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Date : 20160218


Dossier : T-2496-14

Référence : 2016 CF 223

[TRADUCTION FRANÇAISE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 18 février 2016

En présence de monsieur le juge O’Reilly

ENTRE :

SPECIALTY SOFTWARE INC.

demanderesse

et

BEWATEC

KOMMUNIKATIONSTECHNIK GMBH

défenderesse

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               En 1992, Specialty Software Inc. [Specialty] a enregistré la marque de commerce « MEDINET » en liaison avec des logiciels. Cette marque de commerce s’appliquait à des marchandises et non à des services.

[2]                En 2011, Specialty a cédé sa marque à Medinet Health Systems Inc. [Medinet].

[3]               En 2013, Bewatec Kommunikationstechnik GMBH [Bewatec] a engagé des procédures devant le Registraire des marques de commerce afin de radier la marque de Specialty du registre. Pour éviter la radiation, Specialty s’est vu demander de fournir des éléments de preuve quant à son utilisation de la marque pour la période s’échelonnant du 22 novembre 2010 au 22 novembre 2013. Comme Specialty n’a fourni aucun élément de preuve, le Registraire a accueilli la demande de Bewatec.

[4]               Specialty interjette maintenant appel de la décision du Registraire et a présenté de nouveaux éléments de preuve quant à son utilisation de la marque. Les parties ne contestent pas ces éléments de preuve. Il est clair que Specialty et Medinet ont utilisé la marque durant la période visée, notamment en ce qui a trait aux logiciels employés par les hôpitaux et les médecins pour faire le suivi des médicaments des patients. Cependant, Bewatec soutient que la marque a été utilisée en liaison avec des services, et non avec des marchandises. Selon Bewatec, cela signifie que Specialty n’est plus autorisée à utiliser sa marque.

[5]               Ce contentieux résulte essentiellement de changements technologiques. Specialty avait l’habitude de vendre ses logiciels sous une forme tangible, c’est-à-dire sur disque. Or, cette pratique n’est plus nécessaire. Les clients peuvent maintenant avoir accès aux logiciels sur Internet par l’intermédiaire du serveur de Specialty, après avoir installé une icône sur leurs ordinateurs. Bewatec fait valoir que, en raison de ce changement, Specialty offre désormais un service accessible à partir d’un site Web. Bewatec soutient que Specialty n’a pas prouvé qu’un transfert de propriété ou de possession avait eu lieu, tel que l’exige l’article 4 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C 1985, ch. T-13 (toutes les dispositions citées sont énoncées dans une annexe).

[6]               Je ne suis pas d’accord avec l’argument de Bewatec. Selon moi, il n’y a pas eu de réel changement quant aux logiciels que vend Speciality. Le changement a trait à la façon dont les logiciels sont transférés aux clients, plutôt qu’à la nature réelle de l’utilisation que fait Specialty de sa marque de commerce. Specialty a démontré qu’elle s’acquittait de ses obligations juridiques. Par conséquent, je dois accueillir l’appel de Specialty et demander au Registraire de conserver son enregistrement.

[7]               La Cour doit décider si Specialty a démontré qu’il y avait eu transfert de propriété ou de possession d’une marchandise, comme l’exige la Loi. (Le terme « marchandise » a depuis été remplacé par le terme « produit » dans la Loi. Ce changement n’est pas pertinent, et j’emploierai les termes « produit » et « marchandise » de façon interchangeable.)

II.                Specialty a-t-elle démontré qu’il y avait eu transfert de propriété ou de possession d’une marchandise?

[8]               Bewatec fait valoir que la marque de Specialty est associée à des données et à des logiciels qui ne sont accessibles qu’au moyen d’un navigateur Internet. Bewatec estime que Specialty n’a pas prouvé, comme elle devait le faire, qu’il y a eu transfert de propriété ou de possession d’un produit. Bewatec souligne que les clients de Specialty ne téléchargent ni n’installent rien et qu’ils n’obtiennent aucun produit matériel. Bewatec affirme qu’en réalité, les clients accèdent tout simplement à un service qui est offert par Specialty sur Internet.

[9]               Bewatec se fonde sur le jugement MyLife.com Inc c. Peter Grbic, 2014 COMC 175. Dans cette cause, la Commission avait conclu que le fait d’offrir un accès gratuit à un site Web, en l’absence de toute preuve d’un transfert quelconque des logiciels aux utilisateurs, constituait un service. Elle avait radié l’enregistrement du propriétaire de la marque de commerce pour ce qui est des marchandises, mais elle l’avait conservé pour ce qui est des services.

[10]           Bewatec soutient que les logiciels en ligne de Specialty figurent également sur un site Web et que Specialty n’a pas démontré qu’il y avait bel et bien eu transfert aux utilisateurs, que ce soit par l’installation ou l’enregistrement des logiciels, durant lesquels la marque MEDINET est visible.

[11]           Je ne suis pas d’accord.

[12]           Selon l’article 4 de la Loi, une « marque de commerce est réputée employée en liaison avec des produits si, lors du transfert de la propriété ou de la possession de ces produits, [...] elle est apposée sur les produits mêmes ou sur les emballages dans lesquels ces produits sont distribués, ou si elle est, de toute autre manière, liée aux produits à tel point qu’avis de liaison est alors donné à la personne à qui la propriété ou possession est transférée. »

[13]           Même si Specialty vendait autrefois ses logiciels sur des disques – lesquels sont de toute évidence tangibles et faciles à reconnaître en tant que marchandises –, dans les faits, elle vendait toujours une licence d’utilisation des logiciels, ce qui constitue un produit immatériel. En réalité, Specialty ne vendait pas les logiciels proprement dits; elle vendait le droit d’obtenir un accès aux logiciels au moyen d’une licence. Les disques représentaient tout simplement le moyen par lequel s’effectuait le transfert des produits. Les véritables produits étaient et sont les licences.

[14]           Les éléments de preuve démontrent que la marque de commerce de Specialty a été utilisée d’une manière qui fait ressortir un lien entre la marque et les produits vendus – les licences elles-mêmes :

  • Les logiciels en question sont vendus aux travailleurs de la santé, notamment aux médecins, aux cliniciens et aux membres du personnel hospitalier, moyennant un abonnement annuel.
  • Les logiciels sont hébergés sur le serveur de Medinet, et les acheteurs y obtiennent accès par l’intermédiaire d’un navigateur Web à partir de leurs propres ordinateurs.
  • Après la vente, les acheteurs reçoivent une facture portant la marque MEDINET. Ils reçoivent ensuite un contrat de licence par courriel.
  • Lorsque les acheteurs ouvrent une session au moyen du logiciel, ils sont dirigés vers un écran montrant la marque MEDINET.
  • Si un acheteur décide de ne pas renouveler son abonnement, sa licence d’accès au logiciel est annulée.

[15]           Selon moi, ces éléments de preuve démontrent que la marque est utilisée de manière à informer les acheteurs de licences de logiciel qu’il existe un lien entre ces produits et la marque de commerce déposée et que, par conséquent, les exigences de la Loi concernant l’utilisation ont été respectées.

[16]           Les activités de Specialty ressemblent beaucoup à celles des entreprises qui vendent des logiciels et dont les marques de commerce ont été maintenues pour ce qui est des marchandises. Par exemple, la Commission a reconnu que l’on pouvait considérer qu’une marque avait été utilisée en liaison avec un logiciel si des éléments de preuve indiquent que les acheteurs auraient vu la marque au moment où le logiciel leur a été transféré, c’est-à-dire au moment de l’installation du logiciel sur leur ordinateur (Brouillette Kosie Prince c. Axon Development Corporation, 2005, 50 CPR [4th] 273). Dans cette cause, la Commission a radié la marque de commerce parce qu’il n’y avait aucun élément de preuve concret démontrant que des transferts avaient eu lieu durant la période visée.

[17]           De la même manière, la Commission a constaté un lien entre la marque en question et les marchandises, en fonction des éléments de preuve concernant la vente et le renouvellement des logiciels ainsi que les contrats de licence (Baker & McKenzie, srl c. Genesistems, Inc, 2009, 74 CPR [4th] 75). Dans un autre cas portant sur la même marque, la Commission a conclu que le lien requis existait bel et bien, étant donné que la marque figurait dans les contrats de licence que voyaient les clients avant d’installer le logiciel, et étant donné les écrans d’installation eux-mêmes (Clark Wilson LLP c. Genesistems Inc, 2014 COMC 64). Dans ce dernier cas, la Commission a fait observer qu’un « logiciel institutionnel ne constitue pas un objet physique, de sorte que les entreprises de logiciels sont confrontées à des difficultés uniques lorsqu’elles tentent d’associer une marque de commerce à leur logiciel » (paragraphe 10).

[18]           Il ne fait aucun doute que Specialty a connu de telles difficultés en l’espèce. Or, comme l’a souligné Katherine Linda Culter, présidente-directrice générale de Medinet, [traduction] « les contrats de licence pour logiciels sont justement des contrats de licence pour logiciels, peu importe le mode d’accès privilégié ».

[19]           Je conclus que les éléments de preuve qui m’ont été présentés respectent le critère, relativement peu exigeant, auquel doit satisfaire un propriétaire inscrit pour démontrer que sa marque n’est pas qu’une simple marque « inactive » dans le registre (Performance Apparel Corp. c. Uvex Toko Canada Ltd, 2004, 31 CPR [4th] 270 [CF], 282).

[20]           Le demandeur a démontré qu’il y avait eu transfert de propriété pour une marchandise. La marchandise en question est la licence d’utilisation du logiciel. La propriété confère le droit de jouir de l’utilisation de la licence. Le transfert a eu lieu lorsque l’accès a été accordé, moyennant le paiement des frais d’abonnement, sous la forme de justificatifs d’identité. La marque est visible pour les acheteurs avant, pendant et après le transfert. En conséquence, les exigences du paragraphe 4(1) de la Loi sur les marques de commerce ont été respectées.

III.             Conclusion et décision

[21]           Specialty a démontré qu’il existait un lien entre sa marque et le transfert aux acheteurs du moyen d’obtenir l’accès à ses logiciels et de les utiliser. Par conséquent, je dois accueillir l’appel avec dépens.


JUGEMENT

LA COUR accueille l’appel, avec dépens.

« James W. O’Reilly »

Juge


Annexe

Loi sur les marques de commerce, LRC (1985), ch T-13

Trade-marks Act, RSC 1985, c T-13

Quand une marque de commerce est réputée employée

When deemed to be used

4. (1) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des produits si, lors du transfert de la propriété ou de la possession de ces produits, dans la pratique normale du commerce, elle est apposée sur les produits mêmes ou sur les emballages dans lesquels ces produits sont distribués, ou si elle est, de toute autre manière, liée aux produits à tel point qu’avis de liaison est alors donné à la personne à qui la propriété ou possession est transférée.

4. (1) A trade-mark is deemed to be used in association with goods if, at the time of the transfer of the property in or possession of the goods, in the normal course of trade, it is marked on the goods themselves or on the packages in which they are distributed or it is in any other manner so associated with the goods that notice of the association is then given to the person to whom the property or possession is transferred.

 


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-2496-14

 

INTITULÉ :

SPECIALTY SOFTWARE INC. c. BEWATEC KOMMUNIKATIONSTECHNIK GMBH

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

lE 9 SEPTEMBRE 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS :

Le 18 février 2016

 

COMPARUTIONS :

Victoria Carrington

 

Pour la demanderesse

 

Paul Tackaberry

 

Pour lA défendeRESSE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Shapiro Cohen S.E.N.C.R.L.

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

Pour la demanderesse

 

Ridout & Maybee S.E.N.C.R.L.

Avocats

Ottawa (Ontario)

 

Pour le défendeRESSE

 

 

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