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Date : 20150831


Dossier : T‑1028‑15

Référence : 2015 CF 1034

[traduction française certifiée, non révisée]

Ottawa (Ontario), le 31 août 2015

En présence de monsieur le juge Annis

ENTRE :

VLASTA STUBICAR

demanderesse

et

VICE‑PREMIER MINISTRE ET MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

I.                   Introduction

[1]               Le défendeur a présenté une requête en vertu de l’alinéa 416(1)f) et de l’article 369 des Règles des Cours fédérales [les Règles] en vue d’obtenir une ordonnance enjoignant à la demanderesse de fournir un cautionnement pour ses dépens d’un montant de 5 000 $ et d’autres ordonnances accessoires, dont une interdisant à la demanderesse de prendre d’autres mesures dans la présente instance tant qu’elle n’aura pas versé le cautionnement exigé et donné avis de ce versement.

[2]               La demanderesse, une avocate, agit pour son propre compte dans la présente instance ainsi que dans plusieurs autres dossiers intéressant la Couronne fédérale. Elle a entamé, devant la Cour fédérale [CF] ou devant la Cour d’appel fédérale [CAF], une multitude de procédures judiciaires à l’encontre du Procureur général du Canada [PGC] et de l’Agence des services frontaliers du Canada [ASFC] ainsi qu’à l’encontre d’autres décideurs en matière d’accès à l’information.

II.                Les faits

[3]               L’avalanche de poursuites découle à la base de la croyance entretenue par la demanderesse selon laquelle des agents de l’ASFC ont subrepticement saisi et conservé son passeport croate ainsi que d’autres documents à son retour, en 2008, d’un voyage en Croatie. La demanderesse a institué une action contre la Couronne en vue d’obtenir une ordonnance portant que ses droits garantis par l’article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés avaient été violés, en plus d’une ordonnance enjoignant au défendeur de lui remettre son passeport et les autres documents qui auraient été saisis. L’action a été rejetée par jugement sommaire (Stubicar c. R., 2012 CF 1393), lequel a été confirmé par la Cour d’appel fédérale (Stubicar c. R., 2013 CAF 239).

[4]               Plusieurs des autres instances découlent de l’insatisfaction éprouvée par la demanderesse quant à l’issue de certaines demandes d’accès à l’information, de même que d’autres questions de procédure (A‑454‑12, A‑363‑12, A‑144‑12, A‑531‑12, T‑1436‑11, T‑2061‑11, T‑19‑12, T‑618‑12, T‑940‑12 et T‑2102‑10).

[5]               Par la présente demande fondée sur l’article 41 de la Loi sur l’accès à l’information, la demanderesse semble vouloir obtenir des renseignements qui permettraient d’étayer l’allégation selon laquelle l’ASFC a retenu son passeport ainsi que d’autres renseignements la concernant, et ce dans le but apparent d’intenter à nouveau contre la Couronne des poursuites qui ont déjà été rejetées.

III.             Montants des frais en litige

[6]               Le montant des frais impayés réclamés par le défendeur est contesté. Du montant total réclamé (12 572,74 $), il semblerait que l’adjudication de dépens au montant de 500 $, dans le dossier T‑2061‑11 de la Cour fédérale, ait été infirmée en appel. Si l’on déduit cette somme, en plus des 719,64 $ devant faire l’objet d’une compensation pour des dépens impayés qui ont été adjugés à la demanderesse, il semble que le montant total des frais réclamés par le défendeur soit de 11 293,10 $. La demanderesse n’a jamais rien versé au défendeur des frais réclamés.

IV.             Questions en litige et analyse

[7]               En vertu de l’article 416(1)f) des Règles, la Cour peut ordonner à une partie de fournir un cautionnement pour les dépens afférents à la même instance ou à une autre instance qui demeurent impayés en totalité ou en partie :

416. (1) Lorsque, par suite d’une requête du défendeur, il paraît évident à la Cour que l’une des situations visées aux alinéas a) à h) existe, elle peut ordonner au demandeur de fournir le cautionnement pour les dépens qui pourraient être adjugés au défendeur :

 

416. (1) Where, on the motion of a defendant, it appears to the Court that

f) le défendeur a obtenu une ordonnance contre le demandeur pour les dépens afférents à la même instance ou à une autre instance et ces dépens demeurent impayés en totalité ou en partie;

 

(f) the defendant has an order against the plaintiff for costs in the same or another proceeding that remain unpaid in whole or in part,

[8]               La Cour d’appel fédérale a confirmé que l’article 416 des Règles s’applique à tous les types d’instances, dont les actions, les demandes et les appels.

[9]               De plus, pour avoir droit au cautionnement pour les dépens en vertu de l’alinéa 415(1)f) des Règles, le défendeur n’a à satisfaire à aucune autre exigence que celles expressément énoncées dans cette disposition.

[10]           Dans la décision Coombs c Canada, 2008 CF 894, la Cour a statué qu’un défendeur a droit à première vue à un cautionnement pour les dépens lorsqu’une ordonnance relative aux dépens en sa faveur est en souffrance.

[11]           La demanderesse soutient que plusieurs des montants réclamés sont susceptibles d’être reconsidérés lors des appels qu’elle affirme avoir interjetés ou qu’elle formera au plus tard à leur date limite. Si la décision rendue par la Cour fédérale dans le dossier T‑2102‑10 était infirmée, Mme Stubicar affirme, quant aux frais afférents à ses honoraires, qu’elle aurait droit à un montant additionnel de 3 700 $ à la suite du refus de la Cour de les lui adjuger. Elle fait aussi valoir que le montant des dépens (1 162,46 $) auquel elle a été condamnée dans le dossier A‑531‑12 de la Cour fédérale pourrait être infirmé en appel. Elle souligne également que les dépens adjugés dans les dossiers de la Cour fédérale numéros T‑19‑12 et T‑618‑12, s’élevant à 1 140,95 $ et à 1 947,25 $, respectivement, étaient susceptibles de révision. Dans ces deux dernières décisions, j’ai toutefois confirmé les taxations des dépens (Vlasta Stubicar c Vice premier ministre et ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, 2015 CF T‑19‑12, et Vlasta Stubicar c Vice premier ministre et Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, 2015 CF T‑618‑12). Ces deux décisions pourraient aussi être portées en appel.

[12]           La demanderesse ne cite aucune jurisprudence à l’appui de son argument voulant que les appels en cours au sujet de l’adjudication des dépens puissent être invoqués pour atténuer l’obligation qu’elle a de payer les sommes adjugées et dont elle ne s’est pas encore acquittée. Pour convaincre la Cour de prendre en considération les appels en cours, il faudrait qu’il existe certaines raisons de penser que la demanderesse pourrait avoir gain de cause en appel.

[13]           Rien ne permet à la Cour d’arriver à une telle conclusion. En outre, comme je l’ai déjà indiqué dans les deux décisions où j’ai confirmé les certificats de taxation (dossiers de la Cour fédérale numéros T‑19‑12 et T‑618‑12), je suis d’accord avec les remarques formulées par le juge Harrington dans la cause Stubicar c. Canada, 2015 CF 722, suivant lesquelles la demanderesse a examiné à la loupe les décisions qui ne lui sont pas favorables dans le but de toutes les porter en appel, ce qui a globalement pour effet de retarder le traitement de la demande et de causer des frais additionnels qui n’ont pas été acquittés, alors que le débat sur le bien‑fondé de l’instance est tout simplement reporté à plus tard.

[14]           La demanderesse soutient que la Cour ne peut rendre une ordonnance de fournir un cautionnement pour des dépens parce qu’elle n’y est pas autorisée par l’article 53 de la Loi sur l’accès à l’information, L.R.C., 1985, c A‑1, dont le libellé est le suivant :

53. (1) Sous réserve du paragraphe (2), les frais et dépens sont laissés à l’appréciation de la Cour et suivent, sauf ordonnance contraire de la Cour, le sort du principal.

53. (1) Subject to subsection (2), the costs of and incidental to all proceedings in the Court under this Act shall be in the discretion of the Court and shall follow the event unless the Court orders otherwise.

 

(2) Dans les cas où elle estime que l’objet des recours visés aux articles 41 et 42 a soulevé un principe important et nouveau quant à la présente loi, la Cour accorde les frais et dépens à la personne qui a exercé le recours devant elle, même si cette personne a été déboutée de son recours.

 

(2) Where the Court is of the opinion that an application for review under section 41 or 42 has raised an important new principle in relation to this Act, the Court shall order that costs be awarded to the applicant even if the applicant has not been successful in the result.

 

[Soulignement ajoutés par la demanderesse]

[Emphasis added by the Applicant]

 

[15]           Je ne suis pas d’accord pour dire que l’article 53 limite le pouvoir discrétionnaire de la Cour d’accorder un cautionnement pour des dépens lorsque les circonstances le justifient en matière de demandes présentées au titre de la Loi sur l’accès à l’information. L’idée derrière un cautionnement pour les dépens est de s’assurer que les défendeurs ou les intimés puissent obtenir les dépens qui pourraient être adjugés dans les différentes circonstances prévues à l’article 416 des Règles. C’est une chose de ne pas condamner la demanderesse aux dépens lorsqu’elle n’a pas gain de cause, mais cela ne change rien au fait qu’elle n’a pas acquitté les dépens adjugés contre elle, une situation qui est décrite à l’article 416 des Règles comme un empêchement à la prise de nouvelles mesures dans l’instance devant la Cour, ce qui engloberait des demandes d’accès.

[16]           Dans la même veine, rien n’empêche la Cour d’accepter l’évaluation faite par le défendeur du montant exigé à titre de cautionnement pour les dépens afférents à la demande qui est en instance. Si la demanderesse avait fait valoir certains arguments selon lesquels son dossier soulève un principe important et nouveau quant à la Loi sur l’accès à l’information, la Cour aurait pu avoir une raison d’exercer de son pouvoir discrétionnaire en sa faveur. Comme elle ne l’a pas fait et qu’elle affiche un dossier peu reluisant quant aux résultats obtenus compte tenu du nombre considérable d’appels rejetés et d’appels formés sur des assises fragiles, la Cour n’a aucune raison d’exercer son pouvoir discrétionnaire en sa faveur.

V.                Conclusion

[17]           Rien n’indique que la demanderesse soit dans l’indigence de sorte que le versement du cautionnement pour les dépens l’empêcherait de donner suite à la demande. Aucun autre motif n’a été invoqué.

[18]           Après avoir examiné la justification du montant du cautionnement pour les dépens réclamé par le défendeur, je conclus que ce montant est raisonnable dans les circonstances.

[19]           Par conséquent, la requête du défendeur est accueillie en la forme demandée.

LA COUR ORDONNE :

1.             La demanderesse doit verser un cautionnement de 5 000 $ pour les dépens du défendeur;

2.                         La demanderesse doit aviser le défendeur de la date à laquelle le cautionnement a été versé à la Cour;

3.             Conformément au paragraphe 416(3) des Règles, il est interdit à la demanderesse de prendre de nouvelles mesures dans le cadre du présent contrôle judiciaire jusqu’à ce que le cautionnement mentionné ci‑dessus ait été fourni et que le défendeur en ait été avisé;

4.             Le délai prescrit au paragraphe 318 (1) des Règles est prorogé de vingt (20) jours à compter de la date à laquelle le cautionnement aura été versé et l’avis aura été donné;

5.             La demanderesse doit payer au défendeur les dépens afférents à la présente requête au montant de 980 $.

« Peter Annis »

Juge

Traduction certifiée conforme

Jean‑Jacques Goulet, LL.L.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

T‑1028‑15

 

INTITULÉ :

VLASTA STUBICAR C VICE PREMIER MINISTRE ET MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

 

REQUÊTE ÉCRITE EXAMINÉE À OTTAWA (ONTARIO) CONFORMÉMENT À L’ARTICLE 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE ANNIS

DATE DE L’ORDONNANCE ET DES MOTIFS :

LE 28 AOÛT 2015

 

OBSERVATIONS ÉCRITES :

Vlasta Stubicar

 

POUR LA DEMANDERESSE

(Pour son propre compte)

Philippe Lacasse

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous‑procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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