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Date : 20160321


Dossier : T-117-15

Référence : 2016 CF 340

Ottawa (Ontario), le 21 mars 2016

En présence de monsieur le juge LeBlanc

ENTRE :

DAVID COON

demandeur

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Le demandeur se pourvoit, aux termes de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), ch. F-7, à l’encontre d’une décision de la Section d’appel de la Commission des libérations conditionnelles du Canada (la Section d’appel), datée du 3 décembre 2014, confirmant le refus de la Commission des libérations conditionnelles du Canada (la Commission) de lui accorder une semi-liberté ou une libération conditionnelle totale en vertu de la Loi sur le système correctionnel et la mise en liberté sous condition, LC, ch. 20 (la Loi).

[2]               Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

II.                Contexte

[3]               Le demandeur purge actuellement une peine d’emprisonnement à perpétuité pour le meurtre au premier degré de deux adolescents commis le 28 février 1992 alors qu’il était lui-même âgé de 17 ans.  Sa condamnation remonte au 1er juin de cette même année.  Jugé devant un tribunal pour adultes en raison de la gravité du crime commis, sa période d’admissibilité à une libération conditionnelle totale a été fixée à 10 ans, soit la période maximale envisagée par le Code criminel lorsque l’auteur de l’infraction est âgé de moins de 18 ans au moment de la commission de celle-ci.

[4]               Le 10 décembre 2013, le demandeur présente à la Commission une demande de libération conditionnelle.  Le 29 avril 2014, la Commission tient une audience à laquelle participe le demandeur et son procureur.  Au terme de l’audience, elle rejette la demande.

[5]               Dans sa décision, la Commission rappelle d’abord les circonstances ayant entouré le double meurtre commis par le demandeur et ce qui a pu pousser celui-ci à les commettre, circonstances qu’elle décrit de la manière suivante :

The victims were 15 and 17 year-old adolescents.  The youngest victim was the brother of your ex-girlfriend and the other victim was one of his friends.  On February 28, 1989, you entered the residence of the youngest victim and hid in the basement with a loaded rifle.  When the two boys arrived after school, you shot both of them in the head.  Each victim was shot twice.  They were murdered in cold blood, with planning and deliberation.

[...]

According to your file, those violent crimes were committed in a spirit of vengeance and domination following the end of your romantic relationship with one of the victims’ sister.

[...]

You are of Aboriginal descent, a third-generation Metis from the Atikamekw nation.  You were raised in a dysfunctional family environment where violence was unpredictable.  During adolescence, you apparently presented behavioural disorders marked by rage, rebellion and vengeance.  The specialists noted that through your behaviour, you wanted, consciously or not, to hurt your own parents totally distraught.  At the age of 13 and 15, you had to be seen by a child psychiatrist.

A major problem with uncontrolled anger and aggression, a problematic family situation, inability to manage negative emotions (jealousy, rejection, humiliation) and marital and family relations constitute the main contributing factors related to your criminality.

[6]               Ce faisant, la Commission note la présence au dossier de lettres où des proches des victimes expriment comment ils ont souffert – et continuent de souffrir – de la mort des deux victimes et comment l’idée que le demandeur puisse être libéré les inquiète et les effraie.

[7]               La Commission procède ensuite à la revue des évaluations cliniques dont le demandeur a fait l’objet à partir de celle effectuée en 2000 jusqu’à la plus récente, en février 2014.  Elle note que les évaluations psychologiques effectuées en 2006, 2008 et 2009 identifient toutes, à toutes fins utiles, un risque « modéré » de récidive avec violence.  Quant à l’évaluation psychologique de février 2014, qui explore le lien potentiel entre les crimes commis et la présence possible d’une dynamique de violence conjugale chez le demandeur, la Commission en comprend ceci :

After the assessment made in February 2014, the psychologist concludes that spousal violence is not the centre of your criminal dynamic and that you pose a low risk of violence against a partner and a moderate risk to other individuals when a relationship could cause feelings of humiliation through their involvement.  She expresses the opinion that the murders were committed in a sort of I-can’t-take-it-any-more type of rage and was not necessarily the result of what could be called a spousal or family violence dynamic.  Thus, many events seems to have built up your anger.  In terms of clinical impressions, the psychologist indicates a borderline personality with narcissistic and antisocial traits.

[8]               Elle note qu’au terme de cette évaluation, l’Équipe de gestion de cas du demandeur au sein du Service correctionnel du Canada (EGC) maintient son évaluation du risque général de récidive et du risque de récidive avec violence que présente le demandeur à « modéré à élevé » et estime toujours que celui-ci a un faible potentiel de réintégration et de responsabilisation.

[9]               Abordant son historique carcéral, la Commission constate qu’en 2001, le demandeur est transféré d’un établissement à sécurité minimum à un établissement à sécurité moyenne parce qu’il représente une menace pour des codétenus.  En 2004, lorsqu’il se voit refuser l’accès au Programme des permissions de sorties, le demandeur, note la Commission, prépare un plan d’évasion qui implique l’enlèvement d’un pilote de même que l’utilisation d’un hélicoptère et d’armes, ce qui lui vaut un transfert dans un établissement à sécurité maximum.  En 2006, le demandeur est de retour en établissement à sécurité moyenne après que sa classification sécuritaire ait été abaissée.  La Commission constate par ailleurs que depuis 2011, le demandeur se conforme généralement aux règles de vie du milieu carcéral, qu’il n’est plus un sujet d’intérêt pour l’Unité de sécurité préventive du Service correctionnel et qu’il est reconnu comme très travaillant en marge de l’emploi de nettoyeur qu’il occupe.

[10]           La Commission reconnaît aussi la participation du demandeur à de nombreux programmes correctionnels mais note que les différents rapports portant sur cette participation indiquent que le demandeur demeure inflexible et méfiant.  Elle note que le demandeur a récemment découvert ses origines aborigènes et qu’il a amorcé un processus de guérison avec un Aîné, processus qui doit toutefois être interrompu en raison du manque d’implication du demandeur.  Elle fait aussi remarquer que le demandeur abandonne, après deux sessions, un programme de counseling psychologique parce qu’il n’arrive pas à trouver un objectif thérapeutique.

[11]           La Commission note enfin la recommandation négative de l’EGC à la libération conditionnelle du demandeur qui, en plus de présenter des risques modérés à élevés de récidive et de récidive avec violence, continue, selon l’EGC, à blâmer les autres pour ses difficultés relationnelles et à entretenir des rapports hostiles avec elle, ce qui laisse entrevoir des difficultés d’adaptation et de gestion du risque une fois dans la communauté.

[12]           La Commission juge, en ces termes, qu’il y a lieu pour elle d’endosser les conclusions et recommandations de l’évaluation psychologique de février 2014 et de l’Équipe de gestion de cas :

After studying your file and listening to you, the Board endorses the opinion of the psychologist, who assessed you in February 2014, and your CMT.  The Board believes that you must learn to establish a trusting and long lasting relationship with a professional.  However, having grown-up in prison and because of your personality disorder, you don’t trust anyone and have a tendency to interpret people’s intentions as malevolent and you consequently distrust others..  Also you perceive that letting down your guards would be humiliating which, in turn, would make you raise your defenses.  Your problem is at an interpersonal level. Unfortunately, because you could not identify an objective to work on, the counseling ended after two sessions.

The Board agrees that committed the murders as a result of feeling humiliated and until you realize that there are people around you that only want to help you, you will remain in a catch-22 situation.  If you don’t make significant changes, your chances of being recommended will not increase. You adopted a rigid position and both the psychologist and the Elder had to put an end to your meetings.  As the Elder said, as long as you are not able to be in touch with your emotions, you will not be able to engage in serious introspection and, without introspection, there can be no changes in your way of thinking.

Therefore, given the severity of your offenses, the fact that it was premeditated and gratuitous, given that you took away, in a very brutal manner and for no apparent reasons, the lives of two innocent boys, the Board needs to be very prudent in your case.

[13]           Après avoir reconnu un certain mérite au Plan de libération élaboré par le demandeur, la Commission estime qu’il est prématuré et mal-adapté à ses besoins immédiats, qui sont de travailler, avec l’aide d’un psychologue, sur les facteurs contributifs à son risque de récidive et d’établir à cette fin, un rapport de confiance avec ce professionnel.  Elle en conclut qu’il y a lieu de rejeter sa demande de libération conditionnelle :

Consequently, the Board denies day and full parole as it is of the opinion that you present an undue risk to society and that your release will not contribute to the protection of society by facilitating your reintegration into society as a law-abiding citizen.

[14]           Le 3 décembre 2014, la Section d’appel rejette l’appel logé par le demandeur à l’encontre de la décision de la Commission.  Rappelant que la protection de la société s’impose comme le facteur prépondérant de tout examen d’une demande de libération conditionnelle, elle estime que, contrairement à ce que prétend le demandeur, il était raisonnable pour la Commission, à la lumière de la preuve au dossier, de conclure à la présence d’un trouble de personnalité et de déterminer qu’il lui était difficile d’établir un rapport de confiance avec son EGC et de travailler sur lui-même.

[15]           La Section d’appel a aussi déterminé que la Commission n’avait pas fait erreur en statuant que le risque de récidive et de récidive avec violence se situait dans la fourchette modérée et en ne tenant pas compte du fait que la période d’éligibilité à la libération conditionnelle en l’espèce était de 10 ans, et non de 25 ans.

[16]           La Section d’appel a conclu de la façon suivante :

Mr. Coon, given the facts of your case the Appeal Division finds that it was not unreasonable for the Board to assess your risk as undue if released into the community on day or full parole. In our view, the Board’s written reasons are well-supported by the information contained in your file and provided at the hearing. It was not unreasonable for the Board to consider the various professional assessments in your file and to note that your personality disorder was a risk factor in your case.  Considering the recent termination of your psychological follow-up, Pathways with your Elder and your criminological follow-up, it was not unreasonable for the Board to weigh in its analysis your distrust of others, including the members of your CMT, and the negative impact this had in preventing you from reducing your risk factors.  We have reviewed the audio-recording of your hearing and noted that you told one of the Board members that one of his questions was ignorant which confirmed your rigid and arrogant attitude, which was also present at other points during the hearing.  Considering the severity and brutality of your offences, that your risk of violent reoffending was assessed as being moderate and moderate to high, and that you were not considered to be engaged in your correctional plan, it was not unreasonable for the Board to deem that caution was warranted.  In light of the above, the Appeal Division finds that it was not unreasonable for the Board to deem that your risk was undue and to deny your day and full parole.

[17]           Le demandeur soutient que la Commission a rendu une décision déraisonnable (i) en basant celle-ci sur des informations incomplètes; (ii) en omettant de considérer et de pondérer des facteurs déterminants quant au risque de récidive; et (iii) en omettant d’expliquer en quoi sa décision n’allait pas au-delà de ce qui est nécessaire et proportionnel aux objectifs de mise en liberté.  Il plaide aussi que ces omissions, en particulier celle liée au fait que la Commission n’aurait pas tenu compte de toute l’information pertinente disponible, tel que l’exige le paragraphe 101(a) de la Loi, emportent violation du principe de l’équité procédurale.

III.             Questions en litige et norme de contrôle

[18]           La révision judiciaire en matière de libération conditionnelle a ceci de particulier : bien que la Cour soit théoriquement saisie d’une demande de contrôle judiciaire relative à la décision de la Section d’appel, elle est en réalité appelée à examiner la légalité de la décision de la Commission lorsque, comme ici, la Section d’appel confirme la décision de la Commission.  Il en est ainsi, nous explique la Cour d’appel fédérale dans Cartier c Canada (Procureur général), 2002 CAF 384, [2003] 2 RCF 317, puisqu’il se dégage de la Loi une intention de refuser la libération conditionnelle dès que la décision de la Commission est raisonnablement fondée en fait et en droit, le rôle de la Section d’appel étant limité à n’intervenir que dans les seuls cas où la Commission a commis une erreur de fait ou de droit et que cette erreur est déraisonnable (Cartier, aux para 6 à 10).

[19]           En d’autres termes, le législateur semble avoir privilégié la décision de la Commission faisant en sorte que si celle-ci est jugée raisonnable, celle par laquelle la Section d’appel l’a confirmée le sera également, sauf erreur particulière de sa part (Collins c Canada (Procureur général), 2014 CF 439, au para 36; Scott c Canada (Procureur général), 2010 CF 496, aux para 19-20).

[20]           Dans ce contexte, la Cour estime que la présente affaire soulève les questions suivantes :

  1. La décision de la Commission de refuser d’accorder au demandeur une semi-liberté ou une libération conditionnelle totale est-elle raisonnable et équitable sur le plan procédural?
  2. Dans l’affirmative, la Section d’appel, en confirmant la décision de la Commission, a-t-elle commis une erreur particulière justifiant l’intervention de la Cour?

[21]           Il est bien établi, et les parties ne le contestent pas, que la norme de la décision raisonnable s’applique aux décisions relatives à la libération conditionnelle puisque celles-ci requièrent l’examen de questions mixtes de fait et de droit à l’égard desquelles la Commission possède une expertise particulière (Fernandez c Canada (Procureur général), 2011 CF 275, au para 20; Latham c Canada, 2006 CF 284, 288 FTR 37, aux para 6 à 8; Collins, précité au para 37).  La Cour se doit donc de faire preuve de retenue à l’égard des conclusions tirées par la Commission et n’interviendra, en conséquence, que si celles-ci, d’une part, ne possèdent pas les attributs de la justification, de la transparence ou de l'intelligibilité et, d’autre part, n’appartiennent pas aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit (Dunsmuir c Nouveau-Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, au para 47).

[22]           Par ailleurs, lorsque le reproche adressé à la Commission a trait au respect des règles de l’équité procédurale, la norme de révision applicable est normalement celle de la décision correcte (Établissement de Mission c Khela, [2014] 1 RCS. 502, 2014 CSC 24, au para 79; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, [2009] 1 RCS 339, 2009 CSC 12, au para 43; Prévost c Canada (Procureur général), 2015 CF 702, au para 37).

IV.             Analyse

A.                La décision de la Commission

(1)               Le droit applicable

[23]           La Commission tient ses pouvoirs de l’article 107 de la Loi, lequel lui confère « toute compétence et latitude » pour, notamment, accorder une libération conditionnelle.  Suivant l’article 100 de la Loi, toute telle libération « vise à contribuer au maintien d’une société juste, paisible et sûre en favorisant, par la prise de décisions appropriées quant au moment et aux conditions de leur mise en liberté, la réadaptation et la réinsertion sociale des délinquants en tant que citoyens respectueux des lois ».

[24]           Dans l’exécution de son mandat, la Commission est guidée par un certain nombre de principes, énoncés à l’article 101 de la Loi.  Parmi ces principes, il y a ceux, pertinents en l’espèce, voulant que, dans l’exécution de ses fonctions, la Commission :

  1. Tienne compte, pourvu qu’elle n’ait pas été obtenue irrégulièrement, de toute l’information pertinente dont elle dispose, notamment des motifs et recommandations du juge qui a infligé la peine, de la nature et de la gravité de l’infraction, du degré de responsabilité du délinquant, et des renseignements fournis par le délinquant et les autorités correctionnelles; et
  2. Prenne les décisions qui, compte tenu de la protection de la société, ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire et proportionnel aux objectifs de la mise en liberté sous condition.

[25]           L’article 102 de la Loi établit, pour sa part, les critères à partir desquels la Commission peut autoriser la libération conditionnelle.  Cette disposition se lit comme suit :

Critères

Criteria for granting parole

102. La Commission et les commissions provinciales peuvent autoriser la libération conditionnelle si elles sont d’avis qu’une récidive du délinquant avant l’expiration légale de la peine qu’il purge ne présentera pas un risque inacceptable pour la société et que cette libération contribuera à la protection de celle-ci en favorisant sa réinsertion sociale en tant que citoyen respectueux des lois.

102. The Board or a provincial parole board may grant parole to an offender if, in its opinion, (a) the offender will not, by reoffending, present an undue risk to society before the expiration according to law of the sentence the offender is serving; and (b) the release of the offender will contribute to the protection of society by facilitating the reintegration of the offender into society as a law-abiding citizen.

[26]           Toutefois, la protection de la société, suivant l’article 100.1 de la Loi, demeure le critère prépondérant de toute décision en matière de libération conditionnelle (voir aussi : Mooring c Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1996] RCS 75, au para 27; Cartier, précité au para 19; Fernandez, précité au para 15 ; Korn c Canada (Procureur général), 2014 CF 590, au para 16).

[27]           Dans l’affaire Ouelette c Canada (Procureur général), 2013 CAF 54, au paragraphe 30, la Cour d’appel fédérale a dégagé six principes structurants autour desquels s’articule le rôle de la Commission :

  1. La libération conditionnelle est une modalité de l’application de la peine;
  2. La libération conditionnelle n’est possible que dans la mesure où un texte législatif la permet;
  3. Lorsqu’elle est possible, la libération conditionnelle relève du pouvoir discrétionnaire de la Commission;
  4. La Commission doit toutefois se plier aux principes de justice fondamentale lorsqu’elle prend la décision d’accorder ou non la libération conditionnelle;
  5. La Commission est aussi régie à cet égard par le cadre juridique établi par le Parlement, lequel peut énoncer les critères appropriés à ces fins, y compris la prise en compte de la protection de la société comme critère dominant;
  6. Dans ce cadre, les facteurs dont tient compte la Commission ne sont pas ceux qui s’appliquent lors de la détermination de la peine.  Il s’agit plutôt d’observer la personnalité et le comportement du délinquant pendant son emprisonnement afin d’évaluer le danger qu’il présente à la société et son aptitude à réintégrer la communauté.

[28]           Elle a aussi rappelé que la Loi édicte un régime d’application de la peine, et non de réduction de la peine, celle-ci, suivant le paragraphe 128(1) de la Loi, demeurant pleinement en vigueur malgré l’octroi d’une libération conditionnelle (Ouelette, au para 31). 

[29]           Il importe de noter, en terminant ce bref tour d’horizon, que la Commission, comme le soulignait la Cour suprême du Canada dans l’affaire Mooring, précité, n’agit pas de manière judiciaire ou quasi-judiciaire : elle n’entend et n’évalue aucun témoignage, agit sur la foi de renseignements et exerce des fonctions d’enquête sans la présence de parties opposées (Mooring, au para 26).  En particulier, la Commission ne possède « ni l’aptitude ni la compétence pour écarter des éléments de preuve pertinents », la Loi lui conférant plutôt « un vaste mandat d’inclusion de renseignements » (Mooring, au para 29).  Elle doit néanmoins s’assurer, dans une optique d’équité procédurale, que les renseignements sur lesquels elle se fonde pour rendre une décision sont « sûrs et convaincants » (Mooring, au para 36).

(2)               La décision de la Commission est raisonnable et conforme aux règles de l’équité procédurale

[30]           C’est avec ces règles et principes en tête qu’il convient d’examiner la raisonnabilité de la décision de la Commission et sa conformité aux règles de l’équité procédurale en regard des récriminations du demandeur.

[31]           Le demandeur soutient, d’une part, que la Commission, en faisant porter sa décision, du moins en partie, sur un constat de trouble de personnalité et sur ses difficultés à faire confiance aux autres, aurait omis de tenir compte de toute l’information pertinente disponible.  Il estime à cet égard qu’il n’existe aucun diagnostic franc de trouble de personnalité à son dossier et que l’idée qu’il serait incapable de ne faire confiance à personne, laquelle émane de l’EGC, est inexacte parce qu’elle ne tient pas compte des évaluations dont il a fait l’objet en lien avec sa participation à plusieurs programmes correctionnels.  Il en conclut que la Commission aurait ainsi violé les règles de l’équité procédurale, négliger de pondérer l’ensemble des évaluations psychologiques, lesquelles ne justifient ni l’un ni l’autre des constats posés par la Commission, et omis, ce faisant, de tenir compte d’éléments d’information fiable d’une importance cruciale à la justesse de sa décision, le tout en contravention des enseignements de l’arrêt Mooring c Canada (Commission nationale des libérations conditionnelles), [1996] RCS 75.

[32]           Je ne peux souscrire à ce point de vue.  Il est vrai, comme le souligne le demandeur, qu’on a diagnostiqué chez lui aucun signe de trouble psychiatrique majeur.  Toutefois, toutes les évaluations psychologiques, de 1997 à 2014, font état du caractère rigide et méfiant du demandeur, lequel a pour effet d’entraver toute réelle possibilité et tout effort d’une sincère introspection de sa part, seul ou avec l’aide d’intervenants du milieu carcéral.  C’est de cette façon, à mon avis, qu’il faut comprendre l’utilisation, à certains moments, dans les différents rapports versés au dossier, de l’expression « trouble de personnalité ».  En d’autres termes, il faut éviter de lier cette expression à un trouble pathologique, comme semble le faire le demandeur lorsqu’il soutient ne jamais avoir fait l’objet d’un « diagnostic franc de trouble de personnalité » et, donc, que le constat d’un trouble de personnalité, par ailleurs mentionné à plusieurs reprises dans lesdites évaluations psychologiques, n’est pas supporté par la preuve.

[33]           Suivant ma compréhension de la preuve au dossier, il est davantage question ici d’un « trait de personnalité », expression également utilisée dans les différents rapports d’évaluation psychologique.  Ainsi, l’évaluation psychologique de 1997 note ce qui suit :

Mr. Coon impressed as being somewhat rigid in his thinking style. He was egocentric, had difficulties accepting alterative points of view and did not recognize cues that may lead to interpersonal problems. Coping skills appeared to be a particularly weak area.   [...] He displayed a condescending attitude towards others and an exaggerated regard for his won abilities.  Generally, he tended to attribute his family, legal or social problems to external factors rather than to himself.  [...] Overall, he exhibited no insight into his past behavior.

(Dossier du demandeur, vol 1, p. 137-138 et 140)

et conclut de la façon suivante :

When estimating Mr. Coon’s risk of reoffending, actuarial and psychometric tests suggest that it is a low to moderate risk for general recidivism but a moderate risk for violent recidivism. Clinical impression are not consistent with a low risk rating for general offending.  Mr. Coon does not present as a typical first time offender with which a low risk rating is statistically associated. (..] Thus, an estimate of risk in the moderate range of general recidivism seems more approriate.

[...]

The Cognitive Skills Training Program is considered a necessary first step in addressing the cognitive deficits evident in Mr. Coon such as rigid thinking, egocentricity, and lack of social perspective-taking skills.  Mr. Coon also needs to undergo treatment specifically targeting his cognitions that : support the use of aggression, attribute hostile intention to otherwise innocuous stimuli, and misinterpret the social cues of others.

[...]

Another key area for M Coon are his coping strategies.  He has shown a pattern of dealing ineffectively with stress and making poor decisions when faced with adversity. In addition, he responds to change poorly and fails to seek assistance in time of need.

(Dossier du demandeur, vol. 1, p. 140)

[34]           Un rapport d’évaluation de programme préparé en 1998 note que le demandeur a complété avec succès le « Cognitive Skills Training Program » en assistant aux 36 sessions du programme mais souligne que « continued improvement is needed in many deficit areas » (Dossier du demandeur, vol. 1, p. 159).  Ce rapport est suivi la même année d’une nouvelle évaluation psychologique, laquelle observe que le demandeur « continued to impress as a cynical individual who operates under a rigid and fatalistic thinking style » et que son comportement « was still aggressive while his conversational style was at time condescending and suspicious ».  Comme celle de l’année précédente, cette évaluation conclut à un risque modéré de récidive générale et violente.  Les auteurs recommandent que le suivi individuel soit au cœur du processus de réhabilitation du demandeur :

Individual counseling should be the cornerstone of M Coon’ s rehabilitative process.  Motivational training and cognitive skill deficit such as rigid thinking, egocentricity and lack of social perspective-taking should be targeted in these sessions.

(Dossier du demandeur, vol. 1, p. 165)

[35]           En 2003, le demandeur fait l’objet d’une évaluation psychiatrique qui, bien qu’elle conclut à l’absence d’évidence que les meurtres auraient été commis dans un contexte de « maladie mentale au niveau de l’Axe I », note néanmoins que le demandeur « présente des traits de personnalité où on retrouve une rigidité de pensée importante », ce qui amène chez lui « une difficulté à considérer le point de vue de l’autre et à l’ingérer dans son système de valeurs ».  Dans sa conclusion, l’auteur de ce rapport note cependant un changement positif dans l’attitude du demandeur résultant de l’aide psychologique dont il bénéficie et opine qu’il ne présente pas « un risque tel qu’il ne pourrait pas bénéficier de sorties accompagnées ou se retrouver dans une institution à sécurité moins grande » (Dossier du demandeur, vol. 1, p. 175-176).

[36]           Le demandeur subit une nouvelle évaluation psychologique en 2006.  L’auteur y constate que malgré le fait que le demandeur ait évolué favorablement dans la perception de son délit et de ses conséquences, il lui est encore ardu de se voir au centre des difficultés qu’il rencontre à regagner sa liberté.  Il souligne plus particulièrement que le demandeur « se perçoit clairement comme étant victime d’injustices et de pressions indues de différents intervenants » et qu’il n’assume pas suffisamment « que c’est son attitude rigide, de méfiance et irritable qui lui nuit principalement ».  À cet égard, l’auteur note chez le demandeur « la présence de traits du trouble de personnalité paranoïaque » (Dossier du demandeur, vol. 1, p. 193).  Bien que sa participation récente à des programmes correctionnels ait été jugée excellente, il note plus particulièrement une « résistance au traitement » de même qu’une « difficulté à créer une alliance thérapeutique lors des suivis psychologiques » et donc, à bénéficier de ceux-ci.  Il constate aussi une difficulté « à créer un lien favorable et positif » avec son EGC ainsi qu’une tendance à se sentir attaqué, ce qui, selon lui, limite grandement sa progression et le met à risque de chercher réparation.  Le risque, à moyen terme, de récidive dans un délit violent demeure évalué à « modéré ».  L’auteur de l’évaluation recommande un passage en établissement à sécurité minimum avant d’envisager une semi-liberté (Dossier du demandeur, vol. 1, p. 196).

[37]           L’évaluation psychologique subséquente que l’on retrouve au dossier, soit celle conduite en 2009, est au même effet.  L’auteur note d’entrée de jeu que les évaluations psychologiques antérieures révèlent « un trouble de personnalité sévère avec des caractéristiques limites et schizoïdes » de même qu’une « personnalité marquée par des aspects narcissiques organisée à un niveau limite » (Dossier du demandeur, vol. 1, p. 211).  Sur le plan des impressions cliniques, il estime que le demandeur « semble toujours aux prises avec cette vision du monde qui l’entoure comme étant menaçant », ce qui l’incite à s’en prémunir tout en suscitant hostilité et irritabilité chez sa personne.  Il note aussi que la méfiance que le demandeur démontre dans ses relations avec son EGC est toujours présente et « semble également interférer avec son désir de s’investir dans une autre relation thérapeutique qui pourrait cibler des interventions sur ses facteurs de risque dynamique ».  L’auteur conclut lui aussi à la présence d’un risque de récidive modéré, tant à court qu’à long terme, et suggère que ce risque serait assumable, sous réserve d’une période d’observation supplémentaire, dans un pénitencier à sécurité moyenne (Dossier du demandeur, vol. 1, p. 217).

[38]           Enfin, la dernière évaluation psychologique au dossier est celle menée en février 2014.  Cette évaluation est conduite à la suggestion de l’agent de probation responsable du dossier du demandeur dans l’optique de déterminer si une dynamique de violence conjugale pourrait aussi avoir contribué au crime commis par celui-ci et constituer ainsi un élément de risque de récidive s’ajoutant à ceux déjà identifiés dans les évaluations psychologiques antérieures.  Cet examen s’avère négatif.  Sur le plan de la gestion du risque toutefois, les auteurs recommandent le transfert du demandeur dans une institution spécialisée, comme le Centre régional de santé mentale du Service correctionnel du Canada, et par la suite, lorsque jugé indiqué eu égard aux risques d’évasion et à la sécurité du public, dans un établissement à sécurité minimum, le tout sujet à ce que celui-ci « agrees to give it a try and to not cut the relationship if he feels betrayed or humiliated, but rather accepts to discuss it for as long as it takes to make the relationship bearable again for him » (Dossier du demandeur, vol. 1, p. 235).  Enfin, les auteurs opinent, il est important de le noter, qu’il n’y rien au dossier du demandeur justifiant une mise à jour du niveau de risque de récidive préalablement établi (Dossier du demandeur, vol. 1, p. 224).

[39]           Bref, il me semble clair que la Commission disposait de suffisamment de renseignements pour pouvoir raisonnablement conclure comme elle l’a fait.  Ces renseignements appuient tant l’idée que le demandeur présente des traits de personnalité qui s’avèrent un frein à l’effort d’introspection nécessaire à la compréhension des facteurs qui ont contribué à la commission des meurtres dont il est l’auteur, et par là, à la gestion du risque de récidive, que celle, intimement liée, voulant qu’il lui soit encore difficile de faire confiance à quiconque et de développer, par le fait même, avec les intervenants et spécialistes du milieu, des rapports structurants, comme en fait foi l’échec relativement récent du processus de guérison entrepris avec un Aîné et du programme de counseling psychologique abandonné après deux rencontres.

[40]           Le demandeur reproche à la Commission de ne pas avoir tenu compte des évaluations dont il a fait l’objet en lien avec sa participation à plusieurs programmes correctionnels.  Ce reproche me semble non-fondé, la Commission ayant pris acte de sa participation positive à plusieurs programmes correctionnels.  En faisant part de sa décision au demandeur au terme de l’audience, la commissaire présidant l’audition tenait les propos suivants :

You, although you participated in all sort of programs and you did well in the program, you don’t seem to have integrated what you’ve learned and until there’s a change, you will stay the same, the recommendation will always be the same.  You’re (sic) abilities are uncontested, your...some progress has been made – [...] You have to work on yourself and ask the help from your case management team or psychologist, build a trusting relationship and try to work on your responsibility disorder.

(Dossier du demandeur, vol. 1, p. 94)

[41]           Dans sa décision écrite, la Commission note que malgré la participation du demandeur à ces programmes, celui-ci « persisted in a mode of functioning characterized by “strained interaction”, marked by distrust and arrogance ».

[42]           Ultimement, l’argument du demandeur revient à dire que la Commission n’a pas accordé suffisamment de poids aux rapports portant sur sa participation  à des programmes correctionnels.  Or, il n’appartient pas à la Cour de réévaluer la preuve et de substituer ses propres conclusions à celle de la Commission, qui est la mieux placée pour déterminer si la mise en liberté d’un détenu présente un trop grand risque pour la société (Steele c Établissement Mountain, [1990] 1 RCS 1385, à la p. 1414; Fernandez, précité au para 20).  Pris dans son ensemble, la preuve, sur le plan de la norme de la raisonnabilité, supporte, à mon avis, les conclusions de la Commission à cet égard.

[43]           Ce premier moyen doit donc échouer.

[44]           Le demandeur plaide, d’autre part, que la Commission, alors qu’elle se devait de rendre une décision n’allant pas au-delà de ce qui est nécessaire et proportionnel aux objectifs de la mise en liberté sous condition, n’a pas tenu compte de sa situation particulière, notamment du fait qu’il est détenu depuis maintenant plus de 25 ans, qu’il était mineur au moment de la commission de son crime, qu’il est issu d’un milieu familial où son développement avait été compromis, que sa période d’éligibilité à la libération conditionnelle a été fixée à 10 ans, qu’il n’a commis aucun geste violent depuis qu’il est en détention et que plusieurs intervenants ont recommandé, au fil des ans, son transfert vers un pénitencier à sécurité minimum.  Il estime qu’il est ainsi impossible, à la lecture de la décision sous étude, de déterminer si la Commission a considéré le facteur de la proportionnalité dans l’examen de sa demande.  Compte tenu de l’importance de ce facteur, et s’en remettant au jugement de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Steele, précitée, il juge cette omission fatale à la décision de la Commission.

[45]           Ce moyen doit échouer également.  D’une part, il propose une approche analytique fondée sur le principe de proportionnalité, consacré par l’article 718.1 du Code criminel, applicable à la détermination de la peine.  Or, tel qu’indiqué précédemment, la Cour d’appel fédérale, dans Ouellette, a rappelé que les facteurs qui s’imposent à la Commission lorsqu’elle est appelée à déterminer si la remise en liberté est indiquée dans un cas donné, ne sont pas ceux qui s’appliquent lors de la détermination de la peine, la Commission étant plutôt chargée « d’observer la personnalité et le comportement du délinquant pendant son emprisonnement afin d’évaluer le danger qu’il présente à la société et son aptitude à réintégré la société » (Ouellette, au para 30(f)), ce qu’elle a clairement fait en l’espèce.

[46]           D’autre part, la Cour d’appel fédérale rappelle également, dans Ouellette, que la Loi dispose de façon claire que la protection de la société est le critère déterminant dans tous les cas et que ce critère prévaut toujours, par conséquent, sur le principe du règlement du cas le moins restrictif possible (Ouellette, aux para 62-63).  Ainsi, dans la mesure où la Commission a conclu que la libération conditionnelle du demandeur présente un risque inacceptable pour la société, elle n’avait pas à remettre en question cette conclusion en regard du principe de la proportionnalité (Ouellette, au para 62).  Bien que le libellé de ce principe ait été modifié depuis que l’affaire Ouellette a été décidée, rien, dans la Loi, n’indique que ce principe n’est plus subordonné au critère déterminant de la protection de la société et peut, en conséquence, y suppléer.

[47]           Enfin, l’arrêt Steele n’est, à mon avis, d’aucun secours au demandeur.  D’une part, il n’est pas acquis que cet arrêt soit pertinent au cas d’un délinquant condamné, comme le demandeur en l’espèce, à l’emprisonnement à perpétuité (Ouellette, aux para 42 à 45).  Par ailleurs, en supposant qu’il le soit, s’il est vrai que la longueur de la peine peut servir d’indication que le détenu ne présente plus un danger pour la société, cela ne justifie pas, en soi, la libération conditionnelle.  Comme la Cour suprême l’a souligné dans cette affaire, lorsque la mise en liberté d’un détenu continue de constituer un trop grand risque pour la société, la prolongation de la détention à perpétuité peut être justifiée (Steele, à la p. 1414).  C’est la conclusion à laquelle en est arrivée la Commission en l’espèce, conclusion, comme je l’ai mentionné précédemment, qui trouve appui dans la preuve au dossier.

[48]           Il est utile de rappeler à cet égard que dans l’affaire Steele, la Commission avait devant elle les rapports de 16 psychologues et psychiatres, dont 14 recommandaient la libération conditionnelle surveillée de M. Steele (Steele, à la p. 1414).  En l’espèce, on retrouve tout au plus des rapports recommandant que le demandeur soit transféré en établissement à sécurité moindre.  Aucun des rapports au dossier ne recommande la libération conditionnelle.

[49]           Le demandeur soutient que la Commission ne pouvait toutefois ignorer le fait qu’il était mineur au moment de la commission des deux meurtres et qu’une période d’inadmissibilité à la libération conditionnelle de seulement 10 ans lui a alors été imposée.  Or, comme le souligne le défendeur, ces facteurs ont été soulignés par la Commission (Dossier du demandeur, vol. 1, à la p. 94) mais il demeure qu’une demande de libération conditionnelle doit être appréciée en fonction du risque actuel que présente un détenu (Boeyen c Canada (Procureur général), 2013 CF 1175).  Au moment où la Commission a rendu sa décision, le risque de récidive violente était toujours considéré comme « modéré ».  Compte tenu de la nature des crimes commis, il était loisible à la Commission, selon moi, de conclure que le demandeur continue de présenter un trop grand risque pour la société, malgré le fait qu’il a commis ses crimes à l’âge de 17 ans et que sa période d’inéligibilité à la libération conditionnelle, compte tenu qu’il était alors mineur, a été, de droit, limitée à 10 ans.  La tâche de la Commission, je le rappelle, est d’observer la personnalité et le comportement du délinquant pendant son emprisonnement afin d’évaluer le danger qu’il présente à la société et son aptitude à réintégrer la société.  Encore une fois, je suis satisfait que la Commission s’est raisonnablement déchargée de cette obligation en l’espèce.

[50]           Comme dernier argument, le demandeur soumet que la Commission, en opinant, sur le plan du risque de récidive, qu’il présente un trop grand risque pour la société, a appliqué, en droit, un critère d’analyse erroné.  Il soutient à cet égard que ce critère est trop général, la norme applicable étant plutôt celle d’un risque personnalisé, soit celui qu’il commette une nouvelle infraction.  Au surplus, estime-t-il, les faits ne justifient pas la conclusion tirée par la Commission puisque les évaluations psychologiques et psychiatriques à son dossier sont constantes : il ne présente pas les traits d’un psychopathe et les risques qu’il commette un délit non violent sont de faibles à modérés alors que ceux qu’il commette un délit violent en matière conjugale ou un délit violent sont faibles dans le premier cas et modérés dans le second.  Il était dès lors erroné, soutient-il, que la Commission en vienne à conclure à la présence d’un risque de récidive sur la simple base d’un trouble de personnalité non démontré et d’un travail clinique à effectuer en lien avec ses relations interpersonnelles.

[51]           J’ai déjà disposé de la question liée à la présence chez le demandeur d’un trouble de personnalité et il n’y a pas lieu d’y revenir.  Quant au reproche lié au fait que la Commission, en statuant que le demandeur continuait de présenter un trop grand risque pour la société, se serait mal dirigée en droit, il ne peut être retenu.

[52]           Suivant l’article 102 de la Loi, la Commission ne peut autoriser la libération conditionnelle que si elle est, en outre, ultimement convaincue qu’une récidive du délinquant avant l’expiration légale de la peine qu’il purge ne présentera pas un risque inacceptable pour la société.  Ce critère est donc au cœur du mandat de la Commission et j’ai de la difficulté à voir en quoi celle-ci aurait commis une erreur de droit en l’espèce en se posant cette question.  De surcroît, la décision de la Commission m’apparaît résolument particularisée au cas du demandeur.  Je ne la comprends pas autrement que comme voulant dire que le demandeur présente toujours un risque de récidive inacceptable pour la société s’il devait bénéficier de la libération qu’il sollicite.

[53]           Je suis satisfait aussi que cette conclusion a été tirée à partir de renseignements pertinents au sens du paragraphe 101(a) de la Loi, à savoir, principalement, les différentes évaluations et rapports des autorités carcérales portant sur le demandeur.  Le demandeur ne prétend pas que ces renseignements ont été obtenus irrégulièrement ou qu’ils ne sont ni sûrs ni convaincants au sens de l’arrêt Mooring, précité (voir aussi : Ouellette, précité au para 68).  Il soutient plutôt, comme j’ai déjà dit, que la Commission a mal évalué la preuve qui était devant elle.  Cette prétention, je le rappelle, ne saurait réussir.

[54]           L’argument d’équité procédurale ne saurait davantage réussir.  Je rappelle que la Commission exerce des fonctions d’enquête sans la présence de parties opposées.  Elle n’entend ni n’évalue aucun témoignage mais agit plutôt sur la foi de renseignements (Mooring, précité au para 26).  À cette fin, la Loi lui confère « un vaste mandat d’inclusion de renseignements » (Mooring, au para 29).  Elle doit néanmoins s’assurer, dans une optique d’équité procédurale, que les renseignements sur lesquels elle se fonde pour rendre une décision et qui ne seraient autrement pas admissibles en preuve dans un procès pénal, sont « sûrs et convaincants » (Mooring, au para 36; Ouellette, précité au para 68).  Elle doit s’assurer aussi que ces renseignements sont communiqués au délinquant afin de lui permettre de les commenter et de les réfuter.

[55]           En l’espèce, la transcription de l’audition tenue devant la Commission révèle que le demandeur a reçu, dans les semaines qui ont précédé l’audition, la documentation contenant les renseignements pertinents que la Commission se proposait alors d’examiner en la présence du demandeur (Dossier du demandeur, vol. 1, p. 23).  L’agent de probation a de plus confirmé au commissaire qu’il n’avait aucune information additionnelle à soumettre que celle déjà communiquée au demandeur (Dossier du demandeur, vol. 1, p. 23-24).  Le demandeur, qui était accompagné de son procureur, s’est fait offrir la possibilité de s’adresser au commissaire, son procureur aussi.  Les deux s’en sont prévalus.  Sur ce plan procédural, on ne peut rien reprocher à la Commission.

[56]           Par ailleurs, on ne m’a pas démontré que la Commission n’a pas tenu compte de tous les renseignements pertinents.  La récrimination du demandeur tient plutôt, en bout de ligne, du poids que la Commission a accordé aux différents éléments de preuve.  Tel qu’indiqué précédemment, la Cour doit, en raison de l’expertise institutionnelle de la Commission, faire preuve de retenue à l’égard du traitement des renseignements qu’elle considère lors de l’examen d’une demande de libération conditionnelle.  Pour les motifs déjà exprimés, cette retenue est de mise dans les circonstances de la présente affaire.

B.                 La décision de la Section d’appel

[57]           Le demandeur n’ayant pas allégué d’erreur particulière de la part de la Section d’appel, je ne vois aucune raison de modifier sa décision compte tenu que j’ai conclu à la raisonnabilité de la décision de la Commission (Collins, précité au para 36; Scott, précité aux para 19-20).

[58]           Le défendeur réclame les frais.  Toutefois, exerçant la discrétion qui m’est conférée par la règle 400 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, j’estime qu’il s’agit d’un cas où chaque partie doit assumer ses frais.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée, sans frais.

« René LeBlanc »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-117-15

INTITULÉ :

DAVID COON c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 7 Octobre 2015

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE LEBLANC

DATE DES MOTIFS :

LE 21 mars 2016

COMPARUTIONS :

Me Maxime H. Lafontaine

Pour le demandeur

Me Marjolaine Breton

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Latour, Dorval, Del Negro

Avocat(e)

Montréal (Québec)

Pour le demandeur

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur

 

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