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Date : 20160414


Dossier : IMM-3078-15

Référence : 2016 CF 414

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 14 avril 2016

En présence de monsieur le juge Russell

ENTRE :

PRITPAL SINGH SAROYA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS 

I.                   INTRODUCTION

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (Loi), à l’encontre d’une décision rendue par la Section d’appel de l’immigration (SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada en date du 9 juin 2015 (décision), selon laquelle le demandeur ne s’était pas acquitté du fardeau qui lui incombait de démontrer que son mariage ne violait pas l’article 4 du Règlement sur la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (Règlement).

II.                CONTEXTE

[2]               Le demandeur est un citoyen canadien âgé de 43 ans, né à Jalandhar, dans la région du Punjab, en Inde. Il est de confession sikhe. Le demandeur a vécu aux États-Unis de 1993 à 2003. C’est là-bas qu’il s’est marié avec sa première épouse en 1996. En 2002, ils ont divorcé et le demandeur est retourné en Inde. En 2003, le demandeur s’est marié avec sa deuxième épouse, une résidente permanente du Canada, avec qui il a eu un fils en septembre 2004. Le demandeur prétend que le mariage a pris fin dans des circonstances acrimonieuses, à savoir que son épouse du moment avait formulé de fausses accusations de mauvais traitements contre lui et sa famille. Le demandeur et sa deuxième épouse ont divorcé en 2008.

[3]               Le demandeur, accompagné de sa mère, s’est rendu en Inde pour y chercher une épouse en septembre 2011. C’est là-bas qu’il a rencontré Ramandeep Kaur Saroya [Ramandeep], qui lui a été présentée par un ami de la famille. Ramandeep et sa famille ont été mis au courant des relations antérieures du demandeur. Après s’être renseignés auprès de leur communauté, elles ont eu la certitude que, malgré les accusations qui avaient été portées contre lui, le demandeur n’était pas responsable de la dissolution de son deuxième mariage. Le 30 octobre 2011, le demandeur et Romandeep se sont mariés.

[4]               Ils ont déposé une demande de parrainage d’un conjoint. Le 10 septembre 2013, Ramandeep a été interrogée par un agent des visas qui, dans une lettre datée du 30 septembre 2013, a refusé sa demande de résidence permanente à titre de membre de la catégorie du regroupement familial au motif qu’elle s’était mariée principalement dans le but d’acquérir un statut ou un privilège en vertu de la Loi ou que le mariage n’était pas authentique. Les motifs du refus incluent les suivants : la précipitation apparente du mariage; l’absence de compatibilité entre le demandeur et Ramandeep dans des domaines tels que l’âge, l’éducation et les antécédents conjugaux; le manque apparent de connaissances de Ramandeep au sujet du demandeur; l’absence apparente d’enquête, par la famille de Ramandeep, sur les antécédents du demandeur, y compris ses précédents mariages; et le fait que le demandeur n’avait pas rendu visite à Ramandeep depuis son mariage avec elle.

[5]               Après le refus, le demandeur prétend avoir rendu visite à Ramandeep en Inde, de décembre 2013 à janvier 2014 et de février à mars à 2015.

[6]               Le 9 juin 2015, la SAI a rejeté l’appel interjeté par le demandeur contre la décision de l’agent des visas au motif que le demandeur n’avait pas prouvé que son mariage ne violait pas les dispositions d’exclusion de l’article 4 du Règlement.

III.             DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[7]               La SAI a procédé à une évaluation des données disponibles afin de déterminer si le mariage entre le demandeur et Ramandeep visait principalement à ce que cette dernière immigre au Canada. La décision a reconnu la nécessité de tenir compte des coutumes entourant la pratique des mariages arrangés au moment de procéder à une telle analyse, en prenant note des éléments probants confirmant les événements qui se produisent normalement lors de mariages arrangés dans la culture sikhe.

[8]               La décision a fait mention des éléments de preuve de la communication continue entre les membres du couple (y compris la capacité de chacune des parties à indiquer les activités en matière d’emploi et d’éducation de l’autre partie) et de l’appui financier fourni par le demandeur à Ramandeep, concluant qu’ils étaient compatibles avec un véritable mariage.

[9]               Néanmoins, la SAI a déterminé qu’il y avait des préoccupations importantes concernant les intentions des parties, y compris la hâte avec laquelle le mariage a été organisé et l’absence de compatibilité en matière d’âge, d’éducation et d’antécédents conjugaux. Lors de l’audition du demandeur et de Ramandeep, cette dernière a précisé qu’elle était au courant des arrangements au sujet du divorce du demandeur d’avec sa deuxième épouse, y compris le montant de la pension alimentaire qu’il devait verser pour son fils.

[10]           Cependant, la SAI a conclu qu’il était peu probable que la famille de Ramandeep ait déployé des efforts raisonnables pour obtenir une assurance indépendante que le demandeur et Ramandeep étaient compatibles et que celui-ci était quelqu’un de convenable pour elle. La seule source d’information soutenant la conclusion que le demandeur était honnête et n’avait rien fait de mal durant son deuxième mariage était le demandeur lui-même. La propension à accepter la parole du demandeur et ses explications illogiques au sujet de ses relations antérieures a soulevé des doutes importants quant aux intentions des parties au moment du mariage.

[11]           En outre, le témoignage et le contenu de l’audience ont soulevé les préoccupations matérielles quant à la crédibilité du demandeur et de Ramandeep et à la fiabilité de leur témoignage. Par exemple : si le demandeur a déclaré qu’il était prêt à accepter son fils si ce dernier souhaitait le voir un jour, Ramandeep a témoigné qu’à son arrivée au Canada, ils avaient l’intention d’obtenir la garde du fils du demandeur; les parties n’ont fait que suggérer, de façon générique et invraisemblable, la nature romantique de leurs conversations téléphoniques quotidiennes (dont ils allèguent qu’elles pouvaient durer une heure et demie ou 2 heures); la connaissance que chacun des membres du couple a de l’autre et la description des qualités qu’ils apprécient chez l’autre étaient vagues et génériques; et il y avait des preuves contradictoires en ce qui concerne la maladie de Ramandeep qui est survenue après le mariage.

[12]           La SAI a déterminé que, même si une grande indulgence avait été témoignée à l’égard du passage du temps et des vagues souvenirs, les éléments de preuve fournis par le demandeur et Ramandeep n’avaient pas permis d’établir que leur relation était authentique. Prises dans leur ensemble, les lacunes de la preuve et l’absence d’explication raisonnable quant à cette union engendrent davantage que la simple hypothèse selon laquelle le but principal de l’arrangement était l’immigration.

IV.             QUESTION EN LITIGE

[13]           Le demandeur avance que ce qui suit est en litige dans la présente affaire :

  • Est-ce que la SAI a fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées d’une manière abusive ou arbitraire et sans tenir compte des éléments dont elle disposait?

V.                NORME DE CONTRÔLE

[14]           Dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], la Cour suprême du Canada a conclu qu’il n’est pas requis d’effectuer une analyse de la norme de contrôle dans tous les cas. En revanche, lorsque la norme de contrôle applicable à la question en cause est bien établie en jurisprudence, la cour de révision peut l’adopter. Ce n’est que lorsque cette démarche se révèle infructueuse ou que la jurisprudence semble devenue incompatible avec l’évolution récente des principes de common law concernant le contrôle judiciaire que la cour de révision procédera à l’examen des quatre facteurs de l’analyse relative à la norme de contrôle : Agraira c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2013 CSC 36, au paragraphe 48.

[15]           Les parties conviennent, et je suis d’accord, que la norme de contrôle applicable au contrôle judiciaire d’une décision de la SAI et à la question de savoir si elle a tiré des conclusions erronées de manière abusive ou arbitraire est raisonnable : Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 58 [Khosa]; Kitomi c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1293, au paragraphe 37; Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CFPI 347.

[16]           Lorsque la Cour effectue le contrôle d’une décision selon la norme de la décision raisonnable, son analyse porte sur « la justification de la décision, la transparence et l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi [que sur] l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ». Voir Dunsmir, précité, au paragraphe 47, et Khosa, précité, au paragraphe 59. Autrement dit, la Cour ne devrait intervenir que si la décision contestée est déraisonnable en ce sens qu’elle n’appartient pas « aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit ».

VI.             DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[17]           Les dispositions suivantes de la Loi sont pertinentes en l’espèce :

Visa et documents

Application before entering Canada Visa et documents

11 (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement. L’agent peut les délivrer sur preuve, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

11 (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document may be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.

Fondement de l’appel

Appeal allowed

67 (1) Il est fait droit à l’appel sur preuve qu’au moment où il en est disposé :

67 (1) To allow an appeal, the Immigration Appeal Division must be satisfied that, at the time that the appeal is disposed of,

a) la décision attaquée est erronée en droit, en fait ou en droit et en fait;

(a) the decision appealed is wrong in law or fact or mixed law and fact;

b) il y a eu manquement à un principe de justice naturelle;

(b) a principle of natural justice has not been observed; Or

c) sauf dans le cas de l’appel du ministre, il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

(c) other than in the case of an appeal by the Minister, taking into account the best interests of a child directly affected by the decision, sufficient humanitarian and compassionate considerations warrant special relief in light of all the circumstances of the case.

[18]           Les dispositions suivantes du Règlement sont pertinentes en l’espèce :

Mauvaise foi

Bad faith

4 (1) Pour l’application du présent règlement, l’étranger n’est pas considéré comme étant l’époux, le conjoint de fait ou le partenaire conjugal d’une personne si le mariage ou la relation des conjoints de fait ou des partenaires conjugaux, selon le cas :

4 (1) For the purposes of these Regulations, a foreign national shall not be considered a spouse, a common-law partner or a conjugal partner of a person if the marriage, common-law partnership or conjugal partnership

a) visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi;

(a) was entered into primarily for the purpose of acquiring any status or privilege under the Act; or

b) n’est pas authentique.

(b) is not genuine.

Catégorie

Family class

116 Pour l’application du paragraphe 12(1) de la Loi, la catégorie du regroupement familial est une catégorie réglementaire de personnes qui peuvent devenir résidents permanents sur le fondement des exigences prévues à la présente section.

116 For the purposes of subsection 12(1) of the Act, the family class is hereby prescribed as a class of persons who may become permanent residents on the basis of the requirements of this Division.

Regroupement familial

Member

117 (1) Appartiennent à la catégorie du regroupement familial du fait de la relation qu’ils ont avec le répondant les étrangers suivants :

117 (1) A foreign national is a member of the family class if, with respect to a sponsor, the foreign national is

a) son époux, conjoint de fait ou partenaire conjugal;

(a) the sponsor’s spouse, common-law partner or conjugal partner;

VII.          ARGUMENTS

A.                Demandeur

[19]           Le demandeur soutient que la SAI a le devoir de considérer tous les éléments de preuve et de prendre en compte le contexte culturel et sociopolitique particulier des parties, y compris les circonstances d’un mariage arrangé : Nadasapillai c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 72. Il y avait suffisamment de preuve d’une relation conjugale authentique et engagée entre le demandeur et Ramandeep et la décision reposait sur les conclusions déraisonnables qui avaient été faites sans égard au contexte culturel particulier des parties.

[20]           La SAI n’était pas convaincue que la famille de Ramandeep avait fait un effort raisonnable pour évaluer les circonstances des mariages et divorces antérieurs du demandeur. Le demandeur avance que cette conclusion était déraisonnable. La preuve indique que la famille de Ramandeep était seulement préoccupée par le deuxième mariage du demandeur étant donné qu’il avait pris fin dans un contexte d’allégations de mauvais traitements. Contrairement à ce qu’a déclaré la SAI, la famille ne s’est pas contentée de prendre pour argent comptant les explications du demandeur; elle a interrogé des tiers sur son caractère et la propension de sa deuxième ex-femme à mentir avant de conclure qu’il n’avait rien fait de mal lors de son deuxième mariage. Le fait que la SAI n’a pas tenu compte de cette preuve justifie l’annulation de la décision, car elle contredit directement ses conclusions sur une question d’une importance capitale.

[21]           Le demandeur a déclaré clairement que, bien qu’il souhaitait établir une relation avec son fils, il avait décidé de ne pas demander la garde de son fils parce qu’il s’inquiétait du bien-être de ce dernier et parce qu’il ne voulait pas le mêler à une bataille juridique. La conclusion de la SAI selon laquelle il était illogique que le demandeur se batte pour obtenir la garde de son fils s’il n’avait rien fait de mal lors de son deuxième mariage est déraisonnable.

[22]           En ce qui concerne la compatibilité entre Ramandeep et le demandeur, le demandeur soutient que la SAI n’avait aucun motif raisonnable de conclure que les parties n’ont pas résolu les préoccupations en matière compatibilité. La SAI n’a fourni aucune indication quant à la raison pour laquelle elle n’avait pas été convaincue par la preuve irréfutable que le demandeur et Ramandeep étaient de la même religion et appartenaient à la même caste, qu’ils parlaient la même langue, qu’ils avaient le même statut social et que leurs familles venaient du même village.

[23]           Le demandeur fait valoir en outre que les préoccupations relatives au mariage précipité sont clairement déraisonnables puisque la preuve établit que les discussions entre les familles au sujet de la possibilité du mariage ont duré 7 ou 8 mois, ce qui, dans le contexte de la culture des parties, ne constitue pas un délai rapide pour un mariage arrangé.

[24]           Le demandeur affirme que les habitants de son village natal représentaient en effet une source d’information fiable. Malgré le fait qu’il avait quitté l’Inde en 1993, il était alors âgé de 21 ans et sa communauté le connaissait suffisamment bien pour donner son avis sur son caractère. Il était déraisonnable pour la SAI de tirer une conclusion différente.

[25]           On peut raisonnablement supposer que le demandeur et Ramandeep auraient rapidement développé un degré d’intimité et des sentiments amoureux. Il était déraisonnable pour la SAI de conclure que le couple n’aurait pas pu avoir de conversations amoureuses au téléphone. De même, la question de savoir si une personne s’habille avec simplicité est très subjective. La SAI n’avait aucun motif lui permettant de tirer une conclusion négative à partir des comparaisons qu’elle a effectuées entre la description, faite par le demandeur, de Ramandeep et des photos d’elle et à partir du témoignage de cette dernière selon lequel ils aimaient magasiner ensemble.

[26]           Le demandeur fait valoir que les problèmes de crédibilité allégués se rapportent à des problèmes mineurs n’ayant pas grand-chose à voir avec l’authenticité de la relation entre les parties. La SAI a accordé trop d’importance à des points de détail et à des éléments marginaux sans examiner la preuve qui portait directement sur l’authenticité de la relation conjugale : Tamber c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 951.

B.                 Défendeur

[27]           Le défendeur affirme que la SAI n’était pas obligée de mentionner chaque élément de preuve dans ses motifs étant donné la présomption selon laquelle un tribunal a tenu compte de tous les arguments qui sont mis en avant : Lai c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2005 CAF 125, au paragraphe 90.

[28]           En ce qui concerne les conclusions défavorables de la SAI en matière de crédibilité, le défendeur soutient que la SAI a exercé correctement sa compétence en fournissant des exemples d’incohérences significatives dans la preuve qui appuyait ses conclusions. La SAI a noté ce qui suit : le témoignage contradictoire et fabriqué sur les circonstances de la dissolution du précédent mariage du demandeur; des incohérences dans les projets du demandeur en ce qui concerne la garde de son fils né de son précédent mariage; et les incohérences dans les connaissances du demandeur au sujet des habitudes vestimentaires de Ramandeep. La SAI a raisonnablement conclu que l’effet cumulatif des incohérences relevées dans la preuve soulevait des doutes quant à la crédibilité du demandeur et de Ramandeep, d’où la conclusion selon laquelle le mariage avait été contracté à des fins d’immigration.

[29]           Le défendeur affirme que le demandeur n’a pas démontré que la SAI n’avait pas exercé son pouvoir discrétionnaire de bonne foi ou qu’elle s’était appuyée sur des considérations inappropriées ou étrangères. Le demandeur a uniquement soulevé des questions quant au poids de la preuve et il est bien établi que c’est au tribunal de trancher ces questions : Boulis c. Ministre de la Main-d’œuvre et de l’Immigration (1992), 26 DLR (3d) 216 (CSC), au paragraphe 21; Hoang c. Canada (Emploi et Immigration) (1990), 120 NR 193 (CAF).

[30]           Le défendeur note que le critère énoncé à l’article 4 du Règlement est disjonctif et qu’il ne nécessite pas qu’un mariage de mauvaise foi soit à la fois contracté principalement à des fins d’immigration et non authentique. Il suffit à la SAI de conclure qu’une seule de ces qualités est présente.

[31]           La SAI a correctement examiné le témoignage du demandeur et de Ramandeep et n’a pas commis d’erreur en remettant en question la manière dont Ramandeep a évalué le caractère du demandeur. La SAI n’a pas non plus commis d’erreur dans sa conclusion selon laquelle Ramandeep et sa famille n’avaient pas procédé à une véritable enquête approfondie et indépendante des antécédents conjugaux du demandeur puisqu’elles n’avaient pas mené d’enquête et n’avaient pas interrogé les précédentes épouses du demandeur.

[32]           Le défendeur déclare que la SAI a bien examiné la preuve présentée et n’a pas fondé sa décision sur des conclusions de fait erronées. Elle a alors correctement exercé son pouvoir discrétionnaire et la Cour ne devrait pas interférer avec sa décision.

VIII.       ANALYSE

[33]           Le demandeur a soulevé un certain nombre de questions aux fins d’examen et je vais les traiter dans l’ordre. De façon générale, le demandeur affirme que la décision est fondée sur des constatations déraisonnables qui ont été faites sans tenir compte de la preuve et sans prise en compte adéquate du contexte culturel dans lequel ce mariage a eu lieu.

A.                Recherche de renseignements

[34]           Le demandeur mentionne que la raison principale pour laquelle la SAI a rejeté l’appel était que la SAI n’était pas convaincue que la famille de Ramandeep s’était suffisamment renseignée sur les antécédents et les relations antérieures du demandeur avant d’accepter le mariage.

[35]           Une lecture de la décision révèle qu’il s’agissait d’une préoccupation majeure, bien qu’un peu plus nuancée que ce que le demandeur affirme, et c’est l’effet cumulatif des lacunes qui a finalement fait pencher la balance en faveur d’une conclusion négative :

[17]      Si certaines des faiblesses de la preuve en l’espèce n’indiquent peut-être pas, en elles‑mêmes, que le mariage n’est pas authentique, les faiblesses se sont accumulées au point de soulever de sérieux doutes quant à son but. Il y a lieu de souligner par ailleurs l’absence remarquable d’expressions ou de phrases à caractère émotionnel et personnel dans le témoignage de l’appelant et de la demandeure. Ils ont donné des informations presque identiques à propos de certaines choses, mais sans ajouter spontanément de détails plus personnels pour compléter leurs souvenirs. En soi, cette observation ne serait pas suffisante pour conclure que le mariage n’est pas authentique : toutefois, pris en considération dans le contexte de l’ensemble de la preuve, il s’agit d’un autre facteur cumulatif qui a un poids négatif dans l’ensemble de l’évaluation.

[36]           En ce qui concerne la recherche de renseignements, le demandeur déclare que

[traduction] 23.       [...] Contrairement à ce que suggère le tribunal, elles ne se sont pas contentées de prendre pour argent comptant la version des faits du demandeur. Au contraire, elles ont consulté divers tiers avant de conclure qu’il avait bon caractère et qu’il n’était pas responsable de la dissolution de son deuxième mariage.

[37]           Le demandeur souligne ce qui suit :

[traduction]  24.      À 2 min 33 s de l’enregistrement de l’audience, le conseil du demandeur a demandé à Ramandeep si elle et sa famille étaient préoccupées par le fait que le demandeur avait été marié deux fois par le passé. Voici ce qu’a répondu Ramandeep :

 « Nous connaissions la famille depuis longtemps, mais nous avons mené une enquête au sujet de mon mari et avons découvert qu’il était innocent dans les deux cas. Il n’avait pas de mauvaises habitudes et ma famille a examiné sa famille et ses qualités et sur la base de ces qualités, ma famille a consenti au mariage. »

25.       À 2 min 40 s, le conseil du demandeur a demandé à Ramandeep pourquoi elle et sa famille pensaient que les allégations de mauvais traitements faites par la deuxième femme du demandeur étaient fausses. Voici ce qu’a répondu Ramandeep :

 « Parce que nous avions fait quelques recherches à propos de son ex-femme avant le mariage et avions obtenu des renseignements du fait qu’elle était également originaire du même endroit, dans la région du Punjab. Après avoir enquêté à son sujet, on a découvert qu’elle avait formulé la même plainte à l’encontre de son premier mari, à savoir que tous deux l’avaient battue. »

26.       À 3 min 1 s, le conseil du ministre a demandé à Ramandeep comment elle et sa famille avaient découvert que le demandeur n’avait rien eu à se reprocher durant ses deux précédents mariages. Voici ce qu’a répondu Ramandeep :

 « Une partie des renseignements provenaient de la tante Charanjeet. Et une personne s’était renseignée auprès de nos proches. En outre, mes parents connaissaient mes beaux-parents d’avant ma naissance, ils les connaissaient avant que je sois née, et ils se sont également renseignés auprès de gens de son village, Dehana (phonétique). Étant donné que Pritpal était né à Jalandhar et qu’il avait fait ses études à Delhi, nous avons également demandé à des personnes originaires de Delhi. »

Le conseil du ministre a alors demandé qui avait été contacté à Delhi et Ramandeep a fourni la réponse suivante :

 « Mon oncle maternel est originaire de Delhi et il a des amis là-bas. Je ne connais pas le nom de ces amis, mais il s’est renseigné auprès d’eux. Et à Jalandhar, il a également pris des renseignements auprès d’un oncle nommé Dilpak (phonétique). » [...]

27.       Cette preuve établit que, contrairement à la conclusion du tribunal, la famille de Ramandeep avait consulté diverses sources indépendantes avant de conclure que le demandeur n’avait rien fait de mal durant son deuxième mariage. En particulier, Ramandeep a déclaré que sa famille s’était renseignée auprès des personnes qui étaient de la même région que la deuxième épouse du demandeur et avait appris qu’elle avait également fait de fausses accusations de mauvais traitements à l’encontre de son premier mari. Nous estimons que cette information pourrait raisonnablement amener la famille de Ramandeep à conclure que la deuxième épouse du demandeur était une menteuse et que ses allégations contre le demandeur étaient tout aussi fausses.

28.       Ramandeep a également déclaré que sa famille avait recueilli des renseignements sur le demandeur auprès de personnes de son village natal, ainsi qu’auprès de personnes originaires de Delhi, où il avait vécu alors qu’il poursuivait ses études. Compte tenu de ces éléments de preuve, nous estimons qu’il n’était pas loisible au tribunal de conclure que le demandeur était « la seule véritable source de renseignements sur les mariages antérieurs ». Nous soutenons en outre que le fait que le tribunal n’a pas examiné ces éléments de preuve – ce qui contredit directement ses conclusions sur une question d’une importance capitale – constitue une erreur susceptible de révision qui, en soi, justifie l’annulation de la décision.

[38]           La liste des sources consultées qui a été fournie par le demandeur passe à côté de la question. Ni le demandeur ni Ramandeep ne montrent clairement comment les personnes consultées pouvaient savoir quoi que ce soit au sujet du deuxième mariage du demandeur. Il a quitté l’Inde en 1993 et a vécu aux États-Unis de 1993 à novembre 2003, il a été marié de 1996 à 2000, et a divorcé en 2002. Le demandeur est arrivé au Canada en 2004. Il avait toutefois contracté un deuxième mariage en décembre 2003 en Inde et s’était donc installé au Canada avec sa deuxième épouse. Un fils est né en septembre 2004 de ce mariage. Ce dernier a pris fin de façon acrimonieuse et le divorce a eu lieu en 2008. La SAI a conclu, avec raison, que si le demandeur et Ramandeep renvoient à des vérifications et à des enquêtes menées par des parties indépendantes, celles-ci n’ont pas vraiment eu lieu et, au bout du compte, la version donnée par le demandeur de son passé a été prise pour argent comptant.

[15] Ce qui manque, selon la prépondérance des probabilités, ce sont des efforts raisonnables de la part de la famille de la demandeure pour obtenir d’une source indépendante l’assurance de la compatibilité et de la convenance de l’appelant. Voici quelques exemples :

a.       L’appelant et la demandeure ont dit tous les deux que la famille de la demandeure s’était renseignée pour savoir ce qui s’était passé dans ses mariages précédents, mais en examinant la preuve de plus près, on réalise que la seule vraie source d’information à propos des mariages précédents est l’appelant. Il n’a pas été démontré selon la prépondérance de probabilités que des sources d’information indépendantes ont été utilisées pour en arriver à la conclusion que l’appelant était honnête et n’était pas fautif.

b.       La demandeure a témoigné longuement à propos des démarches faites par sa famille pour s’assurer que l’appelant n’était pas fautif et que c’étaient ses épouses qui avaient causé les divorces. Elle a dit à l’agent des visas que l’échec du premier mariage de l’appelant était attribuable en partie au fait que la première épouse de l’appelant fumait. Lors de l’audience devant la SAI, elle a ajouté que sa première épouse consommait des drogues dures illégales et ne voulait pas avoir d’enfants, et l’appelant a témoigné dans le même sens à l’audience devant la SAI. Ce témoignage a, selon la prépondérance des probabilités, été fabriqué pour les besoins de cet appel, car tous les deux ont dit la même chose alors que la demandeure n’a rien dit de la sorte au moment de son entrevue, lorsqu’il aurait été raisonnable de le faire. Même en supposant qu’elle était nerveuse, l’usage de drogues dures et un désaccord en ce qui a trait aux enfants sont des caractéristiques plus marquantes que le simple fait de fumer, et l’omission de signaler qu’elles avaient été des causes importantes du divorce est remarquable. Qui plus est, l’appelante ne savait pas pourquoi le demandeur s’était marié avec cette femme, qui n’était pas issue du même milieu culturel. Ce témoignage a soulevé des doutes quant à la crédibilité du couple et à ce que la demandeure savait effectivement au sujet de l’appelant lors de l’entrevue et, sans doute, avant de consentir à l’union.

c.       Les circonstances du deuxième mariage et du divorce sont également importantes en ce qui a trait à la compatibilité et à la convenance parce que, d’après l’appelant, sa deuxième épouse avait quitté la maison de sa famille dans des circonstances impliquant la police et des allégations d’agression contre elle de la part de l’appelant et sa famille. Il aurait été raisonnable que la demandeure et sa famille cherchent à avoir l’assurance que les allégations d’agression soulevées par sa deuxième épouse n’étaient pas fondées. L’appelant a expliqué qu’en avril 2005 son épouse avait appelé la police et allégué qu’elle faisait l’objet d’agressions de lui-même et de sa famille, mais qu’après avoir enquêté, la police n’avait trouvé aucun motif de porter des accusations contre lui ou sa famille. Toutefois, il a dit que depuis il n’avait pas eu de contacts avec son enfant, car son épouse ne lui permettait de voir leur fils que sous la supervision de son épouse ou la sœur de son épouse, et qu’il n’était pas d’accord avec cet arrangement. Il a dit qu’il ne s’était pas battu pour avoir la garde parce qu’au moment où le divorce a été prononcé, son fils avait deux ans et demi, et était un inconnu, étant donné qu’ils ne s’étaient pas vus depuis avril 2005, alors que l’enfant avait six mois. Il a laissé entendre, quoique vaguement, qu’il craignait d’effrayer son fils. La demandeure a confirmé que sa famille et elle avaient reçu ces informations avant de consentir à l’union, qu’elles avaient apprécié l’honnêteté de l’appelant et qu’elles étaient convaincues qu’il convenait parce qu’elles savaient qu’il n’avait pas été responsable de l’échec de son mariage précédent.

d.      Il n’est pas raisonnable que la demandeure et sa famille aient simplement accepté le compte rendu des événements de l’appelant et ses explications relativement illogiques au sujet d’affaires aussi sérieuses. Son ex-épouse a la garde exclusive de leur enfant, il n’a pas vu son fils depuis l’incident qui a nécessité l’intervention de la police et il n’a ni demandé la garde de son fils ni cherché à avoir accès à lui. Ce sont des conséquences illogiques s’il faut croire l’appelant lorsqu’il dit qu’il n’était pas fautif, qu’il veut avoir des enfants et qu’il veut voir son fils et avoir une relation avec lui. Il aurait été raisonnable de s’attendre à ce que la demandeure et sa famille, en recevant cette information, fassent d’autres vérifications de façon indépendante, avant de consentir au mariage. Le fait qu’ils aient bien voulu croire sur parole l’appelant, qui affirmait ne pas être fautif, et accepter son explication illogique des raisons pour lesquelles il n’avait pas la garde de son propre fils ni accès à lui soulève de sérieux doutes quant à leurs intentions en se mariant.

e.       Il n’a pas été expliqué de manière raisonnable pourquoi la démarche avait été relativement précipitée entre la rencontre et le mariage, ni comment il avait été possible en si peu de temps de s’informer suffisamment sur les antécédents. Le couple s’est rencontré et a accepté la proposition le même jour, puis s’est marié le même mois. Tous deux ont dit qu’ils s’étaient beaucoup fiés aux renseignements qui leur avaient été donnés par l’ami commun de la famille, or la source de ses renseignements sur l’appelant est principalement l’appelant lui-même. Ils ont parlé de leur passé commun du fait de leurs grands-mères, mais l’appelant a quitté l’Inde en 1993, et les villageois et connaissances de la famille ne peuvent donc pas vraiment être au courant de caractéristiques positives et d’événements de la vie depuis son départ, à part ce qu’il a révélé lui-même. En outre, la demandeure était moins bien informée qu’elle n’aurait pu l’être, raisonnablement, si des vérifications indépendantes avaient été menées, comme il a déjà été souligné.

[39]           Le demandeur affirme que Ramandeep a fourni des preuves de consultation indépendante. Cependant, elle s’est contentée de fournir le témoignage suivant à propos de la deuxième épouse du demandeur :

[traduction] PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE :   Comment savez-vous qu’elle mentait?

[…]

A         Parce que nous avions également fait quelques recherches à propos de son ex-femme avant le mariage et avions obtenu des renseignements du fait qu’elle était également originaire du même endroit, dans la région du Punjab. Après avoir enquêté à son sujet, on a découvert qu’elle avait formulé la même plainte à l’encontre de son premier mari, à savoir que tous deux l’avaient battue.

[40]           À mon avis, cette preuve n’est pas suffisamment claire quant aux personnes consultées et à la capacité de celles-ci à fournir des renseignements fiables sur le comportement du demandeur lors de son deuxième mariage. Le fait que la deuxième épouse du demandeur a formulé la même plainte à l’encontre de son premier mari ne constitue pas une preuve de la conduite ou du comportement du demandeur envers sa seconde épouse. Cette preuve suggère que Ramandeep et sa famille n’étaient pas prêtes à approfondir la version des faits du demandeur, et elle n’écarte pas la conclusion générale de la SAI selon laquelle il représentait la véritable source d’information.

[41]           Devant la Cour, dans la présente demande, le demandeur n’a pas démontré que le SAI avait été déraisonnable dans ces conclusions. Il n’a pas montré en quoi les sources indépendantes alléguées qui sont citées permettaient de corroborer sa propre version des faits au sujet de son deuxième mariage. Comment les villageois et les connaissances de la famille pourraient-ils savoir réellement ce qui s’est passé dans les mariages antérieurs du demandeur? De plus, compte tenu de la grande importance que revêtent la compatibilité, la pertinence et la convenance, cela sème des doutes quant à la question de savoir si le mariage avec Ramandeep n’exigeait pas les contrôles habituels parce qu’il avait été contracté à des fins d’immigration. Les préoccupations de la SAI au sujet de ces questions n’étaient pas déraisonnables.

B.                 Le fils du demandeur

[42]           Le demandeur formule les plaintes suivantes :

[traduction] 29.       L’autre raison qui faisait que le tribunal ne croyait pas que la famille de Ramandeep s’était suffisamment renseignée sur les antécédents du demandeur était que les explications du demandeur au sujet de son fils étaient « illogiques » (motifs énoncés au paragraphe 15 d.). D’après le témoignage, bien que le demandeur voulait établir une relation avec son fils, il ne s’était pas battu pour obtenir sa garde ou un droit de visite étant donné que la rupture avec la mère de l’enfant, la deuxième épouse du demandeur, avait été très mouvementée. En plus d’avoir porté de fausses accusations de mauvais traitements contre le demandeur et la famille de celui-ci, sa deuxième épouse a clairement dit qu’elle ferait tout ce qui est nécessaire pour l’empêcher de nouer des liens avec leur fils. Le demandeur a témoigné qu’il ne s’était pas défendu devant les tribunaux parce qu’il ne voulait pas que cela ait des répercussions sur son fils et qu’il avait plutôt décidé d’attendre que l’enfant soit plus âgé pour chercher à nouer des liens avec lui.

30.       Le tribunal a déclaré que la décision du demandeur de ne pas se battre pour obtenir la garde était « illogique » compte tenu de son témoignage selon lequel qu’il n’avait rien fait de mal durant son deuxième mariage, qu’il voulait avoir des enfants et qu’il souhaitait nouer des liens avec son fils. Le demandeur soutient que cette décision est déraisonnable puisqu’il a clairement indiqué que, bien qu’il souhaitait entretenir des liens son fils, il avait décidé de ne pas demander la garde de ce dernier pour garantir son bien-être. Il est tout à fait compréhensible qu’il n’ait pas souhaité nuire à son fils en lui faisant subir une bataille juridique qui aurait été très certainement hostile et potentiellement de longue haleine.

31.       De plus, l’observation faite par le tribunal, à savoir que la décision du demandeur concernant la garde de son fils était incompatible avec son témoignage qu’il n’avait rien fait de mal lors de son deuxième mariage, est tout à fait sans fondement. Ce commentaire laisse entendre qu’un père ou une mère ne perdrait le contact avec son enfant que s’il ou elle était en faute, ce qui est manifestement faux.

[43]           Ces arguments constituent en quelque sorte une mauvaise interprétation de la décision. L’argument de la SAI est que l’explication fournie par le demandeur, à savoir qu’il ne voulait pas effrayer son fils, n’explique pas clairement pourquoi il n’avait pas tenté d’obtenir sa garde (paragraphe 15 c.), de sorte qu’il n’était pas raisonnable pour la famille de simplement accepter la version des faits donnée par le demandeur. Le demandeur a dit qu’il voulait avoir des enfants et qu’il souhaitait nouer des relations avec son fils. Pourtant, il dit qu’il n’avait pas cherché à établir une relation avec son fils parce qu’il ne voulait pas l’effrayer. La SAI dit seulement que cela n’explique pas clairement ce qui s’était passé durant son deuxième mariage, et qu’il était déraisonnable pour la famille d’accepter simplement la version du demandeur dans ce contexte s’ils étaient vraiment préoccupés par la pertinence, la compatibilité et la convenance. Je ne vois rien de déraisonnable dans cette conclusion.

C.                 Compatibilité

[44]           Le demandeur avance ce qui suit sur cette question :

[traduction] 32.       Le tribunal a également déclaré dans les motifs que les préoccupations de l’agent des visas concernant le  « manque de compatibilité » entre Ramandeep et le demandeur n’avaient « pas été résolues de manière satisfaisante » (motifs au paragraphe 13). Toutefois, le tribunal n’a pas tiré de conclusions négatives à l’égard de la compatibilité des parties. En fait, le tribunal a explicitement reconnu la preuve établissant que les conjoints étaient de la même religion et appartenaient à la même caste, qu’ils parlaient la même langue, étaient du même statut social étant donné que leurs pères avaient occupé des postes gouvernementaux similaires, et que leurs grands-mères étaient originaires du même village (motifs au paragraphe 13). Le tribunal n’a pas expliqué pourquoi il n’avait pas été convaincu par cette preuve irréfutable au sujet de la compatibilité. Le demandeur fait donc valoir que le tribunal n’avait aucun motif raisonnable de conclure que les parties n’étaient pas parvenues à résoudre les préoccupations de l’agent en matière de compatibilité.

[45]           La SAI fait référence aux préoccupations en matière de compatibilité qui sont énoncées aux paragraphes 13 et 14 :

[13]      La preuve telle qu’elle est décrite et résumée ci-dessus est compatible avec un mariage qui est authentique et qui ne visait pas principalement l’immigration. Toutefois, il y a une preuve substantielle en l’espèce qui soulève des préoccupations quant aux intentions sous-jacentes des parties. L’agent des visas était préoccupé par un apparent empressement à arranger ce mariage et un manque de compatibilité dans des domaines importants, comme l’âge, l’éducation et les antécédents conjugaux, et ces préoccupations n’ont pas été résolues de façon satisfaisante. L’appelant et la demandeure ont tous les deux parlé de l’importance d’être compatibles sur le plan notamment de la culture, de la langue et du statut social, en faisant remarquer qu’ils appartenaient à la même religion et à la même caste. Ils ont dit que leurs pères avaient tous les deux occupé des postes similaires de dessinateurs au gouvernement et souligné l’importance d’être originaires du même village par leurs grands-mères. Ils ont expliqué que les antécédents conjugaux de l’appelant avaient été pris en considération, et résolus de manière satisfaisante étant donné que l’appelant n’avait pas été responsable de l’échec des mariages. Je prends note de l’argument de l’appelant selon lequel l’agent des visas s’est appuyé sur une évaluation des compatibilités qui n’était pas fondée sur une preuve objective, mais je ne suis pas d’accord parce que, d’après leur propre témoignage, la convenance et la compatibilité étaient des éléments importants qui avaient apparemment été pris en considération par les familles avant d’accepter l’union.

[14]      Lors de l’audience devant la SAI, la demandeure a clarifié qu’elle était au courant de l’entente de divorce concernant la deuxième épouse de l’appelant, y compris du montant de la pension alimentaire à verser pour le fils de l’appelant. J’estime que les différences entre ce qu’elle a dit à l’agent des visas et l’entente de divorce ne sont pas importantes. Il a également été confirmé raisonnablement que le simple fait qu’il y ait eu des mariages antérieurs n’est pas un empêchement dans leur culture. L’appelant et la demandeure ont tous les deux expliqué que le divorce n’est plus aussi mal vu qu’à une époque dans leur culture. Toutefois, tous deux ont affirmé que le fait que l’appelant avait déjà été marié auparavant n’avait pas été un problème parce que la demandeure et sa famille savaient qu’il n’était pas responsable des échecs de ses précédents mariages. D’après le témoignage présenté, il est évident que la famille de la demandeure a voulu examiner les circonstances des mariages et divorces précédents avant de consentir à l’union. Le divorce n’est peut-être pas un obstacle à un mariage authentique, mais les circonstances d’un mariage et d’un divorce antérieurs ont été une considération pertinente lorsque la famille de la demandeure a évalué la compatibilité et la convenance.

[46]           Encore une fois, cependant, cela suggère à la SAI que la famille n’a pas mené des enquêtes totalement indépendantes qui auraient permis de vraiment évaluer la compatibilité. La conclusion négative veut que ces enquêtes n’aient pas été menées et que la compatibilité, dont l’importance a été soulignée par le demandeur et Ramandeep, n’ait jamais été vraiment évaluée. Les conclusions de la SAR sur ce point ne sont nullement déraisonnables.

D.                Empressement

[47]           Le demandeur fait valoir l’argument suivant :

[traduction] 33.       Voici l’autre raison qui a fait que le tribunal a rejeté l’appel : « aucune explication raisonnable n’a été donnée pour justifier la précipitation relative entre le jour de la rencontre et le mariage et comment suffisamment de renseignements de base avaient pu être obtenus dans ce laps de temps. » Le tribunal a déterminé que le mariage avait été contracté à la hâte parce que « la rencontre et l’acceptation de la demande en mariage ont eu lieu le même jour. De plus, ils se sont mariés le même mois » (paragraphe 15 e.). Le demandeur avance que cette conclusion est manifestement déraisonnable étant donné que la preuve a établi que les discussions entre les familles quant à la possibilité du mariage avaient duré de mars ou avril 2011 à octobre 2011, soit environ 7 ou 8 mois. En concluant que ce laps de temps était court, le tribunal a omis de considérer que, dans le contexte de la culture des parties, ce délai pour l’organisation d’un mariage ne serait pas considéré comme rapide. À titre de comparaison, dans Nadesapillai, le mariage des époux a eu lieu 40 jours après qu’ils ont été présentés et 10 jours après leur première rencontre en personne. Le juge Diner a estimé que ce délai, qui est considérablement plus court que celui en l’espèce, ne soutient pas de façon raisonnable la conclusion selon laquelle le mariage avait eu lieu précipitamment. Le demandeur soutient ainsi que la conclusion du tribunal au sujet de la « hâte » présumée de ce mariage était déraisonnable et qu’elle ne peut pas être maintenue.

[48]           Le demandeur reprend les termes du paragraphe 15 e. de la décision en les sortant de leur contexte. La SAI fait valoir que le temps qu’ils ont passé ensemble était insuffisant pour établir la crédibilité et acquérir suffisamment de renseignements pour s’assurer que le demandeur était compatible avec Ramandeep. La raison pour laquelle ils ont dit qu’ils n’avaient pas eu besoin de plus de temps était qu’ils avaient pu se fier à d’autres sources. Toutefois, le demandeur n’a pas montré clairement en quoi ces autres sources avaient pu fournir les garanties en matière de compatibilité, garanties qui, selon eux, étaient importantes. Encore une fois, c’est l’absence de vérifications indépendantes qui fait que le temps qu’ils ont passé ensemble était insuffisant pour déterminer l’existence d’une véritable compatibilité. Le raisonnement et les conclusions de la SAR sur ce point ne sont nullement déraisonnables.

E.                 Autres questions

[49]           Le demandeur cite d’autres circonstances où, selon lui, la SAI s’est attachée à des « points de détail et à des éléments marginaux ». Je suis d’accord avec le demandeur que ces conclusions ne sont pas valables ou raisonnables :

a)      Il n’y a pas d’incompatibilité entre le fait que le demandeur dit être prêt à accepter son fils si ce dernier souhaite le voir par la suite et le fait que Ramandeep dit qu’ils veulent obtenir la garde à son arrivée au Canada. Voir le fils et demander sa garde sont deux choses différentes et les souhaits du fils pourraient bien déterminer comment, pourquoi et quand le couple demandera à obtenir la garde;

b)      Il n’y a aucune preuve à l’appui de la conclusion de la SAI selon laquelle des « discussions romantiques » sont inhabituelles dans un mariage arrangé et les membres de ce couple se parlent tous les jours. La SAI se veut experte en matière d’histoire amoureuse quand elle dit ce qui suit :

Si un intérêt amoureux peut se manifester au fil du temps, les conversations antérieures entre eux ne pourraient pas raisonnablement être telles qu’elles sont décrites.

c)      Il n’y a pas d’incohérence entre le constat fait par le demandeur que Ramandeep était vêtue simplement et sans parure lorsqu’il l’a rencontrée pour la première fois et les photographies et les descriptions faites par la suite au sujet du magasinage et de l’achat de vêtements. Il est révélateur d’observer les passages de la transcription où ces incohérences alléguées sont censées avoir eu lieu :

[traduction] R.        Je – quand j’ai – quand j’ai – commencé à chercher ou à dire, peut-être en 20 -- 2009, en décembre 2009, je pense que c’était la dernière fois que j’ai contacté mon ex-femme pour lui demander de me laisser voir mon enfant, mais elle a refusé. Par la suite, j’ai commencé à préciser les critères [sic] que je recherchais, à savoir qu’elle devrait être généreuse, ma future femme se devait d’être généreuse. Elle devait exercer une noble profession et l’argent ne devait pas la définir – l’argent ne devait pas être sa principale priorité. Et je dirais que vous pouvez trouver ces qualités uniquement chez une personne simple. Une telle personne vivant une vie simple répondrait à tous ces critères [sic] ou serait le genre de personne que je recherchais. Et c’est ce que j’ai trouvé chez ma femme actuelle.

Q.        Et quand vous dites qu’elle est une personne simple, pouvez-vous préciser?

R.        La robe qu’elle portait, elle n’était pas maquillée, elle ne portait pas de bijoux, pas de chaussures voyantes – pas de voiture tape-à-l’œil. Ça et (indéchiffrable) le type de coupe de cheveux et la tenue vestimentaire que portent les hommes ou les femmes. Enfin, je veux dire sa façon de parler. C’était – tout ça (indéchiffrable) était (indéchiffrable).

Q.        Ainsi, elle ne porte jamais des bijoux, elle ne se maquillage pas et elle ne porte pas de chaussures brillantes.

R.        Non, ce n’est pas ce que j’ai dit. J’ai dit qu’elle ne portait pas de bijoux ou de chaussures [brillantes] quand elle est venue me voir le premier jour. Elle ne porte pas [...] Je – quand nous étions à Delhi nous allions [...] je lui demandais de porter quelque chose, et elle me disait « non », elle ne voulait pas. Elle – elle ne le ferait que par la suite – après que je le lui ai demandé. Il est également dangereux de porter des bijoux à Delhi. Et même si elle possède trois ou quatre parures de bijoux, elle ne revêtirait des bijoux que si je le lui demandais. Je veux dire, comprenez-moi bien. Elle aime bien s’habiller, mais uniquement pour des occasions spéciales.

PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE :    Je ne peux pas m’empêcher de poser la question et de vous signaler qu’il semble un peu incongru de dire qu’« elle est simple et n’aime pas le maquillage » et ainsi de suite alors même qu’elle suit un cours d’esthétique.

R.        Ce cours ne porte pas sur les bijoux, mais –

PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE :    Je sais, c’est pour le maquillage.

R.        Elle doit se – elle doit se teindre les cheveux parce que ses cheveux deviennent foncés et cela la gêne.

PRÉSIDENT DE L’AUDIENCE :    Certains d’entre nous le conçoivent.

Ce témoignage n’est nullement vague, générique ou incohérent.

d)     Toute incohérence quant aux détails de la maladie de Ramandeep après le mariage est raisonnablement explicable par le fait qu’ils devaient vivre séparément. Encore une fois, la SAI s’est appuyée sur des généralités qu’elle a créées de toute pièce et n’a pas évalué les conditions dans lesquelles les membres de ce couple vivent actuellement :

Il est raisonnable de penser que les problèmes médicaux de l’un des partenaires dans un mariage feraient l’objet de discussions et les préoccuperaient. Il est raisonnable de penser qu’ils connaîtraient mieux son état et que leurs connaissances seraient comparables.

Ils ont tous les deux décrit la situation entourant la lune de miel et les difficultés liées au diagnostic de façon cohérente. Ils ont également dit que Ramandeep avait des problèmes récurrents liés à des éruptions cutanées. Le demandeur a déclaré que les éruptions cutanées apparaissaient sur sa tête ainsi que ses bras, alors que Ramandeep a dit qu’elles se situaient sur ses bras. Cette différence est bien trop microscopique pour soutenir une incohérence dans le témoignage.

[50]           La SAI a précisé que sa décision négative était fondée sur un cumul de lacunes. Compte tenu de ma conclusion selon laquelle plusieurs de ces lacunes ne sont pas étayées par la preuve, la Cour ne saurait déterminer si la décision aurait été négative si ces conclusions déraisonnables n’avaient pas été tirées. Cela signifie que cette affaire doit être renvoyée aux fins de réexamen. Voir Jung c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 275; Zamora Huerta c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 586, au paragraphe 21; Igbo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 305, au paragraphe 23.

[51]           L’avocat convient qu’il n’y a aucune question à certifier et la Cour est d’accord.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.      La demande est accueillie. La décision est annulée et l’affaire est renvoyée pour réexamen par un tribunal de la SAI constitué différemment.

2.      Aucune question n’est soumise pour être certifiée.

« James Russell »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3078-15

 

INTITULÉ :

PRITPAL SINGH SAROYA c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Calgary (Alberta)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 16 mars 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE RUSSEL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 14 avril 2016

 

COMPARUTIONS :

Michael Sherritt

Pour le demandeur

 

Norain Mohamed

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Sherritt Greene

Calgary (Alberta)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Calgary (Alberta)

 

Pour le défendeur

 

 

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