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Cour fédérale

 

Federal Court


Date : 20110812

Dossiers : T‑2021‑10

 

Référence : 2016 CF 18

 

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 12 août 2011

En présence de madame la protonotaire Mireille Tabib

 

ENTRE :

 

 

TEVA CANADA LIMITÉE

 

 

 

demanderesse

(défenderesse reconventionnelle)

et

 

 

 

NOVARTIS AG

 

 

 

défenderesse

(demanderesse reconventionnelle)

 

 

 

ORDONNANCE

 

            VU la requête présentée par la demanderesse, Teva Canada Limited (« Teva ») en vue d’obtenir une ordonnance radiant certaines parties de la défense et demande reconventionnelle modifiée de la défenderesse, sans autorisation de modification.

 

            APRÈS AVOIR EXAMINÉ les dossiers de requête respectifs des parties et entendu les observations des avocats.

 

            Les différents paragraphes contestés soulèvent plusieurs questions distinctes. Certains paragraphes portent sur plus d’un enjeu. Au lieu d’analyser chacun de ces paragraphes à tour de rôle ou de grouper les paragraphes selon la question soulevée, j’estime qu’il est plus efficace d’aborder chaque question successivement.

 

La contrefaçon actuelle ou antérieure du brevet 203

            La demande reconventionnelle, à l’égard de la réclamation pour contrefaçon actuelle ou antérieure du brevet 203, renferme des allégations générales, non détaillées, selon lesquelles Teva [traduction] « a, sans le consentement des demanderesses, acheté, fabriqué et fait fabriquer pour elle‑même au Canada, construit et fait construire pour elle‑même au Canada; importé et fait importer pour elle‑même au Canada, utilisé au Canada […] l’imatinib, le mésylate d’imatinib et des produits à base d’imatinib ». Lorsqu’elles ne sont pas étayées par d’autres allégations de faits substantiels, de telles allégations générales revêtent un caractère abusif et injuste, car elles visent uniquement à permettre aux demanderesses de tenir un interrogatoire préalable et de renforcer leurs revendications, comme il ressort d’une jurisprudence de longue date (voir, par exemple, Caterpillar Tractor Co. c. Babcock Allatt Ltd. (1982), 67 C. P. R. (2d) 135, confirmée par (1983), 72 C.P.R. (2d) 286, et Astrazeneca Canada Inc. et al. c. Novopharm Limited, 2009 CF 1209, confirmée par 2010 CAF 2012;) En l’espèce, il s’agit de savoir si la défenderesse reconventionnelle, Novartis AG (« Novartis »), a invoqué par ailleurs suffisamment de faits substantiels, qui pourraient, si la preuve en est faite, étayer la cause d’action.

 

            Selon les faits additionnels invoqués dans la demande reconventionnelle, Teva a déposé, personnellement et par l’intermédiaire de Ratiopharm, des PADN auprès de Santé Canada à l’égard de ses produits proposés à base d’imatinib; Teva a modifié son formulaire V déposé auprès de Santé Canada, en passant de l’affirmation selon laquelle elle attendrait l’expiration du brevet à une allégation d’invalidité ou d’absence de contrefaçon du brevet 203; une société liée, Teva Pharmaceutical Industries Ltd., a déposé des demandes de brevet au Canada à l’égard de l’imatinib; Teva Pharmaceutical Industries Ltd. a déposé une fiche maîtresse de médicament auprès de la United States Food and Drug Administration, à l’égard de produits à base d’imatinib fabriqués au Mexique et en Italie; Teva a indiqué [traduction] « disposer d’un produit à base d’imatinib et vouloir le commercialiser », les essais étant censés commencer en septembre 2012 ou ultérieurement, mais avant l’expiration du brevet en avril 2003. Novartis arrive ainsi à la conclusion que Teva a importé ou importe au Canada des produits contrefaits à base d’imatinib en quantités commerciales afin d’en constituer une réserve en vue de la mise en marché aussitôt qu’elle fait invalider le brevet 203 ou dès l’expiration de celui‑ci. Novartis n’a fourni aucun fait additionnel en réponse à la demande de précisions présentée par Teva.

 

            À l’exception de l’allégation portant que Teva avait indiqué « disposer » d’un produit à base d’imatinib et vouloir le commercialiser, que j’examinerai plus loin, les faits particuliers invoqués dans la demande reconventionnelle ne sont pas substantiellement différents des faits en cause dans Astrazeneca, précitée, et dans Eli Lilly Canada Inc. et al. c. Nu-Pharm Inc., 2011 CF 255. Dans ces deux affaires, les seuls faits particuliers invoqués tendaient à démontrer qu’en demandant un AC, en obtenant un AC ou en sollicitant un règlement rapide de la procédure d’interdiction, et en prenant diverses mesures concrètes en vue d’une entrée rapide sur le marché, à titre de « tremplin », les défenderesses se préparaient pour une entrée imminente sur le marché. Dans les deux cas, les demanderesses ont fait valoir, compte tenu des faits invoqués, que la défenderesse était en train d’importer et de constituer une réserve d’un produit contrefait. Les juges de notre Cour ont conclu, dans les deux affaires, que les faits substantiels plaidés ne suffisaient pas pour étayer une cause d’action en contrefaçon actuelle ou antérieure. Je ne vois pas en quoi les allégations additionnelles formulées par Novartis, portant qu’une société liée avait déposé des demandes de brevets au Canada à l’égard du produit en question ou une fiche maîtresse de médicaments aux États‑Unis désignant des fournisseurs particuliers dans d’autres pays (et non au Canada) font une grande différence quant aux allégations de cette nature. Même s’ils sont tenus pour avérés, ces faits ne permettraient pas, à eux seuls, de conclure raisonnablement que Teva a exécuté dans le passé ou qu’elle exécute actuellement un acte de contrefaçon au Canada. La déclaration de Teva, formulée par l’un de ses représentants dans le cadre d’un contre‑interrogatoire sur affidavit, et portant que Teva « dispose » d’un produit, est également insuffisante. La disponibilité ne correspond pas à une possession réelle. Interprété dans son contexte, le verbe « disposer » indique que Teva peut obtenir le produit plutôt qu’elle l’a en sa possession. Cette situation se distingue des faits invoqués dans la décision Allergan, Inc. et al. c. Apotex Inc. et al., non publiée, dossier de la Cour fédérale T-1267-10, 9 novembre 2010, confirmée par 2011 CAF 134, où il était précisément allégué que Apotex avait indiqué dans sa demande auprès de la United States Food and Drug Administration qu’elle avait fabriqué et utilisé le produit au Canada et qu’elle avait été autorisée provisoirement à fabriquer le produit au Canada.

 

            Novartis fait également valoir qu’elle a expressément plaidé que Teva participait à des activités de contrefaçon, y compris des activités liées à l’élaboration des procédés de fabrication, aux améliorations et à l’optimisation en vue de la fabrication commerciale, la mise à l’échelle, la production, la fabrication des lots de production, l’entreposage d’échantillons, etc. dans le cadre de la préparation de sa PADN, et que ces activités constituent de la contrefaçon, sauf si Teva invoque en défense et démontre au procès que ces activités se rapportaient « uniquement » aux utilisations exemptées. Vu que les moyens de défense invoqués ne sont pas pris en considération dans le cadre d’une requête en radiation, Novartis affirme que ces allégations de contrefaçon ne doivent pas être radiées. Cet argument précis soulevé dans Eli Lilly Canada Inc. c. Nu-Pharm, précitée, a été rejeté par la juge Snider. Je suis lié, suivant les règles du précédent judiciaire, par la décision de la juge.

 

            Enfin, Novartis affirme avoir plaidé que la préparation même de la PADN constitue un acte de contrefaçon, que la Cour d’appel fédérale a qualifié dans Astrazeneca, précité, de question qui n’a pas encore été examinée par les tribunaux. Dans cette affaire, la Cour d’appel fédérale précisait que cet acte de contrefaçon nouvellement posé devrait être expressément plaidé avant de pouvoir être examiné. En l’espèce, il est vrai que Novartis allègue que Teva a déposé une PADN, mais elle ne plaide pas expressément qu’il s’agit en soi d’un acte de contrefaçon. En outre, il me semble que la juge Snider a également examiné cet argument dans l’affaire Eli Lilly Canada Inc. c. Nu-Pharm, et qu’elle l’a rejeté.

 

            Je conclus donc que les parties de la demande reconventionnelle qui portent sur la contrefaçon antérieure ou actuelle du brevet 203 doivent être radiées.

 

L’injonction préventive à l’égard du brevet 203

            Teva ne sollicite pas, dans l’action principale, un jugement déclaratoire portant que son produit ne contrefait pas le brevet 203. Par conséquent, la décision Apotex Inc. c. H Lundbeck A/S, 2010 CF 807, ne s’applique pas en l’espèce. Novartis ne conteste pas que, dans les circonstances, il est nécessaire de satisfaire à tous les critères énoncés dans Connaught Laboratories Ltd. c. SmithKline Beecham Pharma Inc. pour qu’une action préventive soit valide.

 

            Je conclus qu’il est allégué dans la demande reconventionnelle que Novartis subirait un préjudice important et probablement irréparable si la contrefaçon appréhendée se réalisait. Ce critère a manifestement été rempli.

 

            Je me penche maintenant sur l’exigence voulant que la déclaration contienne une allégation sur l’intention exprimée et délibérée de s’engager dans une activité dont le résultat implique une forte possibilité de contravention.

            En ce qui concerne l’ensemble des revendications de composition du brevet 203, les faits plaidés ne pouvaient mener à la conclusion que Teva avait l’intention de mettre un produit sur le marché sans avoir, au préalable, obtenu un AC. Il est manifeste et évident que, pour obtenir un AC, Teva doit d’abord avoir gain de cause dans la présente action en invalidation relativement aux revendications de composition. Je relève que Novartis a concédé à l’audience qu’il n’était pas possible d’être déboutée dans la procédure connexe d’interdiction contre Teva si l’action en invalidation intentée par cette dernière échouait. Il est donc manifeste et évident que Teva a l’intention de commercialiser son produit seulement si les revendications de composition du brevet 203 sont déclarées invalides. Dans ce cas, il n’y aurait aucune possibilité de contrefaçon de ces revendications. Comme il a également été mentionné précédemment, les faits substantiels allégués ne permettent pas de conclure que Teva participe à une activité de contrefaçon en attendant qu’un AC lui soit délivré. Les faits substantiels allégués ne permettent pas non plus de conclure que Teva participera à une telle activité à l’avenir.

 

            Quant à la revendication 44 du brevet 203, la situation est différente. Il s’agit d’une revendication de procédé et même si Teva sollicite également un jugement déclaratoire portant que le brevet n’est pas valide relativement à cette revendication, il n’est pas contesté que la procédure connexe d’interdiction ne renferme pas d’allégation sur la revendication 44 et que Teva peut obtenir un AC même si la validité de cette revendication de procédé est confirmée. Il est donc parfaitement concevable que, si elle obtenait un AC avant l’expiration du brevet 203, Teva pourrait commencer à vendre des produits à base d’imatinib contrefaisant la revendication 44 du brevet 203. La demande reconventionnelle contient‑elle une allégation sur l’intention exprimée et délibérée de s’engager dans une telle activité?

 

            Contrairement à l’argument de Teva, je suis convaincue que les faits plaidés sont pertinents, précis et déterminants. Tout d’abord, de l’aveu même de Teva, aux paragraphes 16 à 18 de sa déclaration, elle est une partie intéressée au sens du paragraphe 60(1) de la Loi sur les brevets, du fait qu’elle a l’intention de commercialiser des comprimés d’imatinib au Canada et que, pour vendre ces comprimés avant l’expiration du brevet 203, elle doit contester avec succès la validité des revendications pertinentes du brevet en question ou avoir gain de cause dans le cadre d’un recours en vertu du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), deux issues auxquelles elle tente de parvenir. Il serait difficile d’imaginer une expression plus claire de l’intention. En cas de doute, les allégations figurant dans la demande reconventionnelle et portant que Teva avait initialement déposé sa PADN avec l’intention exprimée d’attendre l’expiration du brevet et qu’elle avait récemment modifié sa position pour alléguer l’invalidité, que la présente action a été intentée alors qu’il ne restait que quelques années avant l’expiration du brevet et que la tenue du procès dans la présente instance est envisagée même s’il ne reste que six mois ou moins avant l’expiration du brevet, et que le représentant de Teva a déclaré que celle‑ci dispose d’un produit et veut le commercialiser, viennent corroborer cette intention exprimée. Même si Teva a fait valoir que le moment précis de son entrée sur le marché faisait l’objet d’une décision d’entreprise, les allégations relatives à l’intention exprimée et à la possibilité de participer à des activités de contrefaçon, auxquelles s’ajoutent les activités récentes de Teva, démontrent l’existence d’un but précis et d’un sentiment d’urgence qui indiquent davantage qu’une simple possibilité. Dans les circonstances, les allégations formulées dans la demande reconventionnelle suffisent amplement à satisfaire à ce critère. Il semble en effet que ces allégations d’intention exprimée correspondent exactement aux allégations qui manquaient dans l’affaire Connaught Laboratories.

 

            C’est au regard du dernier critère de la décision Connaught Laboratories que les allégations de Novartis sont irrecevables. Novartis ne soutient pas que la demande de Teva en vue d’obtenir un AC a été approuvée ou qu’elle fait l’objet d’une « suspension liée au brevet » en attente de l’issue de la procédure d’interdiction ou de l’expiration du brevet. Teva soutient par conséquent que la contrefaçon imminente est conjecturale, car elle dépend de la délivrance d’un AC par Santé Canada.

 

            Cet argument particulier a été jugé déterminant dans Pfizer Research and Development Co. N.V./S. A.. c. Lilly ICOS LLC, (2003) 207 C. P. R. (4th) 86 :

 

Les demanderesses n’ont pas établi la dimension chronologique du critère exigé pour intenter une action préventive. Aucune des parties n’a de contrôle sur la décision du gouvernement d’accorder l’approbation réglementaire de son produit, ni sur le moment de cette décision. J’estime que les demanderesses n’ont pas fait valoir de faits à l’appui de leur allégation touchant l’imminence des activités de contrefaçon des défenderesses. La présente requête en radiation de la totalité de la déclaration modifiée est accueillie, car les demanderesses n’ont pas correctement plaidé l’action préventive; il est évident et manifeste que l’acte de procédure ne révèle aucune cause raisonnable d’action.

 

            Cette décision a été citée et appliquée dans Astrazeneca Canada Inc. c. Novopharm Limited, précitée. Je suis liée par ces précédents.

 

La contrefaçon du brevet 470

            Il s’agit d’un brevet d’utilisation. La demande reconventionnelle ne renferme aucune allégation portant que Teva a commercialisé ou qu’elle commercialise actuellement son produit au Canada, contrefaisant ainsi le brevet 470. Dans la mesure où la demande reconventionnelle alléguerait une contrefaçon actuelle ou antérieure du brevet 470, elle serait fondée sur le même argument que celui mentionné plus haut, à savoir que le simple dépôt d’une PADN constitue une contrefaçon. La même conclusion s’applique donc à cet argument.

 

            En ce qui concerne une contrefaçon ultérieure, je le répète, le fait qu’un AC qui permettrait à Teva de commercialiser les produits à base d’imatinib – que l’usage soit ou non contrefaisant – n’a pas encore été délivré porte un coup fatal à l’action préventive à l’égard du brevet 470. Je n’ai donc pas à me prononcer sur ces allégations.

 

Les autres allégations

            À l’exception du paragraphe 53 de la défense modifiée, qui constitue manifestement et de toute évidence une réponse particulière à un paragraphe figurant dans la déclaration initiale de Teva, qui a été depuis retiré, je ne dispose d’aucun autre élément qui me convainque qu’il est manifeste et évident que les allégations ne peuvent en aucun cas être pertinentes ni ne permettent d’invoquer un moyen raisonnablement défendable. De plus, s’ils ne sont pas pertinents, les paragraphes contestés se résument à des « parties en trop ». Étant donné que Teva n’a pas présenté d’élément de preuve ni d’argument déterminant selon lequel ces autres déclarations formulées dans la défense lui causeraient un préjudice, c’est la décision Apotex Inc. c. Glaxo Group Limited et al., 2001 CFPI 1351, qui s’applique en l’espèce et je refuse de radier les allégations en question.

 

            LA COUR ORDONNE 

 

1.                  La requête de la demanderesse est accueillie en partie.

 

2.                  Le paragraphe 53, les alinéas 114b) à g), et les paragraphes 116 à 142 de la défense et demande reconventionnelle modifiée de la défenderesse sont par les présentes radiés.

 

3.                  La demanderesse doit signifier et déposer, au plus tard 15 jours à compter de la date de la présente ordonnance, une réponse et défense modifiée à la demande reconventionnelle.

 

4.                  Les dépens de la présente requête sont adjugés à la demanderesse.

 

 

 

« Mireille Tabib »

Protonotaire

 

 

 

Traduction certifiée conforme

Semra Denise Omer

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