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Date : 20160421


Dossier : IMM-5217-14

Référence : 2016 CF 451

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 21 avril 2016

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

FANGYUN LI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS :

I.                   Aperçu

[1]               On doit toujours se demander : Est-ce que la décision (en perspective, sous quelque point de vue que ce soit, et dans l’ensemble) est bonne pour les enfants? Si nous n’avons pas examiné cela, alors, avons-nous vraiment, dans les trois branches distinctes du gouvernement, soit le pouvoir exécutif, le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire (la responsabilité des juges), rempli nos mandats, reconnaissant que le Canada est signataire de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant. La Cour suprême du Canada, aux prises avec ces considérations, a déterminé, dans son récent jugement de principe, de l’importance à accorder à la considération de l’intérêt supérieur de l’enfant, dans Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61, [2015] 3 RCS 909 [Kanthasamy].

[2]               Kanthasamy constitue une décision judiciaire historique, car elle touchera véritablement toutes les décisions présentes et futures à l’égard de l’intérêt supérieur de l’enfant. L’arrêt de la Cour suprême est décisif quant à la façon de prendre en compte, dans tous les cas, l’intérêt supérieur de l’enfant; il faut cependant évaluer l’intérêt supérieur de l’enfant ainsi que tous les autres facteurs à soupeser, en veillant à ce que les droits de l’enfant, et par extension ceux de l’enfant à naître, soient considérés de façon significative et exhaustive eu égard à toutes les circonstances, situations et ramifications des cas.

[36]      La protection des enfants par l’application du principe de l’« intérêt supérieur de l’enfant » fait l’objet d’une reconnaissance générale dans le système de justice canadien : A.B. c. Bragg Communications Inc., 2012 CSC 46, [2012] 2 R.C.S. 567, au paragraphe 17. Il s’agit dès lors [traduction] « de décider de ce qui [...], dans les circonstances, paraît le plus propice à la création d’un climat qui permettra le plus possible à l’enfant d’obtenir les soins et l’attention dont il a besoin » (MacGyver c. Richards (1995), 22 O.R. (3d) 481 (C.A.), p. 489).

[37]      Les instruments internationaux portant sur les droits de l’homme dont le Canada est signataire, y compris la Convention relative aux droits de l’enfant, soulignent également l’importance de l’intérêt supérieur de l’enfant : R.T. Can. 1992 no 3; Baker, au paragraphe 71. En particulier, le par. 3(1) de la Convention consacre la primauté du principe de l’intérêt supérieur de l’enfant :

Dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale.

[38]      Même avant que le principe ne figure expressément au par. 25(1), la Cour y voyait un volet « important » de l’appréciation des motifs d’ordre humanitaire, notamment dans l’arrêt Baker :

... l’attention et la sensibilité à l’importance des droits des enfants, de leur intérêt supérieur et de l’épreuve qui pourrait leur être infligée par une décision défavorable sont essentielles pour qu’une décision d’ordre humanitaire soit raisonnable...

... pour que l’exercice du pouvoir discrétionnaire respecte la norme du caractère raisonnable, le décideur devrait considérer l’intérêt supérieur des enfants comme un facteur important, lui accorder un poids considérable, et être réceptif, attentif et sensible à cet intérêt. Cela ne veut pas dire que l’intérêt supérieur des enfants l’emportera toujours sur d’autres considérations, ni qu’il n’y aura pas d’autres raisons de rejeter une demande [d’ordre humanitaire] même en tenant compte de l’intérêt des enfants. Toutefois, quand l’intérêt des enfants est minimisé, d’une manière incompatible avec la tradition humanitaire du Canada et les directives du ministre, la décision est déraisonnable. [par. 74-75]

[39]      Par conséquent, la décision rendue en application du par. 25(1) sera jugée déraisonnable lorsque l’intérêt supérieur de l’enfant qu’elle touche n’est pas suffisamment pris en compte : Baker, au paragraphe 75. L’agent ne peut donc pas se contenter de mentionner qu’il prend cet intérêt en compte : Hawthorne, au paragraphe 32. L’intérêt supérieur de l’enfant doit être « bien identifié et défini », puis examiné « avec beaucoup d’attention » eu égard à l’ensemble de la preuve : Legault c. Canada (Minister of Citizenship and Immigration), [2002] 4 C.F. 358 (C.A.), aux paragraphes 12 et 31; Kolosovs c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 165, aux paragraphes 9 à 12.

[Non souligné dans l’original.]

(Kanthasamy, précité, aux paragraphes 36 à 39)

[3]               La décision Kanthasamy est aussi citée dans Kim c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 149, [2011] 2 RCF 448, au paragraphe 58 :

[58]      En plus de reconnaître les droits des enfants, la SPR devrait également être consciente des faiblesses particulières de ceux-ci au moment de se demander si un comportement donné équivaut à une forme de « persécution » à l’endroit d’un enfant. Le texte suivant figure dans le préambule de la CDE : « Ayant à l’esprit que, comme indiqué dans la Déclaration des droits de l’enfant, «l’enfant, en raison de son manque de maturité physique et intellectuelle, a besoin d’une protection spéciale et de soins spéciaux, notamment d’une protection juridique appropriée, avant comme après la naissance» ». Étant donné que la CDE reconnaît les faiblesses des enfants, il convient que la SPR tienne compte de leur développement physique et mental au moment de se demander si le préjudice que redoute l’enfant demandeur constitue de la « persécution ». En raison des faiblesses qui leur sont propres, les enfants peuvent être persécutés de certaines façons qui ne constitueraient pas de la persécution à l’endroit d’un adulte. La SPR doit faire montre d’empathie à l’égard de l’état physique et mental de l’enfant et se rappeler que le préjudice causé à un enfant peut avoir des conséquences plus graves que le même préjudice causé à un adulte.

[4]               Il est également fait référence de façon importante à la vie, au travail et au sacrifice ultime du Dr Janusz Korczak. L’exemple du Dr Korczak dans « The Children’s Republic » qu’il a écrit, et la vie même du Dr Korczak et son travail illustrent bien la nécessité de considérer l’intérêt supérieur de l’enfant. En conséquence, Janusz Korczak est considéré par les Nations Unies comme le père symbolique de la Convention des Nations Unies relative aux droits de l’enfant. Par conséquent, pour comprendre et tenir dûment compte de la Convention relative aux droits de l’enfant, dont le Canada est signataire, la Convention doit être considérée dans l’interprétation de toutes les lois canadiennes concernant les droits de l’enfant. Il est important de rappeler le nom du Dr Janusz Korczak et son travail pour reconnaître et faire reconnaître et comprendre la condition humaine particulière d’un enfant dont la vie et l’éducation sont la source même de ce que cet enfant peut devenir à l’âge adulte; et, pour tout faire pour s’assurer que l’enfant est capable d’évoluer vers l’âge adulte.

II.                Introduction

[5]               Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire, aux termes du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 [LIPR], d’une décision rendue par la Section d’appel de l’immigration [SAI] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié dans laquelle la SAI a rejeté l’appel du demandeur à l’encontre d’une mesure de renvoi à son endroit par la Section de l’immigration. Le demandeur n’a pas contesté la mesure de renvoi; il a plutôt demandé la prise d’une mesure spéciale, fondée sur des motifs humanitaires et sur l’intérêt supérieur de l’enfant, à l’égard de la mesure de renvoi, en vertu de l’alinéa 67(1)c) de la LIPR.

III.             Contexte

[6]               Le demandeur, Fangyun Li (âgé de 32 ans), est un citoyen de la Chine. Il est arrivé au Canada le, ou vers le, 13 avril 2002, avec un permis d’étudiant en règle. Le 7 novembre 2003, le demandeur a conclu un mariage frauduleux avec une citoyenne canadienne dans le seul but d’être parrainé comme résident permanent au Canada; il est devenu un résident permanent du Canada le 8 août 2007, et a divorcé le 8 décembre 2008. Le 21 janvier 2012, il a contracté un mariage authentique. Son épouse actuelle, d’un mariage authentique, est une citoyenne canadienne nommée Ka Kei Tang.

[7]               À la suite d’une enquête de l’Agence des Services frontaliers à l’égard d’un mariage de convenance, le demandeur a fait l’objet d’un rapport établi en application du paragraphe 44(1) de la LIPR; et, en juin 2012, la Section de l’immigration a conclu que le demandeur était interdit de territoire pour fausses déclarations et, par conséquent, une mesure de renvoi a été prise contre le demandeur.

IV.             Décision contestée

[8]               Devant la SAI, le demandeur a reconnu qu’il était interdit de territoire au Canada en vertu de l’alinéa 40(1)a) de la LIPR, mais a fait valoir qu’il devrait, néanmoins, être autorisé à demeurer au Canada pour des motifs d’ordre humanitaire.

[9]               La SAI, afin de déterminer si elle devait exercer son pouvoir discrétionnaire, s’est appuyée sur les facteurs énoncés dans Wang c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2005 CF 1059 [Wang]. En substance, les critères de Wang sont les facteurs Ribic adaptés au contexte de la présentation inexacte des faits (voir Ribic c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1985] DSAI no 4 [Ribic]).

[10]           L’examen de la gravité des fausses déclarations et de l’authenticité du remords du demandeur a amené la SAI à conclure que le stratagème orchestré par le demandeur était grave, important et fait de façon consciente et délibérée. Au sujet de remords du demandeur, la SAI a conclu que, bien qu’il ait exprimé des remords, il n’était « pas disposé à assumer l’entière responsabilité de ses gestes en admettant ses fausses déclarations à toutes les parties concernées » (la décision, paragraphe 31, dossier du demandeur, p. 12).

[11]           Concernant l’établissement du demandeur et de sa famille au Canada, la SAI a conclu que la preuve confirme que le demandeur et son épouse sont bien établis au Canada (la décision, au paragraphe 46, dossier du demandeur, p. 15). En ce qui concerne les difficultés auxquelles le demandeur et sa famille pourraient faire face s’il était expulsé du Canada, la SAI a conclu que la preuve permet de conclure que le demandeur et son épouse éprouveraient des difficultés s’il était expulsé du Canada.

[12]           La SAI a ensuite procédé à l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant à naître. La SAI a accepté les éléments de preuve présentés après l’audience le 14 février 2014 selon lesquels l’épouse du demandeur était enceinte et attendait leur premier enfant à naître le 15 octobre 2014 (voir l’article 175 de la LIPR). Néanmoins, la SAI a conclu qu’elle ne pouvait pas donner beaucoup d’importance à la grossesse : « le facteur de la grossesse n’est qu’un facteur parmi d’autres et le tribunal ne peut lui donner beaucoup de poids étant donné que jusqu’à ce qu’il y ait naissance vivante, il n’y a en soi aucun intérêt supérieur à prendre en considération qui ferait en sorte que l’intérêt de l’enfant à naître soit déterminant dans le cadre de l’appel » (la décision, au paragraphe 57, dossier du demandeur, p. 18).

[13]           Dans l’évaluation des facteurs, la SAI a mentionné qu’il fallait prendre en considération le maintien de l’intégrité du système d’immigration [voir l’alinéa 3(1)h) de la LIPR] et qu’une personne qui fait de fausses déclarations doit en assumer les conséquences. Par conséquent, la SAI a estimé que même s’il y avait un certain nombre de considérations positives, telles que l’établissement du demandeur au Canada, « prendre une mesure spéciale dans ces circonstances enverrait le message qu’il est préférable de tenter sa chance plutôt que de faire preuve de franchise » (la décision, au paragraphe 74, dossier du demandeur, p. 23). Ainsi, la SAI a estimé que l’ordonnance de renvoi était fondée en droit et qu’il n’y avait pas de considérations humanitaires justifiant la prise d’une mesure spéciale eu égard à toutes les circonstances de l’affaire.

V.                Questions en litige

[14]           La Cour estime que les deux questions ci-dessous constituent des éléments centraux de la présente demande de contrôle judiciaire.

1)      La SAI a-t-elle adéquatement pris en considération l’intérêt supérieur de l’enfant à naître?

2)      La SAI a‑t‑elle commis une erreur en concluant qu’il n’y a pas de motifs d’ordre humanitaire justifiant que le demandeur soit autorisé à demeurer au Canada?

VI.             Dispositions législatives

[15]           La disposition législative pertinente tirée de la LIPR est la suivante :

Fausses déclarations

Misrepresentation

40 (1) Emportent interdiction de territoire pour fausses déclarations les faits suivants :

40 (1) A permanent resident or a foreign national is inadmissible for misrepresentation

a) directement ou indirectement, faire une présentation erronée sur un fait important quant à un objet pertinent, ou une réticence sur ce fait, ce qui entraîne ou risque d’entraîner une erreur dans l’application de la présente loi;

(a) for directly or indirectly misrepresenting or withholding material facts relating to a relevant matter that induces or could induce an error in the administration of this Act;

Fondement de l’appel

Appeal allowed

67 (1) Il est fait droit à l’appel sur preuve qu’au moment où il en est disposé :

67 (1) To allow an appeal, the Immigration Appeal Division must be satisfied that, at the time that the appeal is disposed of,

c) sauf dans le cas de l’appel du ministre, il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

(c) other than in the case of an appeal by the Minister, taking into account the best interests of a child directly affected by the decision, sufficient humanitarian and compassionate considerations warrant special relief in light of all the circumstances of the case.

VII.          Position des parties

A.                Observations du demandeur

[16]           Le demandeur fait valoir que la SAI a commis une erreur en considérant l’intérêt supérieur de l’enfant à naître. Tout d’abord, la SAI a appliqué le mauvais critère juridique en déclarant que l’analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant ne s’applique pas à un enfant à naître comme c’est le cas pour un enfant né (Hamzai c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2006 CF 1108, paragraphe 33 [Hamzai]; paragraphe 67(1)c) de la LIPR). Ensuite, la SAI a, de façon déraisonnable, pris en compte l’intérêt supérieur de l’enfant à naître en mentionnant simplement que l’intérêt de l’enfant avait été pris en considération; ce n’est pas suffisant; la SAI a l’obligation de déterminer, de définir et d’examiner, « avec beaucoup d’attention », eu égard à l’ensemble de la preuve, l’intérêt de l’enfant à naître (Kanthasamy, précité, au paragraphe 39). L’analyse de la SAI dans ses décisions ne démontre pas que la SAI était « réceptive, attentive et sensible » à l’intérêt de l’enfant à naître.

[17]           Le demandeur soutient en outre que la SAI a exercé son pouvoir discrétionnaire d’une manière arbitraire et a ignoré la preuve, particulièrement à l’égard des remords du demandeur et de son bénévolat intensif. La SAI a conclu que le demandeur n’a pas suffisamment démontré de remords puisqu’il n’a pas admis ses fausses déclarations à toutes les parties concernées. Le demandeur fait valoir qu’il s’agit d’une erreur de droit (Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), (1998) 157 FTR 35, aux paragraphes 15 à 17; Ultima c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 81, au paragraphe 35; Do c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CFPI 432, aux paragraphes 56 à 58).

[18]           En dernier lieu, la SAI a erré en concluant que les motifs d’ordre humanitaire étaient insuffisants pour justifier que le demandeur soit autorisé à demeurer au Canada. La SAI a, de façon déraisonnable, examiné les facteurs de Ribic; et, la SAI a donné trop d’importance aux fausses déclarations, au point d’ignorer les autres facteurs pertinents (Duong c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CFPI 192, [2001] ACF no 362, aux paragraphes 15 et 16; Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] ACF no 380, aux paragraphes 15 et 16).

B.                 Observations du défendeur

[19]           À l’inverse, le défendeur prétend que la SAI a correctement examiné l’intérêt supérieur de l’enfant à naître puisque la SAI a, en fait, effectué une analyse complète de « l’intérêt supérieur de l’enfant »; en outre, l’intérêt supérieur de l’enfant ne constitue que l’un des nombreux facteurs à soupeser parmi d’autres facteurs. De plus, il convient de faire preuve d’un degré élevé de déférence à l’égard des conclusions de fait de la SAI, de l’examen de la preuve se rapportant aux remords du demandeur ainsi qu’à l’importance que leur a attribué la SAI (Shah c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2008 CF 708, aux paragraphes 17, 19 et 20 [Shah]). En substance, le demandeur demande à notre Cour de réévaluer la preuve présentée à la SAI et de substituer sa propre conclusion à celle de la SAI. Cela ne fait pas partie des pouvoirs de notre Cour de le faire; la SAI, selon le défendeur, a correctement tenu compte des facteurs Ribic (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59 [Khosa]; Shah, précité aux paragraphes 19 et 20).

VIII.       Norme de contrôle

[20]           La Cour doit indubitablement appliquer la norme de la raisonnabilité pour réviser la décision de la SAI de refuser de prendre des mesures spéciales relativement à une mesure de renvoi en se fondant sur l’intérêt supérieur de l’enfant et sur des motifs d’ordre humanitaire (Khosa, précité au paragraphe 59; Uddin c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2016 CF 314, aux paragraphes 18 à 20 [Uddin]).

IX.             Analyse

A.                Considération déraisonnable pour l’intérêt supérieur de l’enfant à naître

[21]           Les deux parties, en faisant valoir que la SAI a commis une erreur en tenant compte de l’intérêt supérieur de l’enfant à naître ont invoqué l’arrêt Hamzai, précité, plus précisément au paragraphe 33, dans lequel la Cour mentionnait :

[33]      En l’espèce, aucun élément d’information précis n’a été communiqué au sujet des difficultés auquel l’enfant non encore né pourrait être exposé. L’agente n’avait pas l’obligation de tenir compte de ce facteur. En tout état de cause, l’analyse claire et raisonnable de l’intérêt supérieur de l’enfant dont nous avons déjà fait état vaut aussi pour l’enfant non encore né. Il n’existe pas de facteurs différents qui permettraient d’établir une distinction dans le cas d’un enfant non encore né ou d’un enfant nouveau-né. [Non souligné dans l’original.]

[22]           Dans Hamzai, précité, la Cour révisait une décision d’un fonctionnaire à l’égard d’une demande d’exemption pour des motifs d’ordre humanitaire en vertu du paragraphe 25(1) de la LIPR. En l’espèce, la Cour doit réviser une décision de la SAI au sens de l’alinéa 67(1)c) de la LIPR.

[23]           Notre Cour a déjà conclu que lors de l’évaluation de l’intérêt supérieur de l’enfant à naître, un agent d’exécution n’a pas à procéder à une analyse complète des motifs humanitaires impliquant l’intérêt supérieur de l’enfant à naître puisque l’agent n’a qu’à tenir compte des intérêts à court terme (Ren c. Canada (Ministre de la sécurité publique et protection civile), 2012 CF 1345, au paragraphe 41). En effet, il n’est pas de la compétence d’un agent d’exécution d’effectuer une analyse complète d’ordre humanitaire (Ahmedov c. Canada (Ministre de la sécurité publique et protection civile), 2013 CF 730, au paragraphe 49). Ce n’est pas le cas de la SAI puisque l’alinéa 67(1)c) de la LIPR confère expressément à la SAI le pouvoir de procéder à une analyse d’ordre humanitaire mettant en cause l’intérêt supérieur de l’enfant (Uddin, précité, au paragraphe 47). Comme il est mentionné dans Hamzai, précité, le même critère s’applique à l’enfant à naître.

[24]           Dans l’évaluation de l’intérêt supérieur de l’enfant à naître, la SAI a déclaré que :

[57]      [traduction] La grossesse n’est qu’une considération positive et le tribunal ne peut lui donner beaucoup de poids étant donné que jusqu’à ce qu’il y ait une naissance vivante il n’y a en soi pas d’intérêts à prendre en considération, comme les intérêts de cet enfant à naître, qui seraient déterminants quant à l’issue de l’appel.

(La décision se trouve au paragraphe 57, dossier du demandeur, p. 18.)

[25]           Dans Kanthasamy, précité, la Cour suprême a indiqué que, en vertu du paragraphe 25(1) de l’analyse de la LIPR, le décideur doit faire plus que de simplement mentionner qu’il a pris en considération l’intérêt supérieur de l’enfant; le décideur doit bien déterminer, définir et examiner – avec beaucoup d’attention – eu égard à la preuve, l’intérêt de l’enfant (Kanthasamy, précité, au paragraphe 39). En l’espèce, la SAI n’a même pas précisé qu’elle a pris en considération l’intérêt supérieur de l’enfant; la SAI a simplement mentionné que l’enfant est à naître et, qu’en soi, ne revêt aucun intérêt. À tout le moins, la SAI aurait dû tenir compte de l’intérêt supérieur de l’enfant d’être avec sa famille au Canada [voir l’alinéa 3(1)d) de la LIPR]. Par conséquent, l’analyse de la SAI de l’intérêt supérieur de l’enfant, en elle-même, est déraisonnable (Hamzai, précité, au paragraphe 33; Kim, précité, au paragraphe 58).

B.                 Considération déraisonnable des motifs d’ordre humanitaire justifiant la prise de mesures spéciales

[26]           L’octroi d’une mesure spéciale relative à une mesure de renvoi en vertu de l’alinéa 67(1)c) de la LIPR est mesure exceptionnelle et discrétionnaire; par conséquent, il convient de faire preuve d’une retenue considérable à l’égard des conclusions factuelles de la SAI (Khosa, précité, aux paragraphes 60 et 62; McCurvie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2013 CF 681, au paragraphe 68 citant Charabi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 1184, au paragraphe 21). En examinant s’il existe des motifs d’ordre humanitaire qui justifient la prise d’une mesure spéciale, la SAI doit se laisser guider par les facteurs établis dans Ribic (Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 3, [2002] 1 RCS 84 [Chieu]; M. Khosa, précité) – tel qu’adapté dans le contexte de fausses déclarations (voir Uddin, précité). La SAI a un vaste pouvoir discrétionnaire pour examiner et évaluer les facteurs selon les circonstances particulières de l’affaire (Chieu, précité, au paragraphe 40; M. Khosa, précité, au paragraphe 65).

[27]           La plus grande partie des conclusions du demandeur traite de l’évaluation de ses remords par la SAI. Par conséquent, le demandeur fait valoir qu’il était conscient d’avoir mal agi, qu’il en avait été ainsi pendant tout le processus, et qu’il a offert bénévolement plusieurs heures par semaine de son temps au service de la communauté. Cela a été confirmé par l’agent compétent qui a précisé dans son rapport que le demandeur a véritablement exprimé des remords pour son geste, a rapidement admis son implication dans un mariage de convenance et participé de bonne foi à l’enquête lorsque sa participation était requise (dossier du demandeur, affidavit du demandeur, pièce B, p 44).

[28]           Dans sa décision, la SAI a reconnu que le demandeur n’a pas nié les allégations selon lesquelles il avait fait des fausses déclarations et qu’il a exprimé des remords et coopéré avec les autorités de l’immigration dans leur enquête à son sujet. Néanmoins, la SAI a conclu que le demandeur [traduction] « n’est pas prêt à assumer l’entière responsabilité de ses actes en admettant ses fausses déclarations à toutes les parties concernées. Il s’agit d’une considération négative » (la décision, au paragraphe 31). Par le terme « toutes les parties concernées », la SAI faisait allusion à l’employeur du demandeur, ses parents et ses beaux-parents. En outre, la SAI a douté de l’authenticité des remords du demandeur en faisant la conclusion suivante de plausibilité, qui repose uniquement sur le point de vue personnel des membres du tribunal à l’égard du comportement humain :

[35]      [traduction] Le remords est difficile à évaluer étant donné que les gens admettront presque n’importe quoi quand ils sont acculés au mur, et le remords qu’elles expriment est souvent l’expression de leurs regrets d’avoir été pris. D’après ce que le tribunal a entendu, il est convaincu que si ses fausses déclarations n’avaient pas été découvertes, le demandeur n’aurait jamais eu l’intention de se repentir, et que sa coopération avec les autorités de l’immigration est principalement due au fait qu’il ait été pris et non pas d’un désir inné d’enfin bien se conduire.

(la décision, au paragraphe 35)

[29]           En fin de compte, en soupesant les facteurs, la SAI a déclaré que même s’il y avait de nombreuses considérations positives – par exemple, l’expression de remords, la coopération avec les autorités de l’immigration, l’établissement du demandeur au Canada, les préjudices causés au demandeur et à sa famille s’il devait quitter le Canada – la SAI devait trancher :

[74]      […] Le législateur s’attend à ce qu’une conséquence s’ensuive pour les fausses déclarations. Quel message le tribunal envoie-t-il si, devant plusieurs graves fausses déclarations, il fait droit à un appel simplement parce que l’appelant est au Canada depuis quelques années, a travaillé pour bien s’établir, s’est marié et attend un enfant? Ce sont des facteurs, en totalité ou en partie, que le tribunal s’attend à voir chez tout immigrant au Canada. Cependant, ces facteurs, pris en compte individuellement ou ensemble, ne justifient pas la prise de mesures spéciales lorsqu’ils sont évalués par rapport à la gravité des fausses déclarations. Le fait de justifier la prise de mesures spéciales dans ces circonstances enverrait un message à d’autres personnes selon lequel il était préférable de s’en remettre à la chance plutôt que de dire la vérité. Or, il est attendu des personnes qui cherchent à entrer au Canada qu’elles soient franches, l’entrée au Canada constituant un privilège et non un droit.

(la décision, au paragraphe 74)

[30]           L’évaluation des facteurs de Ribic n’est pas un exercice quantitatif, il s’agit plutôt d’une évaluation qualitative (Dhaliwal c. Canada (Ministre de la sécurité publique et protection civile), 2015 CF 157, au paragraphe 106; Ambat c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 292, au paragraphe 32). Le rôle de la SAI consiste essentiellement à déterminer si le remords du demandeur, seul ou en combinaison avec d’autres facteurs, tels que son établissement au Canada, les préjudices causés au demandeur et à sa famille, l’intérêt supérieur de l’enfant à naître et la gravité des fausses déclarations, justifient la prise de mesures spéciales relativement à une mesure de renvoi valide.

[31]           En l’espèce, la SAI a estimé que, malgré les nombreuses considérations positives, la décision du demandeur de conclure un mariage de convenance en 2003 devait être punie. Pour les motifs qui suivent, la Cour estime que la SAI a déraisonnablement considéré les facteurs de Ribic et, par conséquent, sa décision est déraisonnable.

[32]           Premièrement, il était déraisonnable que la SAI doute des remords du demandeur sans tirer de conclusions défavorables quant à la crédibilité du demandeur. Bien qu’il soit pertinent que la SAI considère que le demandeur a bien fait de fausses déclarations en contractant un mariage de convenance, la conclusion de la SAI selon laquelle le demandeur n’est pas honnête et authentique dans ses remords à cause de ses fausses déclarations antérieures n’est pas étayée par la preuve présentée à la SAI. Le rapport de l’agent montre le contraire : le demandeur exprime des remords pour son geste, a facilement admis avoir contracté un mariage de convenance, a pleinement participé à l’enquête lorsque requis et a au cours des ans offert des dizaines d’heures par mois de bénévolat pour être utile à la société canadienne.

[33]           Deuxièmement, la SAI a conclu de façon déraisonnable qu’un demandeur ne peut démontrer du remords que s’il raconte à son employeur et à sa famille ses actes répréhensibles. Alors que cela peut constituer l’un des nombreux facteurs à considérer, il est déraisonnable de mettre en doute les remords du demandeur tout simplement parce qu’il n’a pas dit à son employeur et à tous ses proches qu’il a commis une fausse déclaration dans le passé.

[34]           Troisièmement, et surtout, le législateur précise à l’alinéa 67(1)c) de la LIPR que de fausses déclarations ayant justifié une mesure de renvoi peuvent être excusées s’il existe des motifs d’ordre humanitaire. Ainsi, même si le législateur avait l’intention de s’assurer que de fausses déclarations entraînent des conséquences, il est également reconnu que la prise de mesures spéciales peut être envisagée dans certaines circonstances où une mesure de renvoi a été prise à la suite de fausses déclarations.

[35]           La majorité, dans Khosa, précité, a déclaré que l’importance accordée aux facteurs de Ribic, tels que les remords du demandeur, est à la discrétion de la SAI; par conséquent, tant que la décision de la SAI s’inscrit dans une gamme d’issues raisonnables et acceptables qui se justifie au regard des faits et du droit, la décision de la SAI doit être maintenue (voir Khosa, ci-dessus aux paragraphes 66-67). En l’espèce, la SAI a estimé que [traduction] « la prise de mesures spéciales dans ces circonstances enverrait un message aux autres que de tenter sa chance est préférable à la franchise ». Au lieu de se demander s’il existait des considérations positives, compte tenu des facteurs de Ribic, pour justifier une mesure spéciale, la SAI a semblé croire que c’était son rôle de punir le demandeur pour ses fausses déclarations initiales. À la lecture des motifs de la SAI, on ne peut conclure que la SAI a raisonnablement tenté de déterminer s’il y avait des considérations positives justifiant une mesure spéciale.

[36]           La Cour est d’accord avec la SAI qu’une fausse déclaration constitue une infraction grave à l’intégrité du système d’immigration canadien. Néanmoins, il faut examiner si la société canadienne bénéficierait du refus de l’appel. D’après la preuve soumise à notre Cour, il semble que le demandeur, avec sa femme et son enfant maintenant né, apporte une contribution positive au Canada. Plus important encore, et démontrant des remords véritables, le demandeur a contracté un mariage authentique avec une citoyenne canadienne, et sa femme a témoigné, dans son affidavit, qu’elle parrainerait le demandeur s’il était forcé de quitter le Canada. Par conséquent, l’issue serait qu’une famille serait séparée pour, au mieux, plusieurs années (peut-être sept selon les données actuelles et en raison de la nature de l’affaire) avec la perspective d’être par la suite réunie par une demande de parrainage qui serait probablement acceptée.

X.                Conclusion

[37]           Par conséquent, en raison du caractère déraisonnable de la décision de la SAI, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.


JUGEMENT

LA COUR ACCUEILLE la demande de contrôle judiciaire et le dossier sera renvoyé à la SAI pour une nouvelle évaluation par un nouveau tribunal. Il n’y a aucune question de portée générale à certifier.

« Michel M.J. Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5217-14

 

INTITULÉ :

FANGYUN LI c. LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 20 avril 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :

Le 21 avril 2016

 

COMPARUTIONS :

Robin L. Seligman

Sandra Dzever

Pour le demandeur

 

Judy Michaely

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Robin L. Seligman

Société professionnelle

Avocat

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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