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Date : 20160407


Dossier : T-1392-14

Référence : 2016 CF 382

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 7 avril 2016

En présence de monsieur le juge Locke

ENTRE :

SHIRE CANADA INC.

demanderesse

et

APOTEX INC. ET LE MINISTRE DE LA SANTÉ

intimés

et

SHIRE LLC

défenderesse/brevetée

JUGEMENT ET MOTIFS :


Table des matières

I.             Vue d’ensemble. 3

II.           Brevet 090. 5

III.         Produit d’Apotex. 10

IV.         Sommaire des questions en litige et fardeau de la preuve. 11

A.         Questions en litige. 11

B.         Fardeau de la preuve. 14

V.           Les témoins. 16

A.         Aveuglement des témoins experts. 16

B.         Témoins experts de Shire. 19

(1)        Roland Bodmeier 19

(2)        James McGough. 20

(3)        James Polli 21

C.         Témoins factuels de Shire. 22

(1)        Beth Burnside. 22

(2)        Erin McIntomny. 22

D.         Témoins experts d’Apotex. 23

(1)        Mario González. 23

(2)        Ping Lee. 23

E.          Témoins factuels d’Apotex. 24

(1)        Duane Terrill 24

VI.         Interprétation des revendications. 25

A.         Loi applicable. 25

B.         Personne versée dans l’art 30

C.         Analyse. 31

(1)        Revendication 22. 31

(2)        Revendication 31. 35

(3)        Revendication 32. 57

(4)        Revendication 43. 59

(5)        Revendication 46. 60

VII.       Absence de contrefaçon. 60

A.         Loi applicable. 60

B.         Analyse. 61

(1)        Revendication 22. 63

(2)        Revendication 31. 64

(3)        Revendication 32. 67

(4)        Revendication 43. 68

(5)        Revendication 46. 68

C.         Conclusion sur la contrefaçon. 68

VIII.     Questions d’invalidité. 69

IX.         Allégations non pertinentes en vertu du Règlement 69

X.           Conclusion. 69

I.                   Vue d’ensemble

[1]               Il s’agit d’une demande de Shire Canada Inc. (Shire) en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93­133 [le « Règlement »], en vue d’obtenir une ordonnance interdisant au ministre de la Santé (le « ministre ») d’émettre un avis de conformité (AC) à l’intention d’Apotex Inc. (Apotex) pour ses capsules à libération prolongée de 5, 10, 15, 20, 25 et 30 mg de sels mixtes d’amphétamine (SMA) avant l’expiration du brevet canadien 2,348,090 (le « brevet 090 »).

[2]               Cette composition brevetée est utilisée dans le traitement du trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (TDAH).

[3]               Apotex a soumis une présentation abrégée de drogue nouvelle (PADN) auprès du ministre en vue d’obtenir un AC pour la vente de ses capsules, qui seraient commercialisées sous le nom APO­AMPHETAMINE MIXED SALTS XR (le « produit d’Apotex »). Puisque le brevet 090 est inscrit sur la liste relative au produit ADDERALL XR de Shire dans le registre des brevets tenu par le ministre en vertu des articles 3 et 4 du Règlement, Apotex devait tenir compte du brevet 090 en vertu de l’article 5 du Règlement avant de pouvoir obtenir un AC.

[4]               Dans une lettre envoyée à Shire en date du 24 avril 2014, Apotex a signifié un avis d’allégation (AA) selon lequel le brevet 090 est invalide, qu’il n’est pas enfreint par le produit d’Apotex et que certaines revendications du brevet 090 ne sont pas pertinentes en vertu du Règlement, ce qui fait qu’Apotex n’a pas en tenir compte.

[5]               Dans sa réponse à l’avis d’allégation d’Apotex, Shire a déposé la présente demande le 9 juin 2014, en soumettant un avis de demande soutenant que les allégations d’Apotex ne sont pas justifiées.

[6]               La portée des questions en litige relativement au brevet 090 a été depuis restreinte. Les revendications en cause ont été limitées à cinq, soit les revendications 22, 31, 32, 43 et 46. Apotex maintient ses allégations que (i) aucune de ces revendications ne sera enfreinte par son produit, (ii) dans l’éventualité où les revendications en cause seraient interprétées comme Shire l’entend, elles sont invalides pour des questions de portée excessive, d’ambiguïté, d’insuffisance et d’absence d’utilité, et (iii) aucune des revendications en cause n’est pertinente au sens du Règlement puisque le produit ADDERALL XR de Shire ne relève pas de la portée desdites revendications.

[7]               Pour les raisons qui suivent, j’ai conclu que les allégations d’absence de contrefaçon des revendications d’Apotex sont justifiées. Par conséquent, la présente demande est rejetée et l’ordonnance d’interdiction demandée n’est pas accordée. Puisque les allégations d’invalidité ne s’appliquent que si les revendications en cause sont interprétées de façon à englober le produit d’Apotex, il n’est pas nécessaire d’aborder ces allégations. Il n’est pas nécessaire non plus d’aborder l’allégation d’Apotex selon laquelle les revendications en cause ne sont pas pertinentes en vertu du Règlement.

II.                Brevet 090

[8]               La date de dépôt du brevet 090 est le 20 octobre 1999; il est fondé sur une demande prioritaire qui a été déposée en Allemagne le 21 octobre 1998. Il a été publié le 27 avril 2000 et vient à expiration le 20 octobre 2019. Il fait mention de huit inventeurs : Beth A. Burnside, Xiaodi Guo, Kimberly Fiske, Richard A. Couch, Donald J. Treacy, Rong­Kun Chang, Charlotte M. McGuinness et Edward M. Rudnic. Le propriétaire inscrit du brevet 090 est Shire LLC. La demanderesse dans la présente procédure, Shire, détient une licence d’exploitation du brevet 090.

[9]               Le brevet 090 est intitulé « Oral Pulsed Dose Drug Delivery System ». Il décrit et revendique un système pour le traitement du TDAH. Le TDAH est un trouble psychiatrique caractérisé par une tendance persistante à l’inattention ou aux comportements hyperactifs ou impulsifs qui ne s’inscrivent pas dans la gamme propre au niveau de développement de la personne. Ce trouble est courant chez les enfants et les adolescents (il touche entre 3 et 5 % des enfants d’âge scolaire), mais il peut également être observé chez certains adultes.

[10]           Avant le brevet 090, les traitements privilégiés du TDAH nécessitaient la prise de deux doses distinctes au cours de la journée, la première généralement à la maison, le matin, et l’autre à l’école, vers l’heure du midi. La prise de cette deuxième dose entraînait de nombreux inconvénients. Premièrement, le personnel de l’école était souvent responsable de conserver et d’administrer la deuxième dose, ce qui entraînait un fardeau administratif puisque les médicaments en question sont des stimulants faisant l’objet d’une réglementation plus sévère. Cela entraînait également un risque d’oubli de doses ainsi qu’une perte de confidentialité pouvant entraîner une stigmatisation. De plus, des préoccupations ont été soulevées quant au risque accru de détournement ou de mauvais usage de ces drogues réglementées.

[11]           En raison des problèmes associés à la deuxième dose quotidienne, des efforts ont été déployés afin de développer une formule capable de traiter efficacement le TDAH par une seule dose quotidienne. Une approche courante pour réduire la fréquence des doses consiste à développer une formulation capable de libérer le médicament graduellement afin de maintenir un niveau stable dans le plasma sanguin sur une période prolongée. Toutefois, on savait déjà, sans toutefois connaître la raison exacte, que cette approche ne fonctionnait pas pour les médicaments connus utilisés dans le traitement du TDAH.

[12]           On a observé que l’un des médicaments utilisés, le méthylphénidate, agissait plus efficacement entre le début de l’absorption du médicament et le moment où il atteignait sa concentration plasmatique maximale (Tmax). La raison exacte de cet effet n’a pas été élucidée, mais on a plus tard émis l’hypothèse qu’une fois la concentration plasmatique maximale atteinte (Cmax), le patient acquérait ensuite une tolérance aiguë au méthylphénidate, qui se manifestait par un déclin rapide de l’effet pharmacologique appelé tachyphylaxie.

[13]           Parmi les autres médicaments utilisés pour le traitement du TDAH avant l’arrivée du brevet 090, on retrouve les SMA (sels mixtes d’amphétamines), administrés deux fois par jour et connus sous le nom de ADDERALL. L’amphétamine est un racémate, ce qui signifie qu’elle est composée en proportions égales de deux stéréoisomères (aussi appelés énantiomères). Ces énantiomères présentent la même composition chimique, mais dans une structure différente; la seule différence entre eux est l’orientation des atomes dans l’image miroir. Les énantiomères de l’amphétamine sont appelés dextroamphétamine (d­amphétamine) et lévoamphétamine (l­amphétamine).

[14]           Le brevet 090 décrit une approche dans laquelle de multiples doses pulsées de SMA sont libérées en une seule administration, par une première pulsation (immédiate), qui est libérée dans le sang immédiatement au moment de la prise du médicament, et une deuxième impulsion (retardée), qui est libérée à un moment prédéterminé. Ce mécanisme a pour but de reproduire les effets dans l’organisme de la posologie à prise deux fois par jour, qui l’on savait déjà efficace. La figure 1 du brevet 090 montre un profil de concentration plasmatique cible fondé sur la posologie à prise deux fois par jour.

[15]           Le brevet 090 fournit un certain nombre d’exemples illustrant l’invention revendiquée. L’exemple 1 est une formulation à libération immédiate de SMA qui est complètement dissoute dans l’organisme en 15 minutes. Les exemples 2, 3 et 4 sont des formulations à libération retardée des mêmes SMA, avec des revêtements entériques différents. Les revêtements entériques sont conçus pour retarder la dissolution et la libération des ingrédients pharmaceutiques actifs jusqu’à ce qu’ils atteignent l’intestin. Les meilleurs résultats sont obtenus lorsque la formulation combine les exemples 1 et 2 dans une capsule de gélatine dure. Cette formulation assure une dose à libération immédiate et une dose à libération retardée en une seule administration. La figure 7 du brevet 090 montre un profil plasmatique considéré comme typique des résultats obtenus avec cette formulation dans le cadre d’une étude chez les humains. Le profil de la figure 7 (ainsi que la figure 8, qui concerne la formulation combinant les exemples 1 et 3) est décrit dans le brevet 090 comme étant [traduction] « similaire au profil de concentration plasmatique cible illustré à la figure 1 ».

[16]           Parmi les cinq revendications qui demeurent en cause, les revendications 22, 31 et 32, sont indépendantes, alors que les revendications 43 et 46 sont dépendantes. Le texte de ces revendications est reproduit ici :

[traduction]

22. Une composition pharmaceutique orale assurant la libération d’un ou plusieurs sels d’amphétamines, comprenant une forme pharmaceutique à libération immédiate contenant une première dose du ou des sels efficaces pour traiter le trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (TDAH) chez les humains et une deuxième forme pharmaceutique contenant une deuxième dose du ou des sels d’amphétamines efficaces pour traiter le TDAH chez les humains dont l’action est retardée dans une mesure suffisante pour produire une courbe concentration plasmatique/temps de forme sensiblement similaire à celle montrée à la figure 7, ajustée proportionnellement en fonction de la première et de la deuxième dose.

31. Une composition pharmaceutique orale assurant la libération de doses d’un ou plusieurs sels d’amphétamine suffisantes pour assurer une concentration plasmatique efficace pour traiter le trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (TDAH) chez le patient pendant au moins 8 heures sans autre administration de sels d’amphétamine et produisant une courbe concentration plasmatique/temps sensiblement similaire à celle montrée à la figure 7, ajustée proportionnellement en fonction des doses.

32. Une composition pharmaceutique orale assurant la libération d’un ou plusieurs sels d’amphétamines, comprenant une forme pharmaceutique à libération immédiate contenant une première dose du ou des sels efficaces pour traiter le trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (TDAH) chez les humains et une deuxième forme pharmaceutique contenant une deuxième dose du ou des sels d’amphétamines efficaces pour traiter le TDAH chez les humains, dont le profil concentration plasmatique/temps est sensiblement similaire à celui montré à la figure 7, ajusté proportionnellement en fonction de la première et de la deuxième dose.

43. La composition pharmaceutique décrite dans les revendications 14 à 41, qui décrivent les sels d’amphétamine comme un mélange de sulfate de dexamphétamine, de saccharate de dexamphétamine, d’aspartate d’amphétamine monohydraté et de sulfate d’amphétamine.

46. La composition pharmaceutique décrite dans les revendications 22 à 45, suffisante pour maintenir une concentration efficace de sels d’amphétamine dans l’organisme du patient pendant au moins 8 heures sans autre administration de sels d’amphétamine.

[17]           Chacune des revendications indépendantes en cause définit une composition pharmaceutique orale libérant un ou plusieurs sels d’amphétamine dans une mesure suffisante pour traiter le TDAH et renvoie au profil plasmatique de la figure 7.

[18]           Bien que les caractéristiques clés de la figure 7 et les éléments essentiels des revendications soient décrits en détail ci­dessous dans la section Interprétation des revendications, il est utile, à ce stade, de décrire brièvement certaines de ces caractéristiques.

[19]           Les revendications 22 et 32 mentionnent toutes deux « une forme pharmaceutique à libération immédiate contenant une première dose » et « une deuxième forme pharmaceutique contenant une deuxième dose ». La revendication 22 fait état d’une deuxième dose dont la « l’action est retardée », mais pas la revendication 32. La revendication 31 ne précise pas que les première et deuxième formes pharmaceutiques contiennent respectivement la première et la deuxième dose et fait simplement mention des « doses ».

[20]           En ce qui concerne la figure 7, la revendication 22 précise que la courbe concentration plasmatique/temps de la composition revendiquée devrait être « de forme sensiblement similaire à celle montrée à la figure 7 », alors que les revendications 31 et 32 précises qu’elle devrait être « sensiblement similaire à celle montrée à la figure 7 », sans mention du mot « forme ».

III.             Produit d’Apotex

[21]           Dans la présente décision, je parle souvent du produit d’Apotex et des questions relatives à la contrefaçon au présent, malgré le fait que le produit n’est pas encore commercialisé, ceci dans le but de simplifier la grammaire.

[22]           De façon générale, les parties s’entendent sur les qualités du produit d’Apotex. Elles sont toutefois en désaccord quant à la façon de caractériser ces qualités aux fins du brevet 090.

[23]           Le produit d’Apotex est une capsule de gélatine dure contenant deux, quatre, six, huit, dix ou douze comprimés, selon la dose. Chaque comprimé forme une matrice monolithique uniforme dans laquelle les SMA et les excipients sont dispersés dans un polymère entérique (acide méthacrylique et acrylate d’éthyle). Le produit d’Apotex utilise un polymère entérique du type décrit dans le brevet 090, mais sous forme de matrice plutôt que de revêtement.

[24]           Les caractéristiques de libération prolongée du produit d’Apotex ne sont pas obtenues en combinant des comprimés enrobés (action retardée) et non enrobés (action immédiate), comme c’est le cas pour le produit ADDERALL XR de Shire et comme il est décrit dans les principales formes du brevet 090. Les caractéristiques de libération prolongée du produit d’Apotex reposent plutôt sur un mécanisme de diffusion (lorsque les comprimés se trouvent dans l’estomac) et, ultérieurement, sur un mécanisme de diffusion et d’érosion (une fois que les comprimés ont atteint l’intestin). Dans l’environnement à faible pH de l’estomac, la matrice entérique demeure intacte et une partie des SMA se dissout graduellement. L’environnement de l’intestin, dont le pH est plus élevé, déclenche le processus d’érosion de la matrice entérique, ce qui facilite et accélère le processus de dissolution des SMA.

[25]           Les SMA qui composent le produit d’Apotex sont les mêmes que ceux définis dans la revendication 43, outre le fait qu’Apotex utilise l’aspartate d’amphétamine anhydre au lieu de l’aspartate d’amphétamine monohydraté. Cette distinction est abordée ultérieurement dans la section Interprétation des revendications.

IV.             Sommaire des questions en litige et fardeau de la preuve

A.                Questions en litige

[26]           En ce qui concerne la revendication 22, Apotex invoque l’absence de contrefaçon en raison du fait que son produit ne comporte pas de première forme pharmaceutique à libération immédiate et de deuxième forme pharmaceutique dont l’action est retardée et que le produit ne contient en fait aucune forme pharmaceutique à libération immédiate.

[27]           Il importe de noter que, pour des raisons qui n’ont pas été expliquées, Apotex n’a pas soutenu l’absence de contrefaçon de la revendication 22 sur la base du fait que son produit ne produit pas de courbe concentration plasmatique/temps de forme sensiblement similaire à celle montrée à la figure 7. Par conséquent, cette caractéristique ne sera pas abordée en lien avec la revendication 22.

[28]           En ce qui concerne la revendication 31, Apotex invoque l’absence de contrefaçon au motif que son produit ne présente pas de courbe concentration plasmatique/temps sensiblement similaire à celle montrée à la figure 7. Apotex affirme également que son produit n’est pas composé de plusieurs doses.

[29]           En ce qui concerne la revendication 32, Apotex invoque l’absence de contrefaçon au motif que son produit ne comporte pas de première et deuxième doses, n’offre pas de forme pharmaceutique à libération immédiate et ne produit pas de courbe concentration plasmatique/temps sensiblement similaire à celle montrée à la figure 7.

[30]           En ce qui concerne la revendication 43, Apotex cite la dépendance de cette revendication à l’égard de revendications qui ne sont pas enfreintes et invoque également l’absence de contrefaçon au motif que son produit ne contient pas d’aspartate d’amphétamine monohydraté.

[31]           En ce qui concerne la revendication 46, Apotex cite la dépendance de cette revendication à l’égard de revendications qui ne sont pas enfreintes.

[32]           Apotex maintient également que si, subsidiairement, les revendications en cause étaient interprétées comme englobant le produit d’Apotex, elles seraient invalides pour des questions de portée excessive, d’ambiguïté et d’insuffisance. Apotex affirme également que, subsidiairement, la revendication 31 est invalide par absence d’utilité.

[33]           Les allégations d’invalidité à titre subsidiaire d’Apotex se décrivent essentiellement comme suit. Si les revendications en cause englobent une formulation monolithique uniforme comme celle d’Apotex, elles sont invalides pour des questions :

a)      de portée excessive, puisqu’elles englobent toute composition qui produit le résultat désiré, soit un profil plasmatique efficace pour traiter le TDAH pendant au moins huit heures (même les formules à libération prolongée du type que le brevet 090 affirme éviter); par conséquent, elles ont une portée allant au­delà des formulations inventées ou divulguées dans le brevet 090;

b)      d’ambiguïté, puisqu’il est impossible pour une personne de déterminer si une formulation est englobée ou non dans la portée des revendications sans se fier aux données sur la bioéquivalence, qui varient d’une personne à l’autre;

c)      d’insuffisance, puisque le brevet 090 ne décrit pas comment fabriquer l’invention au moyen d’une matrice monolithique uniforme de façon à permettre à une personne versée dans l’art d’utiliser l’invention en se référant uniquement au brevet; et

d)     en ce qui concerne la revendication 31 seulement, d’absence d’utilité puisque la revendication englobe une forme de matrice monolithique uniforme dont on n’a pas démontré l’utilité avant la date de dépôt du brevet 090 et qui n’a pas répondu aux exigences de la règle de la prédiction valable.

[34]           Apotex maintient également que les revendications en cause ne sont pas pertinentes en vertu du Règlement puisque le produit ADDERALL XR de Shire ne relève pas de la portée desdites revendications.

[35]           Comme je l’ai indiqué précédemment, en raison de mes conclusions concernant les allégations d’absence de contrefaçon d’Apotex, il n’est pas nécessaire que j’aborde les autres allégations d’invalidité ou l’affirmation que les revendications ne sont pas pertinentes en vertu du Règlement.

B.                 Fardeau de la preuve

[36]           Dans le contexte d’une demande en vertu du Règlement, le fardeau de la preuve est quelque peu complexe et contre­intuitif. Ces éléments justifient une discussion.

[37]           J’ai abordé cette question dans ma décision rendue dans l’affaire Leo Pharma Inc c. Teva Canada Limited, 2015 CF 1237, aux paragraphes 62 à 64, et aucune des parties dans la présente demande n’a soutenu que mon analyse était viciée. Je reproduis ici cette décision, sur laquelle je me base :

[62]      Le principe général applicable dans une demande est que le fardeau de la preuve incombe au demandeur. Ce principe s’applique dans la présente demande, même pour les questions portant sur la validité du brevet.

[63]      Comme le  para 43(2) de la Loi sur les brevets, LRC 1985, c P­4 crée une présomption de validité du brevet, la jurisprudence a établi qu’une fois que l’existence du brevet est établie, le fardeau passe au défendeur (Teva, en l’espèce), à qui il incombe alors de mettre ses allégations d’invalidité « en jeu » : Pharmascience Inc c. Canada (Santé), 2014 CAF 133, au para 32 [Pharmascience]. Il peut le faire en présentant une preuve qui n’est pas « clairement inapte à étayer ses allégations d’invalidité » : Pfizer Canada Inc c. Canada (Santé), 2007 CAF 209, au para 109. Le fardeau du défendeur à cet égard a aussi été considéré comme la nécessité de « produire assez d’éléments de preuve pour donner à ses allégations “un semblant de réalité” ». La norme de preuve applicable est moins élevée que la prépondérance des probabilités : Pharmascience au para 33; Pfizer Canada Inc c. Apotex Inc, 2007 CF 971, au para 51, conf. par 2009 CAF 8 [Pfizer]. Cependant, le défendeur ne peut pas s’acquitter de son fardeau en se contentant de détailler ses allégations dans son AA : Pharmascience, au para 36.

[64]      Une fois que le défendeur a dûment mis en jeu ses allégations d’invalidité, le fardeau se déplace et il incombe alors au demandeur (Leo, en l’espèce), d’établir, selon la prépondérance des probabilités, que ces allégations ne sont pas justifiées.

[38]           Le fardeau de la preuve est plus simple dans les questions de contrefaçon. Il incombe au demandeur de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que les allégations d’absence de contrefaçon sont injustifiées. Aucun fardeau de preuve n’est imposé à l’intimé. Ses allégations d’absence de contrefaçon sont « mises en jeu » en vertu de l’AA : Bristol­Myers Squibb c. Teva Canada Limited, 2015 CAF 3, au paragraphe 11. Les déclarations formulées dans un AA concernant les allégations d’absence de contrefaçon sont réputées être véridiques : Eli Lilly Canada Inc c. Mylan Pharmaceuticals ULC, 2015 CF 178, au paragraphe 81.

[39]           Ceci dit, le demandeur n’est pas tenu de répondre aux arguments concernant l’absence de contrefaçon qui n’ont pas été invoqués dans l’AA : Apotex Inc c. Pfizer Canada Inc, 2014 CAF 250, au paragraphe 92.

V.                Les témoins

[40]           Le dossier dans cette demande comprend les témoignages de huit témoins. Shire a présenté cinq témoins (trois experts et deux témoins factuels), alors qu’Apotex a présenté trois témoins (deux experts et un témoin factuel). Les témoins et leurs témoignages respectifs sont décrits brièvement ci­dessous.

[41]           Comme il arrive souvent dans le cas de brevets, les experts présentés par les parties sont en désaccord sur les principales questions d’interprétation des revendications. Dans les motifs, je discute des opinions qui m’ont semblé les plus convaincantes. Dans les cas où je ne me suis pas prononcé sur les opinions d’un expert sur une question particulière, il importe de préciser que j’ai pris connaissance de l’opinion, mais que je ne jugeais pas nécessaire d’en discuter dans les motifs.

A.                Aveuglement des témoins experts

[42]           Apotex soutient énergiquement que les preuves de ses témoins experts devraient être favorisées par rapport aux preuves des témoins de Shire puisque ses propres témoins ont été « tenus en aveugle » de certains faits non essentiels au moment de solliciter leur opinion, ce qui n’a pas été le cas pour les experts de Shire. Les experts d’Apotex n’ont jamais consulté l’AA et n’ont jamais été avisés de la situation juridique d’Apotex. Essentiellement, on a demandé aux experts d’Apotex de fournir une série de mini­opinions. On leur a demandé d’interpréter les revendications du brevet 090 sans leur fournir de renseignements sur le produit d’Apotex. Ces renseignements ne leur ont été fournis que lorsqu’on leur a demandé de donner leur opinion sur les questions de contrefaçon. On leur a ensuite demandé de donner leur opinion sur la validité du brevet, puis de formuler des commentaires sur les opinions exprimées par les experts de Shire.

[43]           Apotex avance que, puisque l’interprétation des revendications doit se faire avant l’analyse de questions comme la contrefaçon et la validité, l’exposition des experts à des renseignements sur les produits présumés contrefaits ou aux antériorités pertinentes pourrait vicier leur analyse de l’interprétation des revendications. Pour éviter ce problème, un moyen consiste à demander l’opinion de l’expert sans l’informer de la conclusion désirée par la partie en partageant ces renseignements non essentiels. Apotex fait part de sa crainte que l’analyse des experts sans aveuglement risque d’être fondée sur les résultats. Apotex soutient que les opinions des experts de Shire ne devraient pas être prises en compte précisément pour cette raison. Pour soutenir sa position, Apotex cite les affaires Teva Canada Innovation c. Apotex Inc, 2014 CF 1070, aux paragraphes 94 à 96; AstraZeneca Canada Inc c. Apotex Inc, 2014 CF 638, au paragraphe 321 [AstraZeneca]; Takeda Canada Inc c. Canada (Santé), 2015 CF 570, au paragraphe 29; et Allergan Inc c. Apotex Inc, 2016 CF 344, au paragraphe 13.

[44]           Pour sa part, Shire soutient que l’aveuglement des experts n’est pas une exigence et qu’il n’existe aucun principe de loi selon lequel les témoignages d’experts tenus en aveugle doivent être privilégiés par rapport à ceux d’experts non tenus en aveugle. Shire soutient que je devrais tenir compte des opinions des experts (et déterminer s’ils sont fondés ou dénaturés) plutôt que me concentrer sur les renseignements auxquels ils ont été exposés pour former ces opinions : Eli Lilly Canada Inc c. Apotex Inc, 2015 CF 875, au paragraphe 166 [Eli Lilly].

[45]           Dans une certaine mesure, je suis d’accord avec les deux parties. Dans certaines situations, le fait qu’un témoin expert ignore les caractéristiques d’un produit présumé contrefait au moment de former son opinion sur l’interprétation des revendications peut être utile pour déterminer le poids à accorder à l’opinion de cet expert. Toutefois, je conviens avec Shire que la pratique consistant à favoriser les preuves des experts qui ont été tenus à l’aveugle n’a pas été élevée au niveau de principe juridique devant être appliqué à tous les cas et n’est que persuasive (AstraZeneca, au paragraphe 322; Eli Lilly, au paragraphe 166). Je suis principalement intéressé par la substance de l’opinion d’un expert et par le raisonnement qui a mené à cette opinion. Si ce raisonnement est bon, il n’y a aucune raison de s’inquiéter du fait que le témoin n’a pas été informé de certains faits au moment de donner son opinion. Des préoccupations peuvent être soulevées lorsque l’opinion de l’expert semble être dénaturée ou que son raisonnement est moins logique.

[46]           Je suis également conscient du fait que l’aveuglement d’un témoin ne garantit nullement que les preuves déposées par l’expert devant la Cour seront fiables. Il serait facile (quoiqu’onéreux) pour une partie peu scrupuleuse de solliciter l’opinion de plusieurs experts et de les tenir tous ignorants des renseignements non essentiels. Advenant que l’un de ces experts formule l’opinion désirée par la partie et que les autres experts en viennent à des conclusions différentes, la partie pourrait conserver ce premier expert et le présenter comme un témoin tenu à l’aveugle (et donc fiable).

[47]           Dans le présent cas, je n’ai pas déterminé que l’aveuglement du témoin expert était un élément déterminant. Je suis d’accord avec les experts d’Apotex sur certaines questions et avec les experts de Shire sur d’autres. J’ai indiqué ci­dessous certaines des raisons qui m’amènent à privilégier les experts d’une des parties plutôt que de l’autre.

[48]           En complément de ses arguments selon lesquels le témoignage des experts de Shire sont moins fiables, Apotex a également souligné que le Dr Bodmeier était souvent entendu comme témoin expert et a fait mention des critiques à l’égard de son témoignage dans l’affaire Janssen Inc c. Teva Canada Limited, 2015 CF 184 [Janssen] et dans l’affaire Eli Lilly Canada Inc c. Apotex Inc, 2015 CF 1016. Toutefois, Shire a souligné l’accueil favorable du témoignage de Dr Bodmeier tout juste un mois avant l’affaire Janssen dans l’arrêt AstraZeneca Canada Inc c. Apotex Inc, 2015 CF 322, qui a été rendu par le même juge ayant présidé l’affaire Janssen. Shire a également cité d’autres décisions élogieuses à l’égard du témoignage du Dr Bodmeier à titre d’expert. Au final, je demeure convaincu que je suis principalement intéressé par la substance de l’opinion d’un expert et par le raisonnement qui a mené à cette opinion.

B.                 Témoins experts de Shire

(1)               Roland Bodmeier

[49]           Le Dr Bodmeier a obtenu son doctorat en pharmacie en 1986 de l’université du Texas à Austin. Il est actuellement professeur titulaire de technologie pharmaceutique au collège de pharmacie de l’Université libre de Berlin, en Allemagne. En plus de l’enseignement, il offre des services de consultation à l’industrie pharmaceutique concernant la formulation et la caractérisation des formes pharmaceutiques. Il a également fondé deux entreprises pharmaceutiques.

[50]           Dans son affidavit, le Dr Bodmeier décrit le brevet 090 et le concept inventif. Il interprète ensuite les revendications en cause et aborde les allégations d’absence de contrefaçon d’Apotex, qu’il conteste en totalité. En ce qui concerne les allégations d’invalidité d’Apotex, le Dr Bodmeier est d’avis que les revendications du brevet 090 n’ont pas une plus large portée que l’invention divulguée, que le langage utilisé dans les revendications peut être clairement compris et que les revendications ne sont donc pas ambiguës, que le brevet décrit dans une mesure suffisante le processus de fabrication de l’invention et que l’utilité promise du brevet a été démontrée à la figure 7.

(2)               James McGough

[51]           Le Dr McGough est psychiatre et possède une expertise précise en psychiatrie des enfants et des adolescents. Il est titulaire d’un doctorat en médecine reçu de la Duke University School of Medicine en 1986. Il occupe actuellement le poste de professeur de psychiatrie clinique (Step V) de la division de psychiatrie des enfants et des adolescents de l’Université de la Californie à Los Angeles. Le traitement du TDAH est l’un de ses principaux centres d’intérêt en recherche, comme le démontrent ses nombreuses publications et présentations sur ce sujet. Entre 1999 et 2002, grâce à des subventions de Shire, il a mené des études sur Adderall XR chez les enfants et les adultes atteints du TDAH.

[52]           Dans son affidavit, le Dr McGough présente son interprétation du brevet 090, où il définit des termes comme « forme pharmaceutique à libération immédiate » et décrit ce qu’il considère comme des caractéristiques importantes de la courbe concentration plasmatique/temps de la figure 7. Il discute ensuite de la nature du TDAH et de son traitement. Finalement, le Dr McGough aborde les allégations d’Apotex concernant l’invalidité, en concluant que le brevet 090 divulgue des renseignements suffisants, que les inventeurs ont à la fois démontré et prédit raisonnablement l’utilité et que les revendications ne sont pas excessives ni ambiguës.

(3)               James Polli

[53]           Le Dr Polli possède une expertise en pharmacocinétique et en pharmacodynamique. Il est professeur à l’école de pharmacie de l’Université du Maryland, où il est titulaire de la chaire de pharmacie industrielle et de pharmaceutique financée en dotation par Ralph F. Shangraw/Noxell. Il a obtenu son doctorat en pharmacie spécialisé en pharmaceutique en 1993 du collège de pharmacie de l’Université du Michigan. Il a publié abondamment dans ce domaine, a été rédacteur de plusieurs revues scientifiques à comité de lecture et a siégé à de nombreux conseils et comités du domaine pharmaceutique.

[54]           Dans son affidavit, le Dr Polli introduit certaines des notions scientifiques à la base du brevet 090, comme les caractéristiques pharmacocinétiques des profils concentration plasmatiques/temps. Il donne son interprétation des revendications en cause du brevet 090, en discutant plus particulièrement de sa compréhension de la figure 7 à titre de pharmacocinéticien. Le Dr Polli aborde ensuite les allégations d’Apotex concernant l’absence de contrefaçon, soutenant que la courbe concentration plasmatique/temps du produit d’Apotex est sensiblement similaire à celle illustrée à la figure 7, ce qui signifie que le produit enfreint les revendications en cause. Le Dr Polli aborde également la question à savoir si les revendications en cause du brevet 090 sont pertinentes en vertu du Règlement, soutenant que le produit ADDERALL XR de Shire produit une courbe concentration plasmatique/temps sensiblement similaire à celle illustrée à la figure 7. Finalement, le Dr Polli aborde les allégations d’insuffisance, de portée excessive, d’ambiguïté et d’absence d’utilité d’Apotex et conclut qu’elles ne sont pas fondées.

C.                 Témoins factuels de Shire

(1)               Beth Burnside

[55]           La Dre Burnside est la principale inventrice du brevet 090. Elle a obtenu son doctorat en chimie organique et physique de l’Université Drexel en 1987. Après avoir œuvré auprès de différentes sociétés pharmaceutiques, elle a plus récemment occupé le poste de vice­présidente principale, Assurance de la qualité chez QRxPharma, Inc. Elle a travaillé pour Shire entre 1997 et 2002, le dernier poste occupé étant celui de vice­présidente, Systèmes d’administration avancée.

[56]           Dans son affidavit, la Dre Burnside fournit des renseignements généraux sur le traitement du TDAH et sur développement du produit ADDERALL XR de Shire.

(2)               Erin McIntomny

[57]           Mme McIntomny est assistante judiciaire chez Gowlings, avocats de la demanderesse. Elle fournit des documents liés au litige, essentiellement des parties des présentations abrégées de drogue nouvelle d’Apotex.

D.                Témoins experts d’Apotex

(1)               Mario González

[58]           Le Dr González est président­directeur général de P’Kinetics International, Inc., une entreprise de consultation en pharmacocinétique et en biopharmaceutique. Il est également professeur adjoint au collège de pharmacie de l’Université de la Floride. Il a reçu son doctorat en pharmacocinétique de l’Université de la Californie à San Francisco en 1975. Le Dr González possède une expertise en pharmacocinétique, comme en témoignent ses nombreuses publications et allocutions portant sur ce domaine.

[59]           Dans son affidavit, le Dr González décrit sa compréhension du brevet 090 avant de passer à l’interprétation des revendications en cause. Il aborde ensuite la question à savoir si les éléments essentiels de ces revendications sont représentés dans le produit d’Apotex, en concluant que les profils de concentration plasmatique du produit d’Apotex ne correspondent pas aux caractéristiques essentielles décrites à la figure 7. Le Dr González aborde ensuite la question à savoir si les revendications en cause sont pertinentes au sens du Règlement et formule des commentaires sur les affidavits des Drs Burnside, Polli et Bodmeier.

(2)               Ping Lee

[60]           Le Dr Lee connaît tous les aspects du processus de développement des médicaments. Après avoir obtenu un doctorat en chimie physique de la Michigan State University, en 1975, il a œuvré dans les domaines de la recherche et du développement pharmaceutique et de l’administration des médicaments au sein de plusieurs compagnies pharmaceutiques d’envergure, plus récemment à titre de directeur principal, R et D pharmaceutique à l’institut de recherche de Schering­Plough. Il occupe actuellement un poste de professeur en pharmaceutique spécialisé dans les systèmes d’administration des médicaments à la faculté de pharmacie Leslie Dan de l’Université de Toronto. Il a publié de nombreux articles évalués par les pairs et présenté de nombreuses conférences, en plus de figurer comme inventeur dans plus de 40 brevets.

[61]           Dans son affidavit, le Dr Lee fournit des renseignements généraux sur le brevet 090 et explique comment une personne versée dans l’art interpréterait les termes utilisés dans les revendications en cause. Il aborde ensuite la question à savoir si tous les éléments essentiels des revendications du brevet 090 se retrouvent dans le produit d’Apotex, concluant que puisque le produit d’Apotex utilise une formulation et une méthode de libération du médicament qui diffèrent de ce qui est décrit dans les revendications, il n’enfreint pas le brevet 090. Le Dr Lee aborde également la question à savoir si le brevet 090 divulgue suffisamment d’information, si les inventeurs ont démontré l’utilité promise de certaines revendications ou s’il y avait un fondement raisonnable pour prédire cette utilité. Finalement, le Dr Lee commente les affidavits des Drs Bodmeier, Polli et McGough.

E.                 Témoins factuels d’Apotex

(1)               Duane Terrill

[62]           M. Terrill est directeur adjoint, Affaires réglementaires pour Apotex. Il indique dans son affidavit qu’en sa capacité, il supervisait la préparation et la soumission des présentations abrégées de drogue nouvelle (PADN) pour le produit d’Apotex. M. Terrill examine les parties des PADN d’Apotex qui ont été soumises par la demanderesse et confirme leur source.

VI.             Interprétation des revendications

[63]           L’interprétation des revendications désigne l’exercice qui consiste à interpréter le texte des revendications d’un brevet. Les revendications définissent les droits exclusifs du breveté. Dans le cas présent, comme dans de nombreux autres cas, le litige est principalement axé sur l’interprétation des revendications.

[64]           Comme nous l’avons mentionné précédemment, les parties s’entendent quant à la nature du produit d’Apotex. En outre, les revendications sont formulées par écrit et sont, à tout le moins en théorie, facilement vérifiables. Le centre d’intérêt du litige entre les parties concerne (i) la compréhension appropriée de ces revendications (interprétation des revendications), et (ii) la question à savoir si le produit d’Apotex relève de la portée des revendications en cause, une fois qu’elles ont été correctement interprétées. Dans ce cas, l’exercice d’interprétation des revendications est particulièrement difficile puisque les revendications en cause se rapportent à la figure 7, qui n’est pas un texte mais un graphique représentant une courbe.

A.                Loi applicable

[65]           L’interprétation des revendications doit précéder l’examen des questions portant sur la validité et la contrefaçon : Whirlpool Corp c. Camco Inc, 2000 CSC 67, au paragraphe 43 [Whirlpool]. Ceci dit, la Cour ne doit pas interpréter une revendication sans savoir sur quoi repose le litige entre les parties (pour utiliser une métaphore, déterminer là où le bât blesse) : Shire Biochem Inc c. Canada (Health), 2008 CF 538, au paragraphe 22; Sanofi­Aventis Canada c. Apotex Inc, 2009 CF 676, au paragraphe 82.

[66]           La même interprétation des revendications s’applique à toutes les questions, y compris les questions de contrefaçon et de validité : Whirlpool au paragraphe 49(b).

[67]           Un brevet n’est pas destiné à un membre ordinaire du public, mais à un travailleur versé dans l’art, qui se décrit comme suit :

[traduction] [A]   un être fictif ayant des compétences et des connaissances usuelles dans l’art dont relève l’invention et un esprit désireux de comprendre la description qui lui est destinée. Cette notion de la personne fictive a parfois été assimilée à celle de l’«homme raisonnable» retenue en matière de négligence. On suppose que cette personne va tenter de réussir, et non rechercher les difficultés ou viser l’échec.

[Free World Trust c. Électro Santé Inc, 2000 CSC 66, au paragraphe 44 [Free World Trust], citant Fox, Harold G. The Canadian Law and Practice Relating to Letters Patent for Inventions, 4e édition, Toronto : Carswell, 1969, p. 184]

[68]           La personne versée dans l’art peut également désigner un groupe de personnes : Pfizer Canada Inc c. Pharmascience Inc, 2013 CF 120, au paragraphe 28; General Tire & Rubber Company c. Firestone Tyre and Rubber Company Limited, [1972] RPC 457 (Eng CA), au paragraphe 482.

[69]           Comme il est indiqué dans la décision de la Chambre des lords du Royaume­Uni dans l’affaire Catnic Components Ltd c. Hill & Smith Ltd, [1982] RPC 183, aux paragraphes 242­243 [Catnic], et cité dans l’affaire Whirlpool au paragraphe 44 :

Le mémoire descriptif d’un brevet doit recevoir une interprétation téléologique plutôt que l’interprétation purement littérale découlant du genre d’analyse terminologique méticuleuse que les avocats sont trop souvent tentés de faire en raison de leur formation. La question qui se pose dans chaque cas est la suivante : les personnes ayant une connaissance et une expérience pratiques du genre de travail auquel l’invention est destinée à servir comprendraient­elles que le breveté voulait que l’interprétation stricte d’une expression ou d’un mot descriptifs particuliers figurant dans une revendication constitue une condition essentielle de l’invention, de manière à ce que toute variante soit exclue du monopole revendiqué même s’il se peut qu’elle n’ait aucun effet important sur la façon dont l’invention fonctionne.

[souligné dans l’original]

[70]           L’interprétation téléologique repose donc sur l’identification par la cour, avec l’aide du lecteur versé dans l’art, des mots ou expressions particuliers qui sont utilisés dans les revendications pour décrire ce qui, selon l’inventeur, constituait les éléments « essentiels » de son invention : Whirlpool au paragraphe 45. Pour qu’un élément soit jugé non essentiel et, partant, remplaçable, il faut établir que (i), suivant une interprétation téléologique des termes employés dans la revendication, l’inventeur n’a manifestement pas voulu qu’il soit essentiel, ou que (ii), à la date de la publication du brevet, le destinataire versé dans l’art aurait constaté qu’un élément donné pouvait être substitué sans que cela ne modifie le fonctionnement de l’invention, c.­à­d. que, si le travailleur versé dans l’art avait alors été informé de l’élément décrit dans la revendication et de la variante et [traduction] « qu’on lui avait demandé de déterminer si la variante pouvait manifestement fonctionner de la même manière », sa réponse aurait été affirmative : Free World Trust au paragraphe 55.

[71]           La Cour suprême du Canada (CSC) dans l’arrêt Free World Trust a relié sa méthode utilisée pour déterminer le caractère essentiel d’un élément d’une revendication à la question posée dans la décision prise au Royaume­Uni dans l’arrêt Improver c. Remington, [1990] FSR 181 [Improver], dont est tiré le critère utilisé dans l’affaire Catnic:

 1) La variante influence­t­elle de façon appréciable le fonctionnement de l’invention? Dans l’affirmative, la variante ne tombe pas sous le coup de la revendication. Dans la négative : ­­

(2) Le fait que la variante n’influence pas de façon appréciable le fonctionnement de l’invention aurait­il été évident, à la date de la publication du brevet, pour un expert du domaine? Dans la négative, la variante ne tombe pas sous le coup de la revendication. Dans l’affirmative : ­­

(3) L’expert du domaine conclurait­il malgré tout, à la lecture de la teneur de la revendication, que le breveté considérait qu’une stricte adhésion au sens premier constituait une condition essentielle de l’invention? Dans l’affirmative, la variante ne tombe pas sous le coup de la revendication.

[72]           Il faut également noter que l’identification des éléments de la revendication comme essentiels ou non essentiels doit être faite sur la base du mémoire descriptif du brevet sans recourir à des preuves extrinsèques : Free World Trust, aux paragraphes 61 et suivants.

[73]           Voici à ce sujet un extrait de l’arrêt Consolboard Inc c. MacMillan Bloedel (Saskatchewan) Ltd, [1981] 1 RCS 504 à la page 520 :

Il faut considérer l’ensemble de la divulgation et des revendications pour déterminer la nature de l’invention et son mode de fonctionnement (Noranda Mines Limited c. Minerals Separation North American Corporation, [1950] R.C.S. 36), sans être ni indulgent ni dur, mais plutôt en cherchant une interprétation qui soit raisonnable et équitable à la fois pour le titulaire du brevet et pour le public. Ce n’est pas le moment d’être trop rusé ou formaliste en matière d’oppositions soit au titre ou au mémoire descriptif puisque, comme le dit le juge en chef Duff, au nom de la Cour, dans l’arrêt Western Electric Company, Incorporated, et Northern Electric Company c. Baldwin International Radio of Canada, [1934] R.C.S. 570, à la p. 574 : [traduction] « quand le texte du mémoire descriptif, interprété de façon raisonnable, peut se lire de façon à accorder à l’inventeur l’exclusivité de ce qu’il a inventé de bonne foi, la Cour, en règle générale, cherche à mettre cette interprétation à effet ». Sir George Jessel a décrit un effet similaire il y a beaucoup plus longtemps dans l’arrêt Hinks & Son c. Safety Lighting Company [(1876), 4 Ch. D. 607]. Il affirmait que le brevet devrait être abordé « dans l’objectif judiciaire de soutenir une invention réellement utile ».

[74]           Dans l’interprétation des revendications d’un brevet, on peut se reporter au reste du mémoire descriptif seulement (1) pour mieux comprendre les termes employés dans les revendications, (2) qu’il n’est pas nécessaire de se référer au reste du mémoire descriptif lorsque l’énoncé de la revendication est clair et non équivoque, et (3) et que l’on ne peut à bon droit y avoir recours pour modifier la portée des revendications : L’arrêt Monsanto Canada Inc c. Schmeiser, 2002 CAF 309, au paragraphe 37, inf. en partie par d’autres points de l’arrêt, 2004 CSC 34. Les mots doivent être interprétés dans leur contexte, de sorte qu’il est risqué, dans bien des cas, de conclure que le sens d’un mot est clair et net sans avoir examiné attentivement le mémoire descriptif : Whirlpool au paragraphe 52, citant W.L. « The Art of Claiming and Reading a Claim », tiré de G.F. Henderson, éd., Patent Law of Canada (Toronto : Carswell, 1994), à la page 190.

[75]           Cependant, en fin de compte, l’exercice d’interprétation des revendications doit être fondé sur les mots utilisés dans les revendications : Free World Trust au paragraphe 40. Les mots choisis par l’inventeur seront interprétés selon le sens que l’inventeur est présumé avoir voulu leur donner et d’une manière qui est favorable à l’accomplissement de l’objet, exprès ou tacite, des revendications. Cependant, l’inventeur qui s’exprime mal ou qui crée par ailleurs une restriction inutile ou complexe ne peut s’en prendre qu’à lui­même. Le public doit pouvoir s’en remettre aux termes employés à condition qu’ils soient interprétés de manière équitable et éclairée. Free World Trust au paragraphe 51.

[76]           Comme l’a indiqué Shire, la CSC a statué, dans l’arrêt Whirlpool, au paragraphe 49(e), qu’un brevet délivré est un texte selon la définition de la Loi d’interprétation, L.R.C. (1985), ch. I­21, et qu’il fait donc l’objet d’une interprétation selon les principes énoncés dans la Loi d’interprétation. Pour les besoins du présent cas, Shire cite plus particulièrement le principe énoncé au paragraphe 33(2) de la loi, qui prévoit ceci : « Le pluriel ou le singulier s’appliquent, le cas échéant, à l’unité et à la pluralité. » Apotex souligne que la CSC a appliqué la Loi d’interprétation en se fondant uniquement sur le principe qu’un brevet doit être interprété selon l’article 12, « de la manière la plus équitable et la plus large qui soit compatible avec la réalisation de son objet. » Apotex suggère que les autres principes d’interprétation ne s’appliquent pas. À mon avis, il n’y a rien dans la discussion de la CSC sur la Loi d’interprétation dans l’arrêt Whirlpool qui suggère que les autres principes ne devraient pas s’appliquer. Quoi qu’il en soit, je profite de l’occasion pour souligner l’article 3(1) de la Loi d’interprétation, qui stipule que les dispositions s’appliquent « sauf indication contraire ».

B.                 Personne versée dans l’art

[77]           Les parties semblent s’entendre sur les caractéristiques d’une personne versée dans l’art. Ils conviennent que cette personne est une équipe constituée d’un spécialiste de la formulation pharmaceutique, d’un pharmacocinéticien et d’un psychiatre ou clinicien.

[78]           Aucune des parties n’a remis en doute les compétences des experts de l’autre partie dans leurs domaines respectifs. Toutefois, Shire souligne qu’Apotex n’a pas fait témoigner de psychiatre ou de clinicien.

C.                 Analyse

[79]           Les principales questions en cause concernant l’interprétation des revendications sont abordées aux paragraphes qui suivent.

(1)               Revendication 22

[80]           Le texte de la revendication 22 est reproduit ici pour plus de commodité.

[traduction]

22. Une composition pharmaceutique orale assurant la libération d’un ou plusieurs sels d’amphétamines, comprenant une forme pharmaceutique à libération immédiate contenant une première dose du ou des sels efficaces pour traiter le trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (TDAH) chez les humains et une deuxième forme pharmaceutique contenant une deuxième dose du ou des sels d’amphétamines efficaces pour traiter le TDAH chez les humains dont l’action est retardée dans une mesure suffisante pour produire une courbe concentration plasmatique/temps de forme sensiblement similaire à celle montrée à la figure 7, ajustée proportionnellement en fonction de la première et de la deuxième dose.

[81]           Cette revendication fait clairement état de deux formes pharmaceutiques distinctes, chacune contenant une dose distincte. La première forme pharmaceutique est définie comme une forme à libération immédiate, alors que la deuxième dose offre une action retardée.

a)                  Forme pharmaceutique à libération immédiate contenant une première dose

[82]           Un litige important entre les parties concerne la signification du mot « immédiate ». Selon les parties, ce mot suggère que la libération du médicament commence immédiatement après l’ingestion. Toutefois, Apotex soutient également que le mot « immédiate » dans le contexte du brevet 090 signifie que le médicament est libéré par impulsion, la libération de la première dose se déroulant sur une période d’environ une heure. Shire conteste cette interprétation.

[83]           Apotex souligne que l’expression « dose libérée par impulsion » est utilisée plusieurs fois dans le brevet 090. Apotex se fonde également sur les preuves présentées par ses témoins experts. L’argument le plus convaincant d’Apotex dans son interprétation du terme « libération immédiate » comme étant une libération rapide et complète du médicament dans un délai limité est probablement qu’autrement, un système à libération prolongée (le type que l’on s’efforce d’éviter dans le brevet 090) serait considéré comme une formulation à libération immédiate. Apotex souligne également que l’expert de Shire, James McGough, a accepté, lors du contre­interrogatoire, à la Q222, qu’il était raisonnable de comprendre que la libération immédiate englobe la libération complète en moins d’une heure.

[84]           Apotex soutient également que le terme « libération immédiate » sous­entend qu’il n’y a pas d’intention de retarder la dissolution complète et l’absorption du médicament : reportez­vous à l’affidavit de Lee, paragraphes 55, 332. Reportez­vous également au contre­interrogatoire de Bodmeier, à la Q528­9.

[85]           Pour sa part, Shire se concentre sur le fait que les autres revendications du brevet 090 qui ne sont pas en cause (c.­à­d., les revendications 1 à 4, ainsi que les revendications subséquentes) définissent la libération par impulsion et précisent que la période de dissolution complète est d’environ 60 minutes. La revendication 22 et les autres revendications en cause ne font pas mention de cette limite. Shire soutient que, bien que la libération par impulsion et le délai avant la dissolution complète soient des éléments essentiels des revendications 1 à 4 (et des revendications subséquentes), ce ne sont pas des éléments essentiels de la revendication 22 et des autres revendications en cause.

[86]           Il faut d’abord noter que la dose libérée par impulsion définie dans les revendications 1 à 4 concerne la deuxième dose (à libération retardée), et non la première (à libération immédiate). Par conséquent, l’argument de Shire ne s’applique pas aussi directement à la signification du terme « libération immédiate » qu’on pourrait le penser à première vue. Quoi qu’il en soit, le raisonnement de Shire demeure que dans les cas où les inventeurs souhaitaient limiter le délai de dissolution complète d’une dose, ils l’ont indiqué explicitement.

[87]           Je suis d’accord avec Apotex que le terme « libération immédiate » dans les revendications en cause sous­entend qu’il n’existe aucun moyen de retarder la libération. Autrement, je suis d’accord avec Shire que le terme « libération immédiate » signifie que la libération de la dose commence immédiatement et qu’il n’y a aucune limite de temps en ce qui concerne la libération complète de la dose.

b)                  Une deuxième forme pharmaceutique contenant une deuxième dose… dont l’action est retardée

[88]           L’interprétation de la deuxième forme pharmaceutique est déterminée dans une certaine mesure par l’interprétation de la forme pharmaceutique à libération immédiate. La deuxième forme pharmaceutique se distingue de la forme pharmaceutique à libération immédiate sur deux points connexes : (i) elle n’est pas définie comme immédiate; et (ii) son action est retardée.

[89]           Une importante qualité de la revendication 22 à tirer des références distinctes à une forme pharmaceutique à libération immédiate contenant une première dose et une deuxième forme pharmaceutique contenant une deuxième dose est le fait qu’il existe deux formes pharmaceutiques distinctes contenant deux doses distinctes.

[90]           Comme dans le cas de la forme pharmaceutique à libération immédiate, les parties ne s’entendent pas sur la question à savoir si la deuxième forme pharmaceutique doit être libérée par impulsion, ce qui signifie que la libération de la deuxième dose doit se faire dans un délai précis.

[91]           Apotex soutient que la deuxième dose doit être administrée par impulsion. Comme pour la première dose, Apotex se fie aux témoignages de ses experts ainsi qu’aux références à la libération par impulsion dans le brevet 090. Toutefois, le contre­argument de Shire fondé sur le délai précis avant la dissolution complète de la deuxième dose dans les revendications 1 à 4 (mais pas la revendication 22 et les autres revendications en cause) s’applique directement ici. Le fait que les inventeurs n’ont pas précisé de délai avant la dissolution complète de la deuxième dose dans la revendication 22 et les autres revendications en cause suggère qu’aucun délai de dissolution n’a été envisagé.

[92]           Je conclus que la deuxième forme pharmaceutique décrite dans la revendication 22 diffère de la forme pharmaceutique à libération immédiate. Le début de la libération de la deuxième dose est retardé pendant une période indéterminée et aucun délai jusqu’à sa libération complète n’a été défini.

c)                  De forme sensiblement similaire à celle montrée à la figure 7

[93]           Des efforts importants ont été déployés par les deux parties pour établir la signification de l’expression « de forme sensiblement similaire à celle montrée à la figure 7 » dans la revendication 22 et pour la comparer et la distinguer de l’expression « sensiblement similaire à celle montrée à la figure 7 » (sans le mot « forme ») tel qu’elle figure dans les revendications 31 et 32. Puisque l’AA d’Apotex n’aborde pas cette expression dans la revendication 22, il n’est pas nécessaire que je l’interprète.

(2)               Revendication 31

[94]           La revendication 31 se lit comme suit :

[traduction]

31. Une composition pharmaceutique orale assurant la libération de doses d’un ou plusieurs sels d’amphétamine suffisantes pour assurer une concentration plasmatique efficace pour traiter le trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (TDAH) chez le patient pendant au moins 8 heures sans autre administration de sels d’amphétamine et produisant une courbe concentration plasmatique/temps sensiblement similaire à celle montrée à la figure 7, ajustée proportionnellement en fonction des doses.

[95]           La revendication 31 ne mentionne pas de « forme pharmaceutique à libération immédiate contenant une première dose » ni de « deuxième forme pharmaceutique contenant une deuxième dose » (comme le fait la revendication 22). La revendication 31 fait plutôt mention de simples « doses » et précise que ces doses sont suffisantes pour (i) traiter le TDAH pendant au moins 8 heures et (ii) produisent une courbe concentration plasmatique/temps sensiblement similaire à celle montrée à la figure 7.

a)                  Doses

[96]           Shire ne définit pas les « doses » comme des éléments essentiels de la revendication 31 dans son mémoire des faits et du droit.

[97]           Selon l’interprétation d’Apotex, cette caractéristique indique que la composition décrite dans la revendication 31 contient plus d’une forme pharmaceutique. Apotex soutient que l’utilisation du pluriel « doses » indique qu’il y a plus d’une dose et que le fait qu’il y ait plus d’une dose sous­entend qu’il y a plus d’une forme pharmaceutique. Apotex soutient également que les formes pharmaceutiques envisagées décrites dans la revendication 31 doivent être interprétées comme une forme pharmaceutique à libération immédiate et une forme pharmaceutique à libération retardée, puisque c’est ce qui est décrit dans le brevet 090.

[98]           Shire soutient que la dose diffère de la forme pharmaceutique et qu’il est erroné de confondre ces deux notions. Je suis d’accord que ces deux termes sont utilisés séparément dans le brevet 090 et ne sont pas synonymes. Toutefois, je suis d’accord avec Apotex que l’utilisation du pluriel « doses » indique que plusieurs doses sont considérées.

[99]           Shire réplique que l’utilisation du pluriel « doses » dans la revendication 31 ne revêt aucune signification particulière puisque, comme il a été mentionné plus haut, la Loi d’interprétation (qui, comme l’a déclaré la CSC, gouverne l’interprétation des revendications) stipule au paragraphe 33(2) que « le pluriel ou le singulier s’appliquent, le cas échéant, à l’unité et à la pluralité ». Toutefois, l’interprétation proposée par Shire est maladroite puisqu’elle signifierait que le terme « doses » englobe le terme « dose ». Bien qu’on puisse affirmer que les directives de la CSC mènent à cette conclusion maladroite, je suis rassuré par le paragraphe 3(1) de la Loi d’interprétation qui stipule que les dispositions de la Loi s’appliquent « sauf indication contraire ». À mon avis, une lecture du brevet 090 dans son ensemble et conformément aux principes de l’interprétation des revendications dont il a été question précédemment dans les présents motifs mène à la conclusion que l’utilisation du pluriel « doses » dans la revendication 31 était volontaire et visait à désigner au moins deux doses distinctes. Dans le brevet 090, rien ne suggère l’utilisation d’une seule dose. En fait, l’objectif clair de l’invention telle qu’elle est décrite est de fournir deux doses par impulsion, une immédiate et une retardée.

[100]       Ceci dit, je ne suis pas prêt à accepter l’argument d’Apotex voulant que les deux doses minimales considérées dans la revendication 31 doivent être interprétées comme étant contenues dans une forme pharmaceutique à libération immédiate et dans une forme pharmaceutique à libération retardée. Le fait que ces deux formes pharmaceutiques précises soient définies dans les autres revendications du brevet 090, mais pas dans la revendication 31, indique que les inventeurs n’avaient pas l’intention de limiter la revendication 31 à ces formes pharmaceutiques.

b)                  Sensiblement similaire à celle montrée à la figure 7

[101]       Comme je l’ai indiqué précédemment, la construction de l’expression « sensiblement similaire à celle montrée à la figure7 » est particulièrement difficile à interpréter puisque la figure 7 est une courbe et non un texte. Plusieurs aspects du litige des parties portent sur la construction de cette expression. Je les résume ci­après, avant de les aborder en détail aux paragraphes qui suivent :

a)      Si la concentration plasmatique sur l’axe Y de la figure 7 désigne les amphétamines totales (ce qui englobe la d­amphétamine et la l­amphétamine) ou seulement la d­amphétamine.

b)      Si les données de la figure 7 ont été obtenues auprès d’un sujet à jeun ou non à jeun.

c)      La signification du fait que la figure 7 concerne la courbe concentration plasmatique/temps pour un seul sujet et la déclaration dans le reste du mémoire descriptif du brevet 090 selon laquelle cette courbe (ou profil) est typique.

d)     Comment un lecteur peut déterminer si une composition « produit une courbe concentration plasmatique/temps sensiblement similaire à celle montrée à la figure 7 ».

(i)                 Amphétamines totales ou d­amphétamine

[102]       La première question en litige dans la liste précédente consiste à déterminer si les données sur la concentration plasmatique de la figure 7 se rapportent aux amphétamines totales ou à la d­amphétamine seulement. Le brevet 090 ne le précise pas explicitement. Cette question pourrait avoir une certaine importance puisque Shire a fourni des preuves fondées sur les amphétamines totales seulement. Si la figure 7 se rapporte à la d­amphétamine, cela signifie que Shire n’a pas fourni de preuves adéquates sur la question de contrefaçon.

[103]       Shire soutient que s’il n’est pas précisé que seul un des énantiomères est mesuré (comme à la figure 7), les mesures se rapportent aux amphétamines totales. Pour soutenir cet argument, Shire mentionne que le brevet n’indique aucun énantiomère particulier lorsqu’il en fait mention. À titre d’exemple, la revendication 43 (qui est abordée en détail ci­dessous) fait mention de quatre sels d’amphétamine, dont deux sont désignés comme des dexamphétamine et deux comme des sels d’amphétamine.

[104]       J’ai eu un peu de mal avec le fait que la revendication 43 désigne à la fois le sulfate de dexamphétamine et le sulfate d’amphétamine. J’ai demandé à l’avocat de Shire de m’expliquer pourquoi, si le mot « amphétamine » désigne à la fois le sulfate de dexamphétamine et le sulfate de lévoamphétamine, la revendication 43 identifie séparément le sulfate de dexamphétamine. L’avocat de Shire a répondu que cela indique que la composition revendiquée inclut à la fois le sulfate de dexamphétamine et le sulfate de lévoamphétamine, mais que les deux éléments ne s’y retrouvent pas en quantités égales; la composition revendiquée est fortifiée par un supplément de sulfate de dexamphétamine. Cela semble être une explication raisonnable, à laquelle l’avocat d’Apotex ne semble pas s’objecter.

[105]       Shire mentionne également que l’expert d’Apotex, le Dr González, semble convenir que le terme « amphétamine » désigne à la fois la d­amphétamine et la l­amphétamine : reportez­vous à la Q674­5 de son contre­interrogatoire.

[106]       Apotex reconnaît que le brevet 090 n’indique pas si la figure 7 mesure les amphétamines totales ou seulement la d­amphétamine, mais s’oppose à la conclusion que le terme « amphétamine » désigne les amphétamines totales. Apotex soutient que le lecteur du brevet 090 ne peut déterminer avec certitude si la figure 7 mesure les amphétamines totales ou la d­amphétamine, mais qu’il est probable que la figure désigne la d­amphétamine. Apotex soutient cet argument en citant un passage du brevet 090 qui décrit un des aspects de l’invention. À la page 4f du brevet, on fait mention de l’administration des sels d’amphétamine [traduction] « de façon que la concentration plasmatique maximale de sels de dexamphétamine dans ledit mélange soit d’environ 40 ng/mL pour une dose de 10 mg de chaque forme pharmaceutique ». Le même passage est utilisé dans la revendication 51. Avec le soutien de son expert, le Dr González, Apotex souligne que la référence à une concentration plasmatique maximale d’environ 40 ng/mL pour deux doses de 10 mg de chacun des sels d’amphétamine semble renvoyer à la figure 7. Autrement, il s’agirait d’une étrange coïncidence. Cela suggère donc que la figure 7 mesure la d­amphétamine.

[107]       Apotex souligne également que dans son analyse de bioéquivalence de son produit ADDERALL XR, Shire sépare les données sur la d­amphétamine de celles sur la l­amphétamine. Selon Apotex, cela met en lumière le fait que Shire reconnaît l’importance des énantiomères respectifs des amphétamines et qu’il n’est pas enclin à en regrouper les données. Toutefois, il s’agit d’un argument à double tranchant. Le fait que Shire sépare les données sur la d­amphétamine et la l­amphétamine dans son analyse de bioéquivalence, mais qu’il ne l’ait pas fait dans le cas de la figure 7, pourrait laisser croire que la figure 7 mesure les amphétamines totales.

[108]       De plus, Shire réplique que les données de la figure 1 du brevet 090 (profil plasmatique cible désiré) ont été générées en fonction des amphétamines totales. Shire soutient que, puisque la figure 7 a été sélectionnée en raison de sa similitude avec la figure 1, il va de soi que la figure 7 mesure également les amphétamines totales. Même si le brevet 090 lui­même n’indique pas que la figure 1 mesure les amphétamines totales et que, par conséquent, l’argument de Shire à cet égard est fondé sur des preuves extrinsèques inadmissibles, ces preuves sont toutefois cohérentes avec l’interprétation qui me semble plus appropriée pour les raisons suivantes.

[109]       Bien que les passages à la page 4f du brevet 090 et de la revendication 51 soulèvent certains doutes sur la question, ce doute n’est pas suffisant pour ébranler ma conviction que l’argument le plus solide est qu’un lecteur versé dans l’art comprendrait que le mot « amphétamine » (sans référence à la d­amphétamine ou à la l­amphétamine) désigne les amphétamines totales et que la figure 7 mesure les amphétamines totales.

[110]       De même, je ne suis pas influencé par la référence d’Apotex à un passage du contre­interrogatoire de l’expert de Shire, le Dr Bodmeier, dans lequel on lui a lu une partie d’un contre­interrogatoire effectué dans une affaire précédente où il a été entendu comme témoin expert relativement au brevet 090. Apotex fait valoir que dans le cas précédent, le Dr Bodmeier a reconnu qu’il était possible que la référence à une concentration plasmatique maximale d’environ 40 ng/mL qui figure dans la revendication 51 pourrait être une référence à la figure 7. J’accepte la déclaration faite par le Dr Bodmeier dans le cadre de son contre­interrogatoire en l’espèce, où il affirme que dans le cas précédent, il n’avait pas analysé entièrement la question à savoir si la figure 7 mesure les amphétamines totales ou seulement la d­amphétamine.

(ii)               Sujet à jeun ou non à jeun

[111]       L’aspect suivant du litige se rapportant à l’interprétation de l’expression « sensiblement similaire à celle montrée à la figure 7 » consiste à déterminer si les données de la figure 7 ont été obtenues auprès d’un sujet à jeun ou non à jeun. Cette question est importante, car, en ce qui concerne la question de la contrefaçon, Shire n’a présenté que des preuves fondées sur des sujets non à jeun.

[112]       Shire soutient que la référence à la concentration plasmatique d’un « patient » dans la revendication 31 indique que la revendication se rapporte à un sujet non à jeun, puisqu’un patient n’est généralement pas à jeun.

[113]       En réponse, Apotex fait valoir que le brevet 090 indique que la figure 7 a été créée à partir des résultats d’une étude chez l’humain, qui est généralement menée chez des volontaires adultes en santé, à jeun ou non. Le brevet 090 ne précise pas si le sujet utilisé pour créer la figure 7 était à jeun ou non, et Shire n’a fourni aucune preuve sur ce point pour satisfaire au fardeau de la preuve. Apotex avance également que si l’on devait se concentrer sur le mot « patient » pour conclure que la figure 7 désigne une personne non à jeun, il faudrait également accepter le fait que le patient est généralement un enfant. On peut s’attendre à ce que le profil plasmatique d’un enfant soit très différent de celui d’un adulte, ce qui signifie que les données de la figure 7 ne sont pas représentatives d’un enfant non à jeun.

[114]       Shire réplique à cet argument en affirmant qu’il n’est pas pertinent de savoir si le sujet dont les données ont été utilisées pour créer la figure était à jeun ou non. Ce qui importe au moment d’interpréter la revendication, c’est sa formulation. Bien que la revendication 31 désigne une « courbe concentration plasmatique/temps sensiblement similaire à celle montrée à la figure 7 », elle ne précise pas si la courbe concentration plasmatique/temps sensiblement doit être mesurée dans les conditions d’une étude officielle. En fait, la revendication elle­même n’établit aucun lien entre la figure 7 et l’étude. Le lecteur versé dans l’art doit donc conclure, à la lecture du mot « patient », que la revendication ne sous­entend aucune condition de jeûne particulière.

[115]       Sur cette question, je prends le parti de Shire. Je ne suis pas persuadé que la figure 7 désigne une personne à jeun. Par conséquent, je suis d’avis qu’une étude chez un sujet non à jeun peut permettre une comparaison adéquate avec la figure 7.

[116]       En ce qui concerne l’argument selon lequel une analyse fondée sur le mot « patient » devrait également mener à la conclusion qu’une comparaison appropriée avec la figure 7 porterait sur le profil plasmatique d’un enfant, je suis d’avis que les preuves sont insuffisantes pour tirer une telle conclusion. Il est fort probable que la figure 7 provient d’un sujet participant à une étude chez des volontaires adultes. Compte tenu de la différence de taille entre les adultes et les enfants, je m’attendrais à ce que le brevet aborde ce point si la figure 7 devait se rapporter à des enfants.

[117]       Par conséquent, je suis convaincu que la preuve de Shire fondée sur un sujet non à jeun est pertinente.

(iii)             Sujet type

[118]       Je me penche maintenant sur la signification du fait que les données de la figure 7 (i) se rapportent à un seul sujet, et (ii) sont décrites dans le brevet 090 comme étant typiques.

[119]       La Dre Burnside, qui était l’un des inventeurs du brevet 090, a expliqué qu’il fallait utiliser une courbe de concentration plasmatique se rapportant à un seul sujet plutôt qu’une moyenne car « lorsque les courbes ont été tracées au moyen des concentrations plasmatiques moyennes des 20 sujets [de l’essai croisé mené chez des humains combinant les exemples 1 et 2], les courbes des sujets individuels perdaient leurs « pointes », « crêtes » et « creux » caractéristiques ». Bien qu’aucune de ces courbes de concentration plasmatique (ayant perdu cesdites pointes, crêtes et creux) n’ait été soumise comme preuve, je comprends que ce phénomène pourrait être attribuable au fait que ces pointes, crêtes et creux (qui peuvent être présentes dans chaque cas) peuvent survenir à différents moments d’un sujet à l’autre. En raison de ces différences, le traçage des moyennes aurait pour effet de répartir ou d’aplanir ces pointes, crêtes et creux, ce qui masquerait leur importance pour chaque cas individuel. Je reconnais que c’est pour ce motif que les inventeurs ont décidé d’utiliser une concentration plasmatique plutôt qu’une moyenne pour créer la figure 7.

[120]       Les experts d’Apotex font part de leurs doutes à savoir si la figure 7 est effectivement typique. Le Dr González fait valoir que si les figures 7 et 8 étaient réellement typiques, elles seraient plus ressemblantes, à toute le moins durant la période avant la libération de la dose à libération retardée. Toutefois, je ne suis pas prêt à conclure qu’il faut, à la lumière des différences entre les concentrations plasmatiques durant cette période, rejeter la déclaration à l’effet que les figures 7 et 8 du brevet 090 sont typiques. Il semble bien établi que les concentrations plasmatiques après l’administration d’une dose donnée de médicament varient d’une personne à l’autre et même entre les administrations d’une dose donnée à la même personne.

[121]       L’autre expert d’Apotex, le Dr Lee, s’inquiétait de l’absence de preuves, dans le brevet 090 ou ailleurs, permettant de vérifier si la figure 7 représente effectivement des résultats typiques. Encore une fois, je ne suis pas persuadé que cette crainte justifie de rejeter la déclaration figurant dans le brevet. J’accepte l’argument de Shire selon lequel l’information fournie dans le mémoire descriptif d’un brevet doit être présumée pertinente (Eli Lilly Canada Inc c. Novopharm Limited, 2009 CF 301, au paragraphe 94), et Apotex n’a pas démontré le contraire.

[122]       Apotex soutient également qu’il est inapproprié de se fier aux preuves présentées par l’un des inventeurs sur une question d’interprétation des revendications et que ces preuves devraient donc être ignorées. Bien que j’accepte le principe voulant que se fonder sur des éléments de preuve extrinsèques (comme le témoignage d’un inventeur) dans le cadre de l’interprétation des revendications soit une pratique limitée au Canada, je ne considère pas que les preuves présentées par Shire sont soumises à ce principe. L’argument selon lequel la figure 7 représente des résultats typiques est fondé sur une déclaration figurant dans le brevet 090 lui­même. Les preuves soumises par la Dre Burnside sont utiles pour expliquer pourquoi un résultat typique a été utilisé au lieu d’une moyenne.

[123]       Finalement, le Dr González fait valoir qu’une personne versée dans l’art comparant deux formes pharmaceutiques différentes d’un médicament établirait normalement la bioéquivalence par rapport à un produit de référence. Une évaluation de la bioéquivalence pourrait comprendre des paramètres comme la concentration plasmatique maximale (Cmax), le délai avant la Cmax (Tmax) et l’aire sous la courbe (ASC), qui fournit une indication de l’exposition totale au médicament dans le sang du sujet. Apotex soutient que les comparaisons de la bioéquivalence sont effectuées à l’aide de moyennes et qu’il est peu pratique de procéder à ces comparaisons au moyen des données sur un sujet unique, comme c’est le cas à la figure 7. Apotex ajoute que Shire considère à tort que les résultats « typiques » de la figure 7 représentent une moyenne des résultats de l’essai croisé mené chez des humains. Citant l’affidavit du Dr González, Apotex fait valoir que la référence aux figures 7 et 8 dans le brevet 090 signifie généralement qu’elles sont similaires au profil plasmatique cible fourni à la figure 1. Je rejette cet argument. À mon avis, la partie du mémoire descriptif qui décrit les figures 7 et 8 établit clairement qu’il s’agit de résultats typiques obtenus dans le cadre d’un essai croisé mené chez des humains. Il ressort clairement du brevet 090 que les revendications en cause doivent être interprétées en se fondant sur la figure 7 et que la violation desdites revendications nécessiterait une comparaison avec la figure 7. Je commenterai ci­après les fondements de la comparaison de la figure 7 à l’aide de paramètres comme la Cmax, la Tmax et l’ASC, mais dans la mesure où ils sont applicables, ils doivent s’appliquer à la figure 7 telle qu’elle figure dans le brevet 090.

(iv)             Évaluation de l’expression « essentiellement similaire »

[124]       Finalement, je me penche sur la question à savoir comment un lecteur peut déterminer si une composition « produit une courbe concentration plasmatique/temps sensiblement similaire à celle montrée à la figure 7 ». Bien que les parties soient en désaccord sur de nombreux points se rapportant à cette question, ces désaccords peuvent être initialement ramenés à un débat à savoir si la comparaison de la courbe à la figure 7 avec une composition possiblement contrefaite devrait être objective (statistique, quantitative) ou subjective (graphique, qualitative). La position de Shire est que la comparaison peut et doit être effectuée à l’aide de critères objectifs (statistiques, quantitatifs). De son côté, Apotex fait valoir que la comparaison nécessite une détermination des caractéristiques de la courbe revendiquée, laquelle est nécessairement subjective (graphique, qualitative).

[125]       Il est généralement préférable de se fier à des critères objectifs dans l’interprétation d’un brevet puisque l’analyse de la violation est ainsi plus simple et élimine ou réduit les effets négatifs comme l’imprévisibilité et le biais. Dans l’arrêt Free World Trust (au paragraphe 42), la CSC reconnaît qu’un brevet de portée incertaine s’avère être une nuisance publique.

[126]       Les critères objectifs qui, selon Shire, devraient être appliqués pour déterminer si une courbe est essentiellement similaire à celle montrée à la figure 7 sont ceux fréquemment utilisés par une personne versée dans l’art pour évaluer la bioéquivalence. Shire se concentre sur la Cmax et l’ASC. Shire soutient également que la règle 80/125 utilisée pour évaluer la bioéquivalence devrait être appliquée pour déterminer la portée prévue du mot « sensiblement ». Autrement dit, la courbe est sensiblement identique à celle de la figure 7 si sa Cmax et son ASC se situent entre 80 % et 125 % de celles de la figure 7.

[127]       Je note que le brevet 090 ne fournit aucun critère pour guider l’interprétation de l’expression « sensiblement la même ». Toutefois, on peut tirer quelques indices de la déclaration selon laquelle les profils plasmatiques des figures 7 et 8 sont similaires au profil plasmatique cible désiré de la figure 1 et du fait que la courbe de la figure 7 a été revendiquée, alors que celle de la figure 8 ne l’a pas été. Selon moi, ces indices suggèrent que les caractéristiques de la figure 7 qui sont communes à la figure 1 sont des caractéristiques importantes de la figure 7, tout comme les caractéristiques de la figure 7 qui diffèrent de celles de la figure 8.

[128]       Pour plus de commodité, je reproduis ici les figures 1, 7 et 8 :

[129]       Je suis d’accord avec Apotex que l’interprétation de l’expression « sensiblement la même » nécessite une analyse subjective (graphique, qualitative) des caractéristiques clés de la figure 7 dans le contexte du brevet 090 dans son ensemble. Je crains que le fait que Shire se concentre sur des caractéristiques statistiques comme la Cmax et l’ASC pour déterminer les caractéristiques clés d’une courbe complexe comme la figure 7 ait pour conséquence d’englober dans la portée de la revendication des courbes sensiblement différentes de celle de la figure 7. Il n’est pas difficile de créer une courbe ayant la même Cmax et la même ASC que la figure 7, mais cette courbe ne semblera pas sensiblement similaire à celle de la figure 7 pour un simple observateur. À titre d’exemple, est­ce qu’une ligne droite reliant une concentration plasmatique de zéro à l’heure zéro à une concentration de 40 ng/mL après 7 heures (ce qui correspondant à la Cmax et la Tmax de la figure 7), suivie par une autre ligne droite de ce point jusqu’à zéro entre 30 et 40 heures, produirait la même ASC qu’à la figure 7? Je ne suis pas persuadé qu’une personne versée dans l’art serait plus susceptible qu’un simple observateur de voir cette courbe comme sensiblement similaire à celle de la figure 7.

[130]       Selon les indices donnés par le brevet 090 (similarités avec la figure 1 et différences avec la figure 8), j’ai cerné cinq caractéristiques clés dans la figure 7 :

a)      une première hausse (d’une durée d’environ 3 heures);

b)      un plateau sans baisse (suivant la première hausse);

c)      une deuxième hausse (après le plateau);

d)     un pic aigu après environ 7 heures (suivant la deuxième hausse); et

e)      une baisse stable (après le pic).

[131]       Je note que l’expert d’Apotex, le Dr Lee, a discuté essentiellement de ces caractéristiques au paragraphe 324 du présent rapport.

[132]       Shire soutient que les caractéristiques clés de la composition brevetée sont celles ayant un effet sur le traitement du TDAH dans les 8 heures suivant l’administration. Par conséquent, Shire se concentre sur le profil ascendant de la courbe. Shire soutient que le plateau de la figure 7 n’offre aucune valeur thérapeutique et qu’elle ne doit donc pas être considérée comme une caractéristique essentielle de la figure. En outre, selon les preuves que les effets bénéfiques du profil ascendant se poursuivent sur une période de trois heures après la Cmax, les caractéristiques clés de la figure 7 sont celles observées au cours des cinq premières heures environ.

[133]       J’ai peine à accepter l’argument de Shire à cet égard puisqu’il n’est fondé que sur une petite partie de la courbe montrée à la figure 7 et qu’il met de côté un grand nombre de ses caractéristiques. La figure 7 fournit des données sur une période de 48 heures. Selon moi, les inventeurs n’auraient pas inclus cette période de temps dans la figure s’ils n’avaient pas prévu que l’expression « sensiblement similaire » soit axée sur les cinq premières heures. En outre, si on se concentre sur les cinq premières heures et que l’on ignore le plateau, comme le décrit Shire, la seule caractéristique restante de la figure 7 est la hausse. Encore une fois, à mon avis, les inventeurs n’auraient pas prévu une courbe comme celle de la figure 7 si telle avait été leur intention. Finalement, je considère qu’une caractéristique qui apparaît clairement dans la figure 7, mais qui pourrait être inutile (comme le plateau) équivaut pour Shire à s’infliger une blessure volontaire, et le public doit pouvoir s’y fier.

(v)               Aparté sur les principes d’interprétation des revendications

[134]       Puisque cette discussion porte sur les éléments essentiels d’une revendication et puisqu’on m’a demandé de tenir compte de la signification prévue de la revendication et de déterminer si certains éléments de celle­ci ont une influence sur le fonctionnement de l’invention, je profite de l’occasion pour commenter un aspect des critères utilisés pour déterminer si un élément d’une revendication est essentiel ou non. L’interprétation de ces critères commence avec un extrait du paragraphe 55 de la décision de la CSC dans l’affaire Free World Trust, qui a été mentionnée précédemment, et que je reproduis ici pour plus de commodité :

Pour qu’un élément soit jugé non essentiel et, partant, remplaçable, il faut établir que (i), suivant une interprétation téléologique des termes employés dans la revendication, l’inventeur n’a manifestement pas voulu qu’il soit essentiel, ou que (ii), à la date de la publication du brevet, le destinataire versé dans l’art aurait constaté qu’un élément donné pouvait être substitué sans que cela ne modifie le fonctionnement de l’invention, c.­à­d. que, si le travailleur versé dans l’art avait alors été informé de l’élément décrit dans la revendication et de la variante et [traduction] « qu’on lui avait demandé de déterminer si la variante pouvait manifestement fonctionner de la même manière », sa réponse aurait été affirmative : Improver Corp. c. Remington, précité à la page 192. Dans ce contexte, je crois que l’expression « fonctionner de la même manière » devrait signifier, pour nos besoins ici, que la variante (ou le composant) accomplirait sensiblement la même fonction pour obtenir sensiblement le même résultat. Dans l’affaire Improver Corp. c. Remington, le juge Hoffmann a tenté de condenser l’analyse de Catnic dans une série de questions concises, au paragraphe 182 :

1) La variante influence­t­elle de façon appréciable le fonctionnement de l’invention? Dans l’affirmative, la variante ne tombe pas sous le coup de la revendication. Dans la négative : –

(2) Le fait que la variante n’influence pas de façon appréciable le fonctionnement de l’invention aurait­il été évident, à la date de la publication du brevet, pour un expert du domaine? Dans la négative, la variante ne tombe pas sous le coup de la revendication. Dans l’affirmative : –

(3) L’expert du domaine conclurait­il malgré tout, à la lecture de la teneur de la revendication, que le breveté considérait qu’une stricte adhésion au sens premier constituait une condition essentielle de l’invention? Dans l’affirmative, la variante ne tombe pas sous le coup de la revendication.

[souligné dans l’original]

[135]       Un lecteur attentif remarquera que la série de trois questions tirée de l’affaire Improver, qui est citée par la CSC, ne semble pas être entièrement compatible avec l’analyse en deux parties qui apparaît plus haut dans le paragraphe pour déterminer si un élément est essentiel ou non. La première partie de la caractérisation de la CSC de l’analyse (« suivant une interprétation téléologique des termes employés dans la revendication (l’élément), l’inventeur n’a manifestement pas voulu qu’il soit essentiel ») correspond à peu près à la troisième question dans l’arrêt Improver. La deuxième partie de la caractérisation de la CSC (« à la date de la publication du brevet, le destinataire versé dans l’art aurait constaté qu’un élément donné pouvait être substitué sans que cela ne modifie le fonctionnement de l’invention ») correspond à peu près à la première et la deuxième question de l’arrêt Improver. Toutefois, selon les critères de l’arrêt Improver, le défendeur n’a à satisfaire qu’à l’une des questions. Pour que le breveté puisse établir qu’une revendication n’est pas essentielle, il doit satisfaire aux trois questions. En revanche, la caractérisation de la CSC de l’analyse semble indiquer que le défendeur doit satisfaire aux deux parties de l’analyse et que le breveté peut établir qu’un élément de la revendication n’est pas essentiel en ne satisfaisant qu’une seule partie.

[136]       Il semble peu probable que la CSC ait établi volontairement cette différence. Sa décision ne confirme aucune incohérence entre les questions de l’arrêt Improver et ses propres critères pour déterminer le caractère essentiel. La CSC ne semble pas non plus désapprouver les questions de l’arrêt Improver. En fait, il est clair que la CSC se fonde sur l’arrêt Improver.

[137]       Selon moi, il est probable que la CSC prévoyait que, pour qu’un breveté puisse juger un élément d’une revendication comme non essentiel, il doit à la fois établir que (i) suivant une interprétation téléologique des termes employés dans la revendication, l’inventeur n’a manifestement pas voulu qu’il soit essentiel, et que (ii), à la date de la publication du brevet, le destinataire versé dans l’art aurait constaté qu’un élément donné pouvait être substitué sans que cela ne modifie le fonctionnement de l’invention.

[138]       Il semble suffisamment clair qu’un élément d’une revendication doit être considéré comme essentiel si le texte de la revendication l’indique, sans se demander si le destinataire versé dans l’art aurait constaté qu’un élément donné pouvait être remplacé sans que cela ne modifie le fonctionnement de l’invention. Au paragraphe 51 de l’arrêt Free World Trust, la CSC déclare ce qui suit :

Les mots choisis par l’inventeur seront interprétés selon le sens que l’inventeur est présumé avoir voulu leur donner et d’une manière qui est favorable à l’accomplissement de l’objet, exprès ou tacite, des revendications. Cependant, l’inventeur qui s’exprime mal ou qui crée par ailleurs une restriction inutile ou complexe ne peut s’en prendre qu’à lui­même. Le public doit pouvoir s’en remettre aux termes employés à condition qu’ils soient interprétés de manière équitable et éclairée.

[souligné dans l’original]

[139]       En outre, la CSC établit clairement qu’il incombe au breveté d’établir la substituabilité (caractère non essentiel) connue et évidente d’un élément d’une revendication : Free World Trust au paragraphe 57.

[140]       Le problème de l’incohérence apparente entre les critères de l’arrêt Free World Trust et ceux de l’arrêt Improver a été mentionné peu de temps après que la CSC ait rendu sa décision, dans le document de D. Clarizio, « Whirlpool and Free World Trust : Claim Construction and the Test for Patent Infringement”, (2001) 18 C.I.P. Rev. 139. À la page 145, Clarizio tente de concilier les critères conjoints de l’affaire Improver et les critères disjonctifs dans l’affaire Free World Trust, comme suit :

En appliquant la « primauté de la langue des revendications » comme principe prépondérant, les critères visant à déterminer si un élément est essentiel ou non sont fondés sur deux questions, bien qu’elles ne soient pas posées nécessairement dans cet ordre :

1.         Est­ce que l’inventeur a manifestement voulu, tel que le formule ou le sous­entend la teneur de la revendication, que l’élément soit essentiel? Dans l’affirmative, l’élément est essentiel.

2.         Si la négative :

(a)        Est­ce que le breveté a démontré, selon une interprétation téléologique du texte de la revendication, que l’élément n’était clairement pas destiné à être essentiel? ou

(b)        Est­ce qu’un travailleur versé dans l’art aurait constaté qu’un élément donné pouvait être substitué sans que cela ne modifie le fonctionnement de l’invention?

Dans l’affirmative au point (a) ou (b), l’élément n’est pas considéré comme essentiel. Dans la négative aux points (a) et (b), l’élément est considéré comme essentiel.

[141]       Cette conciliation est plutôt insatisfaisante puisque la question 1 (qui porte sur l’intention de l’inventeur que l’élément soit essentiel) est essentiellement l’autre côté de la médaille à la question 2a (qui demande si l’élément n’était clairement pas destiné à être essentiel). La principale différence est l’ajout du mot « clairement ». Selon moi, ce mot supplémentaire n’explique pas pourquoi la caractérisation des critères est de nature disjonctive dans l’affaire Free World Trust et de nature conjointe dans l’affaire Improver.

[142]       Plus récemment, Donald M. Cameron s’est penché sur cette question dans l’ouvrage Canadian Patent Law Benchbook, 2e éd., D.M. Cameron éd., Carswell, 2014, à la page 375, en tentant une fois de plus de concilier l’incohérence qui fait qu’en réalité, les critères de l’arrêt Free World Trust sont caractérisés comme conjoints. Bien qu’il y ait de rares références à cette question dans la jurisprudence, la Cour d’appel fédérale a intrinsèquement adopté la même approche dans l’arrêt Halford c. Seed Hawk Inc, 2006 CAF 275, aux paragraphes 13 à 15, où elle stipule ce qui suit :

[13]      Le tribunal qui interprète les revendications d’un brevet doit établir quels éléments de l’invention sont essentiels. Cette décision dépend du libellé des revendications, interprété de manière téléologique, et éclairée par les éléments de preuve qui établissent comment la personne versée dans l’art comprendrait lesdites revendications : Whirlpool, au paragraphe 45. Un élément donné peut être déclaré essentiel sur le fondement de l’intention de l’inventeur, telle qu’il l’exprime dans les revendications ou telle qu’on peut l’en déduire, ou sur la base d’éléments de preuve touchant le point de savoir s’il aurait été évident pour la personne versée dans l’art au moment de la publication du brevet qu’une variante de cet élément modifierait le fonctionnement de l’invention : Free World aux paragraphes 31 et 55.

[14]      … Dans cet arrêt, le juge Binnie pose en principe que peuvent être dits essentiels les éléments qui se révèlent nécessaires pour que l’invention fonctionne comme l’a prévu l’inventeur et conformément aux revendications, et que ne sont pas essentiels les éléments qui peuvent être remplacés ou omis sans que la construction ou le fonctionnement de l’invention décrite dans les revendications s’en trouve substantiellement modifié : Free World, au paragraphe 20.

[15]      …s’il n’était pas évident à la date de la publication du brevet que l’élément de remplacement n’influençait pas de manière appréciable le fonctionnement de l’invention, il n’y a pas contrefaçon. De même, si l’équivalence fonctionnelle était évidente, mais que le breveté avait en vue une stricte adhésion à la revendication, il n’y a pas non plus contrefaçon : Free World au paragraphe 55.

[143]       En outre, la juge Johanne Gauthier semble avoir reconnu le même raisonnement dans l’arrêt Bauer Hockey Corp c. Easton Sports Canada Inc, 2010 CF 361, au paragraphe 144, précité dans 2011 CAF 83.

[144]       En appliquant les principes précédents aux faits de l’affaire, il incombe à Shire d’établir si une caractéristique n’est pas essentielle. Comme je l’ai indiqué précédemment, j’estime que les cinq caractéristiques indiquées dans la figure 7 sont essentielles à la revendication 31. En outre, je conclus que Shire n’a pas réussi à établir, selon une interprétation téléologique du texte de la revendication 31, que ces caractéristiques n’étaient clairement pas destinées à être essentielles.

(vi)             Conclusion de l’interprétation de l’expression « sensiblement similaire à celle montrée à la figure 7 »

[145]       Pour conclure sur cette question, j’estime que l’expression « sensiblement similaire à celle montrée à la figure 7  » désigne la concentration plasmatique des amphétamines totales chez un sujet non à jeun. Les caractéristiques essentielles de la figure 7 sont la première hausse, le plateau, la deuxième hausse, le pic et la baisse stable, comme nous l’avons décrit au paragraphe [130], ci­avant.

(3)               Revendication 32

[146]       La revendication 32 se lit comme suit :

[traduction]

32. Une composition pharmaceutique orale assurant la libération d’un ou plusieurs sels d’amphétamines, comprenant une forme pharmaceutique à libération immédiate contenant une première dose du ou des sels efficaces pour traiter le trouble déficitaire de l’attention avec hyperactivité (TDAH) chez les humains et une deuxième forme pharmaceutique contenant une deuxième dose du ou des sels d’amphétamines efficaces pour traiter le TDAH chez les humains, dont le profil concentration plasmatique/temps est sensiblement similaire à celui montré à la figure 7, ajusté proportionnellement en fonction de la première et de la deuxième dose.

[147]       La revendication 32 diffère de la revendication 22 dans la partie finale seulement. Plus précisément, la revendication 32 ne fait pas référence à l’action retardée (de la deuxième dose) qui est mentionnée dans la revendication 22. De même, la revendication 32 utilise l’expression « dont le profil concentration plasmatique/temps est sensiblement similaire à celui montré à la figure 7 » au lieu de parler d’une « courbe concentration plasmatique/temps de forme sensiblement similaire à celle montrée à la figure 7 » [non souligné dans l’original] comme dans la revendication 22.

[148]       La suppression de la référence à l’action retardée indique que la revendication 32 ne nécessite pas que libération de la deuxième dose soit retardée.

[149]       Je n’ai aucune raison de croire qu’il existe une différence substantielle entre le mot« profil » de la revendication 32 et le mot « courbe » de la revendication 22.

[150]       Comme je l’ai mentionné précédemment, je n’ai pas cru nécessaire de tirer une conclusion concernant la pertinence du mot « forme » ajouté à la phrase de la revendication 22. L’expression « sensiblement la même qu’à la figure 7 » utilisée dans la revendication 32 est également utilisée dans la revendication 31. Je conclus que l’expression a la même signification dans les deux revendications.

(4)               Revendication 43

[151]       La revendication 43 se lit comme suit :

[traduction]

43. La composition pharmaceutique décrite dans les revendications 14 à 41, qui décrivent les sels d’amphétamine comme un mélange de sulfate de dexamphétamine, de saccharate de dexamphétamine, d’aspartate d’amphétamine monohydraté et de sulfate d’amphétamine.

[152]       En gardant à l’esprit les éléments sur lesquels repose le litige, une interprétation de terme « aspartate d’amphétamine monohydraté » s’impose. Shire soutient que le mot « monohydraté » n’est pas essentiel et que le terme englobe l’aspartate d’amphétamine anhydre. Shire souligne les données selon lesquelles l’aspartate d’amphétamine anhydre est un bioéquivalent de l’aspartate d’amphétamine monohydraté et que la substitution de l’un pour l’autre n’exerce aucun effet thérapeutique. Apotex ne semble pas être en désaccord avec ce fait. Toutefois, comme je l’ai mentionné en détail dans mon aparté débutant au paragraphe [134], ci­avant, cela ne signifie pas nécessairement que le mot « monohydraté » doit être considéré comme non essentiel et donc substituable. Je n’ai vu aucun élément de preuve démontrant, selon une interprétation téléologique du terme, que l’inventeur n’a pas manifestement voulu qu’il soit essentiel.

[153]       Le terme « aspartate d’amphétamine monohydraté » est clair et rien ne suggère qu’un lecteur versé dans l’art pourrait comprendre que l’inventeur utilise ce terme pour décrire ce composé ainsi que d’autres composés similaires comme l’aspartate d’amphétamine anhydre. En fait, à la lumière de leurs arguments respectifs, il est clair que les parties comprennent qu’il s’agit de deux termes distincts.

(5)               Revendication 46

[154]       La revendication 46 se lit comme suit :

[traduction]

46. La composition pharmaceutique décrite dans les revendications 22 à 45, suffisante pour maintenir une concentration efficace de sels d’amphétamine dans l’organisme du patient pendant au moins 8 heures sans autre administration de sels d’amphétamine.

[155]       Il n’y a aucune question d’interprétation des revendications à aborder en lien avec la revendication 46. Cette revendication précise qu’une concentration efficace de sel d’amphétamine est maintenue chez les patients pendant une période d’au moins huit heures sans autre administration. Cette caractéristique est déjà un élément de la revendication 31 et n’est pas pertinente.

VII.          Absence de contrefaçon

A.                Loi applicable

[156]       La contrefaçon n’est pas définie dans la Loi sur les brevets. Toutefois, la contrefaçon a été définie dans la jurisprudence. Pour les besoins du présent cas, il suffit de dire que la contrefaçon d’un brevet nécessite que tous les éléments essentiels de la revendication (interprétée adéquatement) soient présents : Free World Trust au paragraphe 68(4). Il n’y a pas de contrefaçon lorsqu’un élément essentiel est différent ou omis. Il peut toutefois y avoir contrefaçon lorsque des éléments non essentiels sont substitués ou omis : Free World Trust au paragraphe 31(f).

B.                 Analyse

[157]       Le produit d’Apotex a été décrit de façon générale précédemment dans les présents motifs. La principale différence entre le produit d’Apotex et la composition du brevet 090, que nous avons déjà abordée précédemment est que le premier n’atteint pas son efficacité sur une période prolongée grâce à une combinaison de comprimés à libération immédiate et de comprimés à libération retardée, comme c’est le cas du brevet 090. Le produit d’Apotex utilise plutôt un comprimé doté d’une matrice monolithique uniforme dans un polymère entérique composé d’acide méthacrylique et d’acrylate d’éthyle, dans laquelle sont dispersés des sels d’amphétamine et d’autres excipients.

[158]       Bien que la matrice du produit d’Apotex soit faite d’un polymère entérique, une certaine partie des sels d’amphétamine se dissout avant que le produit atteigne l’intestin. La dissolution est assurée par un mécanisme de diffusion, alors que les sucs gastriques de l’estomac pénètrent graduellement dans les comprimés et dissolvent une partie des sels, qui sont dispersés dans la matrice entérique, bien que celle­ci demeure intacte. L’expert de Shire, le Dr Bodmeier, a fourni le graphique suivant pour illustrer le profil de libération du produit d’Apotex :

[159]       Ce graphique montre une dissolution d’environ 40 à 50 % des sels d’amphétamine au cours des premières deux heures, alors que le produit se trouve dans l’estomac. Le graphique montre également que la vitesse de dissolution augmente une fois que le produit a atteint l’intestin. Le deuxième stade de la dissolution se produit lorsqu’un nouveau mécanisme, l’érosion, entre en jeu. La matrice entérique se décompose et une plus grande quantité de sels est exposée et se dissout ensuite.

[160]       Dans la présence discussion, il est important de ne pas confondre le profil de dissolution (ou de libération) dans le graphique précédent et le profil de concentration plasmatique montré à la figure 7 du brevet 090. Le profil de dissolution montre la dissolution les sels d’amphétamine au fil du temps, alors que la concentration plasmatique montre leur absorption au fil du temps dans le sang du patient.

[161]       Les données sur le profil de concentration plasmatique du produit d’Apotex (amphétamines totales et sujet non à jeun) sont fournies dans la pièce 23 de l’affidavit du Dr González. Cette pièce fournit un profil distinct pour chaque sujet étudié. Le Dr González a également fourni un graphique du profil plasmatique moyen dans la pièce 21 de son affidavit. Toutefois, le profil plasmatique moyen du produit d’Apotex n’est pas utile pour sensiblement les mêmes raisons invoquées par la Dre Burnside dans son affidavit, soit qu’une courbe ne serait pas utile à la figure 7 puisqu’elle ne réfléterait pas les « pics », « crêtes » et « creux » propres à chaque sujet.

[162]       La pièce 23 comporte 21 profils plasmatiques individuels. Il est clair, à l’examen de ces profils de la pièce 23, que les résultats varient considérablement entre les sujets.

[163]       Une autre différence importante entre le produit d’Apotex et le produit décrit dans le brevet 090 est que le premier contient de l’aspartate d’amphétamine anhydre et non de l’aspartate d’amphétamine monohydraté, comme le deuxième.

(1)               Revendication 22

[164]       La question d’absence de contrefaçon concernant la revendication 22 consiste à déterminer si le produit d’Apotex comporte :

a)      une forme pharmaceutique à libération immédiate contenant une première dose; et

b)      une deuxième forme pharmaceutique contenant une deuxième dose, dont l’action est retardée.

[165]       Comme nous l’avons mentionné précédemment lors de la discussion sur l’interprétation de la revendication 22, l’expression « à libération immédiate » sous­entend l’absence d’un mécanisme pour retarder la libération. Je conclus que le produit d’Apotex ne contient pas de forme pharmaceutique à libération immédiate puisqu’il est composé d’une seule forme pharmaceutique dotée d’une matrice entérique qui agit pour retarder la libération de l’ingrédient actif.

[166]       Cela suffit pour conclure que l’allégation d’absence de contrefaçon d’Apotex pour la revendication 22 est justifiée. En outre, bien que cela ne soit pas nécessaire dans le cadre de ma décision, il me serait difficile d’établir que le produit d’Apotex comporte une deuxième forme pharmaceutique contenant une deuxième dose dont l’action est retardée. Premièrement, bien que le produit d’Apotex soit doté d’un mécanisme visant à retarder la libération de l’ingrédient actif, il ne semble pas qu’il y ait un délai avant le début de la libération. En outre, je ne peux conclure que le produit d’Apotex comporte une première dose et une deuxième dose distinctes. Il est vrai que le produit d’Apotex utilise deux mécanismes de libération distincts, mais il n’y a qu’une seule dose du médicament.

(2)               Revendication 31

[167]       La question d’absence de contrefaçon concernant la revendication 31 consiste à déterminer si le produit d’Apotex comporte :

a)      plusieurs doses; et

b)      une courbe concentration plasmatique/temps sensiblement similaire à celle montrée à la figure 7.

a)                  Doses multiples

[168]       Comme nous en avons discuté dans la section précédente concernant la revendication 22, le produit d’Apotex ne comporte qu’une forme pharmaceutique. Je dois donc demander si cette forme pharmaceutique unique comporte plusieurs doses.

[169]       Shire soutient que c’est le cas, citant les deux mécanismes de libération distincts (diffusion et érosion) du produit d’Apotex. Toutefois, il est clair que le produit d’Apotex est uniforme et monolithique. À mon avis, il faudrait forcer le sens du terme « dose » pour conclure que le produit d’Apotex comporte deux doses.

[170]       Shire fait également référence à la page 3 du brevet 090 qui mentionne le mode de libération bimodal comme un des mécanismes envisagés. Le passage indique que [traduction] « la libération [b]imodale est caractérisée par une libération initiale rapide, suivi d’une période de libération constante, puis d’une deuxième libération rapide du médicament ». À mon avis, ce passage est insuffisant pour établir que la référence à des « doses » dans la revendication 31 visait à décrire un produit comme celui d’Apotex. La référence au mode de libération bimodal est tirée de la section des renseignements généraux sur l’invention. Il n’est pas clair si elle vise à définir le terme « dose » dans la revendication 31.

[171]       Par conséquent, je conclus que l’allégation d’absence de contrefaçon d’Apotex pour la revendication 31 est justifiée.

b)                  Une courbe concentration plasmatique/temps sensiblement similaire à celle montrée à la figure 7

[172]       Je tire la même conclusion concernant la question à savoir si le produit d’Apotex produit une courbe concentration plasmatique/temps sensiblement similaire à celle montrée à la figure 7. Comme nous l’avons mentionné dans la discussion sur l’interprétation de la revendication 31, il faut que le profil plasmatique de la composition pharmaceutique contrefaite présente les cinq caractéristiques identifiées au paragraphe [130], ci­avant. Après avoir examiné l’ensemble des profils plasmatiques présentés dans la pièce 23 de l’affidavit du Dr González, je conclus que presque tous ces profils ne présentent pas (i) de plateau, et (ii) de pic aigu ou de baisse stable, ou les deux. On peut prétendre que les profils plasmatiques des sujets 2 et 10 seraient sensiblement similaires à celui montré à la figure 7 si l’on ne tenait pas compte d’un ou deux points de données anormaux. Il conviendrait également d’ignorer la Cmax considérablement plus faible du sujet 10. Shire soutient que ces données démontrent que le produit d’Apotex se trouvera parfois à enfreindre la revendication et qu’il doit donc être reconnu comme tel.

[173]       Toutefois, puisque la figure 7 est fondée sur un profil typique, j’estime qu’il faut tenir compte du profil typique au moment d’évaluer si le produit d’Apotex enfreint la revendication. Malgré le fait que le sujet 2 (et possiblement le sujet 10) présente un profil plasmatique qui semble sensiblement similaire à celui de la figure 7, ces profils ne sont donc pas typiques. À mon avis, un profil plasmatique typique tiré de la pièce 23 n’est pas sensiblement similaire à celui de la figure 7.

(3)               Revendication 32

[174]       La question d’absence de contrefaçon concernant la revendication 32 consiste à déterminer si le produit d’Apotex comporte :

a)      une forme pharmaceutique à libération immédiate contenant une première dose;

b)      une deuxième forme pharmaceutique contenant une deuxième dose; et

c)      un profil concentration plasmatique/temps sensiblement similaire à celui montré à la figure 7.

[175]       Toutes ces questions ont été abordées lors de l’examen des questions de contrefaçon relatives aux revendications 22 et 31.

[176]       Le produit d’Apotex ne présente pas de forme pharmaceutique à libération immédiate en ce sens que le produit comporte un mécanisme retardant la libération des sels d’amphétamine. En outre, le produit d’Apotex ne comporte pas de première et de deuxième formes pharmaceutiques distinctes.

[177]       Le produit d’Apotex ne produit pas non plus de profil concentration plasmatique/temps sensiblement similaire à celui montré à la figure 7 puisque le profil du sujet type ne présente pas toutes les caractéristiques essentielles, soit un plateau et un pic aigu ou une baisse stable, ou les deux.

[178]       Pour ces raisons, je conclus que l’allégation d’absence de contrefaçon d’Apotex pour la revendication 32 est justifiée.

(4)               Revendication 43

[179]       La seule question en cause relativement à la revendication 43 consiste à déterminer si le produit d’Apotex contient de l’aspartate d’amphétamine monohydraté. Il est admis que le produit d’Apotex contient de l’aspartate d’amphétamine anhydre. Selon mon interprétation de la revendication 43, ci­avant, le terme « aspartate d’amphétamine monohydraté » n’englobe pas l’aspartate d’amphétamine anhydre, ce qui signifie que le produit d’Apotex n’enfreint pas la revendication 43.

(5)               Revendication 46

[180]       Bien que la limite supplémentaire introduite par la revendication 46 (maintien d’une concentration efficace de sels d’amphétamine dans l’organisme du patient pendant au moins 8 heures sans autre administration) est vraisemblablement présente dans le produit d’Apotex, cette revendication n’est toutefois pas enfreinte puisqu’il s’agit d’une revendication dépendante et qu’il a été démontré qu’aucune des revendications dont elle dépend n’a été enfreinte.

C.                 Conclusion sur la contrefaçon

[181]       Pour les motifs précités, je conclus qu’aucune des revendications en cause n’est enfreinte par le produit d’Apotex et que Shire n’a pas établi que les allégations d’absence de contrefaçon d’Apotex sont injustifiées.

VIII.       Questions d’invalidité

[182]       Comme je l’ai indiqué précédemment, puisque j’ai conclu que les allégations d’absence de contrefaçon d’Apotex sont justifiées, les allégations d’invalidité ne sont pas en cause.

IX.             Allégations non pertinentes en vertu du Règlement

[183]       De même, puisque j’ai conclu que les allégations d’absence de contrefaçon d’Apotex sont justifiées, il n’est pas nécessaire que je détermine si les allégations que les revendications en cause ne sont pas pertinentes en vertu du Règlement sont justifiées.

X.                Conclusion

[184]       Compte tenu de l’analyse qui précède, j’ai conclu que les allégations d’absence de contrefaçon d’Apotex relativement au brevet 090 sont justifiées. La demande de Shire est donc rejetée.

[185]       Les frais juridiques d’Apotex doivent lui être remboursés. Si les deux parties ne peuvent s’entendre sur le montant, je recevrai les observations des deux parties selon les moyens envisagés dans le jugement qui suit.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

  1. La présente demande est rejetée.
  2. Les coûts suivent le sort de l’affaire. Si les parties ne peuvent s’entendre sur le montant versé par Shire Canada Inc. à Apotex Inc., ce dernier doit déposer ses observations sur les coûts, ne comptant pas plus de 15 pages, au cours des 30 jours suivant la date de cette décision. Shire aura 15 jours suivants la réception des observations d’Apotex pour répondre en déposant ses propres observations sur les coûts, qui seront également limitées à 15 pages. Par la suite, Apotex peut, dans les cinq (5) jours suivant la réception des observations de Shire, déposer en réponse des observations sur les coûts ne comptant pas plus de cinq (5) pages

« George R. Locke »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1392-14

 

INTITULÉ :

SHIRE CANADA INC. c. APOTEX INC. LE MINISTRE DE LA SANTÉ ET SHIRE LLC

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Du 15 au 18 février 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LOCKE

 

DATE DES MOTIFS :

Le 7 avril 2016

 

COMPARUTIONS :

M. Jay Zakaïb

M. Alex Gloor

Mme Jennifer Wilkie

M. Adam Heckman

 

Pour la demanderesse

 

M. Andrew Brodkin

M. Richard Neiberg

M. Jaro Mazzola

 

Pour la défenderesse

APOTEX INC.

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

GOWLING LAFLEUR HENDERSON LLP

Avocats­procureurs

Ottawa (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

GOODMANS LLP

Avocats­procureurs

Toronto (Ontario)

 

Pour la défenderesse

APOTEX INC.

 

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

MINISTRE DE LA SANTÉ

 

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