Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20160413


Dossier : IMM-4997-15

Référence : 2016 CF 409

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 13 avril 2016

En présence de madame la juge Tremblay­Lamer

ENTRE :

NIHINLOLA VERONICA FAMUREWA

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 37 [la Loi] contestant la décision de l’agent concernant l’examen de risques avant renvoi (ERAR), qui détermine que la demanderesse ne ferait pas l’objet de persécution, de risque de torture, de menace à sa vie, de risque de traitements ou de peines cruels et inusités, conformément à l’article 97, si elle retournait dans son pays d’origine.

I.                   Faits

[2]               La demanderesse est citoyenne du Nigeria. Elle est devenue résidente permanente du Canada en juin 2006 après l’acceptation de sa demande dans le cadre du Programme des travailleurs qualifiés. Ses deux garçons d’âge mineur l’ont accompagnée au Canada. Cependant, bien qu’il ait été accepté comme personne à charge accompagnant la demanderesse, l’époux de celle­ci est demeuré au Nigeria. La demanderesse a donné naissance à une fille au Canada en octobre 2006.

[3]               Le 29 juillet 2013, la demanderesse a été déclarée coupable d’un chef de voies de fait graves, en contravention de l’article 268 du Code criminel, pour avoir infligé des brûlures à son fils de 10 ans avec un fer chaud. Elle a été condamnée à une peine d’emprisonnement de 20 mois et à trois ans de probation. Ses enfants ont été placés en famille d’accueil, où ils sont encore aujourd’hui.

[4]               La demanderesse a été déclarée interdite de territoire au Canada en vertu de l’alinéa 36(1)a) de la Loi en raison de sa condamnation au criminel, et son statut a été révoqué. Elle a été frappée d’une mesure de renvoi en février 2015. Cette mesure a été mise en sursis par madame la juge Strickland le 25 novembre 2015 jusqu’à ce qu’une de décision finale soit prise concernant la présente affaire.

II.                Questions en litige

[5]               La présente affaire soulève les questions suivantes :

A.                L’agent a­t­il commis une erreur en concluant que la demanderesse ne courait pas de risque par rapport à un mandat d’arrestation non exécuté contre elle au Nigeria?

B.                 L’agent a­t­il commis une erreur en concluant qu’il existait une protection adéquate de l’État au Nigeria pour les femmes victimes de violence familiale?

III.             Décision

[6]               L’agent a accepté qu’il existait des conditions difficiles au Nigeria, que l’époux de la demanderesse avait déposé une plainte pénale contre elle et qu’elle avait été victime de violence familiale. Cependant, il a conclu qu’elle ne serait pas exposée à plus qu’une simple possibilité de préjudice si elle retournait au Nigeria.

[7]               L’agent a noté que le mari de la demanderesse avait permis aux enfants d’immigrer au Canada et que, si elle était arrêtée, elle pourrait accéder facilement à son dossier d’immigration pour préparer sa défense et se prévaloir des services juridiques offerts par les organismes non gouvernementaux de défense des droits des femmes. L’agent a également noté que le mandat d’arrestation émis contre la demanderesse datait de 2006 et qu’il n’existait aucun élément de preuve courant démontrant que les autorités nigériennes étaient toujours à sa recherche.

[8]               Quant aux allégations de mauvais traitement en raison de son sexe, l’agent a déterminé que le Nigeria possède des mécanismes pour protéger les femmes contre la violence familiale et que ce pays fait des efforts pour mieux soutenir les victimes de ce type de violence. Cependant, l’agent a reconnu que d’obtenir une protection policière n’est pas l’idéal pour une femme au Nigeria. Étant donné toutefois son profil de femme instruite et les efforts du Nigeria pour améliorer la situation, la demanderesse devrait raisonnablement pouvoir demander de l’aide des forces policières ou d’une autorité supérieure. L’agent a également fait remarquer que la demanderesse n’avait pas mis à l’épreuve la protection offerte par l’État avant d’immigrer au Canada en 2006.

IV.             Observations des parties

A.                La demanderesse

[9]               La demanderesse soutient que plusieurs des conclusions tirées par l’agent sont des spéculations qui ne tiennent aucunement compte des éléments de preuve soumis.

[10]           L’agent n’a jamais contesté la crédibilité de la demanderesse ou de ses documents à l’appui, et a accepté que des conditions difficiles prévalaient dans ce pays, tel qu’il est démontré par les éléments de preuve objectifs. L’agent a néanmoins présumé déraisonnablement que le mandat contre la demanderesse ne serait plus exécuté en raison du passage du temps et qu’on lui donnerait l’occasion de se défendre si elle était arrêtée.

[11]           De plus, l’agent a commis une erreur en concluant que la demanderesse pourrait obtenir la protection de l’État parce que le Nigeria faisait des efforts pour aider les victimes de violence familiale. Il aurait plutôt dû évaluer cette protection pour déterminer si elle était adéquate.

B.                 Le défendeur

[12]           Le défendeur soutient que le rôle de la Cour n’est pas de réévaluer les éléments de preuve. Il était raisonnable pour l’agent de conclure que le mandat d’arrestation ne démontrait pas qu’il existait un risque dans le futur. La demanderesse n’a pas démontré que quiconque était à sa recherche aujourd’hui en rapport avec le mandat d’arrestation de 2006. De plus, il était également raisonnable pour l’agent de déterminer que si la demanderesse était arrêtée, elle aurait une défense facilement accessible en invoquant le fait que son mari a consenti à ce que leurs enfants immigrent au Canada et elle aurait accès à des options viables pour obtenir une défense juridique.

[13]           De plus, le défendeur soutient que la présomption de protection de l’État ne peut être réfutée que par une confirmation claire et convaincante que l’État est incapable d’assurer la protection d’une personne. La protection doit être « adéquate » et non pas « efficace ». De plus, la demanderesse ne peut pas baser son argument uniquement sur une preuve documentaire montrant des lacunes dans le système de justice alors qu’elle n’a jamais utilisé la protection de l’État offerte au Nigeria. La demanderesse devait épuiser toutes les avenues possibles liées à la protection.

V.                Analyse

A.                Norme de contrôle

[14]           Il est bien établi dans la jurisprudence que l’examen des éléments de preuve par un agent dans le contexte d’un examen pour risque de retour (ERAR) est susceptible de révision en vertu de la norme de la décision raisonnable. Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c. Nouveau­Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47).

[15]           La détermination du critère juridique associé à la protection de l’État est une question juridique touchant les articles 96 et 97 de la Loi, tandis que l’application de ce critère est une question mixte de fait et de droit. La norme de contrôle applicable à la décision d’un agent est par conséquent celle de la décision correcte en ce qui concerne les questions de droit et celle de la décision raisonnable pour les questions mixtes de droit et de fait (Glasgow c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 1229, au paragraphe 23).

B.                 L’agent a­t­il commis une erreur en concluant que la demanderesse ne courait pas de risque par rapport à un mandat d’arrestation non exécuté contre elle au Nigeria?

[16]           Je ne suis pas d’accord avec le défendeur sur le fait que l’agent avait la liberté d’affecter une faible valeur probante à un mandat d’arrestation authentique sans aucune preuve que le passage du temps avait réduit le risque pour la demanderesse d’être appréhendée à son retour au Nigeria. La demanderesse est recherchée pour l’enlèvement de ses enfants et pour les avoir fait sortir illégalement du Nigeria, ce qui est un crime grave.

[17]           Étant donné la nature de l’accusation, l’agent a présumé que la demanderesse aurait dû être recherchée activement par son mari et les autorités nigériennes lorsqu’elle a quitté ce pays en direction du Canada. Le mari de la demanderesse peut avoir déterminé qu’il était trop complexe ou trop long de chercher réparation lorsque la personne en cause réside dans un autre pays, ou peut­être qu’il n’avait tout simplement pas les moyens pour le faire. Ainsi, comme le suggère l’agent, le mari a peut­être perdu l’intérêt pour regagner la garde de ses enfants, et a décidé de tourner la page. Cependant, ce qu’on peut établir avec certitude, c’est qu’un mandat d’arrestation pour des accusations d’enlèvement d’enfants l’attend si elle retourne au Nigeria. L’agent ne peut pas rejeter cet élément de preuve en se basant sur des spéculations.

[18]           Quant à la possibilité pour la demanderesse d’obtenir une assistance juridique et une défense en cas d’arrestation, cet argument présuppose que le Nigeria possède un système de justice pénale similaire à celui du Canada, dans lequel la demanderesse pourrait retenir les services d’un avocat après son arrestation et avant d’être interrogée par la police, ce qui n’est pas démontré par la preuve documentaire soumise.

[19]           Je conclus que l’agent a commis une erreur susceptible de révision lorsqu’il a déterminé que la demanderesse ne courait aucun risque au Nigeria en raison du mandat d’arrestation non exécuté contre elle dans ce pays.

C.                 L’agent a­t­il commis une erreur en concluant qu’il existait une protection adéquate de l’État au Nigeria pour les femmes victimes de violence familiale?

[20]           L’agent a accepté le récit de la demanderesse inconditionnellement et a reconnu qu’il existait des conditions difficiles au Nigeria, y compris que le fait d’« obtenir une protection policière n’est pas l’idéal pour une femme au Nigeria ». En fait, dans sa décision, l’agent a cité plusieurs éléments d’un document stipulant que les lois actuelles au Nigeria ne protègent pas de façon adéquate les femmes contre les actes de violence familiale. Pourtant, l’agent a déterminé que le Nigeria faisait des efforts pour aider les victimes de violence familiale et que puisque la demanderesse était indépendante financièrement et instruite, elle aurait moins d’obstacles à franchir que la population générale pour obtenir une protection.

[21]           « Faire des efforts » n’est pas un critère approprié pour vérifier la protection offerte par l’État. Il est bien établi dans la jurisprudence que le critère approprié pour évaluer la protection de l’État est le caractère adéquat de celle­ci (Flores Carillo c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) Canada, 2008 CAF 94, paragraphes 8­11). Je ne suis pas convaincue que l’agent a appliqué ce critère dans la présente affaire. Le mot « efforts » est celui qu’utilise le plus fréquemment l’agent pour décrire les politiques du Nigeria pour aider les victimes de violence familiale. De plus, en raison de l’admission par l’agent que la protection de la police n’était « pas l’idéal » pour les femmes et du choix des documents à l’appui, je ne peux pas conclure que l’agent a utilisé le critère approprié pour évaluer la protection de l’État. Il s’agit d’une erreur susceptible de révision.

[22]           Pour ces motifs, la demande a été accueillie et l’affaire est renvoyée pour un nouvel examen. Les parties n’ont pas proposé de questions aux fins de certification.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée aux fins d’un nouvel examen par un agent différent.

« Danièle Tremblay­Lamer »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

IMM-4997-15

 

INTITULÉ :

NIHINLOLA VERONICA FAMUREWA c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 12 avril 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

La juge TREMBLAY­LAMER

DATE :

Le 13 avril 2016

COMPARUTIONS :

Adetayo G. Akinyemi

Pour la demanderesse

Aleksandra Lipska

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Adetayo G. Akinyemi

Avocat­procureur

Toronto (Ontario)

Pour la demanderesse

William F. Pentney

Sous­procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

Pour le défendeur

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.