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Date : 20160315


Dossier : T-944-15

Référence : 2016 CF 318

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 15 mars 2016

En présence de monsieur le juge Diner

ENTRE :

TEVA CANADA LIMITED

demanderesse

et

JANSSEN INC. ET MILLENNIUM 

PHARMACEUTICALS, INC.

défenderesses

ET ENTRE :

MILLENNIUM PHARMACEUTICALS, INC.

ET JANSSEN INC.

demanderesses

reconventionnelles

et

LES ÉTATS-UNIS D’AMÉRIQUE

REPRÉSENTÉS PAR LE DEPARTMENT OF 

HEALTH AND HUMAN SERVICES

breveté

et

TEVA CANADA LIMITED

défenderesse reconventionnelle

ORDONNANCE ET MOTIFS

I.                   Faits

[1]               Le présent appel découle d’une ordonnance rendue le 26 janvier 2016 [l’ordonnance] par une protonotaire de la Cour refusant d’accueillir la requête des défenderesses visant la disjonction de i) l’action en dommages-intérêts de la demanderesse, en vertu de l’article 8 du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS/93-133 [le Règlement], en ce qui a trait au « Bortézomib pour injection », et de ii) la demande reconventionnelle des défenderesses relative à la contrefaçon alléguée de quatre brevets par la demanderesse, pour laquelle les défenderesses réclament des dommages-intérêts ou la restitution des bénéfices réalisés par la demanderesse.

[2]               Le 14 décembre 2015, les défenderesses ont présenté une requête en vue de la disjonction de l’instance opposant la responsabilité et la quantification pour l’action fondée sur l’article 8 et la demande reconventionnelle relative à la contrefaçon. Advenant le cas où la composante liée à l’article 8 n’est pas disjointe, les défenderesses ont également demandé à ce qu’il en soit de même pour la demande reconventionnelle.

[3]               La protonotaire responsable de la gestion de l’instance a rejeté la requête en disjonction. Elle a conclu que les défenderesses n’étaient pas parvenues à s’acquitter de leur responsabilité de démontrer qu’une disjonction aurait été davantage susceptible de donner lieu à une décision juste, rapide et moins coûteuse au sujet des questions en litige.

II.                Analyse

[4]               Les défenderesses prétendent que la protonotaire a commis une erreur dans son analyse et, donc, que la décision devrait être réexaminée de novo et infirmée. En ce qui a trait à une erreur de droit, les défenderesses soutiennent que, bien que la protonotaire ait correctement défini le critère à appliquer en matière de disjonction, elle a commis une erreur en se demandant seulement si un procès sur la question de la responsabilité pourrait mettre un terme à l’action. Autrement dit, elle a conclu à tort qu’une disjonction serait justifiée seulement si toutes les questions relatives aux responsabilités étaient réglées.

[5]               Je suis d’accord pour dire que la protonotaire a défini le critère approprié à appliquer en matière de disjonction qui vise à déterminer si « la disjonction est susceptible, selon toute probabilité, de favoriser une solution au litige qui soit juste et la plus expéditive et économique possible », décision Apotex Inc. c. Pfizer Canada Inc., 2014 CF 159, au paragraphe 43.

[6]               Dans la décision Merck & Cie c. Brantford Chemicals Inc., 2004 CF 1400 [Merck], au paragraphe 5, la Cour présente une liste de facteurs qui peuvent être pris en compte pour déterminer si l’accueil de la requête est susceptible de donner lieu à une décision plus juste, plus rapide et plus rentable :

    1. la complexité des questions à juger;
    2. le point de savoir si les questions relatives à la responsabilité sont nettement distinctes de celles relatives à la réparation;
    3. le point de savoir si la structure des faits sur laquelle l’action se fonde est suffisamment extraordinaire ou exceptionnelle pour justifier qu’on s’écarte de la pratique normale consistant à juger en une seule instance l’ensemble des questions en litige;
    4. le point de savoir si le juge du fond sera mieux à même de décider les questions du préjudice et des pertes du demandeur après avoir d’abord évalué la crédibilité de celui-ci au cours de l’instruction de la question des dommages-intérêts;
    5. le point de savoir si l’instruction conjointe des questions pourrait faciliter une meilleure appréciation de la nature et de l’importance du préjudice subi par le demandeur et du dédommagement qui lui est dû en conséquence;
    6. le point de savoir si les questions de la responsabilité et des dommages-intérêts sont si inextricablement liées qu’il ne convient pas de les disjoindre;
    7. le point de savoir si, dans le cas où les questions de la responsabilité et des dommages-intérêts seraient disjointes, il existe des mécanismes permettant qu’elles soient jugées promptement par un même tribunal ou par deux tribunaux distincts, selon le cas;
    8. le point de savoir s’il est manifestement préférable pour toutes les parties que la question de la responsabilité soit jugée d’abord;
    9. le point de savoir si la procédure adoptée permettra des économies substantielles;
    10. le point de savoir s’il est certain que la séparation des questions permettra de gagner du temps ou si elle n’entraînera pas plutôt des délais inutiles;
    11. le point de savoir si, dans le cas où la disjonction serait ordonnée, le jugement de la question de la responsabilité pourrait faciliter ou déterminer le règlement à l’amiable de la question des dommages-intérêts, ou dans quelle mesure il pourrait le faire;
    12. le point de savoir s’il est probable que le jugement de la question de la responsabilité mettra un terme à l’action.

[7]               Un ensemble similaire de facteurs a été présenté dans la décision Varco Canada Limited v. Pason Systems Corp, 2009 FC 538, aux pages 4 et 5.

[8]               À la lecture de l’ordonnance de la protonotaire, je constate qu’elle a reconnu plusieurs de ces facteurs, qu’elle s’est prononcée sur ceux-ci et qu’elle est parvenue aux conclusions suivantes (les numéros de page fournis ci-dessous se rapportent à son ordonnance) :

[traduction]

                             i.                   L’affaire est très complexe (p. 2);

                           ii.                   Les questions de la responsabilité et des dommages-intérêts sont liées et ne peuvent pas être facilement disjointes (p. 4);

                         iii.                   Une décision concernant uniquement la responsabilité ne mettra vraisemblablement pas un terme à l’action (p. 3);

                         iv.                   Il n’est manifestement pas préférable pour toutes les parties que la question de la responsabilité soit jugée d’abord (p. 3);

                           v.                   Aucune économie substantielle ne sera réalisée (p. 4);

                         vi.                   La disjonction ne permettra pas de gagner du temps; elle est plutôt susceptible d’entraîner des délais (p. 4).

[9]               Ces conclusions i) correspondent toutes à une application légitime des facteurs présentés dans Merck et ii) sont tout à fait raisonnables. Je ne suis pas d’accord avec les défenderesses lorsqu’elles disent que l’ordonnance de la protonotaire est fondée exclusivement sur le premier point de la liste précitée. Au contraire, la demanderesse a évalué plusieurs facteurs exposés dans la jurisprudence.

[10]           En ce qui concerne toutes les erreurs de fait, je suis d’accord avec les défenderesses pour dire qu’il aurait été possible d’arriver à la conclusion contraire. Toutefois, après avoir pondéré les divers facteurs présentés ci-dessus, la protonotaire a choisi de rejeter une disjonction. Remettre en question le processus reviendrait à procéder à une nouvelle pondération des éléments de preuve et à altérer le niveau élevé de déférence dont il convient de faire preuve à l’égard d’une décision discrétionnaire rendue par un protonotaire, comme l’a décidé la Cour d’appel fédérale dans des cas comme l’arrêt Turmel v. Canada, 2016 FCA 9, aux paragraphes 11 et 12, et plus récemment dans l’arrêt Sport Maska Inc. c. Bauer Hockey Corp., 2016 CAF 44, au paragraphe 26, où elle déclare ce qui suit :

« [L]a décision d’un protonotaire ne peut être invalidée par un juge que lorsqu’elle est manifestement erronée, c’est‑à‑dire lorsque l’exercice du pouvoir discrétionnaire était fondé sur un mauvais principe ou une mauvaise appréciation des faits. »

[11]           Je ne peux identifier aucun fait qui a été mal apprécié par la protonotaire dans sa prise de décision. Je ne peux donc pas être d’accord avec les affirmations des défenderesses voulant que la protonotaire ait commis une erreur dans son analyse du « fondement factuel ».

[12]           Enfin, les défenderesses prétendent que la protonotaire a commis une erreur de droit dans son application des paragraphes 8(1) et 8(5) du Règlement. Je ne vois aucune preuve d’analyse de ces dispositions dans la décision ni rien qui pourrait amener à conclure que la protonotaire a tiré des conclusions liées à la responsabilité en vertu de ces paragraphes. Elle a plutôt simplement discuté du bien-fondé de la requête en disjonction, comme elle était tenue de faire.

III.             Conclusion

[13]           En conclusion, les défenderesses n’ont pas réussi à prouver que les conclusions de la protonotaire étaient manifestement erronées en fait ou en droit. Je ne vois donc pas de raison de conclure qu’elle a exercé son pouvoir discrétionnaire de façon inappropriée et encore moins de conclure à un exercice approchant d’un cas évident d’abus de pouvoir discrétionnaire. Par conséquent, je refuse de modifier l’ordonnance.

[14]           La requête est donc rejetée. Les dépens soient adjugés à la demanderesse sans délai.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que

1.      la présente requête soit rejetée;

2.      les dépens soient adjugés à la demanderesse sans délai.

« Alan S. Diner »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-944-15

 

INTITULÉ :

TEVA CANADA LIMITED c. JANSSEN INC. ET MILLENNIUM PHARMACEUTICALS, INC., ET MILLENNIUM PHARMACEUTICALS, INC. ET JANSSEN INC. c. LES ÉTATS-UNIS D’AMÉRIQUE REPRÉSENTÉS PAR LE DEPARTEMENT OF HEALTH AND HUMAN SERVICES ET TEVA CANADA LIMITED

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 24 février 2016

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE DINER

 

DATE DES MOTIFS :

Le 15 mars 2016

 

COMPARUTIONS :

Jonathan Giraldi

Jeffrey Warnock

 

POUR LA DEMANDERESSE

TEVA CANADA LIMITED

 

Jamie Mills

 

Pour les défenderesses

JANSSEN INC. ET MILLENNIUM PHARMACEUTICALS, INC.

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Aitken Klee LLP

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

POUR LA DEMANDERESSE

TEVA CANADA LIMITED

 

Borden Ladner Gervais S.E.N.C.R.L., S.R.L.

Avocats

Ottawa (Ontario)

Pour les défenderesses

JANSSEN INC. ET MILLENNIUM PHARMACEUTICALS, INC.

 

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