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Date : 20160218


Dossier : IMM-3425-15

Référence : 2016 CF 225

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Toronto (Ontario), le 18 février 2016

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

ALI ASGHAR GHAMOOSHI et

LEILA SALIMIPOURBANI et

MAHDIS GHAMOOSHI représenté par

sa tutrice à l’instance

LEILA SALIMIPOURBANI et

MAHDIS GHAMOOSHI représentée par

sa tutrice à l’instance

LEILA SALIMIPOURBANI

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[7]... Il est significatif que, tout au long de l’histoire, et même de l’histoire moderne, des chrétiens de différentes dénominations, des juifs, des musulmans, des bouddhistes, des hindous et des bahaïes, par exemple, aient été tués à cause de leurs croyances sans même nécessairement avoir eu une connaissance approfondie, ni même une connaissance quelconque, de leur religion, si ce n’est qu’ils adhéraient à leur foi. Beaucoup son[t] morts pour leur foi alors que, selon les annales de l’histoire, ils ne vivaient pas en conformité avec leur foi; et pourtant, cela n’a pas empêché leur massacre. Par conséquent, il importe d’examiner les éléments de preuve en l’espèce produits par l’église précise dont il est question et les éléments de preuve additionnels qui en découlaient et qui ont été produits.

(Comme l’a expliqué le soussigné dans Oraminejad c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2011 CF 997)

[2]        Il est de l’essence même de la fonction d’un tribunal administratif d’apprécier la crédibilité du revendicateur du statut de réfugié. Un degré de déférence est donc dû envers les conclusions de fait du tribunal de première instance afin de protéger sa première fonction d’apprécier le témoignage. Dans certaines circonstances, toutefois, cette Cour se doit d’intervenir lorsqu’elle constate, à l’examen du dossier entier, que les conclusions relatives au nœud de la revendication ne sont pas fondées sur l’ensemble de la preuve qui forme en soi­même un tout par ces nuances :

[1]        Une décision ne peut pas être rendue dans un vide sans tenir compte de la personne qui se trouve devant un tribunal de première instance. À défaut de mettre en contexte tous les témoignages et les éléments de preuve, tant subjective qu’objective (éléments de preuve relatifs à la situation dans le pays), et de saisir les nuances claires qui s’assemblent pour permettre de comprendre une affaire, il se peut qu’un tribunal de première instance ait entendu une affaire mais n’ait pas nécessairement écouté […]

(Oraminejad, précité).

(El Aoudie c. MCI, 2012 CF 450, au paragraphe 2, comme indiqué par le soussigné).

II.                Introduction

[1]               Les demandeurs sollicitent un contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR) d’une décision rendue par la Section d’appel des réfugiés (SAR) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, dans laquelle la SAR a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés (SPR) selon laquelle les demandeurs n’ont pas la qualité de réfugiés au sens de la Convention, ni celle de personnes à protéger au sens des articles 96 et 97 de la LIPR. Il est également dûment noté que la présente affaire avait été déjà portée devant la SAR et que le défendeur avait accepté que la question soit réexaminée par la SAR. Il s’agit par conséquent de la deuxième décision de la SAR en ce qui concerne les demandeurs, la première décision de la SAR ayant été mise de côté pour que la question soit réexaminée selon l’accord du défendeur.

III.             Contexte

[2]               Les demandeurs, Leila Salimipourbani (35 ans) [la demanderesse principale], Ali Asghar Ghamooshi (47 ans) [ensemble, les demandeurs adultes], et leurs enfants Mahdieh Ghamooshi (14 ans) et Mahdis Ghamooshi (11 ans), sont des citoyens de l’Iran et ils se sont prétendument convertis au christianisme.

[3]               Les demandeurs prétendaient qu’en août 2012, pendant leurs vacances en famille en Grèce, ils avaient rencontré deux Iraniens convertis au christianisme, Mina et Ali. En septembre 2012, à leur retour en Iran, les demandeurs adultes, attirés par les vertus du christianisme, ont assisté à leur première réunion chrétienne chez Mina et Ali. Par la suite, les demandeurs adultes ont pris part à ces réunions tous les mois.

[4]               En mars 2013, les demandeurs sont allés à Londres, en Angleterre, pour y passer des vacances en famille. À leur retour en Iran, les demandeurs adultes prétendent avoir été détenus pendant environ huit heures; et, interrogés sur le but de leur voyage à Londres et pour établir s’ils avaient pris part à une manifestation pendant leur séjour en Angleterre.

[5]               Le 7 juillet 2013, les demandeurs se sont rendus au Canada pour y passer des vacances en famille. Le 8 août 2013, les demandeurs, qui se trouvaient toujours au Canada, ont reçu un appel de la mère de la demanderesse principale qui les a informés que leurs amis chrétiens, Mina et Ali, avaient été arrêtés lors d’une réunion tenue clandestinement dans une église; et, que le Sepah­e Pasdaran­e Enqelab­e Eslami (également connu sous le nom de Corps des gardiens de la révolution islamique) était allé chez eux et avaient saisi leur bible en farsi et leur ordinateur.

[6]               Le 9 août 2013, les demandeurs ont sollicité l’asile au Canada. En plus de se pencher sur le statut de réfugié et de formuler une demande en ce sens, les demandeurs ont commencé à fréquenter l’église au Canada après avoir déposé leurs demandes d’asile. Les demandeurs ont alors été officiellement baptisés peu de temps avant leur audience devant la SPR.

[7]               Dans une décision datée du 13 novembre 2013, la SPR a conclu que les demandeurs n’avaient pas la qualité de réfugiés au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger, la SPR n’ayant pas estimé que le récit des demandeurs était crédible; et elle a également estimé que leur comportement était incompatible avec celui de personnes qui sont véritablement converties au christianisme. La SPR a de plus rejeté leur demande sur place.

[8]               Les demandeurs ont interjeté appel de la décision de la SPR auprès de la SAR. Dans une décision datée du 10 mars 2014, la SAR a rejeté l’appel. Les demandeurs ont présenté une demande de contrôle judiciaire de cette décision (voir IMM­2617­14). Avec le consentement du défendeur, une ordonnance, en date du 30 mars 2015, a accueilli le contrôle judiciaire et l’affaire a été renvoyée à la SAR pour réexamen par un tribunal constitué différemment.

[9]               Dans une décision datée du 30 juin 2015, la SAR a maintenu la décision de la SPR selon laquelle les demandeurs n’ont ni qualité de réfugiée au sens de la Convention ni celle de personnes à protéger.

IV.             Décision contestée

[10]           À titre préliminaire, la SAR a refusé d’admettre une lettre, ainsi qu’un document d’une page, en tant que nouvelle preuve en se fondant sur la règle 29 des Règles de la Section d’appel des réfugiés, DORS/2012­257. La SAR a également rejeté la demande d’audience déposée par les demandeurs étant donné qu’elle n’avait pas accepté les éléments de preuve nouvellement admis (voir l’article 110 de la LIPR). La SAR a confirmé la décision de la SPR selon laquelle les demandeurs n’étaient pas suffisamment crédibles; et elle a jugé que leur comportement était incompatible avec celui de personnes qui sont véritablement converties au christianisme. La SAR a jugé, bien que les préoccupations de la SPR en matière de crédibilité ne puissent pas, prises individuellement, en tant que telles, constituer un fondement de refus de la protection accordée aux réfugiés, cumulativement, en raison des nombreuses préoccupations, qu’il existait un fondement suffisant pour conclure que les demandeurs ne sont pas des témoins crédibles et ne sont pas dignes de la protection du Canada.

[11]           En ce qui concerne la demande sur place faite par les demandeurs, la SAR a jugé que la SPR n’avait pas tenu compte du risque que les demandeurs soient considérés comme des apostats par les autorités iraniennes et qu’elle n’avait pas examiné la question de savoir si les autorités iraniennes avaient eu connaissance de leur conversion au christianisme. La SAR a conclu, compte tenu du manque d’authenticité de leur conversion au christianisme, que les demandeurs ne pratiqueraient pas le christianisme s’ils étaient contraints de retourner en Iran. En outre, du fait que les demandeurs ne pratiqueraient pas le christianisme à leur retour en Iran, la SAR a estimé que les demandeurs ne seraient pas perçus comme des apostats par les autorités iraniennes.

V.                Questions en litige

1.      Est­ce que la SAR a commis une erreur en confirmant les conclusions de la SPR en matière de crédibilité?

2.      Est­ce que la SAR a commis une erreur de droit en ne renvoyant pas l’affaire à la SPR ou en n’expliquant pas pourquoi elle n’avait pas renvoyé l’affaire?

VI.             Dispositions législatives

[12]           La disposition législative pertinente tirée de la LIPR est la suivante :

Décision

Decision

111 (1) La Section d’appel des réfugiés confirme la décision attaquée, casse la décision et y substitue la décision qui aurait dû être rendue ou renvoie, conformément à ses instructions, l’affaire à la Section de la protection des réfugiés.

111 (1) After considering the appeal, the Refugee Appeal Division shall make one of the following decisions:

[EN BLANC/BLANK]

(a) confirm the determination of the Refugee Protection Division;

[EN BLANC/BLANK]

(b) set aside the determination and substitute a determination that, in its opinion, should have been made; or

[EN BLANC/BLANK]

(c) refer the matter to the Refugee Protection Division for re-determination, giving the directions to the Refugee Protection Division that it considers appropriate.

VII.          Position des parties

[13]           Les demandeurs soutiennent que la SAR a commis une erreur de droit en omettant de renvoyer l’affaire à la SPR, ou en n’expliquant pas pourquoi elle ne l’avait pas fait, après avoir reconnu que la SPR n’avait pas tenu compte des risques auxquels les demandeurs seraient confrontés en tant qu’apostats. Dans un deuxième temps, la SAR a commis une erreur en confirmant les conclusions de la SPR en matière de crédibilité.

[14]           À l’inverse, le défendeur soutient que la SAR pourrait, en vertu de l’alinéa 111(1)b) de la LIPR, substituer la décision de la SPR relativement à la demande sur place; et, que la SAR a raisonnablement conclu que les demandeurs n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger. Ensuite, la SAR a raisonnablement conclu que les demandeurs n’étaient pas suffisamment crédibles.

VIII.       Norme de contrôle

[15]           La décision de la SAR de confirmer les conclusions de la SPR en matière de crédibilité et la décision de la SAR en ce qui concerne les demandes sur place doivent être examinées selon la norme du caractère raisonnable. La norme de la décision correcte s’applique à la question de savoir si la SAR pourrait substituer sa décision à celle de la SPR en ce qui concerne les demandes sur place au lieu de renvoyer l’affaire à la SPR (Li c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 840).

IX.             Analyse

A.                Conclusions relatives à la crédibilité

[16]           La SAR, selon la jurisprudence de son mandat, était censée examiner tous les éléments de preuve dans le dossier de la SPR et mener sa propre évaluation indépendante de la demande d’asile, en gardant à l’esprit qu’il y a lieu de faire preuve de retenue dans le contexte où la SPR évalue les conclusions sur la crédibilité (Huruglica c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2014 CF 799 [Huruglica]). La SAR ne l’a pas fait.

[17]           Étant donné que la SAR n’a pas procédé à un examen approfondi du dossier ou des arguments des parties, la Cour estime qu’il était raisonnable pour la SAR de confirmer les conclusions de la SPR sur la crédibilité. Bien que la SAR doive faire preuve de retenue à l’égard des conclusions de la SPR sur la crédibilité, la SAR a déraisonnablement jugé que, de façon cumulative, la SPR pouvait constater que les demandeurs étaient peu crédibles, le comportement des demandeurs étant incompatible avec celui de personnes véritablement converties au christianisme. Il peut arriver que la croyance ne soit pas définie comme une connaissance approfondie de la religion, étant donné que les adeptes d’une religion peuvent être des adhérents sans être nécessairement des spécialistes de leur religion. De la même façon, tous les adeptes ne sont pas nécessairement pieux au point d’être qualifiés de très religieux pour qu’un décideur ou un tribunal conclue que la profondeur de la croyance des demandeurs garantit l’authenticité de la croyance religieuse; pourtant, en raison des conditions qui prévalent dans certains pays, ces personnes sont néanmoins persécutées.

B.                 Demande sur place

[18]           Les demandeurs soutiennent que la SAR, ayant reconnu que la SPR n’avait pas tenu compte de manière adéquate du danger encouru par les demandeurs quant à la perception de leur christianisme (il est fait référence aux lignes directrices de la Haute Commission des Nations Unies pour les réfugiés en ce qui concerne les critères et l’interprétation de la Convention sur les réfugiés quant à la « perception » des persécuteurs, eux­mêmes, et non pas la perception des autres), dans le contexte de l’Iran et de ses autorités, dans le cadre de la preuve documentaire concernant le traitement des apostats en Iran (à titre de réflexion, on rappelle comment la croyance a été traitée par les instances inquisitoires, qu’elles soient appelées ainsi ou autrement, au cours de l’histoire). (Renvoi au dossier des demandeurs, décision de la SAR au paragraphe 45, page 16). La SAR a commis une erreur en omettant de renvoyer l’affaire à la SPR ou en n’expliquant pas pourquoi cela n’avait pas été fait dans le contexte d’un avis aux demandeurs et d’une explication des préoccupations en matière de crédibilité. L’argument des demandeurs est par conséquent accepté.

[19]           La Cour fait remarquer que, en l’espèce, la SAR disposait d’un examen sur dossier dans une affaire de conséquences potentiellement graves pour les demandeurs, tandis que le cas semble exiger la présence effective des demandeurs pour procéder à une « évaluation indépendante des demandeurs ». La SAR ne l’a pas fait. Les demandeurs n’étaient pas présents dans une affaire qui nécessitait leur présence. Par conséquent, la Cour n’estime pas que la SAR a procédé à une « évaluation indépendante des demandeurs ».

[47]      À la différence d’un contrôle judiciaire, la SAR, en vertu du paragraphe 111(1), peut substituer la décision qui « aurait dû être rendue ». Une condition préalable à l’exercice de ce pouvoir est que la SAR doit procéder à un examen indépendant de la demande afin de se faire sa propre opinion. Il n’est pas nécessaire, pour donner lieu à l’exercice de ce pouvoir réparateur, que la SAR relève une erreur dans le cadre de quelque norme de contrôle.

(Huruglica, précité, au paragraphe 47)

[20]           La Cour, en lisant l’alinéa 111(1)b) de la LIPR, a déclaré que la SAR, en soi, ne peut pas soulever une nouvelle question, non définie par la SPR, sans autre avis aux parties (Ojarikre c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 896; Jianzhu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 551 [Jianzhu]). Par conséquent, il serait raisonnable pour la SAR de trancher de façon indépendante une demande sur place lorsque la SPR n’a pas rendu de décision sur la question (Jianzhu, précité au paragraphe 12). En conséquence, compte tenu des circonstances, il incombait à la SAR de fournir un avis aux demandeurs quant aux préoccupations non divulguées de la SAR au sujet de la crédibilité des demandeurs.

[21]           En l’espèce, la SAR a en fait procédé à une évaluation sous un angle totalement différent de la question qui consiste à savoir si les demandeurs devraient se voir accorder le statut de réfugié sur la base de leur demande sur place; toutefois, cela n’aurait pas dû être fait sans la présence des demandeurs. Par conséquent, la décision de la SAR, en ce qui concerne la demande sur place, est déraisonnable étant donné que la SAR n’a pas fondé son appréciation sur l’ensemble des éléments preuve dans le cadre d’une évaluation indépendante des demandeurs. Ce fut une erreur de ne pas fournir un avis aux demandeurs; et, par conséquent, pour les demandeurs de ne pas comparaître devant la SAR dans les circonstances de l’ensemble des éléments de preuve. Dans les circonstances, la SAR n’a pas pu, en l’absence des demandeurs, vérifier le bien­fondé de ses préoccupations en matière de crédibilité sans la présence des demandeurs.

X.                Conclusion

[22]           En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie. La question doit être renvoyée à la SAR pour réexamen par un tribunal constitué différemment. Il n’y a aucune question grave de portée générale à certifier.

« Michel M.J.à Shore »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3425-15

 

INTITULÉ :

ALI ASGHAR GHAMOOSHI et LEILA SALIMIPOURBANI ET MAHDIS GHAMOOSHI représenté par sa tutrice à l’instance LEILA SALIMIPOURBANI et MAHDIEH GHAMOOSHI représentée par sa tutrice à l’instance LEILA SALIMIPOURBANI c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 18 février 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :

Le 18 février 2016

 

COMPARUTIONS :

Max Chaudhary

 

Pour les demandeurs

 

Teresa Ramnarine

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Max Chaudhary

Avocat­procureur

Toronto (Ontario)

 

Pour les demandeurs

 

William F. Pentney

Sous­procureur général du Canada

Pour le défendeur

 

 

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