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Date : 20160229


Dossier : IMM-587-15

Référence : 2016 CF 258

[TRADUCTION FRANÇAISE CERTIFIÉE, NON RÉVISÉE]

Ottawa (Ontario), le 29 février 2016

En présence de monsieur le juge O’Reilly

ENTRE :

XINGCHANG LIANG

BAOYUAN LI

HAILIN LI

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.                   Aperçu

[1]               Mme Xingchang Liang et ses deux enfants ont demandé l’asile au Canada par crainte d’être persécutés en Chine parce qu’ils pratiquent le Falun Gong. Mme Liang affirme que son mari, qui pratiquait aussi le Falun Gong, a été arrêté et est décédé alors qu’il était détenu par la police. Elle soupçonne que le corps de son mari a été récupéré pour les organes, car il a été incinéré sans le consentement de la famille.

[2]               Un tribunal de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié a rejeté la demande d’asile des demandeurs, principalement en raison du manque de preuves crédibles. Les demandeurs soutiennent que les attentes de la Commission quant à l’obtention de preuves documentaires pour corroborer leurs allégations étaient déraisonnables. En outre, ils soutiennent que la Commission a déraisonnablement écarté les autres preuves en leur faveur. Ils me demandent d’annuler la décision de la Commission et de demander à un autre tribunal de réexaminer la demande.

[3]               Je suis d’accord avec les demandeurs lorsqu’ils affirment que la décision de la Commission était déraisonnable. Par conséquent, je vais accueillir la présente demande de contrôle judiciaire.

[4]               La seule question à trancher est de savoir si la décision de la Commission était déraisonnable.

II.                Décision de la Commission

[5]               La Commission n’a pas cru que les demandeurs étaient de véritables adeptes du Falun Gong. Les demandeurs n’ont pas présenté de preuves montrant que le mari de Mme Liang avait commencé à pratiquer le Falun Gong pour traiter des problèmes de santé ou que sa santé s’était améliorée en conséquence. En outre, ils n’avaient aucune preuve montrant qu’ils avaient pratiqué le Falun Gong en Chine. Bien que les demandeurs aient démontré une connaissance du Falun Gong, la Commission a conclu que cela ne prouvait pas qu’ils avaient une croyance véritable, car les renseignements sur le Falun Gong sont facilement accessibles. De plus, la Commission a douté de l’affirmation des demandeurs comme quoi les autorités chinoises les pourchasseraient s’ils retournaient en Chine, puisqu’ils ont quitté le pays sans difficulté.

[6]               Les demandeurs se sont dits préoccupés par le fait que des représentants chinois pouvaient être au courant de leur pratique du Falun Gong au Canada, ce qui les exposerait à un risque de persécution s’ils devaient retourner en Chine. La Commission n’a pas trouvé de preuve comme quoi des représentants chinois auraient assisté à des événements auxquels les demandeurs ont participé ou auraient surveillé ces événements. De plus, la Commission a souligné que seul un petit nombre de personnes pratiquant le Falun Gong connaissent des problèmes en Chine.

[7]               La Commission a déterminé que dans les certificats de décès et d’incinération fournis par les demandeurs, il n’était pas mentionné que le mari de Mme Liang avait été arrêté ou accusé, qu’il était décédé alors qu’il était détenu ou que la police avait ordonné son incinération. À l’audience, Mme Liang a déclaré qu’elle avait tenté de visiter son mari pendant qu’il était détenu. La Commission a indiqué que cette information ne se trouvait pas dans la déclaration écrite de Mme Liang, et qu’il s’agissait alors d’embellissements.

III.             La décision de la Commission était­elle raisonnable?

[8]               Le ministre affirme que la décision de la Commission n’était pas déraisonnable. La Commission avait le droit, selon le ministre, de souligner le manque de preuves à l’appui et d’en tirer des conclusions négatives. De la même manière, les conclusions de la Commission comme quoi les demandeurs avaient facilement quitté la Chine et auraient pu se renseigner au sujet du Falun Gong au Canada ne sont pas déraisonnables. De plus, le ministre soutient que le risque auquel les demandeurs seraient exposés en Chine n’est que spéculatif. Rien ne prouve que des représentants chinois ont ciblé les demandeurs en particulier.

[9]               Je ne suis pas d’accord avec les affirmations du ministre.

[10]           D’abord, même si la Commission avait le droit de tirer des conclusions négatives de l’absence de certains documents à l’appui (p. ex., documents ayant trait à la santé du mari de Mme Liang), il n’était pas raisonnable qu’elle s’attende à ce que les demandeurs obtiennent des preuves écrites de l’arrestation, de la détention et du décès du mari pendant sa détention aux mains des autorités chinoises. La Commission a aussi omis de souligner des renseignements suspects dans les documents fournis par les demandeurs, comme le lieu du décès indéterminé (« autre et à l’extérieur »), la cause du décès indéterminée et l’incinération effectuée seulement trois jours après le décès, même si le corps devait être conservé pendant quinze jours.

[11]           Deuxièmement, il semble que la Commission n’ait pas tenu compte du fait que les demandeurs ont quitté la Chine seulement un peu plus d’une semaine après le décès du mari de Mme Liang. Il est plausible que les autorités chinoises n’avaient pas encore signalé que leur sortie de la Chine devait être surveillée.

[12]           Troisièmement, les enfants de Mme Liang ont donné des réponses détaillées au sujet de leur connaissance du Falun Gong (Mme Liang n’a pas été interrogée à ce sujet). On ne sait pas trop pourquoi la Commission a conclu que ce témoignage ne prouvait pas l’authenticité de leurs croyances. Elle a tout simplement déclaré que la preuve était insuffisante en raison des préoccupations quant à la crédibilité des demandeurs.

[13]           Finalement, la Commission a déterminé que les autorités chinoises au Canada n’avaient pas ciblé les demandeurs en particulier. Bien que la Commission ait reconnu la possibilité que des représentants chinois aient photographié ou filmé des démonstrations auxquelles les demandeurs ont participé, elle semble ne pas avoir tenu compte du fait que plus de la moitié du travail effectué dans les consulats chinois porte sur les adeptes du Falun Gong. Il est plus que spéculatif d’affirmer que les demandeurs pourraient avoir été repérés, ce qui augmente le risque qu’ils soient ciblés à leur retour en Chine.

[14]           Dans l’ensemble, par conséquent, à la lumière des preuves qui lui ont été soumises, j’en conclus que la Commission n’a pas pris une décision appartenant aux issues possibles acceptables.

IV.             Conclusion et procédure

[15]           La Commission s’attendait déraisonnablement à ce que les demandeurs produisent des documents prouvant que le mari de Mme Liang a été tué parce qu’il pratiquait le Falun Gong. En outre, elle a déraisonnablement écarté d’autres preuves en faveur des demandeurs. Sa conclusion négative n’appartient pas aux issues possibles acceptables. Par conséquent, je dois accueillir la présente demande de contrôle judiciaire et demander à un autre tribunal de la Commission de réexaminer la demande. Aucune des parties n’a proposé de question de portée générale aux fins de certification, et aucune question n’est mentionnée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que :

1.      La demande de contrôle judiciaire est accueillie et l’affaire est renvoyée à un autre tribunal de la Commission pour réexamen.

2.      Aucune question de portée générale n’est mentionnée.

« James W. O’Reilly »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-587-15

 

INTITULÉ :

XINGCHANG LIANG, BAOYUAN LI, HAILIN LI c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Toronto (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 15 octobre 2015

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE O’REILLY

 

DATE DES MOTIFS :

Le 29 février 2016

 

COMPARUTIONS :

Esther Lexchin

Elyse Korman

 

Pour les demandeurs

 

Ildiko Erdei

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Otis & Korman

Avocats­procureurs

Toronto (Ontario)

 

Pour les demandeurs

 

William F. Pentney

Sous­ministre et sous­procureur général

Ottawa (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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