même si, comme l’a clarifié la Cour d’appel fédérale dans Zero Spill, paragraphe 23 à 27, « les caractéristiques fonctionnelles d’un dessin industriel peuvent être protégées par la Loi... seules les caractéristiques du dessin industriel dont la forme résulte uniquement de la fonction sont exclues de la protection ». Dans le même ordre d’idées, les caractéristiques du dessin qui découlent uniquement de méthodes et principes de réalisation sont exclues de la protection conférée au dessin.

(c)                Portée de la protection

[58]           Troisièmement, il faut se demander si le dessin enregistré couvre uniquement une partie ou une caractéristique mineure, plutôt que l’ensemble de l’objet protégé. Si un titulaire de l’enregistrement essaie de protéger une seule caractéristique, l’enregistrement doit clairement limiter sa portée à cette caractéristique particulière, soit dans sa description écrite, soit dans une indication claire dans une ou plusieurs illustrations connexes.

[59]           Lors du procès de première instance, la demanderesse a attiré l’attention de la Cour à plusieurs reprises sur une caractéristique – la « projection moulée vers l’extérieur » – indiquant dans ses observations qu’il s’agit de la principale caractéristique que protège l’ID 964. Cependant, afin de décider si c’est effectivement le cas, il faut mener une évaluation du contenu de l’ID 964 lui-même, c’est-à-dire tant le texte que les images qui composent le dessin enregistré.

(d)               Analyse comparative (contrefaçon)

[60]           Après avoir évalué les antériorités pour établir la portée d’une différence importante, après avoir cerné les caractéristiques purement utilitaires et les avoir exclues, et après avoir évalué la portée de la protection offerte par le dessin lui-même, une analyse comparative doit être réalisée entre le dessin et l’article contesté : si ce dernier ne diffère pas de manière importante, alors il y a contrefaçon. Dans cette analyse comparative, il faut analyser le produit du point de vue du « consommateur informé » (Bodum, paragraphe 80). Un consommateur informé a été décrit comme étant une personne « qui connaît le domaine du marché » (Rothbury International Inc c. Canada (Ministre de l’Industrie), 2004 CF 578, paragraphe 38 [Rothbury].

(3)               Quel est l’état des antériorités?

[61]           Lorsqu’un dessin industriel est enregistré, les dessins qui existaient auparavant jouent un rôle important dans la détermination de la portée de la protection que le dessin industriel confère à son propriétaire. Les défenderesses ont présenté plusieurs exemples de ce qu’elles ont allégué être les antériorités, et elles les ont également mis à la disposition du professeur Mahler. Comme il est expliqué plus haut, la « comparaison visuelle de visières de motoneige » du professeur Mahler ne sera pas prise en considération dans la présente analyse étant donné qu’il est impossible d’établir avec précision si les dessins qu’elle renferme sont antérieurs à l’enregistrement de l’ID 964. Le reste des antériorités est analysé ci-dessous.

(a)               Catalogue d’Al’s

[62]           Les défenderesses ont attiré l’attention de la Cour à la page 81 du catalogue d’Al’s, le document joint à l’affidavit de M. Forest qu’il a trouvé à l’adresse http://www.alssnowmobile.com, en date du 10 octobre 2007. Cette page du catalogue présente des photographies sous différents angles (mais principalement des vues latérales) de deux casques de motoneige munis de pare-visage. Les défenderesses ont insisté sur le pare‑visage d’un casque en particulier, laissant entendre que [traduction] « vous pouvez clairement voir la transition de la surface de lentille inférieure à la surface de lentille supérieure, laquelle est nécessaire pour recevoir une construction à double lentille » (TCP, p. 267).

[63]           Je suis d’accord avec les défenderesses qu’il n’y a pas vraiment de raison de ne pas faire confiance à la date de publication ou à la provenance du catalogue d’Al’s, malgré les possibilités que la demanderesse a soulevées concernant l’exactitude de Wayback Machine et de l’ordinateur utilisé pour y accéder. Cependant, l’image du casque sur laquelle les défenderesses ont attiré l’attention de la Cour est pixélisée, de petite taille et peu utile pour ce qui est des aspects plus détaillés de l’analyse des antériorités. Contrairement aux observations des défenderesses, je ne peux pas clairement voir la transition à laquelle ils font référence. Cependant, les casques et pare-visage présentés sur la page sont d’une certaine utilité : ils donnent une idée générale des contraintes de conception s’appliquant à un pare-visage, notamment le fait qu’un pare-visage doit correspondre à un casque et qu’il est contraint par l’espace prévu pour la zone de visualisation, un espace qui peut varier légèrement selon la conception du casque.

(b)               Le brevet Arnold - Brevet américain no 5765235

[64]           Les images suivantes proviennent du brevet américain no 5765235, délivré le 16 juin 1998 à Derek Leslie Arnold pour une « visière antibuée ». Le résumé du brevet Arnold décrit l’invention comme suit :

[traduction]
Une visière antibuée se compose d’une visière qui, par rapport à l’utilisateur, est située sur la surface périphérique la plus à l’extérieur d’un casque ou d’un capuchon auquel appartient la visière. La visière extérieure est munie d’ouvertures pour la fixer au casque et d’au moins une lèvre pour permettre à l’utilisateur de replier la visière extérieure. Une visière intérieure détachable est fixée contre la paroi intérieure de la visière extérieure et est maintenue en place à l’aide d’au moins un élément de retenue, tandis qu’essentiellement toute la surface de la visière intérieure repose contre la paroi intérieure de la visière extérieure, et la visière intérieure est faite d’un matériau hydrophile.

[65]           Le dessin dans le brevet Arnold présente une visière extérieure lisse ne comportant aucune projection externe. L’effet antibuée s’obtient plutôt en appliquant un protecteur intérieur sur toute la face intérieure de la visière extérieure, ce qui s’apparente à l’approche de l’application d’un autocollant que M. Hill a décrite dans son témoignage. Le brevet Arnold décrit aussi clairement un point d’articulation pour relier le pare-visage au casque et une languette permettant au porteur de le relever au-dessus de la zone de visualisation du casque. Le brevet Arnold est arrondi et suit le contour du casque, et une ligne, créée par la forme de la visière intérieure et correspondant à la zone de visualisation du pare-visage, est visible de l’extérieur. Le bras du pare-visage se termine et sa bordure tourne brusquement jusqu’au point d’articulation, qui fait légèrement saillie du reste du bras.

(c)                Le brevet Kamata - Brevet américain no 5161261

[66]           L’image suivante provient du brevet américain no 5161261, délivré le 10 novembre 1992 à Eitaro Kamata pour un « casque muni d’un protecteur », dont le résumé se lit en partie comme suit :

[traduction]
Un renfoncement est pratiqué dans la surface intérieure d’une plaque de protection primaire qui est reliée au corps coiffant d’un casque par un dispositif de montage à pivot, et une dépression de la surface intérieure de la plaque de protection principale est présente sur toute la bordure périphérique d’une ouverture du renfoncement. Un protecteur intérieur est placé dans la dépression et y est fixé à l’aide d’un adhésif souple, de sorte qu’une isolation thermique hermétique dans le renfoncement est définie par la plaque de protection principale et la plaque de protection intérieure. Les surfaces intérieures de la plaque de protection principale et de la plaque de protection intérieure forment une surface continue qui entre en contact étroit avec un élément d’étanchéité recouvrant un bord périphérique d’une ouverture dans le corps coiffant. Cela empêche la formation d’une buée sur la surface intérieure du protecteur, peu importe les conditions d’utilisation, comme la présence ou l’absence de vent et la température de l’air extérieur.

(Non souligné dans l’original.)

[67]           On y voit clairement les diverses caractéristiques distinctives, notamment la forme rectangulaire de la zone de visualisation, qui se prolonge au-dessus du bord de la zone de visualisation du casque sous-jacent. Les bras ont des extrémités plates, presque carrées, avec des coins arrondis. Contrairement au brevet Arnold, un renfoncement dans la lentille extérieure du brevet Kamata crée une projection vers l’extérieur. Une lentille intérieure est placée sur ce renfoncement, formant ainsi un espace isolant. L’angle du pare-visage et son contour correspondent à ceux du casque lui-même. Le contour de la projection extérieure forme une bordure, il n’est pas lisse. Le contour de la lentille intérieure ne correspond pas à celui de la zone de visualisation sous-jacente du casque.

(d)               La demande de brevet Douglas – Brevet américain no 11/148450

[68]           Le brevet américain no 11/148450 relatif à un « pare-visage pour casque » a été publié le 19 janvier 2006; il contient les images et le résumé suivants :

[traduction]
Un pare-visage pour casque se compose d’une lentille principale généralement transparente, adaptée pour être fixée au casque. Cette lentille principale consiste en une surface de lentille principale intérieure courbée et une surface de lentille principale extérieure courbée – alors que sa partie centrale en retrait comporte une surface de lentille intérieure en retrait courbée ainsi qu’une surface de lentille extérieure en retrait courbée. La surface de lentille intérieure en retrait et la surface de lentille extérieure en retrait sont respectivement décalées par rapport aux surfaces de lentilles principales intérieures et extérieures courbées. La partie en retrait est adaptée de façon à recevoir une lentille secondaire de sorte qu’il se forme un vide d’air hermétique entre la lentille principale et la lentille secondaire, créant ainsi une lentille à double vitrage hermétique offrant des propriétés de réduction de la condensation.

(Non souligné dans l’original.)

[69]           La demande du brevet Douglas, en termes simples, présente une projection moulée vers l’extérieur avec une lentille intérieure qui crée un vide d’air isolant. Cependant, les coins et les bordures de cette projection sont carrés, au lieu d’être légèrement recourbés comme la « projection moulée vers l’extérieur » de l’ID 964. La surface de la projection extérieure, comme dans le brevet Kamata, ne correspond à la zone de visualisation du casque. Les bras du pare‑visage ont une extrémité arrondie, la bordure inférieure du bras recourbant vers le haut, passant derrière le point d’articulation et recourbant autour de ce point pour rencontrer la bordure supérieure. La bordure supérieure du protecteur comporte une inclinaison légèrement arrondie vers le haut, depuis le bras jusqu’au milieu du casque. La lèvre inférieure est droite.

(e)                Le protecteur facial à bordure noire

[70]           Lors du procès de première instance, la demanderesse a présenté un exemple matériel d’un pare-visage à bordure noire qui, selon les dires de M. Hill, constituait le principal modèle de pare-visage adapté pour l’hiver avant l’enregistrement de l’ID 964. Malheureusement, la demanderesse n’a fourni à la Cour aucun renseignement sur le fabricant ni aucun nom de modèle.

Protecteur facial à bordure noire – Perspective avant gauche

Protecteur facial à bordure noire – Perspective de l’intérieur

Protecteur facial à bordure noire – Perspective du côté gauche

[71]           Ce pare-visage à bordure noire présente une zone de visualisation relativement rectangulaire avec des bordures recourbées, quoique la zone de visualisation s’agrandisse en hauteur vers le milieu du protecteur. La majeure partie du contour est faite de plastique noir, non transparent, sauf pour la zone de visualisation et un espace autour du point de connexion, qui est transparent. Comme l’indique clairement la vue latérale, le plastique de la zone de visualisation en retrait forme un angle différent depuis la partie supérieure du cadre lui-même, au lieu de présenter une transition continue en douceur. Il y a aussi deux trous dans la partie supérieure du pare-visage dans un espace en retrait, avec une petite projection au-dessus d’eux. Toute la zone de visualisation est entourée d’un pourtour de plastique noir lisse, recourbé et surélevé.

(4)               Quels sont les éléments purement fonctionnels du pare-visage?

[72]           Il existe plusieurs contraintes fonctionnelles sur le dessin d’un pare-visage de casque adapté pour l’hiver. Ces contraintes jouent un rôle important dans l’évaluation de la portée de la protection offerte par l’ID 964 étant donné que la Loi exclut les caractéristiques purement utilitaires ou fonctionnelles de la protection.

[73]           Diverses caractéristiques du pare-visage, notamment sa longueur et sa largeur globales, sont contraintes par la forme du casque auquel il est fixé, laquelle, à son tour, est contrainte par la forme de la tête de l’humain qui porte le casque. Ces contraintes signifient que le dessin du protecteur est limité par des facteurs utilitaires et non esthétiques. Un protecteur doit s’adapter parfaitement à son casque afin d’empêcher l’air froid d’entrer et d’atteindre le visage et les yeux de la personne qui le porte. Sinon, le dessin a peu d’utilité pour le consommateur.

[74]           D’autres contraintes ont été examinées lors du procès de première instance : par exemple, le pare-visage doit avoir un point de connexion le fixant au casque, de sorte qu’il peut être relevé au-dessus de la zone de visualisation du casque, et les protecteurs faciaux présentent souvent une petite languette, à la bordure inférieure, qui permet de relever ou d’abaisser le protecteur sur la zone de visualisation. Aucun de ces points de connexion ni aucune languette ne sont présents dans l’ID 964, même si ces éléments sont présents sur toutes les pièces matérielles que la Cour a examinées, y compris le HJ-17L.

[75]           En examinant si le HJ-17L diffère de façon importante de l’ID 964, je dois reconnaître que ces contraintes et impondérables limitent de façon importante la variabilité globale possible dans la conception d’un pare-visage pour casque et, par conséquent, ils ont une incidence directe sur l’analyse de la contrefaçon.

[76]           Ayant tenu compte des antériorités et des aspects fonctionnels des divers dessins de protecteurs, je conclus que les caractéristiques suivantes sont dictées uniquement par la fonction :

         une forme qui est contrainte par le casque auquel il doit être fixé;

         une languette pour relever le protecteur (comme dans le brevet Arnold);

         une ou plusieurs charnières pour fixer le protecteur au casque;

         une zone de visualisation qui se conforme à la vision humaine et aux lignes de visibilité et qui les facilite.

[77]           Évidemment, il y a aussi la question de la zone de visualisation à double paroi. Cette caractéristique empêche la formation d’une buée qui, comme il est mentionné plus haut, est un aspect purement utilitaire. La demanderesse a soutenu lors du procès que cette composante à double paroi – une caractéristique fonctionnelle pour laquelle elle avait omis d’obtenir la protection accordée par le brevet – constituait un élément protégeable du dessin. La demanderesse a énoncé sa position comme suit : puisqu’il existe divers modèles et approches pour obtenir la caractéristique antibuée dans un pare-visage (l’application intérieure ou le style à cadre en plastique noir, comme le décrit M. Hill), le choix de créer un espace à double paroi fait nécessairement intervenir des aspects esthétiques.

[78]           Toutefois, cette position ratisse trop large. La protection de l’élément antibuée à double paroi brouillerait la distinction fondamentale de la Loi entre la fonction et la conception. Le simple fait qu’un concepteur dispose d’une gamme d’options purement fonctionnelles lui permettant d’atteindre un résultat utilitaire particulier dans son dessin ne rend pas ces options esthétiques.

[79]           Cependant, ce qui peut être protégé, c’est la façon dont la caractéristique à double paroi est intégrée au protecteur, y compris la forme, le contour ainsi que la hauteur de la projection et le style de ses bordures. Autrement dit, alors que l’ID 964 ne peut pas protéger un élément purement utilitaire d’un pare-visage antibuée à double paroi, il peut protéger la façon dont ces éléments sont exprimés, pourvu que cette expression fasse intervenir « la configuration, le motif ou les éléments décoratifs », originaux, conformément à l’article 2 de la Loi. Autrement dit, la « projection moulée vers l’extérieur et la surface de contour lisse autour de la zone de visualisation » constituent une caractéristique purement fonctionnelle, mais un élément de dessin esthétique protégeable de la conception à double paroi.

(5)               Quelle est la portée de la protection décrite dans l’ID 964?

[80]           La troisième étape de l’analyse de la contrefaçon est d’examiner la portée de l’ID 964 lui‑même. Tout au long, la demanderesse a pris la position selon laquelle l’ID 964 protégeait uniquement la « projection moulée vers l’extérieur et la surface de contour lisse autour de la zone de visualisation » – autrement dit, la surface surélevée, très visible aux figures 4 et 5 de l’ID 964, qui définit la zone de visualisation du protecteur du casque et, plus particulièrement, le contour de cette surface surélevée, qui est recourbé et non pas carré ou anguleux.

[81]           Je ne souscris pas à cette interprétation pour trois raisons. Premièrement, rien dans l’ID 964 ne laisse entendre qu’il s’agit du seul élément du dessin assujetti à la protection. La totalité de la description écrite accompagnant les sept figures qui composent l’ID 964 indique que le dessin [traduction] « comprend les caractéristiques de configurations, de motifs ou d’éléments décoratifs du pare-visage pour casque entier illustrés dans les esquisses » (non souligné dans l’original). Si la demanderesse avait souhaité mettre en lumière uniquement cet élément du protecteur pour ce qui est de la protection conférée, elle aurait pu le faire de différentes façons, notamment en fournissant un texte explicatif additionnel, des détails schématiques (comme des lignes pointillées, de l’ombrage ou une mise en évidence), ou une combinaison des deux.

[82]           Le fait de s’être concentrée uniquement sur la projection vers l’extérieur semble d’autant plus étrange que la figure 1 de l’ID 964 ne montre absolument pas une projection vers l’extérieur : s’il s’agissait de la seule caractéristique de conception novatrice contenue dans le dessin et l’objet explicite de l’élément de protection, on supposerait que le dessinateur ferait preuve d’une plus grande prudence pour s’assurer que cette projection était amplement exposée, dans la mesure du possible, dans chaque figure.

[83]           La deuxième raison pour laquelle je conclus que l’ID 964 protège tout le dessin plutôt que simplement la « projection moulée vers l’extérieur » tient du fait que la demanderesse a déclaré, dans ses observations orales, que certains éléments, comme la [traduction] « liaison articulée de la visière au casque » et le [traduction] « mécanisme de fixation » ne figuraient pas dans le dessin parce qu’ils étaient purement utilitaires et, par conséquent, [traduction] « non susceptibles d’être protégés » (TCP, p. 197).

[84]           Alors, le prolongement logique de cette position est le suivant : si certains éléments étaient exclus du dessin, il est raisonnable de supposer que tout élément inclus dans le dessin était un élément que le demandeur cherchait à faire protéger ou croyait protégé, y compris tout élément apparaissant dans l’ensemble des sept figures. Comme l’illustrent ces figures, le dessin dans son ensemble comprend la forme des bras et de la zone de visualisation. Autrement dit, l’ID 964 va nettement au-delà de la « projection vers l’extérieur », qui est clairement visible dans uniquement deux des sept figures (4 et 5). Étant donné que l’ID 964 décrit, en ses propres mots, [traduction] « le dessin entier » du pare-visage, l’analyse de la contrefaçon par la Cour ne peut pas se limiter à une seule caractéristique.

[85]           Finalement, je souligne que l’Office de la propriété intellectuelle du Canada suggère lui‑même au demandeur d’indiquer s’il cherche à protéger tout le dessin ou seulement une partie :

Le demandeur doit préciser dans la description si le dessin correspond à l’apparence de l’objet dans sa totalité ou à l’apparence d’une partie de celui-ci. De plus, si le dessin porte sur une partie de l’objet, le demandeur doit préciser de quelle partie il s’agit.

(Office de la propriété intellectuelle du Canada, Dessins industriels - Pratiques administratives (Ottawa : Innovation, Sciences et Développement économique Canada, 2013), paragraphes 6.4.5).

[86]           Bien qu’il s’agisse uniquement d’une ligne directrice et non pas d’une loi contraignante, je conclus que cet extrait est néanmoins utile dans l’évaluation de la portée du dessin. En l’espèce, la demanderesse n’a pas limité l’enregistrement à seulement une partie du dessin. Par conséquent, tout le protecteur est visé par la protection conférée au dessin industriel.

(6)               Comparaison : Le HJ-17L contrefait-il le dessin industriel?

Le dessin et le pare-visage prétendument contrefacteur

ID 964

HJ-17L

Figure 1 – Perspective avant gauche

Figure 1 – Perspective avant gauche

Figure 2 – Perspective de l’extérieur

Figure 2 – Perspective de l’extérieur

Figure 3 – Perspective de l’intérieur

Figure 3 – Perspective de l’intérieur

Figure 4 – Perspective du côté gauche

Figure 4 – Perspective du côté gauche

Figure 5 – Perspective du côté droit

Figure 5 – Perspective du côté droit

Figure 6 – Perspective du dessus

Figure 6 – Perspective du dessus

Figure 7 – Perspective du dessous

Figure 7 – Perspective du dessous

[87]           Pour résumer les sections d’analyse ci-dessus, un examen des antériorités présentées par les défenderesses laisse entendre que l’ID 964 de la demanderesse relève d’un domaine encombré où la notion d’une zone de visualisation moulée vers l’extérieur était déjà présente dans certaines formes et où le contour général et la forme d’un pare-visage pour casque étaient bien définis. Ainsi, le degré de différence nécessaire pour qu’un dessin plus nouveau échappe à la protection conférée à l’ID 964 est faible :

[traduction]
Si seules de petites différences séparent le dessin enregistré de ce qui a été fait auparavant, alors des différences également petites entre la contrefaçon présumée et le dessin enregistré seront jugées suffisantes pour éviter la contrefaçon.

(Sommer Allibert (UK) Limited v. Flair Plastics Ltd, [1987] RPC 599, p. 623 [UKCA])

[88]           Pour ce qui est de la question de fonctionnalité, comme l’a démontré le professeur Mahler, le dessin d’un pare-visage pour casque est assujetti à de nombreuses contraintes utilitaires. En outre, la caractéristique antibuée à double paroi n’est pas, comme il est expliqué plus haut, une caractéristique protégeable, même si certains aspects de la façon dont cette caractéristique se manifeste le sont. Par conséquent, la plupart des pare-visage pour casque auront un degré de similitude pour ce qui est de leur forme et leur taille globales, ce qui explique encore une fois pourquoi la variation nécessaire pour rendre un dessin différent de façon importante de ses concurrents est relativement faible :

[traduction]
Lorsqu’un dessin industriel intègre des caractéristiques fondamentalement fonctionnelles, même de petites différences dans les éléments décoratifs peuvent suffire à exclure le deuxième dessin de la portée de l’enregistrement d’un dessin antérieur.

(John S McKeown, Fox on Canadian Law of Copyright and Industrial Designs (Toronto, Ont : Carswell, 2012) (feuillet mobile mis à jour en 2015, version 4), ch. 31, p. 38; voir aussi Carr-Harris Products Ltd v. Reliance Products Ltd (1969), 58 CPR 62, p. 84 (Ex Ct)).

[89]           Finalement, malgré les observations de la demanderesse à ce sujet, je ne peux pas accepter que l’ID 964 a visé à protéger uniquement la « projection moulée vers l’extérieur ». Je conclus plutôt qu’il protège tout le dessin « lorsque l’emphase est mise sur l’ensemble du dessin, pour conclure à la contrefaçon, l’objet en cause se devra d’être quasi identique » (Bodum, paragraphe 50).

[90]           Étant donné que le dessin entier forme la base de l’analyse comparative qui déterminera s’il y a contrefaçon, les principales caractéristiques à examiner, après avoir examiné les antériorités, sont les suivantes : la forme de la zone de visualisation du protecteur; la forme des bras; toute caractéristique distinctive de l’objet qui est purement fonctionnelle ainsi que la forme de toute projection vers l’extérieur.

[91]           En gardant ces considérations de conception à l’esprit, je porte mon attention sur la question de la présumée contrefaçon et sur celle de la différence importante, en comparant l’ID 964 et le HJ 17L.

[92]           En d’autres termes, le pare-visage HJ-17L est suffisamment différent de sorte qu’il ne contrefait pas l’ID 964. Abstraction faite des différents éléments non protégeables – à savoir la couleur de la ligne adhésive qui relie les deux lentilles et les cadres de la zone de visualisation, la présence de la languette, la présence des points d’articulation, – il existe des différences importantes qui attirent l’œil au moment de la comparaison.

[93]           La première est la forme de la zone de visualisation. L’ID 964 présente une zone de visualisation presque rectangulaire – très haute au milieu, mais avec des extrémités légèrement plus courtes sur chaque bras. En revanche, le HJ-17L a des extrémités de bras considérablement plus courtes et il se rétrécit de façon plus marquée à partir du point milieu au centre de la zone de visualisation. En comparaison de l’ID 964, la zone de visualisation s’étend aussi plus loin vers l’arrière, jusqu’au bras du pare-visage dans le cas du HJ-17L.

[94]            La deuxième est la forme des bras. Les bras du pare-visage représenté dans l’ID 964 se terminent en courbe circulaire après une pente graduelle et continue depuis l’avant du protecteur. Les bras du HJ-17L se terminent en extrémités beaucoup plus petites, surélevées vers le haut à partir de la bordure inférieure du protecteur, de sorte qu’ils arrondissent la caractéristique rectangulaire. Si l’on coupait les deux bras de l’ID 964 à chaque extrémité de la partie rectangulaire et qu’on les plaçait ensemble, ils formeraient un cercle en raison de la courbe circulaire. Ce n’est pas le cas du HJ-17L, pour qui cette modification formerait davantage un cœur.

[95]           Troisièmement, il y a un motif tacheté sur le plastique autour de la zone de visualisation du HJ-17L qui est totalement absent chez l’ID 964. Ce motif se termine là où la zone de visualisation se termine et il rend la partie extérieure en plastique de la zone de visualisation opaque plutôt que transparente. Il n’y a aucune suggestion de motifs, quels qu’ils soient, chez l’ID 964.

[96]           Pour ce qui est des similitudes, il y en a peu qui peuvent se distinguer des restrictions associées aux illustrations antérieures et à la fonctionnalité. Les deux doivent respecter la forme générale du protecteur du casque, y compris une grande zone de visualisation, et les deux sont fonction des dimensions du casque et de ses exigences en matière de conception. Les deux présentent des « projections moulées vers l’extérieur », des caractéristiques de dessin protégeables qui, contrairement à celles des illustrations antérieures, sont légèrement profilées autour des zones de visualisation. Pourtant, il existe des différences entre les projections extérieures du HJ-17L et de l’ID 964. Par exemple, dans le premier cas, la hauteur de la projection s’étend clairement et de façon distincte, la plus longue va du centre du cadre du protecteur jusqu’aux bras; autrement dit, la projection est à son plus mince dans le milieu du protecteur. En revanche, dans le cas de l’ID 964, la hauteur demeure constante, du moins conformément aux figures qui illustrent la projection vers l’extérieur (figures 4 et 5). Par conséquent, même la présence de cette similitude ne suffit pas à justifier une conclusion de contrefaçon. Globalement, le HJ-17L diffère considérablement dans son apparence de l’ID 964.

[97]           Avant de conclure sur la question de la contrefaçon, il y a deux observations générales vis-à-vis du dessin qui méritent d’être mentionnées. Premièrement, la protection conférée par le régime du dessin industriel est différente de celle conférée par le régime des brevets, ce qui peut être proportionnel à l’ampleur des efforts nécessaires pour répondre aux critères établis par chacun des régimes. Il est intéressant de prendre l’espèce en exemple : bien que la demanderesse ait obtenu un enregistrement de dessin (ID 964), la demande de brevet correspondante, qui contenait une description écrite plus détaillée que l’ID 964, n’a pas été accordée. La raison du refus de cette demande de brevet n’a pas été examinée au complet; comme il a été mentionné plus haut, la Cour a tout simplement entendu qu’une opposition a été présentée en vertu de l’article 10 des Règles sur les brevets. Il suffit de dire que la protection accordée par le brevet aurait fourni une plateforme plus appropriée pour la demanderesse afin de protéger la caractéristique antibuée à double paroi. Il faut se rappeler qu’en termes généraux, le régime des brevets protège la fonctionnalité, et le régime des dessins protège les caractéristiques esthétiques de n’importe quel produit. Comme la Cour l’a affirmé dans Bodum, paragraphe 46 :

[l]a protection offerte par le dessin industriel ne doit d’ailleurs pas être confondue avec la protection obtenue pour un produit ou un procédé par l’entremise d’un brevet. Comme l’admettent les demanderesses, les dessins industriels ne leur confèrent pas de monopole sur les verres à double paroi au Canada.

[98]           De même, l’ID 964 ne devrait pas conférer à AFX un monopole sur les pare-visage antibuée à double paroi au Canada. Au contraire, il offre une mesure de protection pour tout protecteur qui est essentiellement semblable à celui représenté dans les illustrations de l’ID 964, et on ne peut pas dire que le HJ-17L satisfait à ce critère.

[99]           La deuxième observation est que la conception d’un pare-visage est fonction de la conception du casque. Un pare-visage n’est pas un produit autonome : en soi, il a peu d’utilité, voire aucune. Cela diminue la portée du concepteur d’introduire des « traits d’originalité » dans la conception du produit. La relation entre l’originalité et l’impondérable est généralement inverse : plus un dessin est subordonné à l’égard d’un autre produit, moins il y a de place pour la différenciation esthétique. Ce facteur m’a mené à conclure que les différences décrites ci-dessus étaient suffisantes pour éviter la contrefaçon.

[100]       En résumé, un consommateur informé conclurait qu’il y a des différences importantes entre le HJ-17L et le dessin décrit dans l’ID964. Le HJ17-L ne contrefait pas le dessin de la demanderesse.

B.                 Validité

[101]       En vertu du paragraphe 7(3) de la Loi, un certificat de dessin industriel est, en l’absence de preuve contraire, une attestation suffisante de la validité du dessin lui-même. Comme il est indiqué dans l’arrêt Zero Spill, paragraphe 18, « [l]e paragraphe 7(3) crée une présomption générale de conformité avec l’ensemble de la Loi sur les dessins industriels ». Il incombe donc aux défenderesses, AFX et RDI, de fournir suffisamment d’éléments de preuve qui démontrent que, selon une prépondérance des probabilités, l’ID 964 est invalide.

[102]       Il y a eu un certain débat lors du procès quant aux motifs de l’invalidité par rapport aux illustrations intérieures qui étaient énoncées dans la Loi. Le demandeur a mis l’accent sur les motifs énoncés au paragraphe 6(1) et à l’alinéa 6(3)a). Le paragraphe 6(1) de la Loi énonce que « Si le ministre trouve que le dessin n’est pas identique à un autre dessin déjà enregistré ou qu’il n’y ressemble pas au point qu’il puisse y avoir confusion, il l’enregistre » (non souligné dans l’original). L’alinéa 6(3)a), en revanche, prévoit que « [l]e ministre refuse d’enregistrer le dessin si la demande d’enregistrement a été déposée au Canada… plus d’un an après sa publication au Canada ou ailleurs dans le monde » (non souligné dans l’original).

[103]       L’avocat du demandeur a soutenu que ces dispositions laissent entendre qu’il existe deux normes distinctes à prendre en considération. Premièrement, le dessin ne doit pas être identique ou y ressembler au point qu’il y a confusion avec un dessin qui a déjà été enregistré. Deuxièmement, le dessin – c’est-à-dire le dessin exact et non une variation de ce dernier – ne peut pas avoir été publié plus d’un an avant la demande d’enregistrement. Dans ce contexte, la Loi accorde une protection plus large aux illustrations antérieures enregistrées qu’elle ne le fait pour les illustrations antérieures non enregistrées.

[104]       L’avocat des défenderesses, en revanche, a soutenu que le libellé du paragraphe 6(1) et de l’alinéa 6(3)a) doit être interprété dans le contexte de l’alinéa 11(1)a), qui dispose qu’un dessin contrefait un dessin valide enregistré s’il ne diffère pas « de façon importante de celui-ci ». L’avocat des défenderesses a soutenu qu’il doit exister une parité dans les analyses de validité et de contrefaçon : un dessin ne devrait pas être enregistré s’il diffère de façon importante de ce qui a été fait auparavant, et un objet ne contrefait pas s’il diffère de façon importante d’un dessin enregistré. Les différences dans le libellé entre le paragraphe 6(1) et l’alinéa 6(3)a), selon cette interprétation, n’ont aucune signification.

[105]       Je suis d’accord avec la demanderesse pour dire que le libellé du paragraphe 6(1) et de l’alinéa 6(3)a) doit être interprété comme ayant des significations distinctes. Cela est conforme au principe fondamental d’interprétation de la loi « lorsque des termes différents sont employés dans un même texte législatif, il faut considérer qu’ils ont un sens différent. […] Il faut tenir pour acquis que le législateur a délibérément choisi des termes différents dans le but d’indiquer un sens différent » (Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, paragraphe 81; voir aussi Ruth Sullivan, Sullivan on the Construction of Statutes, 6th ed (Markham: LexisNexis, 2014), p. 218). Cela étant dit, il existe un troisième motif en fonction duquel un dessin peut être invalidé qui est pertinent au titre de la présente évaluation : le paragraphe 7(3) énonce que le dessin industriel doit être « original ».

[106]       Contrairement aux motifs du paragraphe 6(1) et de l’alinéa 6(3)a), que la Loi décrit clairement, l’originalité est un critère de validité qui est mentionné, mais non défini, dans la Loi. On trouve plutôt sa définition dans la jurisprudence. Dans l’arrêt Clatworthy & Son Ltd v. Dale Display Fixtures Ltd, [1929] RCS 429, p. 433[Clatworthy], la Cour suprême l’a décrit comme suit :

[traduction]
[…] pour être original, un dessin doit différer suffisamment d’un dessin qui existe déjà. Un petit changement du contour ou de la configuration ou encore une variation non substantielle ne suffisent pas pour permettre à l’auteur d’obtenir l’enregistrement.

[107]       En dessin industriel, l’originalité constitue un seuil plus élevé que l’originalité en droit d’auteur : « [i]l semble à tout le moins exiger une étincelle d’inspiration de la part de l’auteur, soit par la création d’un dessin entièrement nouveau ou par la découverte d’un nouvel usage pour un dessin qui existait déjà » [Bata Industries Ltd c. Warrington Inc, [1985] ACF no 239, 5 CPR (3e) 339, p. 347 (CF 1re inst.)]; voir aussi Bodum, paragraphe 97).

[108]       Il existe des similitudes entre l’analyse de la contrefaçon et l’analyse de l’originalité, pour ce qui est de déterminer la validité. Concernant la contrefaçon, la fonctionnalité dans un dessin joue un rôle (« lorsqu’un objet est majoritairement fonctionnel, des différences minimes peuvent être suffisantes pour conclure à l’originalité » [Rothbury, paragraphe 38]), tout comme les antériorités (« pour être original, un dessin doit différer suffisamment d’un dessin qui existe déjà » [Clatworthy p. 433]). En outre, tout comme pour la contrefaçon, l’examen des caractéristiques du dessin par rapport aux antériorités doit être fait du point de vue du consommateur informé (Rothbury, paragraphe 31).

[109]       L’originalité, en vertu du paragraphe 7(3), constitue donc un critère plus vaste que le paragraphe 6(1) ou l’alinéa 6(3)a), étant donné qu’il exige que le dessin visé par la demande soit « différent de façon importante » des antériorités (voir Bodum, paragraphe 96) et il s’applique même si les antériorités ne sont pas enregistrées. Il est distinct de la condition énoncée au paragraphe 6(1), qui donne une protection supplémentaire aux dessins déjà enregistrés, et il est distinct de l’alinéa 6(3)a), qui traite précisément de la publication du dessin exact et que j’interprète comme un mécanisme visant à encourager les demandeurs à obtenir l’enregistrement de leurs nouveaux dessins en temps opportun.

[110]       Bref, un dessin qui peut être enregistré (i) doit différer de façon importante des antériorités (être « original »), (ii) ne peut pas ressembler à des dessins enregistrés (en vertu du paragraphe 6(1)), et (iii) ne peut pas avoir été publié plus d’un an avant sa demande d’enregistrement (en vertu de l’alinéa 6(3)a).

[111]       En passant, je souligne que l’on pourrait se demander comment un dessin pourrait différer de façon importante des antériorités (c.-à-d. être « original » et donc satisfaire aux motifs du paragraphe 7(3)), mais ressembler tellement à un dessin déjà enregistré au point qu’il y a confusion (c.-à-d. ne pas satisfaire aux motifs du paragraphe 6(1)). Un motif distinct d’originalité, autrement dit, semble rendre le paragraphe 6(1) superflu. Je souligne également que les modifications prévues à la Loi semblent ne faire aucune distinction entre les antériorités enregistrées et non enregistrées dans l’évaluation de l’enregistrabilité d’un dessin visé par une demande.

[112]       Si je reviens aux faits présentés en preuve lors du procès de première instance, les défenderesses n’ont présenté aucun élément probant de dessin industriel enregistré auparavant, et les éléments probants ne laissent pas entendre non plus que le dessin exact lui-même a été publié un an avant son enregistrement.

[113]       Par conséquent, il n’y a rien dans les éléments probants présentés à la Cour au sujet des antériorités qui laisse entendre que l’alinéa 6(3)a) ou le paragraphe 6(1) de la Loi s’applique. À ce titre, je limiterai mon analyse de la contrefaçon à deux lignes de la demande reconventionnelle de la défenderesse :

1.                  que l’ID 964 manque d’originalité;

2.                  que, en vertu de l’alinéa 5.1a) de la Loi, le dessin est invalide parce qu’il cherche à protéger des caractéristiques fonctionnelles plutôt qu’esthétiques.

(1)               Originalité

[114]       Les défenderesses s’appuient sur les antériorités qu’elles ont présentées – les casques dans le catalogue d’Al’s, le brevet Arnold, le brevet Kamata et la demande de brevet Douglas. Comme il est indiqué plus haut dans l’analyse de la contrefaçon, un examen de ces antériorités laisse entendre que le dessin d’un pare-visage pour casque adapté pour l’hiver est un domaine encombré assujetti à plusieurs contraintes fonctionnelles. Néanmoins, un bref examen des antériorités est nécessaire pour établir si le protecteur en cause était suffisamment original.

[115]       L’ID 964 diffère de façon importante du point de vue de conception des antériorités dans les brevets Arnold et Kamata ainsi que dans la demande de brevet Douglas (voir les figures ou les résumés de ces brevets reproduits dans l’analyse de la contrefaçon ci-dessus). Le dessin du brevet Arnold présente une zone de visualisation différente de celle de l’ID 964, créée par une vitre intérieure qui s’appuie contre la vitre extérieure, ainsi que des bras formés différemment et une petite protrusion au point d’articulation. De plus, il n’y a aucune projection vers l’extérieur. Le dessin de la demande de brevet Douglas présente des coins et des bords anguleux ainsi qu’une zone de visualisation rectangulaire. Le dessin dans le brevet Kamata est nettement plus droit et plus carré, y compris dans les bras.

[116]       Pour ce qui est du seul échantillon matériel des antériorités présenté en preuve devant la Cour, en l’occurrence le protecteur à cadre en plastique à bordure noire, il y avait des différences évidentes entre ce modèle et l’ID 964, y compris dans la zone de visualisation, qui était en retrait dans le cadre plutôt que projetée vers l’extérieur, et les deux trous dans la surface surélevée au‑dessus de la zone de visualisation. Aucun des éléments de preuve présentés à la Cour ne permet d’établir si ces trous étaient fonctionnels ou non, mais il est certain que leur forme ainsi que la configuration du pare-visage autour de ces trous vont au-delà du caractère purement utilitaire.

[117]       Finalement, la page du catalogue d’Al’s, comme il est indiqué plus haut, offre la même valeur limitée à la présente analyse de la validité qu’à l’analyse de la contrefaçon ci-dessus : ses images sont petites, pixelisées et n’offrent pas les multiples perspectives nécessaires pour évaluer tout degré de similitude ou de différence importante. Il est clair, d’après la page du catalogue d’Al’s, que les protecteurs partagent en général une forme globale commune qui doit correspondre en grande partie à la forme du casque.

[118]       En fin de compte, je ne pourrais pas conclure qu’il y a quoi que ce soit dans les antériorités qui m’a été présenté qui contenait clairement une projection moulée vers l’extérieur et une surface de contour lisse autour de la zone de visualisation ou qui ne différait pas de façon importante de l’ID 964. Par conséquent, je conclus que l’ID 964 satisfait au degré d’originalité nécessaire pour maintenir son enregistrement.

(2)               Alinéa 5.1a) de la Loi

[119]       Les défenderesses ont également énoncé la position selon laquelle la « projection moulée vers l’extérieur » est une caractéristique purement utilitaire étant donné qu’elle est une composante nécessaire de la caractéristique antibuée à double paroi.

[120]       Il est vrai, comme je l’ai indiqué plus haut, que tant la caractéristique antibuée à double‑paroi que certaines autres caractéristiques du dessin du protecteur facial sont purement fonctionnelles et, par conséquent, elles ne peuvent recevoir la protection conférée par le dessin industriel.

[121]       Cependant, il y a également plusieurs caractéristiques du dessin du protecteur qui peuvent être protégées, notamment la forme des bras, la configuration de la zone de visualisation et l’expression de la caractéristique antibuée à double-paroi, à titre de « projection moulée vers l’extérieur » dotée d’une « surface de contour lisse autour de la zone de visualisation ». De plus, comme l’a démontré clairement l’examen de la demande de brevet Douglas, il n’existe aucune raison pour que cette projection vers l’extérieur soit dotée d’un contour lisse, et la décision de le faire montre un effort de le rendre plus agréable à l’œil.

[122]       Pour ces motifs, je conclus que l’ID 964 n’est pas invalide pour motif d’utilité.

[123]       Un dernier point, les défenderesses ont soutenu lors du procès de première instance que la projection surélevée constituait une « méthode de fabrication » qui la rendrait invalide en vertu de l’alinéa 5.1b) de la Loi. Elles n’ont toutefois pas consacré beaucoup de temps à ce motif ni aux éléments de preuve présentés pour étayer cette allégation. Par conséquent, je conclus que rien ne permet non plus d’invalider l’enregistrement du dessin pour ce motif. Essentiellement, l’ID 964 ne décrit ou ne présente d’aucune façon une méthode de fabrication.

C.                Alinéa 7d) de la Loi sur les marques de commerce – Avantage déloyal

[124]       Finalement, l’avocat des défenderesses a soulevé une nouvelle cause d’action au procès, alléguant que la demanderesse, en soutenant que son dessin industriel est valide, a contrevenu à l’alinéa 7d) de la Loi sur les marques de commerce, qui prescrit ce qui suit :

7 Nul ne peut :

d) employer, en liaison avec des produits ou services, une désignation qui est fausse sous un rapport essentiel et de nature à tromper le public en ce qui regarde :

(i) soit leurs caractéristiques, leur qualité, quantité ou composition,

(ii) soit leur origine géographique,

(iii) soit leur mode de fabrication, de production ou d’exécution.

7. No person shall…

(d) make use, in association with goods or services, of any description that is false in a material respect and likely to mislead the public as to

(i) the character, quality, quantity or composition,

(ii) the geographical origin, or

(iii) the mode of the manufacture, production or performance

of the goods or services.

[125]       Bien que leurs observations sur ce point soient intéressantes, sans conclusion d’invalidité, elles sont théoriques.

VIII.       Conclusion

[126]       La demanderesse, lors du procès de première instance, a déclaré qu’elle cherchait à obtenir 20 $ en dommages-intérêts – ou un dollar par pare-visage contrefacteur vendu par RDI – ainsi qu’une injonction. Les défenderesses cherchaient la radiation de l’ID 964 de la demanderesse et des dommages-intérêts pour présentation fallacieuse. M’appuyant sur les éléments de preuve devant moi, je conclus qu’aucun de ces recours n’est justifié. Le dessin industriel de la demanderesse est valide et les défenderesses ne l’ont pas contrefait.

[127]       La Cour tient à remercier les avocats des parties de leur représentation habile et de la courtoisie dont ils ont fait preuve, y compris la fourniture des images utilisées dans les présents motifs.

IX.             Dépens

[128]       Les dépens sont attribués aux défenderesses.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.                  l’action des demanderesses à l’encontre des défenderesses est rejetée : aucune contrefaçon de l’ID 964 n’a eu lieu;

2.                  la demande reconventionnelle des défenderesses est également rejetée : l’ID 964 reste valide; et

3.                  les dépens sont attribués aux défenderesses.

« Alan S. Diner »

Juge

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossiers :

T-1110-12 ET T-491-14

 

INTITULÉ :

T-1110-12, AFX LICENSING CORPORATION c. HJC AMERICA, INC, ET HJC CO, LTD (KR) ET T­491­14, AFX LICENSING CORPORATION c. ROYAL DISTRIBUTING INC.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Les 2, 3 et 4 novembre 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE DINER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 22 AVRIL 2016

 

COMPARUTIONS :

Serge Anissimoff

Harjinder Mann

 

Pour la demanderesse

 

Peter Wells

Joanna Vatavu

 

Pour les défenderesses

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Anissimoff Mann Professional Corporation

Avocats

London (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

McMillan LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour les défenderesses

 

 

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