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Date : 20160408


Dossier : T-1295-15

Référence : 2016 CF 391

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 8 avril 2016

En présence de monsieur le juge Martineau

ENTRE :

NAJLAA LABIOUI

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La présente est une demande de contrôle judiciaire de la décision rendue le 30 juin 2015 par une juge de la citoyenneté de Citoyenneté et Immigration Canada, selon laquelle la demanderesse n’avait pas respecté l’obligation de résidence en vertu de l’alinéa 5(1)c) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C­29 [la Loi]. Par conséquent, la demande de citoyenneté avait été refusée.

[2]               Il n’est pas contesté que le fardeau de la preuve incombe à la demanderesse, qui doit démontrer qu’elle a respecté l’obligation de résidence (El Fihri c. Canada [Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration], 2005 CF 1106, au paragraphe 10, et Saqer c. Canada [Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration], 2005 CF 1392, au paragraphe 20). Pour déterminer si la demanderesse avait respecté l’obligation de résidence en vertu de l’alinéa 5(1)c) de la Loi, la juge de la citoyenneté a choisi l’approche adoptée par le juge Muldoon dans l’affaire Re Pourghasemi, [1993] F.C.J. nº 232 [Pourghasemi], selon laquelle toute personne doit établir qu’elle a passé 1 095 jours au Canada pendant la période de 4 ans précédant la demande de citoyenneté. Les parties conviennent également que la norme de contrôle applicable à l’examen de la décision contestée est celle du caractère raisonnable (Dunsmuir c. Nouveau­Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47 [Dunsmuir], Saad c. Canada [Citoyenneté et Immigration], 2013 CF 570, au paragraphe 18, et Haddah c. Canada [Citoyenneté et Immigration], 2014 CF 977, au paragraphe 18).

[3]               La demanderesse est une citoyenne du Maroc et depuis son arrivée au Canada, elle y est retournée souvent pour visiter sa famille. Elle a obtenu le statut de résident permanent du Canada le 22 mars 2001. La période de référence de sa demande de citoyenneté s’étend du 31 mars 2007 au 31 mars 2011 [période de référence]. La demanderesse a affirmé qu’au cours de la période de référence, elle a étudié à l’Université du Québec à Montréal [UQAM] et qu’elle a mis sur pied sa propre agence de voyage, Marina Travel Inc. La demanderesse a également affirmé qu’elle avait quitté le pays huit fois pour se rendre au Maroc et aux États­Unis. Dans sa demande de citoyenneté, la demanderesse a déclaré qu’elle avait passé 1 352 jours au Canada et qu’elle avait été à l’étranger pendant 108 jours au cours de la période de référence, tandis que dans le Questionnaire sur la résidence, elle a indiqué qu’elle avait passé 1 292 jours au Canada et qu’elle avait été à l’étranger pendant 168 jours.

[4]               Les motifs fournis par la juge de la citoyenneté pour appuyer sa conclusion selon laquelle la demanderesse n’avait pas respecté l’exigence en matière de présence physique de 1 095 jours peuvent être résumés comme suit :

(a)                Dans sa demande initiale, la demanderesse avait omis de déclarer qu’elle avait fait un voyage de 50 jours au Maroc. Lors de l’examen du passeport de la demanderesse, la juge de la citoyenneté a également découvert une entrée au Maroc et une entrée au Canada non déclarées pendant la période de référence. Lors de l’audience, lorsqu’elle a été interrogée au sujet de ces divergences, la demanderesse a déclaré qu’elle avait commis une erreur et qu’elle ne savait pas pourquoi elle avait omis de mentionner ces voyages.

(b)               Conformément au dossier obtenu auprès de l’Agence des services frontaliers du Canada, quatre retours déclarés par la demanderesse n’avaient pas été consignés. La demanderesse a expliqué que pour deux de ces voyages, elle s’était rendue aux États­Unis en voiture et que son passeport n’avait donc pas été estampillé. Quant aux deux autres voyages, elle a déclaré que même si les timbres indiquant son retour au Canada ne figuraient pas dans son passeport, celui­ci contenait tout de même les timbres de sortie du Maroc. Néanmoins, lors d’un nouvel examen du passeport, la juge de la citoyenneté a déclaré qu’elle n’avait trouvé aucun timbre de sortie pour les dates en question.

(c)                Le relevé de notes de l’UQAM de la demanderesse, qui a été envoyé après l’audience, indiquait qu’elle avait soit abandonné ses cours, soit échoué à ceux­ci à la session d’hiver 2007, et il ne contenait aucune indication de ses crédits cumulatifs obtenus, ce qui laisse croire que la demanderesse n’avait pas réellement étudié à l’UQAM pendant la période de référence. De plus, tandis que la demanderesse avait fourni le certificat de constitution de Marina Voyage Inc. ainsi qu’une preuve de paiement de certaines factures liées à l’entreprise pendant la période de juin 2007 à février 2009, aucun élément de preuve n’avait été fourni pour la période qui s’étend de février 2009 à juin 2010. En outre, la demanderesse n’avait indiqué aucune activité pendant la période de dix mois qui s’étend de juin 2010 au 31 mars 2011. Lors de l’audience, la demanderesse avait affirmé que l’entreprise n’avait pas bien fonctionné et que cette expérience, jointe au fait qu’elle avait de mauvaises fréquentations, l’avait menée à une période de dépression.

(d)               Certains relevés bancaires n’indiquaient aucune transaction, tandis que de nombreux relevés étaient manquants. Des retraits et des achats avaient été effectués dans les comptes bancaires de la demanderesse malgré le fait qu’elle avait affirmé avoir voyagé à l’extérieur du pays pendant cette période. La demanderesse a expliqué qu’il était normal que certains relevés bancaires n’indiquaient aucune transaction étant donné que cela correspondait aux périodes au cours desquelles elle était à l’étranger.

(e)                La juge de la citoyenneté a également noté que la demanderesse avait résidé au Maroc pendant des périodes prolongées allant jusqu’à huit mois consécutifs à la suite de sa demande de citoyenneté. Par conséquent, la juge de la citoyenneté a douté de la crédibilité du témoignage de la demanderesse et a conclu que selon la prépondérance des probabilités, la demanderesse n’avait pas respecté le critère de la présence physique dont il est question dans l’affaire Pourghasemi.

[5]               La demanderesse soutient qu’elle a fourni de nombreux éléments de preuve démontrant qu’elle se trouvait physiquement au Canada pendant la période requise. Elle affirme que la décision de la juge de la citoyenneté était vague et inadéquate et qu’elle manquait de justifications rationnelles. La demanderesse déclare que la juge de la citoyenneté a commis plusieurs erreurs de droit, ce qui rend sa conclusion déraisonnable. Dans les présents motifs, je ne déterminerai pas toutes les erreurs invoquées dans le mémoire de la demanderesse ou dans les observations orales de son avocat. L’avocat chevronné de la demanderesse a soulevé les erreurs suivantes, qui selon lui, sont déterminantes.

[6]               Plus particulièrement, la demanderesse soutient qu’une analyse détaillée de son passeport démontre que tous les voyages qu’elle a déclarés ont été dûment estampillés par les autorités, sauf une entrée au Canada à une frontière terrestre lorsqu’elle revenait des États­Unis. De plus, le seul voyage introuvable était le voyage au Maroc du 1er au 8 avril 2008 qu’elle avait déclaré. Cependant, la demanderesse a expliqué à la juge de la citoyenneté que cette déclaration était erronée et qu’elle se trouvait en fait au Canada pendant cette période. La demanderesse a également fourni des relevés bancaires personnels et commerciaux pour cette période, et même si ces journées avaient été ajoutées au calcul, cette période n’aurait pas eu d’incidence sur l’obligation de résidence.

[7]               En outre, la demanderesse affirme qu’un examen détaillé des timbres d’entrée et de sortie dans son passeport pour la période de mars 2007 à mars 2011 permet de clarifier la question de sa présence au Canada. Elle note les voyages suivants :

                     Voyage aux États­Unis : du 30 juin 2007 (timbre d’entrée aux États­Unis à la page 16 du passeport) au 2 juillet 2007 (timbre d’entrée au Canada à la page 19 du passeport)

                     Voyage au Maroc : du 11 août 2007 (timbre d’entrée au Maroc à la page 45 du passeport) au 5 septembre 2007 (timbre de sortie du Maroc à la page 46 du passeport)

                     Voyage aux États­Unis : du 13 mars 2008 (timbre d’entrée aux États­Unis à la page 15 du passeport) au 20 mars 2008 (aucun timbre de sortie)

                     Voyage aux États­Unis : du 29 mars 2008 (timbre d’entrée aux États­Unis à la page 17 du passeport) au 1er avril 2008 (timbre d’entrée au Canada à la page 24 du passeport)

                     Voyage au Maroc : du 13 décembre 2008 (timbre d’entrée au Maroc à la page 46 du passeport) au 25 décembre 2008 (timbre de sortie du Maroc à la page 45 du passeport et timbre d’entrée au Canada à la page 14 du passeport)

                     Voyage au Maroc : du 7 juillet 2009 (timbre d’entrée au Maroc à la page 47 du passeport) au 26 juillet 2009 (timbre de sortie du Maroc à la page 45 du passeport et timbre d’entrée au Canada à la page 18 du passeport)

                     Voyage au Maroc : du 3 mars 2010 (timbre d’entrée au Maroc à la page 44 du passeport) au 8 avril 2010 (timbre de sortie du Maroc à la page 44 du passeport et timbre d’entrée au Canada à la page 14 du passeport)

                     Voyage au Maroc : du 18 juillet 2010 (timbre d’entrée au Maroc à la page 44 du passeport) au 18 octobre 2010 (timbre de sortie du Maroc à la page 44 du passeport et timbre d’entrée au Canada à la page 32 du passeport)

[8]               La demanderesse affirme que la seule réelle divergence est le dernier voyage, pour lequel elle a clairement fourni une explication, soit qu’elle avait recopié un vieux formulaire et oublié d’ajouter son dernier voyage parce qu’il avait été effectué après qu’elle eut rempli le formulaire initial. La juge de la citoyenneté n’avait pas mentionné cette explication. En fait, la demanderesse soutient que les motifs de la juge de la citoyenneté concernant les prétendues divergences sont vagues et obscurs et qu’ils ne permettent pas à la demanderesse de comprendre exactement de quelle divergence il est question.

[9]               De plus, la demanderesse déclare qu’elle a fourni des relevés bancaires et de cartes de crédit personnels et commerciaux ainsi que des dossiers médicaux pour la période allant de mars 2007 à mars 2011 afin de démontrer ses activités quotidiennes. Néanmoins, la juge de la citoyenneté a déclaré à tort que la demanderesse avait fourni des factures de son entreprise seulement jusqu’en février 2009, qu’elle n’avait déclaré aucune activité commerciale après juin 2010, que de nombreux relevés ne présentaient aucune transaction et que des transactions avaient été effectuées pendant des périodes au cours desquelles la demanderesse avait affirmé être en voyage. La demanderesse affirme qu’en fait, les seules périodes au cours desquelles il n’y avait aucune transaction étaient les mois où elle était à l’étranger, sauf pour la période du 1er au 8 avril 2008 (période au cours de laquelle la demanderesse ne se trouvait pas à l’étranger, contrairement à ce qu’elle avait indiqué par erreur, comme il a été mentionné précédemment). La demanderesse note plutôt que ses relevés bancaires comprennent des transactions presque quotidiennes pendant les périodes au cours desquelles elle a affirmé se trouver au Canada. Bien que ces documents constituent des indices passifs, ils se corroborent mutuellement et confirment les absences déclarées par la demanderesse. De plus, la juge de la citoyenneté n’a pas fait précisément référence aux prétendues divergences. Cela rend donc la décision déraisonnable.

[10]           Enfin, la demanderesse soutient que la juge de la citoyenneté a tenu compte de ses voyages à l’étranger ayant eu lieu avant la période de référence pertinente qui s’étend du 31 mars 2007 au 31 mars 2011, notant que la juge de la citoyenneté avait déclaré ce qui suit : « depuis sa demande de citoyenneté, elle réside au Maroc pour de très longues périodes allant jusqu’à 8 mois consécutifs ». La demanderesse prétend que cela constitue une erreur susceptible de révision (Deldelian c. Canada [Citoyenneté et Immigration], 2014 CF 854, au paragraphe 13; Shakoor c. Canada [Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration], 2005 CF 776, aux paragraphes 39 et 40).

[11]           En revanche, le défendeur déclare qu’en l’espèce, la demanderesse demande à la Cour de réévaluer les éléments de preuve ayant été présentés devant la juge de la citoyenneté. Le défendeur examine un certain nombre de contradictions dans les éléments de preuve fournis par la demanderesse concernant sa présence physique au Canada pendant la période de référence. En voici un résumé :

                     Dans sa demande, la demanderesse a déclaré qu’elle se trouvait à l’extérieur du Canada pendant 108 jours, tandis que dans le Questionnaire sur la résidence, elle a indiqué qu’elle avait été à l’étranger pendant 168 jours.

                     Il y a une divergence concernant un timbre d’entrée au Canada en date du 1er avril 2008 dans son passeport, ce qui contredit sa déclaration selon laquelle elle serait entrée au Maroc le même jour. La demanderesse avait été incapable d’expliquer cette contradiction à la juge de la citoyenneté.

                     La demanderesse avait également été incapable d’expliquer pourquoi des timbres d’entrée au Canada ne figuraient pas dans son passeport, en tenant compte des voyages qu’elle avait déclarés dans sa demande. Même si la demanderesse avait allégué que son passeport contenait des timbres de sortie du Maroc à ces dates, les timbres laissent plutôt croire que la demanderesse se trouvait à l’étranger pendant près de huit mois, ce qui signifierait qu’elle avait passé seulement 1 068 jours au Canada au lieu des 1 095 jours requis.

                     Dans sa demande de citoyenneté, la demanderesse avait omis de déclarer un voyage de 50 jours au Maroc en 2010. Par la suite, dans le Questionnaire sur la citoyenneté, elle avait déclaré que son voyage s’était déroulé du 18 août au 18 octobre 2010. Toutefois, le passeport de la demanderesse comprend un timbre d’entrée au Maroc en date du 18 juillet 2010, et non du 18 août. La demanderesse a expliqué qu’elle avait commis une erreur.

                     La demanderesse a déclaré qu’elle avait étudié à l’UQAM de 2005 à 2007. En examinant les relevés de notes de la demanderesse, la juge de la citoyenneté a remarqué qu’elle avait échoué à ses cours ou abandonné ceux­ci à la session d’hiver 2007 et qu’elle n’avait obtenu aucun crédit. Par conséquent, la juge de la citoyenneté a raisonnablement déduit que la demanderesse n’avait pas étudié à l’université pendant la période de référence.

                     Pour ce qui est de l’entreprise de la demanderesse, qui affirme que son entreprise a été en activité de juin 2007 à juin 2010, la juge de la citoyenneté a noté que la demanderesse n’avait déclaré aucun revenu dans sa déclaration de revenus de 2008, qu’elle avait déclaré un revenu de 8 000 $ en 2009 et qu’elle n’avait déclaré aucun revenu en 2010. De plus, il n’y avait aucune facture relative à l’entreprise pour la période de février 2009 à juin 2010 ni aucune activité en lien avec l’entreprise de juin 2010 à mars 2011.

                     Quant aux relevés bancaires de la demanderesse, la juge de la citoyenneté n’a trouvé aucune transaction pendant plusieurs mois au cours de la période pertinente. La juge de la citoyenneté a également noté que certains relevés étaient manquants et que, même si la demanderesse était en voyage à l’étranger, certains relevés indiquaient que des retraits et des achats avaient été effectués dans son compte. La juge de la citoyenneté a conclu que l’élément de preuve n’était pas fiable et que la demanderesse n’était pas crédible.

[12]           Le défendeur soutient qu’à la lumière de la nature incomplète, incohérente et obscure de l’élément de preuve fourni par la demanderesse à l’égard de sa présence physique au Canada, la conclusion de la juge de la citoyenneté selon laquelle la demanderesse n’avait pas respecté l’obligation de résidence était raisonnable. Par exemple, le problème relatif au timbre d’entrée en date du 1er avril 2008 soulève de grandes préoccupations quant à l’endroit où la demanderesse se trouvait entre le 11 août 2007 et le 1er avril 2008, car il s’agit du seul timbre d’entrée au Canada après son départ du pays le 11 août 2007.

[13]           Le défendeur affirme que la juge de la citoyenneté a analysé les documents de la demanderesse de façon approfondie et que ceux­ci ne permettaient pas en soi de démontrer la présence physique au Canada de la demanderesse. Compte tenu de l’accumulation de problèmes graves concernant la résidence de la demanderesse, la juge de la citoyenneté a conclu qu’elle n’était pas en mesure de déterminer si la demanderesse avait respecté les exigences énoncées à l’alinéa 5(1)c) de la Loi. L’insuffisance de la preuve et le manque de crédibilité de la demanderesse sont au cœur de la décision rendue par la juge de la citoyenneté (Atwani c. Canada [Citoyenneté et Immigration], 2011 CF 1354, au paragraphe 17 [Atwani]).

[14]           Enfin, le défendeur déclare que les motifs démontrent clairement que la juge de la citoyenneté a examiné correctement la période de référence pertinente. Les motifs fournis par la juge de la citoyenneté ne sont peut­être pas parfaits, mais ils sont tout de même adéquats. Bien qu’il y ait quelques erreurs de droit, ces erreurs ne sont pas déterminantes.

[15]           La présente demande devrait être accordée par la Cour.

[16]           Il n’est pas contesté qu’il était loisible à la juge de la citoyenneté d’appliquer le critère de la présence physique dont il est question dans l’affaire Pourghasemi (Canada [Citoyenneté et Immigration] c. Purvis, 2015 CF 368, au paragraphe 26). Selon ce critère, la demanderesse devait démontrer qu’elle avait passé au moins 1 095 jours au Canada au cours des 4 dernières années. De plus, c’est à la demanderesse – et non à la juge de la citoyenneté – qu’il incombe d’établir, au moyen d’une preuve claire et convaincante, le nombre de jours de résidence (Atwani, au paragraphe 12). Néanmoins, je ne crois pas que la décision de la juge de la citoyenneté appartient aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, au paragraphe 47).

[17]           Comme elle a utilisé le critère de Pourghasemi pour évaluer la demande de la demanderesse, la juge de la citoyenneté n’a pas compté le nombre de jours pendant lesquels la demanderesse se trouvait à l’étranger, malgré le fait qu’il s’agit d’un facteur déterminant quant à l’issue de la demande de citoyenneté (Hussein c. Canada [Citoyenneté et Immigration], 2015 CF 88, aux paragraphes 16 à 18 [Hussein]). Bien que la juge de la citoyenneté mentionne une divergence quant au nombre de jours à l’étranger déclaré par la demanderesse dans sa demande de citoyenneté et le Questionnaire sur la résidence (paragraphes 5 et 7) et qu’elle établit correctement l’exigence des 1 095 jours (paragraphe 15), elle ne calcule pas le nombre de jours au cours desquels la demanderesse se serait trouvée au Canada et ne détermine pas si les divergences de la preuve faisaient en sorte que la demanderesse ne respectait pas le seuil des 1 095 jours.

[18]           Compte tenu de cette omission de la part de la juge de la citoyenneté, la seule façon de comprendre les motifs quant au nombre de jours à l’étranger de la demanderesse serait de reprendre de novo l’examen du dossier (Korolove c. Canada [Citoyenneté et Immigration], 2013 CF 370, au paragraphe 47 [Korolove]; Hussein, au paragraphe 18). Par conséquent, la décision ne respecte pas les exigences de transparence, de justification et d’intelligibilité établies dans l’affaire Dunsmuir (Hussein, au paragraphe 18). En effet, une cour de révision ne peut combler les lacunes au point de réécrire la décision pour exposer des motifs qui n’existent tout simplement pas (Canada [Citoyenneté et Immigration] c. Matar, 2015 CF 669, au paragraphe 29) ni démontrer par ses propres calculs le caractère raisonnable de la décision de la juge de la citoyenneté (Korolove, au paragraphe 40). Même s’il était loisible à la juge de la citoyenneté de tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité du témoignage de la demanderesse et de déterminer qu’elle n’avait pas démontré sa présence physique au Canada pendant le nombre de jours requis en fonction de la preuve documentaire, il est impossible d’évaluer le caractère raisonnable de ces conclusions à la lumière de la preuve au dossier et en l’absence de motifs plus précis.

[19]           Toutefois, il y a d’autres raisons d’intervenir, car je suis d’avis que toutes les erreurs commises par la juge de la citoyenneté rendent sa conclusion déraisonnable. Je ne les répéterai pas, car j’entérine les arguments généraux de l’avocat de la demanderesse, lesquels ont déjà été résumés précédemment. La juge de la citoyenneté semblait également accorder une grande importance au fait que depuis la présentation de sa demande de citoyenneté, la demanderesse avait passé de longues périodes au Maroc, allant jusqu’à huit mois consécutifs. Cette déclaration n’est pas appuyée par un renvoi à des dates précises, à des timbres dans le passeport ou à d’autres documents. Après avoir examiné le dossier, j’ajouterais que les relevés bancaires personnels fournis par la demanderesse indiquent de nombreuses transactions au Canada pendant cette période. Néanmoins, la juge de la citoyenneté n’a pas fait référence à cet élément de preuve, ce qui corrobore le témoignage de la demanderesse. Il s’agit d’une autre raison de s’assurer que le juge de la citoyenneté qui sera chargé de réexaminer le dossier tiendra dûment compte de ces documents.

Conclusion

[20]           Par les motifs qui précèdent, la demande de contrôle judiciaire est accordée. La décision contestée est annulée et l’affaire est renvoyée aux fins de nouvelle décision par un autre juge de la citoyenneté.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est accordée. La décision rendue le 30 juin 2015 est annulée et l’affaire est renvoyée aux fins de nouvelle décision par un autre juge de la citoyenneté.

« Luc Martineau »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1295-15

 

INTITULÉ :

NAJLAA LABIOUI c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

le 31 mars 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DES MOTIFS :

Le 8 avril 2016

 

COMPARUTIONS :

Viken Artinian

 

Pour la demanderesse

Sylvie Roy

 

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Allen & Associés

Montréal (Québec)

 

Pour la demanderesse

William F. Pentney

Sous­procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur

 

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