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Date : 20160309


Dossier : T-1508-14

Référence : 2016 CF 300

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 9 mars 2016

En présence de monsieur le juge Russell

ENTRE :

DANILO MAALA ALMACÉN

demandeur

(appelant)

et

SA MAJESTÉ LA REINE

défenderesse

(intimée)

ORDONNANCE ET MOTIFS

I.                   INTRODUCTION

[1]               Il s’agit d’une requête présentée par l’appelant (le demandeur), conformément à la règle 51 des Règles de la Cour fédérale, DORS/98­106 [Règles], une ordonnance annulant l’ordonnance et les motifs du protonotaire Aalto, datée du 10 août 2015 [décision], qui a radié la déclaration modifiée de l’appelant du 23 septembre 2014 [demande].

II.                CONTEXTE

[2]               L’appelant est un ressortissant philippin mâle qui est marié à une femme vivant aux Philippines. En 2005, l’appelant résidait à Doha, au Qatar, où il a travaillé dans un magasin de vêtements. Cette même année, il a rencontré et s’est engagé dans une relation amoureuse avec M. Tim Leahy.

[3]               En août 2009, l’appelant revient du Qatar aux Philippines pour exploiter un cybercafé qu’il avait ouvert en janvier 2009 avec son partenaire d’affaires, dont il a ensuite racheté les parts en avril 2010. À un certain moment après cela, M. Leahy a fait des arrangements pour que l’appelant s’installe à Edmonton pour travailler en tant que directeur adjoint dans un restaurant chinois. L’appelant a vendu son entreprise aux Philippines et s’est installé au Canada.

[4]               Après la fermeture du restaurant chinois à Edmonton, l’appelant a déménagé à Toronto en janvier 2013 pour vivre avec M. Leahy qui l’a soutenu financièrement depuis cette époque.

[5]               En octobre 2013, l’appelant a présenté une demande d’établissement au Canada pour considération d’ordre humanitaire [CH] fondée sur sa relation homosexuelle en vertu de l’article 25 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2011, ch. 27 [LIPR]. L’appelant allègue qu’une demande pour considération d’ordre humanitaire était la seule option disponible pour lui, car il n’était pas admissible à un parrainage en tant que conjoint de fait, compte tenu de son mariage aux Philippines et de la durée de sa relation avec M. Leahy.

[6]               Le 10 février 2014, la demande pour considération d’ordre humanitaire de l’appelant a été rejetée. Le 28 octobre 2014, le juge Shore a refusé l’autorisation de demander un contrôle judiciaire de la décision pour considération d’ordre humanitaire (IMM­883­13). Une requête subséquente de réexamen de ce refus a été rejetée le 27 janvier 2015.

A.                La déclaration

[7]               L’appelant a entrepris une poursuite pour tort contemporain à l’encontre de Sa Majesté faisant valoir plusieurs causes d’action à l’encontre de l’agent qui a pris la décision de rejeter la demande pour considération d’ordre humanitaire [l’agent], y compris des allégations selon lesquelles l’agent a commis les actes suivants pour faire en sorte que la décision soit négative :

(1)     Il a sciemment mal appliqué le droit relatif à l’article 25 de la LIPR;

(2)     Il a délibérément énoncé les faits suivants d’une façon erronée :

(a)   L’[appelant] était au Canada sans statut légal;

(b)   L’[appelant] n’avait pas résidé aux Philippines au cours des 40 derniers mois;

(c)   M. Leahy pourrait parrainer l’[appelant] pour immigrer au Canada (ce qui est faux, puisque le demandeur est marié à une femme des Philippines et que le divorce n’est pas légal aux Philippines).

(3)     Il a sciemment choisi de ne pas donner de raisonnement clairement exposé ayant trait aux facteurs de l’[appelant] et à leur application;

(4)     Il a sciemment choisi de ne pas prendre la seule décision raisonnable dans les circonstances, une décision positive, afin d’entraîner une conclusion défavorable;

(5)     Il a fait preuve de discrimination à l’égard de l’[appelant] et de son partenaire en raison de leur orientation sexuelle afin d’entraîner une conclusion défavorable;

(6)     Il a sciemment fait fi l’alinéa 3(1)(d) de la LIPR afin d’entraîner une conclusion défavorable.

[8]               La déclaration invoque également que l’agent a commis un abus de pouvoir et a outrepassé ses pouvoirs en informant l’Agence des Services frontaliers Canada [ASFC] de sa décision défavorable dans le but de préparer le renvoi de l’appelant du Canada, ce qui va au­delà de son mandat et de son pouvoir et viole la Loi sur la protection des renseignements personnels, L.R.C. 1985, ch. P­21.

[9]               Des allégations supplémentaires dans la déclaration font valoir que : l’agent :

­   s’est livré à des abus de pouvoir comme historiquement stipulé et énoncé par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Roncarelli c. Duplessis, [1959] SCR 121;

­   a commis un abus de la procédure selon la common law et l’article 7 de la Charte comme énoncé, entre autres, par la Cour suprême dans États­Unis d’Amérique c. Cobb, [2001] 1 RCS 587;

­   a violé le droit constitutionnel de l’[appelant] à la primauté du droit et du constitutionnalisme ainsi que ses droits en vertu des articles 7 et 15 de la Charte en faisant peser sur sa propre vie, liberté et sécurité en tant que personne la menace d’expulsion, fondée sur l’orientation sexuelle; cette conduite délictueuse a causé les préjudices figurant dans la déclaration.

[10]           L’appelant réclame des dommages­intérêts pour perte de salaire, souffrance mentale et détresse résultant des causes d’action suivantes :

(1)        violation par la Couronne des articles 7 et 15 de la Charte;

(2)        responsabilité délictueuse d’abus de pouvoir;

(3)        responsabilité délictueuse d’abus de procédure;

(4)        délit de faute dans l’exercice d’une charge publique;

(5)        négligence.

[11]           La déclaration conclut en soutenant que l’appelant provoquera une contestation constitutionnelle par voie de requête en radiation de l’article 49 de la Loi sur les cours fédérales, L.R.C., 1985, ch. F­7, qui exclut les procès devant jury et viole ainsi les impératifs constitutionnels de la primauté du droit, du constitutionnalisme et le droit au procès avec jury établi dans la Grande Charte et dans l’alinéa 11(f) et l’article 7 de la Charte, ainsi que dans la clause résiduelle de l’article 7 de la Charte en contexte civil.

[12]           En réponse, l’intimée a présenté une requête en radiation de la déclaration au motif qu’elle ne révèle aucune cause d’action raisonnable et qu’elle constitue un abus de la procédure de la Cour.

III.             DÉCISION FAISANT L’OBJET DU CONTRÔLE

[13]           Le 10 août 2015, le protonotaire Aalto a accueilli la requête de l’intimée et a radié la déclaration dans son intégralité, sans autorisation de la modifier.

[14]           La décision a appliqué les critères juridiques suivants, respectivement, afin d’examiner les questions entourant la radiation d’un acte de procédure conformément à la règle 221 des Règles, le délit de faute dans l’exercice d’une charge publique et si Sa Majesté était assujettie à une obligation de diligence envers le demandeur au titre du délit de négligence : (1) s’il est clair et manifeste d’après les faits allégués que l’instance ne saurait aboutir : Sivak c. Canada, 2012 CF 272 [Sivak]; R. c. Imperial Tobacco Canada Ltée, 2011 CSC 42 [Imperial Tobacco]; (2) si la cause d’action nécessite une conduite délibérée et illégale susceptible de nuire au demandeur : Odhavji c. Woodhouse, [2003] 3 CSC 263 [Odhavji]; et (3) si les faits allégués révèlent une relation de proximité entre le demandeur et la défenderesse par laquelle l’omission de faire preuve de diligence raisonnable pourrait vraisemblablement causer des pertes ou nuire au demandeur; et si c’est le cas, s’il y a des considérations de principe qui l’emportent sur la reconnaissance d’une obligation de diligence : Cooper c. Hobart, 2001 CSC 79.

[15]           La décision a impliqué un examen exhaustif des présentations de l’appelant et de l’intimée sur la requête avant d’amorcer l’analyse de la faute, de la négligence et des divers autres délits que l’appelant allègue avoir été commis par l’agent.

[16]           Les divers délits allégués par l’appelant comprenaient les délits d’abus de procédure et d’abus de pouvoir, et les arguments relatifs à la Charte. Le protonotaire Aalto a fait remarquer que l’appelant a passé peu de temps à justifier ces arguments et était d’accord avec l’intimée que la déclaration ne révélait aucune cause d’action raisonnable en ce qui concerne ces délits. Plus précisément, en ce qui concerne le délit d’abus de procédure, le protonotaire a conclu que l’arrêt États­Unis d’Amérique c. Cobb, [2001] 1 RCS 587 [Cobb] n’était pas favorable à l’argument de l’appelant selon lequel il y avait responsabilité délictueuse. Examinant ensuite le délit d’abus de pouvoir, le protonotaire s’est fondé sur les jugements Odhavji, précité,et Roncarelli v Duplessis, [1959] SCR 121 [Roncarelli]. Enfin, en ce qui concerne les arguments de l’appelant sur la Charte, le protonotaire a noté que ces décisions ne doivent pas être rendues dans un vide « factuel » : Mackay c. Manitoba, [1989] 2 RCS 357 (CSC). Le protonotaire a jugé qu’aucune de ces trois allégations délictueuses ne se justifiait et n’était fondée; au vu de la preuve, elles constituaient simplement des conclusions non appuyées par des faits. À ce titre, elles ont été radiées.

[17]           Le protonotaire a ensuite examiné le droit relatif à la faute dans l’exercice d’une charge publique, faisant observer que, selon Odjavji, précité, il faut deux éléments fondamentaux pour établir la responsabilité délictueuse : (1) un mandataire de Sa Majesté a­t­il délibérément fait preuve d’une conduite illégale en tant que fonctionnaire; et (2) le fonctionnaire était­il conscient que sa conduite était illégale et susceptible de causer un préjudice au demandeur? Le protonotaire a conclu que, même si toutes les allégations étaient vraies, aucun fait essentiel allégué ne suggère que l’agent a outrepassé les limites de son pouvoir et qui pourrait donner lieu à une cause d’action. Le protonotaire a fait valoir que le demandeur n’a aucun droit de recevoir une décision favorable à sa demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Cette décision demeure essentiellement discrétionnaire. Les allégations de la déclaration concernant ce délit ont également été radiées.

[18]           Enfin, en ce qui concerne les allégations de négligence, le protonotaire a conclu qu’il n’y avait aucun élément de preuve factuelle pour étayer, en droit privé, de devoir de diligence. Le critère Anns, tel qu’énoncé par la Cour suprême du Canada, suppose un lien de proximité suffisamment étroit entre Sa Majesté et le demandeur révélant un préjudice raisonnablement prévisible pour donner naissance à une obligation de diligence. Imperial Tobacco, précité, au paragraphe 49; Anns c. Merton London Borough Council, [1978] A.C. 728 [Anns]. Le protonotaire a conclu que, même si une telle obligation existait, la cause d’action pour négligence aurait été annulée par des considérations de principe résiduelles. Le protonotaire Aalto a indiqué qu’imposer une obligation de diligence pour l’omission de rendre une décision pour considération d’ordre humanitaire favorable pourrait créer une responsabilité indéterminée pour toutes les demandes pour considération d’ordre humanitaire rejetées. Les allégations de la déclaration liées à la négligence ont également été radiées.

[19]           Le protonotaire a ensuite conclu que si son analyse se rapportant à la faute et à la négligence était incorrecte, la déclaration doit quand même être rejetée au motif qu’elle constitue une contestation incidente de la décision du juge Shore dans IMM­883­14, et un abus de la procédure de la Cour. La déclaration constitue une tentative de remettre en litige la raisonnabilité de la décision pour considération d’ordre humanitaire pour la quatrième fois, alors que l’affaire a déjà fait l’objet d’une décision par les instances d’immigration qui ont rejeté l’autorisation de contrôle judiciaire, et ont refusé de réexaminer l’affaire.

IV.             DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[20]           Les dispositions suivantes de la Loi sur l’Immigration et la Protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 [LIPR] sont applicables à la présente instance :

Objet en matière d’immigration

Objectives – immigration

3 (1) En matière d’immigration, la présente loi a pour objet :

3 (1) The objectives of this Act with respect to immigration are

(d) de veiller à la réunification des familles au Canada;

(d) to see that families are reunited in Canada;

Séjour pour motif d’ordre humanitaire à la demande de l’étranger

Humanitarian and compassionate considerations

25 (1) Sous réserve du paragraphe (1.2), le ministre doit, sur demande d’un étranger se trouvant au Canada qui demande le statut de résident permanent et qui soit est interdit de territoire — sauf si c’est en raison d’un cas visé aux articles 34, 35 ou 37 —, soit ne se conforme pas à la présente loi, et peut, sur demande d’un étranger se trouvant hors du Canada — sauf s’il est interdit de territoire au titre des articles 34, 35 ou 37 — qui demande un visa de résident permanent, étudier le cas de cet étranger; il peut lui octroyer le statut de résident permanent ou lever tout ou partie des critères et obligations applicables, s’il estime que des considérations d’ordre humanitaire relatives à l’étranger le justifient, compte tenu de l’intérêt supérieur de l’enfant directement touché.

25 (1) Subject to subsection (1.2), the Minister must, on request of a foreign national in Canada who applies for permanent resident status and who is inadmissible — other than under section 34, 35 or 37 — or who does not meet the requirements of this Act, and may, on request of a foreign national outside Canada — other than a foreign national who is inadmissible under section 34, 35 or 37 — who applies for a permanent resident visa, examine the circumstances concerning the foreign national and may grant the foreign national permanent resident status or an exemption from any applicable criteria or obligations of this Act if the Minister is of the opinion that it is justified by humanitarian and compassionate considerations relating to the foreign national, taking into account the best interests of a child directly affected.

[21]           Les dispositions suivantes des Règles sont applicables en l’espèce :

Appel

Appeal

51 (1) L’ordonnance du protonotaire peut être portée en appel par voie de requête présentée à un juge de la Cour fédérale.

51 (1) An order of a prothonotary may be appealed by a motion to a judge of the Federal Court.

Requête en radiation

Motion to strike

221 (1) À tout moment, la Cour peut, sur requête, ordonner la radiation de tout ou partie d’un acte de procédure, avec ou sans autorisation de le modifier, au motif, selon le cas :

221 (1) On motion, the Court may, at any time, order that a pleading, or anything contained therein, be struck out, with or without leave to amend, on the ground that it

(a) qu’il ne révèle aucune cause d’action ou de défense valable;

(a) discloses no reasonable cause of action or defence, as the case may be,

(b) qu’il n’est pas pertinent ou qu’il est redondant;

(b) is immaterial or redundant,

(c) qu’il est scandaleux, frivole ou vexatoire;

(c) is scandalous, frivolous or vexatious,

(d) qu’il risque de nuire à l’instruction équitable de l’action ou de la retarder;

(d) may prejudice or delay the fair trial of the action,

(e) qu’il diverge d’un acte de procédure antérieur;

(e) constitutes a departure from a previous pleading, or

(f) qu’il constitue autrement un abus de procédure.

(f) is otherwise an abuse of the process of the Court,

Elle peut aussi ordonner que l’action soit rejetée ou qu’un jugement soit enregistré en conséquence.

and may order the action be dismissed or judgment entered accordingly.

V.                QUESTIONS EN LITIGE

[22]           L’appelant avance que ce qui suit est en litige dans la présente instance :

1.      Si le protonotaire a mal appliqué le critère en matière de requêtes en radiation et usurpé la fonction du juge qui procède à l’instruction en rendant un jugement sur le fond sans un procès;

2.      Si le protonotaire a erré en droit en radiant sa déclaration.

VI.             ARGUMENT

A.                Appelant

(1)               Requête en radiation

[23]           Le critère applicable à une requête en radiation est difficile à satisfaire; un tel événement ne devrait se produire que dans des cas où l’acte de procédure est « incontestablement vicié ». L’appelant soutient que le protonotaire a mal appliqué le critère applicable à une requête en radiation : Nelles c. Ontario, (1989) 60 DLR (4th) 609 (CSC); Dumont c. Canada (Procureur général) [1990] 1 R.C.S. 279; Hunt c. Carey Canada Inc, [1990] 2 R.C.S. 959. L’appelant pointe vers la jurisprudence pour les autres principes directeurs, en soulignant qu’une déclaration ne devrait pas être radiée du seul fait qu’elle est inédite (Nash c. Ontario (1995), 27 OR (3d) (C.A.), et que l’intimée doit produire une décision qui porte directement sur la même question et qui émane de la même province ou territoire (Dalex Co c. Schwartz Levitsky Feldman (1994), 19 OR (3d) 463 (Div. gén.)), et que la Cour devrait être généreuse et permettre la modification des actes de procédure avant de les radier (Grant c. Cormier (2001), 56 OR (3d) 215 (CA Ontario)).

[24]           L’appelant soutient que la décision a mal examiné le critère applicable à une requête en radiation. Le protonotaire a plutôt décidé du cas en se fondant sur les actes de procédure, sans procès, usurpant la fonction du juge qui procède à l’instruction. Le protonotaire a fait fi des faits allégués et a refaçonné d’autres faits allégués en tant que conclusions non appuyées par des faits afin de rejeter les faits sur le fond, plutôt que de les tenir pour avérés, comme l’exige la jurisprudence : Canada (Procureur général) c. Inuit Tapirisat of Canada, [1980] 2 RCS 735.

(2)               Erreurs de droit

[25]           L’appelant soutient en outre que le protonotaire a manifestement erré en statuant que la déclaration a été rejetée au motif qu’elle constitue une contestation incidente. Une « contestation incidente » peut seulement être utilisée comme défense dans un procès et ne constitue pas un fondement pour remettre en question une juridiction ou radier une déclaration. L’appelant affirme que la Cour suprême a, à maintes reprises, précisé que, qu’une demande de contrôle judiciaire ait été présentée ou non, un demandeur conserve le droit d’engager une action sans soulever la question juridictionnelle de la contestation incidente : Canada (Procureur général) c. TeleZone Inc, 2010 CSC 62 [TeleZone]; Canada (Procureur général) c. McArthur, 2010 CSC 63; Parrish & Heimbecker Ltd c. Canada (Agriculture et Agroalimentaire), 2010 CSC 64 [Parrish].

[26]           En ce qui concerne les délits d’abus de pouvoir et de faute dans l’exercice d’une charge publique, l’appelant souligne les paragraphes 12, 13 et 15 de la décision et soutient que le protonotaire a commis une erreur en concluant que les faits pertinents n’ont pas été plaidés. En outre, l’appelant allègue que le protonotaire a outrepassé sa compétence lorsqu’il a tiré des conclusions de fait dans l’abstrait et a statué que la détermination d’une demande pour considération d’ordre humanitaire est intrinsèquement discrétionnaire : Rudder c. Canada, 2009 CF 689, paragraphe 37 [Rudder]; Lemus c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CAF 114, paragraphe 38 [Lemus].

[27]           En ce qui concerne la négligence, l’appelant soutient que, contrairement aux conclusions du protonotaire, Sa Majesté a, envers les demandeurs, l’obligation de traiter leurs demandes : Liang c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2012 CF 758, au paragraphe 25; Dragan c. Canada, [2003] ACF No 260, au paragraphe 45.

[28]           L’appelant soutient également que le protonotaire Aalto a erré en indiquant qu’ [traduction] « qu’imposer une obligation de diligence pour l’omission de rendre une décision pour considération d’ordre humanitaire favorable pourrait créer une responsabilité indéterminée pour toutes les demandes pour considération d’ordre humanitaire rejetées. Les demandes pour considération d’ordre humanitaire sont de nature discrétionnaire et sont fondées sur des faits ».

[29]           L’appelant soutient que le protonotaire a également outrepassé sa compétence en généralisant de façon excessive sa déclaration en jugeant qu’il alléguait que toutes les demandes pour considération d’ordre humanitaire devaient recevoir une décision favorable. L’appelant affirme que ce n’est pas le cas et qu’en se fondant sur les faits plaidés : il a droit à une décision positive; que la jurisprudence confirme qu’une telle conclusion peut être tirée en ce qui concerne les visas temporaires (Rudder, précité); et qu’un bref de mandamus doit être accordé et sa demande accueillie au titre de l’article 25 de la LIPR : Lemus, précité.

[30]           L’appelant affirme que le protonotaire a également outrepassé sa compétence en agissant comme un « juge hybride » de demandes et de procès plutôt que d’accueillir une requête en radiation. Il sollicite une ordonnance annulant la décision, une ordonnance accordant le redressement que le protonotaire Aalto aurait dû accorder selon lui, les dépens des deux requêtes présentées devant le protonotaire Aalto et dans le cadre de l’appel, ainsi que toute autre ordonnance ou direction que le Tribunal estime juste.

B.                 Défendeur

[31]           La déclaration a été radiée par le protonotaire Aalto pour deux raisons : c’était une tentative de remettre en litige une question déjà tranchée par la Cour et l’appelant n’a pas plaidé de faits importants pour soutenir les causes d’action alléguées. L’intimée soutient que l’appelant n’a pas démontré que l’un ou l’autre de ces motifs justifient l’appel.

[32]           L’intimée soutient que l’appelant n’a pas démontré que le décideur a omis de donner suffisamment de poids aux facteurs pertinents ou qu’il a appliqué un principe erroné en droit.

[33]           L’appelant prétend que l’intimée est responsable d’abus de la procédure, excès de juridiction et de dommages­intérêts pour violation de la Charte. Cependant, l’intimée soutient que l’appelant n’a pas soulevé d’argument factuel ou juridique pour contester les conclusions du protonotaire Aalto en ce qui concerne ces allégations. C’est pourquoi à cet égard, la décision ne doit pas être modifiée.

[34]           De plus, l’intimée soutient que l’appelant a confondu la conclusion raisonnable de la Cour selon laquelle la déclaration était une tentative de remettre en litige une question déjà tranchée (le caractère raisonnable de la décision pour considération d’ordre humanitaire) et donc un abus de la procédure, avec le concept d’une « contestation incidente » comme l’a expliqué la Cour suprême dans TeleZone, précité. Cependant, cela ne constituait pas le fondement de la radiation de la déclaration. Le protonotaire Aalto a conclu que la déclaration était une contestation inadmissible de la confirmation par la Cour du caractère raisonnable de la décision concernant le contrôle judiciaire. L’intimée affirme que bien que tant la décision qui faisait l’objet de l’appel que la décision TeleZone  utilisent le terme « contestation incidente », le terme a une signification différente dans les deux contextes, tout comme une contestation de la décision de la Cour se distingue d’une contestation d’une décision administrative par voie d’action. Alors que la dernière est inadmissible, la première peut constituer un abus de la procédure.

[35]           L’intimée soutient également que l’appelant n’a pas démontré que la conclusion subsidiaire de la Cour, soit que la déclaration n’invoquait aucune cause raisonnable d’action, était une erreur.

[36]           En ce qui concerne l’allégation de faute dans l’exercice d’une charge publique, l’intimée soutient qu’aucun fait important n’a été plaidé pour établir que l’agent a outrepassé les limites de son pouvoir, et même s’il l’a fait, rien n’a été présenté pour établir un lien de causalité avec les dommages­intérêts eu égard au droit à une décision pour considération d’ordre humanitaire favorable. La conviction de l’appelant à l’égard des arrêts Rudder et Lemus, précités, ne le servent pas. Dans Rudder, la Cour a exercé son pouvoir discrétionnaire pour accorder un bref de mandamus dans le cadre du contrôle judiciaire d’une demande de visa de résidence temporaire. Cela n’établit aucunement que l’appelant a droit à une décision pour considération d’ordre humanitaire favorable ou qu’une décision défavorable donne naissance à une cause d’action. De même, l’arrêt Lemus ne change pas le fait qu’une décision discrétionnaire ne soit pas dépouillée de sa nature discrétionnaire par un contrôle judiciaire.

[37]           En ce qui concerne l’allégation de négligence, l’intimée soutient que le protonotaire Aalto a raisonnablement conclu qu’il n’y avait aucune obligation de diligence entre l’intimée et l’appelant fondée sur les faits invoqués et sur l’application correcte de la Loi. La jurisprudence a établi que la relation entre le gouvernement et les gouvernés n’en est pas une de proximité individuelle, et rien de ce que l’appelant a allégué ne soutient une dérogation à ce principe : Premakumaran  c. Canada, 2006 CAF 213, paragraphe 22 [Premakumaran]; Benaissa c. Canada (Procureur général), 2005 CF 1220, paragraphe 35 [Benaissa]. L’intimée affirme que, contrairement aux circonstances dans la jurisprudence sur laquelle s’appuie l’appelant, il n’y a eu aucun refus en l’espèce de traiter sa demande ni retard indu dans le traitement de celle­ci.

[38]           L’appelant a mal compris le deuxième volet du critère Anns. Il ne s’agit pas de déterminer si la décision de rejeter la demande pour considération d’ordre humanitaire était une décision de principe, mais s’il y a des raisons de principe qui militent contre la conclusion d’une obligation de diligence. Le protonotaire Aalto a cité de telles raisons de principe militant contre la conclusion d’une obligation de diligence, y compris une préoccupation à l’égard de la responsabilité indéterminée touchant toutes les demandes pour considération d’ordre humanitaire qui sont rejetées. L’intimée soutient que la conclusion selon laquelle aucune obligation de diligence n’était fondée en droit et que la radiation de la déclaration pour négligence ne devrait donc pas être modifiée.

VII.          ANALYSE

[39]           Conformément à Merck & Co. c. Apotex Inc, [2004] 2 RFC 459, une ordonnance discrétionnaire d’un protonotaire ne devrait être révisée de novo que si les questions soulevées dans la requête sont déterminantes pour l’issue du cas, ou si l’ordonnance est manifestement erronée en ce sens que l’exercice du pouvoir discrétionnaire par le protonotaire était fondé sur un principe erroné ou sur une déformation des faits.

[40]           Dans la présente requête, les questions soulevées sont déterminantes pour l’issue du présent cas. Par conséquent, je vais examiner de novo la décision du protonotaire Aalto.

[41]           Comme le protonotaire Aalto l’a souligné dans ses motifs, j’ai résumé la jurisprudence appuyant la radiation d’un acte de procédure pour le motif qu’elle ne révèle aucune cause raisonnable d’action et parce qu’elle est scandaleuse et vexatoire, dans Sivak, précité :

[TRADUCTION]

[15]      Le critère applicable au Canada pour radier un acte de procédure en vertu de la règle 221 des Règles est qu’il soit clair et manifeste, en se fondant sur les faits allégués, que l’instance ne présente aucune possibilité raisonnable de succès. À cet égard, la Cour suprême du Canada a noté que le pouvoir de radier les demandes ne présentant aucune possibilité raisonnable de succès constitue une « importante mesure de gouverne judiciaire essentielle à l’efficacité et à l’équité des procès » Voir Hunt c. Carey Canada Inc., [1990] 2 RCS 959 et R. c. Imperial Tobacco Canada Ltée 2011 CSC 42, aux paragraphes 17 et 19.

[16]      pour déterminer s’il y a une cause d’action, les principes suivants sont à prendre en considération :

a.     Les faits allégués doivent être considérés comme avérés, à moins que les faits allégués soient fondés sur des hypothèses ou des conjectures qu’il est impossible de prouver;

b.     Si les faits, tenus pour avérés, révèlent une cause d’action valable, c’est­à­dire une cause d’action présentant des chances de succès, alors l’instance peut aller de l’avant;

c.     La déclaration doit être interprétée aussi généreusement que possible, afin de suppléer aux insuffisances de la forme des allégations, par suite des lacunes de la rédaction.

Voir l’arrêt Operation Dismantle Inc., précité.

[25]      Edell c. Canada (Agence du revenu), [2010] CTPS 9, 2010 CAF 26, réaffirme le principe fondamental selon lequel, dans une requête en radiation, le rôle de la Cour est strictement limité à apprécier la question préliminaire de savoir s’il existe, en ce qui concerne les faits substantiels, une véritable question litigieuse exigeant la tenue d’une instruction. Toutes les allégations de faits, sauf si manifestement ridicules ou impossibles à prouver, doivent être acceptées comme avérées. Le défendeur qui sollicite le rejet sommaire porte le fardeau de la preuve de l’absence d’une véritable question litigieuse.

[26]      La règle fondamentale, cependant, doit tenir compte du fait qu’aucune cause d’action ne peut exister lorsqu’aucun fait essentiel n’est reproché au défendeur. Voir Chavali c. Canada 2002 CAF 209.

[31]      Un grand nombre de décisions ont établi qu’une action ne peut être intentée sur la base de conjectures dans l’espoir que des faits pertinents soient découverts lors de l’interrogatoire préalable, permettant ainsi d’appuyer les allégations figurant dans les actes de procédure. Voir, par exemple, AstraZeneca Canada Inc. c. Novopharm Ltd. 2009 CF 1209; Appel rejeté 2010 CAF 112.

[32]      En fait, c’est un abus de la procédure de la part d’un demandeur d’entamer des poursuites dans l’espoir que cela mène à un résultat quelconque. Un demandeur ne devrait pas être autorisé à interroger le défendeur avant d’entreprendre une telle action. Voir Kastner, précité.

[33]      À mon avis, il est également bien établi que la règle selon laquelle les faits dans une déclaration doivent être considérés comme avérés pour déterminer si une cause raisonnable d’action est divulguée n’exige pas que les allégations fondées sur des hypothèses et des spéculations soient aussi considérées comme étant vraies. Voir Operation Dismantle, précité.

[89]      Dans George c. Harris, [2000] JO No 1762, au paragraphe 20, le juge Epstein, puis la Cour supérieure de justice de l’Ontario, ont fourni des exemples de ce qui constitue un acte « scandaleux », « frivole » ou « vexatoire » :

i.        Un acte qui démontre une absence totale de faits essentiels;

ii.       Des parties d’un acte de procédure qui sont hors de propos, qui sont belliqueux ou qui visent à embellir une histoire, ou qui constituent de simples allégations sans faits à l’appui;

iii.      Un acte qui contient uniquement un argument et renferme des attaques non fondées ou renferme des propos incendiaires attaquant l’intégrité d’une partie, et des allégations de diffamation non fondées reposant sur des hypothèses;

iv.      Des actes qui regorgent de conclusions et d’opinions, sans indiquer si l’information est fondée sur la connaissance personnelle ou de l’information et des convictions et contiennent beaucoup de questions non pertinentes.

[90]      Une déclaration contenant de simples affirmations, mais pas de faits sur lesquels fonder les affirmations ne révèle aucune cause raisonnable d’action et peut aussi être radiée au motif qu’elle constitue un abus de la procédure. En outre, comme indiqué précédemment, un demandeur n’a pas le droit de se fonder sur la possibilité que de nouveaux faits surgissent dans le déroulement de l’affaire. Au contraire, les faits doivent être plaidés dans la demande initiale. La question de savoir si ces faits peuvent être prouvés est une question distincte, mais ils doivent néanmoins être plaidés.

[91]      La jurisprudence citée ci­dessus montre également que lorsqu’une cause particulière d’action est alléguée, la déclaration doit contenir des allégations des faits qui satisfont à tous les éléments nécessaires de la cause d’action. Sinon, il sera évident et manifeste que la déclaration ne révèle aucune cause d’action raisonnable.

[92]      Une déclaration sera également radiée au motif qu’elle est tellement hors de propos que la portée de la procédure n’est pas claire. Comme l’a déclaré notre Cour dans Ceminchuk c. Canada, [1995] ACF No 914, paragraphe 10 [traduction]

Une action scandaleuse, vexatoire ou frivole peut non seulement en être une dans laquelle le demandeur ne peut présenter aucun argument rationnel, fondé sur la preuve ou le droit, à l’appui de la déclaration, mais peut aussi être une action dans laquelle les actes de procédure sont tellement déficients en matériel factuel que le défendeur ne peut pas savoir comment répondre, et un tribunal sera incapable de diriger les procédures. Il s’agit d’une action sans motif raisonnable, qui ne conduira pas à un résultat pratique.

A.                Recours abusif à la procédure

[42]           Le protonotaire Aalto a radié la déclaration comme étant un abus de la procédure parce qu’elle était simplement une tentative déguisée de remettre en litige les questions qui avaient déjà été plaidées et tranchées par les instances d’immigration :

[74]      Même si je me trompe sur les deux allégations, soit de faute dans l’exercice d’une charge publique et la négligence, à mon avis, la demande doit être rejetée au motif qu’elle constitue une contestation incidente des décisions du juge Shore dans IMM­883­14. Aucune question grave ou litigieuse n’a été soulevée dans la demande d’autorisation de contrôle judiciaire. La pouvoir discrétionnaire du juge Shore a été exercé conformément à la jurisprudence [voir, par exemple, Krishnapillai, précité au paragraphe 10]. La déclaration, à sa lecture, est simplement une tentative déguisée de remettre en litige le caractère raisonnable de la décision pour considération d’ordre humanitaire, une question déjà tranchée tant à l’étape de l’immigration, de la demande d’autorisation de contrôle judiciaire à notre Cour qu’au réexamen. Le demandeur a eu trois occasions, et chacune d’entre elles a été rejetée. Il s’agit d’une quatrième tentative de remettre en litige la même question. La présente action constitue une contestation incidente de ces décisions et équivaut à un abus de la procédure. Porter de nouveau cette affaire devant le tribunal est un gaspillage de ressources judiciaires pour une procédure qui est vouée à l’échec ou est dépourvue de toute chance de succès [voir, par exemple, Hunt c. Carey, [1990] 2 R.C.S. 959].

[43]           Devant moi, l’appelant soutient, en se fondant sur TeleZone, précité, que la tendance jurisprudentielle selon laquelle qu’une demande de contrôle judiciaire ait été présentée ou non, que le contrôle judiciaire ait été retenu ou non, l’appelant a toujours le droit d’intenter une action « sans remettre en cause la question juridictionnelle de la contestation incidente, quoique le ministère public soit libre de déclencher une contestation incidente, comme défense, au procès » [souligné dans l’original].

[44]           L’appelant soutient également que le protonotaire a commis une erreur en statuant « nous ne sommes pas devant un contrôle judiciaire proprement dit, sur le fond, mais devant une demande d’autorisation, sans fondement ». L’appelant ne cite aucune jurisprudence étayant cette assertion.

[45]           Les décisions du juge Shore refusant l’autorisation sont des décisions définitives de la Cour sont fondées sur un examen des questions de fond soumises par l’appelant dans sa demande d’autorisation de contrôle judiciaire. Ces décisions indiquent, conformément à la jurisprudence bien établie, que la demande d’autorisation ne manifeste aucune cause défendable. Voir Bains c. Canada (Emploi et Immigration), [1990] ACF No 457; Sivagurunathan c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 233, paragraphe 9. Pour arriver à cette conclusion, le juge Shore, comme tout juge saisi d’une demande d’autorisation, a dû examiner, sur le fond, les deux côtés de la demande et décider si l’appelant avait soulevé une question raisonnablement défendable. Le juge Shore a conclu que l’appelant n’avait soulevé aucune question de ce type, de sorte qu’il n’y a aucune preuve à soumettre à une audition de contrôle judiciaire. Par conséquent, la Cour a déjà décidé qu’aucun argument ne peut étayer l’argument selon lequel la décision pour considération d’ordre humanitaire contient une erreur susceptible de révision, et dans Krishnapillai c. R, 2001 CAF 378 [Krishnapillai], la Cour d’appel fédérale a statué qu’intenter une instance lorsque l’autorisation de demander un contrôle est refusée peut constituer un abus de la procédure :

[18]      La question constitutionnelle a été soulevée, comme le prévoit l’article 82.1 de la Loi, à la faveur du seul processus envisagé par le législateur pour contester la décision du ministre: une demande d’autorisation de déposer une demande de contrôle judiciaire. La question a été soulevée, il faut supposer, avec les autres questions qui pourraient être soulevées afin de contester la décision du ministre. L’article 82.1 de la Loi prévoit qu’il n’y a pas d’appel d’un jugement refusant l’autorisation. L’intention du législateur était manifestement de mettre un terme rapidement, c’est­à­dire dès le refus d’autorisation, à la contestation d’une décision prise en vertu de la Loi sur l’immigration. Lorsque l’autorisation est refusée, l’introduction d’une instance soulevant un point qui a été soulevé ou aurait pu être soulevé dans la demande d’autorisation est une tentative indirecte de contourner la volonté du législateur et une contestation furtive du jugement qui a refusé l’autorisation. Il s’agit là d’un abus de la procédure.

[19]      Cette conclusion dispose du point soulevé au regard de la validité constitutionnelle du paragraphe 53(1). Elle pourrait disposer aussi d’une bonne partie des points soulevés au regard de la validité constitutionnelle du principe de la demande d’autorisation, parce que, abstraction faite du point se rapportant à l’absence de motifs dans le refus d’autorisation, point qui à l’évidence n’aurait pu être soulevé avant la décision refusant l’autorisation, ces points auraient pu et auraient dû être soulevés à la première occasion, c’est­à­dire dans la demande d’autorisation. Toutefois, l’argument n’a pas été avancé sur cette base, et j’aborderai sous la rubrique suivante, comme l’ont fait les parties, la question tout entière de la validité du principe de la demande d’autorisation.

[36]      La contestation de la constitutionnalité du principe de la demande d’autorisation dont il est question à l’article 82.1 de la Loi sur l’Immigration n’a aucune chance de succès.

[37]      La déclaration a été validement radiée dans son intégralité vu qu’elle constituait d’une part un abus de la procédure et qu’elle ne révélait d’autre part aucune cause d’action valable.

[46]           Comme le protonotaire Aalto a conclu, la déclaration en l’espèce est simplement une tentative de remettre en litige le caractère raisonnable de la décision pour considération d’ordre humanitaire, et la Cour a déjà statué sur la raisonnabilité de cette décision. TeleZone, précité, et d’autres causes citées par l’appelant ne lui sont d’aucun secours. Dans Parrish, précité, par exemple, la Cour suprême du Canada a statué qu’il n’y a rien dans les articles 17 et 18 de la Loi sur les cours fédérales, LRC, 1985, ch. F­7 qui exige qu’un demandeur ait gain de cause lors du contrôle judiciaire avant d’introduire une demande de dommages­intérêts contre Sa Majesté. Or, ce n’est pas le question ici. En l’espèce, la demande de contrôle judiciaire de l’appelant avait été entendue par le juge Shore qui, afin de refuser l’autorisation, devait conclure qu’il n’y avait rien de déraisonnable ou autrement légalement répréhensible dans la décision pour considération d’ordre humanitaire qui pourrait être raisonnablement défendable lors du contrôle judiciaire. Le critère d’autorisation est assez faible; afin de rejeter l’autorisation, le juge Shore devait décider qu’il n’y avait aucun argument raisonnable qui pourrait être apporté. Les allégations présentées dans les déclarations – la mauvaise application de la Loi en connaissance de cause; confondre les faits sciemment; omettre sciemment d’expliquer les raisons; discrimination; ne pas tenir compte de l’alinéa 3(1)(a) de la LIPR – ont été soit soulevées ou aurait pu être soulevées dans la demande d’autorisation. La Cour d’appel fédérale a soutenu qu’il peut s’agir d’un abus de la procédure, et il me semble, d’après les faits de l’espèce que c’en est un. Le fait de présenter une demande de dommages­intérêts plutôt que de demander que la décision pour considération d’ordre humanitaire soit annulée ne signifie pas que la Cour n’a pas statué sur le fond. Il ne s’agit pas d’une contestation incidente, à proprement parler, ou chose jugée; c’est un abus de la procédure.

[47]           La Cour a le pouvoir discrétionnaire de radiation lorsqu’elle juge qu’il y a abus de ses propres processus. L’appelant invite la Cour à lire la jurisprudence selon laquelle il a le droit d’intenter une action sans égard au résultat du contrôle judiciaire. Même si j’acceptais cette interprétation, je ne pourrais pas déduire que les décisions étayent le fait que, à la suite d’une décision défavorable du contrôle judiciaire, la Cour ne peut pas conclure que toute action intentée est un abus de la procédure. C’est une question entièrement différente régie par sa propre jurisprudence. L’appelant a sollicité un contrôle judiciaire et a obtenu une décision définitive de la Cour selon laquelle il n’y avait pas de cause raisonnablement défendable d’erreur susceptible de révision. Il tente maintenant de remettre en litige la décision  pour considération d’ordre humanitaire par voie d’action. Je ne vois pas d’autre solution à la conclusion selon laquelle c’est une tentative indirecte de contourner l’intention du législateur et une contestation incidente du jugement du juge Shore refusant l’autorisation, et il s’agit donc d’un abus de la procédure. Pour ces seuls motifs, la déclaration doit être radiée, et l’appelant n’a fait aucune suggestion quant à la façon dont elle pourrait être modifiée pour qu’il en soit autrement.

[48]           L’appelant a également attiré l’attention de la Cour sur la jurisprudence de la Cour suprême du Canada selon laquelle un refus d’accorder l’autorisation ne signifie pas nécessairement qu’un jugement est confirmé. Dans Des Champs c. Conseil des écoles, [1999] 3 SCR 281, au paragraphe 31, la Cour suprême a déclaré « ce refus ne doit pas être interprété comme l’expression d’un point de vue par les juges de notre Cour quant au fond de l’affaire ». La jurisprudence invoquée par l’appelant traite de l’autorisation de pourvoi devant la Cour suprême, ce qui n’est pas la question en l’espèce. Le terme « autorisation de pourvoi » ne signifie pas la même chose dans tous les contextes. Dans le cadre d’un contrôle en matière d’immigration, un refus d’autorisation signifie qu’il n’y a aucune question litigieuse contestable sur le fond.

B.                 Aucune cause d’action raisonnable

[49]           À titre subsidiaire, le protonotaire Aalto a radié la déclaration parce qu’elle ne révélait aucune cause d’action raisonnable. À la suite à mon propre examen de novo, je ne vois aucun moyen d’éviter la même conclusion.

[50]           Les cas de mandamus invoqués par l’appelant à l’appui de ses allégations de faute ne sont pas pertinents. Dans le cas présent, aucun fait n’est allégué dans la déclaration établissant quelque droit que ce soit à une décision pour considération d’ordre humanitaire favorable. Même s’il y avait eu des erreurs susceptibles d’examen pour parvenir à une décision défavorable, cela ne signifie pas que l’appelant aurait droit à une décision pour considération d’ordre humanitaire favorable, et le juge Shore a déjà décidé qu’il n’y a aucune cause défendable d’erreur susceptible de révision. Aucun fait n’est allégué pouvant établir que l’agent a outrepassé son autorité ou que l’appelant a droit à un redressement de la décision pour considération d’ordre humanitaire. L’allégation de l’appelant de faute dans l’exercice d’une charge publique n’est pas étayée par des faits essentiels, il demande simplement à la Cour de supposer qu’il a droit à une décision pour considération d’ordre humanitaire favorable. En outre, aucun fait n’est allégué pouvant établir que des dommages ont été causés par une présumée faute de l’agent.

[51]           L’appelant renvoie la Cour à la décision du juge Zinn dans Cabral c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 822 (dossier No T­2425­14), au paragraphe 17. Dans cette cause, le juge Zinn a conclu, en se fondant sur les actes de procédure, qu’il y avait suffisamment de faits pour étayer les allégations que le ministre avait agi de façon malhonnête. En l’espèce, le paragraphe 12 de la déclaration demeure un ensemble d’affirmations non fondées sur des faits.

[52]           Pour la même raison et telle que donnée par le protonotaire Aalto, mon propre examen des actes de procédure m’amène à conclure que les allégations de négligence doivent être radiées au motif qu’elles ne révèlent aucune cause d’action possible. L’appelant n’a satisfait à aucun des deux volets du critère Anns. Il n’a pas allégué de faits étayant une obligation de diligence. Il cherche à se fonder sur des cas de contrôle judiciaire qui disent il y a une obligation légale de traiter une demande. Dans le cas présent, la demande pour considération d’ordre humanitaire de l’appelant a été traitée, mais, en tout état de cause, l’obligation légale de traiter une demande n’établit pas une obligation de diligence en vertu de l’arrêt Anns.

[53]           L’appelant n’aborde pas entièrement le deuxième volet de l’arrêt Anns. Il semble penser que la question est de savoir si la décision de rejeter la demande pour considération d’ordre humanitaire était une décision de principe. La question est de savoir s’il existe des raisons de principe en l’espèce qui l’emportent sur l’obligation de diligence. Le protonotaire Aalto a déterminé et abordé ces considérations de principe dans ses propres motifs :

[72]      Même si une telle une obligation de diligence prima facie existait, la cause d’action échoue à satisfaire au deuxième volet de l’arrêt Anns en tout état de cause : l’existence de considérations résiduelles qui justifient de nier sa responsabilité. La jurisprudence enseigne que les considérations de principe « ne portent pas sur le lien existant entre les parties, mais sur l’effet que la reconnaissance d’une obligation de diligence aurait sur les autres obligations légales, sur le système juridique et sur la société en général » (Benaissa c. Canada (Procureur général), 2005 CF 1220, paragraphe 33. À mon avis, imposer une obligation de diligence pour l’omission de rendre une décision pour considération d’ordre humanitaire favorable pourrait créer une responsabilité indéterminée pour toutes les demandes pour considération d’ordre humanitaire rejetées. Les demandes pour considération d’ordre humanitaire sont de nature discrétionnaire et sont fondées sur les faits. Cette demande pour considération d’ordre humanitaire a également été soumise à une demande d’autorisation de contrôle judiciaire et à une demande de réexamen; les deux ont été refusées.

[54]           L’appelant soutient que la Cour ne devrait pas prendre une décision à ce stade et que si une obligation de diligence existe, il appartient au juge qui présidera l’audience de le déterminer. Mais l’appelant n’allègue aucun fait essentiel qui pourrait soutenir une obligation de diligence. Les tribunaux ont conclu qu’aucune obligation de diligence n’est soulevée dans certains contextes de l’immigration. Voir Premakumaran, précité, paragraphe 22; Szebenyi c. Canada, 2006 CF 602 paragraphe 91; Khalil c. Canada, [2007] CF 928 paragraphe 155. Je note également que dans Benaissa, précité, le protonotaire Lafrenière a radié une déclaration pour les mêmes raisons qui se posent en l’espèce :

[35]      Même si le demandeur a correctement plaidé la prévisibilité, un autre ingrédient serait nécessaire pour démontrer que le lien qui existe entre le demandeur et Sa Majesté est suffisamment étroit : Hill c. Chief Constable of West Yorkshire, [1989] A.C. 53 (C.L.). Dans l’arrêt Cooper, la Cour suprême du Canada a ordonné qu’un examen du principe de la loi en vertu de laquelle les mandataires de Sa Majesté sont nommés soit effectué afin de déterminer s’il existe le lien de proximité nécessaire pour créer une obligation légale de diligence. Si une telle obligation de diligence envers le demandeur existait, elle devrait se trouver dans la Loi, à savoir la Loi sur l’Immigration et la Protection des réfugiés.

[38]      Même en supposant que le demandeur soit en mesure d’établir l’existence d’une obligation de diligence prima facie, il est évident et manifeste qu’il ne peut franchir la seconde étape de l’analyse de l’arrêt Cooper, compte tenu des faits allégués. La question à la deuxième étape est de savoir s’il existe des considérations de politique générale résiduelles qui justifient l’exonération de la responsabilité. Ces considérations ne portent pas sur le lien existant entre les parties, mais sur l’effet que la reconnaissance d’une obligation de diligence aurait sur les autres obligations légales, sur le système juridique et sur la société en général.

[39]      À mon avis, à défaut de mauvaise foi, de négligence grossière ou de retard injustifié, il ne serait pas juste, équitable ou raisonnable que la loi impose une obligation de diligence à ceux qui sont chargés de la mise en œuvre administrative des décisions en matière d’immigration comme celles qui ont été prises dans le cas du demandeur.

[55]           Ces considérations en parallèle d’une obligation de diligence me semblent tout à fait appropriées. Je voudrais seulement ajouter que de conclure à une obligation de diligence en l’espèce serait, pour citer la Cour d’appel fédérale dans  Krishnapillai, précité, au paragraphe 18, permettre  « une tentative indirecte de contourner la volonté du législateur »  pour de toute évidence  « mettre un terme rapidement, c’est­à­dire dès le refus d’autorisation, à la contestation d’une décision prise en vertu de la Loi sur l’immigration ».

[56]           Ces questions me semblent être les seules questions de fond que l’appelant a soulevées dans le présent appel.

[57]           Comme le protonotaire le souligne, la déclaration est la deuxième tentative de l’appelant de démontrer qu’il a une bonne cause qui mérite d’être instruite. En outre, il n’y a aucun moyen de remédier à ce qui est tout simplement une contestation incidente et un abus de la procédure à l’égard de la décision du juge Shore refusant l’autorisation. Il serait, par conséquent, inapproprié d’accorder l’autorisation de modifier dans une situation où la déclaration ne peut éventuellement réussir et qu’il n’y a pas l’étincelle d’une cause d’action. Voir Spatling c. Canada (Solliciteur général) 2003 CarswellNat 1013. Il n’est pas possible de remédier aux problèmes de cette déclaration par une modification.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que :

1.      La requête du demandeur (l’appelant) est rejetée et la décision du protonotaire Aalto est confirmée;

2.      Les dépens de cette requête pour faire appel et de la requête entendue par le protonotaire Aalto sont adjugés à la défenderesse (l’intimée).

« James Russell »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1508-14

 

INTITULÉ :

DANILO MAALA ALMACÉN c. SA MAJESTÉ LA REINE

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 20 janvier 2016

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE RUSSEL

 

DATE DES MOTIFS :

Le 9 mars 2016

 

COMPARUTIONS :

Rocco Galati

Pour l’appelant

 

Rachel Hepburn­Craig

Pour la défenderesse

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Rocco Galati Law Firm Professional Corporation

Toronto (Ontario)

 

Pour l’appelant

 

William F. Pentney

Sous­procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour la défenderesse

 

 

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