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Date : 20160311


Dossier : IMM-3831-15

Référence : 2016 CF 314

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 11 mars 2016

En présence de madame la juge Strickland

ENTRE :

SURRIYA UDDIN

demanderesse

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision du 21 mai 2015 de la Section d’appel de l’immigration (SAI) de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada qui a rejeté l’appel interjeté par la demanderesse à l’encontre de la décision d’un agent d’immigration de refuser la demande de résidence permanente de l’époux de la demanderesse dans la catégorie du regroupement familial sur la base d’un refus d’autoriser, en vertu du paragraphe 52(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (L.C. 2001, ch. 27) [LIPR], le retour au Canada de l’époux de la demanderesse, Muhmmad Nasir Alvi (Alvi).

Contexte

[2]               La demanderesse est une citoyenne canadienne de 41 ans arrivée au Canada en provenance du Pakistan en 1995. Elle a deux filles nées d’un mariage précédent qui, au moment de la décision de la SAI, étaient âgées de 14 et 17 ans. Elles sont des citoyennes canadiennes et ont seulement vécu au Canada. La demanderesse a été accordée la garde exclusive des enfants, quoique son ex­mari ait conservé son droit d’accès.

[3]               Au cours de l’été 2008, la demanderesse a été présentée à Alvi par un ami commun. Ils se sont mariés en mai 2009.

[4]               Alvi est un citoyen du Pakistan âgé de 47 ans ayant une longue histoire d’immigration au Canada. Il est venu au Canada et a présenté une demande d’asile en juillet 1997. Il a soit retiré sa demande, soit il s’est désisté, et a quitté le Canada en août 1997. Cependant, puisqu’il n’a pas avisé l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC) de son départ, la mesure d’interdiction de séjour conditionnelle prise contre lui lorsqu’il a demandé l’asile est devenue une mesure d’interdiction de séjour, puis une mesure d’expulsion, et un mandat d’arrêt a été livré contre lui.

[5]               En mai 1999, Alvi a tenté d’entrer au Canada à partir des États­Unis à une frontière terrestre en Ontario. Il a été arrêté en vertu d’un mandat émis l’année précédente et a été renvoyé aux États­Unis. En août 1999, il est retourné à une frontière terrestre au Québec où il a présenté une deuxième demande d’asile. Sa demande d’asile a été examinée et rejetée en novembre 2000 selon une conclusion d’absence d’un minimum de fondement. La demande d’autorisation de contrôle judiciaire a été refusée en avril 2001 (IMM­6296­00). Alvi avait également soumis une demande d’évaluation des risques associés aux conditions dans le pays avant son départ, laquelle a été convertie en un examen des risques avant renvoi (ERAR). Cette demande a été rejetée en 2004 et le contrôle judiciaire de la décision défavorable rendue à l’issue de l’ERAR a été refusé en 2005. En avril 2006, Alvi devait être renvoyé au Pakistan, mais il ne s’est pas présenté. Un deuxième mandat d’arrêt a été livré contre lui. Une mesure de renvoi a été prise et en 2009, quelques mois après son mariage avec la demanderesse, l’ASFC a informé Alvi qu’elle exécuterait la mesure.

[6]               Alvi a acheté un billet d’avion et est retourné au Parkistan de son propre gré en juin 2010. Alvi a présenté une demande de résidence permanente basée sur la demande de parrainage conjugal présentée par la demanderesse en juillet 2010. Étant donné qu’il avait été frappé d’une mesure de renvoi auparavant, Alvi a également présenté une demande d’autorisation de retour au Canada, en vertu du paragraphe 52(1) de la LIPR. En février 2013, un agent des visas a décidé que le mariage de la demanderesse et d’Alvi était authentique. Cependant, en mars 2013, un autre agent des visas a décidé de ne pas accorder l’autorisation de retour au Canada. Cette décision a été confirmée par un deuxième agent des visas. Par conséquent, dans une décision datée du 14 mars 2013, Alvi a été jugé interdit de territoire au Canada en vertu de l’alinéa 41(a) de la LIPR, car sans une autorisation de retour au Canada, il n’est pas en mesure de se conformer au paragraphe 52(1). Par conséquent, conformément au paragraphe 11(1) de la LIPR, l’agent a refusé de délivrer un visa de résident permanent.

[7]               La demanderesse a interjeté appel devant la SAI, aux termes de l’article 63 de la LIPR. En juillet 2015, la SAI a rejeté son appel et la demanderesse a présenté cette demande aux fins de contrôle judiciaire de cette décision.

Décision faisant l’objet du contrôle

[8]               La SAI a passé en revue l’historique de l’affaire, y compris la longue histoire d’immigration d’Alvi qui est résumée en partie ci­dessus. La SAI a noté que dans la section sur les antécédents personnels de sa demande de résidence permanente, Alvi avait faussement déclaré qu’il était sans emploi à Lahore, au Pakistan, du mois de juillet jusqu’au mois d’août 1997, quand, en fait, il était au Canada pendant cette période. En outre, il n’a pas divulgué qu’il avait présenté une demande d’asile en 1997 parce que, dans sa demande de résidence permanente et pendant son entrevue au Parkistan, il a seulement fait référence à sa deuxième demande en 1999. En raison de ces deux écarts, la SAI a conclu qu’Alvi était vague et pas du tout honnête, fiable et crédible.

[9]               La SAI décrit les renseignements contenus dans le formulaire de demande d’Alvi, son témoignage et celui de la fille aînée de la demanderesse, et les événements qui ont précédé la demande, y compris les visites de la demanderesse et ses enfants à Alvi au Pakistan.

[10]           La SAI avait indiqué que le seuil pour qu’un agent des visas accorde une autorisation de retour au Canada est élevé [décision Parra Andujo c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 731]. Cependant, pour juger si la prise de mesures est justifiée, la SAI peut tenir compte des motifs d’ordre humanitaire ainsi que des motifs selon lesquels un agent des visas est tenu de tenir compte dans l’évaluation d’une demande d’autorisation de retour au Canada.

[11]           La SAI précise que les critères pour les mesures discrétionnaires sur les motifs d’ordre humanitaire établis dans l’affaire Chirwa c, Canada (Ministre de la Main­d’œuvre et de l’Immigration), (1970), 4 A.I.A. 338 [affaire Chirwa] avaient été mentionnés auparavant par la SAI. Cependant, ce mariage avec une citoyenne canadienne ne suffit pas à lui seul à justifier la prise de mesures spéciales et bien que l’alinéa 3(1)d) de la LIPR dispose que la réunification des familles est un objet de la politique, puisqu’il s’agit du fondement de toutes les demandes de parrainage, ce fondement ne suffit pas à lui seul. La SAI a souligné le fait que la demanderesse était au courant du statut d’immigrant d’Alvi lorsqu’ils se sont mariés et lorsqu’elle avait introduit Alvi dans la vie de ses filles. La SAI indique également que bien qu’un agent des visas ait déterminé que le mariage était authentique, on ne pouvait ignorer qu’Alvi était fortement motivé pour marier la demanderesse à des fins d’immigration et qu’elle devait connaître ce fait.

[12]           La SAI s’est ensuite penchée sur l’intérêt supérieur des enfants. La SAI a déclaré qu’elle avait l’impression, d’après le témoignage de la fille aînée de la demanderesse, qu’elle avait dû s’efforcer d’aider l’affaire d’Alvi tout en s’assurant de ne pas affecter sa relation et la relation de sa sœur avec leur père biologique. La SAI a conclu qu’il serait dans le meilleur intérêt des filles de rester et d’être éduquées au Canada, et d’être avec leur père biologique, leur oncle et leurs cousins. Bien que la fille aînée de la demanderesse ait décrit Alvi comme une figure paternelle pour elle et sa sœur, et bien que la SAI reconnaisse qu’il serait préférable qu’elles soient physiquement présentes avec lui au lieu de communiquer avec lui à distance et de lui rendre visite annuellement, la SAI a conclu que la demanderesse n’avait pas démontré clairement comment Alvi jouait un rôle parental important dans la vie des enfants.

[13]           Enfin, la SAI a déclaré que, étant donné l’authenticité du mariage, le fait d’être séparés entraînera d’importantes difficultés affectives pour la demanderesse et Alvi, mais que la prise de mesures spéciales nécessite plus que des difficultés psychologiques. Le fait que les enfants de la demanderesse pourraient manquer sa présence n’est pas suffisant, particulièrement puisque rien n’empêche la demanderesse de visiter Alvi au Pakistan.

[14]           La SAI a conclu qu’Alvi avait honteusement abusé du système d’immigration canadien, a résumé ses antécédents en matière d’immigration de nouveau, et a conclu que la demanderesse n’avait pas acquitté son fardeau de prouver qu’il y avait suffisamment de considérations d’ordre humanitaire pour justifier la prise de mesures spéciales.

Dispositions législatives pertinentes

Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (LIPR)

Visa et documents

Application before entering Canada

11 (1) L’étranger doit, préalablement à son entrée au Canada, demander à l’agent les visa et autres documents requis par règlement. L’agent peut les délivrer sur preuve, à la suite d’un contrôle, que l’étranger n’est pas interdit de territoire et se conforme à la présente loi.

11 (1) A foreign national must, before entering Canada, apply to an officer for a visa or for any other document required by the regulations. The visa or document may be issued if, following an examination, the officer is satisfied that the foreign national is not inadmissible and meets the requirements of this Act.

Manquement à la loi

Non-compliance with Act

41 S’agissant de l’étranger, emportent interdiction de territoire pour manquement à la présente loi tout fait — acte ou omission — commis directement ou indirectement en contravention avec la présente loi et, s’agissant du résident permanent, le manquement à l’obligation de résidence et aux conditions imposées.

41 A person is inadmissible for failing to comply with this Act

(a) in the case of a foreign national, through an act or omission which contravenes, directly or indirectly, a provision of this Act; and

Interdiction de retour

No return without prescribed authorization

52 (1) L’exécution de la mesure de renvoi emporte interdiction de revenir au Canada, sauf autorisation de l’agent ou dans les autres cas prévus par règlement.

52 (1) If a removal order has been enforced, the foreign national shall not return to Canada, unless authorized by an officer or in other prescribed circumstances.

Droit d’appel : visa

Right to appeal — visa refusal of family class

63 (1) Quiconque a déposé, conformément au règlement, une demande de parrainage au titre du regroupement familial peut interjeter appel du refus de délivrer le visa de résident permanent.

63 (1) A person who has filed in the prescribed manner an application to sponsor a foreign national as a member of the family class may appeal to the Immigration Appeal Division against a decision not to issue the foreign national a permanent resident visa.

Fondement de l’appel

Appeal allowed

67 (1) Il est fait droit à l’appel sur preuve qu’au moment où il en est disposé :

67 (1) To allow an appeal, the Immigration Appeal Division must be satisfied that, at the time that the appeal is disposed of,

a) la décision attaquée est erronée en droit, en fait ou en droit et en fait;

(a) the decision appealed is wrong in law or fact or mixed law and fact;

b) il y a eu manquement à un principe de justice naturelle;

(b) a principle of natural justice has not been observed; or

c) sauf dans le cas de l’appel du ministre, il y a — compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché — des motifs d’ordre humanitaire justifiant, vu les autres circonstances de l’affaire, la prise de mesures spéciales.

(c) other than in the case of an appeal by the Minister, taking into account the best interests of a child directly affected by the decision, sufficient humanitarian and compassionate considerations warrant special relief in light of all the circumstances of the case.

Questions en litige

[15]           La demanderesse soutient que trois questions se posent :

1)      Est­ce que la SAI a limité son pouvoir discrétionnaire de façon déraisonnable dans l’analyse des motifs d’ordre humanitaire?

2)      Est­ce que la SAI a manqué à l’équité procédurale en n’avisant pas la demanderesse que l’authenticité de son mariage était un problème malgré la conclusion antérieure de l’agent des visas selon laquelle le mariage était authentique?

3)      Est­ce que la SAI a commis une erreur dans son analyse des motifs d’ordre humanitaire en :

a.       ne tenant pas compte de tous les facteurs?

b.      ne tenant pas compte de la preuve ou en l’interprétant erronément?

[16]           Le défendeur soutient qu’il y a seulement une question à régler : celle de savoir si la SAI a commis une erreur en concluant qu’il n’y avait pas suffisamment de motifs d’ordre humanitaire pour justifier l’accueil de l’appel et la mise à l’écart du refus d’accorder l’autorisation de retour au Canada.

[17]           À mon avis, pour les motifs exposés ci­dessous, la seule question en litige est de savoir si la décision de la SAI était raisonnable.

Norme de contrôle

[18]           La demanderesse soutient que les questions d’équité procédurale devraient être contrôlées selon la norme de la décision correcte et qu’un contrôle de l’analyse des motifs d’ordre humanitaire de la SAI devrait être assujetti à la norme de la raisonnabilité. Le défendeur soutient que la norme de la décision raisonnable s’applique.

[19]           La norme de la décision a été jugée raisonnable lorsque la Cour examine une décision de la SAI de ne pas accorder la prise de mesures spéciales fondée sur des motifs d’ordre humanitaire (Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Khosa, 2009 CSC 12, au paragraphe 59 [affaire Khosa]; Nguyen­Tran c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 93, au paragraphe 8 [affaire Nguyen­Tran]; Tian c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 1148, aux paragraphes 18 et 19 [affaire Tian]). Les décisions rendues dans les affaires Khosa, Nguyen­Tran et Tian portaient toutes sur des appels interjetés contre des mesures de renvoi ou des mesures d’exclusion plutôt que contre des demandes de parrainage; cependant, comme en l’espèce, ces décisions exigeaient que la SAI examine la question de savoir si la prise de mesures spéciales était justifiée aux termes de l’alinéa 67(1)c) de la LIPR. Je souligne également que la Cour a statué que les demandes de contrôle judiciaire des décisions relatives aux autorisations de retour au Canada rendues par les agents des visas sont examinées selon la norme de la raisonnabilité (Lilla c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 568, au paragraphe 27 [affaire Lilla]; Nascimento c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 1424, au paragraphe 6).

[20]           Par conséquent, à mon avis, la norme de la décision raisonnable s’applique.

Analyse

[21]           En ce qui concerne la question de savoir si la SAI a limité son pouvoir discrétionnaire, la demanderesse se fonde sur la déclaration de la SAI selon laquelle « les absences de la demanderesse causeront d’importantes difficultés affectives... cependant, pour justifier l’octroi de mesures spéciales exige la démonstration de plus que cela. Le fait que les enfants de la demanderesse pourraient manquer sa présence n’est pas suffisant. »  La demanderesse fait valoir qu’en exerçant son pouvoir discrétionnaire, la SAI était tenue de soupeser une série de facteurs. Plus précisément, la gravité de la violation de la LIPR, le seul facteur négatif en l’espèce étant les antécédents en matière d’immigration d’Alvi, et les facteurs d’ordre humanitaire déterminants découlant de la séparation des conjoints et l’intérêt supérieur des enfants, et en l’espèce, la SAI a reconnu que cela constituait d’importantes difficultés. En dépit de cela, elle exigeait « plus », mais elle n’a pas expliqué ce qu’elle exigeait « de plus » ou la raison pour laquelle « plus » était exigé. Ainsi, la SAI a déraisonnablement limité son pouvoir discrétionnaire.

[22]           À mon avis, l’absence d’explications quant à ce qui serait requis « de plus » afin de justifier la prise de mesures spéciales en l’espèce peut être examiné dans le contexte du caractère raisonnable de la décision, selon laquelle l’approche est peut­être plus conforme au principe que la Cour devrait examiner la décision dans son ensemble et qu’elle ne devrait pas faire une chasse au trésor, phrase par phrase, à la recherche d’une erreur (Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 30 c. Pâtes & Papier Irving, Ltée, 2013 SCS 34, au paragraphe 54).

[23]           La demanderesse soutient également que la SAI a manqué aux principes de justice naturelle et d’équité. Il en est ainsi parce que bien que la SAI ait déclaré que l’authenticité du mariage n’était pas en cause, elle a ensuite tiré des conclusions voilées sur les questions n’ayant pas été portées à l’attention de la demanderesse ou d’Alvi. La demanderesse souligne que le paragraphe 4(1) du Règlement sur la protection sur l’immigration et des réfugiés (DORS/2002­227) stipule que l’étranger n’est pas considéré comme étant l’époux si le mariage visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la LIPR ou n’est pas authentique. L’agent des visas n’a pas conclu que le mariage n’avait pas été contracté à des fins d’immigration. Par conséquent, en tirant une conclusion défavorable relativement au mariage en mettant en doute le motif d’Alvi et en empêchant la demanderesse de répondre, il y a eu manquement à la justice naturelle. La demanderesse fait référence au paragraphe 44 de la décision de la SAI pour étayer cet argument.

[24]           À cet égard, je note que la SAI a déclaré ce qui suit :

[43]      L’appelante connaissait les antécédents et le statut du demandeur en matière d’immigration lorsqu’elle l’a rencontré, l’a fréquenté, l’a épousé et l’a introduit dans la vie de ses enfants. Par conséquent, elle connaissait le sort du demandeur, c’est­à­dire être renvoyé du Canada, pendant toute cette période. Elle ne peut en aucun cas prétendre être victime d’une situation qu’elle a elle­même créée.

[44]      Même si l’agent des visas était convaincu que le mariage est authentique, il est impossible de ne pas tenir compte du fait que le demandeur souhaitait fortement épouser l’appelante à des fins d’immigration, et que l’appelante devait le savoir.

[25]           À mon avis, il n’est pas évident que la SAI mettait en doute l’authenticité du mariage de la demanderesse. La SAI a déclaré que la demanderesse était au courant des antécédents en matière d’immigration d’Alvi, un fait qui est appuyé par l’affidavit de la demanderesse, et en a conclu qu’elle savait qu’il serait renvoyé du Canada. Au paragraphe 51 de ses motifs, la SAI a reconnu que l’absence d’Alvi cause d’importantes difficultés affectives pour lui et la demanderesse « étant donné que, comme l’a conclu l’agent des visas, leur mariage est authentique ». Un examen des notes du Système de traitement informatisé des dossiers d’immigration (STIDI) révèle également que le dernier agent des visas chargé de l’examen était d’accord avec la conclusion antérieure que le mariage était authentique.

[26]           Bien que je convienne avec la demanderesse que le commentaire de la SAI au paragraphe 44 donne lieu à de l’ambiguïté, en examinant la décision dans son ensemble, je ne suis pas convaincue que le commentaire est suffisant pour soutenir une conclusion que la SAI remettait en question l’authenticité du mariage et, par conséquent, a manqué à l’équité procédurale parce que la question n’avait pas été soulevée auprès de la demanderesse. Il est vrai que la SAI n’explique pas pourquoi le motif d’Alvi pour marier la demanderesse doit être examiné dans le contexte de l’appel dont elle est saisie. Cependant, cela peut aussi être abordé dans le contexte du caractère raisonnable de son analyse des motifs d’ordre humanitaire.

La décision de la SAI était­elle raisonnable?

Position du demandeur

[27]           La demanderesse fait valoir qu’en se concentrant sur les antécédents en matière d’immigration d’Alvi, la SAI n’a pas tenu compte de l’ensemble des facteurs dans son analyse des motifs d’ordre humanitaire. Elle avait l’obligation d’examiner l’ensemble de la preuve et de soupeser les facteurs opposés (affaire Lilla; Akbari c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2006 CF 1421 [affaire Akbari]). De plus, la demanderesse soutient que la SAI a mal qualifié les éléments de preuve liés à la relation des enfants avec Alvi et leur père biologique, et n’a pas tenu compte de l’historique de la seconde relation. La demanderesse fait également valoir que la SAI n’a pas tenu compte de la preuve documentaire démontrant le rôle parental d’Alvi, y compris des lettres des filles, du frère de la demanderesse, de plusieurs membres de la collectivité et des amis décrivant son rôle dans leurs vies. Elle n’avait pas non plus considéré l’apport économique d’Alvi et sa décision de ne pas compter sur l’aide gouvernementale comme un facteur positif dans l’analyse des motifs d’ordre humanitaire. Au lieu, la SAI s’est fondée sur le choix d’Alvi de travailler sans permis comme un facteur négatif dans son évaluation. Bien que ce point ait déjà été soulevé à l’audience, la SAI n’a également pas tenu compte du fait qu’Alvi n’avait pas de casier judiciaire. Le fait qu’un demandeur quitte le pays volontairement, au lieu d’être expulsé, est couramment considéré comme un facteur positif, mais la SAI n’a pas fait cela en l’espèce. La SAI n’a également pas tenu compte du manque de connaissances d’Alvi au sujet des procédures d’immigration, comme il a été démontré dans son témoignage et dans une lettre qu’il a écrite, ce qui a mené la SAI à le décrire sous un jour qui le fait sembler comme manipulateur plutôt que simplement confus.

[28]           La demanderesse fait également valoir que l’affaire Kanthasamy c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 [affaire Kanthasamy] doit être appliquée par la Cour et que la décision rendue par la SAI ne correspondait pas à la décision de la Cour suprême du Canada. Dans cette affaire, la Cour suprême a fait remarquer que les enfants méritent rarement, sinon jamais, d’être exposés à des difficultés (Hawthorne c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CAF 475) et que l’intérêt supérieur des enfants sont une considération primordiale (aux paragraphes 35 à 37).

Position du défendeur

[29]           Les observations écrites du défendeur donnent peu d’indications ou de réponse sur les observations de la demanderesse, mais elles affirment que la décision de la SAI était raisonnable. La SAI a admis que la présence physique d’Alvi serait préférable à la communication à longue distance, mais les observations n’ont pas indiqué clairement comment il jouait un rôle parental important. Cette conclusion était raisonnable, car Alvi avait vécu avec les enfants pendant moins d’un an avant qu’il est retourné au Pakistan il y a plus de cinq ans. Le défendeur soutient qu’il était loisible à la SAI de conclure que les facteurs invoqués par la demanderesse étaient insuffisants compte tenu du fait que la demanderesse était consciente du statut d’immigration d’Alvi et le défaut à plusieurs reprises d’Alvi de se conformer aux demandes des autorités d’immigration.

[30]           En outre, que la demanderesse n’a pas démontré comment la décision de la SAI ne correspondait pas à l’affaire Kanthasamy. La SAI ne s’est pas fondée sur des difficultés « inhabituelles, injustifiées ou démesurées » contre lesquelles la Cour avait formulé une mise en garde dans l’affaire Kanthasamy, elle s’est fondée sur l’affaire Chirwa, laquelle a reçu une évaluation positive de la Cour suprême. La SAI était au courant de l’âge des enfants et de leurs études, et a conclu qu’il serait dans leur meilleur intérêt d’être instruites au Canada et de connaître leur père biologique et les autres membres de leur famille. Cette évaluation était raisonnable et la demanderesse est tout simplement en désaccord avec le poids accordé à l’intérêt supérieur des enfants.

[31]           Lorsque le défendeur a comparu devant moi, ses observations établissaient essentiellement que la demanderesse sollicite simplement la réévaluation de la preuve dont disposait la SAI.

Analyse

[32]           Pour rendre une décision portant sur des motifs d’ordre humanitaire, la SAI dispose d’un vaste pouvoir discrétionnaire qui lui permet d’examiner et de soupeser les facteurs selon les nécessités des circonstances particulières de l’espèce (Ambat c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 292, au paragraphe 30). Comme la Cour l’a déclaré dans l’affaire Canada (Sécurité publique et de la Protection civile) c. Ferry, 2015 CF 1059, au paragraphe 36, il est également bien établi que les facteurs pertinents dans le cadre d’un appel interjeté devant la SAI sur le fondement de motifs d’ordre humanitaire sont ceux qui sont énoncés dans la décision Ribic c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration)(1986), [1985] DSAI no 4 (Imm App Bd), au paragraphe 14 [affaire Ribic], et qui ont été adoptés par la Cour suprême dans l’arrêt Chieu c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2002 CSC 3, aux paragraphes 40 et 41 [affaire Chieu], lequel prévoit que :

14        Chaque fois que la Commission exerce sa compétence en équité en vertu de l’alinéa 72(1)b), elle ne le fait qu’après avoir estimé que la mesure d’expulsion est valide en droit. Dans chaque cas, la Commission examine les mêmes questions générales afin de déterminer si, vu toutes les circonstances de l’espèce, l’appelant ne devrait pas être renvoyé du Canada. Ces circonstances incluent la gravité de l’infraction ou des infractions à l’origine de l’expulsion et la possibilité de réadaptation ou, de façon subsidiaire, les circonstances du manquement aux conditions d’admissibilité, qui est à l’origine de la mesure d’expulsion. La Commission examine la période passée au Canada, le degré d’établissement de l’appelant, la famille qu’il a au pays, les bouleversements que l’expulsion de l’appelant occasionnerait pour cette famille, le soutien dont bénéficie l’appelant, non seulement au sein de sa famille, mais également de la collectivité, et l’importance des difficultés que causerait à l’appelant le retour dans son pays de nationalité.

[33]           La SAI a déclaré qu’elle exerce sa compétence pour examiner les motifs d’ordre humanitaire en tenant compte des considérations pertinentes pour l’octroi de mesures spéciales. Il ne s’agit pas d’une catégorie fermée et dans l’affaire dont elle est saisie, les considérations comprenaient : savoir si la conduite d’Alvi mettait en jeu des questions d’intérêt public touchant l’intégrité du système d’immigration; savoir s’il regrettait véritablement sa conduite menant à son renvoi; savoir si la demanderesse savait ou aurait dû savoir qu’Alvi devait quitter le Canada relativement à l’origine de la relation; savoir si la demanderesse avait hébergé Alvi et, le cas échéant, pour combien de temps, en étant au courant d’une mesure de renvoi ou un mandat d’arrêt conte lui; savoir si des enfants étaient concernés et la nature de la relation; et l’intérêt supérieur des enfants.

[34]           À mon avis, la question qui se pose en l’espèce est comme l’a précisé la demanderesse, à savoir que la SAI a accordé trop d’importance au manquement antérieur d’Alvi de se conformer à la LIPR. À cet égard, je souligne qu’une grande partie de la décision est consacrée aux antécédents en matière d’immigration d’Alvi. Et bien que la SAI a déclaré qu’Alvi avait « honteusement abusé du système d’immigration canadien », il n’est pas du tout évident qu’elle a également évalué la gravité relative de son non­respect de la LIPR par rapport aux motifs d’ordre humanitaire.

[35]           Tel qu’il est indiqué dans l’affaire Lau c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1984] 1 CF 434 [affaire Lau] :

[traduction]

 4         …Ce que l’arbitre semble dire dans ce paragraphe est que même si une grande partie de la preuve présentée et un grand nombre des circonstances de l’espèce accordent du crédit au demandeur, à sa réputation commerciale et à sa crédibilité. Néanmoins, le fait qu’il a prolongé son séjour au Canada sans l’autorisation et a accepté un emploi sans l’autorisation est suffisant en soi pour avoir préséance sur les circonstances favorables au demandeur et pour compenses celles­ci, car ces deux mesures étaient suffisantes en soi pour avoir préséance sur les circonstances favorables au demandeur et pour compenser celles­ci, car ces deux mesures étaient « délibérées et volontaires » de la part du demandeur. Je ne peux accepter ce raisonnement. Je crois que dans pratiquement tous les cas de cette nature, les mesures prises par le demandeur sont délibérées et volontaires, dans le sens que le demandeur a consciemment prolongé son séjour ou a consciemment accepté un emploi sans l’autorisation. Si ces circonstances étaient, en soi, suffisantes pour donner droit à un arbitre de refuser de délivrer un avis d’interdiction de séjour, malgré l’existence de plusieurs autres circonstances favorables au demandeur, il serait alors difficile de penser à un cas où un avis d’interdiction de séjour serait délivré. Dans chaque cas, l’obligation pour la décision d’expulsion ou de départ aux termes du paragraphe 32(6) s’applique seulement après qu’un arbitre a déterminé qu’un demandeur appartient à l’une des catégories non admissibles. Par conséquent, une infraction aux dispositions de la Loi sur l’immigration de 1976 est commise dans chaque cas exigeant une décision en vertu du paragraphe 32(6). Comme il en a été fait mention plus haut, je crois que dans pratiquement tous les cas on pourrait également dire que l’acte illégal commis a lieu en raison d’un acte délibéré de la part du demandeur. Cependant, le paragraphe 32(6) ordonne à l’arbitre de tenir compte de toutes les circonstances du cas pour rendre sa décision d’expulsion ou de départ.

5          Pour les raisons décrites ci­dessus, j’ai conclu qu’en l’espèce, l’arbitre a accordé trop de poids aux circonstances de l’infraction aux dispositions de la Loi sur l’immigration de 1976. Si le législateur avait voulu que les circonstances soient des circonstances dominantes et déterminantes, il aurait donc été inutile de conférer une discrétion à l’arbitre quant au paragraphe 32(6). Ainsi, en conférant un pouvoir discrétionnaire, le législateur doit avoir voulu que l’arbitre examine l’ensemble des circonstances, et ce pouvoir discrétionnaire sous­entend que l’arbitre a le pouvoir d’accorder des avis d’interdiction de séjour lorsque toutes les circonstances le justifient, malgré le fait que des manquements à la Loi sur l’immigration de 1976 soient survenus...

[souligné dans l’original]

[36]           Dans le même ordre d’idées, dans la décision Akbari, où la demanderesse avait également une longue histoire d’immigration, la Cour a statué qu’il faut prendre en considération la totalité des faits et circonstances présentés. Dans cette affaire, l’agent des visas avait mis l’accent sur les antécédents d’immigration de la demanderesse et il n’y avait aucune indication qu’il avait tenu compte des faits et circonstances présentés, plus précisément, que la demanderesse avait quitté le Canada de son plein gré, qu’elle et son mari ne pouvaient se retrouver en Amérique du Nord ni ailleurs et qu’elle n’était pas interdite de territoire pour motif de criminalité.

[37]           Dans la présente affaire, la SAI a tenu compte de certains motifs d’ordre humanitaire. L’un de ces motifs était l’emploi d’Alvi pendant qu’il était au Canada. D’après son témoignage, il a travaillé sans interruption chez Pizza Hut de 2000 à 2010. Bien que la SAI n’en fasse pas mention, le dossier renfermait une lettre du propriétaire et exploitant de la succursale Pizza Hut où Alvi avait travaillé. Elle indique qu’Alvi était le directeur général et un employé apprécié, et les deux sont devenus de bons amis. Elle faisait également état de la relation d’Alvi avec son épouse et ses enfants. La SAI n’a pas jugé cet emploi comme un facteur positif, affirmant que bien qu’Alvi avait « insisté pour dire qu’il n’avait jamais recouru à l’aide sociale, comme s’il s’agissait d’une source de fierté, alors qu’il lui était interdit pour une bonne partie de cette période de se trouver et de travailler au Canada ». Même s’il est vrai qu’à partir d’au moins 2006 Alvi travaillait sans autorisation, la SAI était tenue de pondérer les aspects positifs de son emploi par rapport aux aspects négatifs dans l’appréciation de la preuve. Elle a plutôt mis l’accent sur les aspects liés à l’immigration de son emploi, à l’exclusion des autres facteurs.

[38]           La SAI a aussi considéré qu’Alvi avait quitté le Canada volontairement, mais encore une fois, elle n’a pas considéré que cela constituait un facteur positif en indiquant qu’ « il était fier d’annoncer qu’il avait acheté son propre billet pour le Pakistan et il a soutenu que ses actions justifiaient la prise de mesures spéciales ». La SAI a vu d’un mauvais œil qu’Alvi n’avait pas mentionné, entre autres, que s’il n’avait pas payé son voyage obligatoire pour retourner au Pakistan, il aurait alors eu à rembourser le Canada s’il avait été accordé un visa de résident permanent. La signification de cela n’est pas claire, étant donné qu’il aurait payé le billet de toute façon. Encore une fois, il n’était pas tenu compte des aspects positifs de cet élément de preuve.

[39]           La SAI se concentrait sur le fait que la demanderesse était au courant des antécédents en matière d’immigration d’Alvi avant leur mariage. La preuve de la demanderesse était qu’Alvi lui avait divulgué ses antécédents en matière d’immigration avant de se marier et qu’elle avait obtenu un avis juridique à ce moment­là. Leur plan avait été de faire les préparatifs nécessaires, qu’Alvi se présente ensuite à l’ASFC, quitte le Canada et retourne ensuite grâce à son parrainage conjugal. La SAI a fait remarquer qu’il n’avait pas été expliqué pourquoi, en connaissant ses antécédents en matière d’immigration, la demanderesse a entamé une relation avec Alvi, surtout lorsqu’elle avait la garde de ses deux enfants. Le raisonnement qui sous­tend ce commentaire n’est pas clair, mais, à mon avis, il met encore l’accent sur les antécédents en matière d’immigration d’Alvi. Dans la mesure où il laisse entendre que la demanderesse a pris le risque connu d’une séparation, il n’est pas clair pourquoi cela serait un motif d’ordre humanitaire, car la demanderesse n’avait pas hébergé Alvi compte tenu d’une ordonnance de renvoi. De plus, puisqu’il avait été déterminé que le mariage était authentique, il n’est pas clair comment la connaissance qu’avait la demanderesse des antécédents en matière d’immigration d’Alvi est pertinente pour déterminer s’il y avait suffisamment de considérations d’ordre humanitaire pour justifier la prise de mesures spéciales, conformément à l’alinéa 67(1)c) de la LIPR. Sauf en disant que la demanderesse ne pouvait pas « en aucun cas prétendre être victime d’une situation qu’elle a elle­même créée », la SAI n’explique pas la pertinence de cette considération dans sa conclusion.

[40]           La demanderesse souligne que dans la lettre présentée à la SAI, Alvi avait exprimé des remords pour ses actes et a également exprimé des remords durant l’audience. De plus, Alvi n’a pas commis d’actes criminels (Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] ACF No 380, au paragraphe 15), pourtant il n’y avait aucune indication que ces facteurs avaient été pris en considération ou pondérés par la SAI pour en arriver à sa décision. Le défendeur soutient que l’absence d’activités criminelles ne doit pas être considérée comme un facteur positif, puisqu’il s’agit d’une norme sociale attendue de tous les Canadiens. Toutefois, je ferais remarquer que la jurisprudence exige une évaluation de la gravité relative des infractions (affaires Ribic, Chieu, Lau), et, puisque les activités criminelles sont souvent considérées comme un facteur qui jouait contre les demandeurs, il semblerait que l’absence d’activités criminelles pourrait justifier la considération favorable dans l’évaluation de la gravité des violations de la LIPR par la demanderesse en l’espèce.

[41]           Il y avait également plusieurs lettres d’appui dans le dossier soumis à la SAI. Ces lettres provenaient des filles de la demanderesse, du frère de la demanderesse, du frère d’Alvi, de son voisin, de son employeur et d’autres personnes et chacune d’entre elles portait sur la relation entre lui et la demanderesse et ses enfants, le soutien qu’il reçoit au Canada et son degré d’établissement. Cependant, la SAI n’a pas fait état de ces facteurs dans sa décision.

[42]           Puisque la SAI n’a pas tenu compte de l’intérêt supérieur des enfants comme un motif d’ordre humanitaire, son analyse était viciée. Par exemple, la SAI a conclu que « mise à part une vague mention que les enfants de l’appelante parlaient de leurs problèmes avec le demandeur et jouaient avec lui, il n’a toutefois pas été expliqué clairement comment le demandeur a joué un rôle parental important dans la vie de ces enfants ». Cette conclusion n’est pas étayée par le dossier. Dans sa lettre, la plus jeune fille de la demanderesse a déclaré qu’Alvi avait toujours traité les filles comme ses propres enfants, leur a donné beaucoup d’amour et d’affection, les aidait avec leurs devoirs, préparait des repas, venait la chercher de l’école pour l’accompagner chez le médecin, l’a aidé à conduire sa première bicyclette à deux roues pour la première fois, et les emmenait à des endroits.

[43]           La fille aînée a également rédigé une lettre et elle a témoigné devant la SAI. Son témoignage était qu’Alvi accordait une plus grande attention à elle et qu’elle avait une relation plus solide avec lui qu’avec son père biologique, qu’il était sa figure paternelle, que lorsqu’elle doit discuter avec quelqu’un, elle discute avec Alvi et qu’il est très aimant, et prend soin d’elle, de sa sœur et sa mère. En ce qui concerne le témoignage de la fille aînée, après examen de la transcription de l’audience, je suis d’avis que la SAI a mal interprété son témoignage concernant ses relations avec son père biologique et Alvi. Lorsqu’il est comparu devant moi, le défendeur a reconnu que cela était le cas. Par conséquent, point n’est besoin d’ajouter quoi que ce soit sur ce point autre que cette mauvaise interprétation a eu une incidence sur l’analyse de l’intérêt supérieur des enfants.

[44]           Les autres lettres d’appui présentées à la SAI attestent de façon similaire le rôle d’Alvi dans la vie des enfants et de la demanderesse; cependant, comme précité, elles n’ont pas été mentionnées par la SAI dans sa décision.

[45]           À mon avis, cette preuve n’avait pas un caractère vague et il n’est pas clair ce qui serait requis de plus, au­delà de la preuve soumise par la demanderesse, pour démontrer qu’Alvi « a joué un rôle parental important ».

[46]           En ce qui concerne l’application de la décision de la Cour suprême dans l’arrêt Kanthasamy, elle portait sur l’article 25 de la LIPR lequel permet l’octroi de la résidence permanente, dans les circonstances spécifiées, lorsque le ministre estime que « des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché ». Dans cette affaire, la Cour suprême a statué que ce qui justifie la prise de mesures va évidemment varier selon les faits et le contexte de chaque dossier, mais l’agent appelé à se prononcer sur l’existence de considérations d’ordre humanitaire « doit véritablement examiner tous les faits et les facteurs pertinents portés à sa connaissance et leur accorder du poids, affaire Baker, aux paragraphes 74 et 75 ». La Cour a également conclu qu’une décision en vertu du paragraphe 25(1) sera jugée déraisonnable lorsque l’intérêt supérieur de l’enfant qu’elle touche n’est pas suffisamment pris en compte (au paragraphe 39) et que lorsque « la loi exige expressément la prise en compte de l’intérêt supérieur de l’enfant “directement touché”, cet intérêt représente une considération singulièrement importante dans l’analyse » (au paragraphe 40).

[47]           En l’espèce, la SAI était tenue, en vertu de l’alinéa 67(1)c) de la LIPR, de tenir compte « de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché » au moment de déterminer s’il y avait suffisamment de considérations d’ordre humanitaire pour justifier la prise de mesures spéciale à la lumière de l’ensemble des circonstances de l’espèce. Ainsi, les conclusions tirées dans l’arrêt Kanthasamy s’appliquent du moins dans la mesure où la SAI était requise d’examiner et de soupeser l’ensemble des facteurs pertinents à son analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant et de leur accorder une considération importante. À mon avis, pour les motifs susmentionnés, la SAI ne l’a pas fait dans ce cas et, pour cette raison, son analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant n’était pas raisonnable.

[48]           Je souligne finalement que bien que la SAI ne mentionne pas l’ensemble des éléments de preuve qui lui ont été présentés en ce qui concerne l’incidence de la séparation sur la demanderesse et Alvi, elle a déclaré qu’elle reconnaissait que l’absence d’Alvi entraînerait d’importantes difficultés affectives pour lui et la demanderesse compte tenu de la conclusion de l’agent des visas que le mariage est authentique. Cependant, tout en reconnaissant les importantes difficultés affectives, les motifs de la SAI rejettent l’incidence de la séparation, car la demanderesse et Alvi ont pris le risque d’entamer la relation en connaissant les antécédents en matière d’immigration d’Alvi.

[49]           Le guide opérationnel « OP 1 Procédures » du 10 mai 2013 de Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) porte sur les demandes d’autorisation de retour au Canada et il indique qu’un demandeur doit démontrer qu’il existe des motifs impérieux pour que sa demande soit considérée, qui peuvent être mis en balance avec les circonstances qui ont nécessité la prise d’une mesure de renvoi. En tenant compte des facteurs à considérer, le guide opérationnel prévoit qu’un mariage de bonne foi est un exemple de facteur qui constitue normalement un « motif impérieux » de retour au Canada. Quoiqu’elle ne soit pas nécessairement décisive dans une évaluation des motifs d’ordre humanitaire, la séparation des conjoints mariés est une question sérieuse ayant de graves conséquences qui exige un examen (Rezagh Sarab c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 969, aux paragraphes 3 à 7). Vu la conclusion que ce mariage était authentique et que la séparation entraîne d’importantes difficultés affectives, je suis d’avis que la SAI aurait dû expliquer pourquoi il ne s’agissait pas d’un motif impérieux pour accueillir l’appel en l’espèce.

[50]           En conclusion, en lisant la décision dans son ensemble, la SAI s’était principalement concentrée sur les antécédents en matière d’immigration d’Alvi et il n’y a pas d’explication claire de la raison pour laquelle ce facteur, le seul facteur négatif de l’analyse, l’a emporté sur les autres motifs d’ordre humanitaire ayant été abordés, y compris le mariage de bonne foi. De plus, d’autres facteurs et éléments de preuve n’ont pas été abordés et, par conséquent, n’ont pas été soupesés par la SAI. Et, finalement, la SAI a commis une erreur dans son analyse de l’intérêt supérieur de l’enfant.

[51]           Le rôle de la Cour consiste à réviser la décision afin de déterminer si elle était justifiée, transparente et intelligible, ou s’il existe un motif raisonnable pour les conclusions (Dunsmuir c. Nouveau­Brunswick, 2008 CSC 9, au paragraphe 47). À mon avis, pour les motifs susmentionnés, les motifs de la SAI manquent de justification et de transparence, et la décision est déraisonnable.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de la SAI est annulée et l’affaire est renvoyée à un autre agent pour nouvel examen;

2.      Aucune question de portée générale n’est proposée par les parties et aucune n’est soulevée;

3.      Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Cecily Y. Strickland »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3831-15

 

INTITULÉ :

SURRIYA UDDIN c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 2 mars 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE STRICKLAND

 

DATE DES MOTIFS :

Le 11 mars 2016

 

COMPARUTIONS :

Krassina Kostadinov

 

Pour la demanderesse

 

Laoura Christodoulides

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Krassina Kostadinov

Avocate­procureure

Toronto (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

William F. Pentney

Sous­procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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