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Date : 20160311


Dossier : T-653-10

Référence : 2016 CF 312

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 11 mars 2016

En présence de madame la juge Heneghan

ENTRE :

CALWELL FISHING LTD., MELVIN GLEN CALWELL, DALE VIDULICH, GERALD WARREN, AQUAMARINE TRANSPORTATION LTD. ET GEORGE MANSON

demandeurs

et

SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   INTRODUCTION

[1]               Dans une déclaration émise le 27 avril 2010, Calwell Fishing Ltd., M. Melvin Glen Calwell, M. Dale Vidulich, M. Gerald Warren, Aquamarine Transportation Ltd. et M. George Manson (collectivement, les « demandeurs ») ont introduit une action contre Sa Majesté la Reine du chef du Canada (la « défenderesse ») dans le but d’obtenir la réparation suivante :

a) Une déclaration que :

i) chacun des demandeurs est admissible à une indemnisation pour la perte de ses activités commerciales à titre d’emballeur de poissons, dont il a été et est privé par la défenderesse en vertu de la Loi sur les pêches L.R.C. ch. F-14 (la « Loi sur les pêches »), de la Loi sur le ministère des Pêches et des Océans, 1978-79 ch. 13 (la « Loi sur le ministère des Pêches et des Océans ») et de l’exercice des pouvoirs et de l’autorité ainsi accordés,

à titre subsidiaire :

ii) la Loi sur les pêches et la Loi sur le ministère des Pêches et des Océans n’autorisent pas l’appropriation sans indemnisation,

iii) l’indemnisation est justifiée pour l’appropriation en vertu des dispositions de la Loi sur les pêches et de la Loi sur le ministère des Pêches et des Océans et de l’exercice des pouvoirs et de l’autorité ainsi accordés,

iv) aux fins de la présente déclaration, le terme « propriété » englobe les entreprises consacrées à la capture, au transport, à l’achat et au conditionnement du poisson,

v) aux fins de la présente déclaration, le terme « appropriation » désigne la privation desdites activités commerciales et/ou l’interdiction ou l’empêchement de l’exercice ou de la poursuite de ces activités commerciales, directement ou indirectement, lorsque le but ou l’effet de l’octroi ou de l’exercice de l’autorité est de conférer un ou des avantages à la défenderesse et/ou à des personnes ou des groupes particuliers,

à titre subsidiaire :

vi) aux fins de la présente déclaration, le terme « appropriation » désigne la privation desdites activités commerciales et/ou l’interdiction ou l’empêchement de l’exercice ou de la poursuite de ces activités commerciales, directement ou indirectement, lorsque le but ou l’effet de l’octroi ou de l’exercice de l’autorité est autre que la conservation des poissons ou la réglementation appropriée des pêches à titre de ressource publique dans l’intérêt de tous les Canadiens,

vii) la propriété de chaque demandeur a été ainsi saisie par la défenderesse,

à titre subsidiaire :

viii) l’indemnisation est justifiée pour la perte ou la privation des propriétés en vertu de l’exercice des pouvoirs et de l’autorité conférés par la Loi sur les pêches et la Loi sur le ministère des Pêches et des Océans lorsque l’octroi ou l’exercice de ces pouvoirs et de cette autorité a pour but ou pour effet (caractère véritable) de conférer, de distribuer ou de redistribuer des avantages économiques ou sociaux à la défenderesse et/ou à des personnes ou des groupes particuliers,

à titre subsidiaire :

viii) l’indemnisation est justifiée pour la perte ou la privation des propriétés en vertu de l’exercice des pouvoirs et de l’autorité conférés par la Loi sur les pêches et la Loi sur le ministère des Pêches et des Océans sauf lorsque l’octroi ou l’exercice de ces pouvoirs et de cette autorité a pour but ou pour effet (caractère véritable) d’assurer la gestion appropriée des pêches comme ressource publique dans l’intérêt de tous les Canadiens,

x) aux fins de la présente déclaration, le terme « propriété » englobe les entreprises consacrées à la capture, au transport, à l’achat et au conditionnement du poisson,

xi) chaque demandeur a perdu sa propriété ou en a été privé en vertu de l’octroi ou de l’exercice des pouvoirs et de l’autorité conférés par la Loi sur les pêches et la Loi sur le ministère des Pêches et des Océans,

xii) l’octroi ou l’exercice de ces pouvoirs avait et a pour but ou pour effet (caractère véritable) de conférer, de distribuer ou de redistribuer des avantages économiques ou sociaux à la défenderesse et/ou à des personnes ou des groupes particuliers;

b) les dépens;

c) toutes les ordonnances et directives nécessaires et accessoires;

d) toute autre réparation que la Cour estime juste.

[2]               Par des avis de désistement déposés le 11 octobre 2012, M. Dale Vidulich et M. Gerald Warren se sont retirés de cette poursuite.

II.                LES PARTIES

[3]               Calwell Fishing Ltd. (« Calwell ») est une personne morale incorporée en vertu des lois de la Colombie-Britannique. M. Melvin Glen Calwell est le seul actionnaire de la société.

[4]               Aquamarine Transportation Ltd. (« Aquamarine ») est une personne morale incorporée en vertu des lois de la Colombie-Britannique. M. George Manson est le seul actionnaire de la société.

[5]               Dans ces procédures, la défenderesse représente le ministre des Pêches et des Océans (le « ministre »). Le ministre est responsable de la réglementation des pêches marines conformément à l’article 4 de la Loi sur le ministère des Pêches et des Océans, L.R.C., 1985, ch. F-15.

[6]               Le ministre jouit d’un pouvoir discrétionnaire absolu relativement à l’émission des permis de pêche conformément au paragraphe 7(1) de la Loi sur les pêches, L.R.C. 1985, ch. F-14 (la « Loi sur les pêches »), qui stipule ce qui suit :

7 (1) En l’absence d’exclusivité du droit de pêche conférée par la loi, le ministre peut, à discrétion, octroyer des baux et permis de pêche ainsi que des licences d’exploitation de pêcheries — ou en permettre l’octroi —, indépendamment du lieu de l’exploitation ou de l’activité de pêche.

 

7 (1) Subject to subsection (2), the Minister may, in his absolute discretion, wherever the exclusive right of fishing does not already exist by law, issue or authorize to be issued leases and licences for fisheries or fishing, wherever situated or carried on.

[7]               Le paragraphe 91(12) de la Loi constitutionnelle de 1867 (R.-U.), 30 et 31 Vict., ch. 3, reproduite dans la L.R.C. 1985, app. II, no 5, est pertinent dans le cadre des présentes procédures et édicte ce qui suit :

91. Il sera loisible à la Reine, sur l’avis et avec le consentement du Sénat et de la Chambre des communes, de faire des lois pour la paix, l’ordre et le bon gouvernement du Canada, relativement à toutes les matières ne tombant pas dans les catégories de sujets exclusivement assignés aux législatures des provinces par la présente loi mais, pour plus de certitude, sans toutefois restreindre la généralité des termes employés plus haut dans le présent article, il est par les présentes déclaré que (nonobstant toute disposition de la présente loi) l’autorité législative exclusive du Parlement du Canada s’étend à toutes les matières tombant dans les catégories de sujets énumérés ci­dessous, à savoir :

91. It shall be lawful for the Queen, by and with the Advice and Consent of the Senate and House of Commons, to make Laws for the Peace, Order, and good Government of Canada, in relation to all Matters not coming within the Classes of Subjects by this Act assigned exclusively to the Legislatures of the Provinces; and for greater Certainty, but not so as to restrict the Generality of the foregoing Terms of this Section, it is hereby declared that (notwithstanding anything in this Act) the exclusive Legislative Authority of the Parliament of Canada extends to all Matters coming within the Classes of Subjects next hereinafter enumerated; that is to say,

12. les pêcheries de côtes de la mer et de l’intérieure

 

12. Sea Coast and Inland Fisheries

 

III.             LA PREUVE

[8]               Selon l’accord des parties, les éléments de preuve déposés dans la présente poursuite étaient de nature exclusivement documentaire; aucune preuve n’a été déposée de vive voix. Ces documents comportaient des affidavits, des transcriptions d’interrogatoires préalables, des transcriptions de contre-interrogatoires tenus sur les affidavits déposés, des admissions et plusieurs volumes d’éléments de preuve documentaires. Tous les éléments de preuve admissibles ont été pris en compte, même s’ils ne sont pas mentionnés explicitement ci-dessous.

[9]               Certains éléments de preuve documentaires ont été déposés sous forme de cahier de documents commun et de cahier de documents commun supplémentaire. Certains éléments de preuve documentaires ont été déposés en se fondant sur la véracité de leur contenu, soit les onglets 1 à 12 du cahier de documents commun. Les autres documents, soit les onglets 13 à 163, ont été admis en se fondant sur l’authenticité des documents, c’est-à-dire la preuve qu’il s’agit des originaux.

[10]           Les demandeurs ont déposé les affidavits suivants :

a)      affidavit de Mme Teresa Calwell, conjointe du demandeur M. Calwell et directeur de Calwell, assermentée le 30 octobre 2013,

b)      affidavit de M. Calwell, assermenté le 30 octobre 2013,

c)      affidavit de M. Manson, assermenté le 31 octobre 2013,

d)     affidavit de M. Ronald Hooge, comptable agréé auprès de Smythe Ratcliffe Valuations Inc., assermenté le 24 octobre 2013,

e)      affidavit de M. Manson, assermenté le 10 septembre 2014,

f)       affidavit de M. Manson, assermenté le 18 septembre 2014,

g)      affidavit de Mme Calwell, assermenté le 18 septembre 2014, et

h)      affidavit de M. Calwell, assermenté le 18 septembre 2014.

[11]           La demanderesse a déposé les affidavits suivants :

a)      affidavit de M. James Albert Ionson, ancien gestionnaire régional des ressources pour le saumon, ministère des Pêches et des Océans, assermenté le 28 octobre 2013, et

b)      affidavit de M. Gregory Thomas, ancien coordonnateur régional des poissons pélagiques, ministère des Pêches et des Océans, assermenté le 28 octobre 2013.

[12]           Des examens des interrogatoires préalables écrits de M. Calwell et de M. Manson ont été effectués. Des réponses non datées à ces examens ont été déposées comme éléments de preuve du contre-interrogatoire de M. Manson à l’égard de cet affidavit. Des interrogatoires préalables oraux ont été effectués auprès de M. Calwell et de M. Manson par la défenderesse les 21 et 22 juin 2012 et le 17 octobre 2012 ainsi que les 21 et 22 août 2012 et le 17 octobre 2012, respectivement. Les éléments de preuve déposés par M. Calwell et M. Manson lient Calwell et Aquamarine, respectivement.

[13]           Un interrogatoire préalable oral auprès de M. Ionson, à titre de représentant de la défenderesse, a été effectué les 18 et 22 octobre 2013. Il a également soumis des réponses écrites, datées de septembre 2012, à un interrogatoire préalable par écrit. Des parties de ces interrogatoires ont été lues dans le cadre des procédures conformément à l’article 288 des Règles des Cours fédérales, DORS/98-106 (les « Règles »), dans le cadre des éléments de preuve déposés par la défenderesse et les demandeurs, respectivement.

[14]           M. Calwell et Mme Calwell ont été contre-interrogés sur leurs affidavits relativement à la revendication personnelle de M. Calwell et à la revendication de la société les 21 et 22 novembre 2013. M. Manson a été contre-interrogé sur son affidavit le 18 novembre 2016 relativement à sa revendication personnelle et à la demande d’Aquamarine.

[15]           M. Ionson et M. Thomas ont été contre-interrogés sur leurs affidavits le 26 novembre 2013 et le 13 novembre 2013, respectivement.

[16]           Les demandeurs ont déposé deux rapports d’expert, préparés par M. Hooge et portant sur les estimations des pertes financières encourues par Calwell et Aquamarine. La défenderesse a déposé un rapport d’expert préparé par M. Stuart Nelson, portant sur les effets des changements apportés aux régimes de réglementation affectés par le gouvernement et à l’industrie de la pêche du Pacifique attribuables aux participants à cette industrie. M. Hooge a été contre-interrogé sur son affidavit le 8 novembre 2013. M. Nelson a été contre-interrogé le 29 novembre 2013.

IV.             INFORMATION GÉNÉRALE ET CONTEXTE

A.                Industrie de l’emballage du poisson

[17]           Le rôle d’un navire d’emballage de poisson est de recueillir le poisson pêché par les navires de pêches sur le lieu de pêche et de l’acheminer aux usines de conditionnement. Il arrive parfois que les emballeurs achètent du poisson des pêcheurs au nom d’une entreprise de conditionnement.

[18]           L’industrie de l’emballage du poisson est composée des navires d’emballage, qui peuvent être des deux types suivants : les navires d’emballage appartenant à de grandes sociétés de conditionnement et les navires d’emballage contractuels chargés d’acheter du poisson par des entreprises de conditionnement de plus petite taille qui payent comptant.

[19]           Pour pouvoir recueillir et transporter le poisson, le navire doit détenir un permis de pêche commerciale ou un permis de catégorie D. Le permis de catégorie D permet au détenteur d’emballer et de transporter des poissons de toutes les espèces. Ces navires ne sont pas autorisés à pêcher. Les permis de catégorie D, qui ont été mis en place en 1972, sont émis annuellement à la discrétion du ministre et conformément à la Loi sur les pêches. Contrairement aux permis de pêche commerciale, le nombre de permis de catégorie D n’est pas restreint.

B.                 Contexte historique et événements déclencheurs

(1)               Historique des débuts et cadre législatif

[20]           La Cour suprême du Canada, dans l’arrêt Comeau’s Sea Foods Ltd. c. Canada (Ministre des Pêches et des Océans), [1997] 1 R.C.S. 12, au paragraphe 37, reconnaît que les pêches canadiennes sont une ressource collective, découlant du common law et appartenant à tous les citoyens canadiens. La source du droit en common law à la pêche en eaux de marée remonte à la Magna Carta, 1225, 9 Hen. III, ch. 3 (U.K.); reportez-vous à la décision dans l’affaire R. c. Gladstone, [1996] 2 R.C.S. 723 au paragraphe 67.

[21]           La première Loi sur les pêches, L.C. 1868, ch. 60 au Canada a été promulguée en 1868. La loi conférait au gouverneur en conseil l’autorité d’adopter les règlements nécessaires pour assurer une meilleure gestion des pêches.

[22]           On peut déduire de l’importance des ressources de pêches à la lumière du fait que cette législation a été promulguée peu de temps après la création du pays.

[23]           La gouvernance et la gestion de cette ressource dans un pays aussi vaste constituaient un défi de taille. Au fil des ans, un grand nombre de rapports et d’études ont été demandés, dont plusieurs sont mentionnés dans ce dossier et ont été déposés comme preuve. Les rapports suivants ont été pris en compte dans la présente poursuite :

-      D.B. McEachern, Licencing in the Commercial Fisheries of British Columbia (Vancouver : Fisheries & Marine Service, 1976)

-      Ministère des Pêches et des Océans, Policy for Canada’s Commercial Fisheries (Vancouver : ministère des Pêches et des Océans, 1976)

-      Anthony Scott et Philip A. Nether, éd., The Public Regulation of Commercial Fisheries in Canada (Ottawa : ministre de l’Approvisionnement et des Services, 1981)

-      Commission sur la politique des pêches du Pacifique, Turning the Tide: A New Policy for Canada’s Pacific Fisheries (Vancouver : ministère des Pêches et des Océans, 1982)

-      R.W. Crowley, B. McEachern et R. Jasperse, A Review of Federal Assistance to the Fishing Industry Since 1945 (Ottawa : ministère des Pêches et des Océans, 1990)

-      L.S. Parsons, Management of Canada’s Marine Fisheries (Ottawa : ministère des Pêches et des Océans, 1993)

-      Douglas Swenerton, A History of Pacific Fisheries Policy (Vancouver : ministère des Pêches et des Océans, 1993)

-      Ministère des Pêches et des Océans, Outlook for Canada’s Pacific Fisheries in 1994, 1995 & 1996 (Vancouver : MPO, Région du Pacifique, 1994)

-      Michelle James, Final Report on the 1996 Voluntary Fleet Reduction Licence Retirement Program (Vancouver : ministère des Pêches et des Océans, 1996)

-      Donald McRae et  Peter H. Pearse, Les traités et la transition Objectif : Une pêche durable sur la côte du Pacifique du Canada (Vancouver : ministère des Pêches et des Océans, 2004)

-      Michelle James, rapport préparé en lien avec l’affaire Bande indienne Ahousaht et al. c. Procureur général du Canada et Sa Majesté la Reine du chef de la Colombie-Britannique, 28 juin 2007

-      Peter H Pearse, Management of the Pacific Fisheries: The Development of Fishing Rights and Fisheries Management on the Pacific Coast, 26 juin 2007

[24]           À ses débuts, la réglementation des pêches au Canada a été fortement influencée par le respect du droit de pêche public et a été fondée sur une approche de « garde-chasse ». Cette méthode de réglementation était fondée sur la « restriction des intrants », qui limitait les périodes de pêches, les zones et les types d’engins utilisés.

[25]           Des années 1920 à 1968, la politique sur les pêches était centrée sur l’aide du gouvernement au développement de l’industrie et sur l’application de règlements favorisant la conservation (reportez-vous au rapport de Swenerton, à la page 49). Malgré les efforts déployés par le ministère des Pêches et des Océans du Canada (le « MPO »), dès le milieu des années 1960, les ressources en poissons étaient soumises à une pression importante et offraient un rendement économique médiocre.

[26]           Une innovation importante pour contrôler les pêches a été l’imposition d’une restriction des permis de pêche, instaurée en 1969 pour la pêche du saumon. Quelques années plus tard, les permis étaient restreints pour toutes les principales pêches du Pacifique. Cette mesure a marqué la mise en place de limites sur le droit de pêcher et la fin de la tradition « d’accès ouvert ».

[27]           Avant 1960, la gestion des pêches était un processus interne du MPO. À partir des années 1980, les objectifs de la gestion des pêches ont évolué, avec l’apport d’organismes consultatifs à l’échelle régionale. D’autres changements sont survenus en 1992, alors que les consultations se sont élargies aux pêcheurs commerciaux, aux Premières nations, aux pêcheurs récréatifs et aux organismes environnementaux.

[28]           Les pêches de la côte du Pacifique englobent la pêche du flétan, la pêche au hareng rogué et la pêche du saumon. Voici une brève description des mesures réglementaires entreprises par le MPO qui sont pertinentes dans le cadre de la présente procédure.

(2)               Pêche au flétan

[29]           La restriction des permis de pêche a été instaurée comme mesure pour réduire ou limiter l’ajout de pêcheurs, de navires de pêche ou d’engins. La restriction des permis commerciaux a été instaurée en 1979 pour les permis de pêche au flétan.

[30]           Les quotas individuels de bateau (« QIB ») ont été mis en place en 1991 comme outil de gestion pour réduire le nombre de navires de pêche et pour s’attaquer au problème de la surpêche et des cas de perte des engins de pêche ayant des répercussions négatives sur les stocks de poissons. En vertu de ce régime, une limite de prise est assignée à chaque navire. Ce régime contraste avec la pêche de « style derby » consistant à prendre le plus de poissons dès l’ouverture de la saison de la pêche, aux emplacements déterminés par le MPO.

[31]           Dans le système de QIB, les pêcheurs devaient se rendre directement à un site de débarquement du MPO pour faire mesurer leur prise, ce qui signifie qu’ils n’avaient pas besoin des services d’emballeurs.

(3)               Pêche au hareng rogué

[32]           Dès 1974, des limites ont été imposées quant au nombre de permis commerciaux émis pour la pêche au hareng rogué.

[33]           En 1981, des permis par secteur ont été appliqués à la pêche au hareng rogué afin de réduire la taille potentielle de la flotte de navires dans un secteur donné. L’objectif de cette mesure était d’améliorer la gestion globale des pêches. Le concept de cumul des permis a été instauré l’année suivante. Le cumul de permis est une pratique consistant à utiliser un permis pour pêcher dans un secteur donné et à louer un autre permis pour pêcher dans un autre secteur. En 1985, le nombre de secteurs de gestion est passé de trois à cinq.

[34]           Le partage obligatoire des permis a été instauré pour la pêche au hareng en 1994, et cette mesure a été entièrement mise en œuvre pour les pêches à la senne et à filets maillants en 1999. En vertu de ce régime, les prises disponibles sont réparties également entre les permis actifs. Les navires détenteurs de permis doivent s’organiser en groupes. Chaque groupe est responsable de la prise d’un quota total dans son secteur, qui est déterminé en multipliant le quota par le nombre de permis détenus dans le groupe.

[35]           Le partage obligatoire des permis a réduit la nécessité de recourir aux navires d’emballage, particulièrement dans les pêches à la senne. Dans le cadre du régime de partage obligatoire, les navires de pêche d’un groupe particulier n’étaient pas tous utilisés pour capturer les prises autorisées Il arrivait souvent qu’un navire du groupe soit utilisé comme emballeur pour les autres navires du groupe. Cette méthode était privilégiée par les pêcheurs, car elle était moins coûteuse que l’embauche d’un emballeur.

(4)               Pêche au saumon

(a)                Plan Davis

[36]           La restriction des permis de pêche commerciale au saumon a été instaurée en 1969 par le ministre Jack Davis, dans le cadre de la nouvelle réglementation qui a ensuite pris le nom de plan Davis. Le plan Davis a été mis en œuvre au moyen de la réglementation suivante :

-      Règlement de pêche de la Colombie-Britannique, modifié, DORS/69-226,

-      Règlement sur les prêts aidant aux opérations de pêche, DORS/69-316,

-      Règlement de pêche de la Colombie-Britannique, modifié, DORS/70-200,

-      Fraser River Sockeye and Pink Salmon Fishery Regulations, 1970, DORS/70-217,

-      Règlement d’aide pour les bateaux de pêche, 1970, DORS/70-363,

-      Fraser River Salmon Fishery Regulations, 1971, DORS/71-280 et

-      Règlement de pêche de la Colombie-Britannique, modifié, DORS/71-590,

[37]           Ce programme limitait l’émission des permis de pêche au saumon commerciale par la création de deux catégories de navires. Les pêcheurs dont les prises de l’année précédente se chiffraient à plus de 10 000 livres recevaient un permis de catégorie « A », alors que les autre navires recevaient un permis de catégorie « B ». Les permis de catégorie « A » étaient renouvelables et transférables. Les navires de catégorie « B » pouvaient continuer à pêcher jusqu’à l’expiration de leur permis, mais celui-ci n’était pas renouvelé ou remplacé par la suite.

[38]           Dans le cadre du plan Davis, les permis et les navires ont été cédés par le biais d’un programme de retrait volontaire, également appelé « programme de rachat ». Ce programme a été financé grâce aux augmentations des droits de permis mises en œuvre au cours des premières étapes du plan Davis. Les détenteurs ont été indemnisés après avoir renoncé à leur permis.

[39]           Le programme imposait également des normes de qualité supérieure aux navires de pêche. Ce plan a mené au retrait de la flotte de quelque 362 détenteurs de permis entre 1970 et 1973.

(b)               Commission d’enquête parlementaire Pearse

[40]           En 1982, les pêches sur la côte du Pacifique étaient en pleine crise. L’industrie de la pêche traversait alors une crise financière qui a entraîné une série de fusions et de consolidations dans le secteur du conditionnement. Le 12 janvier 1981, le gouverneur général en conseil du Canada a nommé M. Peter H. Pearse au titre de commissaire de la commission d’enquête parlementaire sur la politique des pêches du Pacifique. La commission d’enquête parlementaire avait pour mandat d’enquêter et de formuler des recommandations sur l’état, la gestion et l’utilisation des pêches sur la côte du Pacifique.

[41]           Le rapport final, intitulé « Turning the Tide: A New Policy for Canada’s Pacific Fisheries », a été publié en septembre 1982.

[42]           Les recommandations de M. Pearse étaient structurées selon plusieurs objectifs, notamment la conservation des ressources et l’optimisation des avantages tirés des ressources.

[43]           M. Pearse a ciblé la surcapacité des flottes comme étant la principale source des difficultés économiques rencontrées par les pêches du Pacifique. Il a recommandé la rationalisation des flottes de pêche commerciale pour réduire la capacité et les coûts excessifs des activités de pêche.

(c)                Traité sur le saumon du Pacifique de 1985

[44]           Le Traité sur le saumon du Pacifique intervenu entre le Canada et les États-Unis a permis la création d’un régime de prise fondé sur des objectifs de conservation et sur l’obtention des avantages par le pays d’origine dans une proportion égale aux prises de saumon dans ses eaux. Le traité prévoit l’exemption de 400 000 saumons sockeye, en reconnaissance par les parties de l’importance des pêches des Premières nations dans le Fraser.

(d)               Stratégie relative aux pêches autochtones

[45]           La Stratégie relative aux pêches autochtones (SRAPA) a été annoncée en 1992 en réponse à l’arrêt rendu par la Cour suprême du Canada dans la cause R. c. Sparrow, [1990] 1 R.S.C. 1075. L’objectif de la SRAPA était de fournir un cadre de réglementation pour la gestion de la pêche conformément à l’arrêt Sparrow, précité.

[46]           Le retrait volontaire des permis de pêche commerciale s’est déroulé dans le cadre de la SRAPA. L’objectif de ce programme était de ne pas augmenter l’effort de pêche de la flotte commerciale et d’augmenter le nombre de permis attribués dans le cadre du programme pilote de ventes des Premières nations.

[47]           En 1992, le programme pilote de ventes a été instauré dans trois secteurs. Il a été conçu dans le but de déterminer les aspects positifs et négatifs découlant du droit accordé aux Premières nations de vendre une partie de leurs prises conformément aux dispositions établies dans le cadre d’accords de pêche globaux.

[48]           En 1993, le MPO a instauré un nouveau type de permis, soit les permis de pêche du saumon en surplus des besoins en géniteurs (ESSR). Cette catégorie de permis autorisait la pêche dans les secteurs terminaux qui n’étaient pas ouverts à la pêche commerciale régulière. Ces permis ont été émis pour répondre aux besoins alimentaires, sociaux et rituels des Premières nations locales.

[49]           Depuis 1994, le retrait volontaire s’effectue en vertu du Programme de transfert des allocations (PTA). Le PTA a été ajouté comme volet de la SRAPA afin de soutenir le développement économique fondé sur les pêches pour les groupes des Premières nations et les communautés côtières. Les permis retirés en vertu du PTA ont été transférés aux communautés des Premières nations ou conservés par le MPO pour être utilisés dans le cadre d’autres projets. Les permis de pêche commerciale communaux obtenus dans le cadre du PTA sont émis en vertu d’accords de pêche globaux.

[50]           En 2005, le programme pilote de ventes a été remplacé par des pêches d’intérêt économique, qui sont pratiquées par les membres des Premières nations en vertu d’un permis qui autorise la vente de poissons, accordé conformément à l’article 4 du Règlement sur les permis de pêche communautaires des Autochtones, DORS/93-332.

(e)                Plan Mifflin

[51]           La Stratégie de revitalisation du saumon du Pacifique (Plan Mifflin) a été mise en place par le ministre Fred Mifflin en 1996. Ce plan visait à revitaliser la pêche commerciale du saumon sur la côte ouest, en mettant l’accent sur la conservation des stocks de saumon afin d’assurer leur viabilité dans le futur.

[52]           L’une des principales mesures de ce plan était la réduction de la flotte de pêche au saumon commerciale. En vertu de ce programme, les permis de pêche au saumon ont été rachetés par le gouvernement. L’objectif de ce programme était de réduire la capacité de la flotte de navires à filets maillants et de s’attaquer aux problèmes de conservation et de viabilité de la flotte.

[53]           Le plan Mifflin a également instauré les pratiques de permis par secteur et de cumul des permis dans le secteur de la pêche au saumon commerciale.

(f)                Plan Anderson

[54]           Le Plan d’adaptation et de restructuration des pêches du Pacifique (plan Anderson) a été mis en place en 1998. L’objectif de ce programme est de poursuivre l’objectif de réduction de la flotte établi par le plan Mifflin afin de réduire la pression sur le saumon coho et sur les autres stocks de saumon du Pacifique. Ce programme était également axé sur la conservation des stocks de poissons.

(5)               Tendances dans l’industrie de la pêche

[55]           Des primes de livraison directes étaient versées aux navires de pêche par les entreprises de conditionnement qui emballent leurs propres prises et les acheminent à l’emplacement désigné. Les paiements étaient déterminés au poids. Dans les années 1990, la pratique des primes de livraison directe a été enchâssée.

[56]           La production de saumon d’élevage a connu une croissance exponentielle. En 1997, la production de saumon d’élevage dépassait la production de saumon sauvage à l’échelle mondiale. À partir de 1989, l’augmentation de l’offre de saumon d’élevage a contribué à la chute des prix du saumon sauvage.

[57]           La croissance des élevages de saumon en Alaska a également contribué au déclin des prix du saumon observé entre 1985 et 2005.

[58]           Le prix du hareng rogué a également décliné entre 1985 et 2005. Une brève montée des prix a été observée pour le hareng rogué en 1995 et 1996, alors que les prix payés par les acheteurs japonais pour le hareng de la Colombie-Britannique ont atteint des niveaux record, soit environ 1,60 $ la livre. Les prix ont chuté considérablement en 1997, à moins de 0,40 $ la livre, après que le marché japonais ait refusé d’acheter à des prix aussi élevés. Le marché ne s’est que très peu rétabli.

C.                 Preuve des demandeurs

(1)               M. Calwell

[59]           M. Calwell a commencé à pratiquer la pêche commerciale en 1956. Il pêchait le saumon sockeye dans le passage Smith et les saumons coho et kéta dans le passage Toba et à Okover, le long de la côte centrale de la Colombie-Britannique. En juin 1975, il a acheté le M.V. « Riverside Y » et a commencé ses activités d’emballage. À cette époque, il pratiquait l’emballage du saumon sockeye, du hareng rogué, du saumon quinnat et du saumon kéta.

[60]           Le M.V. « Riverside Y » était un navire en bois d’une longueur de 68 pieds, autrefois utilisé pour la contrebande d’alcool sur la côte est. Selon M. Caldwell, il n’avait jamais été utilisé pour la pêche et servait à l’emballage lorsqu’il a été acheté. Le M.V. « Riverside Y » a une capacité d’emballage de 65 000 livres.

[61]           Calwell a été constitué en société le 12 juillet 1979. L’entreprise a poursuivi ses activités d’emballage du poisson. En octobre 1982, Calwell est devenu propriétaire du M.V. « Riverside Y ».

[62]           À l’automne 1980, Mme Calwell a commencé à travailler pour Calwell comme matelot de pont. Elle a vécu avec M. Calwell avant leur mariage, en 2005. Elle a travaillé pour Calwell jusqu’à ce que la société cesse ses activités, en 2002.

[63]           En 1986, Calwell a vendu le « Riverside Y » pour la somme de 85 000 $.

[64]           En 1982, Calwell a acheté le M.V. « Derek Todd » pour la somme de 80 000 $. Le M.V. « Derek Todd » avait une capacité d’emballage de 200 000 livres. Le navire était utilisé pour emballer le saumon d’élevage et d’autres espèces. En 1989, Calwell a équipé le M.V. « Derek Todd » d’une pompe à poisson et d’un système de classification.

[65]           En août 1990, le M.V. « Derek Todd » a été perdu suite à une collision.

[66]           En septembre 1991, Mme Calwell a effectué un emprunt de 42 000 $ de la Banque Royale du Canada pour l’achat du M.V. « Riverside Y »; en février 1992, Calwell a acheté le navire de Mme Calwell pour la somme de 159 000 $.

[67]           En mai 1999, M. Calwell et Mme Calwell ont reçu une offre de financement par l’intermédiaire de la Société d’aide au développement des collectivités, un programme fédéral visant à contribuer au développement des entreprises d’écotourisme. Ils n’ont pu accepter l’offre puisque M. Calwell ne répondait pas aux conditions du prêt, plus précisément les exigences relatives à l’âge.

[68]           En août 2002, Calwell Fishing Ltd. a vendu le M.V. « Riverside Y » pour la somme de 20 000 $.

[69]           Les activités de Calwell consistaient principalement à emballer le poisson pour de petites entreprises de conditionnement payant en espèce sur la base de l’affrètement saisonnier ou du poids des prises emballées. Toutefois, de 1987 à 1989, puis de 1992 à 1994, Calwell a pratiqué l’achat et la revente de poisson aux entreprises de conditionnement en se servant de ses propres fonds ou de fonds empruntés de la Banque Royale.

[70]           Selon les éléments de preuve déposés par M. Calwell, le volume d’affaires a commencé à diminuer au début des années 1980. Il a témoigné, dans son affidavit et ailleurs, que les changements apportés à la réglementation des pêches du Pacifique, dès le début des années 1980, l’ont éventuellement amené à mettre fin à ses activités.

[71]           Les relevés de revenus pour la période de 1994 à 2001 montrent une baisse des revenus. M. Calwell a indiqué dans son affidavit que dès 1994, l’entreprise n’était plus rentable. Il semble évident, à la lumière des états financiers de Calwell déposés comme éléments de preuve et des extraits de l’interrogatoire au préalable, qu’avant 1994, l’entreprise a réalisé un profit pendant certaines années et perdu de l’argent pendant d’autres années.

[72]           Pendant toute la période pertinente, les navires de Calwell, le M.V. « Riverside Y» et le M.V. « Derek Todd », détenaient des permis de catégorie D.

(2)               M. Manson

[73]           M. George Manson a commencé à pratiquer la pêche commerciale en 1961. En 1972, il a vendu son navire de pêche commerciale et a commencé à travailler à temps plein pour B.C. Ferries.

[74]           En 1986, M. Manson a acheté le M.V. « Godfather ». Le M.V. « Godfather » était un navire en bois construit en 1945. M. Manson a converti le navire en navire d’emballage, qu’il utilisait dans le cadre de ses activités d’emballage du poisson. Le navire était opéré par M. Stewart Manson, le frère de M. Manson. Aquamarine a été incorporé en société le 3 juillet 1987.

[75]           Le M.V. « Godfather » mesurait 61 pieds de long et offrait une capacité d’emballage de 68 000 livres.

[76]           Pendant la période où il a été la propriété d’Aquamarine, le M.V. « Godfather » détenait un permis de catégorie D.

[77]           En mars 1993, Aquamarine a signé un contrat d’emballage de trois ans avec Icicle Seafoods, une société de conditionnement. En 1996, Aquamarine a signé un autre contrat avec Icicle Seafoods, en vertu duquel l’entreprise recevrait 75 000 $ pour l’emballage du saumon et 30 000 $ pour l’emballage du hareng.

[78]           Le 21 février 1997, Icicle Seafoods a annulé le contrat et versé 21 400 $ en guise d’indemnisation pour la perte du contrat.

[79]           Après la résiliation du deuxième contrat avec Icicle, M. Manson s’est tourné vers d’autres entreprises pour trouver du travail. En 1997, Aquamarine a été en mesure de conclure quelques contrats d’emballage de hareng et de saumon.

[80]           En 1998, Aquamarine a vendu le M.V. « Godfather » à Stewart Manson pour la somme de 19 105 $.

(3)               M. Hooge

[81]           M. Ronald Hooge, comptable agréé, a préparé les rapports d’expert au nom de Calwell et d’Aquamarine. Dans ces rapports, il a estimé le montant de revenus perdus par les personnes morales demanderesses. Il n’a pas procédé à une vérification des deux entreprises et a fondé ses opinions sur les propositions soumises par les demandeurs.

[82]           M. Hooge a reçu une lettre de mandat initiale, datée du 4 mars 2013, de l’avocat des demandeurs. En septembre 2013, il a reçu un projet de lettre de l’avocat des demandeurs. Ce projet de lettre, daté du 9 septembre 2013, était effectivement la lettre de mandat finale, dans laquelle on lui demandait de donner son avis sur le moment où les entreprises sont devenues économiquement non viables ainsi que sur la nature et le montant des pertes découlant des événements qui ont rendu les entreprises économiquement non viables.

[83]           Selon M. Hooge, Calwell est devenu économiquement non viable en 1994. Il a déterminé que la date à laquelle Aquamarine est devenue économiquement non viable est le 1er avril 1998. Dans son contre-interrogatoire, M. Hooge s’est dit d’avis qu’après les dates en question, aucune des deux entreprises ne possédait de fond commercial et que leur seule valeur était leurs navires. Dans le cas de Calwell, il s’agissait du M.V. « Riverside Y ». Aquamarine ayant vendu son navire, le M.V « Godfather », en 1998, il n’y avait donc aucun actif à évaluer.

D.                Preuve de la défenderesse

(1)               M. Ionson

[84]           La défenderesse a déposé l’affidavit de M. Ionson, qui est maintenant retraité du MPO. De 1974 à 2007, il a occupé divers postes au sein du MPO. Il a commencé à travailler comme agent des pêches sur l’île de Vancouver et au Yukon. Avant son départ à la retraite, en juin 2007, il occupait le poste de gestionnaire régional des ressources pour le saumon, à Vancouver (C.-B.).

[85]           Son affidavit porte sur des aspects généraux et précis de l’industrie de la pêche au saumon du Pacifique, la SRAPA ainsi que la gestion et la réglementation des pêches au saumon commerciales, particulièrement l’évolution de l’industrie de la pêche entre 1969 et 2005. Il s’est concentré sur l’objectif prédominant de la réglementation, c’est-à-dire la conservation de la ressource.

[86]           Son affidavit fait référence à 65 pièces. Ces pièces comprennent des communiqués de presse et des renseignements généraux préparés pour différentes annonces ministérielles et des extraits de différents plans de gestion de pêches qui ont été mis en place dans les années 1990 et au début des années 2000. Les éléments de preuve déposés par M. Ionson, y compris les pièces et les extraits du contre-interrogatoire, mettent en perspective l’industrie de la pêche du Pacifique au cours de la période visée par les allégations des demandeurs.

[87]           M. Ionson a abordé de façon générale la structure législative et réglementaire qui gouverne les pêches, en soulignant que la responsabilité incombe au ministre, conformément à la Loi sur les pêches. Différents règlements ont été promulgués en vertu de cette législation, dont le Règlement sur les permis de pêche communautaires des Autochtones, précité, le Règlement de pêche sportive de la Colombie-Britannique, DORS/96-137, le Règlement de pêche (dispositions générales), DORS/93-53 et le Règlement de pêche du Pacifique, DORS/93-54.

[88]           Aux paragraphes 90 à 115 (inclusivement) de son affidavit, M. Ionson décrit différentes initiatives entreprises entre 1969 et 2005 dans le cadre de la gestion et de la réglementation des pêches de la côte ouest. Ces initiatives comprennent le plan Davis, le Traité sur le saumon du Pacifique, le système de QIB, le plan Mifflin, le plan Anderson et le SRAPA, ainsi que les autres initiatives décrites ci-dessous.

[89]           En 1981, la pratique des permis par secteur a été instaurée pour la pêche à la traîne, c’est-à-dire pour la pêche dans le détroit de Georgia ou hors de cette étendue d’eau. Au cours de la même année, un programme de rachat des permis de pêche au saumon commerciale était également en cours.

[90]           M. Ionson a souligné que l’établissement du système de QIB, en 1991, se voulait une mesure de conservation.

(2)               M. Thomas

[91]           La défenderesse a également soumis l’affidavit de M. Greg Thomas qui, avant son départ à la retraite, en mai 2013, a été à l’emploi du MPO de 1997 à 2003, où il travaillait principalement dans les secteurs du saumon, des mollusques et crustacés et des poissons pélagiques. À différents moments, il a occupé le poste de coordonnateur des programmes et, plus récemment, de 2010 à mai 2013, le poste de chef de secteur, Gestion des ressources, Côte sud pour le saumon, le hareng et les mollusques et crustacés.

[92]           Dans son affidavit, M. Thomas fournit une vue d’ensemble de la pêche au hareng rogué, faisant mention d’un ensemble de mesures de gestion mises en œuvre par le MPO dans les années 1970, 1980 et 1990 pour contrôler les captures inefficaces. Ces mesures ont mené à l’introduction d’une stratégie de partage obligatoire des permis visant à s’assurer que les prises n’excèdent pas les cibles établies. La stratégie de partage obligatoire des permis contribue également à la sécurité des pêcheurs de hareng en limitant le nombre de navires de pêches dans un secteur donné à un moment particulier.

[93]           M. Thomas a souligné que les navires de pêche à la senne et à filets maillants étaient utilisés pour la pêche au hareng. La politique de partage obligatoire des permis de pêche au hareng signifie que la prise cible pour chaque regroupement était limitée à la quantité de hareng rogué égale à la capture moyenne par permis, multipliée par le nombre de permis dans le regroupement.

[94]           M. Thomas a également abordé l’introduction des Plans de gestion intégrée des pêches (les « PGIP ») par le MPO au milieu des années 1990 comme outil de gestion de la pêche au hareng.

[95]           Il a donné un historique de la pêche au hareng et au hareng rogué à partir de 1940 et a fait mention du rapport Pearse de 1982.

[96]           M. Thomas a passé en revue certaines mesures réglementaires entreprises par le MPO, en commençant par la limitation des permis à partir de 1974. La mesure d’octroi de permis par secteur a été établie en 1981; ce plan limitait le nombre de navires pêchant dans un secteur particulier.

[97]           En 1983, un total autorisé des captures (TAC) a été établi pour le hareng rogué. M. Thomas a décrit cette initiative comme une mesure de conservation. Des secteurs de gestion ont été établis en 1983 et sont passés de trois à cinq en 1985.

[98]           D’autres mesures de conservation du hareng rogué ont été entreprises en 1986 avec l’introduction de niveaux de seuil pour les prévisions de stocks des secteurs.

[99]           En 1997, le ministère a entrepris une réforme de la gestion de la pêche au hareng rogué, puisque les prises dépassaient régulièrement les quotas. Entre temps, en 1994, la gestion commune a été instaurée pour la pêche au hareng à titre d’essai et a été mise en œuvre intégralement en 1998.

[100]       La gestion commune visait à limiter le nombre de navires participant à la pêche pour ainsi accroître le contrôle des captures et assurer la conservation des espèces. M. Thomas a abordé certains des avantages du système de gestion commune, notamment la réduction de la congestion causée par les navires sur le lieu de pêche, ce qui assure une meilleure sécurité aux participants de l’industrie.

(3)               M. Nelson

[101]       M. Stuart Nelson a soumis un rapport d’expert au nom de la défenderesse. M. Nelson est un consultant en gestion indépendant qui exerce ses activités sous le nom de Nelson Bros. Fisheries Ltd. Il a notamment travaillé pendant 12 ans pour B.C. Packers, où il a occupé divers postes, notamment ceux de vice-président adjoint, Production et de directeur des opérations de pêches en C.-B. À son poste actuel, il ne participe pas activement à l’industrie de la pêche commerciale. Il a affirmé que la majorité des mandats de consultation qu’il a obtenus pendant la période de 15 ans entre 1998 et 2013 étaient liés à la pêche.

[102]       Dans l’introduction de son rapport d’expert, M. Nelson décrit, en neuf paragraphes, le mandat attribué par la défenderesse. En bref, on lui a demandé de fournir un aperçu de l’évolution de l’industrie de la pêche des années 1970 à aujourd’hui, notamment par une identification et une description des marchés importants ainsi que des changements apportés à l’environnement et aux politiques qui ont affecté l’industrie au cours de cette période, particulièrement en ce qui a trait aux entreprises des demandeurs.

[103]       On lui a également demandé de décrire les changements technologiques survenus dans l’industrie de la pêche, de façon générale et plus spécifiquement pour l’industrie de l’emballage du poisson entre 1985 et 2005. Une fois de plus, on lui a demandé de décrire les effets de ces changements sur les entreprises des demandeurs.

[104]       Son rapport comporte un certain nombre de graphiques portant sur les volumes au débarquement de diverses espèces, dont les prises de hareng rogué de la Colombie-Britannique, de flétan de la Colombie-Britannique et de saumon de la Colombie-Britannique par espèce, ainsi que des graphiques fournissant des données sur le prix à la livre versé aux pêcheurs de la Colombie-Britannique pour les différentes espèces, dont le saumon et le hareng rogué, entre 1985 et 2005. Il fournit également de l’information sur les débarquements et les valeurs au débarquement du saumon de l’Alaska.

[105]       On a demandé à M. Nelson de décrire les répercussions du développement de l’élevage de salmonidés sur l’industrie de l’emballage du poisson, plus particulièrement en regard des entreprises des demandeurs.

[106]       Finalement, on lui a demandé de décrire les répercussions sur l’industrie de l’emballage du poisson d’initiatives précises entreprises par la défenderesse, soit le partage obligatoire des permis pour la pêche au hareng rogué, la réduction du nombre de navires détenant des permis de pêche au saumon commerciale, la restriction des secteurs de pêche au saumon et au hareng, la réduction des captures commerciales de saumon et l’accès spécial à la pêche accordé à certains particuliers et groupes autochtones ainsi qu’aux pêcheurs récréatifs.

[107]       M. Nelson a répondu en détail aux neuf questions qui lui ont été présentées. Dans le résumé de son opinion, il affirme avoir abordé deux catégories : premièrement, il donne son opinion sur les répercussions de l’évolution de l’industrie de la pêche en Colombie-Britannique sur les entreprises des demandeurs entre 1985 et 2005, et deuxièmement, il commente les répercussions précises des initiatives mises en œuvre par la défenderesse sur les entreprises des demandeurs.

[108]       En réponse à la neuvième question posée par la défenderesse, M. Nelson a amorcé sa réponse à volets multiples en affirmant que c’est sur l’analyse des huit questions précédentes qu’il a formé son opinion sur la dernière question.

V.                THÉORIES DU CAS

A.                Théorie des demandeurs

[109]       En résumé, les demandeurs sollicitent un jugement déclaratoire à l’égard des pouvoirs réglementaires exercés par la défenderesse, par l’intermédiaire du ministre, de façon à les priver de leurs activités commerciales. Les demandeurs allèguent qu’il n’y a eu aucune faute de la part de la défenderesse dans l’exercice de ses pouvoirs réglementaires par l’intermédiaire du ministre, mais soutiennent que la façon d’exercer ces pouvoirs a mené à la perte de leur propriété, ce qui donne lieu à une présomption d’indemnisation.

B.                 Position de la défenderesse

[110]       La défenderesse caractérise la demande des demandeurs comme une demande prescrite en raison d’une appropriation réglementaire, ce qui ne justifie pas de demande d’indemnisation.

VI.             DÉCISIONS PRÉLIMINAIRES

A.                Contestation des affidavits

[111]       Comme nous l’avons indiqué précédemment, aucune preuve n’a été présentée de vive voix dans le cadre de la présente procédure. Tous les éléments de preuve ont été soumis par affidavit. Dans une requête orale présentée le 21 mars 2014, la défenderesse a sollicité une ordonnance visant à radier certains paragraphes ou certaines sections de paragraphes des affidavits déposés par M. Calwell, Mme Calwell et M. Manson en raison du fait que les paragraphes en question contiennent des éléments de preuve par ouï-dire et sont donc inappropriés puisqu’ils sont de nature argumentative et hypothétique et contiennent des témoignages inadmissibles.

[112]       Dans une ordonnance datée du 9 septembre 2014, la requête a été rejetée, les questions de crédibilité, d’admissibilité, de pertinence et de poids devant être déterminées à la conclusion de la procédure.

B.                 Motion d’absence de preuve

[113]       La deuxième question de procédure préliminaire à aborder est la motion d’absence de preuve déposée par la défenderesse le 1er octobre 2014, qui a été défendue les 8 et 9 octobre 2014. Cette motion est fondée sur une disposition des Règles de la Cour suprême de la Colombie-Britannique en matière civile, B.C. Regs. 168-2009 (les « Règles de la Cour suprême de la Colombie-Britannique en matière civile »), qui permet à une partie de déposer une requête d’absence de preuve sans préjudice au droit de produire des éléments de preuve si la requête est rejetée.

[114]       La défenderesse s’est appuyée sur les Règles de la Cour suprême de la Colombie-Britannique en matière civile, conformément à l’article 4 des Règles, appelée « règle de lacunes », qui permet de recourir aux règles de pratiques et aux procédures provinciales lorsqu’une question n’est pas spécifiquement abordée dans les Règles.

[115]       Pour faire valoir cette requête, la défenderesse a une fois de plus exprimé son désaccord avec les éléments de preuve par affidavit soumis par les demandeurs, plus particulièrement l’absence de preuve alléguée pour soutenir les pertes encourues par les demandeurs, pour lesquelles l’indemnisation peut être accordée. La défenderesse a également fait valoir que la requête des demandeurs a dépassé le délai de prescription applicable, qui est décrit dans la Loi sur la prescription, R.S.B.C. 1996, ch. 266 (la « Loi sur la prescription de la Colombie-Britannique »).

[116]       Pour fonder ses arguments sur la Loi sur la prescription de la Colombie-Britannique, la défenderesse s’est appuyée sur l’article 39 de la Loi sur les cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7 (la « Loi sur les Cours fédérales ») qui permet de recourir à des délais de prescription provinciaux dans toute cause d’action survenant dans une province, lorsque le délai de prescription n’est pas indiqué autrement.

[117]       Cette requête a été rejetée par une ordonnance datée du 31 octobre 2014, au motif que le délai de prescription, qui n’était pas une question essentielle à la requête, a soulevé une question de loi plutôt qu’une question de fait. La question d’économie des ressources judiciaires a également été reconnue, puisque les deux parties ont, dans les faits, amorcé la présentation des éléments de preuve dans leurs allocutions d’ouverture respectives.

VII.          DISCUSSION ET PROCÉDURE

A.                Nature de la requête des demandeurs

[118]       La première question de fond à aborder est la nature de la requête des demandeurs. Les demandeurs affirment qu’ils cherchent à obtenir un jugement déclaratoire et ne soumettent aucune cause d’action. Par conséquent, ils avancent qu’ils ne sont pas liés par un délai de prescription, qu’il soit fédéral ou provincial.

[119]       Un jugement déclaratoire est une mesure discrétionnaire en vertu de laquelle un tribunal peut émettre une déclaration judiciaire confirmant ou refusant un droit légal ou un état du droit existant. La Cour n’a pas compétence pour émettre des déclarations de faits; reportez-vous à la décision dans l’affaire Administration de pilotage des Laurentides c. Pilotes du Saint-Laurent Central Inc. (1993), 74 F.T.R. 185, au paragraphe 22.

[120]       Le paragraphe 17(1) de la Loi sur les Cours fédérales établit la compétence à l’égard des revendications contre la Couronne du chef du Canada et stipule ce qui suit :

17 (1) Sauf disposition contraire de la présente loi ou de toute autre loi fédérale, la Cour fédérale a compétence concurrente, en première instance, dans les cas de demande de réparation contre la Couronne.

 

17 (1) Except as otherwise provided in this Act or any other Act of Parliament, the Federal Court has concurrent original jurisdiction in all cases in which relief is claimed against the Crown.

[121]       Le paragraphe 2(1) de la Loi sur Cours fédérales définit le terme « réparation » comme suit :

réparation Toute forme de réparation en justice, notamment par voie de dommages-intérêts, de compensation pécuniaire, d’injonction, de déclaration, de restitution de droit incorporel, de bien meuble ou immeuble. (relief)

 

relief includes every species of relief, whether by way of damages, payment of money, injunction, declaration, restitution of an incorporeal right, return of land or chattels or otherwise; (réparation)

[122]       L’article 64 des Règles décrit les circonstances dans lesquelles un jugement déclaratoire est possible et stipule ce qui suit :

64 Il ne peut être fait opposition à une instance au motif qu’elle ne vise que l’obtention d’un jugement déclaratoire, et la Cour peut faire des déclarations de droit qui lient les parties à l’instance, qu’une réparation soit ou puisse être demandée ou non en conséquence.

 

64 No proceeding is subject to challenge on the ground that only a declaratory order is sought, and the Court may make a binding declaration of right in a proceeding whether or not any consequential relief is or can be claimed.

[123]       Dans l’affaire Manitoba Metis Federation Inc. c. Canada (Procureur général du Canada), [2013] 1 R.C.S. 623, au paragraphe 143, la Cour suprême du Canada a décrit le jugement déclaratoire comme suit :

De plus, la réparation pouvant être accordée suivant cette analyse est limitée. Un jugement déclaratoire est une réparation d’une portée restreinte. Il peut être obtenu sans cause d’action, et les tribunaux rendent des jugements déclaratoires, peu importe si une mesure de redressement consécutive peut être accordée. […] [Non souligné dans l’original.]

[124]       Dans l’affaire LeBar c. Canada, [1989] 1 C.F. 603, au paragraphe 610, la Cour d’appel affirme ce qui suit : [traduction]

[…] Une déclaration énonce en quoi consiste la loi sans prononcer de sanction contre le défendeur, mais la question déterminée par une déclaration devient clairement la chose jugée (res judicata) entre les parties et le jugement devient un précédent contraignant. […]

[125]       La défenderesse soutient que les demandeurs demandent un jugement déclaratoire comme moyen de contourner la Loi sur la prescription de la Colombie-Britannique. En avançant cet argument, la défenderesse caractérise l’action intentée par les demandeurs comme une action liée à une appropriation réglementaire, tel qu’il est décrit dans l’affaire Manitoba Fisheries Ltd. c. La Reine, [1979] 1 R.C.S. 101. La disposition de la motion d’absence de preuve de la défenderesse, mentionnée ci-haut, n’a pas déterminé le bien-fondé de l’argument des demandeurs quant à la prescription de la revendication.

[126]       Dans l’affaire Manitoba Métis Federation, précitée, les juges majoritaires de la Cour ont abordé la question du délai de prescription. Les juges majoritaires ont constaté que bien que le délai de prescription pour intenter une action en raison d’une violation de l’obligation fiduciaire était expiré, la loi pertinente sur le délai de prescription ne s’applique pas aux déclarations demandées par le demandeur, soit une déclaration que la Couronne a négligé d’appliquer des dispositions précises de la Loi de 1870 sur le Manitoba, L.C. 1870, conformément à l’honneur de la Couronne; reportez-vous aux paragraphes 138 et 139. Les juges majoritaires ont constaté que la loi sur le délai de prescription ne peut empêcher les tribunaux de se prononcer sur la constitutionnalité de la loi et des actions du gouvernement; reportez-vous au paragraphe 135.

[127]       Une conclusion similaire a été tirée dans l’affaire Ward et al c. Première nation crie Samsom no 444 et al. (1999), 247 N.R. 254 (C.A.F.). Dans cette procédure, les demandeurs soutenaient que la déclaration demandée par les demandeurs, soit une déclaration qu’ils étaient membres de la Première nation crie Samson, était effectivement une demande de déclaration écartant la décision de la Première nation crie, qui refusait de reconnaître le statut de membre. Dans ce cas, les défendeurs ont fait valoir que les demandeurs sollicitaient un contrôle judiciaire sous le couvert d’une action visant un jugement déclaratoire.

[128]       Dans ce cas, le juge en chef Isaac a déterminé que les actions visant un jugement déclaratoire ne sont pas liées à un contrôle judiciaire et que les arguments des défendeurs imposent une restriction non fondée sur la compétence du tribunal, s’exprimant ainsi au paragraphe 35 :

Cette hypothèse est évidemment fausse. Ce que les demandeurs cherchent à obtenir dans leur déclaration modifiée, y compris à l’alinéa 18(c) de la déclaration modifiée, est un jugement déclaratoire. Les actions visant un jugement déclaratoire ont été reconnues par la loi bien avant que la notion de contrôle judiciaire des mesures administratives ne soit conçue. En faisant valoir, comme le font les demandeurs, qu’une demande de déclaration de la part d’une partie équivaut à une demande de contrôle judiciaire, cette présomption restreint la compétence de la Cour d’une manière non fondée et erronée en droit.

[129]       Dans le cas présent, la défenderesse a systématiquement tenté de caractériser cette action comme une action liée à une appropriation réglementaire. La défenderesse soutient qu’en vertu des dispositions législatives applicables de la Colombie-Britannique, cette demande est prescrite.

[130]       La défenderesse fait référence au contre-interrogatoire de Mme Calwell, par exemple, où elle affirme que Mme Lowes a été contactée en 1998 en vue d’engager une action pour obtenir une indemnisation pour la perte de l’entreprise Calwell. Elle fait également référence à l’affidavit de M. Manson et à son contre-interrogatoire, dont les éléments de preuve s’appliquent également à la demande d’Aquamarine, où il affirme que les demandeurs ont demandé à M. Lowes « d’aller de l’avant » avec la poursuite en 2001 ou 2002.

[131]       La défenderesse a également mentionné les lettres envoyées à la fin des années 1990 et au début des années 2000 au ministre de l’Agriculture de la Colombie-Britannique, M. van Dongen, et aux ministres titulaires à Ottawa, dont M. Brian Tobin et M. Robert Thibault. Ces lettres, datées du 28 août 2001, du 7 décembre 1993 et du 19 mars 2002, ont été mentionnées dans les contre-interrogatoires de Mme Calwell et M. Calwell. La défenderesse, par l’intermédiaire de son avocat, a suggéré sans ménagement que dès 2002, les demandeurs savaient que le gouvernement fédéral n’était pas intéressé à offrir une indemnisation.

[132]       Les éléments de preuve démontrent clairement que dès 1994, l’entreprise Calwell n’était plus rentable. Le M.V. « Riverside Y » a été vendu en 2002.

[133]       Il apparaît également clair qu’Aquamarine n’a pas réalisé de profit en 1997 et 1998; l’entreprise a toutefois généré un revenu par la suite puisqu’elle s’est adonnée à des activités de lavage sous pression. Elle a vendu le M.V. « Godfather » en 1998.

[134]       La défenderesse se fonde sur les efforts combinés de trois dispositions de la Loi sur la prescription de la Colombie-Britannique pour faire valoir son argument que la revendication des demandeurs est prescrite. La défenderesse fait référence au paragraphe 3(5) de la Loi sur la prescription de la Colombie-Britannique, qui établit une limite de six ans avant le début d’une action liée à une appropriation réglementaire et stipule ce qui suit :

(5) Toute autre action qui n’est pas expressément prévue dans la présente loi ou une autre loi, se prescrit par six ans à compter de la date où prend naissance le droit d’agir en justice.

 

(5) Any other action not specifically provided for in this Act or any other Act may not be brought after the expiration of 6 years after the date on which the right to do so arose.

[135]       La défenderesse fait également référence à l’alinéa 3(2)a) de cette loi, qui établit une limite de deux ans avant le début d’une action visant une indemnisation pour des dommages à des biens, y compris des pertes économiques fondées sur un contrat ou une obligation légale, et stipule ce qui suit :

(2) Les actions qui suivent ne peuvent être intentées lorsque deux ans se sont écoulés depuis la naissance du droit d’action :

(2) After the expiration of 2 years after the date on which the right to do so arose a person may not bring any of the following actions:

 

a) sous réserve du paragraphe 4k), l’action en dommages-intérêts visant à réparer le préjudice causé à la personne ou aux biens, y compris la perte économique découlant du préjudice, qu’elle soit fondée sur un contrat, un délit ou une obligation légale;

(a) subject to subsection (4) (k), for damages in respect of injury to person or property, including economic loss arising from the injury, whether based on contract, tort or statutory duty;

[136]       Finalement, la défenderesse se fonde sur la section 1 de la Loi sur la prescription de la Colombie-Britannique, qui stipule ce qui suit :

« action » S’entend notamment de toute procédure judiciaire et de l’exercice de toute voie de droit extrajudiciaire;

 

"action" includes any proceeding in a court and any exercise of a self help remedy;

[137]       En envisageant les faits de la perspective la plus vaste pour déterminer l’expiration d’un délai de prescription, je juge que le délai de prescription d’une action liée à une appropriation réglementaire aurait commencé au plus tard après la vente des navires des demandeurs. Cela signifie, dans le cas de Calwell, que le délai aurait commencé en 2002. Dans le cas d’Aquamarine, le délai aurait commencé en 1998.

[138]       Bien qu’un examen des transcriptions des contre-interrogatoires de M. Calwell, de Mme Calwell et de M. Manson sur leurs affidavits respectifs révèle une persistance de la part de la défenderesse à caractériser la revendication des demandeurs comme une action liée à une appropriation réglementaire, les demandeurs ont résisté à cette tendance. Je suis convaincue que les demandeurs sont en droit de présenter leur revendication comme bon leur semble. Ils ont choisi de décrire cette procédure comme une demande de jugement déclaratoire et non comme une action en réparation pour des dommages découlant d’une appropriation réglementaire. Je rejette l’argument de la défenderesse voulant que la description faite par les demandeurs de leur revendication soit une tentative d’éviter l’application de la Loi sur la prescription de la Colombie-Britannique.

[139]       L’article 39 de la Loi sur les Cours fédérales prévoit l’application de délais de prescription aux actions déposées devant la Cour fédérale et stipule ce qui suit :

39 (1) Sauf disposition contraire d’une autre loi, les règles de droit en matière de prescription qui, dans une province, régissent les rapports entre particuliers s’appliquent à toute instance devant la Cour d’appel fédérale ou la Cour fédérale dont le fait générateur est survenu dans cette province.

 

39 (1) Except as expressly provided by any other Act, the laws relating to prescription and the limitation of actions in force in a province between subject and subject apply to any proceedings in the Federal Court of Appeal or the Federal Court in respect of any cause of action arising in that province.

 

(2) Le délai de prescription est de six ans à compter du fait générateur lorsque celui-ci n’est pas survenu dans une province

 

(2) A proceeding in the Federal Court of Appeal or the Federal Court in respect of a cause of action arising otherwise than in a province shall be taken within six years after the cause of action arose

 

[Je souligne]

[Emphasis added]

[140]       J’ai déterminé que cette procédure est une demande de jugement déclaratoire. Une fois de plus, je renvoie à la décision dans l’affaire Manitoba Métis Federation, précitée, dans laquelle la Cour suprême du Canada affirmait que cette réparation « peut être obtenue sans cause d’action ». Selon moi, cette procédure ne fait pas valoir de cause d’action. Il s’ensuit que cette procédure ne relève pas de la portée de l’article 39. Selon moi, la revendication des demandeurs n’est pas assujettie à un délai de prescription.

B.                 Doctrine d’appropriation du common law

[141]       Comme nous l’avons mentionné précédemment, dans cette procédure, les demandeurs cherchent à obtenir une déclaration de leur droit d’obtenir une indemnisation pour la perte de leurs entreprises, dont ils affirment avoir été privés par les actions de la défenderesse. Ils demandent une déclaration qu’ils sont légalement en droit d’obtenir une indemnisation.

[142]       Les demandeurs font valoir que le droit à une indemnisation découle de l’obligation implicite du common law d’accorder une indemnisation lorsqu’une propriété est saisie en vertu des pouvoirs législatifs ou de l’exercice de la prérogative du gouvernement. Ils se fondent sur les décisions rendues dans l’affaire British Columbia Medical Association et al. c. Canada (1984), 15 D.L.R. (4th) 568 (B.C.C.A.) et dans l’affaire Chemin de fer Canadien Pacifique c. Vancouver (Ville), [2006] 1 R.C.S. 227 pour soutenir leur argument.

[143]       Les demandeurs font également valoir que l’État ne peut saisir leur propriété sans indemnisation, sauf si cette appropriation est soutenue par un texte législatif clair et non ambigu, en se fondant sur la décision rendue dans l’affaire Procureur général c. De Keyser’s Royal Hotel, Ltd., [1920] A.C. 508.

[144]       Les demandeurs soutiennent que les changements apportés à la réglementation sont l’équivalent d’une appropriation. Ils mentionnent une série de changements apportés entre le début des années 1980 et les années 2000, dont le rachat de permis, la réduction de la flotte ainsi que l’introduction et l’amélioration de la SRAPA.

[145]       Cette revendication soulève la question à savoir si la doctrine d’« appropriation » du common law s’applique dans le contexte de la Loi sur les pêches. En bref, la réponse est « oui », puisqu’une telle revendication peut être déposée pour toute action du gouvernement, comme l’illustre les décisions rendues dans l’affaire Manitoba Fisheries, précitée, relativement à la Loi sur la commercialisation du poisson d’eau douce, L.R.C. 1970, ch. F-13, dans l’affaire Chemin de fer Canadien Pacifique c. Vancouver (Ville), précitée, relativement au règlement administratif Arbutus Corridor Official Development Plan, règlement administratif no 8249, et dans l’affaire British Columbia Medical Association, précitée, relativement à la Medical Services Plan Act, 1981, S.B.C. 1981 ch. 18. La décision dans l’affaire Burmah Oil Co. Ltd. c. Lord Advocate [1965] A.C. 75 (H.L.) aux paragraphes 101 à 103, illustre la portée des circonstances dans lesquelles une revendication pour appropriation peut être présentée.

[146]       Les demandeurs n’allèguent aucune faute dans la façon dont la réglementation a été établie et appliquée. Ils soulignent le fait qu’une indemnisation a été versée à d’autres participants aux activités de pêches, notamment par le rachat de permis dans le cadre du plan Mifflin en 1996 et du plan Anderson en 1998. Ils dénoncent l’absence d’indemnisation pour les emballeurs. Ils attribuent le manque de travail pour les emballeurs aux réductions de la flotte et des quotas de prises de poisson et allèguent que les effets combinés de ces mesures visaient à éliminer les offres de travail pour les emballeurs.

[147]       Les demandeurs se fondent largement sur des éléments de preuve documentaires provenant de la défenderesse, soit des rapports écrits par des fonctionnaires ou des agents de la défenderesse ou des rapports demandés par celle-ci, plus particulièrement le rapport Pearse de 1982, qui était l’aboutissement d’une commission d’enquête parlementaire.

[148]       Comme nous l’avons mentionné précédemment, les demandeurs cherchent à obtenir une déclaration de leur droit d’obtenir une indemnisation pour la perte de leurs propriétés en raison d’une action du gouvernement ayant mené à l’acquisition de leur propriété par le gouvernement.

[149]       Bien qu’ils ne fassent pas valoir l’appropriation réglementaire comme cause d’action, pour avoir gain de cause et obtenir un jugement déclaratoire, ils doivent établir les éléments d’une appropriation réglementaire.

[150]       L’action du gouvernement dont les demandeurs se plaignent est l’introduction d’une série de mesures réglementaires et de gestion sur une période de plusieurs dizaines d’années. Ils font référence à une série de rapports demandés au nom du MPO. Les demandeurs font valoir que le MPO s’est fondé sur ces rapports et études pour mettre en œuvre un programme visant à rationaliser les pêches, à réduire le nombre de navires et de permis pour les pêcheurs de saumon, de hareng et de flétan et à établir une nouvelle initiative visant spécifiquement à accroître la participation des Premières nations à la pêche au saumon.

[151]       Les demandeurs font valoir que la majorité des éléments de preuve déposés relativement à l’introduction de ces nouvelles mesures réglementaires émane de la défenderesse elle-même, soit des rapports générés à la demande du ministre et des documents mis à jour par le ministre.

[152]       Plus particulièrement, les demandeurs mettent l’accent sur le document « Turning the Tide: A New Policy for Canada’s Pacific Fisheries », écrit par M. Pearse en 1982, le document « Management of Canada’s Marine Fisheries », écrit par L.S. Parsons en 1993, le document « A History of Pacific Fisheries Policy », écrit par Douglas Swenerton en 1993 et le document « Management of the Pacific fisheries: The Development of Fishing Rights and Fisheries Management on the Pacific Coast », écrit par M. Pearse en 2007.

[153]       Les demandeurs se fondent sur les rapports de M. Pearse pour faire valoir que la défenderesse connaissait les aspects économiques de la pêche, les préoccupations d’ordre biologique relatives à la condition des stocks et les intérêts en matière de conservation. Ils soulignent le fait que conformément aux plans Davis, Mifflin et Anderson, certains intérêts de l’industrie de la pêche, soit les propriétaires de navires et les titulaires de permis, ont reçu une indemnisation pour le retrait de la pêche. Ils remettent en question le fait qu’aucune indemnisation n’a été offerte à leur segment de l’industrie de la pêche, soit l’industrie de l’emballage.

C.                 Crédibilité et évaluation de la preuve

[154]       Compte tenu de la nature de la preuve dans la présente procédure, qui comporte de nombreux articles, rapports, communiqués de presse, documents d’information, déclarations ministérielles, interrogatoires préalables écrits et oraux, ainsi que des affidavits et des transcriptions de contre-interrogatoires et d’admissions, la question de la crédibilité ne s’applique pas de la même manière que dans le cadre d’une poursuite « typique » impliquant des parties privées et le droit non public. Il est difficile, voire impossible, d’évaluer la crédibilité d’une grande partie des éléments de preuve documentaires soumis.

[155]       Quoi qu’il en soit, pour autant que cela soit nécessaire à la Cour pour tirer des conclusions de fait, l’évaluation de la crédibilité des témoins et des éléments de preuve documentaires demeure un aspect essentiel du mandat de la Cour. Je renvoie à la décision rendue dans l’affaire Faryna c. Chorny, [1952] 2 D.L.R. 354, où la Cour affirmait ce qui suit à la page 357 :

La crédibilité de témoins intéressés, notamment dans les cas de preuves contradictoires, ne peut être évaluée uniquement en fonction de la question de savoir si le comportement du témoin en cause semblait naturel. Il convient d’examiner de manière raisonnable la cohérence de l’exposé des faits du témoin à la lumière des probabilités se rapportant aux conditions qui existent à l’heure actuelle. Bref, pour déterminer si la version d’un témoin est conforme à la vérité dans un cas de cette nature, il faut déterminer si le témoignage est compatible avec celui qu’une personne sensée et informée, selon la prépondérance des probabilités, reconnaîtrait d’emblée comme un témoignage raisonnable, compte tenu des conditions et de l’endroit. C’est alors seulement qu’une cour peut évaluer de façon satisfaisante le témoignage de personnes alertes, expérimentées et assurées, et celui de ces personnes habiles qui sont adeptes dans les demi-vérités et qui ont une longue expérience dans l’art de combiner une exagération habile avec une suppression partielle de la vérité. Il pourrait arriver qu’une personne témoigne de ce qu’elle croit sincèrement être vrai, en se trompant tout à fait honnêtement. Le juge du procès qui dit : « Je le crois parce que je juge qu’il dit la vérité » tire essentiellement une conclusion en examinant la moitié seulement du problème. En vérité, il pourrait facilement s’agir d’une orientation personnelle dangereuse.

[156]       La défenderesse n’a pas remis en question directement la crédibilité des éléments de preuve soumis par les demandeurs ou Mme Calwell ou au nom des personnes morales demanderesses. La seule contestation des éléments de preuve déposés par les demandeurs concerne leur fiabilité, leur admissibilité et leur pertinence, au motif que certains de ces éléments de preuve sont de nature spéculative, constituent un ouï-dire inadmissible et sont argumentatifs.

[157]       Sans analyser chaque paragraphe ou partie de paragraphe contesté dans les éléments de preuve par affidavit déposés au nom des demandeurs. Je ne tiens pas compte des parties des affidavits qui constituent clairement un argument inapproprié, une hypothèse, une opinion ou un ouï-dire inadmissible.

[158]       En tenant compte des limites découlant du fait que les éléments de preuve des demandeurs ont été soumis par des affidavits et des transcriptions d’interrogatoires, je suis convaincue que les éléments de preuve admissibles étaient crédibles. Bien que la preuve soit parfois caractérisée par une mémoire défaillante quant aux détails, elle est suffisante pour établir le cadre de la revendication. La preuve des demandeurs était cohérente « à la lumière des probabilités se rapportant aux conditions qui existent à l’heure actuelle » conformément à la décision rendue dans l’affaire Faryna, précitée.

[159]       Les témoins factuels des demandeurs, M. Ionson et M. Thomas, ont essentiellement présenté des éléments de preuve sur les opérations au MPO, sur le développement historique de la réglementation et sur les aspects de l’administration et de la mise en œuvre de cette réglementation. La preuve ne soulève aucune crainte quant à leur crédibilité.

[160]       La crédibilité des éléments de preuve documentaires doit également être évaluée. Certains des documents ont été admis en preuve en raison de la véracité de leur contenu; il est donc inutile de commenter leur crédibilité. Aucune autre preuve documentaire n’a été contestée sur le plan de la crédibilité.

[161]       Comme il est indiqué plus haut, des rapports d’expert ont été soumis au nom des demandeurs et de la défenderesse. Les demandeurs ont soumis les rapports de M. Hooge, alors que la défenderesse a soumis le rapport de M. Nelson, un consultant possédant une expérience de l’industrie de la pêche du Pacifique. M. Hooge et M. Nelson ont témoigné sur différents sujets, selon les mandats donnés par les demandeurs et la défenderesse, respectivement.

[162]       On a demandé à M. Hooge de fournir une estimation des pertes de revenu subies par les demandeurs à la suite de la perte de leurs entreprises d’emballage et de formuler une opinion sur le moment où leurs entreprises sont devenues économiquement non viables. On a demandé à M. Nelson de faire part de son opinion sur l’évolution de l’industrie de la pêche des années 1970 à aujourd’hui, y compris l’industrie de l’emballage, dans le contexte des changements technologiques survenus dans l’industrie, des changements observés dans les stocks de poissons et des répercussions des changements apportés à la réglementation par la défenderesse sur l’industrie de l’emballage de poisson, plus particulièrement les entreprises des demandeurs.

[163]       Dans l’affaire Fraser River Pile and Dredge, Ltd. c. Empire Tug Boats Ltd. et al (1995), 95 F.T.R. 43, au paragraphe 8, la Cour a commenté le rôle des experts témoins dans les termes suivants :

Je crois comprendre que la preuve d’expert comporte au moins deux aspects : (1) la présentation de faits par l’entremise d’un expert parce que ce dernier a des connaissances particulières ne peut en réalité être obtenue que de cette façon; (2) les inférences qui sont faites à partir d’un ensemble défini de faits dans des circonstances où le juge des faits peut difficilement faire pareilles inférences parce qu’elles dépendent d’une connaissance, d’une compétence ou d’une expérience.

[164]       Dans le cas présent, M. Hooge a clairement établi dans son contre-interrogatoire qu’il a formulé sa propre opinion en se fondant sur les propositions des demandeurs. Il a estimé les pertes en déterminant que les demandeurs auraient gagné le même revenu après l’introduction des nouvelles mesures réglementaires qu’ils ont gagné avant de devenir économiquement non viable.

[165]       À mon avis, la valeur de son opinion est réduite par le fait que le dossier de preuve qui soutient ses conclusions finales est incomplet.

[166]       On a demandé à M. Nelson de fournir un autre type d’opinion. Il a soumis un long rapport relatant l’évolution de l’aspect réglementaire et de l’aspect physique et opérationnel des pêches. Il reconnaît que certaines initiatives réglementaires mises en œuvre par le MPO ont eu des répercussions négatives sur l’industrie de l’emballage, et plus particulièrement sur les demandeurs. Il se dit d’avis que l’introduction de la SRAPA a eu des effets négatifs sur l’industrie de l’emballage.

[167]       Selon moi, M. Nelson se montre plutôt ambivalent concernant certaines questions qui lui ont été proposées, par exemple, sur les effets de la réduction du TAC de la pêche au saumon sur les entreprises des demandeurs.

[168]       Je remarque que M. Nelson a travaillé pendant de nombreuses années dans l’industrie de la pêche, dont un certain nombre d’années pour B.C. Packers. Son rapport et l’ensemble de ses opinions sont naturellement influencés par son expérience personnelle. Dans la mesure où il a fourni un historique des développements, tant sur le front réglementaire qu’opérationnel, je n’ai aucune raison de rejeter cette preuve.

[169]       Les demandeurs n’ont fourni aucune preuve pour contredire ou réfuter les témoignages de M. Nelson. J’ai observé que la défenderesse n’a pas non plus soumis de preuve pour contredire les opinions de M. Hooge, mais qu’elle a contre-interrogé le témoin sur son rapport.

D.                Fardeau de la preuve

[170]       Cette procédure est une procédure civile. Même si j’ai déterminé qu’il n’y avait aucune cause d’action, il s’agit d’une poursuite civile et dans le cours normal des choses, le fardeau de la preuve en droit civil s’applique, c’est-à-dire la prépondérance des probabilités fondée sur une certaine preuve. À cet égard, je renvoie à la décision dans l’affaire F.H. c. McDougall, [2008] 3 R.S.C. 41 aux paragraphes 46 et 49, où la Cour s’exprime ainsi :

De même, la preuve doit toujours être claire et convaincante pour satisfaire au critère de la prépondérance des probabilités. Mais, je le répète, aucune norme objective ne permet de déterminer qu’elle l’est suffisamment. Dans le cas d’une allégation grave comme celle considérée en l’espèce, le juge peut être appelé à apprécier la preuve de faits qui se seraient produits de nombreuses années auparavant, une preuve constituée essentiellement des témoignages du demandeur et du défendeur. Aussi difficile que puisse être sa tâche, le juge doit trancher. Lorsqu’un juge consciencieux ajoute foi à la thèse du demandeur, il faut tenir pour acquis que la preuve était à ses yeux suffisamment claire et convaincante pour conclure au respect du critère de la prépondérance des probabilités.

[...]

En conséquence, je suis d’avis de confirmer que dans une instance civile, une seule norme de preuve s’applique, celle de la prépondérance des probabilités. Dans toute affaire civile, le juge du procès doit examiner la preuve pertinente attentivement pour déterminer si, selon toute vraisemblance, le fait allégué a eu lieu.

[171]       Le fardeau de la preuve repose sur les demandeurs. Il incombe aux demandeurs de démontrer que l’action du gouvernement qu’ils ont identifiée a mené à la privation de leur propriété et à son acquisition par la défenderesse.

E.                 Éléments définissant une appropriation réglementaire

[172]       Les demandeurs cherchent à obtenir une déclaration de leur droit de recevoir une indemnisation pour la perte de leur propriété découlant des actions de la défenderesse. Pour avoir gain de cause dans leur demande de jugement déclaratoire, ils doivent démontrer les éléments définissant une appropriation réglementaire.

[173]       Dans l’affaire Chemin de fer Canadien Pacifique c. Vancouver (Ville), précitée, aux paragraphes 30 à 34, la Cour suprême décrit deux éléments d’une appropriation :

Pour une appropriation de fait imposant une indemnisation en common law, deux conditions doivent être remplies : (1) l’acquisition d’un intérêt bénéficiaire relatif au bien‑fond, et (2) la suppression de toutes les utilisations raisonnables du bien‑fonds (reportez-vous à Mariner Real Estate Ltd. c. Nova Scotia (Procureur général) (1999), 177 D.L.R. (4th) 696 (N.S.C.A.), à la page 716; Manitoba Fisheries Ltd. c. La Reine, [1979] 1 R.C.S. 101; et Sa Majesté la Reine du chef de la Colombie-Britannique c. Tener, [1985] 1 R.C.S. 533.

[…]

… Pour satisfaire à ce volet du critère, il n’est pas nécessaire d’établir le transfert forcé du bien‑fonds. L’acquisition d’un intérêt bénéficiaire relatif au bien‑fonds suffit. […]

Deuxièmement, le règlement ne supprime pas toutes les utilisations raisonnables du bien‑fonds. Cette condition doit être appréciée [traduction] « non seulement par rapport à l’utilisation potentielle optimale du terrain, mais aussi compte tenu de la nature du terrain et des diverses utilisations raisonnables dont il a effectivement fait l’objet » : voir Mariner Real Estate, p. 717. […]

[174]       Dans l’affaire A.M. Smith & Co. c. Canada, [1982] 1 C.F. 153, au paragraphe 10, la Cour d’appel fédérale stipule ce qui suit au sujet de l’appropriation :

… Je suis convaincu de l’argument selon lequel la cause d’action est fondée sur un droit à l’indemnisation implicite dans la loi elle-même, et non sur une cause d’action distincte en common law ou en equity. L’appropriation du fonds commercial du demandeur a été une conséquence de l’application de la Loi sur le poisson salé. Le transfert du fonds commercial à l’Office canadien du poisson salé et, par conséquent, à la Couronne, n’était pas fautif en tant que tel. Aucun délit ou autre transgression du droit positif n’était en cause. … Pourtant, il est clair, à la lumière de l’affaire Manitoba Fisheries, que la Couronne était tenue de verser une indemnisation. … Je suis d’avis que l’obligation d’indemniser est implicite à la loi elle-même; en termes conventionnels, elle est fondée sur une condition implicite de la loi.

[175]       Dans l’affaire Manitoba Fisheries, précitée, la Cour suprême du Canada a jugé que la propriété saisie peut être matérielle ou immatérielle.

[176]       Il s’ensuit que pour que les demandeurs puissent établir leur droit à une indemnisation, ils doivent démontrer, selon la prépondérance des probabilités, qu’ils ont été dépossédés de leur propriété par la défenderesse, que la même propriété a été acquise par la défenderesse et que la défenderesse ne s’est pas acquittée de son obligation de verser une indemnisation.

(1)               De quelle propriété ont-ils été dépossédés?

(a)                Entreprises des demandeurs

[177]       Dans la présente procédure, la défenderesse soutient que, selon le témoignage de l’expert témoin des demandeurs, M. Hooge, les personnes morales demanderesses ne disposaient d’aucun fond commercial. Dans ces circonstances, la défenderesse soutient que les demandeurs n’ont été dépossédés d’aucune propriété.

[178]       Par ailleurs, les demandeurs font valoir qu’en raison des actions de la défenderesse, par l’intermédiaire du ministre, ils ont été privés de la possibilité de poursuivre leurs activités d’emballage. Ils affirment qu’ils ont perdu cette possibilité en raison de la réduction des flottes de pêche et des quotas, qui a entraîné une baisse des prises de poisson (saumon, hareng ou flétan) à emballer sur le lieu de pêche en vue de l’acheminer aux entreprises de conditionnement sur la côte.

[179]       Les demandeurs font également valoir qu’en raison de perte de possibilité de poursuivre leurs activités d’emballage, ils ont effectivement perdu leurs entreprises.

(b)               Navires des demandeurs

[180]       Les demandeurs soutiennent que les actions de la défenderesse ont eu pour effet de réduire à une valeur nulle les actifs de leurs entreprises. Dans l’affaire Manitoba Fisheries, précitée, la Cour suprême du Canada, au paragraphe 118, a reconnu que l’appropriation du fonds commercial des demandeurs a eu pour effet de réduire les actifs physiques à une valeur pratiquement nulle. Dans cette affaire, la Cour a ordonné que l’indemnisation doit prendre en compte la perte des actifs physiques de l’entreprise.

[181]       La défenderesse fait valoir qu’il n’existe aucune « preuve réelle » en ce qui concerne la perte de valeur des navires et que toute perte de valeur est spéculative.

[182]       Selon M. Hooge, le seul actif restant de Calwell, après 1994, était le navire M.V. « Riverside Y », qui a ensuite été vendu en 2002. Aquamarine a vendu son navire, le M.V. « Godfather », en 1998.

(c)                Accès public à la pêche

[183]       Un élément clé de la revendication des demandeurs est le principe selon lequel la pêche est une ressource commune à laquelle le public a accès. Les demandeurs reconnaissent que ce principe tire ses racines de la Grande charte, comme le reconnaît la Cour suprême du Canada dans l’affaire R. c. Gladstone, précitée, au paragraphe 67 :

En outre, il convient de signaler que les droits ancestraux reconnus et confirmés par le par. 35(1) existent dans un contexte juridique où, depuis l’époque de la Grande Charte, on reconnaît en common law un droit de pêcher dans les eaux à marée qui ne peut être aboli que par l’édiction de textes législatifs constitutionnels :

... les sujets de Sa Majesté ont le droit non seulement de naviguer mais encore de pêcher en haute mer et dans les eaux à marée.

...

[I]l est établi sans conteste en droit depuis la Grande Charte qu’aucune nouvelle pêcherie exclusive ne peut être créée par concession royale dans les eaux à marée et qu’aucun droit du public de pêcher dans de telles eaux, existant alors, ne peut être retiré sans texte législatif constitutionnel.

(Le procureur général de la ColombieBritannique c. Le procureur général du Canada, [1914] A.C. 153 (J.C.P.C.), aux pages 169 et 170 [le vicompte Haldane]). […]

[184]       Au cours de son interrogatoire préalable, M. Manson a affirmé qu’il n’y avait aucune attente raisonnable d’un accès maximal du public aux pêches découlant des mesures réglementaires mises en œuvre par le MPO de 1969 à 1998. M. Calwell n’a pas abordé ce point directement.

[185]       Le droit d’accès du public ne peut être retiré autrement que par un « texte législatif constitutionnel », comme il est indiqué dans l’affaire Le procureur général de la ColombieBritannique c. Le procureur général du Canada, précitée.

[186]       Le ministre est autorisé à gérer les ressources de pêche au nom de tous les Canadiens et les actions du gouvernement à cet égard sont assujetties au principe de conservation, comme le reconnaît la Cour suprême dans l’affaire Sparrow, précitée.

[187]       Les règlements n’ont pas pour effet d’interdire l’accès du public. Ils déterminent un « nouvel ordre », c’est-à-dire un accès élargi pour les Premières nations en reconnaissance de leurs droits protégés par la constitution, suivi de l’accès au grand public, tel que déterminé par le ministre dans l’exécution de son mandat.

[188]       On ne conteste pas le fait que les mesures réglementaires ont réduit l’accès du public. Dans l’affaire Comeau’s Sea Foods, précitée, au paragraphe 37, la Cour suprême du Canada affirme ce qui suit concernant l’obligation du ministre en regard de la pêche :

En vertu de la Loi sur les pêches, le ministre a l’obligation de gérer, conserver et développer les pêches au nom des Canadiens et dans l’intérêt public. Les permis sont un outil dans l’arsenal de pouvoirs que la Loi sur les pêches confère au ministre pour gérer les pêches. Ils permettent de restreindre l’accès à la pêche commerciale, de limiter le nombre de pêcheurs et de navires et d’imposer des restrictions quant aux engins de pêche utilisés et à d’autres aspects de la pêche commerciale.

(2)               Les actions de la défenderesse ont-elles entraîné la perte des entreprises des demandeurs?

[189]       Les demandeurs affirment que les mesures réglementaires suivantes menées par le MPO ont entraîné la perte de leurs entreprises : l’introduction du système de QIB pour la pêche au flétan, les permis par secteur pour la pêche au saumon, la réduction de la flotte pour la pêche au saumon, l’accès spécial accordé aux pêches pour les Premières nations ainsi que les permis de pêche par secteur et le partage obligatoire des permis pour la pêche au hareng rogué.

[190]       Bien qu’elle admette que certaines de ses actions aient pu exercer des effets négatifs sur les entreprises des demandeurs, la défenderesse fait valoir que ces actions seules ne peuvent avoir causé la perte des entreprises. La défenderesse soutient que le fait qu’Aquamarine n’ait pas recherché d’autres possibilités de poursuivre ses activités d’emballage a contribué à la perte de l’entreprise.

[191]       La défenderesse affirme également que les autres changements survenus dans l’industrie de la pêche du Pacifique, notamment la chute des prix du poisson, le faible rendement du saumon sockeye, la pratique des primes de livraison directe et les avancées technologiques, ont contribué à la perte des entreprises des demandeurs.

[192]       Les demandeurs invitent la Cour à conclure que la baisse soudaine du rendement des entreprises était le résultat des effets combinés des diverses mesures mises en place par le MPO.

[193]       La défenderesse soutient que les demandeurs doivent établir que l’appropriation du droit de propriété découle exclusivement des mesures réglementaires.

[194]       Ces arguments contraires seront maintenant examinés à la lumière des éléments de preuve.

(a)                Gestion de la pêche au saumon

[195]       M. Nelson, l’expert témoin de la défenderesse, fait part de son opinion sur les effets de la réduction du total autorisé des captures commerciales de saumon sur l’industrie de l’emballage. M. Nelson reconnaît qu’il y a une part de subjectivité lorsqu’on se pose la question à savoir si l’industrie de la pêche peut valablement tenir le MPO responsable de la réduction des prises.

[196]       Il énonce ensuite les différents facteurs qui étaient indépendants de la volonté du MPO, notamment la baisse des stocks de poissons et la décision de l’industrie de ne pas participer à la pêche commerciale du saumon en raison de la faiblesse du marché. Toutefois, il souligne également qu’à cette même époque, le MPO a mis en œuvre de nouvelles approches d’attribution des droits de pêche au saumon qui ont eu comme conséquence d’abaisser la priorité accordée à la pêche commerciale, et qu’il s’agissait d’une décision politique prise par le MPO.

[197]       M. Nelson n’a pas formulé d’opinion claire quant aux répercussions sur l’industrie de l’emballage de la nouvelle approche de gestion adoptée par le MPO pour la pêche au saumon. Son opinion sur la question n’est pas concluante.

[198]       Quoi qu’il en soit, j’estime qu’il est raisonnable de conclure qu’une approche de gestion ayant pour effet de réduire le total autorisé des captures commerciales de saumon aurait un effet sur l’industrie de l’emballage puisqu’une réduction du TAC aurait nécessairement pour conséquence de réduire la quantité de saumon à emballer, que ce soit par les navires d’emballage ou sur les navires de pêche eux-mêmes. Je conclus que cette initiative du MPO a eu des effets négatifs sur les demandeurs, mais je ne peux dire, à la lumière des éléments de preuve, si ce facteur a été une cause majeure ou immédiate de la réduction de la capacité des demandeurs à poursuivre leurs activités d’emballage du saumon.

[199]       M. Nelson exprime l’opinion que les mesures prises par le MPO pour réduire la flotte de saumon commerciale n’ont pas nui en tant que telles à l’industrie de l’emballage. Il a souligné que l’industrie de l’emballage tirait ses revenus de l’emballage au poids et non en desservant un grand nombre de navires de pêche. En obtenant des volumes plus élevés d’un nombre plus restreint de navires, les emballeurs réalisent quand même un profit, ce qui signifie qu’il n’y a pas de répercussions négatives pour les demandeurs. Il a conclu que la réduction de la flotte à la suite des mesures prises par le MPO a eu des effets neutres sur l’industrie de l’emballage.

[200]       Bien qu’il caractérise les effets de la réduction de la flotte comme un facteur neutre, à mon avis, la réduction de la flotte doit être considérée comme ayant des effets négatifs, puisqu’elle se solde par une réduction des prises.

(b)               Accès spécial pour les Premières nations

[201]       M. Nelson a examiné les effets sur l’industrie de l’emballage de l’accès spécial accordé par le MPO à certains particuliers et groupes autochtones ainsi qu’aux pêcheurs récréatifs. La SRAPA, qui a été instaurée en 1992, a eu des répercussions sur certaines bandes dans le Bas Fraser et dans le bassin de Barkley, près de Port Alberni. Il a également fait mention de l’accès accru pour les Premières nations aux ressources de pêches en surplus des besoins en géniteurs (ESSR).

[202]       M. Nelson se dit d’avis que l’augmentation des permis attribués aux Premières nations a eu des effets négatifs sur l’industrie de l’emballage dans les années 1990, puisque ces prises visent principalement le saumon sockeye et que la dépendance excessive à l’égard du saumon sockeye a rendu toute l’industrie de la pêche vulnérable. Dans ces circonstances, il a conclu que l’augmentation du nombre de permis de pêche au saumon sockeye accordés aux Premières nations de la rivière Fraser a eu des effets négatifs sur l’industrie de l’emballage au cours des années 1990.

[203]       M. Nelson a formulé une opinion finale sur les effets de la SRAPA sur l’industrie de l’emballage en ce qui concerne l’accès accru au saumon sockeye. S’il y a eu des répercussions générales sur l’industrie de l’emballage, il y en a certainement eu pour les demandeurs. Toutefois, il ne peut dire si cette mesure, prise dans l’intérêt des Premières nations, est responsable de l’anéantissement des entreprises des demandeurs, mais ce facteur y a certainement contribué.

[204]       Selon les témoignages de M. Nelson et M. Ionson, la SRAPA était une réponse délibérée à la décision de la Cour suprême du Canada dans l’affaire Sparrow, précitée. Cette décision portait sur le droit ancestral de pêcher, qui est protégé par la constitution.

[205]       La défenderesse, par l’intermédiaire du ministre et du MPO, est responsable de la gestion des pêches. Dans l’affaire R. c. Gladstone, précitée, au paragraphe 67, la Cour suprême du Canada a conclu qu’un droit en common law, le droit d’accès du public à la pêche, est subordonné aux droits autochtones, qui sont des droits constitutionnels.

[206]       Dans l’affaire Sparrow, précitée, la Cour suprême du Canada a reconnu le droit constitutionnel à la pêche des Premières nations. La SRAPA a été instaurée afin de permettre une mise en œuvre réelle, pratique et effective des politiques, en reconnaissance de ce droit. Le fait que la mise en œuvre de la SRAPA ait eu des effets négatifs sur les demandeurs ou d’autres parties ne diminue en rien la légitimité de cette politique.

[207]       Je note qu’au cours de son contre-interrogatoire, M. Manson a affirmé que la réattribution des possibilités de pêche au saumon sockeye des pêcheurs commerciaux aux pêcheurs autochtones n’a pas vraiment eu de répercussions sur son entreprise.

[208]       M. Calwell a déposé des éléments de preuve qu’il offrait des services d’emballage aux Premières nations alors qu’il était à l’emploi de l’entreprise Seven Seas, mais qu’il n’a pas recherché de possibilité d’offrir des services d’emballage auprès de Premières nations pour sa propre entreprise.

[209]       À la lumière des éléments de preuve déposés par les demandeurs et la défenderesse, je conclus que la SRAPA a probablement limité les possibilités d’emballage, car le programme a eu pour effet de réattribuer les possibilités de capture, mais dans l’ensemble, la politique reconnaissait un droit protégé par la constitution. Son application était exigée par la loi et toute conséquence négative pour les demandeurs doit être considérée comme accessoire.

(c)                Gestion de la pêche au hareng rogué

[210]       M. Nelson a reconnu que l’établissement du partage obligatoire des permis pour la pêche au hareng rogué a eu certains effets sur l’industrie de l’emballage du poisson. Ce régime de partage était un nouvel outil de gestion qui a eu pour effet de réduire l’incidence des prises dépassant le TAC.

[211]       M. Thomas a conclu dans son affidavit que le MPO, en établissant le partage obligatoire des permis pour la pêche au hareng rogué, n’a pas empêché les emballeurs de poisson d’emballer les prises de cette espèce.

[212]       M. Nelson a conclu que les secteurs restreints imposés par le MPO n’ont pas eu d’effets importants sur l’industrie de l’emballage.

[213]       Je n’ai aucune raison d’être en désaccord ou de rejeter l’opinion de M. Nelson selon laquelle les restrictions imposées par le MPO pour la pêche au hareng rogué n’ont pas eu d’effets importants sur l’industrie de l’emballage.

[214]       Dans l’ensemble, les éléments de preuve déposés par M. Nelson montrent que l’établissement du partage obligatoire des permis et les secteurs restreints ont eu certains effets sur l’industrie de l’emballage du poisson. Toutefois, il m’est impossible de quantifier les effets négatifs cumulatifs de ces changements sur la pêche au hareng rogué, au motif des éléments de preuve soumis, dont les témoignages personnels des demandeurs et les éléments de preuve documentaires.

(d)               Système de QIB pour la pêche au flétan

[215]       Comme nous l’avons mentionné précédemment, le système de QIB interdisait le recours aux navires d’emballage lors de la pêche au flétan puisque les pêcheurs devaient acheminer leurs prises directement à un site de débarquement désigné où elles étaient mesurées par les représentants du MPO.

[216]       Dans son contre-interrogatoire sur son affidavit, M. Manson a affirmé que l’introduction du système QIB n’avait pas eu de répercussions sur son entreprise.

[217]       Au cours de son contre-interrogatoire, M. Calwell a admis que l’introduction du système QIB à la pêche au flétan n’a pas eu de répercussions sur ses activités en 1991 puisqu’il ne faisait pas l’emballage du flétan cette année-là.

[218]       Je conclus que cette mesure réglementaire n’a pas eu d’effets négatifs sur les demandeurs. L’introduction du système QIB à la pêche au flétan visait à accroître la surveillance des stocks de flétan par le MPO. Les demandeurs eux-mêmes ont admis que cette innovation ne nuisait pas à leurs entreprises.

(e)                Avancées technologiques

[219]       Selon les éléments de preuve déposés par M. Nelson, au moment de la mise en œuvre des nouvelles mesures réglementaires, des changements survenaient également sur le plan technique dans l’industrie des pêches du Pacifique.

[220]       Le rapport de M. Nelson contient un grand nombre de renseignements techniques, notamment sur l’évolution de la technologie de construction des navires de pêche. Il souligne que les navires détenus et exploités par Calwell et Aquamarine sont tous deux faits de bois et sont dotés des cales à poissons équipées d’un dispositif à eau glacée utilisant de la glace comme réfrigérant. Il caractérise les navires M.V. « Riverside Y » et M.V. « Godfather » comme des « navires de récupération », c’est-à-dire des navires-emballeurs de petite taille.

[221]       Il note que ces navires offrent des capacités d’emballage relativement faibles, soit entre 60 000 et 65 000 livres de saumon ou 30 tonnes de hareng. Il a commenté le coût élevé de l’entretien de ces navires de bois. Il a souligné le fait que les deux navires achetaient du poisson payé comptant. Les contrats d’emballage conclus avec les entreprises de conditionnement payant comptant et de bonnes relations avec les pêcheurs étaient des éléments essentiels au bon fonctionnement de leurs entreprises.

[222]       M. Nelson a décrit les plans d’affaires de Calwell et Aquamarine à la fin des années 1980 comme vulnérables, à la lumière de leur dépendance à l’égard de navires en bois plus anciens nécessitant des dépenses importantes pour les garder en bon état. Il a souligné que les demandeurs se fiaient principalement à la flotte de navires de pêche à la senne pour obtenir leur approvisionnement de saumon et de hareng rogué, mais qu’à la fin des années 1980, les pêcheurs à la senne sont devenus plus dépendants des permis fournis par les entreprises de conditionnement de grande envergure et se sont mis à emballer leurs propres prises sur des « vaisseaux-mères ».

[223]       Au paragraphe 180 de ce rapport, M. Nelson a formulé son opinion sur les répercussions des nouvelles technologies sur le secteur de l’emballage. En premier lieu, il a exprimé l’avis que les changements apportés à la capacité de prise de la flotte de pêche ont amené le MPO à modifier ses pratiques de gestion.

[224]       En deuxième lieu, il reconnaît que l’ajout de cales à poissons isolées et de systèmes de réfrigération à bord a contribué à accroître la capacité des navires à emballer leurs propres prises, ce qui réduit la nécessité de recourir à des emballeurs. Les navires de pêches étaient de plus en plus nombreux à se doter de cales à poissons « mouillées » équipées d’un dispositif à eau glacée ou d’un système d’eau de mer réfrigérée. Ayant une plus grande capacité pour emballer leurs propres prises, les navires de pêche avaient moins besoin de recourir aux emballeurs. En troisième lieu, il a désigné les nouvelles technologies instaurées à bord des navires d’emballage, comme les systèmes d’eau de mer réfrigérée, les pompes Transvac, les systèmes de transporteur transversal et tables de classification.

[225]       Pour évaluer les effets sur les demandeurs de l’évolution de la technologie, M. Nelson a émis l’opinion que la capacité de la flotte de pêche pour emballer ses propres prises réduit la disponibilité des poissons à emballer pour les demandeurs. Il a également commenté le manque de nouvelles technologies à bord des navires des demandeurs, ce qui restreint les options d’emballage, alors que la quantité de poissons pêchés à filets maillants est de plus en plus limitée.

[226]       Les navires plus grands et plus modernes ont dépassé la capacité des navires en bois de plus petite taille, comme ceux exploités par Calwell et Aquamarine, pour emballer et livrer le poisson, en excellent état, aux installations de conditionnement. M. Nelson a exprimé l’opinion que les emballeurs comme les demandeurs n’ont pas suivi le rythme des avancées technologiques dans les années 1990.

[227]       M. Nelson fournit également des éléments de preuve des changements apportés aux engins utilisés pour la pêche. Pour ce faire, il a puisé à même sa propre expérience à titre d’employé de B.C. Packers, la plus importante entreprise de conditionnement du poisson en Colombie-Britannique. Il s’agissait d’éléments de preuve pratiques démontrant les changements qui ont nécessairement affecté les méthodes de capture et de transformation du poisson. À mon avis, ces éléments de preuve des répercussions des modifications technologiques sont clairs et sans équivoque, en ce sens qu’il s’agissait probablement du facteur ayant eu le plus de répercussions négatives sur les entreprises des demandeurs.

[228]       Il est évident que les industries évoluent à mesure que de nouvelles techniques sont découvertes. Cette observation s’applique au développement de nouveaux matériaux de construction, aux nouvelles conceptions, aux nouvelles méthodes de préservation du poisson frais capturé et aux nouvelles méthodes de conditionnement des prises à bord des navires.

[229]       Il n’existe aucune preuve qu’une personne ou une organisation a empêché les demandeurs de moderniser leurs navires et de mettre à niveau leurs engins. Ils avaient le choix de procéder ou non à la modernisation. En travaillant avec des navires de bois plus anciens, les demandeurs auraient été désavantagés par rapport aux exploitations mieux financées, qui ont choisi de mettre à niveau leurs flottes et leurs engins.

[230]       À mon avis, le fait que les demandeurs n’aient pas suivi cette voie constitue probablement le facteur ayant joué le rôle le plus important dans le déclin de leurs entreprises, puisqu’ils n’étaient pas en mesure de faire face à la concurrence.

(f)                Versement de primes directes

[231]       La défenderesse soutient que l’introduction du versement de primes directes a eu des effets négatifs sur les activités des demandeurs. Le versement de primes directes aux pêcheurs par les entreprises de conditionnement était une pratique courante dans les années 1990. Cette pratique était bénéfique pour les pêcheurs, qui pouvaient ainsi accroître le revenu tiré de leurs prises, mais également pour les entreprises de conditionnement, qui pouvaient ainsi réduire leurs coûts globaux en évitant d’avoir à recourir à des emballeurs. M. Nelson a conclu que la popularité grandissante des primes directes a réduit la nécessité de recourir à des emballeurs, sans toutefois l’éliminer complètement.

[232]       M. Calwell a reconnu dans son interrogatoire préalable que le versement de primes directes avait eu des effets négatifs sur l’industrie de l’emballage en général, bien qu’il ne pouvait estimer l’ampleur de ces effets sur sa propre entreprise. Plus tard, dans son contre-interrogatoire sur son affidavit, il a affirmé que les effets sur Calwell étaient limités puisque son entreprise ne ciblait que les navires de pêche à filets maillants qui ne pouvaient pas emballer leur propre poisson.

[233]       M. Manson n’est pas d’avis que le versement des primes directes a eu des répercussions sur Aquamarine. Toutefois, il a accepté le fait que la pratique pourrait avoir affecté d’autres emballeurs.

[234]       Les primes de livraison directe ont été mises en place par les entreprises de conditionnement. Il s’agit donc d’une question commerciale, qui n’est pas réglementée par la défenderesse. Toute conséquence négative pour les demandeurs ne peut être attribuée à la défenderesse. On ne sait pas exactement si cette pratique a eu des répercussions importantes sur les demandeurs, bien qu’en principe, il soit probable qu’elle ait entraîné une réduction des possibilités d’emballage.

[235]       Dans l’ensemble, je considère qu’il est fort probable que ce facteur ait eu des répercussions sur l’industrie de l’emballage en général. Toutefois, selon les éléments de preuve fournis, je ne peux déterminer dans quelle mesure cette pratique a affecté les demandeurs.

(g)               Fluctuations des prix du poisson

[236]       M. Nelson a procédé à une revue très détaillée des fluctuations des prix du flétan, du hareng rogué, du saumon coho, du saumon rose, du saumon kéta, du saumon chinook et du saumon sockeye.

[237]       Il a déterminé que bien que les emballeurs étaient rémunérés en fonction du volume de la prise emballée, la baisse des prix a eu des effets négatifs sur l’industrie de l’emballage. En ce qui concerne les demandeurs, il a déterminé que les faibles conditions du marché du saumon et du hareng rogué ont amené un certain nombre d’entreprises payant comptant à quitter l’industrie, ce qui a réduit le bassin de clients potentiels.

[238]       M. Nelson a fait référence spécifiquement à la sortie de Icicle Seafoods du marché de la Colombie-Britannique. Il a également déterminé que les faibles prix du poisson se sont traduits par des économies pour les entreprises de conditionnement, dont une baisse du prix d’achat du poisson et une réduction des coûts d’emballage.

[239]       M. Manson a déclaré que les fluctuations des prix du poisson n’ont pas eu de répercussions sur Aquamarine en raison de son contrat avec Icicle Seafoods. Il s’agissait d’un affrètement à temps ne dépendant pas des prix du poisson. Il a accepté le fait que les baisses des prix du poisson auront éventuellement des répercussions sur les emballeurs.

[240]       M. Calwell a déclaré que la baisse du prix à la livre de hareng rogué, du saumon keta rose et du saumon kéta entre 1994 et 2002 a eu des effets négatifs sur son entreprise.

[241]       Les variations des prix des différentes espèces de poisson étaient en fonction du marché. Les effets des forces du marché ne dépendent pas de la défenderesse. Bien que je reconnaisse qu’une baisse des prix du poisson aurait certainement eu des répercussions sur les revenus des demandeurs, je ne peux conclure que ce facteur résulte des actions de la défenderesse.

[242]       Les demandeurs n’ont fourni aucune preuve sur les pêcheurs spécifiques qui ont recours à leurs services d’emballage; Aquamarine a fourni des éléments de preuve de ses contrats avec Icicle, une entreprise de conditionnement. Il n’apparaît pas clair que la perte du contrat d’Aquamarine avec Icicle est une conséquence directe des initiatives réglementaires entreprises par le ministre.

[243]       Je ne suis pas convaincue que les demandeurs, collectivement ou individuellement, ont présenté des éléments de preuve établissant, selon la prépondérance des probabilités, que la perte de leurs entreprises d’emballage était une conséquence directe d’une action du gouvernement. Cette conclusion porte un coup fatal à la revendication des demandeurs, si bien qu’il n’est pas nécessaire que j’aborde la question d’acquisition de la propriété des demandeurs par la défenderesse.

F.                  Autre réparation demandée

[244]       Comme il a été mentionné au départ, les demandeurs ont établi leur demande de redressement, conjointement à d’autres demandes de redressement. Les paragraphes 1(a)(i), 1(a)(vi) à (vii) et 1(a)(ix) à (xii) se rapportent spécifiquement aux demandeurs. Les autres paragraphes visant à obtenir d’autres déclarations ne concernent pas spécifiquement les demandeurs.

[245]       À mon avis, les autres déclarations demandées par les demandeurs vont au-delà des faits en cause dans la présente procédure. Je suis d’accord avec les observations de la défenderesse selon laquelle les tribunaux ne devraient pas faire de déclarations dans l’abstrait, c’est-à-dire en l’absence d’une question réelle et non théorique; reportez-vous à la décision Montana Band of Indians c. Canada, [1991] 2 F.C. 30.

VIII.       CONCLUSION

[246]       Comment nous l’avons décrit au début de la présente décision, les demandeurs cherchent à obtenir une déclaration de leur droit d’obtenir une indemnisation pour la perte de leurs entreprises d’emballage du poisson, dont ils affirment avoir été privés par la défenderesse dans l’exercice de ses pouvoirs, conformément à la Loi sur les pêches.

[247]       Pendant toute la durée de cette procédure, la défenderesse a fait valoir que les demandeurs soumettaient une revendication déguisée pour appropriation réglementaire, ce qui constitue une cause d’action prescrite conformément à la Loi sur la prescription de la Colombie-Britannique. Elle a également fait valoir que les demandeurs n’ont jamais déterminé les éléments d’une appropriation réglementaire.

[248]       Les arguments de la défenderesse concernant l’application de la Loi sur la prescription de la Colombie-Britannique ont été rejetés, puisque selon moi, la demande de jugement déclaratoire ne nécessite aucune cause d’action.

[249]       Pour que les demandeurs puissent établir leur droit légal d’obtenir une indemnisation pour la perte de leur propriété, ils devraient démontrer les éléments d’une appropriation réglementaire, c’est-à-dire qu’ils ont été dépossédés de leur propriété par la défenderesse, que la même propriété a été acquise par la défenderesse et que la défenderesse ne s’est pas acquittée de son obligation de verser une indemnisation. Les demandeurs étaient soumis au même fardeau de la preuve en droit civil, c’est-à-dire la prépondérance des probabilités.

[250]       Les demandeurs n’ont pu assumer le fardeau de la preuve. Ils ne sont pas parvenus à démontrer le premier élément d’une appropriation réglementaire, c’est-à-dire la saisie de leur propriété par la défenderesse.

[251]       À mon avis, il n’y a eu aucune appropriation. L’expert des demandeurs lui-même, M. Hooge, a affirmé que les entreprises ne disposaient d’aucun fond commercial ou valeur autre que la valeur de leurs navires. Les demandeurs eux-mêmes ont vendu leurs navires. Les demandeurs n’ont pas établi qu’ils avaient été privés de leurs entreprises comme conséquence directe d’une action du gouvernement.

[252]       Dans ces circonstances, il s’ensuit que les demandeurs n’ont pu démontrer que leurs propriétés ont été acquises par la défenderesse et que la défenderesse ne s’est pas acquittée de son obligation de verser une indemnisation.

[253]       Pendant toute la durée de la procédure, les demandeurs ont soutenu que leur accès à la pêche avait été réduit. Toutefois, le droit d’accès du public à la pêche n’est pas exclusif aux demandeurs; il s’agit d’un droit détenu par tous les Canadiens. De par sa nature, la pêche est une ressource commune partagée et la défenderesse doit donc tenir compte de plusieurs intérêts, dont les intérêts économiques, les droits protégés par la constitution des Premières nations et les impératifs de conservation.

[254]       La tension entre les intérêts publics et privés, y compris les intérêts économiques, existe depuis longtemps, comme cela est mentionné dans l’affaire Le procureur général de la Colombie-Britannique c. Le procureur général du Canada, précitée. Plus récemment, la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a reconnu ces tensions dans l’affaire Carpenter Fishing Corp. et al. c. Canada (2002), 174 B.C.A.C. 38, au paragraphe 10, où il est écrit que « […] Les liens des demandeurs avec l’industrie de la pêche et la Colombie-Britannique sont des intérêts partagés à titre de membres du public […] ».

[255]       En réglementant la pêche, la défenderesse agit conformément aux priorités qui changent en réponse aux diverses situations, parfois en se concentrant sur l’aspect économique de la pêche comme ressource générant un revenu, d’autres fois en soulignant les droits protégés par la constitution, tous soumis au critère de conservation. Dans l’affaire Sparrow, précitée, la Cour suprême décrit cette problématique aux pages 1114 et 1115 :

Le problème qui se pose en évaluant la mesure législative en fonction de son objectif et de la responsabilité de la Couronne, est que les efforts de conservation dans une industrie de la pêche moderne fortement exploitée se heurtent inévitablement à la répartition et à la gestion efficaces d’une ressource à la fois peu abondante et très prisée. La nature de la protection constitutionnelle qu’offre le par. 35(1) dans ce contexte commande l’existence d’un lien entre la question de la justification et l’établissement de priorités dans le domaine de la pêche. La reconnaissance et la confirmation des droits ancestraux, prévues dans la Constitution, peuvent donner lieu à des conflits avec les intérêts d’autrui étant donné la nature limitée de la ressource. […]

[256]       Le cas des demandeurs illustre la concurrence entre les intérêts publics et privés. Toutefois, en fin de compte, ils ne sont pas parvenus à démontrer leur droit à une indemnisation.

[257]       Par conséquent, cette action est rejetée.

[258]       Si les parties ne parviennent pas à s’entendre, de brèves observations sur les dépens peuvent être déposées.


JUGEMENT

LA COUR rejette cette action. Si les parties ne parviennent pas à s’entendre, de brèves observations sur les dépens peuvent être déposées.

« E. Heneghan »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

Dossier :

T-653-10

 

 

INTITULÉ :

CALWELL FISHING LTD., MELVIN GLEN CALWELL, DALE VIDULICH, GERALD WARREN, AQUAMARINE TRANSPORTATION LTD., ET GEORGE MANSON c. SA MAJESTÉ LA REINE DU CHEF DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Du 16 au 19 décembre 2013; le 21 mars 2014; le 29 septembre 2014; du 8 au 10 octobre 2014; les 12 et 13 novembre 2014; du 12 au 15 janvier 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE HENEGHAN

 

DATE DES MOTIFS :

LE 11 MARS 2016

 

COMPARUTIONS :

J. Keith Lowes

Pour les demandeurs

 

Steven Postman

Alex Semple

Pour la défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

J. Keith Lowes

Avocat

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour les demandeurs

 

William F. Pentney, c.r.

Sous-procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

 

Pour la défenderesse

 

 

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