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Date : 20160407


Dossier : T-1965-15

Référence : 2016 CF 383

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 7 avril 2016

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

GORDON BEARDY, FRANCINE MCKENZIE, JOY BARKMAN

demandeurs

et

STAN BEARDY, ROY FIDDLER, CHARLIE L. BEARDY, JOHN L. MORRIS, OLIVIA DUNCAN, LISA BEARDY (ALIAS LIZA BEARDY), ERNIE HARPER, CLIFF FERRIS, JOB FIDDLER, KATHLEEN BEARDY, IRENE ROSS, ET MARY ANN BEARDY

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire du processus qui a précédé l’élection du 15 septembre 2015 du chef et du conseil de bande de la Première Nation de Muskrat Dam (la « bande ») ayant abouti à une Résolution du conseil de bande (« RCB »), datée du 16 septembre 2015, déclarant Stan Beardy chef, Roy Fiddler, chef adjoint; et Charlie L. Beardy, John L. Morris et Olivia Duncan, conseillers. La demande est présentée aux termes du paragraphe 18(1) et de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7 (« Loi sur les Cours fédérales »). Les demandeurs sont Gordon Beardy, chef sortant de la Première Nation de Muskrat Dam, ainsi que Francine McKenzie et Joy Barkman, membres de la bande de la Première Nation de Muskrat Dam qui ont chacun interjeté appel de l’élection contestée.

Contexte

[2]               La Première Nation de Muskrat Dam est une communauté éloignée de la Première Nation oji-cri au nord de Sioux Lookout, en Ontario. Sa population dans la réserve et hors réserve d’environ 430 à 600 membres. La Première Nation de Muskrat Dam a obtenu le statut de bande indienne en 1976 et, en 2005, a adopté le Code électoral coutumier de la Première Nation de Muskrat Dam (le « Code de 2005 »). Comme cette mesure satisfaisait au critère de la Politique sur la conversion à un système communautaire du ministère des Affaires indiennes et du Nord Canada (« AINC »), l’ordonnance prise antérieurement, conformément à l’article 74 de la Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5 (la « Loi sur les Indiens ») a été abrogée, permettant par conséquent à la Première Nation de Muskrat Dam de tenir ses élections conformément à son système électoral coutumier qui est codifié dans le Code de 2005.

[3]               Gordon Beardy a été élu chef de la Première Nation de Muskrat Dam en 2009. Tout récemment, il a été élu en 2013.

[4]               Le 11 juin 2015, une réunion communautaire a été tenue pour exprimer diverses préoccupations, y compris au sujet des dirigeants de la bande. Dix-sept membres de la communauté étaient présents, ainsi que trois conseillers de la bande. Lors de la réunion, des membres de la communauté ont demandé si un code électoral modifié, daté du 18 juillet 2012 (le « Code de 2012 »), avait déjà été adopté par RCB. Ils ont aussi chargé le conseil de bande de convoquer une assemblée générale dans un délai de deux semaines pour examiner toutes les questions qui avaient été soulevées lors de la réunion communautaire et de commencer les préparatifs en vue d’une nouvelle élection ou d’une révision de la direction. Les trois conseillers présents, Lewis Morris, Morris Fiddler et Olivia Duncan, ont reçu instruction de faire part des préoccupations et attentes exprimées par les membres de la communauté au chef, Gordon Beardy, et au chef adjoint, Douglas Beardy.

[5]               Le conseil de bande n’a pas convoqué l’assemblée générale demandée. Cependant, un avis de réunion communautaire, qui aurait été convoquée par les aînés et des membres inquiets de la communauté, a été affiché dans le but précis [traduction] « de commencer à examiner les préoccupations concernant la direction de notre bande ». La réunion a eu lieu le 14 août 2015 et quelque trente membres de la communauté y ont assisté. Aucun membre du conseil de bande n’était présent. Selon le procès-verbal de la réunion, le groupe a décidé de ne pas entreprendre de révision de la direction, qui prendrait trop de temps, mais de tenir à la place un référendum. Vingt-six personnes ont voté en faveur du référendum et « d’habiliter » un comité des élections à commencer le référendum, qui devait avoir lieu trois jours plus tard, soit le 17 août 2015. Un comité des élections formé de Job Fiddler, de Kathleen Beardy, d’Irene Ross, de Johnny Morris Senior et de Jake Beardy a été mis sur pied.

[6]               Le 14 août 2015, le chef Gordon Beardy, qui se trouvait à Thunder Bay à ce moment-là, a été informé par courriel de la réunion communautaire et qu’un référendum devait avoir lieu. Il a répondu par courriel le jour même indiquant qu’il présentait sa démission.

[7]               Le référendum n’a pas eu lieu le 17 août 2015.

[8]               Ce jour-là, Morris Fiddler a remis sa démission par écrit en tant que conseiller de bande de la Première Nation de Muskrat Dam, prenant immédiatement effet. Le 24 août 2015, le sous­chef Douglas Beardy a fait savoir par lettre qu’il resterait en poste jusqu’à la veille de [traduction] « l’élection partielle pour les postes au sein du conseil de bande ». Le 31 août 2015, il a fait savoir qu’il ne chercherait pas à se faire réélire à un poste au sein du conseil.

[9]               Le 28 août 2015, le comité des élections a affiché un avis sur Facebook selon lequel il entreprendrait le processus d’élection partielle le 1er septembre 2015.

[10]           Malgré les démissions mentionnées ci-dessus, le 1er septembre 2015, quatre membres du conseil de bande de l’époque, y compris le chef Gordon Beardy, ont publié la résolution RCB150901A. Cette résolution indiquait que le vote tenu lors de la réunion communautaire du 14 août 2015 ne répondait pas aux exigences du Code de 2012 étant donné qu’au moins 50 % plus un des électeurs admissibles devaient appuyer un référendum. La résolution faisait également valoir que le chef et le conseil n’avaient pas appuyé le processus de référendum et [traduction] « ne souhaitent pas remettre leur démission pour le moment » et avaient résolu de terminer leur mandat, qu’ils considéraient être de trois ans, se terminant en juillet 2016, conformément au Code de 2012.

[11]           En réponse à la résolution RCB150901A, le 2 septembre 2015, le comité des élections, maintenant formé de Lisa Beardy, de Ernie Harper, de Cliff Ferris ainsi que de Jake Beardy et de John Morris, a affiché un avis public qui indiquait que la RCB était [traduction] « incompatible » et qu’elle avait été mise en vigueur sans consultation du comité des élections et des membres de la Première Nation de Muskrat Dam. L’avis invoque les articles 5.1 à 5.5 du Code de 2012 et indique que le comité des élections avait adopté le procès-verbal de la réunion du 14 août 2015 comme étant une pétition et qu’en raison de la gravité des questions soulevées, il concluait qu’un référendum était nécessaire.

[12]           Entre les 2 et 8 septembre 2015, le comité des élections s’est réuni à diverses reprises et les 4 et 8 septembre 2015, il a tenu des émissions radiophoniques lors desquelles les événements survenus jusqu’à ce jour avaient été abordés. À la fin de la dernière émission radiophonique, Gordon Beardy s’est entretenu avec les membres du comité des élections à l’extérieur de la station radiophonique et a indiqué qu’il n’appuyait pas leurs actions.

[13]           Le 10 septembre 2015, le comité des élections a tenu un référendum demandant à chaque électeur de voter par « oui » ou « non » quant à savoir s’ils voulaient que chacun des membres séparément désignés du conseil de bande maintienne son poste au sein du conseil. Les résultats du référendum n’ont pas été affichés publiquement, mais selon certains éléments de preuve, ils ont été annoncés. Le procès-verbal de la réunion du comité des élections indique qu’aucun des postes n’a reçu l’appui de 50 % plus un des électeurs admissibles nécessaires pour déclencher une élection; cependant, selon l’affidavit de John Morris, le critère a été respecté. Le comité des élections a annoncé que les mises en candidature pour l’élection auraient lieu le lendemain.

[14]           Le 11 septembre 2015, le comité des élections a tenu une assemblée de mise en candidature. Les résultats des mises en candidatures ne sont pas mentionnés dans le procès-verbal de la réunion du comité des élections, et il n’apparaît pas clairement qu’elles ont fait l’objet d’un affichage public. Gordon Beardy a bénéficié de 32 mises en candidature pour le poste de chef, et Stan Beardy en a bénéficié de 46.

[15]           Au terme de cette réunion, on a demandé aux quatorze personnes présentes de se prononcer sur la question de savoir si les candidats qui avaient auparavant remis leur démission du conseil de bande devraient être autorisés à se présenter à l’élection à venir. Selon douze de ces personnes, ces candidats ne devraient pas être autorisés à briguer un nouveau mandat. Sur la foi de ce résultat, le comité des élections n’a pas présenté la candidature de Gordon Beardy au poste de chef et, comme il était le seul autre candidat, Stan Beardy a été élu sans concurrent le 14 septembre 2015.

[16]           Le même jour, Joy Barkman a téléphoné au comité des élections et a exprimé sa préoccupation au sujet du processus électoral et du fait que Gordon Beardy n’avait pas été autorisé à se présenter aux élections. On lui a dit qu’elle ne devrait pas remettre en question le processus pendant une campagne électorale et on l’a encouragée à déposer un appel.

[17]           L’élection devait avoir lieu le 14 septembre 2015 et l’avis d’élection a été affiché dans la communauté et sur Facebook. L’élection a par la suite été prévue pour le 15 septembre 2015 au lieu du 14 septembre 2015. L’élection a eu lieu à cette date et le nom des candidats élus a été affiché par le comité des élections sur Facebook.

[18]           Le 16 septembre 2015, le conseil de bande nouvellement élu a adopté la résolution RCB150916A qui indique le nom des personnes dont la candidature a été présentée et qui ont consenti à devenir candidats au conseil de bande; que Gordon Beardy, Doug Beardy et Morris Fiddler n’ont pas été autorisés à se présenter en raison de leur démission et qui établit que le chef (élu sans concurrent), le chef adjoint et les conseillers ont été élus en bonne et due forme, conformément aux pratiques électorales de la Première Nation de Muskrat Dam, et ont été reconnus officiellement à ce titre.

[19]           Le 23 septembre 2015, Francine McKenzie a interjeté appel par écrit des résultats de l’élection, citant plusieurs irrégularités procédurales fondées sur le Code de 2012, y compris que le nom de deux candidats mis en candidature avait été retiré du processus.

[20]           Le 29 septembre 2015, Joy Barkman a écrit au comité des élections pour l’informer que sa lettre comportait un avis officiel de son appel concernant l’élection du 15 septembre 2015. Elle a affirmé que le comité des élections n’avait pas respecté le code de déontologie du comité des élections, un addenda au Code de 2012, qui était alors en vigueur selon elle, et elle indiqué qu’elle avait déjà exprimé ses préoccupations au sujet de l’exclusion de la mise en candidature de Gordon Beardy pour la réélection.

[21]           Ni l’une ni l’autre de ces demanderesses n’a reçu de réponse de la part du comité des élections.

[22]           Gordon Beardy n’a pas fait appel. Cependant, par l’intermédiaire d’Anthony Carfagnini, qui a agi à titre d’avocat de la bande avant l’élection de 2015, il a demandé qu’une série de communications soient envoyées aux institutions financières utilisées par la bande indiquant que les résultats de l’élection étaient contestés et que les institutions ne devraient communiquer qu’avec les membres du conseil de bande précédent et ne recevoir d’instructions que de leur part. Ces communications sont détaillées dans les divers affidavits déposés à l’appui de la présente demande et dans les contre-interrogatoires relatifs à ces affidavits. Aux fins de la présente demande, je me contenterai de dire qu’étant donné les renseignements contradictoires quant à la validité de l’élection et à l’autorité des membres du conseil de bande pour leur donner des instructions, ainsi qu’aux allégations de détournement de fonds, les institutions financières ont gelé les comptes bancaires de la bande. Cela a non seulement beaucoup perturbé la situation financière de la bande de manière générale, mais aussi les opérations bancaires quotidiennes de ses membres, qui ne pouvaient pas non plus encaisser les chèques du programme Ontario au travail qui ont été retournés pour provision insuffisante.

[23]           Finalement, le 31 décembre 2015, la Cour a ordonné que l’avocat des demandeurs écrive aux banques en leur demandant de débloquer les comptes de la bande, que toutes les transactions dans le cours normal des activités soient autorisées, à l’exception des paiements de la paie des membres du conseil de bande actuels, et que les banques traitent exclusivement avec le nouveau conseil de bande en attendant une autre ordonnance de la Cour.

[24]           Par la suite, les défendeurs ont sollicité une réunion d’urgence de gestion de l’instance et demandé que la demande de contrôle judiciaire soit entendue d’urgence, en raison des répercussions financières continues. En vertu de l’ordonnance du 25 février 2016, la présente affaire a été inscrite au rôle pour être entendue les 15 et 16 mars 2016.

Décision faisant l’objet du contrôle

[25]           La décision du comité des élections d’interdire à Gordon Beardy de se présenter aux élections du 15 septembre 2015 est au cœur de cette affaire. Sont également en litige d’autres décisions et actions du comité des élections qui, selon les allégations des demandeurs, ont fait en sorte que l’élection ne s’est pas déroulée conformément aux dispositions du Code de 2012, qu’ils estiment être applicables. Ces décisions et actions ont donné lieu à la résolution RCB150916A qui dispose que le chef Stan Beardy (élu sans concurrent), le chef adjoint Roy Fiddler et les conseillers Charlie L. Beardy, John Morris et Olivia Duncan du nouveau conseil de bande ont été élus en bonne et due forme, conformément aux pratiques électorales de la Première Nation de Muskrat Dam, et sont officiellement reconnus à ce titre. La résolution RCB150916A est signée par un quorum du nouveau conseil élu.

Questions en litige

[26]           Les demandeurs soutiennent que trois questions se posent :

1)      Le comité des élections a-t-il agi à titre d’office fédéral lorsqu’il a pris la série de décisions qui ont mené à la résolution RCB150916A et, le cas échéant, quelle est la norme de contrôle?

2)      Le comité des élections était-il compétent pour déclarer Gordon Beardy inhabile?

3)      Le comité des élections avait-il une obligation d’équité procédurale envers Gordon Beardy lorsqu’il a rejeté sa candidature? S’est-il acquitté de cette obligation?

[27]           Les défendeurs soutiennent que huit questions se posent :

1)      L’ébauche du Code de 2012 a-t-elle été ratifiée et adoptée pour modifier le Code de 2005?

2)      La Cour devrait-elle exercer une compétence lorsque le demandeur, Gordon Beardy, n’a pas épuisé ses recours internes?

3)      Joy Barkman et Francine McKenzie ont-elles qualité pour interjeter appel au comité des élections?

4)      Si la réponse aux questions 2 ou 3 est oui, alors :

5)      La norme de contrôle applicable à la décision du comité des élections d’exclure la candidature de Gordon Beardy est-elle celle de la décision manifestement déraisonnable?

6)      La décision du comité des élections de déclarer Gordon Beardy inhabile est-elle conforme au Code de 2005 qui a été complété par une pratique coutumière?

7)      La décision du comité des élections de déclarer Gordon Beardy inhabile a-t-elle été prise de façon conforme à l’équité procédurale?

8)      Une non-conformité technique relative au Code a-t-elle eu une incidence importante sur les résultats de l’élection?

9)      Quel est le recours approprié?

[28]           À mon avis, les questions en litige sont les suivantes :

1)      La Cour a-t-elle compétence pour entendre cette affaire et, le cas échéant, devrait-elle exercer cette compétence? Quelle est la norme de contrôle?

2)      Lequel du Code de 2005 ou du Code de 2012 était en vigueur?

3)      Les actions et les décisions du comité des élections étaient-elles conformes au Code pertinent et à la pratique coutumière?

4)      Y a-t-il eu un manquement à l’équité procédurale qui aurait eu une incidence sur les résultats de l’élection?

5)      Quels sont les recours appropriés?

Code électoral coutumier

[29]           À titre préliminaire, il faut souligner qu’il existe diverses versions du Code de 2005 au dossier. La version déposée sous la cote A de l’affidavit de Roy Fiddler figurant au dossier des défendeurs a été frappé d’un cachet « reçu » d’Affaires indiennes daté du 14 septembre 2005. Cependant, elle diffère de la version du Code de 2005 déposée sous la cote B de l’affidavit d’Anthony Carfagnini figurant au dossier des demandeurs. Par exemple, dans la version des défendeurs, la section qui traite de la destitution des dirigeants en exercice comporte cinq sections, tandis que celle des demandeurs ne compte que les trois premières sections. La version des demandeurs comprend des copies des addendas 5 et 6, qui ne font pas partie de la version qui se trouve au dossier des défendeurs. Les éléments de preuve ne me permettent pas de concilier ces versions. Aux fins des présents motifs, je me reporterai à la version qui se trouve au dossier des défendeurs.

[30]           Les sections les plus pertinentes du Code de 2005 sont énoncées ci-dessous :

[traduction]

Principes directeurs

Les principes directeurs pour les élections communautaires consistent en un processus de prière mené par les aînés de la communauté, avec la participation du comité des élections communautaires désigné.

Ce processus initial est ensuite suivi des observations des aînés qui y participent en référence au processus électoral.

La fin des observations est suivie d’une prière de clôture par l’un des aînés de la communauté locale.

Partie 1 – Énoncés de politique

[…]

Électeurs admissibles

2. Les membres de la bande inscrits qui résident dans la réserve et hors réserve sont en droit de voter à l’élection de la Première Nation de Muskrat Dam.

[…]

Candidats admissibles

1. Tous les électeurs admissibles seront éligibles à l’élection de la Première Nation de Muskrat Dam.

2. La procédure de mise en candidature pour la Première Nation de Muskrat Dam est définie à la partie 2, section 1, du présent code.

3. Le président d’élection et le président du scrutin nommés ne pourront pas se porter candidat à l’élection, à moins qu’ils démissionnent du comité des élections.

4. Tous les électeurs admissibles joueront un rôle pour ce qui est de décider qui peut se porter candidats aux élections par l’intermédiaire du processus de mise en candidature défini à la partie 2, section 1, du présent code.

Choix des dirigeants

1. Les dirigeants élus doivent s’acquitter des fonctions de leurs postes honnêtement, avec respect et honneur.

2. Un poste vacant au sein du conseil peut être pourvu par nomination si la durée restante du mandat est brève, ou il peut rester vacant.

3. Si la durée restante du mandat est de plus de 90 jours, un poste vacant au sein du conseil sera pourvu par l’intermédiaire d’une élection partielle.

4. Le chef en exercice et le conseil en exercice au moment de la vacance et le comité des élections ainsi que les aînés donneront des directives quant à la façon de gérer la vacance d’un poste d’élu.

Mandat

1. Le mandat sera de deux (2) ans.

2. Les élections auront lieu tous les deux ans en juillet jusqu’en 2006, année à compter de laquelle les élections auront lieu à la fin du mois d’octobre ou avant le 15 novembre.

3. Les élections n’auront pas lieu pendant des périodes de malheur, notamment un décès ou des funérailles au sein de la Première Nation de Muskrat Dam.

4. À l’exception des situations définies au paragraphe 3, une élection aura lieu le même jour et le même mois tous les deux ans.

Destitution de dirigeants en exercice

1. Un membre élu de la Première Nation de Muskrat Dam est reconnu coupable d’un acte criminel punissable par voie de mise en accusation contraire aux intérêts de la Première Nation de Muskrat Dam.

2. Un membre élu de la Première Nation de Muskrat Dam est déclaré mentalement incapable sur le fondement d’une déclaration médicale.

3. On pourrait demander à un membre élu de la Première Nation de Muskrat Dam de démissionner en raison d’une crise dans la famille immédiate ou en cas de décès.

4. Membres élus de la Première Nation de Muskrat Dam – le chef et les membres du conseil peuvent organiser un référendum concernant leurs postes, puis un référendum communautaire concernant le chef et les membres du conseil en exercice aura lieu, s’il est démontré que 50 % plus un des membres recommandent la tenue d’une élection pour tout poste de membre du conseil, une élection aura alors lieu.

5. Lorsque le tiers des électeurs admissibles a signé une pétition visant la tenue d’un référendum, le comité des élections tiendra alors un référendum et doit dénombrer tous les électeurs admissibles. Si le référendum démontre que 50 % plus un des électeurs demandent une élection visant à pourvoir un poste au sein du conseil, il y aura alors une élection ayant pour but de pourvoir le poste au sein du conseil.

[…]

Appels

1. Un électeur qui a voté lors de l’élection peut déposer un appel dans les 14 jours de l’élection pour les motifs suivants :

a) Il y a eu une violation des dispositions relatives aux élections qui peut avoir eu une incidence sur les résultats de l’élection.

b) La procédure d’appel est définie à la partie 2, section 4, du présent code.

Approbation

Le code électoral de la Première Nation de Muskrat Dam sera approuvé par la majorité des électeurs dans le contexte d’un processus communautaire. La liste des électeurs qui approuvent le code électoral de la Première Nation de Muskrat Dam est donnée à l’addenda no 5.

Le code électoral de la Première Nation de Muskrat Dam sera modifié au terme d’une entente conclue par la majorité des électeurs consultés lors d’un processus communautaire visant à modifier le code électoral de la Première Nation de Muskrat Dam. Une copie de la modification avec la liste du code électoral de Muskrat Dam sera conservée dans le dossier dans les bureaux administratifs de la Première Nation. La procédure de modification est définie à la partie 2, section 5, du présent code.

[…]

Partie 2 – Procédures pour les élections

Section 1, Procédure de mise en candidature

[…]

Section 2, Procédure de scrutin

[…]

Section 3, Procédure de vote

[…]

Section 4

Procédure d’appel

1. Un appel formé contre les résultats d’une élection doit être exprimé oralement et présenté par écrit dans les 14 jours qui suivent cette élection. L’appel doit présenter le motif d’appel.

2. Les litiges électoraux peuvent être portés en appel devant le comité des élections.

3. Les appels seront tranchés au niveau local et le comité des élections et les aînés peuvent être sollicités.

4. On n’aura pas recours à la Cour fédérale du Canada comme mécanisme d’appel.

5. Les appels seront tranchés conformément aux coutumes.

6. L’appel sera pris en charge par le comité des élections et les aînés, ou un autre organe désigné dans les cinq jours de sa réception.

7. La décision du comité des élections ou d’un autre organe d’appel désigné sera définitive et exécutoire.

Section 5

Procédure de modification

1. Les modifications envisagées pour le code électoral de la Première Nation de Muskrat Dam doivent être rédigées en fonction de leur objet et présentées au chef et au conseil.

2. La modification envisagée sera examinée par le chef et le conseil, et une copie en sera remise à chaque électeur admissible aux fins d’examen.

3. Une modification envisagée pour le code sera discutée dans le contexte d’un processus de consultation communautaire mis en place à cette fin.

4. La majorité des électeurs, par l’intermédiaire du processus de consultation communautaire, doit être d’accord avec la modification envisagée avant qu’elle soit adoptée par le chef et le conseil.

5. Toute modification au code électoral de la Première Nation de Muskrat Dam qui est soumise au processus de consultation communautaire sera remise à tous les électeurs.

Addendas

Addenda no 1 : Chef

Addenda no 2 : Chef adjoint

Addenda no 3 : Conseiller

Addenda no 4 : Serment professionnel

Addenda no 5 : Liste d’approbation

Addenda no 6 : Description du poste de président d’élection et président de scrutin

Recours

[31]           Dans leur avis de requête, les demandeurs énoncent 23 recours; cependant, dans leurs observations écrites, ils les ont abrégés en une ordonnance portant : que l’élection partielle de 2015 soit annulée; qu’un bref qui s’apparente à un quo warranto soit rendu ainsi qu’un jugement déclaratoire selon lequel le chef et le conseil élus le 15 septembre 2015 n’ont jamais occupé de fonction officielle; qu’un bref qui s’apparente à un mandamus soit rendu et enjoigne aux membres défendeurs du comité des élections de tenir une élection, conformément au Code de 2005, le plus tôt possible; et que la Cour conserve sa compétence jusqu’à ce que les résultats de la nouvelle élection soient acceptés par le ministère des Affaires autochtones et du Nord, que le délai d’appel ait expiré et que tous les appels qui en découlent aient été entendus.

Observation préliminaire

[32]           Je soulignerais que cette affaire a été entendue et tranchée de manière urgente. À l’appui de la demande des parties, et en réponse à celle-ci, chaque partie a déposé plusieurs affidavits, dont beaucoup étaient longs et comportaient des pièces jointes, ainsi que la transcription des contre-interrogatoires menés en lien avec bon nombre de ces affidavits. J’ai lu et pris en considération tous les éléments de preuve et toutes les observations. Cependant, étant donné que les parties souhaitent que cette affaire soit résolue le plus rapidement possible, j’ai fait en sorte que mes motifs soient les plus concis possible et je n’ai pas renvoyé précisément à chaque document dont j’ai été saisie.

Première question en litige : La Cour a-t-elle compétence pour entendre cette affaire et quelle est la norme de contrôle?

Thèse des demandeurs

[33]           Les demandeurs soutiennent que la Cour a compétence pour examiner la résolution RCB150916A étant donné que la Première Nation de Muskrat Dam agit à titre d’office fédéral, au sens de l’article 2 de la Loi sur les Cours fédérales. En outre, cette compétence en matière d’élections coutumières est bien établie (Sparvier c. Bande indienne Cowessess no 73, 1993 CarswellNat 1319, aux paragraphes 11 à 15 [Sparvier]). Étant donné que la Cour interprète la teneur de la coutume de la bande ainsi que les dispositions du Code de 2005 ou du Code de 2012, elle interprète par conséquent le droit, et la norme de contrôle applicable à la compétence et à l’interprétation des lois est celle de la décision correcte (Joseph c. Schielke, 2012 CF 1153, au paragraphe 25 [Joseph]). Peu de déférence, voire aucune, ne devrait être accordée au président d’élection ou au comité des élections, étant donné que leur pouvoir était issu d’une réunion des membres et qu’ils n’ont aucune expertise. Le comité des élections n’a pas non plus été constitué conformément aux dispositions du Code de 2012.

Thèse des défendeurs

[34]           Les défendeurs soutiennent que la Cour doit refuser d’exercer sa compétence dans cette affaire étant donné que Gordon Beardy n’a pas épuisé les recours qui lui sont ouverts dans le processus administratif visé que, à défaut de circonstances exceptionnelles, les personnes qui s’estiment lésées sont tenues de suivre avant de soumettre l’affaire aux tribunaux (Canada (Agence des services frontaliers) c. C.B. Powell Limited, 2010 CAF 61, aux paragraphes 30 à 33 [C.B. Powell]; Première nation Sagkeeng c. Canada (Procureur général), 2015 FC 1113, aux paragraphes 69 à 71 [Sagkeeng]; Taypotat c. Taypotat, 2012 CF 1036 [Taypotat]). Le Code de 2005 comportait un mécanisme d’appel auprès du comité des élections qui offrait à Gordon Beardy un autre recours adéquat. Il est admis qu’il ne s’est pas prévalu de la procédure d’appel et qu’il n’a avancé aucune circonstance exceptionnelle. Par conséquent, la Cour devrait refuser d’exercer sa compétence, d’autant plus que le Code de 2005 renferme une clause restrictive.

[35]           Les défendeurs soutiennent également que pour interjeter appel en vertu du Code de 2005, les parties lésées doivent avoir voté lors de l’élection visée. Cependant, Joy Barkman et Francine McKenzie ont confirmé, en contre-interrogatoire, qu’elles avaient choisi en toute conscience de ne pas voter lors de l’élection. Par conséquent, les défenderesses soutiennent qu’elles n’ont pas qualité pour interjeter appel. En outre, que Mme Barkman et Mme McKenzie ont déposé leurs appels conformément aux dispositions du Code de 2012, qui n’était pas en vigueur. Les deux appels ont été irrégulièrement constitués et ne peuvent pas former le fondement d’une réparation devant la Cour.

[36]           Les défendeurs soutiennent que la norme de contrôle en l’espèce est celle de la décision manifestement déraisonnable qui accorde un degré très élevé de déférence à l’égard de la décision du comité des élections de déclarer Gordon Beardy inhabile. Les justifications pour un degré élevé de déférence sont les suivantes : la présence d’une clause privative intégrale dans le Code de 2005; l’expertise du comité des élections qui se composait de membres expérimentés d’anciens comités des élections qui possédaient une expertise spécialisée dans les pratiques d’élections coutumières de la bande au regard du Code; la nature vague du Code de 2005, qui exigeait que le comité des élections comble les lacunes pour atteindre son objet premier en se servant de l’expérience et des connaissances des pratiques coutumières de la Première Nation de Muskrat Dam; et le comité des élections a pris uniquement des décisions de fait pour savoir si Gordon Beardy avait ou non remis sa démission et ce que la coutume prévoyait en terme d’évaluation de son admissibilité. Aucune interprétation juridique du Code de 2005 n’a été nécessaire puisqu’il ne porte pas sur les facteurs d’inhabilité.

Analyse

                    i.                        Compétence

[37]           Tel qu’énoncé dans la décision Shotclose c. Première Nation Stoney, 2011 CF 750 [Shotclose], il ne fait pas de doute, selon la jurisprudence, que la Cour a compétence pour procéder au contrôle des décisions et des actes du chef et des conseillers de la bande, étant donné qu’ils constituent un « office fédéral » au sens de l’article 2 de la Loi sur les Cours fédérales. Ces décisions relèvent également de la compétence de la Cour suivant l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales (Sparvier, au paragraphe 13; Angus c. Première nation des Chipewyan des Prairies, 2008 CF 932, au paragraphe 29; Vollant c. Sioui, 2006 CF 487, au paragraphe 48; Gabriel c. Canatonquin, [1978] 1 C.F. 124, au paragraphe 10; conf. par [1980] 2 C.F. 792 (C.A.F.)).

[38]           Et, comme il est indiqué dans la décision Ratt c. Matchewan, 2010 CF 160 (aux paragraphes 105 et 106), la Cour a également constamment réaffirmé son pouvoir de contrôle sur les élections de la bande (Francis c. Conseil mohawk de Kanasetake, [2003] 4 C.F. 1133, aux paragraphes 11 à 18 [Francis], et Ballantyne c. Nasikapow, 197 F.T.R. 184, aux paragraphes 5 et 6). Peu importe que le processus de sélection se déroule dans le cadre d’un scrutin tenu conformément à la Loi sur les Indiens ou qu’il ait lieu selon la coutume, la Cour a un pouvoir de contrôle sur le processus et sur les organes tels que les présidents d’élections, les comités d’appel et les conseils des aînés qui prétendent exercer un pouvoir relativement à ce processus.

[39]           En l’espèce, la décision de ne pas autoriser Gordon Beardy à briguer un nouveau mandat a été prise par le comité des élections et le processus électoral a été adopté par ce comité et le président d’élection. Comme on l’indique plus loin, on se demande s’il était loisible aux membres de la bande de constituer un comité des élections dans ces circonstances et si le comité des élections avait le pouvoir de prendre les mesures qu’il a prises. Cependant, comme le comité des élections était censé exercer un pouvoir conformément à un code électoral entré en vigueur aux dispositions de la Loi sur les Indiens, j’estime, aux fins du présent contrôle judiciaire, qu’il répond à la définition d’un « office fédéral » sur lequel la Cour a compétence (Sparvier, au paragraphe 13).

[40]           De plus, comme l’a indiqué la juge Tremblay-Lamer dans la décision Lafond c. Première Nation crie du lac Muskeg, 2008 CF 726, au paragraphe 20 [Lafond], lorsqu’un chef qui a prétendu agir seul, séparément du conseil de bande, et de sa propre initiative dans des affaires intéressant l’élection du conseil de bande, la compétence en vertu de l’article 18 « s’étend également à ceux ayant censément le pouvoir de décider » (Conseil coutumier de la Première Nation Anishinabe de Roseau River c. Première Nation Anishinabe de Roseau River (Conseil), [2003] A.C.F. no 251, au paragraphe 19; Sparvier, au paragraphe 13). Elle a conclu que la Cour a compétence pour contrôler les destitutions de membres de conseils de bande « sans avoir à se demander qui prétend posséder le pouvoir de destitution ». Je ne vois pas pourquoi ce même raisonnement ne s’appliquerait pas aux décisions du comité des élections en l’espèce (voir aussi Marie c. Wanderingspirit, 2003 CAF 385, aux paragraphes 18 à 20; et Pahtayken c. Oakes, 2009 CF 134, aux paragraphes 31 et 32).

                  ii.                        Norme de contrôle

[41]           Comme il est indiqué dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9 [Dunsmuir], dans la détermination de la bonne norme de contrôle, premièrement, la cour de révision vérifie si la jurisprudence établit déjà de manière satisfaisante le degré de déférence correspondant à une catégorie de questions en particulier. Seulement lorsque cette démarche se révèle infructueuse, elle entreprend l’analyse des éléments qui permettent d’arrêter la bonne norme de contrôle (Dunsmuir, au paragraphe 62).

[42]           En l’espèce, la question de savoir lequel des codes électoraux était en vigueur au moment pertinent est, à mon avis, une question mixte de fait et de droit et, par conséquent, la norme de la décision raisonnable s’applique (Dunsmuir, au paragraphe 53; Lewis c. Nation Gitxaala, 2015 CF 204, au paragraphe 15).

[43]           Notre Cour a reconnu que le chef et les conseillers jouissent d’une expertise sur des questions comme la connaissance des coutumes de la bande et la détermination des faits et, par conséquent, il faudrait faire preuve d’une retenue considérable à l’égard de leurs décisions. Ainsi, la norme du caractère raisonnable s’applique aux décisions des conseils de bande qui doivent être confirmées si elles appartiennent aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Shotclose, aux paragraphes 58 et 59; Parker c. Okanagan Indian Band Council, 2010 CF 1218, aux paragraphes 38 à 40 [Parker]; Dunsmuir).

[44]           Le caractère raisonnable tient principalement à la justification de la décision, à la transparence et à l’intelligibilité du processus décisionnel, ainsi qu’à l’appartenance de la décision aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir, au paragraphe 47).

[45]           Selon la jurisprudence antérieure, la question de savoir si le manquement d’un conseil de bande à l’équité procédurale est susceptible de contrôle selon la norme de la décision correcte (Prince c. Première Nation de Sucker Creek, 2008 CF 1268, au paragraphe 23 [Sucker Creek]; Parker, au paragraphe 41; Tsetta c. Conseil de Bande de la Première Nation des Dénés Couteaux-Jaunes, 2014 CF 396, au paragraphe 24; Hill c. Nation des Onneiouts de la Thames et Clinton Wayne Hill, 2014 CF 796; Taypotat, au paragraphe 42). J’estime que cette norme s’appliquerait également aux actions du comité des élections.

                iii.                        La Cour devrait-elle refuser d’exercer sa compétence?

[46]           Mettant de côté pour l’instant la question de savoir si le comité des élections a été validement constitué et les allégations d’irrégularités électorales, le fait est que Joy Barkman et Francine McKenzie n’ont pas voté à l’élection en question, mais ont interjeté appel. Les défenderesses soutiennent que, par conséquent, elles n’ont pas qualité en l’instance.

[47]           Selon l’affidavit de Joy Barkman, Olivia Duncan a envoyé les photos qu’elle a prises des dépouillements des mises en candidature lors de l’assemblée de mise en candidature du 11 septembre 2015. Sur ces photos, on voyait que Gordon Beardy avait bénéficié de 32 mises en candidature au poste de chef et que Stan Beardy en avait bénéficié de 46. Le soir du 14 septembre 2015, il a été annoncé à la radio que Stan Beardy avait été élu chef par acclamation. Joy Barkman a appelé Ernie Harper et a exprimé sa préoccupation au sujet du processus, plus particulièrement, concernant le fait que Gordon Beardy n’était pas autorisé à se présenter aux élections. Ernie Harper a mis le haut-parleur pour partager la conversation avec ce qu’elle croyait être le reste du comité des élections, alors qu’elle ne s’adressait qu’à lui et à Mary Ann Beardy. Ernie Harper lui a dit qu’elle ne devrait pas remettre en question le processus pendant une élection et a confirmé que les membres du comité des élections n’avaient pas abordé Gordon Beardy au sujet de sa mise en candidature. Finalement, on lui a dit qu’elle pouvait interjeter appel.

[48]           Elle déclare qu’elle a de nouveau exprimé sa préoccupation à Ernie Harper le 15 septembre 2015. Le 28 septembre 2015, elle a discuté de son appel avec Lisa Beardy, qui lui a dit que l’appel devrait être présenté à Ernie Harper et qu’il traiterait l’appel avec elle ou Mary Ann Beardy. Lisa Beardy a plus tard indiqué qu’elle transmettrait l’appel à Steve Beardy, le gestionnaire de la bande.

[49]           L’appel a été déposé le 29 septembre 2015. Le Code de 2005 et le Code de 2012 indiquent qu’un électeur qui a voté lors d’une élection peut interjeter appel dans les quatorze jours qui suivent l’élection, en cas de violation des dispositions électorales ayant pu avoir une incidence sur les résultats de l’élection. Par conséquent, l’appel a été interjeté dans le délai prescrit. Il conteste la réunion communautaire du 14 août 2015, étant donné que les personnes qui ont voté à ce moment-là ne représentaient pas la majorité de la communauté aux termes de l’exigence de 50 % plus un énoncée dans les deux codes. Il mentionne également les efforts déployés antérieurement par Mme Barkman pour soulever ses préoccupations auprès du comité des élections et, une fois de plus, lors de l’annonce des résultats de l’élection et de l’assermentation.

[50]           L’appel de Francine McKenzie, daté du 23 septembre 2015, a été présenté de façon semblable, conformément aux exigences du Code, et il énonce les irrégularités procédurales alléguées, notamment que deux mises en candidature avaient été retirées du processus électoral.

[51]           Parmi les membres du comité des élections, l’affidavit d’Ernie Harper, coprésident du comité des élections, ne mentionne aucunement les appels. Il n’y a pas d’affidavit de l’autre coprésidente, Lisa Beardy. Les affidavits de Jake Beardy, Clifford Ferris ou John Morris ne mentionnent pas non plus les appels.

[52]           En contre-interrogatoire, Ernie Harper a déclaré qu’il n’a jamais entendu parler d’un appel à l’encontre de l’élection ni vu un tel appel déposé par Francine McKenzie, et qu’il ne savait pas qui elle était. Pour ce qui est de l’appel de Joy Barkman, lorsqu’on lui a fait savoir que le comité des élections n’y avait jamais répondu, il a déclaré qu’il pensait que le temps était le seul facteur. Au cours de son contre-interrogatoire, Jake Beardy a déclaré que le comité des élections ne s’est pas réuni après l’élection et qu’il n’était pas au courant de l’appel téléphonique de Joy Barkman au comité des élections.

[53]           L’affidavit de Mary Ann Beardy confirme que Joy Barkman a appelé Ernie Harper après l’émission radiophonique et que le haut-parleur a été mis pour que Mary Ann Beardy puisse participer à l’appel. Elle a confirmé à Joy Barkman qu’en raison de la démission de Gordon Beardy, il avait été déterminé qu’il n’était pas admissible à briguer un nouveau mandat, mais que Mme Barkman n’a pas retenu cette explication. L’affidavit ne fait aucune mention des appels déposés.

[54]           Les défendeurs soutiennent que Joy Barkman et Francine McKenzie n’avaient pas qualité pour interjeter appel, car pour interjeter appel en vertu de l’un ou l’autre des codes, les parties lésées doivent avoir voté à l’élection visée. Tant Mme Barkman que Mme McKenzie ont confirmé, en contre-interrogatoire, qu’elles avaient choisi en toute conscience de ne pas voter. En outre, Mme Barkman et Mme McKenzie ont interjeté appel conformément aux dispositions du Code de 2012, qui n’était pas en vigueur. Par conséquent, les défendeurs soutiennent que les deux appels ont été irrégulièrement constitués et ne peuvent pas former le fondement d’une réparation devant la Cour.

[55]           Lors de l’audience, l’avocat des défendeurs a soutenu que la raison pour laquelle le comité des élections n’a pas répondu aux appels était qu’il avait pu déterminer d’après la liste des électeurs que Joy Barkman et Francine McKenzie n’avaient pas voté et, par conséquent, n’avaient pas qualité pour interjeter appel. Cependant, aucun élément de preuve n’étaye cette allégation. En réalité, les éléments de preuve indiquent le contraire, à savoir que les appels n’ont tout simplement pas été examinés.

[56]           En l’espèce, Joy Barkman tout comme Francine McKenzie ont suivi la procédure d’appel énoncée dans les deux codes, celui de 2005 et celui de 2012, en déposant leurs appels auprès du comité des élections dans les quatorze jours qui ont suivi l’élection. Les codes exigeaient que le comité des élections et les aînés ou un autre organe désigné répondent aux appels dans un délai de cinq jours. Étant donné que le comité des élections n’a pas répondu aux appels, on ne peut pas dire que Mme Barkman et Mme McKenzie n’ont pas épuisé leurs droits et recours en vertu des codes avant de déposer la présente demande de contrôle judiciaire. Par conséquent, leurs circonstances se distinguent de celles énoncées dans l’arrêt Sagkeeng où la Première Nation n’a pas demandé la mise en place d’un mécanisme de règlement des différends auquel elle avait droit.

[57]           Il est vrai, comme il est indiqué dans l’arrêt C.B. Powell (au paragraphe 33), que les préoccupations soulevées au sujet de l’équité procédurale ou de l’existence d’un parti pris, de l’existence d’une question juridique ou constitutionnelle importante ou du fait que toutes les parties ont accepté un recours anticipé aux tribunaux ne constituent pas des circonstances exceptionnelles permettant aux parties de contourner le processus administratif dès lors que ce processus permet de soulever des questions et prévoit des réparations efficaces (voir Harelkin c. Université de Regina, [1979] 2 R.C.S. 561; Okwuobi c. Commission scolaire LesterB.Pearson, 2005 CSC 16, aux paragraphes 38 à 55; et University of Toronto c. C.U.E.W, Local 2 (1988), 55 D.L.R. (4th) 128 (Cour div. Ont.)) :

[31]      La doctrine et la jurisprudence en droit administratif utilisent diverses appellations pour désigner ce principe : la doctrine de l’épuisement des recours, la doctrine des autres voies de recours adéquates, la doctrine interdisant le fractionnement ou la division des procédures administratives, le principe interdisant le contrôle judiciaire interlocutoire et l’objection contre le contrôle judiciaire prématuré. Toutes ces formules expriment la même idée : à défaut de circonstances exceptionnelles, les parties ne peuvent s’adresser aux tribunaux tant que le processus administratif suit son cours. Il s’ensuit qu’à défaut de circonstances exceptionnelles, ceux qui sont insatisfaits de quelque aspect du déroulement de la procédure administrative doivent exercer tous les recours efficaces qui leur sont ouverts dans le cadre de cette procédure. Ce n’est que lorsque le processus administratif a atteint son terme ou que le processus administratif n’ouvre aucun recours efficace qu’il est possible de soumettre l’affaire aux tribunaux. En d’autres termes, à défaut de circonstances exceptionnelles, les tribunaux ne peuvent intervenir dans un processus administratif tant que celui-ci n’a pas été mené à terme ou tant que les recours efficaces qui sont ouverts ne sont pas épuisés.

[58]           En l’espèce, le comité des élections n’a pas suivi les exigences en matière d’appel énoncées dans les codes. Il n’a pas tenu compte des appels, il n’y a pas répondu et, par conséquent, n’a pas permis du tout que les questions soient soulevées. Dans ces circonstances, par suite des actes du comité des élections, le processus n’a pas été achevé et il n’existait aucun recours possible. Autrement dit, parce que le comité des élections n’a pas tenu compte des appels, le mécanisme d’appel prévu par les codes n’était pas un mécanisme d’appel de rechange adéquat au contrôle judiciaire. En outre, étant donné que les codes exigeaient que le comité des élections réponde dans un délai de cinq jours à compter de la réception des appels, ce qu’il n’a pas fait, on ne peut pas dire non plus que le processus d’appel est en cours. Même si le comité des élections avait examiné les appels, il aurait eu la possibilité de les rejeter puisque Mme Barkman et Mme McKenzie n’avaient aucun droit d’appel étant donné qu’elles n’avaient pas voté. Le comité des élections n’a pas tenu compte des appels et ne s’est pas prononcé. Par conséquent, j’estime que cela ne constitue pas un fondement sur lequel il faudrait refuser aux demandeurs qualité d’agir dans la présente requête ni empêcher les défendeurs d’invoquer une jurisprudence concernant la qualité d’agir à l’appui de cette position.

[59]           Quant à la question de savoir si les appels de Francine McKenzie et de Joy Barkman étaient invalides étant donné qu’ils étaient formulés en fonction des dispositions du Code de 2012, comme il en est fait état ci-dessous, il régnait beaucoup de confusion parmi les membres de la Première Nation de Muskrat Dam quant au code en vigueur. En effet, dans certains cas le comité des élections s’est lui-même reporté au Code de 2012. Par conséquent, un renvoi au Code de 2012 dans les appels est loin d’être fatal et ne pourrait l’être étant donné que les dispositions pertinentes relatives aux appels sont essentiellement les mêmes que celles que l’on trouve dans le Code de 2005.

[60]           À mon avis, comme on le verra ci-dessous, ne pas répondre aux appels constituait aussi un manquement à l’équité procédurale de la part du comité des élections, même si, en fin de compte, il lui était loisible de rejeter les appels puisque les appelantes n’avaient pas voté.

[61]           La Cour jouit d’un pouvoir discrétionnaire pour déterminer s’il y a lieu à contrôle judiciaire (Canadien Pacifique Ltée c. Bande indienne de Matsqui, [1995] 1 RCS 3). Étant donné que le processus d’appel n’a pas été pris en compte et que la période pendant laquelle le Comité des élections devait répondre aux appels, telle qu’elle est énoncée dans le Code de 2005, avait expiré, j’estime que la Cour devrait exercer sa compétence pour juger l’affaire sur le fond. Et même si Gordon Beardy n’a pas interjeté appel, les litiges relatifs à l’élection découlant du fait que les appels de Joy Barkman et de Francine McKenzie n’ont pas été pris en compte sont communs aux affirmations des trois demandeurs dans la présente demande de contrôle judiciaire.

Deuxième question en litige : Lequel du Code de 2005 ou du Code de 2012 était en vigueur?

Thèse des demandeurs

[62]           À l’audience de la présente affaire, les demandeurs ont reconnu que le Code de 2012 n’avait jamais été ratifié et que le Code de 2005 est toujours valide. Cependant, ils ont allégué que l’élection de 2013, au cours de laquelle Gordon Beardy a été élu chef pour la dernière fois, s’est déroulée conformément aux dispositions du Code de 2012 étant donné qu’on estimait que le Code de 2012 avait été adopté validement.

Thèse des défendeurs

[63]           Les défendeurs soutiennent que le Code de 2005 a été ratifié par la communauté au moyen d’un processus de consultation communautaire. Pour qu’AINC accepte le Code de 2005 à la place d’une ordonnance aux termes de l’article 74 de la Loi sur les Indiens, la Première Nation de Muskrat Dam devait satisfaire aux critères rigoureux énoncés dans la politique d’AINC, y compris une preuve que le code écrit avait l’appui des membres de la bande, une RCB l’adoptant, et un affidavit précisant le processus de consultation et de ratification ainsi que les résultats. Il incombe aux demandeurs de prouver que le Code de 2005 a été modifié, au moyen de l’ébauche du code électoral de 2012, conformément aux dispositions du Code de 2005. Les demandeurs doivent démontrer que le prétendu code modifié avait l’appui d’un large consensus des membres par suite d’un processus de consultation communautaire ayant reçu l’appui de la majorité des électeurs.

[64]           Les défendeurs soutiennent qu’il n’existe aucun élément de preuve direct indiquant que l’ébauche du Code de 2012 ait été ratifiée par une majorité des électeurs par suite d’un processus de consultation communautaire, et qu’on n’a trouvé aucune RCB visant à adopter les modifications. En outre, aucun code modifié de 2012 n’a été déposé auprès d’AINC.

[65]           En conséquence, étant donné que le Code de 2005 prévoyait un mandat de deux ans pour les conseillers, le mandat de Gordon Beardy comme chef aurait dû prendre fin en juillet 2005 ou aux alentours de cette date.

Analyse

[66]           Comme on l’a indiqué précédemment, lors de l’audience, l’avocat des demandeurs a soutenu que même si le Code de 2005 était techniquement en vigueur, l’élection de 2013 s’est déroulée conformément aux dispositions du Code de 2012 étant donné qu’on estimait qu’il était valide. Cette position est liée à la durée effective du mandat des personnes élues en 2013. À cet égard, un renvoi a été fait à la transcription du contre-interrogatoire de l’aîné Jake Beardy, dans lequel il a déclaré qu’il était convaincu que le mandat de Gordon Beardy arriverait à échéance en juin 2016. Toutefois, aucune RCB ni aucune autre preuve documentaire n’ont été présentées pour indiquer que Gordon Beardy et les autres membres du Conseil avaient été élus pour un mandat de trois ans. Et même si l’affidavit de Gordon Beardy indique que son mandat de chef découlait de l’élection de 2013 et que conformément au Code de 2012, son mandat est de trois ans, il ne présente aucun élément de preuve qui indique que le Code de 2012 était en vigueur. Au cours de son contre-interrogatoire, Gordon Beardy a confirmé qu’il n’avait pas vérifié si le Code de 2012 avait été présenté sous sa forme quasi définitive, mais il a déclaré qu’on lui avait dit qu’il servirait pour l’élection de 2013 et qu’il a retenu cette explication.

[67]           L’affidavit de Charlie Morris indique que l’ébauche du Code de 2012 avait circulé de porte en porte pour être signée. Il déclare que 167 signatures ont été recueillies et que le document a été remis au chef et au secrétaire administratif du conseil pour qu’une résolution puisse être préparée afin de faire ratifier le Code de 2012 par le conseil. Cependant, aucune copie de ce document n’a été produite.

[68]           L’affidavit de Roy Fiddler indique que le Code de 2005 a été ratifié par la communauté par suite d’un processus de consultation qui a eu lieu en 2005. Il a joint, au titre de pièce à son affidavit, une copie du Code de 2005, ou du moins une partie de celui-ci, portant une estampille indiquant qu’il avait été reçu par le ministère des Affaires indiennes le 14 septembre 2005. Son affidavit indique que le Code de 2005 est en vigueur depuis. Également jointe au titre de pièce à son affidavit se trouve une partie d’un document intitulé [traduction] « Politique sur la conversion à un système électoral communautaire » qui énonce les critères que le ministère des Affaires indiennes doit utiliser si un décret adopté en vertu de l’article 74 de la Loi sur les Indiens devait être abrogé pour qu’une Première Nation puisse tenir ses élections en vertu de son propre système électoral coutumier. Entre autres, le ministère a dû examiner le code proposé et conclure qu’il était satisfaisant; le code proposé devait avoir reçu l’appui de la communauté et, après un vote de ratification de la communauté, les documents justificatifs devaient être remis, y compris une version définitive du code, une résolution du conseil de bande et un affidavit de la personne qui supervise le processus.

[69]           Dans le but d’établir que le Code de 2005 est toujours en vigueur, Roy Fiddler a également joint une copie d’un courriel de Ron Mavin (« M. Mavin »), gestionnaire régional, gouvernance des Premières Nations, ministère des Affaires autochtones et de Développement du Nord Canada (« AADNC »), daté du 30 septembre 2015, adressé à Stan Beardy, reconnaissant son élection en tant que chef ainsi que celle du nouveau conseil le 15 septembre 2015 et accompagné d’une copie de la nouvelle liste, conformément au Système d’information sur l’administration des bandes d’AADNC, système informatisé qui a été mis à jour conformément aux directives de la résolution RCB150916A. L’imprimé joint indique le 31 juillet 2017 comme date d’échéance pour chaque membre du conseil, indiquant un mandat de deux ans, plutôt qu’un mandat de trois ans comme le précise le Code de 2012.

[70]           Roy Fiddler soutient qu’aucun autre code électoral, et plus précisément le Code de 2012, n’a été déposé auprès d’Affaires indiennes. À cet égard, il renvoie à un courriel de M. Mavin à Gordon Beardy, daté du 29 septembre 2015. Dans ce courriel, M. Mavin indique qu’en 2012-2013, la Première Nation de Muskrat Dam a reçu un financement pour appuyer un processus communautaire visant à réviser son code électoral coutumier. Une exigence liée à ce financement était un engagement de la part de la Première Nation de Muskrat Dam de présenter une ébauche de code révisé à AADNC. Une ébauche de code a été remise dans le rapport final. Étant donné qu’AADNC n’a aucun pouvoir en ce qui concerne les codes électoraux coutumiers, l’envoi de l’ébauche ne constituait pas une « approbation » du code, mais plutôt l’exécution d’une exigence en matière de rapports. Cependant, il a souligné que dans la partie narrative du rapport final, l’intention était que la Première Nation de Muskrat Dam présente l’ébauche à l’examen de la communauté en vue d’une ratification à une date ultérieure. M. Mavin a indiqué qu’il n’était pas au courant que cette démarche avait été effectuée.

[71]           Roy Fiddler indique qu’à sa connaissance, aucun processus de consultation communautaire ou de ratification n’a eu lieu. Par conséquent, le Code de 2012 en est resté à l’étape d’ébauche.

[72]           Vernon Morris a également déposé un affidavit. Il indique qu’il est membre de la Première Nation de Muskrat Dam et qu’il a fait partie du conseil de la Première Nation de Muskrat Dam pendant plus de 20 ans, de 1980 à 2009, année où il a déménagé à Sioux Lookout. Il déclare qu’au sein de la communauté de la Première Nation de Muskrat Dam, la coutume est que tout nouveau code électoral ou toute modification au code électoral fasse l’objet d’une consultation communautaire et d’une ratification avant d’être adopté, et qu’il n’a pas connaissance de la mise en place d’un tel processus de consultation. Il déclare qu’en 2012, Charlie L. Morris est venu le voir avec un document à signer en vue de l’adoption du Code de 2012, mais il a refusé parce qu’il n’était pas d’accord avec le processus suivi. Il n’a plus entendu parler de la ratification et il a déclaré qu’il était convaincu que le processus lié à l’initiative d’ébauche du Code de 2012 n’avait jamais été achevé ni présenté à la communauté comme ayant été adopté par elle dans un processus de ratification.

[73]           Dans le même ordre d’idées, l’affidavit de Mary Ann Beardy, la responsable de l’élection du 15 septembre 2015, indique qu’elle ne croit pas que le Code de 2012 n’ait jamais été officiellement adopté, conviction fondée sur le fait qu’elle sait que toute modification importante aux pratiques électorales exigerait une consultation communautaire significative et une ratification et qu’elle n’avait pas été mise au courant de l’une ni de l’autre.

[74]           Cyril Beardy a également remis un affidavit. Il y indique qu’il est le coordonnateur de la gestion de bureaux pour la Première Nation de Muskrat Dam depuis de nombreuses années et que l’une de ses responsabilités à ce titre est de tenir à jour les dossiers d’administration de la bande, y compris les dossiers relatifs aux codes électoraux. Il a fourni au titre de pièces deux RCB datées du 12 avril 2012. La RCB 12-0001 énonce que le chef et le conseil mettront en œuvre le code électoral [traduction] « provisoire » destiné à être utilisé lors de l’élection partielle d’avril 2012 pour le poste de conseiller en chef et que le comité des élections pour l’élection partielle d’avril 2012 agirait [traduction] « conformément aux dispositions de ce code ». Inversement, la résolution RCB 12-0002 prévoit nommer les personnes dont le nom figure sur la liste au comité des élections et que ce dernier, pour l’élection partielle d’avril 2012, doit agir [traduction] « conformément aux modalités de ce code, daté de juin 2005 ». Une troisième RCB, datée du 4 avril 2012, prévoit que la Première Nation de Muskrat Dam présentera une demande de financement à AADNC pour la mise à jour du code électoral. Cyril Beardy indique qu’il n’a trouvé aucune documentation étayant une consultation communautaire au sujet de l’ébauche du Code de 2012, de sa ratification ou d’une pétition l’approuvant, et qu’il n’a pas non plus trouvé de RCB portant sur la ratification par la communauté ou une adoption officielle du Code de 2012.

[75]           Il est évident, d’après le dossier, qu’il régnait une confusion considérable quant au statut du Code de 2012. Le procès-verbal de la réunion du 11 juin 2015 indique que les membres de la communauté présents ont demandé à voir la RCB qui approuve les modifications contenues dans le code électoral du 18 juillet 2012 ainsi que le procès-verbal de l’adoption de ce code, et ont demandé si ce document était juridiquement contraignant. Les deux conseillers présents, Morris Fiddler et Olivia Duncan, n’ont pas été en mesure de produire une documentation sur le processus de ratification ni de RCB justifiant l’approbation du code révisé. Le chef et le conseil n’ont pas tenu compte d’une demande d’assemblée générale dans les deux semaines et, en conséquence, le statut du Code de 2012 n’a pas été abordé dans ce format.

[76]           Le Code de 2005 indique que le mandat du chef et des conseillers est de deux ans. Les éléments de preuve sont conformes au fait que des élections ont eu lieu tous les deux ans. La première prétendue dérogation à cet égard faisait suite à l’élection de 2013. Le Code de 2005 indique également qu’il sera modifié sur entente de la majorité des électeurs consultés lors d’un processus communautaire à cette fin. La procédure de modification se trouve à la partie 2 – section 5, comme suit :

[traduction]

1)    Les modifications envisagées pour le code électoral de la Première Nation de Muskrat Dam doivent être rédigées en fonction de leur objet et présentées au chef et au conseil.

2)    La modification envisagée sera examinée par le chef et le conseil, et une copie en sera remise à chaque électeur admissible aux fins d’examen.

3)    Une modification envisagée pour le code sera discutée dans le contexte d’un processus de consultation communautaire mis en place à cette fin.

4)    La majorité des électeurs, par l’intermédiaire du processus de consultation communautaire, doit être d’accord avec la modification envisagée avant qu’elle soit adoptée par le chef et le conseil.

5)    Toute modification au code électoral de la Première Nation de Muskrat Dam qui est soumise au processus de consultation communautaire sera remise à tous les électeurs.

[77]           En fin de compte, la question de savoir lequel du Code de 2005 ou du Code de 2012 était en vigueur a peu de pertinence étant donné que les dispositions visées ne varient pas de façon significative d’un code à l’autre. Par exemple, aucun des codes ne comporte de disposition pour déclarer inhabile un candidat qui se présente à une élection et les deux codes indiquent que tous les électeurs admissibles peuvent se porter candidats dont la candidature a été présentée pour un poste et, comme on l’a indiqué plus haut, les dispositions relatives aux appels sont également semblables.

[78]           Quoi qu’il en soit, je conclus que les éléments de preuve ne démontrent pas que le Code de 2012 ait fait l’objet de discussions lors d’un processus de consultation communautaire, qu’il ait été accepté par la majorité des membres de la bande ou qu’il ait été ratifié par le chef et le conseil. Par conséquent, je conclus que le Code de 2005 était en vigueur et, en l’absence d’éléments de preuve selon lesquels la majorité de la communauté était d’un avis contraire, qu’il a régi l’élection de 2013. Cette conclusion est importante étant donné qu’il en découle que le mandat du chef et des conseillers élus en 2013 est arrivé à échéance en 2015.

Troisième question en litige : Les décisions du comité des élections étaient-elles conformes au Code de 2005 et à la pratique électorale coutumière?

Thèse des demandeurs

[79]           Les demandeurs soutiennent que le comité des élections n’a pas agi conformément à la coutume de la bande, étant donné que les codes électoraux coutumiers constituent le seul moyen fiable d’établir cela. Sans respect des codes, les actes du comité des élections outrepassaient sa compétence. Toute prétendue modification au code coutumier ou toute coutume non écrite incorporée au code coutumier doivent se faire au moyen d’un large consensus et il faut tenir compte de la véritable volonté des membres de la bande (Joseph, aux paragraphes 36 à 38).

[80]           La résolution présentée lors de la réunion communautaire le 14 août 2015 ne peut pas être interprétée comme une modification du code coutumier étant donné qu’elle ne s’est pas faite au moyen d’un large consensus. Il s’agissait d’une réunion sans préavis et à laquelle les membres non résidents de la Première Nation de Muskrat Dam n’ont pas eu l’occasion de participer. Sur les 308 électeurs admissibles, moins de 10 % ont participé.

[81]           De plus, douze des quatorze personnes présentes à la clôture des mises en candidature ont procédé au vote tenu le 11 septembre 2015, pour lequel Gordon Beardy avait été déclaré inhabile. On ne peut pas considérer cela comme un large consensus pour supplanter ou compléter le code coutumier. Ni le Code de 2012 ni celui de 2005 ne comportent de dispositions visant à interdire la mise en candidature de personnes, et aucun avis réel de ces décisions ou réunions n’a vraiment été diffusé (Gadwa v Kehewin Cree Nation, 1996 CarswellNat 345, au paragraphe 5).

[82]           Les membres d’une bande ne peuvent pas se faire justice eux-mêmes et les conseils doivent respecter la primauté du droit (Long Lake Cree Nation v Canada (Minister of Indian and Northern Affairs), 1995 CarswellNat 3203, au paragraphe 31 [Long Lake Cree Nation]). Les demandeurs soutiennent qu’en l’espèce, les membres de la Première Nation de Muskrat Dam se sont fait justice eux-mêmes. Les souhaits de la minorité n’ont jamais été conciliés avec ceux de membres de la bande qui avaient élu Gordon Beardy en 2013 ou avec ceux des 32 électeurs qui l’avaient mis en candidature pour cette élection. Il s’attendait aussi raisonnablement à ce qu’il soit autorisé à se présenter à l’élection après sa démission.

Thèse des défendeurs

[83]           Les défendeurs soutiennent que lorsqu’une Première Nation énonce ses pratiques coutumières sous la forme d’un code électoral écrit, le code électoral régira le bien-fondé de toute décision prise dans le contexte d’une élection contestée. Cependant, lorsque le code présente des lacunes ou des ambiguïtés, le comité des élections est habilité à recourir aux pratiques coutumières de la Première Nation et à combler les lacunes ou à dissiper les ambiguïtés. La Cour a reconnu que malgré l’existence d’un code électoral coutumier écrit, les décideurs peuvent quand même conserver le pouvoir discrétionnaire conféré par le code écrit, qui devrait aussi être éclairé par les pratiques coutumières de la Première Nation (Bruno c. Canada (Commission d’appel en matière électorale de la Nation Crie de Samson), 2006 CAF 249, au paragraphe 39 [Samson]; Lafond, aux paragraphes 9 à 11).

[84]           Les défendeurs soutiennent que les démissions de Gordon Beardy, Doug Beardy, et Morris Fiddler étaient valides et contraignantes, et que le comité des élections ainsi que la communauté étaient habilités à se fonder sur ces démissions, ce qu’ils ont fait, donnant lieu à la demande d’un référendum. Subsidiairement, ces conseillers ont effectivement abandonné leurs postes. Puisque le Code de 2005 n’énonce pas de procédure à suivre advenant que le conseil perde effectivement le quorum en raison de démissions volontaires, le comité des élections s’est appuyé sur la coutume pour le guider, ce qui veut dire qu’on a consulté les aînés sur la question du chef et du conseil comme l’établi le Code de 2005.

[85]           Le comité des élections avait compétence pour déclarer Gordon Beardy inhabile, et ce, dans le respect de la coutume des Premières Nations. Étant donné que le Code de 2005 ne prévoit pas expressément de procédure pour déclarer un candidat inhabile, la Cour doit décider si le comité des élections était néanmoins investi du pouvoir requis pour déclarer ce candidat inhabile en recourant à la coutume (Simon v. Samson Cree Nation, 2001 CFPI 467, aux paragraphes 24 à 32 [Simon]). En décidant s’il existe ou non des pratiques coutumières qui régissent la sélection ou la destitution d’un chef et d’un conseil, il faut établir qu’il existe des pratiques en place généralement acceptables pour les membres de la bande et qui font l’objet d’un large consensus (Francis).

[86]           Les défendeurs soutiennent qu’il y a amplement d’éléments de preuve au dossier pour montrer que tant avant qu’après l’adoption du Code de 2005, les aînés ont régulièrement eu à évaluer l’aptitude d’un candidat éventuel relativement à un poste de dirigeant ou l’aptitude d’un dirigeant en exercice et que le candidat ou dirigeant en question, et la communauté dans son ensemble, respectaient cette orientation. Dans la décision Simon, la Cour a conclu que la disposition générale du code électoral conférant le pouvoir aux présidents d’élection de diriger le processus électoral était suffisamment large pour conférer le pouvoir requis aux présidents d’élection de déclarer des candidats inhabiles, en l’absence d’un processus précis d’exclusion énoncé dans le code.

[87]           Le Code de 2005, pris dans son ensemble, favorise une interprétation téléologique qui permet au comité des élections, avec l’appui des aînés et de la communauté, de déclarer inhabiles des candidats inaptes.

[88]           La différence entre l’affaire en instance et la situation factuelle présentée dans la décision Simon est que le comité des élections a déclaré Gordon Beardy inhabile en se fondant sur la coutume; autrement dit, en recourant à la pratique coutumière de consulter les aînés quant à l’aptitude de Gordon Beardy en tant dirigeant éventuel, compte tenu de ses antécédents en matière de démission, et l’appui des électeurs qui étaient présents à l’assemblée de mise en candidature. Le comité des élections a eu raison de recourir à cette pratique coutumière pour combler une lacune du Code de 2005.

Analyse

[89]           Comme on le verra ci-dessous, j’estime que les démissions de Gordon Beardy, Doug Beardy, et Morris Fiddler étaient valides et, par conséquent, que les questions relatives au référendum contesté ne sont plus pertinentes. Il est vrai que le référendum du 10 septembre 2015 a été tenu en violation des dispositions du Code de 2005 et du Code de 2012, qui exigent la signature d’une pétition par le tiers des électeurs admissibles pour la tenue d’un référendum. Cependant, l’objet du référendum était de déterminer s’il devait y avoir une élection. Après la démission du chef Gordon Beardy et de deux conseillers, une élection a été déclenchée et la tenue d’un référendum n’était plus nécessaire. Quoi qu’il en soit, même si les démissions n’avaient pas été valides, parce que j’ai conclu que le Code de 2005 était en vigueur, une élection était nécessaire étant donné que le mandat du chef et du conseil avait pris fin en juillet 2015.

[90]           Par conséquent, le litige central est de savoir si la décision du comité des élections d’interdire à Gordon Beardy de se présenter à l’élection était raisonnable. À mon avis, la décision ne se fondait pas sur une coutume établie de la bande et n’était pas raisonnable.

[91]           Comme l’a déclaré le juge Strayer dans la décision Bigstone v Big Eagle, 1992 CarswellNat 721, la coutume d’une bande doit inclure des pratiques liées au choix d’un conseil que les membres de la bande estiment généralement acceptables et qui font donc l’objet d’un large consensus (aux pages 117 et 118; Bone v Sioux, 1996 CarswellNat 150, aux paragraphes 27 et 28; Taypotat, au paragraphe 25).

[92]           Dans l’arrêt Francis, le juge Martineau a abordé la question des principes généraux applicables à la coutume de la bande et a souligné que la coutume ne chevauchera pas toujours tout à fait le code électoral.

[93]           Le juge Martineau a souligné que la coutume comporte deux éléments. Premièrement, une coutume doit avoir des pratiques, qui peuvent être établies soit par des actes répétitifs, soit au moyen d’une mesure isolée comme l’adoption d’un code électoral (Bande indienne de McLeod Lake c. Chingee (1998), 153 F.T.R. 257 (C.F. 1re inst.) [McLeod]). La coutume doit aussi avoir un élément subjectif, qui renvoie à la manifestation de la volonté des personnes souhaitant l’adoption de règles relatives au mode d’élection des membres d’un conseil de bande d’être liées par une règle ou pratique donnée.

[94]           Au sujet du deuxième élément, le juge Martineau a renvoyé à la décision McLeod, déclarant :

[30]      Enfin, une des descriptions les plus claires de l’élément subjectif requis pour l’établissement de la coutume d’une bande se trouve dans la décision McLeod, précitée, où Madame le juge Reed s’est exprimée comme suit aux paragraphes 18 et 19 :

La question à laquelle il reste à répondre est de savoir si un " large consensus " est synonyme d’une " décision prise à la majorité des voix des membres de la bande présents à une assemblée générale convoquée avec préavis ". J’estime que cela peut être le cas ou non, selon un certain nombre de facteurs. Si, par exemple, l’assemblée générale était tenue à un endroit ou à un moment faisant en sorte qu’il est difficile pour plusieurs membres d’y assister et qu’il n’y avait aucune possibilité de voter par procuration, elle pourrait ne pas satisfaire au critère du large consensus. Si l’avis de convocation ne fournissait pas suffisamment de détails sur ce qui serait proposé à cette assemblée ou qu’il n’était pas donné suffisamment à l’avance pour permettre aux gens d’avoir réellement la possibilité d’y assister, l’assemblée ne satisferait alors pas à ce critère.

Il existe également des cas où ceux qui ne votent pas indiquent par là leur volonté de se soumettre au choix de la majorité de ceux qui votent. J’estime que l’approbation de la majorité des membres adultes de la bande constitue probablement un bon indice d’un large consensus (l’âge de la majorité relevant de la bande). La question de savoir si une décision prise à la majorité des voix des membres présents à une assemblée générale démontre l’existence d’un large consensus dépend des circonstances entourant cette assemblée. (non souligné dans l’original)

[95]           Le juge Martineau a rendu la conclusion suivante :

[36]      Pour qu’une règle devienne une coutume, la pratique se rapportant à une question ou situation donnée qui est visée par cette règle doit être fermement établie, généralisée et suivie de manière uniforme et délibérée par une majorité de la communauté, ce qui démontrera un « large consensus » quant à son applicabilité. Cette description exclurait les comportements sporadiques visant à corriger des difficultés d’application exceptionnelles à un moment donné ainsi que d’autres pratiques qui sont manifestement considérées au sein de la communauté comme des pratiques suivies à titre d’essai. S’il existe, ce « large consensus » prouvera la volonté de la communauté à un moment donné de ne pas considérer le code électoral adopté comme un document exhaustif et exclusif. Ce consensus aura pour effet d’exclure de l’équation un nombre infime de membres d’une bande qui se sont constamment opposé à l’adoption d’une règle régissant les élections à titre de règle coutumière.

[96]           Comme l’a déclaré le juge de Montigny dans l’arrêt Taypotat au paragraphe 30 : « En bref, l’existence d’une coutume au sein d’une bande et la question de savoir si elle a été modifiée avec l’accord substantiel de ses membres dépendront toujours des circonstances ».

[97]           Par conséquent, pour déterminer si les actions du comité des élections étaient conformes à la coutume, les défendeurs doivent démontrer que ce type de prise de décision était fermement établi, généralisé et suivi de manière uniforme et délibérée par une majorité de la communauté, ce qui démontrera un large consensus (Francis, aux paragraphes 21 à 30; Sucker Creek, au paragraphe 28; Metansininine c. Première nation d’Animbiigoo Zaagi’igan Anishinaabek, 2011 CF 17, au paragraphe 28; Joseph, aux paragraphes 36 à 39).

[98]           En l’espèce, les défendeurs font valoir qu’il existe une coutume visant à tenir compte de l’opinion des aînés quant à l’aptitude des candidats et à interdire à des candidats de se présenter à une élection, si l’on juge qu’ils sont inaptes. Les éléments de preuve auxquels ils se rapportent sont les suivants :

         Dans son affidavit, Roy Fiddler déclare que les aînés occupent une place respectée au sein de la Première Nation de Muskrat Dam. La communauté ne compte que quelques aînés, notamment Jake Beardy, Roderick Fiddler et Allan Beardy. Les aînés sont actifs au sein de la communauté et incarnent la voix des membres de la bande. En retour, les membres de la bande écoutent les aînés. Il déclare aussi que le rôle des aînés lié à la direction et au processus électoral est garanti par leur affectation à un poste d’aîné au sein du comité des élections. Il indique, en outre, que le rôle des aînés dans le processus électoral se reflète dans le Code de 2005, notamment dans ses principes directeurs et pour l’élection des chefs et conseil. Roy Fiddler joint comme pièce à son affidavit son serment de fonction, qui comprend la disposition suivante :
[traduction] « […] Je retiendrai aussi l’orientation et les conseils de nos aînés étant donné leurs connaissances et leur expérience ».

         Dans son affidavit, l’aîné Jake Beardy déclare que les aînés sont respectés par le chef et le conseil ainsi que les membres de la Première Nation de Muskrat Dam, et que ce respect se reflète dans le serment de fonction, et dans le fait que des aînés occupent un poste désigné au sein de comités des élections. Il occupait ce poste lors de l’élection en question. Il déclare que c’est la coutume de la Première Nation de Muskrat Dam d’écouter ses aînés et de chercher à obtenir leurs conseils dans des affaires qui ont trait à la gouvernance et à la direction. Il déclare que Gordon Beardy a démissionné de son poste de chef deux ou trois fois par le passé, et que les membres ont accepté sa démission. L’aîné Jake Beardy a également déclaré qu’il a accepté la démission de Gordon Beardy et qu’il croyait que cela signifiait qu’il ne se porterait pas candidat en vue d’une réélection. La volonté des membres de la bande était que Gordon Beardy ne se porte pas candidat en vue d’une réélection et il a appuyé la population dans cette décision. Par conséquent, lorsque Gordon Beardy a été mis en candidature pour le poste de chef, le comité des élections n’a pas accepté sa candidature. Cela était [traduction] « conforme à notre coutume voulant qu’un membre du conseil, y compris le chef, qui démissionne ne se porte pas candidat en vue d’une réélection lors de l’élection subséquente. Le chef Gordon Beardy a démissionné beaucoup trop de fois ». Lors de l’assemblée de mise en candidature, les aînés ont voté avec d’autres personnes pour rejeter la candidature de Gordon Beardy.

         Vernon Morris est un ancien conseiller de la Première Nation de Muskrat Dam. Il déclare dans son affidavit que les aînés font partie intégrante des élections coutumières. Ils y prennent pleinement part pour s’assurer que l’élection se déroule conformément aux traditions. Ils examinent les candidatures et évaluent les compétences, les capacités ainsi que les qualités personnelles. En général, ils n’opposent pas de veto à des candidats, mais ils formulent des orientations de principe. Lorsque les aînés appuient un processus et la façon dont il se déroule, ce processus est habituellement accepté par la communauté comme étant approprié. Il s’agit d’une pratique coutumière établie de la Première Nation de Muskrat Dam. Il donne un exemple précis, un exemple qui remonte à 1980, lorsque les membres du comité des élections et les aînés se sont entretenus pour savoir s’il devait être autorisé à se présenter, parce qu’il était considéré trop jeune. Finalement, le comité a déterminé qu’il était un candidat acceptable. Il déclare en outre que la coutume permet aux membres, au comité des élections et aux aînés d’interdire à un candidat de se présenter à une élection lorsqu’il a démissionné. Gordon Beardy avait l’habitude de démissionner souvent et d’obliger la communauté à consacrer temps et argent à un processus électoral. Les deux fois précédentes où Gordon Beardy a démissionné, les membres de la bande lui ont permis de reprendre son poste sans recourir à une élection partielle. En août 2015, les membres de la bande ont décidé que c’en était assez et ont accepté sa démission. Il déclare aussi que les aînés jouent un rôle très important dans la prise de décision liée à des questions touchant les dirigeants et que cela irait à l’encontre de la coutume de la Première Nation de Muskrat Dam si le comité des élections ne tenait pas compte de l’orientation formulée par les aînés relativement à un candidat éventuel, ou qu’il passait outre cette orientation.

         Dans son affidavit, John Morris déclare que c’est une coutume et une tradition de longue date au sein de la Première Nation de Muskrat Dam d’écouter les sages conseils des aînés pour les questions qui touchent la communauté. Pour ce qui est de l’assemblée de mise en candidature, il déclare que 14 personnes y ont assisté. Pour le poste de chef, Stan Beardy a bénéficié de 46 mises en candidature et Gordon Beardy en a bénéficié de 32. Sur les 14 personnes présentes, 12 d’entre elles ont confirmé l’acceptation des démissions du chef, du chef adjoint et du conseiller Morris Fiddler et deux personnes se sont abstenues. Il a été affirmé que les lettres de démission ont été acceptées par les membres de la bande. La candidature de Gordon Beardy a été rejetée parce qu’il avait démissionné de son poste. C’était conforme à la volonté des membres de la bande et des aînés.

         Dans son affidavit, Ernie Harper a déclaré que les aînés donnent une orientation et que rien d’important ne surviendrait dans la communauté sans leur consentement. Pour ce qui est de l’assemblée de mise en candidature, il a déclaré avoir demandé aux aînés présents d’exercer leur droit inhérent de gouverner et d’offrir des conseils quant à la validité de la mise en candidature de Gordon Beardy. Les aînés ont exercé leur droit à main levée et l’ont déclaré inhabile.

         Dans son affidavit, Mary Ann Beardy déclare que les aînés ont toujours joué un rôle important au sein des comités des élections. Les autres membres du comité, à l’instar de la communauté, tentent de respecter la sagesse des aînés. Elle déclare aussi que les membres d’un comité des élections ont le pouvoir et la responsabilité de retenir ou de rejeter des candidats par ailleurs admissibles à une élection, même s’ils leur candidature a été présentée en bonne et due forme par des électeurs admissibles. Bien que le rôle d’un comité des élections ne soit pas explicitement énoncé dans le code électoral, le processus pour visant à retenir ou à rejeter des candidats par ailleurs admissibles dont la candidature est présentée par la communauté est une pratique coutumière établie et respectée de la Première Nation de Muskrat Dam. Elle déclare que lorsque les mises en candidature sont reçues, les aînés sont consultés, par l’entremise de leur représentant au sein du comité des élections, et si les aînés sont préoccupés quant à l’aptitude d’un candidat éventuel, le comité des élections et la communauté écouteront. Elle donne trois exemples où des chefs et des membres du conseil ont été destitués en raison de graves préoccupations soulevées par la communauté.

[99]           Je suis d’avis que les éléments de preuve susmentionnés ne suffisent pas à établir l’existence d’une coutume qui avait un large consensus, permettant au comité des élections, par suite des conseils des aînés, d’interdire à un candidat de se présenter à une élection. Subsidiairement, même si une telle coutume avait été établie, je ne crois pas que la coutume était respectée dans la présente situation puisque les éléments de preuve n’établissent pas que les aînés ont joué un rôle important dans la décision d’exclure la candidature de Gordon Beardy.

[100]       À cet égard, je souligne que l’aîné Jake Beardy a déclaré qu’il ne pensait pas que Gordon Beardy devrait briguer un autre mandat parce qu’il avait démissionné beaucoup trop souvent, et que la coutume veut que le chef et les conseillers qui démissionnent ne soient pas être autorisés à briguer un nouveau mandat. Cependant, si Gordon Beardy avait démissionné deux ou trois fois précédemment et qu’avait été autorisé à se présenter à nouveau, cela n’appuie pas l’existence d’une coutume largement acceptée selon laquelle un chef ne peut pas se présenter à nouveau après avoir démissionné. En outre, dans son affidavit, Vernon Morris a déclaré que les aînés n’opposent pas habituellement leur veto aux candidats, mais formule une orientation de principe. C’est ce qu’il a confirmé au cours de son contre-interrogatoire au sujet de son affidavit et a déclaré qu’il n’avait jamais vu un comité des élections ou des aînés refuser un candidat admissible. Il a ensuite déclaré avoir été témoin de circonstances où une mise en candidature avait été annulée en raison d’une démission, mais c’était avant que le processus actuel ne soit lancé. Il a aussi indiqué qu’il n’avait jamais entendu quiconque dire que la candidature d’une personne devait être refusée. Il a seulement pu donner un exemple, datant de la fin des années 1990 :

[traduction]

[…] sans que j’aie visuellement confirmé ma propre participation à la direction, au processus de sélection des chefs et conseil, il est arrivé, il est arrivé plusieurs fois à mi-mandat que je sois moi-même écarté et qu’on me demande de ne plus tenir de cette fonction et pendant le processus électoral, on m’a informé que j’avais été mis en candidature pour me présenter de nouveau, mais on ne m’a jamais informé, on ne me l’a jamais demandé parce que je sais que ce processus existe.

[101]       À part cette description par Vernon Morris et son témoignage par affidavit indiquant que dans les années 1980, une discussion avait eu lieu entre un comité des élections et des aînés pour savoir s’il devrait être autorisé à briguer les suffrages en raison de son jeune âge, il n’existe aucun élément de preuve clair ni aucun autre élément de preuve indiquant que des candidats se sont vus interdire de se présenter parce qu’ils avaient démissionné de leur poste au sein du conseil. Dans l’ensemble des éléments de preuve provenant de membres expérimentés anciens et actuels de conseils et de comités des élections, personne n’a été en mesure de donner un exemple antérieur où un comité des élections ou des aînés ont déclaré inhabile un candidat présenté à cause d’une démission antérieure. Bien que Mary Ann Beardy ait donné des exemples où le chef ou des conseillers avaient été destitués en raison de préoccupations graves, comme nous le verrons ci-dessous, ce n’est pas la même chose que de déclarer une personne inhabile.

[102]       Le Code de 2005 sert à codifier la coutume de la bande et les processus à l’égard desquels, de par son adoption, il existe un large consensus. Ainsi, il est beaucoup plus qu’un simple document d’orientation, comme l’ont fait valoir certains dans les témoignages par affidavit déposés par les défendeurs. Pour ce qui est de l’admissibilité des membres de la bande qui veulent briguer les suffrages, le Code de 2005 indique que tout électeur admissible peut se présenter à une élection. Le Code de 2005 ne prévoit rien relativement à la déclaration d’inhabilité de candidats ayant été présentés. Par conséquent, pour montrer que la décision prise par le comité des élections d’interdire à Gordon Beardy de se porter candidat était valide, les défendeurs devaient démontrer qu’il existe un large consensus selon lequel la coutume veut que les aînés évaluent l’aptitude des candidats et, en fonction de leurs conseils, les candidats inaptes qui ont été mis en candidature à l’élection, ce qui comprendrait ceux qui avaient déjà démissionné de leurs postes au sein du conseil, sont alors déclarés inhabiles à un poste au sein du conseil par un comité des élections. À mon avis, l’absence d’éléments de preuve clairs indiquant que c’est ce qui a toujours eu lieu par le passé et que la majorité de la bande l’accepte est une indication qu’il ne s’agit pas d’une pratique coutumière.

[103]       Selon les défendeurs, le fait que les éléments de preuve soient limités relativement à une pratique antérieure visant à déclarer inhabiles des candidats présentés, en fonction de la recommandation d’un aîné, n’est pas important. Ils soutiennent que c’est parce que le rôle important des aînés, en tant que conseillers respectés de la bande, démontre une coutume générale dominante visant à obtenir leurs conseils, ce qui engloberait l’inhabilité de candidats présentés par un comité des élections. Toutefois, je ne puis être d’accord. À mon avis, la pratique relative à une question ou à une situation donnée doit être établie pour démontrer une coutume acceptée.

[104]       En outre, et quoi qu’il en soit, bien que j’admette entièrement que les éléments de preuve démontrent que les aînés jouent un rôle consultatif important, ce qui peut comprendre des conseils au comité des élections et au conseil de bande sur des questions touchant la direction, il n’est pas évident que dans les présentes circonstances, la décision du comité des élections se fondait sur de tels conseils.

[105]       À cet égard, le procès-verbal de la réunion de mise en candidature du 11 septembre 2015 est limité. On peut lire :

[traduction]

Question : Ne devrait-on pas demander à ceux qui ont remis leur démission de ne pas se présenter?

-   Question du public (posée) par Lisa [Beardy] demandant que les gens lèvent la main

Le procès-verbal se poursuit et porte sur une question posée par Roy Fiddler pour savoir si les lettres de démission devraient être acceptées et le vote qui s’ensuit semble porter sur cette question. Rien dans le procès-verbal n’indique que l’on ait cherché à obtenir les conseils des aînés sur la question de l’exclusion de la mise en candidature de Gordon Beardy.

[106]       De plus, dans son affidavit, l’aîné Jake Beardy a indiqué qu’il occupait le poste désigné selon la coutume pour les aînés au sein du Comité des élections et il a déclaré ce qui suit : [traduction] « La volonté des membres de la bande était que Gordon Beardy ne se porte pas candidat en vue d’une réélection et il a appuyé la population dans cette décision ». Il n’a pas indiqué qu’il s’agissait d’une question soulevée ou décidée par les aînés. Dans son témoignage par affidavit d’Ernie Harper, il a indiqué que lors de l’assemblée de mise en candidature, il a déclaré avoir demandé aux aînés présents d’exercer leur droit inhérent de gouverner et d’offrir des conseils quant à la validité de la mise en candidature de Gordon Beardy. Ils ont exercé ce droit à main levée. Cependant, au cours de son contre-interrogatoire au sujet de son affidavit, il a déclaré que ce n’est pas lui qui avait posé la question, mais Lisa Beardy et qu’une orientation avait été formulée par les aînés et les membres de la bande.

[107]       Par conséquent, d’après les éléments de preuve, il semble probable que lors de l’assemblée de mise en candidature Lisa Beardy, membre du comité des élections, a soulevé la question et a demandé que l’on vote pour décider si Gordon Beardy ne devrait pas être autorisé à se présenter, et que les aînés présents de même que les autres membres de la communauté ont voté sur cette question.

[108]       Ainsi, plutôt que ce soit les aînés qui évaluent l’aptitude de Gordon Beardy à titre de candidat et qui conseillent le comité des élections, comme le veut la coutume proposée, les éléments de preuve indiquent que les aînés ont tout simplement voté avec les autres membres de la communauté sur la question générale de savoir si la candidature devrait être retenue. À cet égard, je soulignerais que si, comme le prétendent les défendeurs, il existait une coutume largement acceptée selon laquelle les aînés pouvaient évaluer et d’interdire à un candidat de se présenter à une élection, alors il s’agirait d’une décision des aînés qui, selon les défendeurs, serait acceptée par le comité des élections et les membres de la bande comme régissant l’affaire. Toutefois, si tel était le cas, il n’aurait pas été nécessaire de procéder à un vote général lors de l’assemblée de mise en candidature.

[109]       À mon avis, il importe de souligner que la décision de voter sur cette question a été prise à la fin de l’assemblée de mise à candidature, vers 21 h, alors qu’il restait seulement quatorze personnes sur place. Et bien que douze de ces quatorze personnes présentes aient voté pour ne pas déclarer Gordon Beardy inhabile, 32 personnes l’ont désigné et, au total, environ 108 mises en candidature ont été faites à la fois en personne et au téléphone. Aucune des personnes qui étaient présentes ou qui ont appelé pour désigner des candidats n’a été informée que l’acceptation de la candidature de Gordon Beardy, ou de n’importe quelle candidature, devait faire l’objet d’un vote plus tard ce soir-là. Si elles avaient su, elles seraient peut-être restées jusqu’à la fin de l’assemblée pour voter. De même, si la communauté avait reçu un avis de vote pour décider si les mises en candidature des démissionnaires devaient être exclues ou non, peut-être qu’un groupe plus important et représentatif aurait assisté à l’assemblée et voté. De fait, je ne suis pas en mesure de conclure que les votes de 12 personnes sur 14 sont représentatifs d’un large consensus de la communauté.

[110]       Bref, le processus défini dans les éléments de preuve n’est pas conforme à une coutume fermement établie, généralisée ayant été suivie de manière uniforme et délibérée par une majorité de la communauté, démontrant ainsi un large consensus.

[111]       Les défendeurs renvoient à la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Samson et j’estime que c’est pertinent en ce sens que cela confirme que l’on peut s’appuyer sur la coutume pour combler des lacunes dans une loi électorale codifiée. Comme l’a déclaré le juge Nadon :

[39]      Je suis donc convaincu que les seules coutumes et traditions qui régissaient l’élection du conseil de bande le 19 mai 2005 sont celles qui sont énoncées dans la Loi électorale. Les coutumes et traditions qui pourraient prendre naissance par la suite et qui pourraient différer de celles dont parle la Loi électorale sont à mon avis hors de propos, à moins que la Loi électorale ne soit modifiée conformément à son article 109. Cependant, les pratiques et coutumes électorales courantes peuvent servir à dissiper les ambiguïtés ou à combler les lacunes de la Loi électorale.

[112]       Cependant, comme il est indiqué plus haut, en l’espèce je ne peux pas conclure qu’une coutume jouissant d’un large consensus en vertu de laquelle les aînés peuvent opposer un veto à un candidat présenté pour un poste au sein du conseil de la bande a été établie. Par conséquent, dans les présentes circonstances, cette coutume ne peut pas être invoquée pour combler les lacunes du Code de 2005. L’arrêt Samson peut aussi se distinguer, car dans ce cas-là, la surveillante électorale avait exercé son pouvoir discrétionnaire conformément aux dispositions de la loi électorale applicable. Par conséquent, la Cour d’appel a maintenu la décision du juge de première instance selon laquelle le comité d’appel avait commis une erreur en ordonnant une nouvelle élection. Ainsi, dans cette plainte, la question en litige était l’interprétation de la loi électorale, ce qui n’est pas le cas en l’espèce, alors que le Code de 2005 ne prévoit rien relativement à l’inhabilité de candidats ayant été présentés. Ici, la question en litige est de savoir s’il y a une coutume que l’on peut invoquer pour combler les lacunes du Code.

[113]       L’arrêt Joseph est peut-être plus pertinent. Dans cet arrêt, compte tenu de la nature et du contenu des témoignages par affidavits, la Cour a conclu qu’il n’y avait pas de large consensus sur la question de savoir si la révocation faisait partie de la coutume de la bande. Les défendeurs ont soutenu que l’actuel code électoral ne « règle pas la question » en ce qui regarde la révocation. Par conséquent, les pratiques coutumières de la bande ont pu permettre la mise en place d’un régime de révocation ne figurant pas au code électoral coutumier. Le juge Phalen a déclaré ceci :

[43]      Les défendeurs ont raison lorsqu’ils affirment que les dispositions actuelles sur la révocation (défaut d’assister aux assemblées et condamnation pour un acte criminel) ne [traduction] « règlent pas la question » de la perte d’une charge élective. La disposition sur la révocation est peu détaillée. Elle ne vise pas les autres formes de déchéance que l’on trouve souvent dans les codes électoraux. En outre, la preuve n’indique pas que la bande a pris ces autres formes en considération et qu’elle les a écartées. En conséquence, la Cour conclut que la bande n’avait pas l’intention de [traduction] « régler la question » de la révocation.

[44]      Or, même si la disposition sur la révocation est limitée, la Cour ne peut pas retenir l’argument des défendeurs selon lequel une coutume moderne peut apparaître et modifier cette disposition du code électoral. Un tel argument va à l’encontre de la notion de « coutume » et des dispositions du code électoral sur les modifications.

[45]      La disposition du code électoral sur les modifications est détaillée. C’est elle qui reflète le mieux la volonté de la bande quant à la mise en œuvre des modifications apportées au processus électoral.

[46]      La preuve de l’existence passée d’une coutume relative à la révocation est insuffisante. L’est également la preuve de l’existence d’un vaste consensus concernant le fait qu’une telle coutume s’est développée, comme les défendeurs l’ont laissé entendre.

[114]       À mon avis, même si en l’espèce le témoignage par affidavit n’est pas aussi explicite qu’elle semble l’avoir été dans l’arrêt Joseph, elle est quand même semblable sur le plan des circonstances et du résultat. Ainsi, comme pour dans cet arrêt, les éléments de preuve ne suffisent pas en l’espèce pour conclure qu’il existe une coutume concernant l’inhabilité de candidats mis en candidature lors d’une élection se fondant sur une évaluation de l’aptitude par les aînés et ils ne suffisent pas non plus pour conclure qu’il existe un large consensus selon lequel une telle coutume s’est développée.

[115]       Les défendeurs renvoient aussi à l’arrêt Simon. Dans ce cas, la candidature de la demanderesse à l’élection du conseil a été approuvée. Avant que sa candidature ne soit retenue, le superviseur des élections l’a avisée de plaintes reçues concernant son lieu de résidence, et son nom n’a pas été inscrit sur la liste des candidats à l’élection. La demanderesse a soutenu que le superviseur des élections n’avait pas le pouvoir de rayer son nom de la liste. La loi électorale applicable ne prévoyait aucune procédure pour le retrait d’un candidat. Confrontée à des interprétations contradictoires d’autres dispositions de la loi électorale, la Cour a retenu l’observation du superviseur des élections. Plus précisément, le fait qu’une disposition qui reconnaissait au président d’élection le pouvoir de veiller à l’entière administration et au processus de l’élection; l’interprétation téléologique de la loi électorale visant à limiter les candidatures aux personnes qui satisfaisaient aux exigences en matière de résidence et une disposition qui permettait de déclarer inhabile un chef ou un membre du conseil, ont tous conféré le pouvoir nécessaire. La Cour a conclu que ce point de vue se conformait le plus à l’objet de la loi électorale dont les rédacteurs n’ont certainement pas voulu permettre à une personne qui ne satisfait pas aux conditions fixées par la loi de se porter candidate à une élection. De plus, le fait que l’interprétation proposée par la demanderesse aurait signifié qu’une autre élection aurait probablement dû avoir lieu étant donné que l’élection à laquelle elle se présentait serait contestée en raison de son inéligibilité.

[116]       Je soulignerais que dans ce cas, l’inéligibilité se rapportait à une disposition précise de la loi électorale, relativement aux exigences en matière de résidence, et ne constituait pas une inéligibilité fondée sur une revendication liée à la coutume.

[117]       Au cours de l’audience tenue devant moi, s’appuyant sur l’arrêt Simon, les défendeurs ont cherché à faire l’analogie entre l’inhabilité d’un candidat et les dispositions du Code de 2005 traitant de la destitution de dirigeants en exercice. Les défendeurs ont soutenu que si un chef ou un conseiller éventuel essayait de se présenter à une élection et avait un casier judiciaire connu ou souffrait d’une incapacité mentale connue, le comité des élections devrait alors pouvoir déclarer ce candidat inhabile avant l’élection afin d’éviter la perte de temps et de ressources liées à l’élection d’un candidat et à la nécessité de le destituer. Cependant, je suis d’avis que cette position se fonde sur les dispositions du Code de 2005 qui traite précisément de la destitution dans ces circonstances. Contrairement à la situation qui nous occupe, ces circonstances ne nécessiteraient pas le recours à la coutume compte tenu de l’absence totale d’une disposition visant à déclarer un candidat inhabile en raison de démissions antérieures. Autrement dit, en interprétant le Code de 2005, il est évident que son objectif est d’empêcher les personnes déclarées coupables d’actes criminels ou souffrant d’incapacité mentale d’occuper une charge et, par extension, de briguer les suffrages. Une telle méthode d’interprétation n’est pas possible en l’espèce.

[118]       En conclusion, je suis d’avis que les éléments de preuve n’ont pas démontré que ce type de prise de décision était fermement établi, généralisé, et suivi de manière uniforme et délibérée par une majorité de la communauté, démontrant ainsi un large consensus. Pour ce motif, je conclus que la décision du comité des élections d’interdire à Gordon Beardy de se présenter n’était pas raisonnable et, pour les motifs énoncés ci-dessous, elle violait également son droit en matière d’équité procédurale.

[119]       En ce qui concerne la pétition non datée présentée par les défendeurs, elle prétend contenir la signature de 109 membres de la Première Nation de Muskrat Dam et indique qu’ils appuient l’élection du 15 septembre 2015. À mon avis, c’est sans rapport avec les actes et décisions visés par le contrôle. La pétition n’avait pas été présentée au comité des élections lorsqu’il a décidé de ne pas refuser la mise en candidature de Gordon Beardy. Il est bien établi que selon le principe général applicable aux demandes de contrôle judiciaire, sous réserve de certaines exceptions, le dossier de la preuve qui est soumis à la Cour se limite au dossier de la preuve dont disposait le décideur administratif dont la décision fait l’objet du contrôle (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency, 2012 CAF 22, aux paragraphes 19 et 20; Sagkeeng). Par conséquent, la pétition n’est pas pertinente. Elle ne peut pas non plus être utilisée pour entériner les résultats du 15 septembre 2015.

Quatrième question en litige : Y a-t-il eu un manquement à l’équité procédurale qui aurait eu une incidence sur les résultats de l’élection?

Thèse des demandeurs

[120]       Les demandeurs soutiennent que le comité des élections avait un devoir d’équité procédurale envers Gordon Beardy. Ses droits de vote établis, ses privilèges en tant que chef et sa capacité de briguer les suffrages ont été restreints par les actes du comité des élections. Ce devoir a été reconnu par la Cour dans la décision Shotclose (aux paragraphes 92 et 93) où la Cour a conclu que les membres de la bande avaient raison de s’attendre à ce que tout changement à leurs pratiques électorales soit subordonné à un préavis équitable, à la possibilité de se faire entendre et à celle de voter au sujet des changements. Gordon Beardy n’a pas eu droit à un avis indiquant que sa candidature serait exclue en raison de sa démission. Il avait démissionné par le passé et avait par la suite été autorisé à se présenter à l’élection partielle déclenchée par sa propre démission. Cependant, dans le processus électoral de 2015, on ne lui a donné aucune possibilité réelle d’être entendu et de présenter sa cause. Il s’attendait raisonnablement à pouvoir faire de même après cette démission. Et parce que son nom n’a pas été inscrit sur le bulletin de vote, il n’est pas possible d’établir que le déroulement de l’élection n’a pas eu de répercussions importantes sur son résultat.

[121]       Joy Barkman ou Francine McKenzie n’ont eu droit à aucune équité procédurale. Les deux ont officiellement interjeté appel des résultats de l’élection. Les codes comportent des dispositions relatives aux appels assorties d’échéanciers et elles s’attendaient légitimement à ce que leurs appels soient entendus, à tout le moins.

[122]       Pour ce qui est des irrégularités procédurales soulevées tout au long de la demande, les demandeurs soutiennent que le fardeau de la preuve incombe aux défendeurs qui doivent démontrer que l’élection s’est déroulée de façon légale, après que les demandeurs ont présenté suffisamment d’éléments de preuve pour indiquer que les irrégularités alléguées sont graves au point de jeter un doute sur les résultats de l’élection. Dans Laboucan c. Loonskin, 2008 CF 193, la Cour a conclu que ce déplacement du fardeau existe dans le contexte de dispositions précises du droit électoral local; cependant, le raisonnement demeure : « Il apparaît donc logique d’imposer ce fardeau au défendeur […] puisqu’il s’agit de l’entité chargée d’organiser les élections et de s’assurer que les exigences légales ont été satisfaites ».

Thèse des défendeurs

[123]       Les défendeurs soutiennent que, dans le contexte de l’élection d’une bande conduite selon la coutume, le contenu de l’obligation d’équité doit prendre en compte et respecter la coutume pertinente de la bande concernée. Parmi les autres facteurs contextuels non exhaustifs, mentionnons : i) la mesure dans laquelle la décision/le processus administratif se rapproche du processus judiciaire; ii) la nature du régime législatif; iii) l’importance de la décision; iv) les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision et v) le choix de procédure que les décideurs font eux-mêmes (Samson, aux paragraphes 20 et 21; Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 1999 CarswellNat 1124 (CSC), aux paragraphes 21 à 28).

[124]       En l’espèce, Gordon Beardy avait droit à l’équité procédurale la plus fondamentale pour les raisons suivantes : le processus du comité des élections n’était pas semblable au processus judiciaire, il a dû choisir une solution qui favorisait l’objectif énoncé de la Première Nation de Muskrat Dam, et non choisir parmi des solutions de rechange; le Code prévoyait une procédure d’appel dont Gordon Beardy n’a pas tenu compte; pour ce qui est de l’importance de la décision, Gordon Beardy avait démissionné et compte tenu de la coutume établie de la Première Nation de Muskrat Dam, il avait conscience, ou aurait dû avoir eu conscience, de la conséquence potentielle de ne pas être autorisé à briguer un nouveau mandat après sa démission; et les procédures choisies par le comité des élections consistaient à combler les lacunes du Code de 2005 par la coutume de la bande. Le comité des élections possède une expertise dans ce domaine et la capacité de choisir ses propres procédures pour atteindre les objectifs de la Première Nation de Muskrat Dam, ce qui est confirmé par le Code de 2005.

[125]       Gordon Beardy avait droit à un préavis, à une possibilité de présenter des observations et à un procès objectif. Les défendeurs soutiennent qu’ils se sont acquittés de leur devoir d’équité procédurale envers Gordon Beardy. Il a bien reçu un avis de la part de Charlie L. Morris selon lequel les membres de la bande voulaient un nouveau chef et un nouveau conseil. Il aurait dû être conscient des conséquences logiques de sa démission, étant donné qu’il s’agissait d’une pratique bien connue et d’une coutume établie de la Première Nation de Muskrat Dam. Il a eu deux occasions de rencontrer le comité des élections, mais a refusé les deux fois, disant qu’il était trop occupé. Cependant, il a présenté des observations au comité des élections le 8 septembre 2015. Par conséquent, avant la décision d’exclure sa candidature, le comité des élections disposait de tous les éléments de preuve pertinents de Gordon Beardy et il n’y avait rien d’autre à prendre en considération.

Analyse

[126]       Il est bien établi en droit que la coutume ne peut ignorer ou outrepasser les principes de justice naturelle ou d’équité procédurale (Felix c. Sturgeon Lake First Nation, 2014 CF 911, au paragraphe 76). Dans Sparvier, le juge Rothstein a fait observer ce qui suit au paragraphe 47 :

47        Bien que j’accepte l’importance d’un processus autonome pour l’élection des gouvernements de bandes, j’estime que des normes minimales de justice naturelle ou d’équité procédurale doivent être respectées. Je reconnais pleinement que les tribunaux doivent éviter de s’immiscer dans le mouvement politique des peuples autochtones en vue d’acquérir plus d’autonomie. Cependant, les membres des bandes sont des individus qui, à mon sens, ont le droit à ce que les tribunaux suivent une procédure équitable dans les instances qui les concernent. Dans la mesure où cette Cour a compétence, les principes de la justice naturelle et de l’équité procédurale doivent être appliqués.

[127]       Comme l’a indiqué la juge Dawson (tel était alors son titre) dans la décision Giroux c. Première Nation de Swan River, 2006 CF 285 :

[32]      Le contenu de l’obligation d’équité n’est pas constant ou absolu, mais varie d’une situation à l’autre et doit être décidé en fonction des circonstances de chaque cas. Il faut tenir compte de l’ensemble des circonstances pour établir ce qu’exige l’obligation d’équité procédurale dans un cas donné. Comme l’ont fait observer les juges majoritaires de la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, au paragraphe 22, les droits de participation faisant partie de l’obligation d’équité procédurale visent à garantir que les décisions administratives sont prises au moyen d’une procédure équitable et ouverte, adaptée au type de décision, de sorte que les personnes visées par la décision puissent présenter leur point de vue complètement ainsi que des éléments de preuve afin qu’ils soient considérés par le décideur.

[33]      Pour établir ce qu’impose l’obligation équité, plusieurs facteurs doivent être pris en considération, notamment les suivants :

a) la nature de la décision recherchée et le processus suivi pour y parvenir;

b) la nature du régime législatif et les termes de la loi en vertu de laquelle agit le décideur;

c) l’importance de la décision pour les personnes visées;

d) les attentes légitimes de la personne qui conteste la décision;

e) les choix de procédure que le décideur fait lui-même.

Voir : l’arrêt Baker, précité, aux paragraphes 23 à 27.

[128]       La notion d’équité procédurale est éminemment variable et son contenu est tributaire du contexte particulier de chaque cas. Ce contexte peut et doit englober le respect des cours de justice envers la coutume considérée (Samson, au paragraphe 20). Dans l’arrêt Samson, à l’égard de l’une des deux plaintes, le juge de première instance a conclu que le demandeur, à qui on avait interdit de briguer un poste de conseiller, n’avait pas eu l’occasion de se faire entendre.

[129]       En appel, la Cour d’appel fédérale a appliqué les facteurs de l’arrêt Baker et conclu :

[22]      Appliquant les facteurs de l’arrêt Baker, je suis d’avis que le juge de première instance n’a pas commis d’erreur quand il a dit que l’obligation d’équité exigeait à tout le moins de la Commission qu’elle donne à M. Northwest l’occasion de présenter des arguments. La Commission devrait avoir une latitude étendue de choisir ses propres procédures; cependant, vu l’importance de la décision pour M. Northwest, des garanties procédurales de base doivent exister. Cela ne veut pas dire qu’une audience en règle était requise, mais simplement que M. Northwest aurait dû avoir la possibilité de répondre à la plainte de Soosay, avant que la Commission décide qu’il ne pouvait pas être élu au conseil en vertu de l’article 4 de la Loi électorale. En ne laissant pas M. Northwest répondre à la plainte de Soosay, la Commission a rendu sa décision sur la foi d’un dossier factuel incomplet. Selon moi, le juge a eu raison de dire que cela constituait une erreur sujette à révision.

[130]       La Cour d’appel fédérale a ajouté que le juge avait commis une erreur en décidant de trancher la question de l’aptitude et aurait dû tout simplement annuler la décision de la commission et renvoyer l’affaire aux fins de nouvel examen.

[131]       À mon avis, le fait que Gordon Beardy disposait d’un processus d’appel aux termes du Code de 2005 dont il a refusé de se prévaloir constitue un facteur important qui milite contre son allégation selon laquelle il a été privé d’équité procédurale. Cependant, tel qu’il est indiqué précédemment, le comité des élections a tout simplement négligé de régler les appels qui avaient été déposés; par conséquent, il n’y a pas lieu de penser qu’ils auraient été réglés différemment par un appel fondé ou non de Gordon Beardy.

[132]       Bien qu’il soit vrai que Gordon Beardy a démissionné de son poste, les éléments de preuve démontrent de façon incontestable que ce n’est pas la première fois qu’il agissait ainsi. Il est admis de manière générale qu’il avait déjà remis sa démission à deux reprises sans que cela porte à conséquence. Autrement dit, soit il a été autorisé à annuler sa démission et à reprendre son poste, soit il a été autorisé à se présenter à l’élection partielle déclenchée par sa propre démission. Ainsi, la position avancée par les défendeurs selon laquelle Gordon Beardy savait ou aurait dû savoir qu’il ne serait pas autorisé à se présenter à l’élection suivante s’il démissionnait n’est pas étayée par les éléments de preuve. En effet, selon toute vraisemblance, Gordon Beardy s’attendait légitimement à pouvoir se présenter de nouveau à l’élection à venir. Et bien que les défendeurs soutiennent que ce sont les aînés qui ont décidé que la candidature de Gordon Beardy devait être exclue et que le point de vue des aînés doit être respecté, rien dans le dossier n’indique clairement que les aînés avaient déjà interdit à un candidat désigné de se présenter à une élection pour quelque raison que ce soit. Par conséquent, je ne suis pas d’accord avec l’affirmation du défendeur selon laquelle Gordon Beardy aurait dû prévoir qu’il ne pourrait pas se présenter à cette élection.

[133]       En outre, bien qu’il ait reçu un avis par courrier électronique de la part Charlie Morris le 14 août 2015 qui indiquait qu’un référendum serait tenu, cela n’équivaut pas à un avis indiquant que s’il remettait sa démission, il se verrait potentiellement refuser l’occasion de briguer les suffrages lors de l’élection. D’autant plus qu’il n’a pas été empêché de le faire par le passé.

[134]       Pour ce qui est de l’observation des défendeurs selon laquelle les observations de Gordon Beardy devant le comité des élections le 8 septembre 2015 éliminaient le devoir d’équité procédurale, à mon avis cette allégation ne peut pas être accueillie. Il ne s’agissait pas d’une réunion planifiée, convoquée pour pouvoir faire des observations sur la question de savoir si une mise en candidature de Gordon Beardy pour se présenter à l’élection serait autorisée. Au contraire, il s’agissait davantage d’une confrontation entre Gordon Beardy et les membres du comité des élections au moment où ils quittaient la station radio et où il a exprimé son désaccord au sujet du référendum prévu. En outre, le dossier indique que ce n’est pas avant 21 h le soir du 11 septembre 2015, lors de l’assemblée de mise en candidature, que la question de savoir si sa mise en candidature serait inscrite ou non sur le bulletin de vote en raison de sa démission a été soulevée. Par conséquent, il ne pouvait pas savoir ce qu’on lui reprochait lorsqu’il s’est exprimé devant le comité des élections le 8 septembre 2015 et n’était pas en mesure de présenter des observations à cet égard.

[135]       En outre, même si quelques éléments de preuve indiquent que le comité des élections avait l’intention de rencontrer le conseil de bande et le chef d’alors, et a demandé à ce que soit tenue une réunion le 7 septembre 2015 à laquelle le chef et les conseillers n’ont pas assisté, encore une fois, cela précède l’assemblée de mise en candidature du 11 septembre 2015 et ne constitue pas un avis qui indique que les conseillers qui ont démissionné, mais qui pourraient par la suite être mis en candidature pour un autre mandat, pourraient voir leur mise en candidature exclue.

[136]       De plus, aucun avis n’a été remis à Gordon Beardy, ou à un autre membre de la Première Nation de Muskrat Dam, pour indiquer que cette question serait tranchée lors de l’assemblée de mise en candidature du 11 septembre 2015. Selon l’affidavit de Gordon Beardy, il n’avait aucunement connaissance de l’intention du comité des élections de lui interdire de se porter candidat jusqu’à ce que l’avis public de la décision et l’affidavit de John Morris confirment que Gordon Beardy n’était pas à l’assemblée de mise en candidature.

[137]       Par conséquent, même si le contenu du devoir d’équité est, comme le soutiennent les défendeurs, limité à un avis et à la présentation d’observations, on ne s’est pas acquitté de ce devoir. Lors de l’audience, j’ai demandé à l’avocat des défendeurs si Gordon Beardy avait reçu un avis qui indiquait que le comité des élections envisageait de le déclarer inhabile ou s’il avait eu la possibilité de se faire entendre sur la question. Les défendeurs n’ont pas été en mesure de mentionner un seul élément de preuve au dossier pour le démontrer. Cependant, il a été souligné que parce qu’il avait refusé de rencontrer le comité des élections lors d’une occasion précédente, il avait perdu ses droits procéduraux. À mon avis, sans avis pour indiquer que ce droit en vertu du Code de 2005 de briguer les suffrages à l’élection était compromis, il ne pouvait pas savoir que le fait de ne pas s’être présenté devant le comité des élections pouvait donner ce résultat et il n’a pas abandonné ses droits procéduraux à cet égard.

[138]       Je conclus qu’en l’espèce il y a eu manquement au devoir d’équité. En effet, Gordon Beardy ne savait pas que sa mise en candidature était compromise, il n’a reçu aucun avis à cet effet ni à l’égard du fait que l’on demanderait aux personnes encore présentes à la fin de l’assemblée de mise en candidature de voter sur cette question. La décision a une incidence importance sur son emploi et pour la bande dans son ensemble du fait du retrait de sa candidature à l’élection, en dépit d’avoir bénéficié de 32 mises en candidature. Cela montre que dans la communauté de la Première Nation de Muskrat Dam, le nombre de membres de la bande voulant qu’il se présente à l’élection était supérieur au nombre de ceux qui ont voté pour qu’il soit déclaré inhabile. Étant donné ses démissions antérieures sans conséquence, il n’avait aucune raison de penser que cette démission serait traitée différemment. Même s’il n’en demeure pas moins qu’il n’a pas exercé son droit d’appel, étant donné que les appels qui avaient été déposés n’ont pas été pris en considération, tout bien considéré, je conclus qu’il y a eu manquement au devoir.

[139]       J’estime, tout comme les demandeurs, que parce que le nom de Gordon Beardy n’a pas été inscrit sur le bulletin de vote pour le poste de chef, on ne peut pas établir que le manquement en matière d’équité procédurale n’a pas influé de façon importante sur le résultat de l’élection. À elle seule cette situation suffit à annuler les résultats de l’élection.

[140]       Il y a d’autres préoccupations liées à l’équité procédurale. L’une d’elles est que lors de la réunion communautaire du 14 août 2015, 26 des 30 personnes présentes ont voté pour tenir un référendum portant sur les dirigeants le 17 août 2015. Un comité des élections a été mis sur pied lors de cette assemblée. Il n’y a aucune mention dans le Code de 2005 relativement à la mise sur pied d’un comité des élections et son rôle énoncé est défini comme étant de régler les appels en matière d’élection. Cependant, en ce qui concerne la destitution de dirigeants en exercice, le Code de 2005 indique que lorsque le tiers des électeurs admissibles a signé une pétition pour la tenue d’un référendum, alors le comité des élections en tiendra un et doit solliciter tous les électeurs admissibles. Si 50 % plus un des électeurs demandent une élection pour n’importe quel poste de conseiller, une élection serait alors tenue pour ce poste.

[141]       Par conséquent, il semblerait qu’un comité des élections pouvait être mis sur pied dans ces circonstances. En l’espèce, toutefois, il n’y avait aucune pétition au moment où le comité a été créé et, par conséquent, le pouvoir de former un comité des élections lors d’une assemblée communautaire n’est pas établi.

[142]       La réunion du 14 août 2015 et son suivi ont incité les démissions de Gordon Beardy, Doug Beardy et Morris Fiddler. Gordon Beardy a remis sa démission par courriel le 14 août 2015. La démission de Morris Fiddler a été remise par écrit le 17 août 2015 et indiquait entrer en vigueur immédiatement. Doug Beardy a remis une lettre de démission le 24 août 2015; cependant, il a indiqué qu’il resterait au poste de chef adjoint jusqu’à la veille de la tenue de l’élection partielle pour les postes au conseil de bande. Il a confirmé le 31 août 2015 qu’il ne briguerait pas un autre mandat. Par conséquent, étant donné qu’un quorum de trois conseillers était encore en exercice, il aurait été possible pour ces membres élus de demander un référendum s’il avait été manifeste que 50 % plus un des électeurs recommandaient la tenue d’une élection.

[143]       Quant à la validité des démissions, étant donné que ni Doug Beardy ni Morris Fiddler n’ont cherché à être réélus et qu’ils ne sont pas des demandeurs en l’espèce, il n’est pas nécessaire d’examiner la validité de leurs démissions. Dans son affidavit, Gordon Beardy a indiqué qu’en août 2015, sa fille, Daven Linklater, subissait une opération au cerveau et qu’au moment de l’assemblée du 14 août 2015, le pronostic était qu’elle serait peut-être plongée dans un coma. Par conséquent, il traversait une période de stress et d’anxiété considérables et sa réponse au courriel qui l’informait de l’assemblée était [traduction] « fallacieuse » et qu’il n’avait pas eu l’intention de démissionner. Cependant, au cours de son contre-interrogatoire, il a confirmé que le 8 août 2015 sa belle-fille avait pu quitter l’hôpital pour la journée et qu’elle avait assisté à un mariage. En outre, il n’existe aucun élément de preuve selon lequel il aurait tenté par la suite de révoquer sa démission. Le 1er septembre 2015, Gordon Beardy et trois conseillers ont adopté la résolution RCB150901A dans laquelle ils déclaraient ne pas appuyer le processus référendaire, ne pas souhaiter remettre leur démission à ce moment-là et être déterminés à terminer leur mandat qui, selon eux, prenait fin en juillet 2016. Cependant, à cette date Gordon Beardy et Morris Fiddler avaient déjà démissionné. Quoi qu’il en soit, comme le Code de 2012 n’était pas en vigueur, une résolution de poursuivre le mandat jusqu’en 2016 ne pouvait pas être valide, et les démissions étaient sans portée pratique puisque le mandat avait expiré.

[144]       Le comité des élections a répondu à la résolution RCB150901A par l’intermédiaire d’une note le 2 septembre 2015. Elle indiquait que ni le comité ni les membres de la Première Nation de Muskrat Dam n’avaient été consultés en ce qui concerne la RCB; une partie du Code de 2012 y était citée et on y indiquait que le comité des élections avait adopté le procès-verbal de l’assemblée du 14 août 2015 à titre de pétition. En outre, étant donné la gravité des questions soulevées, le comité des élections a décidé qu’il était nécessaire de tenir un référendum à l’égard de tous les postes du conseil.

[145]       Cependant, tel qu’il est indiqué précédemment, le Code de 2012 n’était pas en vigueur. De plus, la citation du Code indique que les membres élus aux postes de chef et de conseillers peuvent [traduction] « demander la tenue d’un référendum à l’égard de leur poste, puis un référendum communautaire concernant le chef et les membres du conseil en exercice ». Il n’y a donc aucune référence à une pétition et il n’est pas précisé dans quelle circonstance un référendum communautaire serait tenu. Le 18 juillet 2012, la version du Code de 2012, qui semble être sous forme d’ébauche, et qui était en pièce jointe à l’affidavit de M. Carfagnini, à la section 5.6, présente le même libellé que la version du Code de 2005 permettant la tenue d’un référendum lorsque le tiers des électeurs admissibles a signé une pétition.

[146]       Il est très clair d’après le procès-verbal du comité des élections qu’il ne faisait aucun doute dans l’esprit des membres de la bande qu’ils connaissaient la portée de leurs pouvoirs et qu’ils avaient le pouvoir de demander un référendum sans RCB. C’est ce qui explique probablement qu’ils ont voulu traiter le vote tenu lors de l’assemblée du 14 août 2015 comme une pétition. Cependant, j’estime que ce n’était pas le cas. La définition d’électeurs admissibles se trouve dans le Code de 2005. Il s’agit de tous les membres inscrits de la bande, qu’ils résident dans la réserve ou non, âgés d’au moins 18 ans. Par conséquent, une pétition visant la tenue d’un référendum nécessitait le tiers de tous les électeurs admissibles, et non pas le tiers des électeurs présents à une assemblée communautaire générale, plus particulièrement lorsque l’avis relatif à cette assemblée en définissait l’objet comme étant de [traduction] « commencer à examiner les préoccupations concernant la direction de notre bande » et ne faisait nulle mention de décider si un référendum devait être tenu à l’égard des dirigeants.

[147]       Cela étant dit, dès lors que le chef et deux conseillers ont démissionné, une élection était nécessaire. Par conséquent, les enjeux procéduraux concernant la tenue d’un référendum visant la tenue d’une élection sont purement théoriques et la mise sur pied d’un comité des élections a probablement été rendue nécessaire par cet événement.

[148]       Le déroulement de l’assemblée de mise en candidature constitue une plus grande source de préoccupations. Comme je l’ai déjà indiqué, bien qu’il y ait eu un avis concernant l’assemblée de mise en candidature du 11 septembre 2015, cet avis n’indiquait pas qu’un vote sur l’habilité des candidats qui avaient démissionné par le passé aurait lieu. Aucun élément de preuve dans le procès-verbal de l’assemblée n’indique que les personnes qui ont assisté à l’assemblée de mise en candidature savaient qu’il y aurait un vote sur cette question à la fin de l’assemblée. Ni les 14 personnes qui ont assisté à cette réunion, ni les 12 personnes qui ont voté contre la candidature de Gordon Beardy à l’élection ne sont représentatives de la majorité de la communauté. Par conséquent, ce processus a manqué d’équité procédurale.

[149]       Je crois que la citation fréquente du juge Rothstein (tel était alors son titre) dans l’arrêt Long Lake Cree Nation, au paragraphe 31, est pertinente et s’applique également aux comités des élections :

[traduction]

31        À l’occasion, ces conflits peuvent devenir des conflits personnels entre des individus ou des groupes d’individus appartenant à des conseils. Toutefois, les conseils doivent fonctionner en conformité avec la primauté du droit, peu importe que ce soit une loi écrite, le droit coutumier, la Loi sur les Indiens ou d’autres règles de droit qui s’appliquent. Les membres du Conseil et les membres de la Bande ne peuvent créer leurs propres règles de droit. Autrement, l’anarchie régnerait. Le peuple donne aux membres du Conseil le pouvoir de prendre des décisions en son nom et les membres du Conseil doivent s’acquitter de leurs responsabilités en tenant compte du peuple qui l’a élu pour protéger et représenter ses intérêts. La règle fondamentale veut que les conseils de Bande fonctionnent en conformité avec la primauté du droit.

[150]       En conclusion, pour les motifs susmentionnés, j’estime que la décision du comité des élections d’interdire à Gordon Beardy de se présenter à l’élection malgré sa mise en candidature était à la fois inéquitable sur le plan procédural et déraisonnable.

Cinquième question en litige : Quels sont les recours appropriés?

[151]       C’est une situation tout à fait regrettable. La frustration ressentie par les membres du comité des élections découlant du fait qu’ils aient été à maintes reprises obligés de tenir une élection ou une élection partielle en raison de la démission d’un conseiller, uniquement pour constater que la même personne qui avait déclenché l’élection cherchait à se faire réélire ou à être mise en candidature pour le même poste est compréhensible. La tenue d’une élection entraîne des perturbations et des coûts importants pour la communauté, sans parler des élections inutiles. De plus, la façon d’agir ultérieure de Gordon Beardy, soit de ne pas avoir interjeté appel, mais ensuite, sans ordonnance de la Cour, d’avoir amené les institutions bancaires à geler les comptes bancaires de la Première Nation de Muskrat Dam, provoquant ainsi une crise financière et causant des difficultés aux divers membres de la communauté, ne peut pas être tolérée. Il a agi ainsi dans l’intention d’obliger la communauté à accéder à ses demandes relativement à la tenue d’une nouvelle élection à laquelle il serait autorisé de se présenter et n’avait rien à voir avec la protection des intérêts financiers de cette communauté.

[152]       Cependant, comme il a été précédemment mentionné, indépendamment de sa frustration, le comité des élections était tenu de faire preuve d’équité procédurale, ce qu’il n’a pas fait. Par conséquent, le résultat de cette élection était potentiellement très compromis. J’en suis donc arrivée à la conclusion que les résultats de l’élection du 15 septembre 2015 doivent être annulés.

[153]       Cependant, comme il est indiqué dans Ballantyne c. Nasikapow, [2000] FCJ no 1896, il ressort de la jurisprudence que la Cour peut élaborer une réparation adaptée aux circonstances de l’espèce (au paragraphe 79). Cet exercice d’un pouvoir discrétionnaire prévoit qu’une cour décidant du moment de l’entrée en vigueur de son ordonnance doit s’assurer, dans la mesure du possible, que l’entrée en vigueur de son ordonnance n’entraîne pas une perturbation inutile de l’administration de la bande (Sparvier, aux paragraphes 103 et 104).

[154]       D’autant plus qu’aux termes du Code de 2005, le mandat du chef et des conseillers antérieurs avait expiré en juillet 2015. Compte tenu également du fait que la Première Nation de Muskrat Dam a besoin de temps pour apporter les modifications nécessaires au Code de 2005, y compris, si on le juge souhaitable, le rôle des aînés au sein des comités des élections et l’inhabilité des personnes présentées comme candidates à une charge élective. La Première Nation de Muskrat Dam a aussi besoin de temps pour organiser la nouvelle élection. Par conséquent, j’ai conclu qu’il est approprié en l’espèce de surseoir à mon ordonnance annulant l’élection du 15 septembre 2015 pour une période de six mois à compter de la date de la présente décision. La nouvelle élection doit être supervisée par un comité des élections constitué de manière différente. Entre-temps, l’actuel chef et les actuels conseillers continueront de gérer les affaires de la Première Nation de Muskrat Dam normalement. Le chef ainsi que les conseillers actuels doivent être rémunérés pour les postes qu’ils occupent pour la période allant du 15 septembre 2015 jusqu’à la tenue de la nouvelle élection. En cas de démissions entre-temps, la rémunération liée au poste duquel on a démissionné cessera à compter de la date d’entrée en vigueur de la démission, qui ne doit pas dépasser une période de trente jours. Je resterai saisie de l’affaire jusqu’à ce que les résultats de la nouvelle élection soient connus et jusqu’à ce que tout appel en découlant ait été entendu.


JUGEMENT

LA COUR REND LE JUGEMENT SUIVANT :

1.      la demande de contrôle judiciaire est accueillie;

2.      une ordonnance de certiorari est accordée et la décision du comité des élections prise le 11 septembre 2015 de déclarer Gordon Beardy inhabile; l’élection tenue le 15 septembre 2015 et la résolution RCB150916A sont annulées;

3.      il est déclaré que le Code de 2005 reste en vigueur;

4.      mon ordonnance de certiorari est par la présente suspendue pendant six mois à compter de la date de la présente décision afin de permettre à la Première Nation de Muskrat Dam d’apporter des modifications au Code de 2005 concernant le rôle des aînés au sein des comités des élections et l’inhabilité de candidats présentés, de même que toute autre modification qui peut être jugée nécessaire, et que ces modifications soient mises en vigueur par la Première Nation de Muskrat Dam conformément aux exigences en matière de modifications du Code de 2005;

5.      une ordonnance de mandamus est accordée et la Première Nation de Muskrat Dam doit tenir une élection pour choisir un chef et des conseillers dans les six mois suivant la date de la présente décision. Le nouveau comité des élections créé à cette fin doit être constitué de membres de la bande autres que ceux qui, à quelque moment que ce soit, étaient membres du comité des élections liés à l’élection du 15 septembre 2015;

6.      le chef actuel et le conseil composé de Stan Beardy, de Roy Fiddler, de Charlie L. Beardy, de John L. Morris et d’Olivia Duncan doivent continuer d’exercer leurs fonctions et de gérer les affaires de la Première Nation de Muskrat Dam normalement. Le chef ainsi que les conseillers actuels doivent être rémunérés pour les postes qu’ils occupent pour la période allant du 15 septembre 2015 jusqu’à la tenue de la nouvelle élection. En cas de démissions entre-temps, la rémunération liée au poste duquel on a démissionné cessera à compter de la date d’entrée en vigueur de la démission, qui ne doit pas dépasser une période de trente jours à compter de la date de démission.

7.      Je resterai saisie de l’affaire jusqu’à ce que les résultats de la nouvelle élection soient connus et jusqu’à ce que tout appel en découlant ait été entendu.

8.      Quant aux dépens, à l’audience de la présente affaire il est constant que les observations relatives aux dépens, d’un commun accord dans la mesure du possible, soient faites après le prononcé de la présente décision. Cependant, en l’espèce et compte tenu de ma décision, j’ai conclu qu’il est approprié que chaque partie assume ses propres dépens.

« Cecily Y. Strickland »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1965-15

 

INTITULÉ :

GORDON BEARDY, FRANCINE MCKENZIE, JOY BARKMAN c. STAN BEARDY, ROY FIDDLER, CHARLIE L. BEARDY, JOHN L. MORRIS, OLIVIA DUNCAN, LISA BEARDY (ALIAS LIZA BEARDY), ERNIE HARPER, CLIFF FERRIS, JOB FIDDLER, KATHLEEN BEARDY, IRENE ROSS, ET MARY ANN BEARDY

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Les 15 et 16 mars 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DES MOTIFS :

Le 7 avril 2016

 

COMPARUTIONS :

Mike Maher

 

Pour les demandeurs

 

Susan Vella

Michael Wilchesky

 

Pour les défendeurs

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Buset & Partners LLP

Avocats

Thunder Bay (Ontario)

 

Pour les demandeurs

 

Rochon Genova LLP

Toronto (Ontario)

 

Pour les défendeurs

 

 

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