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Date : 20160301


Dossier : IMM-3595-15

Référence : 2016 CF 263

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 1er mars 2016

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

NIZAMUDDIN HAIDARI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]               Il s’agit d’un contrôle judiciaire d’une décision d’un agent des visas (l’agent) du Haut­commissariat du Canada à Islamabad datée du 26 mai 2015, dans laquelle l’agent a déterminé que le demandeur et sa famille n’étaient pas des réfugiés au sens de la Convention selon l’article 96 de la Loi sur l’Immigration et la Protection des réfugiés, L.C. 2001, ch. 27 (la LIPR) ou des membres de la catégorie de personnes de pays d’accueil aux termes de l’article 147 du Règlement sur l’immigration et la protection des réfugiés (DORS/2002­227) [le Règlement] adopté en vertu de la LIPR.

[2]               Pour les motifs qui suivent, la présente demande est accueillie.

I.                   Contexte

[3]               Le demandeur, Nizamuddin Haidari, est marié et a cinq enfants. Son fils aîné, maintenant âgé de 22 ans, est né en Afghanistan avant que la famille s’est enfuie au Pakistan en 1993. Les quatre plus jeunes enfants sont nés au Pakistan. Ils sont tous citoyens de l’Afghanistan et d’origine ethnique Hazara, de confession musulmane chiite.

[4]               La famille a fui au Pakistan après que des chefs de guerre du Panshir eurent pris possession de leur maison à des fins militaires, battu le demandeur et menacé sa famille. La famille n’est pas retournée en Afghanistan par crainte d’être tuée par les talibans ou d’autres groupes extrémistes.

II.                Décision contestée

[5]               Selon la décision contestée, à la lumière de tous les renseignements présentés, l’agent n’était pas convaincu que le demandeur et sa famille étaient des réfugiés au sens de la Convention, en arrivant à la conclusion que les craintes d’être persécuté de la famille n’étaient pas fondées sur un motif énuméré dans la Convention, ou sur un motif de la définition de membres de la catégorie de personnes de pays d’accueil, puisqu’ils n’étaient plus gravement et personnellement touchés par une guerre civile, un conflit armé ou une violation massive des droits de la personne en Afghanistan.

[6]               L’agent a examiné la preuve documentaire, dont des rapports du Haut­Commissariat des Nations Unies aux réfugiés (HCR) et des documents du cartable national de documentation (CND) sur l’Afghanistan de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié, notant que les rapports du HCR indiquent que plus de 4,7 millions d’Afghans sont retournés en Afghanistan volontairement, les personnes rapatriées représentant le quart de la population actuelle de l’Afghanistan, tandis que jusqu’à 1,6 million d’Afghans enregistrés demeurent au Pakistan. L’agent note que les Hazaras représentent environ le cinquième de la population en Afghanistan, un nombre qui correspond à celui des chiites, et que les ismaéliens forment un groupe beaucoup plus petit, représentant environ 2 % de la population.

[7]               En ce qui a trait à la question de la discrimination ethnique et religieuse, la décision fait référence aux lignes directrices du HCR sur les besoins de protection internationale des personnes fuyant l’Afghanistan (lignes directrices du HCR), indiquant ce qui suit : [traduction]

A.                L’Afghanistan est le troisième pays le plus dangereux au monde pour les minorités ethniques, dont les Hazaras, bien que tous les groupes ethniques y soient exposés à des risques de violence ethnique, ce qui appuie une conclusion selon laquelle certains groupes peuvent être majoritaires dans une région, mais minoritaires dans une autre.

B.                 La représentativité des chiites au gouvernement a augmenté, et la discrimination déclarée à leur endroit a diminué, bien que des attaques violentes à l’endroit de la population chiite surviennent toujours.

[8]               L’agent a fait référence à la preuve documentaire révélant que la situation des Hazaras en Afghanistan s’était considérablement améliorée depuis la fin du régime des talibans, mais qu’on rapporte toujours des actes discriminatoires. L’agent a noté que selon le Country of Origin Information Report de l’Agence frontalière du Royaume­Uni (rapport COI du R.­U.), les hautes­terres du territoire des Hazaras, Hazaradjat, représentent l’un des endroits les plus sécuritaires au pays. Faisant référence au rapport de 2013 sur les droits de l’homme du département d’État des États­Unis (rapport du département d’État des É.­U.), l’agent a conclu qu’il y avait suffisamment d’éléments de preuve montrant que les Hazaras sont exclus de la vie politique, et a mentionné que quelques actes discriminatoires à l’endroit des ismaéliens avaient été rapportés, mais qu’on n’avait pas décrit la nature de la discrimination pas plus qu’on ne laissait croire à une discrimination systémique constituant de la persécution.

[9]               En ce qui a trait à l’accès à l’éducation, l’agent a une fois de plus fait référence au rapport du département d’État des États­Unis et au rapport COI du Royaume­Unis, mentionnant à la fois des obstacles aux études et la priorité accordée aux études à Hazaradjat. Selon l’agent, bien que les enfants du demandeur puissent avoir initialement de la difficulté à comprendre le langage écrit dans lequel ils étudieraient en Afghanistan, il est très probable qu’ils apprennent rapidement l’alphabet du dari, puisqu’ils connaissent déjà celui de l’urdu.

[10]           En ce qui concerne les problèmes éprouvés par les femmes en Afghanistan, l’agent a fait référence au rapport du département d’État des États­Unis et aux lignes directrices du HCR, et a relevé du danger, de la discrimination et des obstacles, plus particulièrement lorsque les femmes ne sont pas protégées par des hommes. Toutefois, l’agent a déterminé que, comme les demandeurs retourneraient en Afghanistan en famille, il n’y avait pas assez d’éléments de preuve permettant de conclure que les femmes de la famille du demandeur se verraient refuser la protection des hommes de la famille de sorte qu’elles se retrouveraient dans une situation où la discrimination pourrait correspondre à de la persécution. Bref, il en est arrivé à la conclusion que les femmes de la famille feraient l’objet de restrictions discriminatoires, mais pas de persécution.

III.             Questions en litige et norme de contrôle

[11]           Le demandeur soumet par écrit à la Cour les questions suivantes aux fins d’examen :

A.                En effectuant une lecture sélective de la preuve, l’agent a erré en concluant que le demandeur et sa famille ne seraient pas exposés à des risques en raison de leur appartenance au groupe ethnique des Hazaras, conformément à l’article 96 de la LIPR, s’ils retournaient dans leur pays d’origine.

B.                 L’agent s’est fondé sur des documents désuets concernant les conditions du pays pour en arriver à sa décision défavorable, et a omis de tenir compte des plus récents documents disponibles au moment de l’entrevue et au moment de rendre sa décision.

C.                 L’agent a ignoré la situation particulière du demandeur à la lumière de l’argumentation et l’âge critique des enfants, conformément à l’article 147 du Règlement, ainsi que de la possibilité de réinstallation sécuritaire.

[12]           Lors de l’audition de la présente demande, le demandeur a aussi soulevé la question de savoir si l’agent avait erré en appliquant le mauvais critère d’analyse pour déterminer si le demandeur était un réfugié au sens de la Convention conformément à l’article 96 de la LIPR. Le demandeur soutient que la formulation de la décision laisse entendre que l’agent croyait qu’il était nécessaire que le demandeur soit persécuté personnellement, plutôt qu’il fasse partie d’un groupe persécuté pour être un membre de cette catégorie. Le défendeur a déterminé que le demandeur n’avait pas signalé qu’il s’agissait d’un problème avant l’audience, et que la Cour devait par conséquent ne pas tenir compte de cet argument. Comme je l’explique dans l’analyse ci­dessous, j’accueille la présente demande pour des raisons non liées au critère appliqué par l’agent. Je n’ai donc pas à déterminer si la question soulevée par le demandeur concernant le critère applicable à l’analyse de l’article 96 a été convenablement présentée à la Cour.

[13]            Sauf en ce qui concerne la question du critère relatif à l’article 96, par rapport auquel le demandeur soutient que la norme de la décision correcte s’applique, les parties conviennent du fait que la norme de la décision raisonnable s’applique aux questions de la présente demande. Je souscris au fait que la norme de contrôle applicable dans le cadre de la présente demande est la norme de la décision raisonnable (voir Dunsmuir c. Nouveau­Brunswick [Conseil de gestion], 2008 RCS 9, au paragraphe 47).

IV.             Observations des parties

A.                Position du demandeur

[14]           Le demandeur soutient que, contrairement à la conclusion de l’agent selon laquelle des millions d’Afghans sont retournés au pays volontairement, Refworld du HCR, dans son sondage de 2006, mentionnait que de nombreux Afghans se sentaient forcés de partir malgré l’absence de sécurité en Afghanistan. En outre, l’agent n’a fait référence à aucune preuve indiquant la proportion de Hazaras parmi les personnes rapatriées. Le demandeur cite des éléments de preuve récents contraires tirés de Human Rights Watch 2014 et 2015 selon lesquels l’augmentation d’Afghans rapatriés du Pakistan semble être liée aux pressions coercitives des gouvernements locaux et l’insécurité a entraîné une diminution du nombre de rapatriements.

[15]           Le demandeur soutient que l’agent n’a pas bien analysé sa demande en vertu de l’article 96 de la LIPR sur le fondement de l’origine ethnique du demandeur en interprétant la preuve de façon erronée, en effectuant une lecture sélective de la preuve et en se fondant sur des éléments de preuve désuets. Il fait plus particulièrement remarquer que l’agent n’a pas reconnu la preuve soumise par le demandeur comme quoi lui et sa famille ne pouvaient traverser la ville de Jalalabad, car il y avant encore un groupe de talibans et des membres de l’État islamique.

[16]           Mentionnant les documents sur lesquels s’est fondé l’agent, le demandeur soutient que cette preuve n’appuie pas la conclusion selon laquelle la famille du demandeur, en tant que Hazaras, ne serait pas exposée à des risques si elle retournait dans son pays. Le demandeur a répété qu’en raison de leur origine ethnique, des Hazaras se font tuer par les talibans et l’État islamique, et que la famille du demandeur craint de subir le même sort.

[17]           Le demandeur soutient aussi qu’en déterminant que Hazaradjat est sécuritaire, l’agent s’est fondé sur un document désuet publié dans le rapport COI du Royaume­Uni, lequel portait sur l’année 2007 ou 2008. L’agent a cité des sections du rapport appuyant sa conclusion, mais n’a pas tenu compte de sections du même rapport allant clairement à l’encontre de sa conclusion, plus particulièrement en ce qui concerne les provinces de Hazaradjat. Le demandeur mentionne aussi des sections des lignes directrices du HCR qui n’ont pas été citées par l’agent, mais qui vont à l’encontre de la conclusion. Il cite un principe de l’arrêt Cepeda­Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (1998), 157 FTR 35, selon lequel plus la preuve qui n’a pas été mentionnée ni analysée dans les motifs est importante, plus une cour sera disposée à inférer de ce silence qu’on a tiré une conclusion de fait erronée sans tenir compte de la preuve.

[18]            Le demandeur avance également que l’agent n’a pas tenu compte des plus récents documents et des plus récentes nouvelles sur les conditions du pays, qui précédaient l’entrevue du demandeur et illustraient la persécution croissante et systémique des Hazaras aux mains des talibans et d’autres groupes extrémistes depuis le retrait des forces étrangères en 2014. Il mentionne que les documents cités par l’agent dataient de 2013. Le demandeur fait plutôt mention de nombreux documents de 2014 et de 2015 décrivant la persécution à l’endroit de son groupe ethnique.

[19]           Finalement, le demandeur soutient que l’agent a omis d’analyser, en vertu de l’article 147 du Règlement, la situation particulière de sa famille, notamment la possibilité de réinstallation sécuritaire. Plus particulièrement, cette situation comprend l’âge des enfants et la crainte exprimée par le demandeur et son fils par rapport à ce que pourraient subir les plus jeunes membres de la famille aux mains des talibans. Il est d’avis que l’agent a supposé que la violence à l’endroit des femmes et des enfants n’était commise que par des membres de la famille et que la famille serait donc en sécurité si elle retournait ensemble au pays. En outre, rien n’indique dans les notes de l’agent qu’il y a eu évaluation de la possibilité de réinstallation sécuritaire pour la famille, plus particulièrement à la lumière de la déclaration du demandeur comme quoi les talibans ciblent de plus en plus les gens de son origine ethnique. Le demandeur fait remarquer que les lignes directrices du HCR mentionnent que le gouvernement de l’Afghanistan n’est pas capable de protéger ses citoyens et de déplacer les personnes en danger à l’intérieur du pays.

B.                 Position du défendeur

[20]           Le défendeur soutient que la décision de l’agent était raisonnable, puisque la documentation sur le pays tirée des sources habituelles associées aux demandes de réfugiés a été examinée. Le défendeur est d’avis que le demandeur n’est simplement pas d’accord avec la façon dont la preuve a été pondérée, et que l’argument du demandeur selon lequel l’agent a omis de tenir compte de l’origine ethnique de la famille et de la persécution à l’endroit de personnes situées au même endroit est réfuté par la simple lecture des motifs. L’agent a tenu compte de documents traitant précisément des Hazaras et a cité des documents portant sur la transition préalable à 2014 à la suite du retrait des forces internationales. Le défendeur mentionne que l’on estime que l’agent a tenu compte de l’ensemble de la preuve pour rendre sa décision et qu’il n’est pas dans l’obligation d’énumérer chaque élément de preuve [Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration)], 2009, CF 610, au paragraphe 27.

[21]           Le défendeur s’est aussi fondé sur des décisions de la Cour selon lesquelles il est raisonnable pour un agent de tenir compte du fait qu’un grand nombre de personnes ayant fui leur pays en temps de conflit sont rapatriées, plus particulièrement lorsque le HCR a contribué à l’effort de réinstallation.

[22]           Le défendeur soutient qu’il incombait au demandeur de fournir à l’agent les éléments de preuve qu’il souhaitait faire examiner en particulier. Il fait par ailleurs remarquer que certains éléments de preuve auxquels le demandeur fait maintenant référence dans sa demande de contrôle judiciaire n’ont pas été présentés à l’agent, car ils ont été relevés par l’avocat du demandeur, qui les a ajoutés au dossier de la demande. On mentionne plus particulièrement l’arrêt Sribalaganeshamoorthy c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2010, CF 11, au paragraphe 37, où l’on soutient que le fait que la documentation sur les conditions d’un pays puisse appuyer la cause d’un demandeur n’impose pas à un agent l’obligation de faire des recherches et de produire des éléments de preuve au nom du demandeur.

[23]           Le défendeur soutient aussi que l’agent a tenu compte des présumés risques de recrutement forcé, des préoccupations quant à l’éducation et du risque de persécution des Hazaras, des chiites et des ismaéliens. L’agent a accordé une grande proportion des motifs à la situation de l’éducation en Afghanistan en général, plus particulièrement en lien avec les Hazaras et les femmes.

V.                Analyse

[24]           La position du défendeur repose grandement sur des principes de droit administratif et sur le rôle de la Cour lors d’un contrôle judiciaire. Le défendeur insiste sur la retenue dont la Cour doit faire preuve à l’endroit d’un agent lorsque ce dernier tient compte d’une analyse des conditions d’un pays, plus particulièrement d’une analyse effectuée par un agent des visas situé dans le pays concerné. Il sera toujours possible pour un demandeur de faire référence à des documents en particulier appuyant sa position et dont l’agent n’a pas fait mention, et le défendeur émet une mise en garde quant au fait que la Cour ne doit pas être mise en position d’évaluer des éléments de preuve que l’agent des visas est plus apte à analyser. Le défendeur soutient que le rôle de la Cour devrait plutôt être d’évaluer si l’agent s’est informé des conditions en Afghanistan et s’il a pris une décision raisonnable démontrant qu’il connaît ces conditions.

[25]           Je suis conscient des points soulevés par le défendeur, plus particulièrement en l’espèce où le demandeur cherche à s’appuyer sur la preuve documentaire des conditions du pays comprenant des documents ne faisant pas partie du CND de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié et n’ayant pas été soumise à l’agent par le demandeur. Toutefois, ma décision d’accueillir la présente demande n’est pas fondée sur une analyse des documents que le défendeur qualifierait de nouveaux éléments de preuve non soumis au décideur, mais plutôt sur l’évaluation du caractère raisonnable de la décision à la lumière des motifs présentés par l’agent. Je conclus que la décision de l’agent n’est pas suffisamment étayée par la preuve documentaire pour être jugée transparente, intelligible et, par conséquent, raisonnable.

[26]           Parmi les motifs énoncés par le demandeur concernant l’impossibilité de retourner en Afghanistan, le plus important est sans doute celui du groupe ethnique minoritaire de la famille, les Hazaras. Dans sa décision, l’agent commence par mentionner des données sur le rapatriement, suivies d’une description des problèmes de droits de l’homme en Afghanistan ayant trait à la discrimination et aux abus à l’endroit des minorités ethniques. Cet élément de la décision est de nature générale et ne porte pas sur les circonstances des Hazaras en particulier. Toutefois, dans la décision, il est ensuite question de la position minoritaire des Hazaras en Afghanistan et on cite les lignes directrices du HCR désignant l’Afghanistan comme le troisième pays le plus dangereux au monde pour les minorités ethniques, dont les Hazaras, pour en arriver à la conclusion que tous les groupes ethniques sont exposés à des risques de violence en Afghanistan, puisque certains groupes majoritaires dans une certaine région peuvent être minoritaires dans une autre.

[27]           L’agent a ensuite fait référence à la preuve documentaire révélant que la situation des Hazaras en Afghanistan s’était considérablement améliorée depuis la fin du régime des talibans, mais qu’on rapporte toujours des actes discriminatoires. Les éléments de preuve cités par l’agent sont le rapport du département d’État des États­Unis et le rapport COI du Royaume­Uni. Le premier traite de discrimination sociale à l’endroit des Hazaras de confession chiite prenant la forme d’extorsion d’argent par des taxes illégales, de recrutement forcé, de travail forcé, d’abus physiques et de détention. Cette preuve appuie l’énoncé de l’agent selon lequel des actes discriminatoires sont encore rapportés, mais pas la conclusion comme quoi la situation des Hazaras en Afghanistan s’est considérablement améliorée depuis la fin du régime de talibans. On pourrait toutefois considérer que les renseignements tirés du rapport COI du Royaume­Uni appuient cette conclusion, puisqu’on y désigne le territoire des Hazaras comme l’un des plus sécuritaires en Afghanistan. On y indique aussi que les Hazaras représentent 40 % de la population de Kaboul, à la fois comme classe moyenne grandissante et classe inférieure de travailleurs.

[28]           Le problème, comme l’a souligné le demandeur, c’est que la référence citée dans le rapport COI du Royaume­Uni est un article du magazine National Geographic, qui semble dater considérablement. En effet, le rapport COI du Royaume­Uni date en soi de février 2013, mais fait référence à un article du National Geographic non daté qui a été consulté le 1er octobre 2012. Toutefois, le demandeur fait remarquer que les paragraphes cités indiquent que l’article date d’une période située six ans après la chute du régime des talibans, soit 2001, comme en conviennent les parties. Ainsi, l’évaluation du demandeur comme quoi l’article remonte à 2007 est juste. Après sa mention du rapport COI du Royaume­Uni, avant de passer à l’aspect de la discrimination pour des motifs religieux, l’agent n’a fait référence qu’à une section du rapport du département d’État des États­Unis dans lequel, selon l’agent, il n’y a pas suffisamment d’éléments de preuve indiquant que les Hazaras sont exclus de la vie politique.

[29]           Lue dans son entièreté, la décision de l’agent de rejeter la demande du demandeur, dans la mesure où elle est fondée sur l’origine ethnique de Hazara du demandeur, n’est intelligible que si elle est fondée sur la conclusion de l’agent selon laquelle la situation des Hazaras en Afghanistan s’est considérablement améliorée depuis la fin du régime des talibans. Cette conclusion ne semble pas ensuite être appuyée par aucune preuve citée par l’agent, autre que l’article désuet du National Geographic.

[30]           Le demandeur fait référence à nombre de publications et d’articles de presse plus récents renfermant des éléments de preuve qu’il juge contraires à ceux cités par l’agent. Il s’agit notamment de renseignements qui ne semblent pas faire partie du CND, mais aussi tirés du rapport COI du Royaume­Uni et des lignes directrices du HCR, les sources sur lesquelles l’agent s’est fondé. Dans le rapport COI du Royaume­Uni, faisant référence à une publication de 2010 du HCR, on décrit la dégradation de la sécurité sur les routes d’accès en direction et en provenance des provinces où les Hazaras sont majoritaires, routes où l’on rapporte fréquemment des embuscades, des vols, des enlèvements et des meurtres de la part des talibans. Dans ce contexte, le demandeur fait remarquer que les déplacements dans les régions occupées par les talibans faisaient partie des préoccupations clairement exprimées à l’agent. Selon les lignes directrices du HCR, citant des sources de 2012 et de 2013, on rapporte que les Hazaras sont encore victimes de harcèlement, d’intimidation et de meurtres aux mains des talibans.

[31]           Comme je l’ai expliqué plus tôt dans la présente décision, je suis conscient du fait que le rôle de la Cour n’est pas de réévaluer les éléments de preuve concernant les conditions du pays, même ceux contenus dans les documents cités par l’agent. Toutefois, en l’espèce, la preuve citée par l’agent ne semble pas appuyer la décision, à l’exception d’un article de magazine paru environ huit ans avant la décision. Il se pourrait que la décision de l’agent reste la même après examen des éléments de preuve plus récents. Toutefois, selon la situation présentée à la Cour, la décision semble à première vue être uniquement fondée sur des renseignements qui ne sont pas suffisamment actuels pour en faire une décision raisonnable.

[32]           En raison de l’importance de l’origine ethnique du demandeur dans la demande examinée par l’agent, l’analyse aux présentes suffit à infirmer la décision. Je fais aussi remarquer que la partie de la décision liée à l’accès à l’éducation comporte les mêmes lacunes. L’agent cite abondamment des renseignements négatifs tirés du rapport du département d’État des États­Unis, dont une description selon laquelle le statut des jeunes filles et des femmes par rapport à l’éducation demeure grandement inquiétant. L’agent fait ensuite référence à des renseignements plus précis sur l’accès à l’éducation pour les enfants Hazaras qui habitent le territoire traditionnel des Hazaras, Hazaradjat. On y décrit l’éducation comme une priorité et on y fait référence à la hausse des initiatives visant à permettre aux jeunes filles d’accéder aux études supérieures. Ces renseignements sur Hazaradjat sont toutefois tirés du même article du National Geographic qui daterait de 2007.

[33]           L’agent ne tire pas de conclusion précise quant à l’accès à l’éducation, sauf en ce qui concerne la capacité des enfants de s’adapter à une nouvelle langue. Toutefois, comme la demande a été rejetée, l’agent doit ne pas avoir tenu compte des préoccupations du demandeur entourant l’accès à l’éducation, y compris pour sa fille. Comme pour la partie de la décision liée à l’ethnie, je conclus que la décision n’est également pas raisonnable en ce qui concerne l’évaluation de l’accès à l’éducation, qui semble être uniquement fondée sur un article paru il y a huit ans.

[34]           La décision doit donc être annulée et renvoyée à un autre agent des visas pour nouvel examen.

[35]           Aucune des parties n’a proposé de question de portée générale aux fins de certification en vue d’un appel.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre agent des visas pour nouvel examen. Aucune question n’est certifiée aux fins d’appel.

« Richard F. Southcott »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

imm-3595-15

INTITULÉ :

NIZAMUDDIN HAIDARI c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 17 FÉVRIER 2016

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le juge Southcott

DATE DES MOTIFS :

Le 1er mars 2016

COMPARUTIONS :

Zahra Khedri

Pour le demandeur

Brad Bechard

Pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Zahra Khedri

Avocat­procureur

Cabinet de Zahra Khedri

Toronto (Ontario)

Pour le demandeur

William F. Pentney

Sous­procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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