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Date : 20160310

Dossier : T-1543-15

Référence : 2016 CF 308

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 10 mars 2016

En présence de monsieur le juge Annis

ENTRE :

EMERSON ELECTRIC CO. et EMERSON ELECTRIC CANADA LIMITED

demanderesses

et

LA SOCIÉTÉ CANADIAN TIRE LIMITÉE

défenderesse

ORDONNANCE ET MOTIFS

I.                   Contexte factuel et procédural

[1]               La défenderesse, la Société Canadian Tire Limitée (Canadian Tire), sollicite une ordonnance, fondée sur l’article 221 des Règles des Cours fédérales, qui radierait deux phrases des paragraphes 28, 31, 34, 37 et de l’alinéa 38b) de la déclaration modifiée des demanderesses qui, soutient-elle, sont des affirmations vagues et non limitatives qui ne reposent sur aucun fait important :

[traduction]

De plus, Canadian Tire peut vendre ou pourrait avoir vendu, y compris dans ses gammes de produits 2008-2010 et 2011-2013, d’autres modèles d’aspirateur pour déchets solides et humides comportant des caractéristiques dont les demanderesses n’ont pas actuellement connaissance, mais qui relèvent de la connaissance de la défenderesse. La réclamation des demanderesses vise toutes ces activités de contrefaçon.

[2]               Subsidiairement, Canadian Tire sollicite une ordonnance, fondée sur l’article 181 des Règles des Cours fédérales, obligeant les demanderesses à fournir une déclaration à nouveau modifiée apportant des détails quant aux allégations énoncées dans les phrases susmentionnées, ainsi qu’autres réparations procédurales et dépens accessoires.

[3]               Les demanderesses, Emerson Electric Company et Emerson Electric Canada Limited, collectivement appelées Emerson, conçoivent et fabriquent des aspirateurs qui sont vendus au Canada sous diverses marques, y compris leur propre marque de commerce RIDGID.

[4]               Emerson a obtenu un certain nombre de brevets relatifs à diverses inventions incorporées à ses produits d’aspirateur pour déchets solides et humides, y compris :

i.        Brevet canadien no 2 273 431 (système à vide humide-sec équipé d’un réservoir non cylindrique)

ii.      Brevet canadien no 2 281 241 (aspirateur de produits liquides et secs à bruit réduit)

iii.    Brevet canadien no 2 265 349 (silencieux et déflecteur d’air pour aspirateur)

iv.    Brevet canadien no 2 452 822 (porte-accessoires d’appareil à raccordements graduels)

v.      Brevet canadien no 2 236 610 (pied à roulette avec entreposage d’accessoires)

[5]               Canadian Tire a vendu des produits d’aspirateur pour déchets solides et humides d’Emerson jusqu’à environ 2009 avant de retirer ces produits de sa gamme et de les remplacer par des aspirateurs fabriqués par un autre fabricant. Emerson soutient que ces aspirateurs vendus par Canadian Tire violent un bon nombre de ses brevets susmentionnés.

[6]               En 2015, Emerson a intenté une action en contrefaçon de brevet contre Canadian Tire, alléguant la violation et l’empiétement de ses droits de propriété intellectuelle au Canada. Dans sa déclaration, Emerson a mentionné expressément de nombreux aspirateurs vendus par Canadian Tire qui violent ses brevets. Il indique cependant que les produits contrefaits vendus par Canadian Tire depuis 2009 (date limite applicable pour les demandes aux termes de la Loi sur les brevets) et jusqu’à 2013 ne sont pas tous encore vendus et disponibles aux fins d’un examen en 2015.

[7]               Attendu que nombre des produits contrefaits vendus au cours des années antérieures ne sont plus disponibles à la vente, Emerson soutient ce qui pourrait être décrit comme une allégation de contrefaçon non limitative dans sa déclaration et, par la suite, dans sa déclaration modifiée, à l’égard de ces produits inconnus.

[8]               Un exemple de l’acte de procédure contesté dans le cadre des paragraphes 27 et 28 de la déclaration modifiée est présenté ci-dessous. Les deux dernières phrases du paragraphe 28, qui sont visées par la demande de radiation de Canadian Tire, ont été soulignées :
[traduction]

27.       Depuis une date inconnue des demanderesses, mais connue de la défenderesse, et qui se poursuit à ce jour, la défenderesse, Canadian Tire, a importé au Canada et ensuite vendu au Canada des aspirateurs pour déchets solides et humides équipés d’un réservoir et d’un couvercle. Le réservoir de collecte non cylindrique présente des extrémités sensiblement cylindriques et des côtés sensiblement plus plats, et il est construit d’un matériau pouvant se rabattre sous l’effet de charges sous vide. Le couvercle est adapté pour entrer en prise avec le réservoir autour de son périmètre supérieur, supportant le réservoir de telle sorte que le couvercle coopère avec le réservoir pour résister à l’effondrement du réservoir.

28.       Les aspirateurs pour déchets solides et humides importés au Canada et ensuite vendus au Canada par Canadian Tire et qui portent les caractéristiques décrites au paragraphe 27 comprennent le produit « Aspirateur sec-humide Duravac, 12 L » (article no 199-7640-2), qui faisait partie de la gamme de produits 2014-2015 de Canadian Tire et est toujours disponible en ligne (www.canadiantire.ca), et le produit « Aspirateur de déchets secs et humides portable MAXIMUM, 19 L » (article no 54-0251-4), qui fait partie de la plus récente gamme de produits de Canadian Tire et qui est actuellement vendu en magasin. De plus, Canadian Tire peut vendre ou pourrait avoir vendu, y compris dans ses gammes de produits 2008-2010 et 2011-2013, d’autres modèles d’aspirateur pour déchets solides et humides comportant des caractéristiques dont les demanderesses n’ont pas actuellement connaissance, mais qui relèvent de la connaissance de la défenderesse. La réclamation des demanderesses vise toutes ces activités de contrefaçon.

[9]               Le 19 octobre 2015, Canadian Tire a présenté une demande de détails sur les numéros de modèle des produits mentionnés aux paragraphes 28, 31, 34 et 37 de la déclaration. Emerson a refusé de fournir cette information en affirmant qu’elle n’avait pas cette information en sa possession, mais que Canadian Tire disposait de celle-ci. Les demanderesses ont ensuite déposé une déclaration modifiée alléguant la contrefaçon d’un nouveau brevet et réitérant les mêmes allégations de contrefaçon énoncées à l’alinéa 38b).

[10]           Canadian Tire soutient que les phrases non limitatives aux paragraphes 28, 31, 34, 37 et à l’alinéa 38b) de la déclaration modifiée des demanderesses sont vexatoires et qu’elles constituent un abus de procédure, et doivent donc être radiées

II.                La loi

A.                Requête en radiation

[11]           Le critère à appliquer à une requête en radiation au Canada est bien connu. Il a été formulé par la Cour suprême dans l’arrêt Hunt et a depuis été répété à maintes reprises, y compris par la Cour d’appel fédérale :

Ainsi, au Canada, le critère régissant l’application de dispositions comme la règle 19(24)a) des Rules of Court de la Colombie-Britannique est le même que celui régissant une requête présentée en vertu de la règle 19 de l’ordonnance 18 des R.S.C. : dans l’hypothèse où les faits mentionnés dans la déclaration peuvent être prouvés, est-il « évident et manifeste » que la déclaration du demandeur ne révèle aucune cause d’action raisonnable? Comme en Angleterre, s’il y a une chance que le demandeur ait gain de cause, alors il ne devrait pas être « privé d’un jugement ». La longueur et la complexité des questions, la nouveauté de la cause d’action ou la possibilité que les défendeurs présentent une défense solide ne devraient pas empêcher le demandeur d’intenter son action. Ce n’est que si l’action est vouée à l’échec parce qu’elle contient un vice fondamental qui se range parmi les autres énumérés à la règle 19(24) des Rules of Court de la Colombie-Britannique que les parties pertinentes de la déclaration du demandeur devraient être radiées en application de la règle 19(24)a).

[Non souligné dans l’original.]

Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 RCS 959, à la page 980 (le juge Wilson) [Hunt]; R. c. Imperial Tobacco Canada Ltée, [2011] 3 RCS 45, aux paragraphes 17 et 19 à 21 (la juge en chef McLachlin)

[12]           L’article 221 des Règles des Cours fédérales prévoit que la Cour peut radier une portion d’un acte de procédure au motif, selon le cas, qu’il est scandaleux, frivole ou vexatoire ou qu’il constitue un abus de procédure. Dans diverses décisions, y compris celles examinées ci-dessous, les Cours ont conclu que les actes de procédure étaient vexatoires ou constituaient un abus de procédure s’ils ne fournissaient pas suffisamment de détails pour permettre à la partie défenderesse de préparer une réponse.

III.             Analyse

[13]           Dans leur examen du caractère suffisant des détails fournis à l’appui d’un acte de procédure, les parties en l’espèce se sont principalement penchées sur une série de décisions de la Cour de l’Échiquier et de la Cour fédérale ayant traité du sujet relativement aux actes de procédure dans les réclamations pour contrefaçon de brevet ou autres réclamations connexes. Je pense qu’il est raisonnable d’affirmer que les parties ont fourni des interprétations opposées des conclusions à tirer de ces décisions. Cela nécessite un bref examen de la jurisprudence en vue de clarifier ce que la Cour considère comme une application appropriée de la jurisprudence pertinente.

[14]           L’arrêt faisant jurisprudence sur la question du caractère suffisant des actes de procédures comportant des allégations de contrefaçon de brevet non limitatives, et celui sur lequel les deux parties se sont appuyées, est Dow Chemical co. c. Kayson Plastics & Chemicals Ltd., 1966 CarswellNAT 48 (C. de l’Éch.) [Dow Chemical]. Au paragraphe 21 de cet arrêt, le juge Jackett, en décidant si les allégations de contrefaçon en l’affaire étaient frappées de nullité, a affirmé que la partie demanderesse doit présenter suffisamment de faits pour convaincre la Cour de leur véracité et démontrer « une cause d’action défendable ». Je cite la portion pertinente de ses remarques à cet égard au paragraphe 12 de sa décision :
[traduction]

[…] La simple affirmation que le défendeur a porté atteinte aux droits du demandeur ne peut être assimilée à une articulation de faits constituant un droit de poursuite en justice et la déclaration qui ne renferme qu’une simple affirmation de contrefaçon peut être radiée au motif qu’elle constitue un abus de procédure. […] Les faits doivent être énoncés de manière à convaincre la Cour que, en supposant que leur énoncé soit vrai, la demanderesse a un motif d’action défendable. Cette dernière ne pourrait, en pareil cas, s’opposer à une demande en radiation en prétendant que, si elle est autorisée à interroger au préalable la défenderesse de façon illimitée, elle pourrait alors être en mesure de plaider une cause d’action. […]

[Non souligné dans l’original.]

[15]           La question de savoir si les allégations sont étayées par des faits importants dépend bien entendu de la nature et de la portée des actes de procédure dans le dossier à l’étude. Dans l’arrêt Dow Chemical, l’acte de procédure qui se rapporte à l’allégation non limitative en l’espèce était la suivante :
[traduction]

1.         La défenderesse a, depuis la date de l’émission des lettres patentes canadiennes no 525,041, contrevenu auxdites lettres patentes en fabriquant ou en manufacturant au Canada des polystyrènes renforcés de caoutchouc en utilisant une ou plusieurs méthodes qui contrefont lesdites lettres patentes canadiennes ou en vendant au Canada des produits qui ont été fabriqués ou manufacturés au moyen d’une ou de plusieurs de telles méthodes.

[…]

3.         Le demandeur ignore actuellement le nombre précis et les dates précises de toutes les contrefaçons de la défenderesse, et ce dernier va revendiquer une réparation intégrale à l’égard de toutes les contrefaçons. Plus précisément, le demandeur soutient toutefois que les polystyrènes choc appartenant à la défenderesse et commercialisés par celle-ci depuis au moins 1963 sous la désignation « KHI » et « Kayson Impact Polystyrene » constituent des contrefaçons pour les motifs énoncés au paragraphe 1 des présentes.

[Non souligné dans l’original.]

[16]           Dans cet arrêt, la défenderesse a demandé des détails quant aux [traduction] « polystyrènes renforcés de caoutchouc » mentionnés au paragraphe 1. En demandant les détails, j’ai estimé que le juge Jackett avait conclu qu’un acte de procédure relatif à une contrefaçon identifiant les polymères fabriqués en utilisant une ou plusieurs méthodes ne constitue aucunement un fait important quant à la nature de la contrefaçon, du moins sans caractériser ou décrire ces méthodes.

[17]           Qui plus est, en ce qui concerne le produit contrefait en question décrit au paragraphe 3 en tant que « Kayson Impact Polystyrene », l’acte de procédure n’offre aucun renseignement supplémentaire décrivant la nature ou le caractère de la contrefaçon. Les contrefaçons sont simplement décrites [traduction] « pour les motifs énoncés au paragraphe 1 des présentes ». Cette référence renvoie à la description générique d’une ou de plusieurs méthodes énoncée plus haut.

[18]           C’est dans ce contexte que le juge Jacket examine l’observation subsidiaire du demandeur selon laquelle les parties dans cet arrêt ont présenté d’importantes observations, mais, selon moi, celles-ci n’ont rien à voir avec le présent cas. Dans le but de faire valoir ses allégations vagues ou non limitatives relatives aux polystyrènes renforcés de caoutchouc, le demandeur avait tenté d’élargir la portée de l’action en contrefaçon au-delà du produit Kayson Impact Polystyrene qui avait été correctement désigné. L’argument de l’avocat est présenté au paragraphe 8 des motifs de l’arrêt Dow Chemical :
[traduction]

L’avocat du demandeur est d’avis, en fait, que le demandeur, s’il a connaissance d’un type de contrefaçon de ses brevets, a le droit d’engager des poursuites en contrefaçon pour ce type de contrefaçon et pour tout autre acte de contrefaçon qu’aurait pu commettre la défenderesse à l’égard du même brevet, de sorte qu’il sera en mesure, pendant l’interrogatoire préalable de la défenderesse, d’explorer la possibilité qu’il pourrait exister des contrefaçons dont il ignorait l’existence au moment d’intenter les poursuites.

[Non souligné dans l’original.]

[19]           Je comprends que le type de contrefaçon tel qu’il est entendu dans les remarques ci-dessus signifie la fabrication du produit Kayson Impact Polystyrene. Toutefois, il n’y a aucun lien entre ce produit et les polystyrènes renforcés de caoutchouc au sujet desquels la défenderesse demande des détails. Ils sont seulement décrits comme étant violés par les méthodes non caractérisées, ce qui, selon moi, ne constitue en aucune façon une description. Par conséquent, dans les circonstances de l’arrêt Dow Chemical, le fait de ne pas avoir fourni des détails sur les polystyrènes renforcés de caoutchouc constituait un défaut de fournir des faits importants décrivant la cause d’action, de sorte que la partie fautive de l’acte de procédure fut jugée comme étant frappée de nullité. L’argument d’un type de contrefaçon rejeté par le juge Jackett peut être reformulé comme un principe voulant que la définition d’un acte de contrefaçon particulier ne donne pas lieu à une recherche à l’aveuglette [traduction] « pour tout autre acte de contrefaçon qu’aurait pu commettre la défenderesse à l’égard du même brevet ».

[20]           Cela n’est pas la position des présentes demanderesses sur cette question. En effet, elles soutiennent que l’arrêt Dow Chemicals est différent et qu’il appuie sa thèse dans les faits étant donné qu’elles fournissent des faits importants dans leur acte de procédure qui décrivent les caractéristiques des aspirateurs contrefaits expressément nommés, ce qui établit un lien clair avec les caractéristiques des aspirateurs non connus que Canadian Tire aurait pu avoir vendus entre 2009 et 2013.

[21]           Emerson s’appuie sur la décision du juge Walsh dans la décision Superseal Corp. c. Glaverbel-Mecaniva Canada Limited (1975), 20 C.P.R. (2d) 77 (Superseal). Cette décision s’avère utile parce que le juge Walsh fournit un aperçu du ratio de l’arrêt Dow Chemical que je présente ci-dessous en soulignant un passage et en ajoutant entre crochets des renvois vers les produits particuliers dont il est question dans l’arrêt Dow Chemical :
[traduction]

Ce jugement tient lieu de précédent pour la proposition selon laquelle un demandeur ne peut pas fournir des détails au sujet d’une violation particulière [produit Kayson Impact Polystyrene] dont il se plaint et ensuite ajouter des allégations de nature imprécise [polystyrènes renforcés de caoutchouc] à l’endroit d’autres violations dont il soupçonne l’existence, mais sans pouvoir l’établir avec certitude.

[Non souligné dans l’original.]

[22]           Le juge Walsh opère une distinction entre l’arrêt Dow Chemical d’après les faits de la décision Superseal en concluant qu’il y avait communication suffisante d’une cause défendable comme suit :
[traduction]

Le présent cas constitue un exemple très clair d’une situation où la partie défenderesse en sait beaucoup plus que ce que la partie demanderesse peut espérer savoir au sujet de violations de ses brevets ou de ses droits d’auteur possiblement commises par la partie défenderesse, et cette dernière ne peut donc pas prétendre qu’elle sera prise au dépourvu par quoi que ce soit dans l’acte de procédure de la partie demanderesse. Sachant naturellement qu’il revient à la partie demanderesse la charge de démontrer l’existence d’une cause d’action et les dommages qu’elle prétend avoir subis en raison des violations alléguées de ses brevets et de ses droits d’auteur par la partie défenderesse, j’estime en l’espèce que la déclaration modifiée comporte suffisamment d’information pour conclure que la cause de la partie demanderesse est défendable et que toute information au sujet d’autres violations dites « de même nature », s’il en existe, peut facilement être obtenue pendant l’interrogatoire préalable.

[Non souligné dans l’original.]

[23]           Dans la décision Superseal, la partie défenderesse s’est plainte que [traduction] « seulement une vente précise est fournie comme un exemple de la violation du premier brevet relatif aux fenêtres à double vitrage et deux exemples de la violation alléguée du deuxième brevet relatif aux portes coulissantes à double vitrage, ainsi que des allégations générales d’autres violations au sujet desquelles la partie demanderesse n’est pas en mesure de fournir des détails à l’heure actuelle […] ».

[24]           Selon ma compréhension de la décision Superseal, le juge Walsh a conclu qu’il y avait suffisamment de faits importants fournis pour décrire une cause défendable quand la partie demanderesse a fourni des exemples précis de violations de ses produits qui ont permis d’accueillir des allégations de violations similaires d’après les mêmes caractéristiques de produits inconnus, et dont seule la partie défenderesse avait connaissance.

[25]           J’estime que les faits en l’espèce sont similaires; plus particulièrement que leur plus grande caractérisation cadre davantage avec la conclusion tirée dans la décision Superseal. Dans ce dossier, les détails du lien entre le produit contrefait défini et les autres produits allégués, mais inconnus, n’ont pas été établis au-delà des similarités qu’ils partagent avec les fenêtres et portes à double vitrage. Je conclus que le juge Walsh a jugé que cela était suffisant parce que les caractéristiques du double vitrage ne sont pas susceptibles d’être source de confusion.

[26]           En l’espèce, le caractère précis des caractéristiques qui décrivent la violation vont beaucoup plus loin et sont bien détaillés – rappelons le paragraphe 27 des présentes :

[…] des aspirateurs pour déchets solides et humides équipés d’un réservoir et d’un couvercle. Le réservoir de collecte non cylindrique présente des extrémités sensiblement cylindriques et des côtés sensiblement plus plats, et il est construit d’un matériau pouvant se rabattre sous l’effet de charges sous vide. Le couvercle est adapté pour entrer en prise avec le réservoir autour de son périmètre supérieur, supportant le réservoir de telle sorte que le couvercle coopère avec le réservoir pour résister à l’effondrement du réservoir.

[27]           En comparant les modèles d’aspirateur précédents comportant des caractéristiques visées au paragraphe 28 de la déclaration modifiée mentionné plus haut, je souscris aux conclusions du juge Walsh selon lesquelles la présente situation constitue [traduction] « un exemple très clair d’une situation où la partie défenderesse en sait beaucoup plus que ce que la partie demanderesse peut espérer savoir au sujet de violations de ses brevets ou de ses droits d’auteur possiblement commises par la partie défenderesse, et cette dernière ne peut donc pas prétendre qu’elle sera prise au dépourvu par quoi que ce soit dans l’acte de procédure de la partie demanderesse. ».

[28]           De plus, j’estime que la tâche de la défenderesse d’identifier les aspirateurs équipés des caractéristiques contrefaites n’est pas particulièrement pénible. Il semble que le même fabricant ait fourni tous les aspirateurs contrefaits allégués depuis 2009. Il est sûrement en mesure de retrouver les aspirateurs équipés des composants visés par les allégations de contrefaçons des brevets des demanderesses après 2013, ou du moins à un degré de similitude suffisant pour étayer un argument raisonnable relatif à la contrefaçon.

[29]           Il n’est pas question ici d’un grand nombre de modèles d’aspirateurs ou d’une période particulièrement longue avant 2014 au moment où les actes de contrefaçon ont lieu, étant limités par une période de prescription juridiquement définie. Il s’agit d’une situation où toute injustice que représenterait une décision sur la requête serait largement en faveur des demanderesses et de leurs droits à ce stade de l’action, dans la mesure où les actes de procédure d’Emerson sont tenus pour vrais.

[30]           Je rejette également les observations de Canadian Tire au sujet des arrêts Harrison c. Sterling Lumber Company, 2008 CF 220 (Harrison) et Heli Tech Services (Canada) Ltd. c. Weyerhaeuser Company Limted, 2009 CF 592 [Heli Tech]. Dans ces deux arrêts, il est clair que les Cours étaient saisies de « simples allégations » dans des actes de procédure qui étaient indéfendables en raison du manque d’éléments de preuve à l’appui.

[31]           Dans l’arrêt Harrison, la juge Simpson a conclu que l’allégation suivante était indéfendable :

[traduction]

Les défendeurs ont porté atteinte aux droits de brevet no 704693 en produisant, en construisant et en utilisant des équipements et des moules visés par les revendications 1 à 6, 8 et 9 dudit brevet.

[Non souligné dans l’original.]

[32]           Elle expose ses motifs au paragraphe 12 en précisant que les défendeurs ignoraient « quels équipements et méthodes [contrefaits] ont été utilisés lors de la fabrication » et conclut au paragraphe 22 de sa décision que les « allégations ne sont aucunement étayées et le demandeur n’est pas en mesure, faute de connaissances, de les corriger en fournissant des détails avant la tenue des interrogatoires ».

[33]           Le juge O’Reilly est arrivé à une conclusion semblable dans l’arrêt Heli Tech en concluant que le protonotaire Lafrenière avait décidé que les allégations liées à la déclaration constituaient de [traduction] « simples affirmations sans aucun fait important » et sans élément de preuve pour les étayer. J’estime qu’il n’existait aucun fait justificatif dans l’arrêt Heli Tech qui aurait pu établir un lien avec l’allégation non limitative. En rejetant l’appel pour mettre de côté l’ordonnance du protonotaire relative à la radiation des passages incriminés de la déclaration, le juge O’Reilly a par la suite conclu que [traduction] « les actes de procédure ne satisfont clairement pas à présenter des faits importants venant appuyer les allégations de contrefaçon et d’incitation directes. »

[34]           Par conséquent, pour les motifs susmentionnés, je rejette la requête de Canadian Tire visant à radier des parties des paragraphes qu’elle prétend être des allégations générales de contrefaçon dénuées de faits importants.

[35]           La Cour rejette également la requête subsidiaire de la défenderesse visant l’obtention de détails supplémentaires sur les passages incriminés de la déclaration modifiée. Suffisamment de détails au sujet de la nature des contrefaçons alléguées ont déjà été fournis. Évidemment, en ce qui concerne les autres aspirateurs possiblement contrefaits qui auraient pu être vendus entre 2009 et 2013, les demanderesses n’ont pas les renseignements dont elles ont besoin pour les identifier, mais Canadian Tire peut le faire.

[36]           Les parties ont convenu que les coûts de la requête sont fixés au montant forfaitaire de 3 000 $, montant que la Cour accepte et accorde aux demanderesses.

LA COUR ORDONNE que la présente requête soit rejetée avec dépens d’un montant forfaitaire de 3 000 $ en faveur des demanderesses.

« Peter Annis »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1543-15

 

INTITULÉ :

EMERSON ELECTRIC CO. et EMERSON ELECTRIC CANADA LIMITED c. LA SOCIÉTÉ CANADIAN TIRE LIMITÉE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 23 février 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ANNIS

 

DATE :

Le 10 mars 2016

 

COMPARUTIONS :

Jean-Sébastien Dupont

Pour les demanderesses

 

Steven Tanner

Pour la défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Smart & Biggar

Montréal (Québec)

 

Pour les demanderesses

 

McCarthy Tétrault S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Toronto (Ontario)

 

Pour la défenderesse

 

 

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