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Date : 20160411


Dossier : IMM-4469-15

Référence : 2016 CF 398

Ottawa (Ontario), le 11 avril 2016

En présence de monsieur le juge Martineau

ENTRE :

NONVIGNON ARMAND VIGAN

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section d’appel des réfugiés [SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, rendue le 2 septembre 2015, laquelle confirme la décision de la Section de protection des réfugiés [SPR] à l’effet que le demandeur n’a pas la qualité de réfugié au sens de la Convention, ni la qualité de personne à protéger selon les articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR].

[2]               Le demandeur, qui était auparavant représenté par Me Odette Desjardins, se représente dorénavant par lui-même. La Cour lui a permis, à l’ouverture de l’audition, de retirer du dossier de la Cour le désistement qu’il avait signifié et produit une semaine auparavant; le demandeur croyait à tort qu’il ne pouvait pas se représenter lui-même. Toutefois, la Cour a refusé sa demande de remise de l’audition. Le demandeur sait depuis au moins le 23 février 2016 qu’il doit se représenter lui-même ou se trouver un nouvel avocat. Enfin, la Cour a tenu compte de l’ensemble des représentations faites au nom du demandeur par Me Desjardins dans son mémoire écrit, ainsi que les commentaires oraux du demandeur à l’audition.

[3]               Rappelons d’abord les allégations principales du demandeur.

[4]               Le demandeur est citoyen du Bénin. Il est arrivé au Canada en 2010 avec un visa d’étudiant. En novembre 2011, le père du demandeur est décédé. Le demandeur est rentré au Bénin pour une dizaine de jours pour assister aux funérailles et aux cérémonies familiales. Quelque temps après, le demandeur aurait été informé par sa mère que l’aîné des demi-frères de son défunt père, Assogba, avait fait des pressions et des menaces afin que la mère ou la sœur du demandeur l’épouse dans le but de s’approprier les biens de son frère. La mère du demandeur aurait refusé et elle aurait porté plainte à la police, sans succès. En mars 2012, pour couper les ponts avec la famille paternelle, la mère et sœur du demandeur ont quitté de la résidence familiale, située à Cotonou, pour Calavie, une autre ville environ 30 à 40 km plus loin. Elles sont restées à Calavie avec l’un des oncles maternels du demandeur, Alarick. Pendant ce temps, la sœur du demandeur aurait été victime de cauchemars, de visions et de certaines maladies que le demandeur allègue avoir été provoqués par des actes de sorcellerie de la part d’Assogba. Elle aurait été soignée par des féticheurs.

[5]               Le demandeur a déposé une demande d’asile au Canada en septembre 2013. Une première décision négative a été rendue par la SPR le 5 novembre 2013. Cette décision a fait l’objet d’un appel qui a été accueillie par la SAR. Le 21 octobre 2014, une deuxième décision, encore négative, a été rendue par la SPR. Le demandeur a fait appel à la SAR.

[6]               Entretemps, alors que le second appel du demandeur n’avait pas encore été entendu, des faits nouveaux sont survenus. Aux dires du demandeur, le 4 janvier 2015, la mère et la sœur du demandeur se sont réfugiées à Kandi, au nord du pays, voulant s’éloigner de la région de Calavie et par la même occasion se faire soigner par les guérisseurs de Kandi. Le 15 février 2015, la sœur du demandeur aurait été agressée par Assogba, qui était accompagné d’une autre personne. Ils ont tenté de l’enlever, mais elle a réussi à échapper. Sa mère et elle ont fui à Cotonou, où la sœur du demandeur aurait reçu des soins dans un hôpital pour ses blessures. À Cotonou, la mère et la sœur du demandeur auraient essayé d’entrer en contact avec Alarick, mais son épouse leur a annoncé qu’Alarick ne souhaitait plus avoir communication avec elles, et qu’il avait été tabassé et forcé de dire où elles s’étaient réfugiées. Suite à cet échange avec l’épouse d’Alarick, la mère et sœur du demandeur seraient demeurées dans les enceintes de l’hôpital à Cotonou. Le 23 mai 2015, elles auraient quitté le pays et se seraient refugiées au Ghana. Le 6 juin 2015, elles auraient essayé de communiquer de nouveau avec Alarick, mais elles auraient été informées qu’il est décédé.

[7]               Le demandeur a invoqué ces nouveaux faits devant la SAR qui a accepté de les considérer. Néanmoins, puisque la crédibilité de ces nouvelles allégations était déterminante, une audition orale a été convoquée par la SAR. Le 2 septembre 2015, la SAR a confirmé la décision de la SPR, menant à la présente demande de contrôle judiciaire.

[8]               En ce qui trait l’évaluation de la preuve et de la crédibilité, la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable. S’agissant de tout manquement allégué à la justice naturelle, c’est la norme de la décision correcte qui s’applique. Enfin, en ce qui concerne la question de savoir si la SAR a erré dans l’interprétation des dispositions de la LIPR ayant trait à la portée d’un appel et à l’admission de nouvelles preuves, la norme de contrôle qu’applique la Cour est celle de la décision raisonnable (Djossou c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014  CF 1080 aux para 33 à 34; Canada (Citizenship and Immigration) v Huruglica, 2016 FCA 93 aux para 31 à 35 [Huruglica]; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Singh, 2016 CAF 96 au para 29).

[9]               La présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.

[10]           En premier lieu, les motifs fournis par la SAR m’apparaissent à tous égards transparents et intelligibles. La SAR a décidé de confirmer la décision de la SPR, mais en adoptant un raisonnement différent, ce qu’elle était habilitée à faire en l’espèce (voir Huruglica). Son évaluation des nouvelles preuves admises et sa conclusion d’absence de crédibilité du demandeur s’appuient sur la preuve au dossier et ne sont pas déraisonnables.

[11]           À ce chapitre, il était loisible pour la SAR de conclure que l’audience tenue devant la SPR n’avait pas permis d’approfondir l’examen de certains aspects essentiels des allégations du demandeur. En particulier, la SAR a noté que le demandeur craignait non seulement être sujet d’actes de sorcellerie à l’instigation d’Assogba, mais aussi d’être forcé à être initié au culte vaudou, à être marié de force à l’une des filles d’Assogba et, en cas de refus, d’être attaqué par ce dernier. Il était également permis à la SAR de conclure que l’analyse de la SPR quant à une possibilité de refuge intérieur [PRI] était insuffisante. En particulier, la SAR a constaté que l’exercice entrepris par la SPR pour tenter d’établir une limite géographique ou territoriale à une croyance en la sorcellerie n’était pas approprié dans les circonstances, ce qui est conforme à ce que la Cour a écrit dans Ajayi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 594 au para 16: « l’État ne peut accorder une protection efficace contre la magie ou la sorcellerie, ni contre des puissances surnaturelles ou des êtres de l’au-delà. Il faut donc que la protection accordée par l’État à une personne soit à l’égard des agissements des membres d’une secte ou d’une tribu participant à de tels rituels ».

[12]           En décidant d’effectuer une analyse indépendante de l’ensemble de la preuve pour déterminer si le demandeur avait la qualité de réfugié au sens de la Convention ou de personne à protéger, la SAR n’a commis aucune erreur de droit et son approche est raisonnable. De plus, le paragraphe 110(6) de la LIPR prévoit que la SAR peut tenir une audience si elle estime qu’il existe des éléments de preuve documentaire qui satisfont aux exigences du paragraphe 110(4) de la LIPR, et qui, à la fois, soulèvent une question importante en ce qui concerne la crédibilité de la personne en cause; sont essentiels pour la prise de la décision relative à la demande d’asile; et à supposer qu’ils soient admis, justifieraient que la demande d’asile soit accordée ou refusée, selon le cas.

[13]           Je rejette également toute prétention du demandeur à l’effet que la portée de l’audience devant la SAR a pu le prendre par surprise. Le demandeur et son ancienne avocate ont reçu un avis de convocation avant l’audience, énumérant précisément les sujets sur lequel l’audience porterait. Par ailleurs, tout présumé manquement aux principes de justice naturelle doit être soulevé à la première occasion. Le demandeur, qui était représenté à l’audience par une avocate, n’a pas soulevé une objection ce qui constitue une raison supplémentaire pour ne pas accepter ses arguments (Alvarenga c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1540 au para 28).

[14]           Quant au mérite même des allégations du demandeur, la SAR a expliqué en détail pourquoi elle n’a pas cru son récit :

a)                  La SAR a noté que la mère du demandeur avait essayé de contacter Alarick mais en vain parce qu’Alarick ne voulait plus qu’elle communique avec lui, et qu’il avait été tabassé par Assogba et forcé de dévoiler l’adresse de sa sœur. Questionné sur les raisons pour lesquelles Alarick n’avait pas informé sa mère de cet événement, le demandeur a répondu qu’elle avait changé de numéro de cellulaire. La SAR n’a pas trouvé crédible que la mère du demandeur ait coupé tout contact avec Alarick, compte tenu qu’elle avait une bonne relation avec lui, qu’elle avait le moyen de le contacter, qu’elle avait habité chez lui pendant presque trois ans et qu’elle avait un intérêt à savoir si Assogba poursuivait des démarches pour la retrouver en son absence. La SAR n’a pas trouvé non plus crédible le comportement allégué d’Alarick de ne pas avoir informé la mère du demandeur de sa rencontre avec Assogba et de vouloir cesser de l’aider, compte tenu que celui-ci était au courant de sa situation, qu’il l’avait hébergée, qu’il avait fait des efforts pour régler la situation avec Assogba, et ainsi que de l’impact important sur la mère du demandeur de la divulgation de son adresse. La SAR n’a pas trouvé crédible le comportement de l’appelant à l’effet de ne pas avoir communiqué avec Alarick;

b)                  La SAR a donc conclu que le demandeur n’a pas établi de façon crédible l’existence d’une communication entre sa mère et l’épouse d’Alarick le 16 février 2015, ni le fait qu’Alarick ne voulait plus communiquer avec sa mère, ni la « rencontre » entre Alarick et Assogba, y compris le tabassage, la divulgation de l’adresse et les menaces contre le demandeur. De plus, la SAR a constaté que le demandeur était hésitant quant à la date à laquelle une telle rencontre se serait produite. Par conséquent, il était loisible à la SAR de conclure que le demandeur n’avait pas établi de façon crédible que sa sœur avait été blessée par Assogba dans les circonstances alléguées, entachant la crédibilité du demandeur sur les éléments essentiels de sa demande d’asile. En ce qui concerne les traitements médicaux pour la sœur du demandeur, la SAR a constaté que le demandeur a déposé les documents pour établir qu’elle avait eu des traitements relatifs à une cheville fracturée, mais ces documents ne mentionnaient pas la cause de cette fracture. Compte tenu de la conclusion de la SAR concernant les circonstances des blessures de la sœur, la SAR pouvait ne pas accorder de valeur probante à ces documents. De plus, la SAR a estimé que les documents mentionnant des traitements en cardiologie et échographie n’avaient aucun rapport avec le traitement d’une cheville;

c)                  En ce qui concerne les raisons du départ de la mère et la sœur du demandeur au Ghana, la SAR a constaté que le demandeur a témoigné, entre autres, que sa sœur souffrait de maux de ventre et de cauchemars. Or, le demandeur a omis de toute allégation quant à ces afflictions dans son affidavit. La SAR n’a pas trouvé crédible cette dernière omission;

d)                 Le demandeur a déposé un « reçu Rx cheville » pour sa sœur (pièce A-9), daté du 22 juin 2015, et il a témoigné qu’un ami le lui avait donné, et que cet ami l’avait lui-même obtenu lors de sa rencontre avec la mère du demandeur à l’hôpital de Cotonou en juin 2015. Or, la mère et sœur du demandeur étaient parties au Ghana depuis le 23 mai 2015. Le demandeur a expliqué qu’il faisait référence à d’autres documents que son ami avait obtenus en mai 2015. Plus tard à l’audience, la SAR a admis une « demande d’examen pour Rx de la cheville » (pièce A-11), datée le 22 juin 2015, et le demandeur a expliqué que ce document ainsi que le Rx cheville avaient été obtenus par son ami à l’hôpital comme duplicata à des reçus antérieurs qui avaient été brûlés. La SAR a constaté qu’il n’y a aucune mention sur les pièces A-9 et A-11 qu’elles étaient des duplicata, et que le demandeur a ajusté son témoignage quant à l’obtention des documents. Pour ces raisons, la SAR ne pouvait pas trouver crédibles les explications ajustées du demandeur, et la SAR a conclu que le demandeur n’avait pas établi de façon crédible que sa mère et sa sœur séjournaient toujours au Ghana. Quant au décès d’Alarick, la SAR a constaté que le demandeur n’avait pas établi de façon crédible que sa mort soit en lien avec des agissements d’Assogba. Le document déposé par le demandeur pour établir le décès d’Alarick contenait des anomalies quant au domicile du défunt, et quant au fait que le déclarant, en l’occurrence le père d’Alarick, ait prédécédé Alarick. De plus, comme la SAR n’a pas cru à une rencontre entre Alarick et Assogba qui se serait tenue en janvier 2015, la SAR a conclu que le demandeur n’avait pas établi qu’Alarick aurait été maltraité par Assogba. Cette détermination est également raisonnable;

e)                  En ce qui concerne les allégations du demandeur quant aux agissements d’Assogba avant le déménagement de sa mère et sa sœur à Kandi, le demandeur a témoigné qu’à partir de 2013 et jusqu’à son départ pour Kandi en 2015, la mère du demandeur avait reçu des appels menaçants d’Assogba, mais qu’elle avait conservé le même numéro de cellulaire. Aussi, le demandeur a témoigné que sa mère et sa sœur ont été agressées par Assogba en septembre 2014, soit plus de trente mois après que celles-ci aient déménagées chez Alarick. Afin d’expliquer ce laps de temps, le demandeur a témoigné que bien qu’Assogba connaissait Alarick pour l’avoir rencontré suite au décès du père du demandeur en 2011, il ne savait pas où il demeurait. La SAR n’a pas trouvé crédibles les explications du demandeur parce que Calavie est à proximité de Cotonou et qu’Alarick était connu d’Assogba depuis plusieurs années. Il n’y avait pas d’élément de preuve établissant qu’Assogba se serait informé auprès d’Alarick pour retrouver la mère ou la sœur du demandeur, ni qu’Assogba ait tenté de contacter les personnes que la mère connaissait par le truchement de ses opérations commerciales ou de son voisinage à Cotonou. De plus, la SAR a trouvé raisonnable de croire que, si les menaces téléphoniques alléguées étaient vraies, la mère aurait changé de numéro cellulaire afin de les éviter, et qu’il n’était pas crédible qu’elle n’ait pas changé de téléphone pendant son séjour à Calavie, même après l’agression alléguée de septembre 2014. Par conséquent, la SAR a conclu que le demandeur n’avait pas établi ni lesdites menaces téléphoniques, ni que sa mère et sa sœur avaient été agressées en septembre 2014 dans les circonstances alléguées. Donc, la SAR n’a accordé aucune valeur probante aux documents déposés par le demandeur pour établir les agissements allégués d’Assogba à l’égard de sa mère et de sa sœur alors qu’elles restaient à Calavie;

f)                   Finalement, la SAR a analysé les allégations du demandeur à l’effet qu’il craignait d’être initié dans le culte « vaudou » et qu’il sera tué s’il refusait. De plus, le demandeur a témoigné qu’il serait forcé d’épouser sa cousine. La SAR n’était pas de cet avis et a constaté que la preuve documentaire n’appuyait pas ces prétentions. Compte tenu de l’absence de preuve documentaire à cet effet, la SAR a estimé que le demandeur n’avait pas établi ses allégations.

[15]           À l’audition, le demandeur a mentionné à la Cour qu’il ne comprenait pas pourquoi son appel avait été rejeté et qu’il ne pouvait pas inventer des preuves qui n’existaient pas. Ce reproche est non fondé. À tous égards, la décision de la SAR est intelligible et les conclusions de la SAR sont clairement exposées. Bien que le demandeur ne soit pas d’accord avec certaines conclusions de fait tirées par la SAR, il n’appartient pas à cette Cour de réévaluer l’ensemble de la preuve. Il suffit que le raisonnement et les conclusions de la SAR soient intelligibles et transparents, et que la conclusion de rejet s’appuie sur la preuve au dossier, ce qui est le cas en l’espèce.

[16]           Pour les motifs susmentionnés, la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question grave de portée générale ne se soulève en l’espèce.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

« Luc Martineau »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-4469-15

 

INTITULÉ :

NONVIGNON ARMAND VIGAN c MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 31 mars 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :

LE 11 avril 2016

 

COMPARUTIONS :

Nonvignon Armand Vigan

Pour le demandeur

(EN SON PROPRE COMPTE)

 

Me Yael Levy

 

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Nonvignon Arman Vigan

Montréal (Québec)

 

Pour le demandeur

(EN SON PROPRE COMPTE)

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

pour le défendeur

 

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