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Date : 20160304


Dossier : IMM-3570-15

Référence : 2016 CF 279

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 4 mars 2016

En présence de monsieur le juge Annis

ENTRE :

S.S.R.

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS :

[1]               Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire en vertu du paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR ou la Loi) qui conteste une décision de la Section d’appel de l’immigration (la SAI ou la Commission) de rejeter l’appel du demandeur concernant la décision d’un agent des visas de Citoyenneté et Immigration Canada de refuser d’accorder à l’épouse du demandeur le statut de résidente permanente en vertu des dispositions de parrainage conjugal de la Loi. Le demandeur requiert que la décision soit annulée et que l’affaire soit renvoyée aux fins d’un nouvel examen par un tribunal constitué différemment.

[2]               La demande est rejetée pour les motifs suivants :

I.                   Contexte

[3]               Le demandeur, S.S.R., est un citoyen de l’Inde qui a lui­même été parrainé dans le passé par son ex­épouse. En conséquence, le demandeur a obtenu le statut de résident permanent à son arrivée au Canada, le 17 janvier 1987. Le couple s’est marié le 5 avril 1987 et a deux enfants nés au Canada. Ils se sont séparés en 2005, puis ont divorcé en 2009.

[4]               L’épouse du demandeur, K.K.R., est une citoyenne de l’Inde et a deux filles, âgées respectivement de 22 et 24 ans. Elle a épousé son premier mari en 1989. Il est venu au Canada en 2004 et a déposé une demande d’asile. Ses parents et frères et sœurs vivent au Canada. K.K.R. est demeurée mariée à cet homme jusqu’au décès de ce dernier, en 2010. Elle a vécu avec ses deux filles dans la maison de la famille de son mari, en Inde, jusqu’au décès de celui­ci. Elle prétend que suivant ce décès, la famille de son défunt mari lui a demandé de quitter la maison avec ses deux filles.

[5]               Le demandeur s’est rendu en Inde du mois de février au mois d’avril 2010, mais il n’a pas, pendant cette période, rencontré sa femme ou d’autres conjointes potentielles parce qu’il a prétendu n’avoir aucune intention de se remarier à ce moment­là.

[6]               Vers la fin de l’année 2010, le demandeur soutient avoir communiqué avec un ami pour lui demander de l’aider à trouver une épouse convenable. Suivant cette conversation, le demandeur a reçu le numéro de téléphone de son épouse. Il indique avoir pris l’initiative du premier contact en lui téléphonant en décembre 2010.

[7]               Le 6 janvier 2011, le demandeur s’est rendu en Inde sans avoir vu une seule photo de sa future épouse. Le 18 janvier 2011, il l’a rencontrée en personne, de même que ses deux filles adultes, sa mère, son frère et sa belle­sœur. Ce jour­là, ils ont décidé de se marier. La cérémonie du mariage a eu lieu quatre jours plus tard, le 22 janvier 2011. Le mariage n’a pas été célébré selon les coutumes locales, sans attendre le délai habituel suivant la mort du mari. En outre, environ 200 personnes ont assisté au mariage, la cérémonie n’a pas eu lieu dans le quartier de l’épouse et plusieurs membres de la famille et parents n’étaient pas présents à cette célébration.

[8]               Le 13 juillet 2011, la demande de statut de résidence permanente de l’épouse du demandeur a été reçue. Elle a été rencontrée en entrevue le 5 avril 2012. La même journée, la demande a été refusée en raison de la détermination par l’agent des visas que le mariage n’était pas authentique et qu’il visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi.

[9]               Le demandeur a interjeté appel auprès de la Section d’appel de l’immigration (SAI) concernant la décision de l’agent des visas. Une audience de novo a eu lieu, au cours de laquelle le demandeur, son épouse et la fille de celle­ci ont témoigné au cours de deux séances (le 30 janvier 2015 et en mai 2015). Au cours de la première audience, une preuve documentaire déposée indiquait que l’appelant avait obtenu un pardon concernant neuf condamnations au criminel, mais les documents à l’appui étaient incomplets. La deuxième audience avait pour objectif de donner l’occasion au demandeur de fournir des éléments de preuve et observations permettant de déterminer s’il respectait les exigences de parrainage conformément à l’alinéa 133(1)e) du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés [le Règlement] malgré ses neuf condamnations au criminel.

[10]           Le 7 juillet 2015, la Commission a rejeté l’appel. Il s’agit de la décision faisant actuellement l’objet d’un contrôle judiciaire.

II.                Décision contestée

[11]           La Commission a énoncé trois questions à déterminer. Premièrement, on devait déterminer si le demandeur s’était acquitté de son fardeau d’établir l’authenticité de son mariage, et s’il s’était marié principalement pour des motifs liés à l’immigration. Deuxièmement, on devait déterminer si l’alinéa 133(1)e) et le paragraphe 133(2) du Règlement s’appliquaient en raison des condamnations au criminel passées du demandeur. Troisièmement, on devait déterminer s’il existait suffisamment de motifs d’ordre humanitaire pour la prise de mesures spéciales.

[12]           La Commission a conclu que le demandeur ne s’était pas acquitté de son fardeau de prouver que le mariage n’avait pas été conclu principalement pour des motifs liés à l’immigration. En conséquence, il n’était plus nécessaire de répondre aux questions deux et trois.

[13]           En déterminant que le mariage a été conclu principalement pour des motifs liés à l’immigration, la Commission a tiré une conclusion défavorable sur la crédibilité du couple en s’appuyant sur les nombreuses réponses ambigües et incohérences dans les témoignages et documents, dont les suivantes : la date de leur premier contact; la connaissance des parents du demandeur et les raisons de leur absence au mariage; la date de divorce du demandeur et s’il a fait des recherches pour trouver une autre épouse potentielle avant de se marier; l’intention réelle du demandeur et de son épouse pour conclure leur mariage et une cérémonie de mariage contraire aux normes sociales de leur communauté; l’historique de travail du demandeur et le soutien financier fourni à son épouse et ses filles; les deux tentatives infructueuses de l’épouse du demandeur d’obtenir un visa de résidente temporaire au Canada depuis avril 2010.

III.             Cadre législatif

[14]           La disposition suivante du Règlement est applicable en l’espèce :

4 (1) Pour l’application du présent règlement, l’étranger n’est pas considéré comme étant l’époux, le conjoint de fait ou le partenaire conjugal d’une personne si le mariage ou la relation des conjoints de fait ou des partenaires conjugaux, selon le cas :

 

4 (1) For the purposes of these Regulations, a foreign national shall not be considered a spouse, a common-law partner or a conjugal partner of a person if the marriage, common-law partnership or conjugal partnership

a) visait principalement l’acquisition d’un statut ou d’un privilège sous le régime de la Loi;

 

(a) was entered into primarily for the purpose of acquiring any status or privilege under the Act; or

 

b) n’est pas authentique.

(b) is not genuine.

 

IV.             Question en litige

[15]           La seule question débattue était de savoir si la Commission avait commis une erreur de droit en déterminant que le mariage avait été conclu principalement dans le but d’obtenir un statut ou privilège particulier en vertu de la LIPR.

V.                Norme de contrôle applicable

[16]           Les parties conviennent qu’un appel soumis à la Section d’appel de l’immigration (SAI) concernant le rejet par un agent des visas d’une demande de parrainage pour son épouse demande l’application de la norme de la décision raisonnable : Dunsmuir c. Nouveau­Brunswick, 2008 CSC 9 (arrêt Dunsmuir).

VI.             Analyse

[17]           Le demandeur a indiqué que la Commission a commis une erreur en concluant que la réelle intention de l’épouse pour se marier avec le demandeur n’était pas claire. Il invoque le fait que la Commission n’a pas tenu compte de facteurs pertinents, a mal interprété et ignoré les preuves soumises, et a tiré des conclusions illogiques et incompréhensibles qui ne sont pas fondées sur ces preuves et qui sont contredites par le dossier de preuve.

[18]           La Cour fait remarquer que la SAI a déterminé que le demandeur et son épouse n’étaient pas crédibles. Au début de son analyse, la Commission a fourni de nombreux exemples d’incohérences liées aux témoignages du demandeur et de son épouse, ainsi qu’à la documentation. Dans la plupart des cas, le demandeur n’a pas tenté de contester ces motifs.

[19]           De plus, la Commission a décrit de nombreuses autres incohérences et modifications dans les témoignages au moment d’analyser chacune des questions dont elle a été saisie. La Commission a conclu que les témoignages des deux parties étaient souvent confus, et que le demandeur n’a pas répondu directement aux questions. Les transcriptions des témoignages sont venues appuyées les conclusions de la Commission, notamment dans les cas où ces transcriptions indiquent que les commissaires ont dû demander au témoin de répondre à la question posée. De telles conclusions négatives liées à la crédibilité offrent une base raisonnable pour la décision de la Commission rejetant les motifs évoqués par les époux pour leur mariage.

[20]           Le principal argument du demandeur était que la Commission avait commis une erreur en ne concluant pas que les intentions du couple pour se marier étaient authentiques, compte tenu des similitudes entre leur situation respective liées aux éléments suivants : leur âge, leur situation maritale respective et leur désir de refaire leur vie. Cet argument ne tient pas compte des nombreuses raisons fournies par la SAI qui minent l’intention raisonnable pouvant être attribuée au demandeur et à son épouse pour se marier en se basant sur les motifs généralement invoqués par les personnes pour conclure un mariage. La première incohérence correspond au caractère plutôt inhabituel de la démarche menant à leur contact initial, au fait qu’ils ont convenu très rapidement de se marier, la manière expéditive dont la cérémonie de mariage a été célébrée environ quatre jours plus tard, le non­respect des coutumes locales au cours de la cérémonie de mariage, y compris l’ampleur de celui­ci pour un second mariage, l’endroit où la cérémonie a eu lieu, c’est­à­dire à l’extérieur du quartier de l’épouse, et le fait que peu de membres des familles ont assisté à la cérémonie.

[21]           En ce qui a trait à l’adéquation existant entre les époux, le rejet par la Commission de la réelle intention derrière le mariage est également raisonnable étant donné le manque de temps pour développer leur relation et évaluer la qualité de celle­ci, alors qu’un jugement raisonnable avant d’entrer dans une relation sérieuse à long terme soulèverait de sérieuses préoccupations au sujet des chances de réussite d’un mariage.

[22]           Le demandeur avait un dossier criminel contenant des infractions graves : violence familiale, agression armée, ordonnances de non­communication. De plus, il avait connu l’échec d’un mariage et vivait séparé de son ex­épouse et de ses enfants. Puisque l’épouse a déclaré qu’elle avait également connu un mariage raté en raison de l’abandon de son mari, il pourrait sembler raisonnable qu’avant de prendre un engagement à vie pour elle et sa famille, elle considère que le demandeur ne soit pas à prime à bord un candidat approprié pour le mariage.

[23]           La Cour a également trouvé raisonnable le rejet par la Commission de l’authenticité des motifs de l’épouse pour se marier avec le demandeur, c’est­à­dire que ce mariage permettrait à celle­ci et à ses filles d’obtenir un soutien et une stabilité sur le plan financier. La preuve produite appuie fortement la conclusion voulant que le demandeur n’était pas dans une position pour soutenir financièrement la famille au Canada. Il n’a fourni aucun élément de preuve probant corroborant ses prétentions quant à sa situation financière adéquate liée à son emploi de conducteur de camion, comme des avis d’imposition ou des lettres d’employeurs pour la période de 2010­2011.

[24]           De plus, dans une lettre déposée à la Commission des libérations conditionnelles en 2013, dans laquelle le demandeur a soumis une nouvelle demande de pardon pour ses nombreuses condamnations au criminel, il a reconnu qu’en 2010, seulement quatre mois avant son mariage, il recevait de l’aide sociale et était sans emploi. C’est seulement à ce moment qu’il a indiqué que le pardon l’aiderait à obtenir du travail comme conducteur de camion. Cet emploi a été mentionné comme élément de base sur lequel l’époux se fiait pour fournir une stabilité financière.

[25]           De façon similaire, la Cour ne trouve pas déraisonnable la conclusion de la SAI indiquant qu’un important facteur de motivation à l’appui du mariage était que les parents du défunt mari (et les quatre enfants) souhaitaient que les deux petites­filles et leur mère viennent vivre avec ou près d’eux au Canada.

[26]           Une partie de ce raisonnement est lié au fait que la Commission n’est pas convaincue que l’épouse était à l’époque en mauvais termes avec son mari maintenant décédé. Il a quitté la famille en 2004 pour venir au Canada, où il a déposé une demande d’asile, qui est apparemment demeurée en attente jusqu’à sa mort, en 2010. Dans un premier temps, l’épouse a indiqué que son mari décédé n’avait pas subvenu à ses besoins et à ceux de ses enfants après l’arrivée de celui­ci au Canada. Cependant, elle a été prise en pleine contradiction et a en bout de ligne reconnu qu’il envoyait de l’argent à la famille, mais que, selon elle, les sommes n’étaient pas suffisantes. Les montants fournis par le défunt mari n’ont pas été corroborés; on présume que c’est parce qu’on n’a pas initialement admis leur existence. On a également indiqué que l’épouse sanglotait au moment de fournir des éléments de preuve liés à son mari décédé. Dans ces circonstances, le scepticisme de la Commission est raisonnable étant donné qu’il n’existe pas d’éléments de preuve objectifs démontrant que le mari décédé ne continuait pas de subvenir aux besoins de la famille et que son intention était de réunir la famille au Canada, où il devait obtenir son visa de résidence permanente.

[27]           La demanderesse avait également fait valoir que les parents du mari l’avaient mal traitée ainsi que ses deux filles en les expulsant de la maison familiale du mari en Inde. Si l’on exclut son témoignage peu fiable, il n’existe aucun élément de preuve contredisant la forte présomption que les grands­parents seraient normalement animés d’un fort sentiment d’amour et d’affection pour leurs petits­enfants et nièces, et ce, quelle que soit la qualité de la relation entre les parents. Étant donné le décès de leur fils et en acceptant le fait que l’intention liée au mariage était de fournir des conditions de vie stables à leur famille, il n’est pas déraisonnable que les membres de la famille du mari décédé veuillent fortement que ses filles vivent avec eux ou près d’eux au Canada, pour toutes les raisons qu’il avait invoquées pour faire une demande d’asile. D’autant plus que le demandeur et son épouse ne peuvent offrir aucun motif raisonnable pour expliquer leur mariage précipité ou les moyens qui seront utilisés pour fournir le soutien financier allégué.

[28]           Compte tenu de ce qui précède, je trouve raisonnable les conclusions de la Commission déterminant que le demandeur et son épouse n’étaient pas crédibles au moment de décrire leur motivation pour se marier et qu’ils n’ont pas établi la probabilité que leur mariage n’avait pas été conclu pour des motifs d’immigration qui vont à l’encontre de l’article 4 du Règlement.

VII.          Conclusion

[29]           La demande est rejetée. Aucune question n’est certifiée aux fins d’appel.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande est rejetée et qu’aucune question n’est certifiée aux fins d’appel.

« Peter Annis »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-3570-15

 

INTITULÉ :

S.R.R. c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 18 février 2016

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE ANNIS

 

DATE DES MOTIFS :

Le 4 mars 2016

 

COMPARUTIONS :

Britt Gunn

Pour le demandeur

 

Negar Hashemi

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Waldman & Associates

Toronto (Ontario)

 

Pour le demandeur

 

William F. Pentney

Sous­procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

 

Pour le défendeur

 

 

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