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Date : 20160304


Dossier : IMM­3266­15

Référence : 2016 CF 278

[TRADUCTION FRANÇAISE RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 4 mars 2016

En présence de monsieur le juge Annis

ENTRE :

HETTY SUTHERLAND

CORNEISHA SUTHERLAND

CORNEICE SUTHERLAND

et MICHAEL SUTHERLAND

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR ou la Loi) contestant la décision d’un agent d’immigration (l’agent), qui a refusé l’examen de risques avant renvoi (ERAR) des demandeurs. Les demandeurs veulent faire annuler la décision et que l’affaire soit renvoyée pour qu’un autre agent rende une nouvelle décision.

[2]               La demande est rejetée pour les motifs suivants :

I.                   Contexte

[3]               Les demandeurs sont des citoyens de la Grenade et de Saint­Vincent­et­les Grenadines (Saint­Vincent). La demanderesse principale, Hetty Sutherland, et ses trois enfants à charge, Corneisha, Corneice et Michael, prétendent tous craindre d’être victimes de mauvais traitements de la part de l’ancien partenaire domestique de la demanderesse principale et père des demandeurs mineurs, Cornelius Hector, qui réside à Saint­Vincent.

[4]               La demanderesse principale et ses deux filles, Corneisha et Corniece, sont arrivées au Canada en provenance de la Grenade en juillet 2009, munies d’un visa de visiteur, et elles ont demandé l’asile en novembre 2009. Leur demande a été rejetée en décembre 2010. Peu après, Michael, le fil de la demanderesse principale, est arrivé au Canada et a présenté une demande d’asile indépendamment, qui a été rejetée en novembre 2011. Les demandes respectives d’autorisation et de contrôle judiciaire des demandeurs à la Cour fédérale ont été rejetées.

[5]               Le premier ERAR des demandeurs a fait l’objet d’une décision défavorable en octobre 2013. Cependant, Citoyenneté et Immigration Canada a accepté que la demande soit réexaminée par un autre agent en janvier 2015. Des observations à jour ont été transmises par la demanderesse principale en mars 2015 et une décision de refuser sa demande d’ERAR a été prise le 28 mai 2015. Le refus de cette deuxième demande d’ERAR est l’objet de ce contrôle judiciaire.

II.                Décision contestée

[6]               L’agent a conclu que la demanderesse principale ne serait pas exposée à plus qu’une simple possibilité de persécution ni à des motifs probables de préjudice irréparable à son retour à Saint­Vincent ou à la Grenade, ce dernier pays étant le lieu où la demanderesse résidait depuis 2004, avant son arrivée au Canada. L’agent a aussi rejeté les demandes des demandeurs mineurs, puisqu’elles reposaient sur celles de leur mère, en plus d’avoir découvert peu d’indications que les enfants compteraient sur leur père ou que ce dernier leur ferait du mal à leur retour.

[7]               Après avoir examiné les lettres soumises par la demanderesse principale, l’agent a conclu que l’effet cumulatif des divergences relevées dans ces lettres a réduit leur valeur probante. Par conséquent, l’agent a conclu que la preuve était insuffisante pour établir la poursuite continuelle de la demanderesse principale par M. Hector depuis 2013.

[8]               L’agent a également conclu que bien qu’il soit possible que la demanderesse principale puisse être confrontée à une discrimination et à de la violence fondées sur le sexe dans le futur, si elle retourne à Saint­Vincent ou à la Grenade, elle pourrait avoir recours à une protection adéquate de l’État à Grenade pour la protéger contre un préjudice grave, en dépit des lacunes signalées.

III.             Questions en litige

[9]               La présente demande de contrôle judiciaire soulève les points suivants :

1.      L’agent a­t­il commis une erreur en n’expliquant pas les raisons pour lesquelles il a tiré une conclusion contraire à la décision de l’ERAR antérieure?

2.      L’agent a­t­il commis une erreur en tirant une conclusion déguisée sur la crédibilité?

3.      L’agent a­t­il commis une erreur en ignorant ou en interprétant mal des éléments de preuve?

IV.             Norme de contrôle

[10]           Quant à l’interprétation qu’il convient de donner à l’obligation de présentation d’une preuve nouvelle établie par l’article 113 de la Loi, il s’agit d’une question de droit à laquelle s’applique la norme de la décision correcte : Dhrumu c. (Citoyenneté et Immigration), 2011 CF 172, au paragraphe 20. Par ailleurs, la norme de décision raisonnable s’applique aux conclusions de fait de l’agent d’ERAR.

V.                Analyse

A.                L’agent a­t­il commis une erreur en n’expliquant pas les raisons pour lesquelles il a tiré une conclusion contraire à la décision de l’ERAR antérieure?

[11]           Les demandeurs soutiennent que bien que l’agent puisse s’écarter d’une conclusion antérieure, compte tenu des motifs du juge Phelan dans Siddiqui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 6 (Siddiqui), les demandeurs, en toute équité, ont le droit qu’on leur explique pourquoi un agent en particulier, examinant les mêmes documents sur la même question, pouvait en arriver à une conclusion différente. Dans le même sens, les demandeurs se fondent aussi sur les décisions dans Burton c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 910 (Burton) et dans Mendoza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 251 (Mendoza).

[12]           Le défendeur soutient que les décisions citées par les demandeurs sont nettement distinctes au sens où la décision antérieure relative à l’ERAR n’a pas été analysée de la même manière que l’ERAR faisant l’objet du contrôle; elle n’était pas fondée sur la même preuve et elle a été annulée sur consentement. De plus, la deuxième conclusion de l’agent d’ERAR cadre avec la décision relative à la demande d’ERAR, étant donné que l’agent a conclu qu’il était possible que la demanderesse principale soit confrontée à une discrimination et à de la violence fondées sur le sexe, mais qu’elle pourrait avoir recours à une protection adéquate de l’État à la Grenade.

[13]           En l’espèce, les demandeurs ont déposé une preuve supplémentaire abondante sur la question du risque. Je suis d’avis que cela démontre qu’ils n’étaient pas disposés à se fier à l’évaluation précédente du risque dans le cadre de l’ERAR et qu’ils ont estimé qu’il fallait la compléter. En introduisant une nouvelle preuve relative au risque, l’agent d’ERAR n’a eu d’autre choix que de tenir compte de l’ensemble de la preuve pour se prononcer.

[14]           En tout état de cause, les décisions citées par les demandeurs sont nettement distinctes. Dans l’arrêt Siddiqui, les faits dans le cadre des deux ERAR étaient identiques. Dans l’arrêt Burton, il existait une directive précise de la Cour selon laquelle, dans cette affaire, un nouvel examen a été conduit sur consentement sans accord ou entente portant que l’ERAR ne devait pas être effectué en tant que demande de novo. Dans l’arrêt Mendoza, la Section de la protection des réfugiés a statué différemment d’un autre tribunal concernant une réclamation présentée par un membre de la famille dans des circonstances identiques, ne s’apparentant pas, une fois de plus, aux circonstances de la présente affaire.

[15]           Je ne relève aucune erreur susceptible de contrôle de la part de l’agent d’ERAR ayant mené une analyse de la preuve de novo, compte tenu de toute la preuve mise à sa disposition, y compris la nouvelle preuve des demandeurs.

B.                 L’agent a­t­il commis une erreur en tirant une conclusion déguisée sur la crédibilité?

[16]           Les demandeurs soutiennent que la conclusion d’insuffisance de la preuve de l’agent est déguisée sur la crédibilité en raison de l’emploi de mots comme [traduction] « vague » et [traduction] « contradictoire ». En outre, lorsqu’un agent déclare qu’il n’y avait pas de [traduction] « preuve objective suffisante » à l’appui d’une affirmation, l’agent indique qu’il ne croit pas les demandeurs, le seul recours étant de présenter une preuve corroborante objective (Liban c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1252, paragraphe 14).

[17]           Je conclus que l’agent a analysé la preuve du point de vue de sa valeur probante à l’appui des circonstances et de la preuve de madame Sutherland. Sa preuve était largement obsolète puisqu’elle a quitté la Grenade en juillet 2009. Dans le cas de la preuve corroborante supplémentaire, l’agent a examiné chacun des éléments de preuve, et tout en leur accordant une valeur probante, a décrit les limites qui ont diminué la valeur accordée.

[18]           Je ne relève aucune erreur susceptible de contrôle dans l’analyse et la conclusion de l’agent selon laquelle la preuve ne suffisait pas à conclure à des menaces de mort ou à du harcèlement continus à long terme envers madame Sutherland de la part de son ancien partenaire conjugal au cours des six années écoulées passées au Canada. Il ne s’agissait pas de conclusions quant à la crédibilité, mais plutôt d’une évaluation de la valeur probante du poids de la preuve des témoins corroborants de manière prospective, que l’agent a jugé insuffisante pour établir le risque allégué.

C.                 L’agent a­t­il commis une erreur en ignorant ou en interprétant mal des éléments de preuve?

[19]           Les demandeurs soutiennent que l’agent n’a pas tenu compte des éléments de preuve pertinents dans l’évaluation de la protection de l’État en omettant de prendre en considération la situation particulière de madame Sutherland et du profil de l’auteur en tant que producteur et vendeur de marijuana pouvant facilement se rendre à la Grenade. Par exemple, les demandeurs soutiennent que l’agent a mal interprété ou a fait abstraction de la lettre de l’agent Gerald Prince du corps de police de la Grenade qui contredisait la conclusion de l’agent en indiquant qu’il n’existe aucune sanction pour les hommes qui se livrent à des actes de violence conjugale, et qu’il n’existe donc aucune protection adéquate pour les femmes victimes de ces violences.

[20]           Les motifs démontrent que l’agent a expressément examiné les lettres des agents de police et qu’il a reconnu des rapports indiquant que les personnes impliquées dans le trafic de stupéfiants entrent à la Grenade et en repartent souvent. Cependant, l’agent a conclu que très peu d’éléments suggéraient que l’ex­conjoint de madame Sutherland avait l’intention d’échapper aux agents grenadiens pour lui faire du mal. Je suis d’avis que l’agent a examiné tous les éléments de preuve, y compris les observations supplémentaires présentées par la demanderesse principale avant de conclure que les demandeurs pouvaient retourner à la Grenade.

[21]           Je conclus que la plainte des demandeurs repose en fait sur leur désaccord avec l’évaluation du risque de l’agent et qu’ils demandent à la Cour d’apprécier de nouveau la preuve. Il n’appartient pas à la Cour de le faire. La Cour a plutôt pour tâche d’évaluer toute erreur déraisonnable susceptible de contrôle ou alors d’examiner la qualité des motifs en fonction de la justification, de l’intelligibilité et de la transparence de la décision au regard des faits et du droit.

VI.             Conclusion

[22]           La décision et les motifs de l’agent répondent aux exigences en matière de justification, de transparence et d’intelligibilité, et appartiennent aux issues possibles acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

[23]           Par conséquent, la demande est rejetée. Aucune question n’a été certifiée aux fins d’appel.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande est rejetée et qu’aucune question n’est certifiée aux fins d’appel.

« Peter Annis »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM­3266­15

 

INTITULÉ :

HETTY SUTHERLAND, CORNEISHA SUTHERLAND, CORNEICE SUTHERLAND ET MICHAEL SUTHERLAND c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 10 février 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ANNIS

 

DATE DES MOTIFS :

Le 4 mars 2016

 

COMPARUTIONS :

Marjorie L. Hiley

Pour les demandeurs

 

Neeta Logsetty

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Flemington Community Legal Services

Toronto (Ontario)

 

Pour les demandeurs

 

William F. Pentney

Sous­procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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