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Date : 20160415


Dossier : T-569-15

Référence : 2016 CF 418

Ottawa (Ontario), le 15 avril 2016

En présence de monsieur le juge LeBlanc

ENTRE :

DAVID LESSARD-GAUVIN

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

Introduction

[1]               La Cour est saisie d’une requête à volets multiples présentée par le demandeur en marge d’une demande de contrôle judiciaire instituée dans le contexte du rejet, par la Commission canadienne des droits de la personne (la Commission), d’un total de six plaintes ayant pour thème commun des motifs de distinction illicite non prévus à la Loi canadienne des droits de la personne, LRC (1985), ch H-6 (la Loi).

[2]               Le demandeur entreprend initialement son recours en avril 2015.  Toutefois, le 30 juin 2015, la Cour, sur requête du défendeur, radie l’Avis de demande du demandeur au motif qu’il est prématuré, aucune décision finale n’ayant encore été rendue par la Commission au sujet des diverses plaintes déposées par le demandeur.  Toutefois, la Cour permet au demandeur de signifier et produire un avis de demande ré-amendé, advenant le cas où la Commission rejette lesdites plaintes.  Dans l’intérim, elle suspend les procédures.

[3]               Dans trois des six cas soumis à la Commission, le demandeur allègue avoir été discriminé en raison de sa langue.  Dans chaque cas, la plainte découle de la participation du demandeur à un processus de sélection de la Fonction publique fédérale où le poste à combler exige, au titre de qualification essentielle, la maîtrise de l’anglais.  Les trois processus en question visaient à combler des postes pour les régions de l’Ouest canadien et des Prairies.  Dans deux des trois autres cas, le demandeur se plaint d’avoir été discriminé en raison de sa condition sociale, en l’occurrence son statut d’étudiant, ce qui, dans un cas, l’aurait privé de certains droits prévus à la convention collective et dans l’autre, du droit de participer à des processus de sélection internes.  Enfin, dans le dernier cas, le demandeur, toujours en marge d’un processus de sélection de la Fonction publique fédérale, soutient avoir été discriminé en raison de ses convictions politiques au motif qu’on aurait cherché, dans le cadre de son entrevue de sécurité, à recueillir de l’information sur les plaintes et recours judiciaires entrepris auprès - et à l’encontre - de différents organismes gouvernementaux.

[4]               La Commission rend ses décisions finales à l’égard desdites plaintes entre le 24 septembre et le 30 décembre 2015.  Le 19 janvier 2016, le demandeur produit à la Cour un Avis de demande ré-amendé aux termes duquel il ne recherche pas moins de 44 conclusions de nature déclaratoire et autre.  Notamment, et c’est là, ultimement, le cœur de son recours, il cherche à faire déclarer incompatible avec l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés, [Charte], « tout instrument législatif canadien actuellement en vigueur ou à venir » comportant une liste fermée, limitative ou exhaustive de motifs de distinction illicite.  Plus particulièrement, il cherche à faire déclarer que tout tel instrument doit, pour être conforme à l’article 15 de la Charte et aux normes du droit international, être interprété comme comportant une liste ouverte de motifs de distinction illicite devant comprendre la langue, l’opinion ou la conviction politique et la condition sociale, en l’occurrence celle du statut d’étudiant.

[5]               Son objectif avoué est de « ramener le Canada dans les leaders en matière de droits fondamentaux » et d’arrimer le droit à l’égalité au Canada à l’idée qu’il se fait du droit international, notamment du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (Dossier de requête, à la page 31).  Il demande aussi à la Cour de prendre acte du fait que cette démarche constitue son « travail » dans le cadre d’un cours sur le droit à l’égalité et la discrimination offert à la faculté de droit de l’Université Laval à la session d’hiver 2016, travail, précise-t-il, qui fera l’objet d’une évaluation notée (Avis de requête, au para 9).

La requête à l'étude

[6]               La présente requête est produite le 27 janvier 2016.  Comme je l’ai déjà mentionné, elle comporte plusieurs volets.  Le demandeur cherche plus particulièrement :

  1. À se faire autoriser à produire tout nouvel affidavit au soutien de l’Avis de demande ré-amendé dans les 20 jours de la date de la présente ordonnance;
  2. À se voir reconnaître la qualité pour agir autant dans ses propres intérêts que dans l’intérêt public, le présent litige étant, selon lui, d’intérêt public;
  3. À ce qu’un avocat rémunéré par l’État lui soit assigné et à ce qu’une somme d’argent lui soit octroyée par l’État pour qu’il puisse retenir les services de témoins experts;
  4. À ce qu’un amicus curiae soit nommé par la Cour;
  5. À ce qu’il soit déclaré que l’Avis de demande ré-amendé soulève des questions d’importance générale au sens de la règle 110 des Règles des Cours fédérales DORS/98-106 (les Règles) ou encore des questions constitutionnelles au sens de l’article 57 de la Loi sur les Cours fédérales LRC (1985), ch F-7 et que les avis requis par ces dispositions soient, le cas échéant, signifiés par l’Administrateur à chacun des procureurs généraux provinciaux et territoriaux de même qu’à chacune des commissions des droits de la personne provinciales et territoriales ou, subsidiairement, par le demandeur à un coût abordable;
  6. À ce qu’il soit ordonné au Procureur général du Canada de ne pas adopter une attitude d’opposition « agressive », « énergique » ou « très défensive »;
  7. À ce que le délai de 20 jours spécifié à la règle 309, en ce qui a trait à la signification et au dépôt du Dossier du demandeur, soit prorogé à 40 jours;
  8. À ce que la Cour prenne les arrangements nécessaires pour que l’audition du recours du demandeur se tienne à la Faculté de droit de l’Université Laval à Québec de manière à permettre à un nombre maximum d’étudiants d’être présents; et
  9. À ce que soit précisée l’incidence, sur le présent dossier, de la règle 174 à laquelle l’ordonnance du 30 juin 2015 réfère.

[7]               Le demandeur requiert aussi que la Cour se prononce sur l’objection de la Commission à sa demande de communication de documents selon la règle 317.  La liste, substantielle, des documents dont le demandeur requiert la communication, est reproduite en annexe à la présente ordonnance.

[8]               De tous ces volets de la requête, l’un n’est pas contesté, un autre est irrecevable et certains sont prématurés.  Ainsi, le défendeur ne s’oppose pas à la demande visant la production de tout nouvel affidavit au soutien de l’Avis de demande ré-amendé dans les 20 jours de la date de la présente ordonnance.  Compte tenu de l’ordonnance prononcée le 30 juin 2015, cette demande est justifiée et, en conséquence, accordée.

[9]               Par ailleurs, les demandes concernant le délai pour la production du Dossier du demandeur et la fixation du lieu de l’audition, sont prématurées.  Il n’y a rien qui justifie, à ce stade-ci, une dérogation à la procédure et aux échéances prévues à la Partie 5 des Règles.  Notamment, il m’apparaît hasardeux de modifier d’avance le délai de production du Dossier du demandeur alors que les paramètres de son recours ne sont pas établis de manière définitive et que la justification pour le faire est purement hypothétique.  Quant à l’endroit proposé pour l’audition, c’est dans le cadre de la demande d’audience prévue à la règle 314 que cette question doit être réglée.

[10]           Enfin, la demande relative à la portée de la règle 174 sur la façon dont le demandeur devrait mener et libeller ses procédures et comprendre, ce faisant, l’ordonnance du 30 juin 2015, est irrecevable puisqu’ultimement, le demandeur cherche, à cet égard, conseil auprès de la Cour, un rôle que celle-ci doit se garder de jouer (Thom c Canada, 2007 FCA 249, au para 14; Bernard c Canada (Agence du revenu), 2015 FCA 263, aux para 39-43).

[11]           Ceci dit, tous les autres aspects de la requête sont contestés par le défendeur.

[12]           Par ailleurs, dans les jours qui ont suivi l’audition de la présente requête (la Requête principale), le demandeur a produit une requête sous la règle 369 (la Requête écrite) aux termes de laquelle il requiert une ordonnance visant (i) à transformer la présente instance en instance à gestion spéciale; (ii) à autoriser la production d’un document identifiant, au bénéfice de la Cour, les passages pertinents des autorités qu’il a soumises au soutien de la présente requête (le Document de références); et (iii) à lui signaler toute lacune de preuve et de procédure dans le dossier de requête qu’il a produit en marge de la Requête principale et de lui permettre d’y remédier.  Le défendeur s’y oppose, sauf en ce qui a trait à la production du Document de références.

[13]           Vu son lien étroit avec la Requête principale, la Requête écrite sera traitée dans les présents motifs.

Qualité d’agir dans l’intérêt public

[14]           La reconnaissance de la qualité d’agir dans l’intérêt public, qui relève du pouvoir discrétionnaire des tribunaux, requiert la présence de trois facteurs : (i) l’affaire portée devant la Cour doit soulever une question justiciable sérieuse; (ii) celui qui demande que lui soit reconnue cette qualité doit avoir un intérêt réel ou véritable dans l’issue de l’affaire; et (iii) l’affaire proposée doit constituer une manière raisonnable et efficace de soumettre la question en litige aux tribunaux (Canada (Procureur général) c Downtown Eastside Sex Workers United Against Violence Society, 2012 CSC 45, au para 20, [2012] 2 RCS 524 [Downtown Eastside Sex Workers]).

[15]           Même si une approche téléologique est de mise dans l’appréciation de ces facteurs, la Cour suprême du Canada, dans Downtown Eastside Sex Workers, précité, nous rappelle que la nécessité de restreindre la qualité pour agir est reconnue depuis longtemps par les tribunaux et qu’en conséquence, « ce ne sont pas toutes les personnes voulant débattre d’une question, sans tenir compte du fait qu’elles soient touchées par l’issue du débat ou pas, qui devraient être autorisées à le faire » (Downtown Eastside Sex Workers, au para 22).  Les considérations militant en faveur d’une telle approche sont liées (i) à l’affectation appropriée des ressources judiciaires limitées et la nécessité d’écarter les « trouble-fêtes » (« busy-body »); (ii) à l’assurance que les tribunaux entendront les principaux intéressés faire valoir leurs points de vue; et (iii) à la sauvegarde du rôle propre aux tribunaux et de leur relation constitutionnelle avec les autres branches du gouvernement (Downtown Eastside Sex Workers, au para 25).  Ultimement, le tribunal doit chercher à établir un équilibre entre l’accès aux tribunaux et la nécessité d’économiser les ressources judiciaires (Downtown Eastside Sex Workers, au para 23).

[16]           En l’espèce, comme le fait remarquer le défendeur, le demandeur possède déjà un intérêt personnel suffisant eu égard au volet de son recours visant les décisions rendues par la Commission en marge de ses six plaintes et la portée de la Loi.  Par conséquent, il n’est ni nécessaire ni utile de déterminer si, au surplus, la qualité pour agir dans l’intérêt public devrait, à cet égard, lui être accordée (Finlay c Canada (Ministre des Finances), [1986] 2 RCS 607, au para 22).  La véritable motivation du demandeur pour se faire reconnaître cette double qualité paraît être de faciliter l’obtention de fonds pour le financement de son recours.  Nous y reviendrons.

[17]           C’est en marge du volet « non fédéral » de son recours, pour ainsi dire, que cette question devient pertinente puisque le demandeur n’a aucun intérêt direct à faire déclarer les législations provinciales et territoriales sur les droits de la personne inconstitutionnelles.  Bien évidemment, le demandeur a un intérêt scolaire à se voir reconnaître la qualité pour agir dans l’intérêt public mais cela n’est pas une justification valable.

[18]           Sur le plan de l’existence d’une question justiciable sérieuse, au-delà des réserves, sérieuses, soulevées par le défendeur quant au mérite du recours entrepris par le demandeur, une question préliminaire de première importance se pose ici, celle de la compétence de la Cour à prononcer l’inconstitutionnalité de lois provinciales, particulièrement lorsque, comme ici, rien ne rattache, ni de près ni de loin, l’argument constitutionnel à la mise en œuvre d’une loi ou réglementation fédérale ou à l’action gouvernementale fédérale.  Je rappelle que la Cour a été créée, suivant l’article 101 de la Loi constitutionnelle de 1867 (R-U), 30 & 31 Vict, c 3, « pour la meilleure administration des lois du Canada », une expression qui doit être entendue non pas dans son sens le plus large de l’ensemble des lois, provinciales comme fédérales, en vigueur au Canada mais dans le sens, plus restreint, de la législation et de la réglementation fédérales existantes, ainsi que de la common law fédérale (Northern Telecom c Syndicat des travailleurs en communication, [1983] 1 RCS 733, à la p 745, 147 DLR (3d) 1; Halsbury's Laws of Canada (en ligne), Administrative Law, « Federal Courts: Test for Establishing Jurisdiction » dans HAD-24 « Existing Body of Federal Law » (2013 Réédition).

[19]           En ce sens, la Cour n’occupe pas la même place que les cours supérieures des provinces sur l’échiquier judiciaire canadien, ces dernières possédant une compétence inhérente générale qui transcende la ligne de partage des compétences fédérales et provinciales et qui les habilite à se prononcer sur toute question de droit fédéral ou provincial, y compris en matière d’arbitrage constitutionnel (Canada (Procureur général) c Law Society of British Columbia, [1982] 2 RCS 307, 137 DLR (3d) 1).

[20]           Dans la foulée de ces principes, la Cour, dans l’affaire Hughes c Canada (1994), 80 FTR 300,  49 ACWS (3d) 21 [Hughes], a jugé qu’elle n’avait pas compétence pour déclarer une loi provinciale incompatible avec la Charte et qu’un tel recours devait plutôt être institué devant la Cour supérieure de la province concernée et dirigée contre le gouvernement de cette province (Hughes, au para 15).

[21]           Ainsi, le recours du demandeur, dans sa composante non fédérale, paraît, sur le plan juridictionnel, irrecevable en quasi-totalité et, par conséquent, fatalement vicié.

[22]           Quoi qu’il en soit, le demandeur ne m’a pas convaincu qu’il a un intérêt réel ou véritable dans l’issue de l’affaire, dans la mesure où celle-ci concerne la validité constitutionnelle des législations provinciales et territoriales sur les droits de la personne, ou encore que son recours constitue, à cet égard, une manière raisonnable et efficace de soumettre la question à la Cour.

[23]           D’une part, son intérêt dans ce volet de son recours est strictement théorique et semble s’inscrire d’abord et avant tout au cœur d’une démarche scolaire.  De surcroît, ce volet du recours est dénué de toute assise factuelle, les législations en cause n’ayant jamais été mises à l’épreuve par le demandeur.  Or, en matière de Charte, le débat judiciaire sans assise factuelle est à proscrire (Mackay c Manitoba, [1989] 2 RCS 357, à la p 362, 17 ACWS (3d) 169).  L’intérêt du demandeur pour la compatibilité de ces lois à l’article 15 de la Charte paraît être le fruit d’un « trouble-fête » au sens de la jurisprudence de la Cour suprême du Canada sur la qualité pour agir.  Comme la Cour le mentionnait dans une décision rendue dans l’un des nombreux recours  – 18 en tout – institués par le demandeur depuis 2013 devant cette Cour et la Cour d’appel fédérale, celui-ci « sème à tous vents » (Lessard-Gauvin c Canada (Procureur général), 2014 CF 739, au para 1 [Lessaard-Gauvin 2014]).

[24]           Le présent dossier en est un autre exemple autant par son amplitude et sa démesure (faire déclarer « tout instrument législatif Canadien actuellement en vigueur ou à venir » incompatible avec l’article 15 de la Charte) que par sa genèse (une série de plaintes à la Commission faites sur mesure, selon toute vraisemblance, pour fonder un recours destiné à arrimer le droit canadien à l’idée que le demandeur se fait du droit international).  Je note, à cet égard, que malgré tous les efforts du demandeur pour intéresser à sa cause nombre d’organismes de défense des droits de la personne (45 au total), aucun appui concret ne lui a été offert.

[25]           Encore une fois, ce ne sont pas toutes les personnes voulant débattre d’une question, qu’elles soient touchées ou non par l’issue du débat, qui devraient être autorisées à le faire (Downtown Eastside Sex Workers, précité au para 22).  À mon sens, le demandeur n’a pas un véritable intérêt à faire déclarer les lois provinciales et territoriales sur les droits de la personne inconstitutionnelles et ne devrait pas être autorisé, par conséquent, à débattre de cette question.  Il serait « insoutenable », rappelle la Cour suprême, « si tous avaient la qualité pour engager des poursuites à tout propos, aussi ténu leur intérêt personnel dans la cause » (Downtown Eastside Sex Workers, au para 1).

[26]           Je ne suis pas convaincu non plus que le recours entrepris par le demandeur constitue une manière raisonnable et efficace de soumettre cette question à la Cour, en supposant toujours que la Cour soit habilitée à s’en saisir.  Plusieurs facteurs, pertinents à l’appréciation de ce troisième critère (Downtown Eastside Sex Workers, au para 51), militent, ici, contre la reconnaissance de la qualité pour agir dans l’intérêt public.

[27]           D’une part, le demandeur, de son propre aveu, n’a pas les ressources financières et techniques pour engager le présent recours et je ne suis pas satisfait, comme je viens de le mentionner, que ce recours sera présenté, du moins en ce qui a trait à son volet non fédéral, dans un contexte suffisamment concret et élaboré.  Il ne semble pas non plus en avoir la capacité si je me fie aux remarques de la Cour suivant lesquelles le demandeur multiplie les instances, peine à les maintenir et s’entête à ne pas respecter les Règles de la Cour (Lessard-Gauvin 2014, précité au para 15).  D’autre part, il existe d’autres manières réalistes de débattre de la question de la conformité à la Charte des lois provinciales et territoriales sur les droits de la personne, notamment par le biais de recours entrepris par ceux et celles qui, potentiellement, possèdent de plein droit, contrairement au demandeur, la qualité pour agir, et ce, de manière à favoriser, dans un contexte s’y prêtant davantage, une utilisation plus efficace et efficiente des ressources judiciaires.

[28]           Enfin, j’estime qu’il me faut tenir compte de l’incidence éventuelle du recours du demandeur sur les droits de ceux dont les intérêts sont aussi, sinon plus, touchés par la mise en œuvre des lois provinciales et territoriales sur les droits de la personne.  En particulier, je crains que l’échec du recours entrepris par le demandeur, dans le contexte diffus et désincarné dans lequel il se présente, soit de nature à faire obstacle à des contestations ultérieures de la part de personnes ayant, elles, des plaintes précises fondées sur les faits.  En d’autres mots, dans un cas comme celui-ci, l’affectation appropriée des ressources judiciaires, lesquelles sont limitées, doit privilégier ces personnes.

[29]           L’arrêt Vriend c Alberta, [1998] 1 RCS 493 [Vriend] est de peu d’utilité dans ce contexte. D’une part, la question de la qualité d’agir portait sur l’élargissement du recours entrepris par les demandeurs dans cette affaire à d’autres dispositions de la même loi en cause (la Loi albertaine sur les droits de la personne), et non sur le recours lui-même, tel qu’initialement libellé.  D’autre part, le fait que les homosexuels ont été victimes de discrimination dans tous les aspects de leur vie avait déjà été reconnu par les tribunaux, faisant en sorte que la constitutionnalité des dispositions en cause ne dépendait pas d’un contexte factuel particulier.  Enfin, M. Vriend avait un intérêt direct et véritable dans le litige, ayant interpellé la commission albertaine des droits de la personne en marge de son congédiement après qu’il eut révélé à son employeur son orientation sexuelle.  Il y avait là un nexus qui fait ici défaut lorsqu’il est question des législations provinciales et territoriales sur les droits de la personne.

[30]           Je conclus donc que le demandeur ne satisfait pas aux critères dégagés par la jurisprudence pour se voir reconnaître, eu égard à l’ensemble de son recours, la qualité pour agir dans l’intérêt public.

La demande d’assistance financière et les mesures accessoires

[31]           Le demandeur n’en est pas à sa première demande du genre.  Jusqu’à maintenant, elles lui ont toutes été refusées, ce qui ne l’a pas empêché de poursuivre les nombreux recours entrepris devant cette Cour, la Cour d’appel fédérale et divers organismes et tribunaux administratifs.  Faut-il rappeler que bien qu’elles soient maintenant permises, les ordonnances accordant une provision pour frais pour des raisons d’intérêt public « doivent demeurer spéciales et, de ce fait, exceptionnelles » (Little Sisters Book and Art Emporium c Canada (Commissaire des Douanes et du Revenu), [2007] 1 RCS 38, au para 36 [Little Sisters]).  C’est ainsi que la partie qui sollicite une telle ordonnance doit démontrer, à la fois :

  1. Qu’elle est si dépourvue de ressources qu’elle serait incapable, sans cette ordonnance, de faire entendre sa cause;
  2. Que sa cause possède, prima facie, un fondement suffisant pour justifier son instruction devant le tribunal; et
  3. Qu’il existe des circonstances suffisamment spéciales pour que le tribunal soit convaincu que la cause appartient à cette catégorie restreinte de causes justifiant l’exercice exceptionnel de ses pouvoirs (Colombie-Britannique (Ministre des Forêts) c Bande indienne Okanagan, 2003 CSC 71, au para 36, [2003] 3 RCS 371 [Okanagan]).

[32]           Il y a lieu de préciser toutefois que le fait que ces conditions soient réunies dans un cas donné n’entraîne pas nécessairement la nécessité d’une telle ordonnance.  Le tout demeure sujet au pouvoir discrétionnaire du tribunal (Little Sisters, au para 72).  En particulier, ce type d’ordonnances ne doit être rendu qu’avec circonspection, en dernier recours et dans des circonstances où leur nécessité est clairement établie (Little Sisters, au para 36).  En d’autres termes, il ne s’applique « qu’aux rares cas où un tribunal contribuerait à une injustice – envers le plaideur personnellement et le public en général – s’il n’accordait pas la provision pour frais requise pour que le plaideur puisse aller de l’avant » (Little Sisters, au para 5).

[33]           Il s’agit là d’une norme élevée.  Notamment, fonder son recours sur la Charte n’est pas, en soi, suffisant pour y satisfaire.  En fait, les tribunaux doivent veiller à ce que le système de justice ne tienne pas lieu « de processus d’enquête public » et ne soit pas « inondé d’actions intentées par des demandeurs et groupes de pression de défense de l’intérêt public qui souhaitent établir un précédent » (Little Sisters, au para 39).

[34]           En l’espèce, je ne vois rien, dans ce que j’ai devant moi, qui m’incite à m’écarter des décisions antérieures de la Cour rejetant les demandes d’assistance financière du demandeur dans les dossiers T-1076 (ordonnance du juge Yves De Montigny, maintenant juge à la Cour d’appel fédérale, 2 août 2013,Ottawa (FC), aux pp 8-9) et 13-T-64, T-1899-13 et T-309-14 (Lessard-Gauvin 2014, précité au para 8).  Encore une fois, il ne suffit pas de soulever la Charte et de vouloir établir un précédent pour espérer obtenir une telle assistance.  Ici, le demandeur ne m’a pas convaincu, comme il n’a pas convaincu mes deux collègues avant moi, qu’il ne peut assumer les frais du présent litige et qu’il n’y pas d’autres options viables pour que la cause procède, cause qui, à première vue, n’a pas l’amplitude, pour les motifs d’ordre juridictionnel invoqués plus tôt, que le demandeur souhaite y donner.

[35]           Notamment, le demandeur n’a pas, à mon avis, établi, avec la rigueur requise, son état allégué d’impécuniosité : (i) la preuve relative à ses tentatives pour obtenir un prêt d’une institution financière est, comme le souligne le défendeur, insuffisante; (ii) rien ne permet de croire qu’il ne peut pas se trouver un emploi; (iii) malgré sa prétention à un état d’impécuniosité, il mène de front plusieurs instances devant la Cour, la Cour d’appel fédérale et d’autres instances; (iv) il a indiqué au juge de Montigny, dans le dossier T-1076, disposer de fonds devant lui servir à l’achat d’un immeuble (voir aussi Lessard-Gauvin 2014, précité au para 8); et (v) la Cour ne dispose pas d’un bilan financier complet, incluant de sources alternatives de financement comme l’exige la jurisprudence de la Cour d’appel fédérale (Al Telbani c Canada (Procureur général), 2012 CAF 188).  Le demandeur a beau s’offusquer de cette exigence, dans la mesure où elle me lie, cela ne l’avance pas beaucoup.

[36]           À tout cela s’ajoute, comme le fait remarquer le défendeur dans sa réponse à la Requête écrite, le fait que le demandeur, de son propre aveu (Dossier de requête, Requête écrite, au para 4 de ses prétentions écrites) entend poursuivre l’instance même en l’absence d’une ordonnance de provision pour frais.  Cela heurte de front l’exigence à l’effet que la personne qui demande une provision pour frais soit si dépourvue de ressources qu’elle serait incapable, sans une telle ordonnance, de faire entendre sa cause (Okanagan, au para 36).  Au surplus, je ne crois pas, au risque de me tromper, que ce type d’ordonnance ait été conçu pour les « trouble-fêtes », ce qui distingue, entre autres choses, le présent cas de l’affaire Schmidt c Canada (Procureur général), 2016 CF 269, sur laquelle le demandeur s’appuie de façon particulière.

[37]           La demande d’assistance financière du demandeur est donc rejetée.

[38]           Pour les mêmes raisons, je suis d’avis qu’il n’y a pas lieu de déroger aux règles habituelles de signification applicables à l’Avis de question constitutionnelle qui ne me paraît pas, du reste, être un document introductif d’instance.  Par ailleurs, aux termes de l’article 57 de la Loi sur les Cours fédérales, seuls le procureur général du Canada et ceux des provinces doivent se voir signifier un Avis de question constitutionnelle.  Rien n’exige ou même ne permet que cette liste soit, par ordonnance, étendue à d’autres entités.  À cet égard, comme le demandeur recherche des conclusions d’invalidité constitutionnelle, je ne vois pas l’utilité de recourir à l’article 110 des Règles portant sur les questions d’importance générale.  Si ces deux dispositions sont complémentaires, elles ne sont pas d’application concomitante (Brian J Saunders, Donald J Rennie et Graham Garton, Federal Courts Practice 2016, Toronto, Thomson Reuters, à la p 473).  Je ne vois pas non plus, du moins à ce stade-ci, ni l’utilité ni la nécessité de nommer, mesure exceptionnelle s’il en est une, un amicus curie au dossier.

Le rôle du Procureur général du Canada

[39]           Le demandeur prie la Cour de déclarer qu’il serait inconvenant et inapproprié pour le Procureur général d’adopter une attitude ou un comportement d’opposition « agressive », « énergique » ou « très défensive ».  Son rôle, selon lui, devrait se limiter à aider la Cour à faire la lumière sur les points de droit soulevés par le présent litige plutôt que de défendre « bec et ongles » les intérêts des ministères et agences visés par ses plaintes auprès de la Commission.

[40]           Encore ici, ce n’est pas la première fois que le demandeur formule à la Cour une demande de la sorte.  Dans chaque cas jusqu’à maintenant, il s’est fait dire qu’en représentant les intérêts des ministères concernés par ses plaintes et procédures, le Procureur général ne faisait que ce que la Loi sur le ministère de la Justice, LRC (1985), ch J- 2, et en particulier l’alinéa 5(d) de cette loi, lui ordonne de faire (ordonnance du juge Yves de Montigny, dossier T-1076, précitée aux pp 7-8; Lessard-Gauvin 2014, précité au para 11).  Cette disposition, faut-il le rappeler, commande au Procureur général de prendre charge « des intérêts de la Couronne et des ministères dans tout litige où ils sont parties et portant sur des matières de compétence fédérale ».

[41]           Dans chaque cas, la Cour a noté que l’argument du demandeur reposait sur une compréhension erronée du rôle du Procureur général.  Il n’en va pas autrement en l’espèce.

[42]           Quoi qu’il en soit, rien, à ce stade-ci, ne justifie, en l’espèce, le rappel à l’ordre sollicité par le demandeur.

La demande sous la règle 317

[43]           La demande de communication de documents formulée par le demandeur en vertu de la règle 317 est vaste (voir l’Annexe à la présente ordonnance) et va bien au-delà de ce qui peut normalement faire l’objet d’une telle demande.  Le demandeur le reconnaît d’emblée mais soutient que la règle 317 doit être appliquée différemment selon la nature du contrôle judiciaire.  En l’espèce, plaide-t-il, son recours comporte plusieurs volets, ce qui aurait pour effet d’étendre la portée de la communication.

[44]           La Commission, qui était représentée à l’audition de la Requête principale, a, le 6 février 2016, conformément à la règle 318, communiqué au demandeur les documents qui se trouvaient devant elle lorsqu’elle a rendu sa décision à l’égard de chacune des six plaintes logées par le demandeur.  Elle s’est opposée toutefois à la communication de tout autre document sur la base que, hormis deux cas d’exceptions, qui ne trouvent pas application ici, un document qui n’a pas été considéré par l’organisme dont la décision est attaquée n’est pas pertinent au sens de la règle 317.

[45]           Un document est pertinent au sens de la règle 317 s’il peut influer sur la manière dont la Cour disposera de l’affaire (Pathak c Canada (Commission canadienne des droits de la personne), [1995] 2 CF 455, aux para 9- 10, 94 FTR 80 [Pathak]).  Cette exigence a été interprétée comme limitant les documents pouvant être demandés suivant la règle 317 à ceux se trouvant au dossier de l’office fédéral relatif à la décision contestée (Pathak, au para 23).  En ce sens, la règle 317 ne se veut pas un substitut aux mécanismes de communication de documents applicables aux actions ou aux mécanismes de divulgation de renseignements prévus à la Loi sur l’accès à l’information, LRC (1985), ch A-1.  Elle n’en a pas le même fondement théorique et ne vise ainsi donc pas à atteindre les mêmes résultats (Atlantic Prudence Fund Corp c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2000] ACF no 1156, 98 ACWS (3d) 960; Pauktuutit, Inuit Women’s Assn c Canada, 2003 CFPI 165, 229 FTR 25).

[46]           La Cour dérogera à cette approche lorsque le fondement de la contestation de la décision de l’office fédéral est lié à une allégation de partialité ou à un manquement à l’équité procédurale et que les documents requis sont pertinents à la question (Gagliano c Canada (Commission d’enquête sur le programme de commandites et les activités publicitaires), 2006 CF 720, 293 FTR 108).

[47]           Qu’en est-il ici ?  Le demandeur soutient que son recours comporte quatre volets :

  1. Le volet « classique », aux termes duquel il cherche à faire invalider les décisions de la Commission de ne pas enquêter sur ses plaintes;
  2.  Le volet « compétence », où il cherche à obtenir les documents de délégation de la personne ayant signé la dernière décision de la Commission;
  3. Le volet « constitutionnel » où il cherche à obtenir les documents de la Commission en lien avec l’arrêt Vriend, précité, et le Rapport Laforest, estimant que « [p]lus la Commission pourra fournir de matériel pertinent sur la constitutionnalité des articles 2 et 3 de la LCDP, mieux ce sera »; et
  4. Le volet « procédural » aux termes duquel il cherche à comprendre le processus prédécisionnel, notamment quant à la période où la Commission considérait les formulaires de plainte du demandeur comme de « banales demandes d’informations », estimant qu’il s’agit là d’une « période intrigante » à l’égard de laquelle il « souhaite faire la lumière ».

[48]           Quant au premier volet du recours du demandeur, le volet « classique », je n’ai aucune indication que la Commission n’aurait pas communiqué, le 6 février dernier, tous les documents pertinents, c'est-à-dire tous les documents qui étaient devant elle lorsqu’elle a pris les décisions contestées.

[49]           Quant aux trois autres volets, outre le fait que les documents qui y sont visés n’étaient pas devant la Commission lorsqu’elle a pris lesdites décisions, je m’interroge sérieusement sur leur pertinence.  La Commission a décidé de ne pas enquêter sur les plaintes logées par le demandeur parce que les motifs de discrimination invoqués ne sont pas prévus à la Loi.  Le demandeur le savait trop bien, son objectif ultime avoué étant de contester, sur cette base, la validité constitutionnelle de la Loi.  Ainsi, les plaintes logées auprès de la Commission étaient, en quelque sorte, un passage obligé.  Dans ce contexte, je ne vois pas l’utilité des documents de délégation de pouvoir de la personne qui a signé la dernière décision.  Au mieux, ces documents sont purement accessoires ou périphériques à la véritable question en litige.  Il en va de même des documents recherchés au titre du volet « procédural » du recours.  Comprendre le processus soi-disant prédécisionnel n’est pas utile au débat.  Dans un cas comme dans l’autre, les documents recherchés ne sont pas de nature à influer sur la manière dont la Cour disposera de l’affaire (Pathak, précité au para 10).

[50]           Enfin, les documents créés pour la Commission dans la foulée de l’arrêt Vriend et de l’arrêt de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’affaire Haig v Canada (1992), 9 OR (3d) 495, au sujet de leur impact possible sur la Loi ne sont d’aucune pertinence.  Ce sera à la Cour, en temps utile, de mesurer cet impact à partir des outils juridiques dont elle disposera.  Par ailleurs, je note que le Rapport Laforest est disponible en ligne, et donc, aisément accessible au public.

[51]           Je note également que parmi les documents dont la communication est sollicitée, le demandeur cherche à obtenir un historique, d’avril 1998 à ce jour, de toute plainte déclarée recevable par la Commission et qui ne porte pas sur un des motifs de distinction illicite énoncés à l’article 3 de la Loi de même qu’un historique de toutes les actions prises quant à un certain nombre de plaintes, incluant la date de création du dossier de plainte, la date de fermeture, et la date de réouverture.  Or, cela revient à demander à la Commission de créer des documents, ce que la règle 317 n’oblige pas à faire (Terminaux Portuaires du Québec Inc c Canada (Conseil canadien des relations de travail), 164 NR 60, 41 ACWS (3d) 669).

[52]           Enfin, dans la mesure où le demandeur attaque la validité de la Loi elle-même, il sort du giron de l’action administrative de la Commission.  C’est l’action – ou l’inaction – du Parlement à laquelle il s’en prend.  C’est à lui à faire sa preuve à ce niveau.  À cet égard, la Règle 317, qui, je le rappelle a une finalité bien précise et circonscrite, n’est, à mon sens, dans la mesure où elle ne s’impose qu’à l’office fédéral dont l’action administrative est contestée, d’aucun secours au demandeur. 

[53]           Même en faisant une lecture libérale de la règle 317, le demandeur ne m’a pas convaincu que la Commission a eu tort de ne lui communiquer que les documents qui étaient devant elle lorsqu’elle a décidé de ne pas enquêter sur ses plaintes.

La Requête écrite

[54]           La gestion spéciale d’instance n’est généralement accordée que sur la base de motifs sérieux puisqu’elle a pour effet de soustraire les parties concernées de l’application des délais et échéances auxquelles doit normalement se plier l’ensemble des justiciables.

[55]           En l’espèce, je ne suis pas convaincu qu’il y a lieu d’ordonner que la présente affaire se poursuive à titre d’instance à gestion spéciale.  Le calendrier procédural pourrait être bousculé, nous dit le demandeur, par l’arrivée de nombreux d’intervenants, dont les procureurs généraux des provinces.  Or, j’ai déjà dit que le volet non fédéral du recours du demandeur ne me semble pas relever de la compétence de la Cour.  L’intérêt potentiel des procureurs généraux des provinces dans le présent litige me paraît, dans ce contexte, plutôt ténu, sinon inexistant.  Quant aux intervenants potentiels, leur présence, à la lumière de l’intérêt démontré jusqu’à maintenant par tous ceux que le demandeur a déjà contactés, m’apparaît toute aussi improbable que purement spéculative.  À ce titre, rien ne justifie une gestion spéciale d’instance.

[56]           La présente demande de gestion spéciale d’instance était aussi fondée sur la prémisse qu’une ordonnance de provision pour frais serait émise.  Elle ne le sera pas.  Par ailleurs, le fait que le demandeur soulève une question constitutionnelle ne suffit pas en soi à le soustraire à l’application des délais et échéances des Règles.  Après tout, c’est lui qui a choisi le véhicule procédural de la procédure sommaire.  D’ailleurs, le demandeur semblait confiant de pouvoir mener son recours à l’intérieur des délais prévus à la partie 5 de la Loi puisque la Requête principale, une requête omnibus s’il en est une, ne contient aucune demande visant la poursuite du recours à titre d’instance à gestion spéciale et que la prorogation de délai sollicitée pour le dépôt du Dossier du demandeur semblait d’abord et avant tout lié à des exigences scolaires.  

[57]           Au stade où en est la présente instance et en l’absence d’un argumentaire plus convaincant, je ne vois pas la nécessité d’en ordonner la poursuite à titre d’instance à gestion spéciale.

[58]           Quant à la demande du demandeur visant à lui signaler toute lacune de preuve et de procédure en marge de la présente requête et de lui permettre d’y remédier, je fais miens les propos suivants du juge Roy dans Lessard-Gauvin 2014, précité :

[9] Quant à l’aide technique que réclame le demandeur, elle semble être que le greffe de la Cour confectionne les dossiers, que les tribunaux dont décision est contestée produisent la documentation requise en vertu de la règle 317 sans que le demandeur ait à satisfaire cette règle, notamment en signifiant une requête qui identifierait les documents demandés, et que le demandeur soit avisé des manquements à la preuve et à la procédure.

[10] Le demandeur devrait pourtant savoir que des requêtes de même nature ont été rejetées dans les dossiers où il était lui-même le demandeur (A-210-13, Nadon JA, 9 août 2013; Pelletier JA, 7 janvier 2014) et où il voulait que le greffe prépare le dossier d’appel. Pour ce qui est d’une demande à faire en vertu de la règle 317 et de le prévenir de déficiences à la preuve, la Cour et son personnel ne s’immiscent pas, et ne peuvent s’immiscer, dans les choix faits par les parties de présenter leur cause. La Cour est, et doit être perçue comme, l’arbitre impartial entre les parties. Elle ne saurait favoriser l’un ou l’autre. C’est au demandeur que revient la conduite de ses affaires devant cette Cour et ce qu’il demande ici dépasse largement le conseil sur un aspect technique de la procédure. Si la règle 60 peut être utilisée en certaines circonstances, encore faudrait-il établir ces circonstances dans le cas d’espèce. Ce que semble rechercher le demandeur est une protection ex ante de lacunes à venir. Je déclinerais de fournir une telle assurance. C’est une chose de permettre la production d’affidavits de signification (Mayflower Transit Inc c Bedwell Management Systems Inc, 2003 CF 943, (2003) CRP (4th) 429), c’en est une autre que de faire droit à la demande ex ante.

[59]           Cette demande sera donc rejetée.

[60]           Une dernière remarque s'impose.  Le demandeur soutient que c'est par le prisme de l'arrêt Hryniak c Mauldin, 2014 CSC 7, [2014] 1 RCS 87, qu'il qualifie d'arrêt « phare », que ses deux requêtes en l'instance doivent être examinées.  Il plaide que cet arrêt invite la communauté juridique et judiciaire à un « virage culturel » dans la façon de concevoir la procédure civile dans une perspective d'accès à la justice.  Si important soit-il, je comprends cet arrêt pour ce qu'il est : une invitation à opérer ce virage de manière à simplifier les procédures préalables au procès et à insister davantage sur des procédures proportionnées et adaptées aux besoins de chaque affaire, en l'occurrence la requête pour jugement sommaire, que sur la tenue de procès conventionnels.

[61]           Je ne lis par cet arrêt comme une répudiation de la jurisprudence portant sur la qualité pour agir dans l'intérêt public ou sur les critères d'octroi de provisions pour frais, ni comme réduisant à l'obsolescence les cadres formels de procédure, comme les Règles, lesquelles, du reste, prônent déjà, par leur principe directeur enchâssé à la règle 3, des valeurs d’économie et d’efficience dans la conduite des procédures devant la Cour.  Je ne le lis surtout pas comme portant obligation d'accorder au premier venu tous les avantages procéduraux qu'il réclame sur les plans formels et substantifs.

Les dépens

[62]           Vu les conclusions auxquelles j’en suis arrivé dans les deux requêtes soumises par le demandeur en l’instance, le défendeur aura droit aux dépens.  Je les fixe à 500 $, déboursés compris, et j’ordonne qu’ils soient payés sans délai.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que :

1.      La Requête principale est rejetée, sauf en ce qui a trait à la demande du demandeur visant à être autorisé à produire tout nouvel affidavit au soutien de l’Avis de demande ré-amendé dans les 20 jours de la date de la présente ordonnance, laquelle demande est accordée;

2.      La Requête écrite est rejetée, sauf en ce qui a trait à la demande du demandeur visant à être autorisé à produire un document identifiant, au bénéfice de la Cour, les passages pertinents des autorités qu’il a soumises au soutien de la Requête principale, laquelle demande est accordée;

3.      Le tout, avec dépens en faveur du défendeur, fixés à un montant de 500 $, déboursés compris, et payables sans délai.

« René LeBlanc »

Juge


ANNEXE

Demande de document et matériel à l’office fédéral (Règle 317)

  1. Le dossier 20150314 tel que présenté à la Commission pour décision quant à la recevabilité de la plainte, en incluant également la décision prise par la Commission et les extraits pertinents de procès-verbal ou de compte-rendu de réunion de la Commission en lien avec ce dossier;
  2. Le dossier 20150316 tel que présenté à la Commission pour décision quant à la recevabilité de la plainte, en incluant également la décision prise par la Commission et les extraits pertinents de procès-verbal ou de compte-rendu de réunion de la Commission en lien avec ce dossier;
  3. Le dossier 20150317 tel que présenté à la Commission pour décision quant à la recevabilité de la plainte, en incluant également la décision prise par la Commission et les extraits pertinents de procès-verbal ou de compte-rendu de réunion de la Commission en lien avec ce dossier;
  4. Le dossier 20150318 tel que présenté à la Commission pour décision quant à la recevabilité de la plainte, en incluant également la décision prise par la Commission et les extraits pertinents de procès-verbal ou de compte-rendu de réunion de la Commission en lien avec ce dossier;
  5. Le dossier 20150319 tel que présenté à la Commission pour décision quant à la recevabilité de la plainte, en incluant également la décision prise par la Commission et les extraits pertinents de procès-verbal ou de compte-rendu de réunion de la Commission en lien avec ce dossier;
  6. Le dossier 20150635 tel que présenté à la Commission pour décision quant à la recevabilité de la plainte, en incluant également la décision prise par la Commission et les extraits pertinents de procès-verbal ou de compte-rendu de réunion de la Commission en lien avec ce dossier;
  7. Tout document en lien avec les « dossiers » 20150299 et 11500299;
  8. Tout document, renseignement, information, politique, norme, guide, ligne directrice, ordonnance, directive, manuel de formation, etc utilisés pour la rédaction des rapports sur les articles 40/41 pour chacun des six dossiers précédemment mentionnés. Pour ce point, veuillez inclure seulement les éléments qui n’ont pas été transmis aux commissaires;
  9. Tout document ou toute information, à l’exception de la plainte en tant que telle, inclus dans le logiciel « Horizon » ou tout autre outil de gestion de cas quant aux dossiers de plainte 11500299, 20150299, 20150314, 20160316, 20150317, 20150318, 20150319 et 20150635. Plus particulièrement, mais sans s’y limiter, veuillez fournir un historique daté de toutes les actions prises quant à ces plaintes, incluant notamment, mais sans s’y limiter, la date de création du dossier de plainte, la date de fermeture, la date de réouverture, s’il y a lieu. Si certains éléments de ces dossiers de plainte ont été supprimés du logiciel Horizon, veuillez lister ces éléments et la raison de leur suppression;
  10. Tout document sur l’interprétation de la notion de plainte « frivole » selon la LCDP et la notion de compétence de la CCDP;
  11. Tout document relatif à la cause Vriend c Alberta, dont le jugement final a été rendu par la Cour suprême du Canada le 2 avril 1998, et ses impacts possibles sur la LCDP, la CCDP ou le Tribunal canadien des droits de la personne;
  12. Un historique, du 2 avril 1998 à ce jour, de toute plainte déclarée recevable par la CCDP et qui ne porte pas sur un des onze motifs de l’article 3 LCDP;
  13. Tout document relatif à la cause Haig c Canada, dont le jugement final a été rendu par la Cour d’appel de l’Ontario, et ses impacts possibles sur la LCDP, la CCDP ou le Tribunal canadien des droits de la personne;
  14. Les documents expliquant le fonctionnement de la Commission pour la prise de décision de rejet des plaintes pour irrecevabilité en vertu du par. 41(1) LCDP et pour l’avis en vertu de l’article 42 LCDP;

15.  Tout document mentionnant une orientation, politique, norme, ligne directrice, directive, ordonnance, etc (ou autrement dit tout ce qui n’est pas dans la loi ou un règlement) suivie par les commissaires lors de leur analyse et prise de décision quant au rejet d’une plainte pour irrecevabilité en vertu du paragraphe 41(1) LCDP. Veuillez aussi inclure tout matériel de formation ou de perfectionnement à l’attention notamment des commissaires concernant ce sujet;

  1. Le(s) document(s) autorisant Monette Maillet, en date du 30 décembre 2015, à signer, au nom de la Commission, une décision de rejet de plainte pour irrecevabilité (par. 41(1) et art. 42 LCDP).

COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-569-15

INTITULÉ :

DAVID LESSARD-GAUVIN c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 23 février 2016

ordonnance et motifs :

LE JUGE LEBLANC

DATE DES MOTIFS :

LE 15 AVRIL 2016

COMPARUTIONS :

Se représentant seul

Pour le demandeur

Me Ludovic Sirois

Me Marie-Emmanuelle Laplante

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Se représentant seul

Montréal (Québec)

Pour le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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