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Date : 20160303


Dossier : IMM-7935-14

Référence : 2016 CF 277

Ottawa (Ontario), le 3 mars 2016

En présence de madame la juge Gagné

ENTRE :

LAMINE YANSANE

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Nature de l’affaire

[1]  Monsieur Lamine Yansane demande le contrôle judiciaire de la quatrième décision négative du défendeur à l’égard de sa deuxième demande d’examen des risques avant renvoi [ERAR]. Sa première demande d’ERAR a également été rejetée, mais cette Cour a refusé sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de cette décision.

[2]  Le demandeur plaide essentiellement que la décision sous étude est déraisonnable et que l’agente d’ERAR était liée par les conclusions et directives antérieures de cette Cour et qu’elle a fait défaut de les suivre. Pour une meilleure compréhension des arguments du demandeur, je joins aux présents motifs les deux décisions précédentes de la Cour.

[3]  Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire sera accueillie et une question d’importance générale sera certifiée.

II.  Faits

[4]  Le demandeur est un citoyen de la Guinée d’ethnie Soussou et de confession musulmane, dont la ville natale est Boké. Il affirme que sa famille est très conservatrice et que son père est un imam. Le demandeur allègue que sa vie est menacée par son père, qui l’accuse d’apostasie en raison de son mariage en 1994 avec une femme chrétienne, et surtout de sa conversion subséquente au christianisme. Le père du demandeur aurait consenti au mariage à la condition que son épouse se convertisse à l’islam après le mariage. Peu de temps après le mariage, le père du demandeur s’est même porté garant pour que le demandeur puisse acheter un terrain et y construire un garage mécanique.

[5]  Le demandeur et son épouse ont habité la concession familiale du demandeur pendant dix ans après le mariage, période au cours de laquelle sont nés leurs trois enfants.

[6]  Le demandeur affirme toutefois que les pressions s’accentuaient pour que son épouse se convertisse à l’islam. Devant le refus de cette dernière, le père du demandeur aurait requis de lui qu’il laisse sa femme pour épouser une cousine. En 2004, devant cette pression, le demandeur et sa famille ont décidé de déménager à Conakry, capitale de la Guinée située à quelques trois cents kilomètres de Boké.

[7]  À Conakry, le demandeur a commencé à accompagner son épouse à l’Église catholique. Le 15 septembre 2005, ayant eu vent de rumeurs, le père du demandeur s’est rendu chez lui en compagnie d’un oncle pour le battre avec un bâton, le maudire et le menacer de mort. Les 26 et 28 septembre 2005, avec l’aide de son beau-frère, le demandeur a porté deux plaintes à la police.

[8]  Suite à cet événement, le demandeur s’est d’abord réfugié avec sa famille chez le frère de son épouse, pour ensuite fuir la Guinée le 15 octobre 2005. Il a réclamé l’asile au Canada le 9 novembre 2005. Le demandeur affirme que son père a émis une fatwa contre lui, voulant qu’il soit tué pour avoir déshonoré la famille.

[9]  Le 15 août 2006, la Section de la protection des réfugiés [SPR] a rejeté la demande d’asile du demandeur en raison de son manque général de crédibilité. Cette Cour a rejeté la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de cette décision.

[10]  Par la suite, le demandeur a présenté une première demande d’ERAR ainsi qu’une demande de résidence permanente pour considérations humanitaires [CH], lesquelles ont été rejetées le 26 novembre 2007. La demande de contrôle judiciaire de ces décisions a été rejetée (la demande d’autorisation a été accordée uniquement à l’égard de la demande CH, et la demande de contrôle judiciaire de cette décision a été rejetée par le juge Lagacé dans Yansane c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 1213).

[11]  Une première demande de sursis lui est refusée, mais le demandeur n’est alors pas renvoyé en raison d’une difficulté à obtenir les documents de voyage requis.

[12]  Le 12 novembre 2008, le demandeur présente une deuxième demande d’ERAR, appuyée de nouveaux éléments de preuve, incluant des preuves attestant de sa conversion au christianisme et de la fatwa prononcée par son père contre lui.

[13]  La même agente d’ERAR examine cette demande et la rejette. Quelques mois plus tard, la demande de sursis de l’exécution de la mesure de renvoi présentée par le demandeur est accordée par le juge Lemieux de cette Cour qui conclut qu’une question sérieuse réside dans le fait que l’agente avait possiblement ignoré les consignes émises par la Cour d’appel fédérale dans Raza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 FCA 385 [Raza] ou qu’elle avait possiblement erré en accordant trop peu de poids à la nouvelle preuve produite (Yansane c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 75 [Yansane 1]).

[14]  La demande de contrôle judiciaire de la première décision négative à l’égard de la seconde demande d’ERAR du demandeur est accueillie par le juge Shore dans Yansane c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 1242 [Yansane 2]. Après avoir cité certains extraits de Yansane 1, où le juge Lemieux reprend l’analyse faite par la juge Sharlow dans Raza, le juge Shore s’exprime comme suit :

[19]  Monsieur Yansane a été baptisé en avril 2007. Aucune considération significative n’a été donnée à ce baptême quant aux risques invoqués par monsieur Yansane.

[20]  Le risque personnel n’a pas été évalué d’une façon raisonnable. Dans son cas, le changement de religion, l’apostasie, est punissable de mort. Le père de monsieur Yansane, dans une preuve non contredite, a menacé son propre fils de le punir de mort par Fatwa annoncée publiquement pendant les prières officielles. Selon lui, le père de monsieur Yansane a décidé d’appliquer les prescriptions de sa tradition. Il ne s’agit pas de savoir, pour l’agent d’ERAR, s’il s’agit ou non d’une pratique vraisemblable dans son pays d’origine. Le risque de mort provient du père de monsieur Yansane, comme personnage public (la Cour se réfère à la preuve, non contredite, de l’Archevêché de Conakry, dans une lettre, datée le 14 mai 2008).

[21]  Le danger de persécution est principalement lié au changement de religion. Le fait qu’il ait épousé une femme d’une autre religion est un événement qui explique le choix religieux de monsieur Yansane et qui aggrave le danger de persécution. Le changement de religion a été confirmé par le baptême qui a eu lieu à Montréal. Monsieur Yansane est menacé de mort par son père. Cet aspect du danger n’a pas été considéré dans la décision d’ERAR (la Cour se réfère à la preuve, non contredite, de l’Archevêché de Montréal, dans une lettre, datée le 27 février 2008).

[15]  Le dossier a donc été remis au défendeur pour une nouvelle détermination et une nouvelle décision négative est rendue par une autre agente d’ERAR.

[16]  La demande de contrôle judiciaire de cette deuxième décision négative à l’égard de la seconde demande d’ERAR a fait l’objet d’un consentement à jugement par les parties, et la demande de contrôle judiciaire de la troisième décision négative est accueillie, à nouveau par le juge Shore, dans une décision non rapportée du 20 novembre 2013 (Yansane c Canada (Citoyenneté et Immigration), IMM-2927-13 [Yansane 3], ci-joint). L’essentiel de cette décision mérite d’être reproduit :

SACHANT que, dans ce cas d’espèce, basé sur des faits uniques, malgré l’argumentation travaillée en profondeur du défendeur et la bonne foi de l’agent d’ERAR, la Cour ne trouve pas la décision raisonnable en soi, compte tenu de la nouvelle preuve qui démontre que le péril existant dans le passé est renouvelé dans le présent, révélant que l’espace de temps écoulé ne donne pas une situation statique, mais plutôt une où le danger peut être vu de nouveau chaque fois;

DONC, la Cour est encore une fois du même avis que chacun des juges de cette Cour saisis antérieurement d’une demande à l’égard du demandeur [à noter qu’outre le juge Lemieux qui a accordé au demandeur un sursis de déportation dans Yansane 1, en appliquant un test beaucoup moins exigeant que celui applicable au contrôle judiciaire, le juge Shore était le seul juge de cette Cour à avoir tranché en faveur du demandeur, dans Yansane 2];

SACHANT que les quatre décisions antérieures, soumises à l’égard du demandeur, discutées devant cette Cour ont été soulevées de nouveau à l’égard de la présente situation du demandeur, la Cour est toujours entièrement en accord avec chacun des paragraphes et citations des décisions antérieures. Ces décisions devraient être lues en profondeur sachant qu’il y avait des ordonnances pour les mettre en vigueur. D’ailleurs, les preuves les plus récentes sous forme de lettre devant cette Cour sont acceptées comme preuves valables;

CONSIDÉRANT que, parmi les multiples preuves nouvelles et importantes acceptées par cette Cour selon les critères de la décision de la Cour d’appel fédérale en Raza c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 385, écrit sous la plume du juge Karen Sharlow, la lettre de l’Archevêché de Montréal, datée le 13 juin 2012, démontre toujours l’état de la situation qui demeure à l’égard du demandeur advenant le retour de celui-ci dans son pays d’origine; ceci, après considération à nouveau suite à la preuve soumise au dernier agent ERAR;

RÉALISANT que, sans information claire et convaincante de l’Ambassade du Canada du pays d’origine du demandeur (ou une autre preuve fournie sur demande par une autorité émanant de la branche exécutive du gouvernement canadien) pour contredire la preuve au dossier, cette Cour ne pourra pas juger autrement que ce qu’elle a décidé depuis le début du dossier avec la preuve devant elle; c'est-à-dire d’avoir devant la Cour des assurances claires et convaincantes de source provenant d’une autorité gouvernementale du pays d’origine du demandeur à l’égard de sécurité ou de protection possible envers le demandeur compte tenu de la preuve la plus récente à l’appui. Ce type de preuve est nécessaire pour contredire la nouvelle preuve au dossier, comme dans certains autres cas qui ont été devant cette Cour où la Cour a accepté les assurances du pays d’origine en question pour changer son point de vue à l’égard d’une preuve courante au dossier;

[17]  Le dossier est de nouveau remis au défendeur pour une nouvelle détermination et une nouvelle agente d’ERAR rejette, pour la quatrième fois, la demande du demandeur. Le 5 juin 2015, lorsque la demande de contrôle judiciaire de la quatrième décision négative (celle qui fait l’objet de la présente demande) vient pour audition devant la Cour, à nouveau devant le juge Shore, celui-ci reporte l’audition de la cause et émet la directive suivante :

« La cause est ajournée jusqu’en novembre 2015 suite à l’étude nécessaire pour les deux côtés à l’égard des documents et de la preuve essentiels pour, après maintes reprises, avoir la possibilité de voir clair à l’intérieur de ce dossier. »

[18]  Le 25 juin 2015, le défendeur informe la Cour qu’il ne fera « aucune vérification auprès des affaires étrangères ou autrement … [étant] … d’avis que lors d’un contrôle judiciaire, la preuve doit se limiter à celle qui était devant le décideur. Ainsi, toute nouvelle preuve obtenue après la décision de l’agent ERAR ne serait d’aucune utilité. »

[19]  Le 16 novembre 2016, j’ai entendu la demande de contrôle judiciaire de la quatrième décision négative du défendeur, à l’égard de la deuxième demande d’ERAR du demandeur.

III.  Décision contestée

[20]  Lorsque le dossier est remis au défendeur pour une quatrième fois, le demandeur est convoqué à une audience devant l’agente d’ERAR, conformément à l’alinéa 113b) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001 c 27 [LIPR] et à l’article 167 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227. La deuxième demande d’ERAR du demandeur est donc rejetée pour la quatrième fois le 27 mars 2014.

[21]  D’entrée de jeu, l’agente précise qu’elle a « jugé bon avant de suivre les ordonnances plus récentes de la Cour, de rencontrer le demandeur afin d’évaluer la crédibilité de ses allégations. » Suite à l’audience, elle conclut que le demandeur n’est pas généralement crédible, et que la preuve présentée n’est pas suffisante pour justifier les nombreuses contradictions et invraisemblances présentes dans le récit du demandeur. Voici les contradictions les plus importantes soulevées par l’agente :

  Par rapport à sa relation avec son épouse, le demandeur a donné une version complètement différente de celle présentée à la SPR, quant à la fréquence à laquelle sa femme et lui se voyaient avant qu’ils se soient mariés; le demandeur a également affirmé dans son témoignage que sa tante l’aurait vu sortir de l’église à Conakry et en aurait informé le père du demandeur, mais le demandeur n’avait jamais mentionné cette tante auparavant;

  Par rapport à l’opposition de son père à son mariage, certains éléments du témoignage du demandeur allaient à l’encontre de ses allégations de persécution : le demandeur avait vécu dans la concession familiale pendant dix ans; son père s’était porté garant pour permettre au demandeur de se porter acquéreur d’un terrain et ce, après son mariage avec une catholique; contrairement au témoignage du demandeur, le Coran permet l’union mixte d’un homme musulman avec une femme chrétienne;

  Le demandeur s’est contredit quant à l’âge qu’il avait quand son père est devenu imam; la carte d’identité du père avait visiblement été modifiée à l’endroit où son occupation est notée – ces deux éléments ont mené l’agente ERAR à ne pas croire que le père du demandeur est bel et bien un imam;

  Le demandeur a donné des versions différentes quant au moment où il s’est converti au christianisme et il a eu de la difficulté à répondre aux questions de l’agente sur les divers sacrements catholiques, affirmant même que la première communion se fait avant le baptême;

  Le demandeur a omis de mentionner ses demi-frères et sœurs dans sa demande (mais en a parlé à l’audience), et a omis de parler d’une ancienne épouse de son père qui était pourtant mentionnée dans sa plainte à la police de 2005;

  La preuve documentaire présentée par le demandeur comporte plusieurs anomalies, les originaux et les preuves de transmissions n’ont pas été fournis et elles sont somme toute peu crédibles;

  La preuve documentaire sur les conditions du pays démontre que les relations entre chrétiens et musulmans dans la population générale sont bonnes, bon nombre de couples affichent leur mixité religieuse, et les chrétiens peuvent pratiquer librement leur religion.

IV.  Questions en litige

[22]  Il n’est pas contesté que la norme de la décision raisonnable s’applique aux conclusions de faits et aux conclusions mixtes de faits et de droit auxquelles en arrive un agent d’ERAR (Kandel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 659 au para 17; Kovacs c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 1003 au para 46). Puisque je suis d’avis que la décision contestée est raisonnable en soi, c’est-à-dire lorsqu’on la considère sans égard à son historique procédural, la question déterminante est donc :

-  En l’absence d’un verdict dirigé, quel est l’impact des conclusions de faits et directives de la Cour fédérale sur un décideur administratif appelé à trancher l’affaire de nouveau?

[23]  J’expliquerai d’abord brièvement pourquoi je suis d’avis que la décision de l’agente d’ERAR est intrinsèquement raisonnable, c'est-à-dire si l’on ne tient pas compte des décisions rendues dans Yansane 2 et Yansane 3 et de la directive du 3 juin 2015. Je répondrai ensuite à la question déterminante.

V.  Analyse

A.  La décision de l’agente d’ERAR est-elle intrinsèquement raisonnable ?

[24]  À l’issue d’une entrevue de près de trois heures, l’agente d’ERAR conclut que la demande du demandeur est généralement non crédible. Elle relève plusieurs contradictions et invraisemblances, dont certaines sont de peu d’importance, mais dont d’autres sont plutôt significatives. Ce sont ces dernières qui, prises cumulativement, justifient amplement les conclusions de l’agente.

[25]  D’abord, lors de sa demande d’asile, le demandeur a affirmé avoir fréquenté sa future épouse en cachette pendant une période de trois ans avant le mariage. Ils se voyaient tous les jours pendant les vacances scolaires et une fois par mois pendant la période scolaire. Il a indiqué qu’il connaissait la religion de sa future épouse avant de commencer à la fréquenter puisqu’elle habitait le même quartier que lui. La SPR n’a pas cru que le demandeur ait pu fréquenter sa future épouse pendant trois ans dans son quartier à l’insu de son père, alors que sa fréquentation de l’Église à Conakry, une ville d’un million d’habitants se trouvant à trois cents kilomètres de Boké, aurait rapidement été portée à sa connaissance.

[26]  Devant l’agente d’ERAR, le demandeur modifie son récit et affirme plutôt n’avoir fréquenté sa future épouse que quelques mois avant le mariage, qu’elle habitait à huit kilomètres de chez lui et qu’ils parvenaient à se voir en cachette, dans des endroits discrets.

[27]  Il a également ajouté qu’il s’était souvenu qu’une tante l’aurait aperçu à l’Église de Conakry et qu’elle en aurait probablement informé son père.

[28]  Il était raisonnable pour l’agente d’ERAR de conclure que le demandeur a ajusté son témoignage pour répondre aux préoccupations et conclusions négatives auxquelles en est arrivée la SPR.

[29]  Par ailleurs, lorsque l’agente questionne le demandeur sur les divers sacrements de l’Église catholique, il indique d’abord qu’il était trop nerveux pour répondre. Il nomme ensuite le baptême et la première communion et affirme catégoriquement, à deux reprises, que la première communion se fait toujours avant le baptême.

[30]  Ensuite l’agente réfère le demandeur à une lettre qu’il aurait reçue du Catéchuménat de Montréal dans laquelle on l’invite à une cérémonie de confirmation, présidée par le Cardinal Jean-Claude Turcotte, qui devait se tenir le 25 février 2007. Le demandeur confirme d’abord qu’il a effectivement participé à cette cérémonie et qu’il a été confirmé. Toutefois, confronté avec son certificat de baptême (P-7) qui indique qu’il n’aurait été baptisé que le 7 avril 2007, le demandeur indique alors qu’il ne savait plus s’il avait été confirmé et il invite l’agente à contacter son église pour plus d’information. Le demandeur dépose un affidavit au soutien de sa demande de contrôle judiciaire et bien qu’il ait eu l’occasion de le faire, il ne contredit pas les conclusions de l’agente à cet égard.

[31]  L’agente passe en revue l’ensemble de la preuve documentaire et la considère peu convaincante.

[32]  D’abord, la majorité des originaux et des preuves de transmission manquaient. Dans son affidavit, le demandeur indique seulement qu’il était sous l’impression qu’il avait apporté avec lui les originaux, mais n’est aucunement catégorique à cet égard. Lors de l’audience devant la Cour, le procureur du demandeur n’est pas non plus en mesure de confirmer que les originaux ont bien été soumis à l’agente pour analyse.

[33]  Par ailleurs, l’agente note un certain nombre d’anomalies. Par exemple, l’entête de la lettre de la Paroisse Sacré-Cœur de Boké (P-19) comporte une faute d’orthographe dans le mot paroisse; la lettre de l’Archevêché de Conakry du 14 mai 2008 (P-21) est non signée et son sceau est illisible; la photocopie de la carte d’identité du père du demandeur (P-1) semble avoir été altérée, etc.

[34]  Somme toute, l’agente d’ERAR évalue l’ensemble de la preuve devant elle et je suis d’avis que si l’on fait fi des décisions antérieures de la Cour, sa décision est intelligible et transparente et que ses conclusions font partie des issues possibles et acceptables pouvant se justifier au regard des faits et du droit.

B.  Impact des décisions de la Cour dans Yansane 2 et Yansane 3 et de la directive du 5 juin 2015

[35]  À l’égard de la directive du 5 juin 2015, je suis d’avis que l’arrêt Mazhero c Fox, 2014 CAF 200 trouve ici application :

[19]   … Exceptionnellement, il convient de donner une directive lorsqu'il faut guider les parties ou le greffe sur des questions de procédure, ou examiner une question à laquelle les parties ont consenti ou qui, pour d'autres raisons, peut raisonnablement être considérée comme n'étant pas controversée. La directive ne devrait jamais être utilisée à la place d'une ordonnance lorsqu'il est raisonnable de penser qu'une partie pourrait vouloir interjeter appel.

[20]   Cela dit, il n'en demeure pas moins que toute directive d'un juge de la Cour ou de la Cour fédérale doit être respectée à moins d'être annulée ou modifiée. …

[36]  Puisqu’il est de jurisprudence constante que la seule preuve admissible à l’analyse d’une demande de contrôle judiciaire est celle qui se trouvait devant le décideur administratif, je vais annuler la directive émise par la Cour le 3 juin 2015.

[37]  Cependant, cette directive, émise par le juge Shore alors qu’il était saisi de la décision présentement sous étude, m’aide à interpréter ses décisions dans Yansane 2 et Yansane 3 et confirme son analyse précédente de la preuve documentaire qui se trouvait devant les deuxième, troisième et quatrième agents d’ERAR. Il répète à plusieurs reprises qu’à son avis, cette preuve devait non seulement être admise selon les critères de l’arrêt Raza, mais également qu’elle est non contestée. À mon avis, son analyse excède l’application des critères d’admissibilité d’une nouvelle preuve; elle verse dans l’administration de la preuve, c’est-à-dire dans la détermination de sa valeur probante. Dans Yansane 3, le juge Shore indique que « sans information claire et convaincante de l’Ambassade du Canada du pays d’origine du demandeur (ou une autre preuve fournie sur demande par une autorité émanant de la branche exécutive du gouvernement canadien) pour contredire la preuve au dossier, cette Cour ne pourra pas juger autrement que ce qu’elle a décidé depuis le début du dossier avec la preuve devant elle ».

[38]  Il est évident qu’il n’appartient pas à cette Cour d’administrer la preuve au soutien d’une demande d’ERAR. Cependant, lorsqu’elle le fait, ses conclusions ne peuvent simplement être ignorées par un décideur subséquent.

[39]  La question n’est pas de savoir si je suis liée par les conclusions de faits du juge Shore; la question est plutôt de savoir si ces conclusions s’imposaient à l’agente d’ERAR.

[40]  Dans Burton v Canada (Citizenship and Immigration), 2014 FC 910, la juge Gleason était appelée à analyser la décision d’un agent d’ERAR qui avait conclu que le demandeur ne faisait face à aucun risque s’il devait retourner dans son pays. Or, dans une décision antérieure, un autre agent d’ERAR avait conclu qu’il existait bel et bien un risque pour le demandeur, mais que ce dernier n’avait pas démontré qu’il ne pourrait bénéficier de la protection de son pays advenant un retour. Cette première décision négative avait été cassée par la juge Mactavish uniquement sur la question de la protection de l’État. La juge Gleason écrit ceci (traduction non disponible) :

[44]  This, however, is not the only reason why the second PRRA decision must be set aside. In addition, the result reached by the second PRRA officer is also unreasonable in light of the facts before the second PRRA officer and in light of the terms of Justice Mactavish’s decision in Burton.

[45]  Because she remitted the matter for redetermination in accordance with her Reasons, and because those Reasons at least implicitly endorsed the risk determination of the first PRRA officer and contemplated that the issue of risk would not be reassessed if circumstances remained unchanged, the second PRRA officer in my view could not depart from the previous risk assessment unless there were new facts or circumstances that could reasonably give rise to a different risk conclusion.

[46]  In this regard, it is clear that the second PRRA officer was bound by Justice Mactavish’s direction as the principle of stare decisis requires administrative tribunals to follow directions given by the reviewing court (see e.g. Régie des rentes du Québec v Canada Bread Company Ltd, 2013 SCC 46, [2013] 3 SCR 125 at para 46 and Canada (Commissioner of Competition) v Superior Propane Inc, 2003 FCA 53, 223 DLR (4th) 55 at para 54). Thus, unless there were new facts which could have reasonably given rise to a different risk conclusion, the second PRRA officer was required to adopt the same risk conclusion as the first PRRA officer made.

[41]  Ainsi, les conclusions des autres agents d’ERAR s’étant prononcés sur la demande du demandeur ne s’imposaient pas à l’agente d’ERAR, mais les conclusions de faits et directives (contenues dans Yansane 2 et Yansane 3 et non la directive du 3 juin 2015) du juge Shore s’imposaient. J’en arrive à cette conclusion malgré le fait que le juge Shore n’ait pas ajouté à son ordonnance dans Yansane 3 qu’il retournait le dossier au défendeur pour une nouvelle détermination conformément à ses motifs, ou toute autre formule du genre. L’absence d’une telle mention dans le dispositif du juge Shore ne peut permettre à un décideur administratif appelé à trancher l’affaire de nouveau d’ignorer les motifs, conclusions de faits ou directives de cette Cour.

[42]  Dans ces circonstances, je suis d’avis qu’il était déraisonnable pour l’agente d’ERAR d’ignorer les conclusions de faits de la Cour à l’égard de la preuve documentaire devant elle et que pour ce seul motif, la demande de contrôle judiciaire du demandeur sera accueillie.

C.  Question(s) à certifier

[43]  Avant même l’audition de la cause, le demandeur a soumis à la Cour les quatre questions suivantes pour fins de certification :

Quel est le rôle du premier jugement de la Cour fédérale lors d’une nouvelle étude de l’ERAR? Est-ce que l’agent ERAR a le droit d’écarter les conclusions de la Cour fédérale relatives aux faits et au droit sans fournir d’explications claires? Est-ce que le principe du stare decisis devrait s’appliquer?

Est-ce que le décideur administratif doit se pencher sur toutes les preuves en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés, incluant la preuve soumise antérieurement et sans restriction importante relative à la preuve?

Est-ce que le décideur administratif peut écarter des preuves non-contredites des autorités de l’Église catholique et des rapports de droits humains sans justification? Est-ce que le décideur administratif peut ignorer les preuves relatives à l’Islam radical et à la question de l’apostasie?

Est-ce que les agents ERAR ont l’impartialité et l’indépendance nécessaire pour rendre de telles décisions

[44]  Après l’audition de la cause, le procureur du demandeur a fait parvenir une lettre à la Cour par laquelle il demande d’ajouter la question suivante à sa liste :

Est-ce que la révision judiciaire à la Cour fédérale représente un recours adéquat pour le respect de l’article 24 de la Charte des droits et libertés ou nos engagements internationaux à l’égard de l’obligation d’un recours efficace pour éviter la violation du droit international si les conclusions bien articulées de la Cour fédérale ne sont pas obligatoires pour l’agent administratif?

[45]  Aucune des questions proposées par le demandeur, telles que formulées, n’est déterminante en l’instance. Cependant, et puisque je suis d’avis que la décision sous étude est intrinsèquement raisonnable, je vais certifier la question qui est déterminante et qui pourrait être déterminante d’un appel par le défendeur, à savoir :

-  En l’absence d’un verdict dirigé, quel est l’impact des conclusions de faits et directives de la Cour fédérale sur un décideur administratif appelé à trancher l’affaire de nouveau?

VI.  Conclusion

[46]  La demande de contrôle judiciaire est accueillie et une question d’importance générale est certifiée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

  1. La directive émise par la Cour en date du 3 juin 2015 est annulée;

  2. La demande de contrôle judiciaire du demandeur est accueillie et le dossier est remis au défendeur pour une nouvelle détermination par un autre agent d’examen des risques avant renvoi, conformément aux présents motifs;

  3. La question suivante est certifiée :

-  En l’absence d’un verdict dirigé, quel est l’impact des conclusions de faits et directives de la Cour fédérale sur un décideur administratif appelé à trancher l’affaire de nouveau?

« Jocelyne Gagné »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-7935-14

INTITULÉ :

LAMINE YANSANE

c

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

Montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 16 novembre 2015

JUGEMENT ET MOTIFS:

LA JUGE GAGNÉ

DATE DES MOTIFS :

LE 3 MARS 2016

COMPARUTIONS :

Stewart Istvanffy

Pour LE DEMANDEUR

Sébastien Dasylva

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Étude légale Steward Istvanffy

Avocats

Montréal (Québec)

Pour LE DEMANDEUR

William F. Pentney

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)

Pour le défendeur


 


Date : 20131120

Dossier : IMM-2927-13

Montréal (Québec), le 20 novembre 2013

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

LAMINE YANSANE

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

Défendeur

ORDONNANCE

CONSIDÉRANT que ceci est une réponse à une demande de contrôle judiciaire à l’égard de la plus récente décision émanant de l’Examen des risques avant renvoi [ERAR];

SACHANT que, dans ce cas d’espèce, basé sur des faits uniques, malgré l’argumentation travaillée en profondeur du défendeur et la bonne foi de l’agent d’ERAR, la Cour ne trouve pas la décision raisonnable en soi, compte tenu de la nouvelle preuve qui démontre que le péril existant dans le passé est renouvelé dans le présent, révélant que l’espace de temps écoulé ne donne pas une situation statique, mais plutôt une où le danger peut être vu de nouveau chaque fois;

DONC, la Cour est encore une fois du même avis que chacun des juges de cette Cour saisis antérieurement d’une demande à l’égard du demandeur;

SACHANT que les quatre décisions antérieures, soumises à l’égard du demandeur, discutées devant cette Cour ont été soulevées de nouveau à l’égard de la présente situation du demandeur, la Cour est toujours entièrement en accord avec chacun des paragraphes et citations de ces décisions antérieures. Ces décisions devraient être lues en profondeur sachant qu’il y avait des ordonnances pour les mettre en vigueur. D’ailleurs, les preuves les plus récentes sous forme de lettres devant cette Cour sont acceptées comme preuves valables;

CONSIDÉRANT que, parmi les multiples preuves nouvelles et importantes acceptées par cette Cour selon les critères de la décision de la Cour d’appel fédérale en Raza c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 CAF 385, écrit sous la plume du juge Karen Sharlow, la lettre de l’Archevêché de Montréal, datée le 13 juin 2012, démontre toujours l’état de la situation qui demeure à l’égard du demandeur advenant le retour de celui-ci dans son pays d’origine; ceci, après considération à nouveau suite à la preuve soumise au dernier agent d’ERAR;

RÉALISANT que, sans information claire et convaincante de l’Ambassade du Canada du pays d’origine du demandeur (ou une autre preuve fournie sur demande par une autorité émanant de la branche exécutive du gouvernement canadien) pour contredire la preuve au dossier, cette Cour ne pourra pas juger autrement que ce qu’elle a décidé depuis le début du dossier avec la preuve devant elle; c’est-à-dire d’avoir devant la Cour des assurances claires et convaincantes de source provenant d’une autorité gouvernementale du pays d’origine du demandeur à l’égard de l’état de sécurité ou de protection possible envers le demandeur compte tenu de la preuve la plus récente à l’appui. Ce type de preuve est nécessaire pour contredire la nouvelle preuve au dossier, comme dans certains autres cas qui ont été devant cette Cour où la Cour a accepté les assurances du pays d’origine en question pour changer son point de vue à l’égard d’une preuve courante au dossier;

LA COUR ORDONNE que la présente demande de contrôle judiciaire du demandeur soit accueillie; donc, la Cour annule la plus récente décision d’ERAR et ordonne une détermination à nouveau devant un autre agent. Aucune question d’importance générale à certifier.

Obiter

Ce n’est pas de la juridiction de la Cour fédérale de décider du sort du demandeur, c’est à l’agent d’ERAR de rendre cette décision; c’est l’agent qui possède la juridiction de décider le cas. Pour contredire la nouvelle preuve mise à jour, chaque fois soumise pour démontrer qu’à chaque reprise du cas, le péril antérieur demeure de nouveau ou est renouvelé pour l’avenir sans avoir cessé. C’est à l’Ambassade du Canada ou à une autre entité qui émane de la branche exécutive du gouvernement canadien de clarifier la situation si, en effet, la nouvelle preuve pouvait être contredite. Des informations émanant de source gouvernementale canadienne pourraient faciliter la tâche de l’agent d’ERAR et de cette Cour si jamais cette matière revient devant la Cour.

« Michel M.J. Shore »

Juge


Date : 20091204

Dossier : IMM-5584-08

Référence : 2009 CF 1242

Ottawa, Ontario, le 4 décembre 2009

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

LAMINE YANSANE

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

I.  Au préalable

  • [1] La Cour d’appel fédérale a indiqué que, lors d’une évaluation de l’Examen des risques avant renvoi (ERAR), l’agent doit évaluer toute nouvelle preuve en relation avec les faits qui sont à la base d’une revendication de statut de réfugié pour voir si cette nouvelle preuve ne change pas la situation telle qu’évaluée antérieurement (Traduction non disponible) :

[12]  A PRRA application by a failed refugee claimant is not an appeal or reconsideration of the decision of the RPD to reject a claim for refugee protection. Nevertheless, it may require consideration of some or all of the same factual and legal issues as a claim for refugee protection. In such cases there is an obvious risk of wasteful and potentially abusive relitigation. The IRPA mitigates that risk by limiting the evidence that may be presented to the PRRA officer. The limitation is found in paragraph 113(a) of the IRPA, which reads as follows:

113. Consideration of an application for protection shall be as follows:

113. Il est disposé de la demande comme il suit :

(a) an applicant whose claim to refugee protection has been rejected may present only new evidence that arose after the rejection or was not reasonably available, or that the applicant could not reasonably have been expected in the circumstances to have presented, at the time of the rejection;

a) le demandeur d’asile débouté ne peut présenter que des éléments de preuve survenus depuis le rejet ou qui n’étaient alors pas normalement accessibles ou, s’ils l’étaient, qu’il n’était pas raisonnable, dans les circonstances, de s’attendre à ce qu’il les ait présentés au moment du rejet;

[…]

[…]

(Raza c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2007 FCA 385, 162 A.C.W.S. (3d) 1013).

  • [2] The narrative is the key and the very source of understanding the nature of the human condition in a decision. No compromise is ever to be made in pursuit of accuracy of key facts in the evidence … (Traduction non disponible).

(Garcia v. Canada (Minister of Citizenship and Immigration), 2009 FC 1241).

II.  Introduction

  • [3] Ceci est un cas d’espèce avec des faits très particuliers, uniques au cas.

  • [4] Il s’agit d’une demande de contrôle judiciaire à l’encontre d’une décision rendue par un agent d’ERAR, le 21 novembre 2008, refusant la deuxième demande d’ERAR du demandeur. L’agent d’ERAR concluait que le demandeur ne faisait face à aucun risque en vertu des articles 96 ou 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, L.C. 2001, c. 27 (LIPR).

III.  Faits

  • [5] Le demandeur, monsieur Lamine Yansane, citoyen de la Guinée, est un jeune musulman d’ethnie Soussou. Monsieur Yansane est âgé de 35 ans, est marié et est père de trois enfants âgés de 5, 8 et 11 ans. Son épouse, ses trois enfants, ainsi que ses parents et sa fratrie vivent toujours en Guinée.

  • [6] Monsieur Yansane aurait complété 15 ans de scolarité en Guinée et a eu un diplôme en mécanique en 1993 et aurait été travailleur autonome comme mécanicien de 1994 à 2005 dans la capitale Conakry.

  • [7] Monsieur Yansane indique que son père est un homme musulman très religieux, il est Imam de la mosquée de Kasapo et jouirait d’une certaine notoriété dans sa communauté.

  • [8] Monsieur Yansane aurait eu des problèmes avec sa famille parce qu’il a épousé une femme de religion catholique dont il a eu trois enfants. Il avait promis à son père de tout faire pour convertir son épouse à l’islam. Son père s’est porté garant du garage de son fils en espoir que son fils éventuellement remplirait sa promesse. Son père n’aurait pas assisté au mariage civil et le mariage eut lieu en 1994. Son père aurait fait pression pour qu’il laisse son épouse pour épouser une cousine musulmane, ce qu’il aurait refusé. Il serait parti vivre à Conakry avec son épouse et ses enfants en 2004.

  • [9] Par la suite, il aurait commencé à accompagner son épouse à l’église et aurait décidé de se convertir au christianisme, ce qui n’aurait pas plu à sa famille. Le 15 septembre 2005, son père et son oncle l’auraient visité et questionné sur les rumeurs de sa fréquentation de l’église et il aurait admis sa volonté de se convertir. Selon une preuve, non contredite, son frère l’aurait cicatrisé et son père l’aurait battu et averti qu’il en subirait les conséquences.

  • [10] Il serait allé chez le grand frère de son épouse dans la commune de Matoto, à Conakry. Le 25 septembre 2005, son épouse l’aurait averti que son père et 5 membres de la communauté musulmane l’auraient cherché chez lui et l’avaient menacé. Son beau-frère lui aurait fait comprendre qu’il devait quitter le pays pour venir au Canada demander protection. Sa famille est partie chez la grand-mère de son épouse par mesure de sécurité.

  • [11] Il a quitté son pays le 15 octobre 2005 et, après un transit en France, il est entré au Canada, le 16 octobre 2005, sous le couvert d’un faux passeport français, détruit à son arrivée à l’aéroport. Il a présenté à Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) une carte d’identité et un certificat de naissance.

  • [12] Depuis son départ, son épouse et ses enfants seraient partis vivre chez une tante dans un petit village isolé (non désigné) à cause de menaces de la part du père de monsieur Yansane.

IV.  Question en litige

  • [13] Est-ce que la décision prise par l’agent d’ERAR est raisonnable?

V.  Analyse

  • [14] L’agent écrit qu’elle accorde un poids relatif aux lettres d’appui soumises par monsieur Yansane puisqu’elles servent les intérêts de monsieur Yansane et ne sont pas objectives. Des lettres qui décrivent clairement le risque auquel fait face monsieur Yansane en Guinée et qui viennent de personnes qui connaissent la situation de monsieur Yansane devraient être considérées, avec vigilance, mais, néanmoins, raisonnablement.

  • [15] L’agent utilise cette même raison pour ne pas prendre en compte le rapport de l’avocat de Conakry, disant que c’est un « rapport intéressé » puisqu’il a été mandaté par l’avocat de monsieur Yansane.

  • [16] En janvier 2009, un sursis a été accordé à monsieur Yansane par le juge J. François Lemieux. Dans sa décision, il a longuement cité la décision Raza, ci-dessus, au sujet de l’étude de nouvelles preuves :

[17]  La juge Sharlow étoffe son raisonnement aux paragraphes suivants de ses motifs :

[13]  Selon son interprétation de l’alinéa 113a), cet alinéa repose sur l’idée que l’agent d'ERAR doit prendre acte de la décision de la SPR de rejeter la demande d’asile, à moins que des preuves nouvelles soient survenues depuis le rejet, qui auraient pu conduire la SPR à statuer autrement si elle en avait eu connaissance. L’alinéa 113a) pose plusieurs questions, certaines explicitement et d’autres implicitement, concernant les preuves nouvelles en question. Je les résume ainsi :

1.  Crédibilité : Les preuves nouvelles sont-elles crédibles, compte tenu de leur source et des circonstances dans lesquelles elles sont apparues? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.

2.  Pertinence : Les preuves nouvelles sont-elles pertinentes à la demande d’ERAR, c’est-à-dire sont-elles aptes à prouver ou à réfuter un fait qui intéresse la demande d’asile? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.

  1. Nouveauté : Les preuves sont-elles nouvelles, c’est-à-dire sont-elles aptes :

(a)  à prouver la situation courante dans le pays de renvoi, ou un événement ou fait postérieur à l’audition de la demande d’asile?

(b)  à établir un fait qui n’était pas connu du demandeur d’asile au moment de l’audition de sa demande d’asile?

(c)  à réfuter une conclusion de fait tirée par la SPR (y compris une conclusion touchant la crédibilité)?

Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer. [Je souligne.]

  1. Caractère substantiel : Les preuves nouvelles sont-elles substantielles, c’est-à-dire la demande d’asile aurait-elle probablement été accordée si elles avaient été portées à la connaissance de la SPR? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.

5.  Conditions législatives explicites :

(a)  Si les preuves nouvelles sont aptes à établir uniquement un fait qui s’est produit ou des circonstances qui ont existé avant l’audition de la demande d’asile, alors le demandeur a-t-il établi que les preuves nouvelles ne lui étaient pas normalement accessibles lors de l’audition de la demande d’asile, ou qu’il ne serait pas raisonnable de s’attendre à ce qu’il les ait présentées lors de l’audition de la demande d’asile? Dans la négative, il n’est pas nécessaire de les considérer.

(b)  Si les preuves nouvelles sont aptes à établir un fait qui s’est produit ou les circonstances qui ont existé après l’audition de la demande d’asile, alors elles doivent être considérées (sauf si elles sont rejetées parce qu’elles ne sont pas crédibles, pas pertinentes, pas nouvelles ou pas substantielles). [Je souligne.]

[14]  Les quatre premières questions, qui concernent la crédibilité, la pertinence, la nouveauté et le caractère substantiel, résultent implicitement de l’objet de l’alinéa 113a), dans le régime de la LIPR se rapportant aux demandes d’asile et aux examens des risques avant renvoi. Les questions restantes sont posées explicitement par l’alinéa 113a).

[15]  Je ne dis pas que les questions énumérées ci-dessus doivent être posées dans un ordre particulier, ou que l’agent d'ERAR doit dans tous les cas se poser chacune d’elles. L’important, c’est que l’agent d'ERAR considère toutes les preuves qui lui sont présentées, à moins qu’elles ne soient exclues pour l’un des motifs énoncés au paragraphe [13] ci‑dessus. [Je souligne.]

[18]  Au paragraphe 17 de ses motifs, la juge Sharlow est d’avis que les nouvelles preuves au soutien d’une demande ERAR ne peuvent pas être rejetées au seul motif qu’elles visent le même risque ajoutant :

[17]  « … Cependant, l’agent d'ERAR peut validement rejeter de telles preuves si elles n’établissent pas que les faits pertinents tels qu’ils se présentent à la date de la demande d’ERAR sont sensiblement différents des faits constatés par la SPR. » [Je souligne.]

(Yansane c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2009 CF 75, [2009] A.C.F. no 78 (QL)).

  • [17] Dans sa décision d’octroyer un sursis, le juge Lemieux a décidé qu’il existait des questions sérieuses en droit puisque l’agent n’a pas évalué toutes les nouvelles preuves. Si on regarde les consignes du juge dans l’affaire Raza, ci-dessus, l’agent d’ERAR n’avait pas de raison pour ne pas prendre en compte ou de donner une valeur peu probante aux nouvelles preuves.

  • [18] Les deux plaintes déposées par monsieur Yansane au Commissariat de police indiquaient qu’il n’y a aurait aucune intervention possible à son égard. L’extrait suivant le démontre (Traduction non disponible):

e. Denial of Fair Public Trial

Although the constitution and law provide for the judiciary's independence, judicial authorities routinely deferred to executive authorities in politically sensitive cases. In routine cases, there were reports that authorities accepted bribes in exchange for a specific outcome. Magistrates were civil servants with no assurance of tenure. Because of corruption and nepotism in the judiciary, relatives of influential members of the government often were, in effect, above the law. Judges often did not act independently, and their verdicts were subject to outside interference. The judicial system was plagued by numerous problems, including a shortage of qualified lawyers and magistrates and an outdated and restrictive penal code. In September, to spearhead a national effort to improve the administration of justice, the Ministry of Justice held a national seminar on detention and a training conference for bailiffs (see section 1.d.).

[…]

Many citizens wary of judicial corruption preferred to rely on traditional systems of justice at the village or urban neighborhood level. Litigants presented their civil cases before a village chief, a neighborhood leader, or a council of "wise men." The dividing line between the formal and informal justice systems was vague, and authorities sometimes referred a case from the formal to the traditional system to ensure compliance by all parties. Similarly, if a case was not resolved to the satisfaction of all parties in the traditional system, it could be referred to the formal system for adjudication. The traditional system discriminated against women in that evidence given by women carried less weight (see section 5).

[…]

Civil Judicial Procedures and Remedies

Under the law, there is a judicial procedure for civil matters. In practice, the judiciary was neither independent nor impartial, and decisions were often influenced by bribes and based on political and social status. There were no lawsuits seeking damages for human rights violations. In practice, domestic court orders were not enforced. (La Cour souligne).

(U.S. Department of State report on human rights; Guinea, 2006).

  • [19] Monsieur Yansane a été baptisé en avril 2007. Aucune considération significative n’a été donnée à ce baptême quant aux risques invoqués par monsieur Yansane.

  • [20] Le risque personnel n’a pas été évalué d’une façon raisonnable. Dans son cas, le changement de religion, l’apostasie, est punissable de mort. Le père de monsieur Yansane, dans une preuve non contredite, a menacé son propre fils de le punir de mort par Fatwa annoncée publiquement pendant les prières officielles. Selon lui, le père de monsieur Yansane a décidé d’appliquer les prescriptions de sa tradition. Il ne s’agit pas de savoir, pour l’agent d’ERAR, s’il s’agit ou non d’une pratique vraisemblable dans son pays d’origine. Le risque de mort provient du père de monsieur Yansane, comme personnage public (la Cour se réfère à la preuve, non contredite, de l’Archevêché de Conakry, dans une lettre, datée le 14 mai 2008).

  • [21] Le danger de persécution est principalement lié au changement de religion. Le fait qu’il ait épousé une femme d’une autre religion est un événement qui explique le choix religieux de monsieur Yansane et qui aggrave le danger de persécution. Le changement de religion a été confirmé par le baptême qui a eu lieu à Montréal. Monsieur Yansane est menacé de mort par son père. Cet aspect du danger n’a pas été considéré dans la décision d’ERAR (la Cour se réfère à la preuve, non contredite, de l’Archevêché de Montréal, dans une lettre, datée le 27 février 2008).

VII.  Conclusion

  • [22] L’agent a décidé que monsieur Yansane n’a pas démontré qu’il serait personnellement ciblé à son retour en Guinée. Le risque auquel fait face monsieur Yansane n’est pas un risque auquel font face tous les chrétiens, c’est un risque personnel, unique, à monsieur Yansane puisqu’il est le fils d’un personnage reconnu, son père, qui réclame sa mort par Fatwa annoncée publiquement pendant les prières officielles. Pour toutes ces raisons, une nouvelle évaluation devrait être faite par un autre agent.


JUGEMENT

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie; que la décision de l’agent d’ERAR soit annulée et l’affaire soit retournée pour une nouvelle évaluation devant un autre agent.

« Michel M.J. Shore »

Juge



COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5584-08

INTITULÉ :

LAMINE YANSANE

c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

montréal (Québec)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 1 DÉCEMBRE 2009

motifs du JUGEMENT ET jugement:

le juge shore

DATE DES MOTIFS :

LE 4 DÉCEMBRE 2009

COMPARUTIONS :

Me Stewart Istvanffy

POUR LE DEMANDEUR

Me Sébastien Dasylva

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

STEWART ISTVANFFY, avocat

Montréal (Québec)

POUR LE DEMANDEUR

JOHN H. SIMS, c.r.

Sous-procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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