Décisions de la Cour fédérale

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Date : 20160307


Dossiers : IMM-63-16

IMM-502-16

Référence : 2016 CF 289

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 7 mars 2016

En présence de monsieur le juge Harrington

ENTRE :

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

demandeur

et

JACOB DAMLANY LUNYAMILA

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT

[1]               Voici les motifs à l’appui du jugement (2016 CF 288) que j’ai rendu en faveur du ministre dans ses demandes de contrôle judiciaire de janvier et février 2016 des décisions de la Section de l’immigration de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié (CISR) dans lesquelles il a été ordonné que M. Lunyamila soit libéré, nonobstant le fait que lors des contrôles précédents il y a plus de deux ans, il avait été détenu en garde à vue étant donné qu’il présentait un danger pour le public et un risque de fuite.

[2]               Deux questions sont soulevées. La première question consiste à savoir si les décisions étaient raisonnables. La seconde question est de savoir si le commissaire de la Section de l’immigration pouvait valablement en février ordonner la mise en liberté de M. Lunyamila étant donné que la Cour avait suspendu son ordonnance du mois de janvier en attendant l’issue de la demande d’autorisation du ministre et, si celle­ci était accueillie, de la demande de contrôle judiciaire.

[3]               M. Lunyamila est un criminel. Le Service de police de Vancouver a établi qu’il est un délinquant multirécidiviste, un criminel invétéré qui cause un préjudice social important. Il a été condamné 54 fois pour toutes sortes d’infractions graves. Néanmoins, s’il était Canadien, il serait aujourd’hui libre d’errer dans les rues étant donné qu’il a purgé ses peines. Cependant, il n’est pas Canadien. Il est arrivé au Canada en tant que réfugié du Rwanda. En raison des crimes qu’il a commis par la suite, il a été jugé inadmissible au Canada. Le représentant du ministre a émis un avis selon lequel il représentait un danger pour la population du Canada, un danger qui l’emportait sur tout ce qui pourrait lui arriver s’il devait retourner au Rwanda. La demande d’autorisation faite par M. Lunyamila pour que cette décision fasse l’objet d’un contrôle judiciaire a été rejetée par la Cour.

[4]               L’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) est tenue par la loi (article 48 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés [LIPR]) de renvoyer M. Lunyamila au Rwanda dès que possible. Il y a cependant de nombreux obstacles. Les autorités rwandaises l’obligent à signer certains documents, ce qu’il refuse de faire. En outre, les autorités rwandaises exigent qu’il ait des documents d’identité certifiés. Il s’est présenté sans documents.

[5]               M. Lunyamila a d’abord été détenu en 2013 du fait qu’il présentait un risque de fuite et un danger pour le public. Par conséquent, il a été maintenu en détention pendant plus de deux ans, cette détention étant assujettie à des contrôles tous les 30 jours conformément à l’article 57 de la LIPR.

[6]               Sa détention a été examinée plus de 25 fois et, à une exception antérieure, a toujours été maintenue jusqu’au mois de janvier de cette année. Sa libération a ensuite été ordonnée sous certaines conditions. Le ministre a immédiatement demandé une suspension de cette ordonnance de mise en liberté dans l’affaire IMM­63­16. À la suite d’une suspension provisoire accordée par la juge Simpson pour permettre aux parties de rassembler les documents à présenter à la Cour, le juge Shore a accordé la suspension de mise en liberté en attendant l’issue de la demande sous­jacente d’autorisation et de contrôle judiciaire.

I.                   Contrôle de la décision de janvier 2016

[7]               Le décideur était parfaitement conscient qu’une dérogation aux décisions précédentes relativement au contrôle des motifs de détention devait s’accompagner d’une explication claire (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Thanabalasingham, 2004 CAF 4). M. Lunyamila a toujours refusé de signer les documents requis par le gouvernement rwandais. Il semble que sans sa signature, le Rwanda ne l’acceptera pas. Cependant, le commissaire s’est emparé du fait, point qui n’avait pas été soulevé dans les contrôles antérieurs des motifs de détention, que même si M. Lunyamila signait les documents requis, il ne serait toujours pas autorisé à rentrer dans son pays puisque les autorités rwandaises exigeaient également des documents d’identification certifiés. M. Lunyamila a quitté le Rwanda sans ces documents, lesquels peuvent ne pas exister. Les observations faites au nom du ministre auprès du commissaire voulaient que si M. Lunyamila venait à signer les formulaires de demande, il se pourrait bien que la question de l’identité soit réglée comme cela a été le cas pour d’autres pays. Le commissaire a estimé que ce scénario était hautement hypothétique.

[8]               Cela a conduit le commissaire à conclure que M. Lunyamila pourrait fort bien être passible d’être placé en détention pour une durée indéfinie. Cela va à l’encontre des valeurs canadiennes et soulève des questions relatives à la Charte des droits et libertés en vertu de la Loi constitutionnelle de 1982. Chaque contrôle des motifs de détention diffère quelque peu des précédents contrôles du fait que le temps continue de s’écouler (Warssama c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 1311).

[9]               Le commissaire était également d’avis que M. Lunyamila n’était plus la même personne. La colère et la dépression, alimentées la plupart du temps, mais pas toujours, par l’alcool et l’abus de drogues, étaient à l’origine de la majorité de ses actes criminels. M. Lunyamila n’avait pas bu et n’avait pas consommé de drogues pendant plus de deux ans (il a été incarcéré et n’en a pas eu l’occasion), avait suivi des cours de gestion de la colère et devait donc être libéré.

[10]           À cet égard, je trouve que cette explication n’est pas raisonnable. Cette décision se fonde sur des espoirs et des prières. Le dossier n’appuie pas les conclusions du commissaire. M. Lunyamila a été condamné pour agression violente, y compris agression sexuelle. Il a porté des armes dissimulées et a attaqué des étrangers dans la rue sans avoir été provoqué. Rien dans le dossier n’étaye la thèse selon laquelle l’abstinence forcée conduira à la sobriété dans l’avenir, d’autant plus qu’il devait aller dans un foyer où il y avait de l’alcool.

[11]           De plus, rien dans le dossier n’étaye la proposition voulant qu’il se présente régulièrement à la police conformément aux conditions de sa mise en liberté. Il a déjà été libéré une fois en 2013 et a rapidement été arrêté une nouvelle fois parce qu’il n’avait pas respecté les conditions de sa libération. Un examen de ses condamnations entre 1999 et son emprisonnement en 2013 en vertu de la LIPR montre qu’il ne s’était pas présenté au tribunal, qu’il n’avait pas respecté ses engagements et qu’il ne s’était pas conformé aux ordonnances de probation à dix reprises.

[12]           Cette décision ne faisait pas partie des issues raisonnables possibles définies dans l’arrêt Dunsmuir c. Nouveau­Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 RCS 190, et elle a été prise sans tenir compte des éléments dans le dossier, en violation de l’article 18.1 de la Loi sur les Cours fédérales.

[13]           M. Lunyamila avait été arrêté et détenu conformément à l’article 54 de la LIPR parce que l’agent avait des motifs raisonnables de croire qu’il représentait un danger pour le public, qu’il se soustrairait vraisemblablement au contrôle, à l’enquête ou au renvoi. Le caractère raisonnable de cette décision initiale n’est pas contesté. La LIPR prévoit ensuite que sa détention doit être réexaminée dans les 48 premières heures, dans les sept jours qui suivent, et tous les 30 jours par la suite. L’article 248 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés énonce cinq facteurs à prendre en considération :

248 S’il est constaté qu’il existe des motifs de détention, les critères ci­après doivent être pris en compte avant qu’une décision ne soit prise quant à la détention ou la mise en liberté :

248 If it is determined that there are grounds for detention, the following factors shall be considered before a decision is made on detention or release:

a) le motif de la détention;

(a) the reason for detention;

b) la durée de la détention;

(b) the length of time in detention;

c) l’existence d’éléments permettant l’évaluation de la durée probable de la détention et, dans l’affirmative, cette période de temps;

(c) whether there are any elements that can assist in determining the length of time that detention is likely to continue and, if so, that length of time;

d) les retards inexpliqués ou le manque inexpliqué de diligence de la part du ministère ou de l’intéressé;

(d) any unexplained delays or unexplained lack of diligence caused by the Department or the person concerned; and

e) l’existence de solutions de rechange à la détention.

(e) the existence of alternatives to detention.

[14]           Ces facteurs ne constituent pas des compartiments étanches et dans le cas de M. Lunyamila, ils se confondent certainement. Bien que l’ASFC ait été en contact avec les autorités rwandaises, le commissaire a estimé que les enquêtes n’étaient pas assez solides. Dans cette éventualité, et ce point de vue pourrait avoir un certain mérite, la réparation ne consistait pas à libérer M. Lunyamila, mais plutôt à faire appel à l’ASFC pour obtenir une décision définitive d’une manière ou d’une autre quant à la question de savoir si l’absence de papiers d’identité pourrait être surmontée s’il venait à signer les demandes requises. Seule une réponse définitive permet d’estimer la durée probable de la détention.

[15]           La mise en liberté de M. Lunyamila à la condition qu’il se présente régulièrement à la police n’est certainement pas justifiée par ses antécédents. Il a été condamné dix fois pour ne pas s’être présenté à la police.

II.                Contrôle de la décision de février 2016

[16]           Mon analyse de la décision de janvier s’applique également à la décision de février prise par le même commissaire, avec un ajout important. Le 6 janvier, M. Lunyamila a reçu une ordonnance provisoire de la Cour qui sursoyait à sa mise en liberté. Voici ce que Ben Kim, de l’ASFC, qui a remis l’ordonnance de suspension, avait à dire au sujet de sa rencontre avec M. Lunyamila :

[traduction]

[…] J’étais au centre correctionnel régional Fraser de Maple Ridge (Colombie­Britannique) pour remettre quatre documents de la Cour fédérale à un homme rwandais détenu que je connaissais sous le nom de LUNYAMILA Jacob Damiany, né le 14 septembre 1976. Le sujet me connaissait déjà bien étant donné que j’avais eu de multiples interactions avec lui alors que j’exerçais mes fonctions d’agent de liaison auprès des détenus. Le sujet a été escorté à la salle des archives par des agents correctionnels de la Colombie­Britannique et s’est vu remettre les documents. Le sujet a immédiatement réagi vivement, et il a commencé à crier et à exiger qu’on le libère comme l’avait ordonné le juge. Je lui ai expliqué à plusieurs reprises qu’il avait déjà été informé du fait que l’ASFC avait interjeté appel de l’ordonnance de libération, et que j’étais simplement là pour lui fournir des copies des documents pertinents. Il est ensuite devenu très agité et a commencé à crier à tue­tête. Il laissa apparaître des signes avant­coureurs d’agression : ses yeux étaient exorbités, il s’est crispé et de la mousse commençait à se former autour de sa bouche. Il prit une position de combat en faisant pivoter son corps en diagonale et me pointa agressivement du doigt en me traitant de « membre de gang ».

C’est alors que Paul Shand, superviseur des archives du centre correctionnel régional Fraser, est intervenu et a demandé au sujet de ne pas s’en prendre personnellement à moi étant donné qu’il ne s’agissait pas d’une affaire personnelle. Un des agents correctionnels a ensuite pris la main gauche du sujet pour tenter de lui mettre les menottes. Le sujet a commencé à pousser des cris hystériques et à opposer une résistance physique. Trois autres agents correctionnels ont alors prêté main­forte et ont été contraints de recourir à la force pour plaquer le sujet à terre et le soumettre. Le sujet s’est débattu et a crié frénétiquement au sol pendant plusieurs minutes le temps que l’on apporte des chaînes et qu’on les lui mette autour des chevilles. Finalement, le sujet fut mis en position debout, emmené par les quatre agents et placé en isolement, ce qui a mis fin à mes relations avec le sujet.

[17]           Le commissaire n’était pas préoccupé par cette démonstration. Dans sa décision du 2 février, il a déclaré ce qui suit à M. Lunyamila :

[traduction]

Votre réaction face à l’information qui vous a été fournie par M. Kim est compréhensible. Vous avez été très surpris. Vous étiez scandalisé en somme. Vous avez été placé en détention pendant près de deux ans et demi et il est compréhensible à ce stade, après avoir reçu une ordonnance de libération, que vous ayez été incroyablement surpris et effrayé d’apprendre que vous ne seriez pas libéré à ce moment­là.

Mon interprétation de la déclaration de M. Kim est que, en somme, vous n’avez pas adopté une attitude appropriée lorsque vous l’avez rencontré.

On me dit que M. Kim est formé pour examiner s’il y a un comportement agressif ou violent. Dans sa déclaration, il affirme que vos yeux étaient exorbités, que vous étiez crispé, qu’il y avait de la mousse dans votre bouche et que vous aviez fait pivoter votre corps en diagonale. Il n’a donc pas apprécié votre langage corporel.

Vous nous avez dit que vous n’aviez en aucun cas tenté de le frapper ou de lever le poing. Je suis certain que si cela s’était produit, il en aurait été fait mention dans la déclaration. Au fond, vous avez donc adopté un mauvais langage corporel ou une mauvaise attitude.

Nous savons que la conséquence de tout cela a été que vous avez été plaqué au sol par plusieurs agents. Vous avez été enchaîné et menotté.

M. Nowak a expliqué que M. Kim était formé aux procédures de désescalade. Il me semble que les procédures de désescalade qu’il a utilisées n’ont pas vraiment fonctionné puisque vous vous êtes retrouvé au sol, pieds et poings liés. Je suis donc persuadé que M. Kim envisagera de recourir à d’autres méthodes avec des gens qui sont confrontés à des informations très difficiles comme cela a été le cas pour vous.

Le fait que vous vous soyez retrouvé au sol, pieds et poings liés, est vraiment très inquiétant.

Avez­vous adopté une attitude paisible et un langage corporel approprié lorsque vous avez appris que vous ne seriez pas mis en liberté? Non, pas du tout. Toutefois, vous êtes comme ça M. Lunyamila. Je ne suis pas là pour provoquer un changement d’attitude chez vous. Je ne me prononcerai pas sur la question de savoir si le personnel correctionnel souhaite vraisemblablement opérer un changement d’attitude chez vous. Ce n’est pas ce qui nous intéresse ici.

Cependant, j’accepte complètement les commentaires de M. Carvalho, ainsi que les vôtres, à cet égard. Vous étiez horrifié de constater que la décision d’un commissaire de cette Section n’était pas suivie.

Par conséquent, est­ce que cela vient confirmer, illustrer ou amplifier le danger que vous représentez? Absolument pas. Si tel était le but de la déclaration, elle n’y est pas parvenue.

Par conséquent, sur la question du danger, je suis convaincu que les conditions qui avaient été précédemment imposées sont appropriées.

[18]           Je trouve cette analyse étonnante. Il est clair que M. Lunyamila ne maîtrise pas ses problèmes de colère. Le fait qu’il a qualifié un agent de l’ASFC avec lequel il avait eu affaire par le passé de « membre de gang » est parfaitement compatible avec les attaques aléatoires qu’il a perpétrées antérieurement contre des inconnus dans la rue.

[19]           Il était tout à fait déraisonnable de soutenir que M. Lunyamila ne représentait pas un danger pour le public. Le commissaire a fait remarquer que l’agent de l’ASFC était formé aux procédures de désescalade, mais que cela n’avait pas vraiment fonctionné. Quelles procédures de désescalade un inconnu qui marche dans la rue Robson, dans le centre­ville de Vancouver, connaît­il exactement?

III.             La légalité de la mise en liberté de février

[20]           La chronologie suivante peut s’avérer utile pour expliquer mes préoccupations :

Le 5 janvier 2016

La remise en liberté de M. Lunyamila est ordonnée. Le même jour, le ministre a déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire sous le numéro de dossier IMM­63­16 et a obtenu une suspension provisoire de la part de la juge Simpson.

Le 8 janvier 2016

Le juge Shore a prolongé la suspension provisoire jusqu’au 19 janvier étant donné que la transcription de l’audience n’était pas encore disponible.

Le 20 janvier 2016

Le juge Shore a accordé une suspension interlocutoire. Bien qu’il ait noté qu’un autre examen aurait lieu après trente jours et que l’affaire pourrait éventuellement être entendue rapidement, il a sursis à la mise en liberté [traduction] « jusqu’à ce que la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire fasse l’objet d’une décision sur le fond ».

Le 2 février 2016

La remise en liberté de M. Lunyamila a une nouvelle fois été ordonnée par la CISR. Le ministre a pu déposer une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire ce jour­là sous la référence IMM­502­16 et a obtenu une suspension provisoire de la mise en liberté de la part du juge Mosley, et ce, jusqu’au 16 février.

Le 16 février 2016

Le juge Simon Noël a fixé un échéancier en ce qui concerne les décisions de janvier et février. D’après l’échéancier établi, les demandes d’autorisation devaient être instruites le 3 mars 2016 et, si elles étaient accueillies, elles devaient immédiatement être suivies d’une audience concernant le contrôle judiciaire. L’ordonnance qu’il a rendue dans les deux dossiers stipule ce qui suit [traduction] : « la suspension provisoire de la mise en liberté est prolongée jusqu’à ce qu’une décision finale... »

Le 1er mars 2016

La remise en liberté de M. Lunyamila a une nouvelle fois été ordonnée et le ministre a encore une fois déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire. Il a également demandé la suspension de la mise en liberté et cette demande aurait normalement été transmise à d’autres juges à Vancouver. Cependant, étant donné que j’étais déjà à Vancouver pour d’autres affaires, et que j’étais chargé d’entendre les demandes d’autorisation et de contrôle judiciaire le 3 mars, c’est moi qui ai examiné la question et ai accordé une suspension provisoire de la mise en liberté. Le dossier en question porte le numéro IMM­913­16.

Le 3 mars 2016

J’ai accordé l’autorisation de procéder à un contrôle judiciaire des décisions de janvier et février, puis j’ai accueilli les demandes pour les raisons qui suivent. J’ai tout simplement suspendu les procédures à l’égard de la décision prise en mars.

[21]           Je trouve déconcertant de voir qu’il a été ordonné la mise en liberté avec effet immédiat d’une personne qui avait été maintenue en détention pendant plus de deux ans parce qu’elle représentait un danger pour le public. Si le ministère de la Justice a été entraîné dans une course folle, il a heureusement été en mesure d’obtenir une suspension provisoire ex parte de cette mise en liberté. Bien que la liberté de la personne soit importante, la sécurité du public l’est également. Assurément, il serait préférable de retarder la mise en liberté, même si ce n’est que de 24 heures, pour permettre au ministre de monter un dossier plus complet.

[22]           Heureusement, le ministre a pu répéter le même processus en ce qui concerne la décision de février. Cependant, il est toujours possible qu’une erreur soit commise et que le détenu soit libéré avant que le ministre puisse obtenir un sursis. Dans ce cas­là, que doit faire le geôlier? D’un côté, la CISR a ordonné sa mise en liberté; de l’autre, la Cour a ordonné que sa mise en liberté soit suspendue. On peut bien entendu faire valoir le fait que la décision de janvier était devenue caduque. Toutefois, c’est à la Cour, et non à la CISR ou au geôlier, d’en décider. À la place du geôlier, si j’avais libéré quelqu’un comme M. Lunyamila, je serais préoccupé de devoir comparaître devant la Cour pour expliquer pourquoi je ne devrais pas être reconnu coupable d’outrage au tribunal.

[23]           Il n’y a pas beaucoup d’indications en la matière.

[24]           Alors que la Cour aurait pu accorder un sursis uniquement jusqu’au prochain contrôle des motifs de détention, le juge Shore et le juge Simon Noël ont ordonné des sursis en attendant l’issue de la demande d’autorisation, et si celle­ci était accueillie, de la demande de contrôle judiciaire.

[25]           Dans X c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CAF 27, la Cour d’appel fédérale avait conclu que la mise en liberté du détenu à la suite d’un contrôle subséquent des motifs de détention rendait caduque la décision initiale de suspension de la mise en liberté. Malgré tout, le détenu avait été mis en liberté à certaines conditions qui avaient été acceptées, ce qui est le cas ici. S’il ne restait plus de questions en litige, la question s’est alors posée de savoir si la Cour devait exercer son pouvoir discrétionnaire pour instruire l’appel. Dans les circonstances, la Cour ne l’a pas fait étant donné qu’il y avait d’autres affaires en cours qui soulevaient des questions similaires.

[26]           L’affaire Sungu c. Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2012 CAF 5, est similaire à l’affaire aux présentes. Après plusieurs contrôles des motifs de détention, la Section de l’immigration a ordonné que M. Sungu soit libéré. Le ministre a présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire et a obtenu un sursis. Comme l’a fait remarquer le juge Stratas dans un jugement rendu à l’audience, « Le juge de la Cour fédérale a accordé au ministre le sursis demandé. Il a en outre ordonné de contrôler les motifs du maintien en détention de l’appelant tous les 30 jours, ajoutant que seule la Cour fédérale pourrait rendre une ordonnance de mise en liberté ».

[27]           M. Sungu a soutenu que la Cour fédérale n’avait pas les pouvoirs nécessaires pour assumer la compétence de contrôle de la détention attribuée à la CISR, un point que le ministre n’a pas contesté. La Cour a rejeté l’appel au motif de son caractère théorique, étant donné qu’après que la Cour fédérale eut rendu sa décision, M. Sungu avait demandé son renvoi du Canada et avait effectivement été renvoyé du Canada. La Cour n’a pas précisé si elle était d’accord avec les parties en ce qui concerne les modalités de la suspension de l’ordonnance de détention antérieure.

[28]           Le jugement ne comprend aucune déclaration claire voulant que la Section de l’immigration de la CISR puisse écarter une ordonnance de la Cour. Il me semble qu’il serait nettement préférable d’ordonner la mise en liberté à l’occasion d’un contrôle subséquent des motifs de détention sous réserve de l’issue du contrôle judiciaire dans le cadre duquel la Cour avait déjà accordé une suspension de la mise en liberté. Il incomberait donc au détenu, et non au ministre, de saisir la Cour pour qu’elle annule le sursis antérieur conformément à l’article 50 de la Loi sur les Cours fédérales.

[29]           Espérons que le réexamen par la CISR des décisions prises en janvier et en février aura lieu en même temps que le contrôle des motifs de détention, soit au mois d’avril. Je suppose que l’ASFC aura fait pression sur les autorités rwandaises pour qu’une décision soit prise, quelle qu’elle soit. Le fait qu’un pays refuse de reprendre un de ces citoyens ne constitue­t­il pas une violation du droit international?

IV.             Question certifiée

[30]           M. Lunyamila aura jusqu’au 11 mars 2016 pour proposer une question grave de portée générale qui permettrait de présenter un appel devant la Cour d’appel fédérale. Si une telle question est proposée, le ministre aura jusqu’au 15 mars 2016 pour répondre.

« Sean Cavanagh »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIERS :

IMM-63-16, IMM-502-16

 

INTITULÉ :

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE c. JACOB DAMLANY LUNYAMILA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie­Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 3 mars 2016

 

MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE HARRINGTON

 

DATE DES MOTIFS :

Le 7 mars 2016

 

COMPARUTIONS :

Thomas Bean

 

Pour le demandeur

 

Robin D. Bajer

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

William F. Pentney

Sous­procureur général du Canada

Vancouver (Colombie­Britannique)

 

Pour le demandeur

 

ROBIN D. BAJER LAW OFFICE

Avocats­procureurs

Vancouver (Colombie­Britannique)

 

Pour le défendeur

 

 

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